Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 16:24

111 résultats trouvés pour contemporain

Pétros Márkaris

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Image24

Offshore

Dans une Grèce dirigée par un nouveau parti ni-de-droite-ni-de-gauche, l’argent afflue soudainement, les crimes aussi. Aux yeux du commissaire Charitos, tout cela est louche. Comme le triple assassinat d’un cadre supérieur de l’office du tourisme, d'un armateur et d’un journaliste à la retraite. Et ces immigrés qui avouent leur crime avec un empressement suspect ? Seraient-ils des paravents dissimulant les vrais coupables ? Corruption, blanchiment d’argent, assassinats… la crise grecque est-elle vraiment finie ?


Hmmm... assez sympathique ce vieux commissaire et sa petite famille, collègues inclus. Fiction sur fond de crise économique ou de contexte économique grec et européen. Une série de meurtres, un supérieur pénible. De l'humour... et un peu de cuisine. Tous les ingrédients du bon petit polar (tendance à gauche). Lu avec curiosité plus qu'avec un entrain féroce. Pas désagréable mais qui m'a donné l'impression de naviguer entre désinvolture et pilote automatique...


Mots-clés : #contemporain #polar
par animal
le Mer 4 Mai - 22:06
 
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Sujet: Pétros Márkaris
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Lyonel Trouillot

Kannjawou

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Kannja10

Le narrateur tient son journal, lit des romans (et veut en écrire) dans la rue de l’Enterrement, qui tient son nom du cimetière proche. Il raconte le quartier miséreux, et surtout le pire fléau, les forces d’Occupation des marines (1915-1934, puis l’actuelle, la « molle »). Il parle de ses proches, de Popol son jeune frère (ils sont orphelins depuis l’enfance), de Sophonie et Joëlle, les deux sœurs filles d’Anselme, paysan dépossédé de ses terres devenu tireur de cartes − « les deux femmes que j’aime » sans se déclarer ; la première est serveuse dans un bar dansant :
« Le “Kannjawou”. C’est un beau nom qui veut dire une grosse fête. »

Regard acerbe sur les expatriés qui y forment un clan, dont « la petite brune », « oie et autruche ».
Il rapporte aussi les conversations de man Jeanne qui évoque le passé, Wodné le militant qui se prépare sempiternellement à ce que les conditions soient réunies, le petit professeur qui promeut la lecture chez les jeunes laissés à eux-mêmes, Halefort le voleur de cercueils.
Un beau matériau, de l’amertume, de la rancœur, des bons sentiments, le ton est peut-être un peu maladroit malgré d'attachants personnages.
« Des promesses de kannjawou, en veux-tu, en voilà. Car chacun a droit à sa fête. Il suffit de prendre à la vie seulement la part qui te revient. Et d’inviter l’autre à la fête. Il suffirait. »


\Mots-clés : #contemporain #misere #viequotidienne
par Tristram
le Dim 27 Mar - 12:25
 
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Sujet: Lyonel Trouillot
Réponses: 6
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Michel Houellebecq

Anéantir

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Anzoan10

Comme généralement chez Houellebecq, la lecture est aisée, agréable, entretenant l’attention du lecteur au cours de ces 736 pages, bien que l’auteur y déploie de longues phrases.
Paul Raison est un énarque rattaché à Bruno Juge, ministre de l’économie, technocrate ne vivant que pour le travail. Tous deux ont chacun une vie de couple ratée ; Paul n’a jamais été amoureux malgré plusieurs aventures féminines (en cela conforme au poncif houellebecquien, ici encore appuyé avec un humour provocateur). Sa sœur Cécile est catholique sans ambition sociale ni diplômes, vivant sans aise matérielle ; son mari est chômeur, et ils sont fort attachés l’un à l’autre. Ce personnage permet une approche à la fois respectueuse et étonnée de la foi chrétienne ; Cécile prie beaucoup, et semble même prédire le rétablissement de leur père (un ancien de la DGSI) dans le coma. Elle forme surtout un contraste saisissant avec son frère, son bonheur manifeste tranchant avec l’existence vide de ce dernier, où je crois reconnaître parfois un désabusement brautiganesque.
« Des gens m’aiment, se dit Paul avec surprise ; enfin plus exactement ils m’apprécient, n’exagérons rien. »

« Il était décidément nul en relations familiales, nul en relations humaines en général − et, avec les animaux, il ne s’en sortait pas très bien non plus. »

« Il n’y connaissait pas grand-chose en hormones féminines, pas davantage qu’en musique de chambre ou en animaux de la ferme ; il y avait tant de choses dans la vie qu’il ne connaissait pas, se dit-il en s’abattant sur le divan, saisi par un accès de découragement. »

« À quoi bon installer la 5G si l’on n’arrivait simplement plus à rentrer en contact, et à accomplir les gestes essentiels, ceux qui permettent à l’espèce humaine de se reproduire, ceux qui permettent aussi, parfois, d’être heureux ? »

« Il avait toujours envisagé le monde comme un endroit où il n’aurait pas dû être, mais qu’il n’était pas pressé de quitter, simplement parce qu’il n’en connaissait pas d’autre. »

Le fil conducteur du roman, assez ténu, est une étrange attaque informatique de mystérieux terroristes dans un proche futur (fin 2026 – début 2027), sur laquelle enquête la DGSI.
C’est toujours le compte rendu, assez balzacien (avec un renvoi à Balzac), de la société contemporaine (et des tendances sociétales) ; visiblement documentés, de multiples sujets sont abordés.
« Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. Les vacances d’été sont depuis longtemps oubliées, la nouvelle année est encore loin ; la proximité du néant est inhabituelle. »

« On ne pouvait malheureusement pas s’empêcher de constater qu’un paysage agréable, aujourd’hui, était presque nécessairement un paysage préservé de toute intervention humaine depuis au moins un siècle. »

« Internet, aimait-elle à dire, n’avait que deux utilités : télécharger du porno, insulter autrui sans risques ; seule une minorité de gens particulièrement haineux et vulgaires s’exprimait en réalité sur le Net. »

« …] cette ambiance pseudo-ludique, mais en réalité d’une normativité quasi fasciste, qui avait peu à peu infecté les moindres recoins de la vie quotidienne. »

« Nous ôtons ainsi toute motivation et tout sens à la vie ; c’est, très exactement, ce que l’on appelle le nihilisme. Dévaluer le passé et le présent au profit du devenir, dévaluer le réel pour lui préférer une virtualité située dans un futur vague, ce sont des symptômes du nihilisme européen bien plus décisifs que tous ceux que Nietzsche a pu relever [… »

Et toujours empreint d’une métaphysique de la condition humaine (la mort, le couple, le sens de l’existence ; ontologie et réflexions sur la religion, l’amour, la solitude ; nombreuses références à Pascal).
« La fin de vie pouvait peut-être dans certains cas ne pas être tout à fait malheureuse, se dit-il ; c’était surprenant. »

« Le déterminisme, pas davantage que l’absurde, ne fait réellement partie des catégories chrétiennes ; les deux sont d’ailleurs liés, un monde intégralement déterministe apparaît toujours plus ou moins absurde, non seulement à un chrétien, mais à un homme en général. »

« Ce qu’il ne supportait pas, il s’en était rendu compte avec inquiétude, c’était l’impermanence en elle-même ; c’était l’idée qu’une chose, quelle qu’elle soit, se termine ; ce qu’il ne supportait pas, ce n’était rien d’autre qu’une des conditions essentielles de la vie. »

« Il ne pensait pas qu’à long terme la rationalité soit compatible avec le bonheur, il était même à peu près certain qu’elle conduisait dans tous les cas à un complet désespoir ; mais Anne-Lise était encore loin de l’âge où la vie l’obligerait à faire un choix, et à prononcer, si elle en était encore capable, ses adieux à la raison. »

Paul rêve souvent, et ces rêves sont comme trop souvent littéraires dans les romans.
« À ce moment de la nuit, Paul avait violemment pris à partie le concepteur du rêve : cette histoire de plans de réalité parallèles était peut-être intéressante en théorie, lui disait-il, mais dans la réalité, enfin dans la réalité du rêve, il n’en avait pas moins éprouvé un douloureux regret d’avoir perdu son amante russe ; le concepteur du rêve s’en montrait désolé, sans pour autant réellement présenter ses excuses. »

Une certaine animosité vis-à-vis des journalistes se focalise dans le personnage d’Indy, haineux rapace conjoint du jeune frère écrasé, Aurélien.
« Curieusement, la presse, tout en perdant la quasi-totalité de ses lecteurs, avait augmenté son pouvoir de nuisance ces dernières années, elle pouvait maintenant briser des vies, et elle ne s’en privait pas, en particulier en période électorale, le passage par une procédure judiciaire était même devenu inutile, un simple soupçon suffisait à détruire quelqu’un. »

En parallèle sont exposés les problèmes de couple de Paul, dont les relations se réchauffent avec sa compagne Prudence, qui elle aussi est confrontée à un deuil, celui de sa mère.
Le recours à l’alcool est présenté comme une solution palliative au mal-être.
« L’alcool est paradoxal : s’il permet parfois de dominer ses angoisses, de voir toutes choses dans un fallacieux halo optimiste, il a parfois au contraire pour effet d’augmenter la lucidité, et partant l’angoisse ; les deux phénomènes peuvent d’ailleurs se succéder à quelques minutes d’intervalle. »

Le sexe garde une grande place.
« Elle s’enquit ensuite de son âge et de son appartenance ethnique − un blanc sur la fin de la quarantaine c’était parfait, c’était exactement le genre de clientèle qu’elle recherchait ; apparemment, les critères des escorts se situaient aux antipodes du système de valeurs habituellement prôné par les médias de centre gauche. »

La politique est vue comme un monde désenchanté, vain.
« Donc on garde les deux chambres, mais le pouvoir du parlement sera encore réduit. C’est un peu de la postdémocratie, si tu veux, mais tout le monde fait ça maintenant, il n’y a que ça qui marche, la démocratie c’est mort comme système, c’est trop lent, trop lourd. »

« Aurélien ne se souvenait que très vaguement de François Mitterrand, guère plus que des Chevaliers du Zodiaque ou de l’ours Colargol. Dans son enfance déjà, les industries du divertissement avaient entrepris de recycler du vintage tout en proposant de nouveaux produits, sans les différencier clairement, si bien que toute idée de succession et de continuité historique s’était peu à peu perdue. »

La place de plus en plus réduite accordée à la vieillesse et à la fin de vie, évacuées dans notre société, est au cœur du livre (et entre curieusement en résonance avec notre actualité).
« La vraie raison de l’euthanasie, en réalité, c’est que nous ne supportons plus les vieux, nous ne voulons même pas savoir qu’ils existent, c’est pour ça que nous les parquons dans des endroits spécialisés, hors de la vue des autres humains. La quasi-totalité des gens aujourd’hui considèrent que la valeur d’un être humain décroît au fur et à mesure que son âge augmente ; que la vie d’un jeune homme, et plus encore d’un enfant, a largement plus de valeur que celle d’une très vieille personne ; je suppose que vous serez également d’accord avec moi là-dessus ? »

Houellebecq précise dans ses Remerciements finaux :
« Au fond, les écrivains français ne devraient pas hésiter à se documenter davantage ; beaucoup de gens aiment leur métier, et se réjouissent de l’expliquer aux profanes. »

C’est bien dans la démarche du constat de l’écrivain, avec un style simple assez factuel − honnêteté certes teintée de son état d’esprit. Dans ce dernier ouvrage, Houellebecq, moins pessimiste et plus moraliste peut-être, suppute la possibilité d’une certaine transcendance, notamment au travers de la référence religieuse et de la possibilité de créer du sens par la littérature.

\Mots-clés : #actualité #contemporain #social
par Tristram
le Sam 5 Fév - 12:29
 
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Sujet: Michel Houellebecq
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Le One-shot des paresseux

Nicolas Bourcier, Les Amazoniens, en sursis

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Les_am10

D’abord une petite déception, les témoignages et reportages datent du début du siècle, au moins au début.
Des interviews documentent le sort des Indiens (mais aussi des caboclos et quilombolas), abandonnés par l’État, qui poursuit une politique d’exploitation productiviste de la forêt (quel que soit le régime politique), aux exactions des garimpeiros et de leurs pistoleros, des trafiquants, des fazendeiros et autre agrobusiness qui suivent. La pression des Blancs tend à les sédentariser pour les réduire (gouvernement, congrégations religieuses) : c’est aussi l’histoire de nomades malvenus dans notre société. En plus de la pression économique, il y a également les maladies contagieuses, la pollution au mercure, l’exclusion et la discrimination, la bureaucratie, l’exode et l’acculturation, etc. Mais, dorénavant, la population indienne augmente, ainsi que la réaffirmation de l’identité ethnique traditionnelle.
« Les besoins en matière de santé et d’éducation restent considérables. »

Malgré la reconnaissance des droits des Indiens par la constitution, le gouvernement de Lula a déçu les espoirs, et afin de favoriser le développement les forces politiques se coordonnent pour saper toute cohésion des réclamations sociales et foncières.
« Juridiquement, l’Amazonie a connu la reconnaissance des droits des indigènes en 1988, la reconnaissance de la démarcation des terres trois ans plus tard et une succession de grignotages de ces droits par la suite… »

Face à l’extinction des derniers Indiens isolés, les sertanistes (qui protègent leurs terres), ont fait passer le paradigme de l’intégration (ou de l’éradication) à la suppression quasi intégrale des contacts. L’un d’eux, Sydney Possuelo :
« Darcy Ribeiro, qui contribua à la classification légale de l’Indien, comptait trois types : l’Indien isolé, l’Indien en contact mais de façon intermittente (comme les Yanomami et tous ces groupes vivant entre deux mondes), et l’Indien intégré. De ces trois groupes, je n’en vois que deux : l’isolé et l’intermittent. L’intégré n’existe pas. Il n’y a pas d’ethnie qui vive harmonieusement avec la société brésilienne. L’Indien respecté et intégré dans notre société est une invention. »

« Pour résumer, si on ne fait rien, les fronts pionniers tuent les Indiens isolés ; si on entre en contact, voilà qu’ils disparaissent sous l’effet des maladies. La seule option possible est donc de savoir où ils se trouvent et de délimiter leur territoire. C’est ensuite qu’il faut mettre en place des équipes autour de ce territoire pour en bloquer les accès. Pourquoi ne pouvons-nous pas délimiter une zone où vivent des personnes depuis des temps immémoriaux et empêcher qu’elle ne soit envahie ? »

Qu’on soit intéressé de près ou de loin par le sujet, une lecture qui interpelle.

\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #contemporain #discrimination #documentaire #ecologie #genocide #identite #minoriteethnique #nature #racisme #ruralité #temoignage #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Mer 22 Déc - 12:14
 
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Sujet: Le One-shot des paresseux
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Michel Layaz

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Thumb-11

Les Vies de Chevrolet

éditeur a écrit:« Che-vro-let ! Che-vro-let ! » : début XXe siècle, l’Amérique est ébahie devant les prouesses de Louis Chevrolet. Né en Suisse en 1878, le jeune homme a grandi en Bourgogne où il est devenu mécanicien sur vélo avant de rejoindre, près de Paris, de florissants ateliers automobiles. En 1900, il quitte la France pour le continent américain. Très vite, au volant des bolides du moment, Fiat ou Buick, il s’impose comme l’un des meilleurs pilotes de course. En parallèle, il dessine, conçoit et construit des moteurs. Ce n’est pas tout, avec Billy Durant, le fondateur de la General Motors, Louis crée la marque Chevrolet. Billy Durant la lui rachète pour une bouchée de pain et obtient le droit d’utiliser le nom de Chevrolet en exclusivité. Des millions de Chevrolet seront vendues sans que Louis ne touche un sou. Peu lui importe. L’essentiel est ailleurs.

Pied au plancher, Michel Layaz raconte la vie romanesque de ce personnage flamboyant qui mêle loyauté et coups de colère, bonté et amour de la vitesse. À l’heure des voitures électriques, voici les débuts de l’histoire de l’automobile, avec ses ratés, ses dangers et ses conquêtes.


Un livre assez court et écrit assez gros dans un style dans l'air du temps, animé, vif avec des phrases brèves et une part de mélancolie. Pas complètement ma came mais je me suis laissé happé par les tranches de vie et les mouvements de ce drôle de bonhomme, compétiteur et trompe la mort dans l'âme tout à la fois pilote et mécanicien-ingénieur dans l'âme.

C'est aussi la page d'histoire automobile et industrielle. Une drôle d'histoire individuelle, pas toujours réjouissante. Mais aussi sans grande leçon. Qualité sensible du livre dont l'emphase (ou l'emportement ?) ne nous emmène pas dans la sentence mais nous fait naviguer comme au hasard entre la plus grande histoire et les grandes tensions de l'âme humaine. En arrière plan le "rien" dont vient ce héros "moderne" et la présence forte de la famille, l'exil aussi pour trouver la prospérité outre Atlantique dans la frénésie du début du siècle dernier.

Epoque oblige, les faits (de courses) à faire dresser les cheveux sur la tête !

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Louis-10


Mots-clés : #biographie #contemporain #portrait #xxesiecle
par animal
le Mer 1 Déc - 21:52
 
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Sujet: Michel Layaz
Réponses: 2
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Hannelore Cayre

La Daronne

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 La_dar10

La narratrice, Patience Portefeux, est une femme née dans un milieu très aisé (et interlope) qui se retrouve subitement veuve avec deux enfants et sans ressources ; parlant couramment arabe, elle devient traductrice-interprète judiciaire, et traduit des écoutes téléphoniques de la police. Elle modifie parfois les conversations, et en vient à intervenir dans une affaire en cours…
C’est, outre l’argent qui corrompt tout le monde, le milieu de la drogue et de la petite délinquance qui est abordé, mais de nombreux autres problèmes de société contemporains le sont également (fraude fiscale, blanchiment d’argent, vie en EHPAD, etc.).
Hannelore Cayre bouscule à peu près tout le monde, les flics et les malfrats, les racistes comme les racisés :
« J’ai mis une bonne semaine à la repérer vu que dans les mouroirs, c’est comme dans les hôpitaux ou les crèches : il n’y a pratiquement que des Noires et des Arabes qui y travaillent. Racistes de tout bord, sachez que la première et la dernière personne qui vous nourrira à la cuillère et qui lavera vos parties intimes est une femme que vous méprisez ! »

Le livre est bourré d’informations policières et judiciaires apparemment bien renseignées…
« Sinon, j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt.
Un vrai karma, décidément.
C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là mêmes qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ?
Enfin, moi qui suis corrompue, je trouve ça carrément flippant. »

Le style d’Hannelore Cayre est vif, dense, enlevé : elle va rondement à l’essentiel ; c’est aussi plein d’ironie.
J’ai trouvé un peu incohérent que l’on n’apprenne l’existence de Philippe, le fiancé flic de Patience, qu’au mitan de ce bref roman mené tambour battant : le personnage serait-il né en cours de rédaction ?
Attrayante lecture, entre amertume et humour.


\Mots-clés : #contemporain #corruption #polar
par Tristram
le Mar 23 Nov - 12:08
 
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Sujet: Hannelore Cayre
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Thomas McGuane

Rien que du ciel bleu

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Rien_q10

Frank Copenhaver est quitté par sa femme Gracie. Ancien hippie, comme ses amis de l’époque il est devenu un homme d’affaires qui a réussi (comme son père…). Le roman narre les conséquences de cette séparation : sa lente dégringolade, ses (tentatives de) reprises en main et « renouvellement de ses valeurs fondamentales ».
« Peu désireux de façonner le monde, il préférait la quête de la chatte et des états modifiés de la conscience, car c’était un digne membre d’une génération désœuvrée, vouée à la fuite des responsabilités et à la fornication inconséquente, vouée à l’idéal du Rapport Humain Complet et aux chaussures tout-terrain qui ne mentent pas à vos pieds. »

Quelques rencontres féminines et aventures sexuelles douteuses...
« Et puis je vais te dire une bonne chose : dans ton cas, l’absence ne nourrit pas l’amour. Dès qu’une femme s’éloigne de toi, même pour un temps très bref, cette femme se pose une excellente question : mais comment, comment ai-je pu faire une bêtise pareille ? »

« Elle remonta sa robe au-dessus de ses hanches et pointa le doigt vers le triangle en soie blanche de sa culotte. Ça aussi, c’est fini ! s’écria-t-elle avant de sortir en claquant la porte. »

… une cascade d’hilarantes péripéties, et une certaine animadversion réciproque des cow-boys :
« Je me demande si leur mère leur attache des poids au coin de la bouche, dit Phil. Tu sais, comme font les Watusis à leurs oreilles et à leurs lèvres. Je parie que c’est le cas : la maman rancher accroche des poids à la commissure des lèvres du bébé. Ensuite, le petit gamin porte un petit chapeau de cow-boy, des petites bottes avec des petits éperons, et des poids au coin de la bouche. Ensuite, on offre un petit lasso au petit merdaillon et on colle une paire de cornes sur une botte de foin. Le plus souvent, ce petit merdeux s’appelle Boyd ; dix ou vingt ans plus tard, Boyd se bourre la gueule, il tabasse les vaches à coups de fouet, sa copine à coups de poing, et il fume ses clopes devant la téloche. »

Son malaise existentiel, l’absence de sens de sa vie absurde, est généralement rendu par petites touches indirectes.
« Il comprit soudain que son désir compulsif de regarder les gens vaquer à leurs occupations, de les observer derrière leurs fenêtres comme s’ils se trouvaient dans un laboratoire, s’expliquait par l’inconsistance de sa propre vie. S’il fallait qualifier son existence, elle lui semblait mince. Elle avait un air de faux-semblant. Il devina que tout le monde vivait dans une atmosphère de perpétuels ajournements. »

Tout au long du roman, une attention particulière est apportée au ciel et aux nuages.
La devise de Frank est :
« La Terre était plate, chacun à son heure passait par-dessus bord. »

Il y a une aimable critique de l’american way of life (y compris de la « bouffe répugnante » du McDonald) :
« Merveilleux quartiers résidentiels ! Splendides rues tracées au cordeau, délicieuse rivalité des pelouses ! Ils étaient aussi parfaits que ces organismes agglutinés pour former un récif corallien. Frank déambulait à travers les rectangles réjouissants d’Antelope Heights, savourant les mariages de couleurs, l’ordre impeccable des voitures en stationnement, la forte personnalité des boîtes à lettres − certaines juchées sur des roues de chariot, d’autres en fibre de verre, avec des faisans multicolores moulés dans les parois (un chasseur vit sans doute ici !), certaines n’attendant que des lettres, d’autres conçues pour accueillir d’énormes paquets. »

On est dans le Montana, et bien sûr il y a pas mal de pêche à la truite :
« À la courbe de la rivière, on aurait dit que les iris sauvages allaient basculer dans l’eau. L’étroite bande de boue où poussaient les laîches portait de nombreuses traces de rats musqués et sur cette même bande se dressait un héron bleu parfaitement immobile, la tête renversée comme un chien de fusil. Ses pattes fléchirent légèrement, il croassa et s’envola avec une lenteur merveilleuse et un faible sifflement des rémiges, disparaissant enfin au-dessus du mur des herbes, comme aspiré dans leur masse verte. »

De nouveau donc ce mélange de rire et de mélancolie, si caractéristique de McGuane − qui peine à trouver son lectorat sur le forum ?

\Mots-clés : #contemporain #relationdecouple #relationenfantparent #xxesiecle
par Tristram
le Lun 2 Aoû - 15:21
 
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Sujet: Thomas McGuane
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Nicolas Bokov

Dans la rue, à Paris

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Dans_l12


Fin des années 80, Nicolas Bokov, « au tournant de la cinquantaine », est exilé d’URSS, et SDF à Paris. De plus, il s’est converti au christianisme, et cette vocation tardive imprègne son récit.
Ce sont mes récentes lectures de Giraud et Clébert sur le parcours des rues de Paris qui m’ont incité à celle-ci, avec l’intention de les croiser ; en fait, c’est Les naufragés, de Patrick Declerck, qui se rapproche le plus de ce qui est évoqué. J’avais bien sûr en tête les sans-logis actuels, à titre d’approche comparative : cet antique préjugé qui laisse soupçonner un Mozart (ou au moins un philosophe de valeur) chez l’indigent croisé dans la rue…
Pas d’alcool, de la douleur (une fille handicapée), des nuits inquiètes dans le froid, mais aussi une sorte de transport humble et mystique, l’asile des églises, les lectures hagiographiques et l’étude de la Bible.
« Voilà pourquoi, sans doute, on lutte pour la première place. On lutte aussi, bien sûr, pour la quantité : "Je veux encore davantage – de tout, de tout." Mais il y a une motivation secrète et complexe : pour ne pas se perdre. Ne pas se noyer dans la mer humaine. »

Des observations qui sentent le vécu :
« Celui qui vit dans la rue éprouve un véritable besoin de se trouver à l’intérieur. À présent, il me suffit d’entrer dans un local quelconque pour éprouver du plaisir. Presque une jouissance. »

« À présent, quand je me sens angoissé, je vais dans un coin isolé, je sors de mon sac à dos une deuxième paire de pantalons et encore un pull, ou même deux, et j’enfile tout cela sur le champ. Un tel épaississement de l’enveloppe apporte immédiatement du réconfort et du courage. »

« Je suis stupéfait : combien de fois dans des situations de ce genre, j’ai vu un premier mouvement pour se lever, puis un regard rapide, jugeant instantanément ma position sociale et matérielle, et l’homme restait assis. »


\Mots-clés : #biographie #contemporain #misere #spiritualité #temoignage
par Tristram
le Lun 31 Mai - 14:35
 
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Sujet: Nicolas Bokov
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Richard Millet

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 97823610

Journal, tome 3

@majeanne, j'espère que ça ne t'ennuie pas que je récupère une partie de notre échange du fil des lectures du mois ?

Quasimodo a écrit:
majeanne a écrit:J'ai lu deux fois "Ma vie parmi les ombres" de Millet et "La gloire des Pythre" aussi.
En revanche, l'homme ne m'étant pas vraiment sympathique je n'ai pas essayé son Journal. Tu en as pensé quoi ?

J'en ai pensé que cet écrivain qu'obsède la supposée décadence de la littérature occidentale n'est pas à la hauteur de ses prestigieux aînés (ce qui tend à valider sa théorie).
Le journal est intéressant : il s'y montre le jouet de pulsions destructrices, de haines incompressibles, de désirs qui sont une torture ; il décrit le champ littéraire et éditorial avec un dégoût communicatif (il y a dans ce versant du journal un côté Paris-Match, sauf le style) et se complaît dans une posture de victime poussée à la marginalité par le "Grand Consensus". C'est un paria volontaire dominant la mesquinerie de l'époque (dans la fiction qu'il se joue), violent dénonciateur du cosmopolitisme et misanthrope incurable. Son style de polémiste du début du siècle dernier est séduisant, mais guère plus : c'est un peu juste pour la postérité.


Il dénonce l'étroitesse morale de l'époque et la dictature du politiquement correct mais ne semble pas remarquer que la plupart de ses récriminations possèdent elle-même une assise morale. En réalité, il fait exactement ce qu'il reproche aux "tenants de l'ordre moral" : il ne tolère pas d'autre éthique que la sienne, qu'il érige en orthodoxie. Il est intransigeant pour les autres et n'est "que" sévère pour lui-même, ce qui est une drôle de manière de se ménager. Il est puéril dans ses paroxysmes, et franchement vulgaire (ce qui est à l'origine de déplaisantes dissonances dans son écriture habituellement élégante). Dans de rares passages, il déplore être sujet à de pareils emportements : il se révèle ainsi être la victime de pulsions tyranniques, ce qui certes n'excuse pas tout. En sus, il est d'une extrême fatuité touchant son office : il consigne soigneusement les flatteries qu'on lui prodigue et rapporte avec complaisance les vacheries tenues par d'autres sur les rares écrivains auquel il reconnaît du talent. Il faudrait enfin mentionner sa passion pour la musique, qui occupe une part importante de sa vie et de son journal, et qui exerce sur son écriture une influence telle qu'elle devient un obstacle à sa pensée : écrivant à l'oreille, ne se préoccupant pas d'autre chose que de faire fonctionner le langage, le monde sensible lui échappe et il n'en retient que de mesquines apparences ; sa vérité propre se dérobe et il n'exprime de lui-même que le déchet de ses amertumes.


#contemporain #creationartistique #journal #viequotidienne
par Quasimodo
le Mar 6 Avr - 21:02
 
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Sujet: Richard Millet
Réponses: 16
Vues: 999

Amin Maalouf

Le naufrage des civilisations

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Naufra10
Essai, 2019, 355 pages environ.

Toujours oscillant, tantôt spectateur engagé, tantôt historien, ce Naufrage claudique au gré des mouvements de barre de l'auteur, à mesure qu'il pose un pied devant l'autre en cherchant à tenir son équilibre sur le fil-ligne droite du livre.

L'écriture possède l'élégance de la clarté, elle est très soignée (très M. Maalouf, de l'Académie).

Naufrage ?
Celui de la civilisation proche-orientale (le Levant sous sa plume) jadis cosmopolite et ouverte. Celle du monde arabe ensuite, avec deux dates qu'il martèole, on sent qu'elles l'obsèdent, la guerre des six-jours et la révolution iranienne de 1979.
Celle du rêve européen enfin, sans doute couplé au rêve états-unien (le fameux american dream), enlisé dans sa frilosité, son petit pré carré et emprisonné dans ses murs érigés par le maçon finance.
Et surtout un occident prisonnier de ses peurs, peurs identitaires, peurs sécuritaires, les références orwelliennes peuplent le propos.

Tout ça pour en venir à un final eschatologique, et encore, cet essai fut écrit et publié avant la pandémie...

Bref me direz-vous peut-être, pour un essai, on n'apprend rien, ou si peu: passons outre, jetons ou ignorons ?
Cette récapitulation-balisage-mise en garde et en perspective est parfois horripilante, avec ses constants renvois dos-à-dos un rien sainte-nitouche, ce vieux truc de ne pas prendre parti pour paraître prendre de la hauteur, son absence d'issues; pour ma part je doute faire à l'avenir de fréquents retours à l'ouvrage.  


Si je me hasardais à puiser dans le vocabulaire de la biologie, je dirais que ce qui s'est passé dans le monde au cours des dernières décennies a eu pour effet de "bloquer" en nous la "sécrétion des anticorps". Les empiètements sur nos libertés nous choquent moins. Nous ne protestons que mollement. Nous avons tendance à faire confiance aux autorités protectrices; et s'il leur arrive d'exagérer, nous leur accordons des circonstances atténuantes.

 Cet engourdissement de notre esprit critique représente à mes yeux une évolution significative et fort préoccupante:

J'ai quelquefois parlé, dans ce livre, de l'engrenage dans lequel nous sommes tous entraînés en ce siècle. C'est au travers de cette idée d'un "blocage des anticorps" que l'on peut observer de près le mécanisme de l'engrenage: la montée des tensions identitaires nous cause des frayeurs légitimes, qui nous amènent à rechercher la sécurité à tout prix, pour nous-mêmes comme pour ceux que nous aimons, et à nous montrer vigilants dès que nous nous sentons menacés. De ce fait, nous sommes moins vigilants sur les abus auxquels cette attitude de vigilance permanente peut conduire; moins vigilants quand les technologies empiètent sur notre vie privée; mois vigilants quand les pouvoirs publics modifient les lois dans un sens plus autoritaire et plus expéditif; [...]


\Mots-clés : #contemporain #essai #historique #mondialisation #temoignage
par Aventin
le Dim 14 Fév - 17:21
 
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Victor Jestin

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La chaleur

Fin août, la canicule écrase les vacanciers. Dans ce géant camping des Landes, les ados traînent, heureux ou malheureux, draguent, bronzent. Le lapin rose se charge des enfants, les parents sont gentils mais un peu dépassés. Léonard porte son vague à l‘âme et son sentiment d’exclusion. Rien que de très banal si la première phrase du roman n’était: « Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger ».

Cela vous a par moments un petit air de l’Étranger de Camus, ces phrases qui claquent, cette chaleur comme un mirage, ce jeune homme hors des codes.
C’est une lecture assez décapante par l’écriture, la façon de regarder ce monde d’une façon décalée.
Une journée de vie ordinaire assez saisissante.


\Mots-clés : #contemporain #initiatique #mort
par topocl
le Mer 10 Fév - 13:07
 
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Antoine Choplin

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Nord-Est

Depuis le temps qu’ils sont dans ces camps, que le temps d’avant s’est éloigné de plus en plus, ils sont un groupe de quatre qui décident de partir, tenter l’espoir et l’aventure, retourner dans les plaines du Nord-Est où jadis, la vie était si douce.

Gari, le meneur raisonnable, Emmet le naïf qui remonte le moral à chacun, Saul, le poète devenu mutique et Jamarr le rebelle. Des noms de héros mythologiques pour ces humbles hommes malmenés par le destin.

Des épreuves et d’heureux partages les attendent sur les plateaux et les montagnes, qui soudent la petit équipe, et chacun trouve sa place dans le quatuor, encourage, rabroue, regrette, rassure, espère…

C’est un roman d’aventure qui vaut pour le temps commun partagé - et la solitude au sein de ce partage - , le dialogue pudique et amical entre les hommes (et aussi une femme qui les rejoint), qui savent qu’ils doivent se ménager les uns les autres, pour leurs silences et leurs humeurs. Cette présence attentive à l’autre, même plus faible, m’a parfois fait penser à Des souris et des hommes.

Le texte est très dialogué, fait de phrases humbles et fraternelles. Car encore plus que le cheminement, la nature hostile ou accueillante, c’est par ces personnages subtils et attachants que le livre a tenu la lectrice dans une béatitude émerveillée.


Mots-clés : #aventure #contemporain
par topocl
le Ven 22 Jan - 17:15
 
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Grégory Le Floch

De parcourir le monde et d'y rôder

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Un entêtement, une irritabilité continuelle qui, à défaut de donner corps à ce personnage sans identité dont on lit ici le parcours, caractérise la narration et le style de Grégory Le Floch de façon beaucoup plus équivoque. Personne n'écoute ce personnage (a-t-il d'ailleurs quelque chose à dire ?) qui cherche la signification d'un objet (puis deux, puis trois...) trouvé(s) par lui : tout comme ces objets, il est vide, et donc ouvert, réceptacle. Il écoute à défaut de parler, reçoit et catalyse toutes les idées et les tensions de ce monde bizarre et violent, un monde qui est de manière assez ou trop évidente le reflet du nôtre.

Tout arrive (ou tout peut arriver) quelquefois avec un sans-gêne désopilant, la plupart du temps avec une forme de gratuité que les références à l'actualité disculpent en partie. C'est aussi pour que le roman implose, avec toutes les interprétations, sur les évènements comme sur les mystérieux objets du personnage, des hypothèses et des idées provenant uniquement de ceux que le personnage croise sur sa route. Avec tout son appareillage de notes, cet épisode du personnage consultant un site web interactif, l'analogie entre le roman et internet serait toutefois un peu facile. Peu à peu, le personnage prend forme avec ses impressions et ses émotions : son ras-le-bol, son dégoût, sa tristesse et sa nostalgie prennent le dessus. Ces petites choses restées trop longtemps dans ses mains ou dans ses poches deviennent attachantes. La langue s'en ressent, dans un souffle poétique parfois hésitant, mais en tout cas très prometteur.

Mots-clés : #absurde #contemporain #identite
par Dreep
le Jeu 5 Nov - 17:02
 
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Marcus Malte

Aires    

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Des étudiants terriens des temps futurs s’initient aux us et coutumes de la civilisation du XXIème siècle. Ça, c’est juste l’intro et le final. C’est écrit dans une nov-langue qui, comparée à Damasio, fait un peu amateur, ça m’a un peu gonflée, mais passé le prologue ça change.

Il y a donc ensuite un roman choral, genre Lelouch croisé Houellebecq. Curieux mélange, me direz-vous ? Lelouch car nous suivons une dizaine d’individus chacun dans sa voiture, chacun sa petite vie et ses petits et gros soucis,  par petites vignettes, et ils finissent par trouver évidemment des points de rencontre à la fin. Houellebecq parce que c’est un regard très critique sur notre société, un humour grinçant, une analyse sans concessions.

Le paysage, c’est donc l’autoroute, les aires où on s’arrête, d’où le titre.
On attend une fin explosive, et si elle est acerbe, elle déçoit un peu, j’aurais attendu du plus violent, du plus dénonciateur, du plus fin du monde. Plus surprenant, surtout.

Il n’y a rien à dire, il sait écrire, Marcus Malte, se renouveler, c’est un créatif. Il sort une idée à la minute, et il sait l’exploiter.
Mais ce livre est pour moi  l’excellente démonstration qu’un grand talent ne fait pas forcément un excellent livre. Que si le génie peut peut-être se permettre n’importe quoi, le talent, lui demande un peu de modestie.
C’est brillant, inventif, astucieux, bien observé, mais, voilà, un peu trop certain de son talent, un peu trop astucieux, ça devient au fil des pages très bavard, puis très loooong, c’est d’autant plus décevant que retravaillé, ça aurait pu décoiffer.

Mots-clés : #contemporain
par topocl
le Ven 27 Mar - 14:10
 
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Danièle Sallenave

Viol

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Un livre compliqué à juger.
Le sujet doit être traité, il est important, cette histoire d'épouse narrant la découverte d'un viol au sein de sa famille et retraçant les événements, le choc, la prise de conscience, le rejet de cette idée, le rejet des accusatrices. C'est troublant, cela fait réfléchir même si la forme choisie (entretiens) laisse dubitatif, car cela appauvrit le style et il faut un certain talent pour tenir un récit uniquement sur des dialogue. Peu d'écrivains y parviennent et je pense que cet exercice fut trop périlleux pour l'auteure perdant en émotion, en capacité à transmettre de l'information.
Le poids du réalisme est cependant bien présent et les personnages représentent bien une classe populaire silencieuse en proie avec beaucoup de détresse.
Une lecture en demi-teinte que j'ai cependant appréciée.


Mots-clés : #contemporain #entretiens #temoignage #violence
par Hanta
le Sam 7 Mar - 11:08
 
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Lauren Weisberger

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 61dzxv10

le Diable s'habille en Prada

Trouvé dans une boîte à livre, ayant adoré le film et Meryl Streep, qui incarne merveilleusement bien ce monstre, je me suis dit qu'il fallait que je le lise.
Je ne suis pas déçue, c'est une lecture facile, agréable, très accessible (tout comme le film), même si on ne s'y connaît pas du tout dans la mode (vive la petite sauvageonne que je suis :p ), et que ça ne nous intéresse pas Wink
On se demande jusqu'où l'horrible Miranda va aller (elle est bien plus terrible dans le livre, je ne pensais pas que c'était possible !), la fin du roman ne suit pas exactement le film, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Malgré que ça soit une lecture facile, je trouve que c'est un vrai reflet de notre société où l'on se donne corps et âme pour notre boulot, notre patron, pour un système ... Au détriment de notre vie, de nos priorités etc. Une comédie certes, mais pas que !

Pour une lecture détente, je recommande fortement, et je lirais avec plaisir d'autres romans s'ils me tombent entre les mains.

C'est tout.



Mots-clés : #contemporain #humour #mondedutravail
par Silveradow
le Mar 11 Fév - 19:34
 
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Littérature et alpinisme

Stéphanie Bodet

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Stzoph10

Biographie: L'ouvrage À la verticale de soi étant assez autobiographique, et puis ceci n'est pas une ouverture de fil, on va juste préciser qu'elle est une grimpeuse de top niveau vivant de sa passion (enfin, ça, elle vous l'expliquera), laquelle s'allie comme un gant (ou plutôt comme un coincement dans un offwidth) au voyage et à un goût certain et affiné pour la littérature ainsi que pour l'autre, autrui en général, et enfin qu'elle forme un beau couple longévif avec Arnaud Petit.


Bibliographie:
 Stéphanie Bodet, Arnaud Petit, Parois de légende : les plus belles escalades d'Europe, Grenoble, Glénat, coll. « Montagne randonnée », 2006, 143 p.
 -  Salto Angel, Chamonix, Guérin, La Petite collection, 2008.
 -  Stéphanie Bodet, Arnaud Petit, Parois de légende, Grenoble, Glénat, Collection Montagne-évasion.
 -  À la verticale de soi, Chamonix, Éditions Paulsen, Collection Guérin, 2016,
 -  Habiter le monde, Stéphanie Bodet, Editions L'Arpenteur, 2019, 288 p.


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À la verticale de soi
Autobiographie, 300 pages environ y compris portfolios (certaines photos sont à couper le souffle).


Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 A_la_v10
Paru en 2016 dans la fameuse collection Guérin "couverture rouge", éditions Paulsen, déception: format semi-poche en revanche, dit Terra Nova, je préférais les grands formats de chez Guérin-Paulsen, ça faisait beau livre en plus...

Petit froncement d'arcade à l'ouverture de l'ouvrage, la préface est de l'immanquable Sylvain Tesson. Qu'on se rassure, il donne dans le sobre.
Fidèle aux codes de l'autobio en matière d'alpinisme (on n'avait aucun doute sur le fait qu'elle les connaissait et les maîtrisait ceci dit), la belle Stéphanie commence par un chapitre-choc. Audacieuse, la suite de ce chapitre est située à la fin de l'ouvrage.

Puis c'est l'enfance, l'adolescence, la jeunesse qui se déroulent comme on délove une corde, avec le grand choc de la mort subite de sa sœur toute jeunette encore.

La rencontre avec Arnaud, les années-compètes, les années-voyages.
La maison, l'installation.
Stéphanie Bodet est tout à tour espiègle, enjouée, drôle, grave, inquiète rarement, de cette intranquillité maladive, comme elle dit si bien, qui au fond la fait avancer.

Aussi, le grand point d'interrogation existentiel.
Le choix de pas d'enfants, les années noires, les pépins physiques - de qui donc est cette sentence que je profère moi-même parfois quand les circonstances autorisent de la placer:  "on n'arrive pas indemne à quarante ans ?".
 
Le besoin de faire sens, venant de quelqu'un qui ne vit pas dans sa bulle grimpante (comme on peut en croiser, eh oui).

Stéphanie Bodet a une belle sensibilité, une écriture assez fine et non dénuée de joliesse; normal elle a un CAPES de Lettres me direz-vous, mais justement non, son écriture n'est pas livrée avec les copeaux d'emballage de la fac et le ton n'est jamais universitaire. Beaucoup de clins d'œil littéraires, références et citations parsèment l'ouvrage, avec à-propos, ce n'est jamais pompeux, et puis ce sont souvent des auteurs appréciés et commentés ici-chez-nous, sur deschosesàlire...

Bien sûr ça me ravit, il manquait une plume d'une telle envergure au genre littéraire alpinisme, catégorie francophone, depuis au moins... pfftt... Pierre Mazeaud, Gaston Rébuffat même qui sait ?
Les talents littéraires de Rébuffat et Mazeaud étaient trés différents entre eux, ceux de Stéphanie Bodet procèdent d'une autre singularité encore. 

Petit extrait, peut-être pas plus illustratif du style que ça j'en conviens mais qui percute bien, de surcroît j'ai bassement élu un passage de pure escalade:
À plus de 500 mètres du sol, tous les ingrédients sont réunis pour parfaire l'aventure: mauvais temps et neige sur les prises. C'est ma petite Patagonie à moi la Fleur de Lotus [NB: le nom de la voie], c'est mon Himalaya. L'initiation tant attendue !
 Le grésil me fouette le visage. Les joues en feu et la goutte au nez, , je jubile. Beth doit penser que je suis folle à lier...Encapuchonnée, les doigts gelés, je pose un câblé dans la fissure et parviens à franchir au prix d'un jeté aléatoire le petit toit de la longueur difficile. J'aime bien cette sensation de recul sur le rocher, on s'apprête à tomber quand soudain, ça tient, on ne sait pas comment mais enfin, ça a tenu ! Un bien ancré sur un cristal, trois doigts refermés sur une petite pincette de granit et un biceps sans doute congelé qui refuse de s'ouvrir, le tour est joué, me voilà au relais.
 Au sommet, tandis que Tommy réchauffe les pieds de sa douce dans sa doudoune, le vent tombe soudain. Une éclaircie déchire le voile de brume, la neige fond en scintillantes traînées sur les parois alentour. Le lac apparaît au fond de la vallée comme une profonde échancrure dans la fourrure sans fin des forêts. L'atmosphère redevient accueillante, étrangement plate même et sans relief...
 



Cet ouvrage est susceptible de plaire à beaucoup d'entre les habitués de ce forum -une majorité, peut-être, d'entre ceux-là- en tous cas bien au-delà de ceux auxquels on l'associerait spontanément en premier, à savoir Églantine et Avadoro, lesquels, du reste, l'ont possiblement déjà lu !




Mots-clés : #alpinisme #autobiographie #aventure #contemporain #sports
par Aventin
le Sam 8 Fév - 0:02
 
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Siri Hustvedt

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Un monde flamboyant

L'avant-propos fictif constitue peut-être mon seul regret quant à ce livre, qu'il enclôt tout entier, qu'il résume quoique d'une manière toute allusive et énigmatique, et que l'on peut isoler de lui comme un chef d'œuvre de la nouvelle digne de celles de Borges. Ce texte, rédigé par l'universitaire I.V. Hess, raconte sa découverte de l'artiste Harriet Burden et de son projet artistique prométhéen à travers un article scientifique puis par le biais de ses vingt-quatre journaux intimes, qui forment une œuvre colossale, tentaculaire, érudite et d'une vitalité hors-normes. Rejetée, selon ses mots, par le milieu artistique new-yorkais pour des raisons extérieures à l'art (une femme, immense et sculpturale, d'une culture sans bornes et dépourvue des notions élémentaires du tact, autant de critères apparemment disqualifiants), elle conçoit une expérience par laquelle, ayant conquis l'accès à la reconnaissance qu'on lui refusait jusque alors, elle exhiberait et les mettrait à mal les différents préjugés de race, de genre, de préférences sexuelles et de notoriété à travers lesquels est appréhendée toute œuvre d'art. Pour cela, elle décide d'exposer trois œuvres dont la paternité est confiée à trois hommes, Anton Tish, Phineas Q. Eldridge et Rune, qui deviennent ce qu'elle appelle ses masques. Ces trois expositions deviennent donc l'œuvre d'une entité hybride, et ces masques, en tant que "personnalités poétisées" de Burden (l'idée lui vient de Kierkegaard), deviennent une composante fondamentale de l'œuvre exposée (ce que le public ignore). I.V. Hess, professeur d'esthétique dont les travaux sont proches de la pensée de Burden, décide d'écrire un livre centré sur cette expérience tripartite et sur la controverse qui l'entoure, qui est celui que le lecteur s'apprête à lire.

Au terme de ce bref avant-propos fictif, il me paraît possible au lecteur de décider de la poursuite ou de l'abandon de sa lecture.

L'une des principales singularités de cette œuvre tient à sa forme, qui amalgame et perturbe de nombreux genres littéraires et artistiques : elle tient de l'étude universitaire qui toutefois ne défend aucune thèse, de l'art du portrait - d'un portrait diffracté par la multiplicité des regards -, du roman de l'artiste (l'une des principales illustrations du roman contemporain); elle est à la fois le récit d'une controverse et l'histoire d'une famille, un roman qui s'auto-interprète sans en confisquer le sens, et pour finir, une invitation à l'analyse. Elle réunit articles savants et comptes rendus d'exposition, journaux intimes, entretiens, témoignages, et brasse des disciplines aussi diverses que l'histoire de l'art, la philosophie, la psychologie, la littérature et les neurosciences. Puisque son personnage est une artiste, Siri Hustvedt se prête elle-même à la création plastique, qui demeure en puissance puisqu'elle n'est que du texte, mais qui prend vigoureusement corps dans l'esprit du lecteur tant elle est rigoureusement et puissamment composée. De même, elle introduit ponctuellement dans son œuvre des créations littéraires extérieures (la nouvelle d'Ethan, les histoires enfantines de Fervidlie) élaborées avec le plus grand soin.

Harriet Burden est une femme tumultueuse, encyclopédique, écorchée vive, prométhéenne à tous égards : elle brûle sans se consumer, elle est la créatrice démiurge d'humanoïdes calorifères, et pour que ceux-ci puissent obtenir un permis d'existence, elle se lance dans un projet secret, interdit, séditieux, porté par elle seule contre le monde des dieux de l'art. Il s'agit d'un projet tantôt militant, tantôt revanchard (selon les témoins qui le qualifient), destiné à confondre ceux qui l'ont méconnue tout en s'élevant à leur rang. Cette expérience se déroule selon trois temps destinés à faire varier les regards sur son œuvre en changeant le masque qui en endosse la paternité. Le premier est un homme blanc, médiocre, psychologiquement fragile; le deuxième, métis et homosexuel, est une figure de la scène underground nocturne de New-York, et le troisième est un artiste célèbre, avatar moderne de Warhol, et manipulateur qui se retourne contre Burden. Ces masques, je l'ai dit, sont destinés à modifier la perception de l'œuvre par le public : ainsi sont-ils (se pensent-ils) créateurs et sont-ils œuvre; ils la créent par ce qu'ils sont et dans le même mouvement sont englobés par elle. L'œuvre comprend également tout article, tout compte rendu, tout livre qui la prend pour objet (y compris le livre que nous sommes en train de lire), en ce qu'ils révèlent le biais de perception qu'empruntent public et critiques. Par ces ajouts qu'elle appelle "proliférations", au nombre potentiellement infini, Burden crée une œuvre ouverte qui subvertit et phagocyte la critique spécialisée, prise au piège et non plus seulement prescriptive. Ainsi aboutit-on au paradoxe suivant :
J'appelle A l'ouvrage appelé Un monde flamboyant, B l'expérience de Harriet Burden. A contient B (cela tombe sous le sens), et comme on vient de le voir, B contient A. Donc A=B. Et pourtant, B contient tout ce qui s'intéresse à l'expérience y compris ce qui se trouve hors de A (mon compte rendu, par exemple). L'expérience contenue dans ce livre non seulement le contient mais est plus vaste que lui.
Inversement, les divers personnages interrogés ne peuvent s'empêcher de parler d'eux-mêmes, ce qui n'entretient de relation avec l'expérience de Burden que dans la mesure où ils expriment quelque chose de leur individualité, c'est-à-dire quelques uns des facteurs de biais dans la perception d'une œuvre d'art. Mais il s'agit également de créer des caractères complexes qui se révèlent à travers des langages propres à chacun, ce que Siri Hustvedt réussit merveilleusement. Ainsi, chaque personnage devient à l'autrice un masque qui lui permet d'exprimer dans un dialogue permanent et tourmenté avec ses autres masques ce qu'elle n'a pu dire qu'avec celui-ci (comme le faisaient Harriet Burden dans son journal, et sa maîtresse à penser, Margaret Cavendish, dans son ouvrage intitulé Le monde flamboyant, faute de trouver pour leurs joutes de partenaires suffisamment talentueux ou assez peu condescendants).
Or ces personnages ne proviennent pas tous du luxueux microcosme de l'art new-yorkais. Le personnage d'Harriet Burden relie entre eux de riches collectionneurs, des scientifiques, des clochards, des artistes millionnaires, des marginaux parmi lesquels des fous et des artistes, ainsi que l'un des personnages les plus humains qu'il m'ait été donné de connaître, celui d'une jeune voyante à moitié allumée mais parfaitement lucide. C'est ainsi que Siri Hustvedt, bien loin du "pur esprit" dans sa tour d'ivoire, élabore une véritable comédie humaine qui suppose une intime compréhension des gens. De même, c'est par honnêteté intellectuelle qu'elle multiplie les points de vue sur cette controverse dans laquelle de vrais salauds tiennent leur rôle. En réalité, et c'en est le principal moteur, c'est à la destruction des catégories et à la dissolution de toute cloison que nous assistons dans ce roman. Sexe, genre, orientation sexuelle, origine biologique et origine sociale, différence psychologique, c'est toute norme qui affecte notre perception de l'art et notre regard sur la vie que par l'art Harriet Burden, partant Siri Hustvedt, nous révèle et condamne. C'est précisément, mais au sein de l'art, à la même notion stérilisante de catégorie normative que s'attaque Siri Hustvedt, en amalgamant dans ce livre hybride la multitude des genres littéraires et artistiques que j'ai déjà évoqués et qui la font imploser.

L'universitaire I.V. Hess découvre l'existence de Harriet Burden dans une revue spécialisée, lorsque celle-ci publie un texte d'un certain Richard Brickman résumant et commentant une longue lettre que lui a envoyé l'artiste. Richard Brickman (qui n'est autre qu'un pseudonyme de Burden elle-même) parle tantôt avec admiration, tantôt avec ironie d'Harriet Burden et de ses références. Références parmi lesquelles "une obscure romancière et essayiste, Siri Hustvedt", qualifiée de "cible mouvante".
Il y a là beaucoup de chose.
Premièrement, deux niveaux d'ironie se déploient. Burden dissimulée derrière Brickman se moque d'elle-même (peut-être aussi pour provoquer la sympathie du public). Puis, ce qui est fortement problématique, Brickman qualifie Siri Hustvedt d'obscure. Tant que c'est Brickman qui le fait, cela n'étonne en rien; pas davantage si Burden l'avait fait en son nom propre; en revanche, que Burden cachée derrière Brickman distingue Siri Hustvedt parmi une foule de références en la qualifiant elle seule, entre toutes les autres, d'obscure (ce qu'au passage elle n'est pas du tout), voilà qui est hautement perturbant. Sans doute est-ce là l'extrême pointe du roman par où l'autrice, Hustvedt, affleure et se laisse deviner au travers de ses différents masques.
Enfin, l'expression "cible mouvante" fait référence aux études sur la vision aveugle et le masquage : une cible (stimulus visuel) peut être intégralement masquée par l'interférence d'autres stimuli. Ainsi, sautant de masque en masque, revêtant la personnalité et maniant la parole de ses différents personnages, Siri Hustvedt peut-elle être qualifiée de cible mouvante.
Ce qui nous fournit une chaîne extrêmement complexe : selon Brickman, Burden estime que Siri Hustvedt est une cible mouvante, et suggère qu'elle se déplace de masque en masque. Or Brickman est Burden, qui par ailleurs note l'obscurité de Siri Hustvedt d'une façon extrêmement ambiguë. Tout ceci est rapporté par I.V. Hess, qui est, comme on va le voir, presque l'anagramme de Siri Hustvedt, et qui se superpose à elle en tant que responsable du livre que nous lisons. Par l'intermédiaire de masques successifs, Siri Hustvedt nous révèle le principe même de son livre, qui est le même que celui qui dirige la grande expérience d'Harriet Burden.

À la fin du roman, j'ai soudain remarqué que les lettres composant le nom de I.V. Hess, le grand ordonnateur du recueil, se retrouvent toutes dans le nom de Siri Hustvedt. Ce n'est certainement pas une coïncidence : l'autrice semble affectionner ce genre de cryptage, et sans doute y en a-t-il d'autres que je n'ai pas remarqués. C'est alors que je me suis rendu compte que j'attribuais à I.V. Hess une identité masculine sans que le moindre indice m'y ait incliné; car en réalité, tout indice dans le roman quant à l'identité de I.V. Hess a été soigneusement gommé (dans l'avant-propos, les notes de bas de page attribuées à lui/elle, et les interview menées par lui/elle). Qu'est-ce donc qui m'a conduit à construire une figure masculine, et ce dès les premières lignes ? Voilà une question parfaitement digne de l'expérience de Harriet Burden, qui reproduite sur moi constitue une preuve de l'efficacité concrète de la littérature, et dont la réponse risque fort d'être à charge pour la société dans laquelle on se construit (en plus de remettre en question la construction elle-même).

Si ce roman m'a passionné d'emblée, c'est que les œuvres de Burden (des poupées et des maisons, sortes d'ex voto) correspondent à ce que je préfère dans l'art et qui me vient de ma mère. Lorsque je lui ai fait lire l'avant-propos fictif, elle m'a dit, un peu vexée : "c'est à moi que te fait penser l'artiste, n'est-ce pas ? mais elle est à moitié folle !"
Eh bien folle ou non, là n'est précisément pas la question. C'est un personnage fondamentalement ambigu, et d'une profonde bonté.


Mots-clés : #contemporain #creationartistique #discrimination #famille #identite #insurrection #romanchoral
par Quasimodo
le Sam 4 Jan - 18:34
 
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Don DeLillo

Les Noms  

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Le milieu des expatriés états-uniens faisant du business dans des pays "instables", essentiellement au Moyen-Orient, mais aussi en Grèce, puis en Inde.
James Axton, le narrateur, est responsable d’évaluation des risques d’enlèvements (notamment terroristes) visant à rançonner les multinationales, ceci dans un grand groupe qui propose des polices d’assurance à celles-ci. Géopolitique orientée :
« Au cœur de l’histoire. Elle est dans l’air. Les événements relient tous ces pays. »

« C’est intéressant, la façon dont les Américains préfèrent la stratégie aux principes dans toutes les occasions, et continuent cependant à se croire innocents. »

« ‒ Les peuples blancs établissaient des empires. Les gens à la peau foncée déferlaient de l’Asie centrale. »

Travers de l’expat, touriste et acheteur de tapis :
« Être un touriste, c’est échapper aux responsabilités. Les erreurs et les échecs ne vous collent pas à la peau comme ils feraient normalement. On peut se laisser glisser à travers les langues et les continents, suspendre l’opération de solide réflexion. Le tourisme est la bêtise en marche. On s’attend à ce que vous soyez bête. Le mécanisme entier du pays d’accueil est réglé en fonction de la stupidité d’action du voyageur. On circule dans un état d’hébétude, les yeux rivés sur des cartes pliantes illisibles. On ne sait pas comment parler aux gens, comment se rendre d’un endroit à un autre, ce que représente l’argent, l’heure qu’il est, ce qu’il faut manger et comment le manger. La bêtise est la norme. On peut exister à ce niveau pendant des semaines et des mois sans se faire réprimander ni subir de conséquences. »

« Investissement, disait-elle. Comme il devenait malaisé de se les procurer, leur valeur ne pouvait qu’augmenter, et ils achetaient tout ce qu’ils pouvaient. La guerre, la révolution, les soulèvements ethniques. Valeur future, bénéfices futurs. Et en attendant, regardez comme ils sont ravissants. »

Aussi une réflexion sur le voyage aérien, l'archéologie, le divorce, le cinéma.
« Il y a le temps, et il y a le temps cinématographique. »

Et surtout une investigation sur une secte énigmatique, qui immole des victimes selon un rapport aux langues/ alphabets anciens, et leurs noms en correspondance avec les lieux.
« ‒ Le mot grec puxos. Arbre-boîte. Cela suggère le bois, bien sûr, et il est intéressant que le mot book anglais remonte au boek moyen hollandais, ou bouleau, et au boko germanique, bâton de bouleau sur lequel étaient gravées des runes. Qu’avons-nous donc ? Book, box, livre, boîte, symboles alphabétiques creusés dans le bois. Le manche en bois de hache ou de couteau sur lequel était gravé le nom de son possesseur en lettres runiques. »

« Le désert est une solution. Simple, inévitable. C’est comme une solution mathématique appliquée aux affaires de la planète. Les océans sont le subconscient du monde. Les déserts sont la prise de conscience, la solution claire et simple. […]
L’intention de sens ne compte pas. Le mot lui-même compte, et rien d’autre. […]
C’est le génie de l’alphabet. Simple, inévitable. Rien d’étonnant à ce qu’il soit apparu dans le désert. »

D’après la confession finale, le culte des tueurs pourrait être une sorte d’allégorie de la fascination morbide des Occidentaux pour un certain fanatisme occulte et meurtrier, venu de leur passé (les prêcheurs dans le cas du narrateur).
Le style adopté par DeLillo peut sembler inclure des longueurs, mais vaut notamment par d'adroits fondus enchaînés.

« De son côté, Control Risks, qui se définit aussi comme "une société de conseil mondial spécialisé dans le risque et qui aide les organisations à réussir dans un monde instable", s'intéresse beaucoup à l'Afrique. Son site propose un "index risque-rendement" pour le continent et consacre un chapitre au "paysage de l'enlèvement contre rançon, et de l'extortion" en Afrique du Sud. »

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/guinee-equatoriale/passage-en-revue-des-mercenaires-chiens-de-guerre-et-autres-societes-militaires-privees-presents-en-afrique_3749699.html du 20 décembre 2019

Mots-clés : #contemporain #mondialisation #religion #spiritualité #terrorisme #xxesiecle
par Tristram
le Ven 20 Déc - 20:56
 
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Sujet: Don DeLillo
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Jim Harrison

Péchés capitaux

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 2 Pzochz10


Je m’étais réservé la lecture gourmande du dernier roman de Jim Harrison ‒ et je l’ai savouré !
C’est (encore) l’histoire d’un sexagénaire, ici un inspecteur de police retraité et d’origine prolétaire, Sunderson, qui a beaucoup des traits communs avec l’auteur (c'est-à-dire la plupart des péchés capitaux, The Big Seven du titre original ‒ pour mémoire « l’orgueil, l’avarice, l’envie, la luxure, la gourmandise, la colère et la paresse »). Le titre vient d’un sermon qui marqua le jeune garçon alors fiévreux ; il ramentoit les Sept obsessions dans En marge. On reconnaît aussi Sunderson parce qu’il fut l’enquêteur de Grand Maître. Et le personnage s’adonne toujours à la pêche à la truite, à l’alcoolisme, à la fascination des corps de (jeunes) femmes.
« Il aurait dû se sentir coupable, il le savait, mais c’était rarement le cas. »

En fait, Sunderson culpabilise beaucoup (souvent à raison). Il est constamment rongé par l’échec de son mariage avec Diane (qu’il s’impute à juste titre).
« Il se dit qu’un monde sans voitures serait merveilleux. Un retour aux chevaux lui sembla une bonne idée. Sunderson était un luddite invétéré, un Don Quichotte rêvant d’un monde qu’il ne verrait jamais. »

(Le luddisme est une révolte d’artisans anglais au début du XIXe siècle, "briseurs des machines" de la révolution industrielle prenant son expansion.)

Un peu cassé par diverses mésaventures et autres échecs personnels, Sunderson s’installe dans un bungalow retiré du Nord Michigan, pas très éloigné de Marquette et proche de cours d’eau poissonneux ; mais il a pour voisins la famille Ames, ivrognes, méchants, fous à des degrés divers, hors-la-loi qui accumulent sans scrupule les crimes les plus crapuleux, tels que viols et meurtres. Ils sont présentés comme des « déchets humains » à cause de leur « sang vicié », et c’est l’occasion pour Jim Harrison de (faire) débattre sur l’opposition nature-culture, ici fondue dans la perspective historique de la violence intrinsèque de cette Amérique du Nord. La violence, « le huitième péché » sur lequel Sunderson va vouloir écrire un essai (on découvre plusieurs versions de la première page, laborieusement élaborée ; pour se trouver un style, il recopie des extraits de Le bois de la nuit de Djuna Barnes et de l’Ada de Nabokov).
« La violence est une tradition ancestrale en Amérique, dit Lemuel. À l’école, les livres d’histoire ne parlent pas des milliers de lynchages ni de cette habitude de tirer vers le sol dans les tipis pour tuer les femmes et les enfants indiens pendant leur sommeil. Beaucoup de journaux ont proclamé qu’il fallait exterminer tous les Indiens, comme la presse nazie dans les années trente avec les Juifs. »

D’ailleurs le roman est d’une grande actualité ; figurent notamment les détournements de mineures, les femmes battues, sans omettre les sévices sur enfants et l’inceste.
Sunderson, sans doute par déformation professionnelle, est sujet à des prémonitions alarmantes ‒ et rapidement les empoisonnements s’enchaînent chez les Ames.
Il sympathise cependant avec Lemuel, un Ames moins dégénéré, plus civilisé (il est passionné par les oiseaux), comme quelques enfants et jeunes filles ; Lemuel lui fait lire au fur et à mesure de sa rédaction son roman policier.
Scoop:

La place du sexe est importante (peut-être trop) :
« Je crois que l’instinct sexuel est profondément ancré, enfoui, encodé au fond de nous, et qu’il nous pousse à nous ridiculiser. […] Il faut de toute évidence peupler le monde, si bien que la nature nous a fait don de ces pulsions à peine contrôlables, qui se manifestent tôt et continuent jusqu’à un âge avancé. »

« On dit volontiers "Tout est dans la tête", mais ce serait où sinon ? Dans la rue ? »

Grâce à l’ami de Sunderson, Marion, un Indien, la question des peuples autochtones est aussi évoquée.
« Aucun épisode de l’histoire américaine n’était plus méprisable que notre traque meurtrière de Chef Joseph et de son peuple, sinon peut-être la guerre du Vietnam. »

« Heureusement pour notre société, presque aucun de nous ne connaît notre histoire. Sinon, les réjouissances du 4 Juillet seraient interdites. »

La fascination pour l’eau de Sunderson (et Harrison), pêcheur et pécheur, transparaît souvent.
« …] le grand mystère de son existence : l’eau en mouvement. »

« Il remarqua qu’il était très difficile de penser à soi quand on regardait un fleuve. En fait, c’était impossible. Un fleuve submergeait vos sens, du moins Sunderson en avait-il toujours eu le sentiment depuis l’enfance. »

Harrison nous promène aussi beaucoup géographiquement (USA, Mexique, Paris, Espagne), influence autobiographique de ses voyages (et observations) personnels.
Et, comme toujours chez lui, des remarques originales parsèment sa prose.
« Sunderson se dit qu’en général nous connaissons très mal les gens, mais qu’il était peut-être mieux que chacun de nous reste essentiellement un mystère pour autrui. »

« Toute la culture américaine incitait chacun à aimer quelqu’un ou quelque chose, une équipe de football ou de base-ball, une fille, une femme, un homme. Cette injonction était aberrante. »

« Il se rappela que l’Espagne avait assassiné son grand poète, Federico García Lorca. Pourquoi ? Comme s’il y avait jamais eu une bonne raison de tuer un poète. »

« En fait, comme la plupart des hommes, il vivait sa vie morceau par morceau et s’en souvenait par fragments. »

« Selon cet auteur, le vrai facteur émotionnel qui déprimait l’alcoolique était l’absolue domination chez lui de son égocentrisme. L’individu qui buvait était le centre fondamental de son propre univers, ses perceptions échouaient à atteindre le monde extérieur et demeuraient entièrement teintées par cet ego démesuré. »

Outre l'aspect roman noir, un peu prétexte, s’entrecroisent densément de nombreux fils narratifs, comme la littérature, les péchés capitaux qui obsèdent Sunderson, etc. ; Harrison reprend ses thèmes habituels dans un brassage toujours original.
(Ce livre m’a paru moins bien traduit que les précédents.)

Mots-clés : #contemporain #fratrie #polar #relationdecouple #sexualité #vengeance #vieillesse #violence
par Tristram
le Dim 1 Déc - 23:46
 
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Sujet: Jim Harrison
Réponses: 59
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