Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 21:53

169 résultats trouvés pour essai

Alberto Manguel

Le Voyageur et la Tour. Le lecteur comme métaphore

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Le_voy10

En partant de métaphores fondamentales (le monde est un livre, le livre est un voyage, etc.), Manguel réfléchit sur la lecture, au travers de saint Augustin, l'épopée de Gilgamesh, Dante et Montaigne en particulier (les références érudites sont un des intérêts de cet essai).
« Le livre est un monde dans lequel nous pouvons voyager parce que le monde est un livre que nous pouvons lire. »

« Écouter est dans une grande mesure une activité passive ; lire est une entreprise active, comme voyager. »

Si ça m’a fait penser, hors de propos, au livre à venir mallarméen, j’ai pu apprécier à quel point nous sommes déterminés à voir le monde, y compris celui d’un livre, comme « un système de signes cohérent », ayant un sens qu’on peut y chercher.
Manguel dénonce la raréfaction de la lecture en profondeur au profit du feuilletage sur la Toile :
« Aujourd’hui, le voyage n’a plus de destination. Il n’a plus pour but le mouvement mais l’immobilité, le séjour dans l’ici et maintenant ou, ce qui revient au même, le passage quasi instantané d’un lieu à un autre, de telle sorte qu’il n’y a plus de traversée d’un point à un autre, ni dans l’espace ni dans le temps, ce qui ressemble beaucoup à nos nouvelles habitudes de lecture. »

Après le lecteur voyageur, le solitaire studieux dans la tour d’ivoire, menacé d’acédie ou de mélancolie et/ou en retrait du monde dans son refuge, avec comme support de réflexion Hamlet et Prospero. (À ce propos, Manguel rapporte une édifiante appropriation du premier par le Troisième Reich.)
« À une époque où les valeurs que notre société présente comme désirables sont celles de la vitesse et de la brièveté, cette démarche lente, intense et réflexive qu’est la lecture est considérée comme inefficace et démodée. »

Le rat de bibliothèque, ou fou de livres (« ver », worm, en anglais) : le dévoreur de livres (qui n’en retient rien). Sont évoqués cette fois Don Quichotte, Bouvard et Pécuchet, Bovary.
On pense inévitablement à Umberto Eco...
« Les Muses de la poésie (ou Muses des meilleures ventes, pourrait-on dire de nos jours) gavent de sottises le lecteur grossier ; les Muses de la philosophie nourrissent d’aliments salutaires l’âme du lecteur inspiré. Ces deux notions opposées de la façon d’ingérer un texte dérivent, nous l’avons vu, du livre d’Ézéchiel et de l’Apocalypse. Lorsque saint Jean eut obéi à l’ordre de le prendre et de le dévorer, le petit livre, nous raconte-t-il, “était dans ma bouche doux comme du miel ; mais quand je l’eus dévoré il me causa de l’amertume dans les entrailles”. »

Donc un petit essai sur la lecture, par un lecteur, et pour les lecteurs.
« Nous sommes des créatures qui lisons, nous ingérons des mots, nous sommes faits de mots, nous savons que les mots sont notre mode d’existence en ce monde, c’est par les mots que nous identifions notre réalité et au moyen des mots qu’à notre tour nous sommes identifiés. »


\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Mer 1 Déc - 12:20
 
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Sujet: Alberto Manguel
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Umberto Eco

De Bibliotheca

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 De_bib10

Conférence prononcée le 10 mars 1981 pour célébrer le 25e anniversaire de l’installation de la Bibliothèque communale de Milan dans le Palais Sormani.
À partir du fameux texte de Borges, Eco se propose de définir une « mauvaise bibliothèque » (on pense évidemment à celle de Le Nom de la rose).
« P) Les horaires doivent coïncider exactement avec les horaires de travail, décidés par accord préalable avec les syndicats : fermeture absolue le samedi, le dimanche, le soir et à l’heure des repas. Le pire ennemi de la bibliothèque est l’étudiant qui travaille ; son meilleur ami est l’érudit local, celui qui a une bibliothèque personnelle, qui n’a donc pas besoin de venir à la bibliothèque et qui, à sa mort, lègue tous ses livres. »

Mais le grand praticien va au-delà de l’humour :
« La notion de bibliothèque est fondée sur un malentendu, à savoir qu’on irait à la bibliothèque pour chercher un livre dont on connaît le titre. C’est vrai que cela arrive souvent mais la fonction essentielle de la bibliothèque, de la mienne et de celle des amis à qui je rends visite, c’est de découvrir des livres dont on ne soupçonnait pas l’existence et dont on découvre qu’ils sont pour nous de la plus grande importance. Bien sûr on peut faire cette découverte en feuilletant le catalogue mais il n’y a rien de plus révélateur et de plus passionnant que d’explorer des rayons où se trouvent par exemple rassemblés tous les livres sur un sujet donné, chose que le catalogue auteurs ne donnera pas, et de trouver à côté du livre qu’on était allé chercher un autre livre qu’on ne cherchait pas et qui se révèle être fondamental. La fonction idéale d’une bibliothèque est donc un peu semblable à celle du bouquiniste chez qui on fait des trouvailles et seul le libre accès aux rayons le permet. »

Je ne peux pas m’empêcher de penser que cet idéal bibliothécaire s’apparente évidemment au feuilletage sur la Toile…

\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Ven 26 Nov - 12:22
 
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Rebecca Solnit

L'Art de marcher

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 L_art_10

Étude historique de la marche, notamment dans la littérature, alternant avec les expériences personnelles de Rebecca Solnit. Après les philosophes péripatéticiens, elle évoque Rousseau et Kierkegaard, puis continue son exposé en se penchant sur l’origine de la marche bipède associée à la station debout (j’ai trouvé référence à son livre dans La Marche, de Pascal Picq). @Jack-Hubert Bukowski, je crois que tu l’as lu aussi ?
« La paléontologie rappelle la salle des pas perdus d’un tribunal, où avocats et magistrats montent en épingle les preuves qui confortent leurs hypothèses en ignorant superbement celles qui pourraient les infirmer. »

Viennent ensuite les pèlerinages, puis les promenades dans les jardins ou les paysages, puis Wordsworth et le romantisme.
« (L’industrie du matériel de camping et de randonnée fit ses premières armes avec les manteaux que Wordsworth et Robert Jones avaient spécialement commandés à un tailleur londonien pour leur tour d’Europe, les cannes de marcheur de Coleridge, la tente de De Quincey, l’étrange tenue de voyage de Keats.) »

Après un rappel sur Thoreau, nature et « célébration de la liberté physique et mentale », Rebecca Solnit retrace l’histoire de l’alpinisme, des clubs de randonnée et du scoutisme.
C’est ensuite la flânerie urbaine qui est abordée, avec notamment Dickens, New York, Paris et Walter Benjamin, les surréalistes, Djuna Barnes.  
« Ceux qui aiment marcher en ville sont familiers d’un état particulier de la solitude – une noire solitude ponctuée de rencontres comme le ciel nocturne est ponctué d’étoiles. »

« Il faut errer à l’aventure dans les villes, s’y promener comme on feuillette un livre pour comprendre que leur organisation répond à un ordre spatial opposé à l’ordre temporel soigneusement linéaire de la chronologie. »

« Cette ville est tellement bien entrée dans les tableaux et les romans de ceux qu’elle tenait sous son emprise que la représentation et la réalité y sont comme deux miroirs face à face ; la promenade y devient lecture, comme si Paris était une immense anthologie de contes. Longtemps capitale des exilés et des réfugiés du monde entier autant que de la France, elle exerce une attirance magnétique sur ses habitants et ses visiteurs. »

Quand Paris accueillait les étrangers, les piétons… Hannah Arendt, Introduction à Illuminations de Walter Benjamin :
« À Paris un étranger se sent chez lui car il peut habiter la ville comme il vit entre ses quatre murs. Et de même qu’on habite un appartement et qu’on le rend confortable en vivant dedans, pas en l’utilisant simplement pour y dormir, y manger, y travailler, on habite une ville en s’y promenant sans but ni dessein, avec le répit assuré par les cafés innombrables qui bordent les rues et devant lesquels défilent la vie de la ville, le flot des piétons. Paris est à ce jour la seule grande ville qu’on puisse parcourir à pied à son aise, et comme son animation dépend plus que dans toute autre ville des gens qui passent dans les rues, ce n’est pas uniquement pour des raisons techniques que la circulation automobile moderne la met en danger. »

Walter Benjamin, Chronique berlinoise, in Écrits autobiographiques :
« Ne pas trouver son chemin dans une ville – il est possible que ce soit inintéressant et banal. Il y faut de l’ignorance – rien d’autre. Mais s’égarer dans une ville – comme on s’égare dans une forêt – cela réclame un tout autre apprentissage. Il faut alors que les panneaux et les noms de me, les passants, les toits, les kiosques ou les buvettes parlent à cet homme traqué, comme des brindilles qui craquent sous ses pieds dans la forêt, comme le cri effrayant d’un butor dans le lointain, comme le calme soudain d’une clairière au milieu de laquelle s’élance un lis. Paris m’a appris cet art de l’égarement ; il a exaucé ce rêve dont les plus anciennes traces sont le labyrinthe sur les feuilles de papier buvard de mes cahiers d’écolier. »

Après les rues, "la" rue : les marches collectives, défilés, parades, « démonstration physique des opinions politiques et culturelles [qui] est peut-être la plus universelle des formes d’expression publique. »
Puis arrive la banlieue, avec la voiture obligatoire, qui fait disparaître la marche à pied – et l’espace public.
On en est venu à une « désincarnation de la vie quotidienne » :
« Depuis que le chemin de fer a modifié notre rapport à l’espace, la longueur du voyage est mesurée en fonction du temps de trajet et non plus de la distance. Le tapis de jogging parachève cette transformation : désormais le déplacement est exclusivement une question de durée, d’exercice physique et de mouvement mécanique. L’espace en tant que paysage, terrain, spectacle, lieu d’expérience s’est volatilisé. »


\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Lun 22 Nov - 11:22
 
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Sujet: Rebecca Solnit
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Ryōko Sekiguchi

Nagori, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Nagori10

Quatrième de couverture :
« Nagori, littéralement "reste des vagues", qui signifie en japonais la nostalgie de la séparation, et surtout la saison qui vient de nous quitter. Le goût de nagori annonce déjà le départ imminent du fruit, jusqu’aux retrouvailles l’année suivante, si on est encore en vie. On accompagne ce départ, on sent que le fruit, son goût, se sont dispersés dans notre propre corps. On reste un instant immobile, comme pour vérifier qu’en se quittant, on s’est aussi unis. »

C’est donc l’ingrédient d’arrière-saison, mais plus encore une notion japonaise exemplaire de cette culture si exotique, déroutante, raffinée et riche à nos yeux, notamment à l'égard de son « esthétique en osmose avec la nature ».
« L’étymologie du mot se rapporte à nami-nokori, "reste des vagues", qui désigne l’empreinte laissée par les vagues après qu’elles se sont retirées de la plage. Cela comprend à la fois la trace des vagues, ces sillons immatériels dessinés par les vagues sur le sable, et les algues, coquillages, morceaux de bois et galets abandonnés sur leur passage. Il n’y a ni raison ni logique à cette accumulation en dépôt, mais une fois qu’elle est là, elle s’y établit pour un temps, éphémère.
De nos jours, le mot s’épelle na-gori, "le nom qui reste". Bien qu’ils ne reflètent pas l’origine du mot, ces caractères me semblent produire une image tout aussi évocatrice de nagori.
Nos émotions ne se déplacent pas aussi facilement. Si vives et réactives qu’elles soient, elles sont bien plus lentes que notre corps à prendre congé d’un être, ou d’un lieu. Elles viennent toujours après nous, à quelques pas en arrière. »

Ryōko Sekiguchi nous parle des saisons, temporalité cyclique, « temporalité botanique », confrontée à notre temporalité linéaire :
« La saison, pourrait-on dire, c’est le temps des émotions. »

… et même d’une troisième, celle que révèlent Hiroshima et Fukushima :
« Avec la radioactivité, c’est une troisième temporalité, une temporalité d’une longueur insupportable, infiniment plus longue que la vie des êtres humains, qui apparaît. »

Elle nous révèle aussi l’aspect saisonnier, codifié et même « autoritaire », du haïku. Mais son fil principal reste la cuisine.
« C’est ce qu’on appelle dans la cuisine traditionnelle japonaise deaimono, "choses rencontrées". Il désigne les associations heureuses entre certains ingrédients, donc entre différents êtres, dans un plat. »

Il y a un côté ethnologie comparée dans cette réflexion, sans doute nourrie des nombreux voyages en Afrique, Amérique, Europe et Asie (et de lectures originales) : Ryōko Sekiguchi est vraiment une passeuse de cultures.
Elle termine en évoquant son année à la Villa Médicis (soit un cycle des quatre saisons), résidence d’écrivain en 2013-2014 qui est à l’origine de ce texte.
Une très belle surprise, tant l’auteure que le texte (d’un bon style, écrit directement en français), pleins d’ouverture d’esprit et de captivantes découvertes, de passage.

\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Sam 20 Nov - 12:17
 
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Marguerite Yourcenar

En pèlerin et en étranger

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 En_pzo10

Brèves pochades, sur la mythologie, les marionnettes, datant des années trente et reprises au début des années soixante-dix (Grèce et Sicile), puis réflexions métaphysiques sur la finitude humaine (L’improvisation sur Innsbruck, 1929) :
« La mémoire choisit ; c’est le plus ancien des artistes. »

« Là est le privilège des personnages de l’histoire : ils sont, parce qu’ils furent. Tandis que nous ne sommes pas encore : nous commençons, nous essayons d’exister. »

« Seuls, les peintres d’autrefois, les Brueghel, les Dürer, surent éviter l’orgueil dans le tracé des perspectives : de petits êtres rampants combattent ou s’étreignent dans un coin de paysage, au bord de fleuves sans cesse écoulés, mais pourtant plus fixes qu’eux-mêmes, au pied de montagnes qui changent si lentement qu’elles paraissent ne pas changer. »

Dans Forces du passé et forces de l’avenir, Marguerite Yourcenar prédit (ou espère) en 1940 une renaissance de la civilisation après la guerre contre Hitler.
Puis c’est une Suite d’estampes pour Kou-Kou-Haï, dédiée à son pékinois (1927, texte de jeunesse).
« La nuit tombe, ou plutôt s’étale comme une onde. La nuit, dame de toutes les magies tristes, efface le temps comme la distance. »

Yourcenar nous parle ensuite de Virginia Woolf, dont elle a traduit Vagues, et qu’elle a rencontrée :
« Le regard est plus important pour elle que l’objet contemplé, et dans ce va-et-vient du dedans au dehors qui constitue tous ses livres, les choses finissent par prendre l’aspect curieusement irritant d’appeaux tendus à la vie intérieure, de lacets où la méditation engage son cou frêle au risque de s’étrangler, de miroirs aux alouettes de l’âme. »

Wilde :
« Bizarre absence de prescience ! Dans Intentions, Wilde affirmait que les œuvres parfaites sont celles qui concernent le moins leur auteur : sa gloire à lui est autobiographique. Il s’était voulu païen, au sens où ce mot passe pour signifier une vie couronnée de roses ; son De Profundis est traversé d’un glas chrétien. Il avait maudit le vieux culte de la Douleur, qui s’est vengée de lui. »

« Tout poète tient un peu du roi Midas : celui-ci dore le sordide où s’achève sa vie. »

Faust ; puis Böcklin (après Dürer et Holbein) :
« Chaque peuple a fait du christianisme catholique un paganisme différent. Celui d’Allemagne tourne autour de la danse des morts. »

« La vie porte en soi la mort, comme chacun porte son squelette. »

Caillois :
« Caillois lui-même a passionnément argué qu’il exaltait, au contraire, un anthropomorphisme à rebours, dans lequel l’homme, loin de prêter, parfois avec condescendance, ses propres émotions au reste des êtres vivants, participe avec humilité, peut-être aussi avec orgueil, à tout ce qui est inclus ou infus dans les trois règnes. »

Henry James, dont Yourcenar a traduit Ce que savait Maisie, puis Ruysdael, Rembrandt, et enfin Borges.

Hétéroclite, et même inégal, mais aussi de belles choses, comme toujours avec Yourcenar ; l’idée de la mort est omniprésente.

\Mots-clés : #contemythe #essai #mort #peinture
par Tristram
le Dim 14 Nov - 13:20
 
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Georges Perec

Espèces d'espaces

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Espzoc10

Réflexions sur les espaces, surtout l’habitat, tout particulièrement urbain, de celles qui mèneront à La vie, mode d’emploi.
Non sans poésie, énumérations, inventaires, et mémoire :
« L’espace ressuscité de la chambre suffit à ranimer, à ramener, à raviver les souvenirs les plus fugaces, les plus anodins comme les plus essentiels. »

« Longtemps je me suis couché par écrit
Parcel Mroust »

« Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. »

Perec propose une méthode d’observation de l’environnement quotidien pour enfin le voir (pratiquement la même que je mets en application en forêt).
Et fait quelques remarques fort justes :
« J’ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu’il y avait un mur, mais en oubliant le mur, j’oublie aussi le tableau. Il y a des tableaux parce qu’il y a des murs. Il faut pouvoir oublier qu’il y a des murs et l’on n’a rien trouvé de mieux pour ça que les tableaux. Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. »


\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Ven 12 Nov - 11:57
 
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George Steiner

Dans le château de Barbe Bleue. Notes pour une Redéfinition de la Culture

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Dans_l15

Quatre conférences publiées en 1971, intitulées d’après les Notes pour la définition d’une culture de T. S. Eliot, et portant sur la crise de notre culture.
Le grand ennui
C’est le constat de notre état d’esprit civilisationnel après les années 1798 à 1815, la Révolution et l’Empire : le caractéristique spleen baudelairien post-espoir et post-épopée, une sorte de fin du progrès, de « malaise fondamental » dû aux « contraintes qu’impose une conduite civilisée aux instincts profonds, qui ne sont jamais satisfaits » :
« Je pense à un enchevêtrement d’exaspérations, à une sédimentation de désœuvrements. À l’usure des énergies dissipées dans la routine tandis que croît l’entropie. »

« L’union d’un intense dynamisme économique et technique et d’un immobilisme social rigoureux, fondant un siècle de civilisation bourgeoise et libérale, composait un mélange détonant. L’art et l’esprit lui opposaient des ripostes caractéristiques et, en dernière analyse, funestes. À mes yeux, celles-ci constituent la signification même du romantisme. C’est elles qui engendreront la nostalgie du désastre. »

Une saison en enfer
De 1915 à 1945, c’est l’hécatombe, puis l’holocauste, escalade dans l’inhumanité. Plusieurs explications sont évoquées, d’une revanche de la nietzschéenne mise à mort de Dieu à la freudienne mise en œuvre de l’enfer dantesque.
« Un mélange de puissance intellectuelle et physique, une mosaïque d’hybrides et de types nouveaux dont la richesse passe l’imagination, manqueront au maintien et au progrès de l’homme occidental et de ses institutions. Au sens biologique, nous contemplons déjà une culture diminuée, une "après-culture." »

« En tuant les juifs, la culture occidentale éliminerait ceux qui avaient "inventé" Dieu et s’étaient faits, même imparfaitement, même à leur corps défendant, les hérauts de son Insupportable Absence. L’holocauste est un réflexe, plus intense d’avoir été longtemps réprimé, de la sensibilité naturelle, des tendances polythéistes et animistes de l’instinct. »

« Exaspérant parce qu’"à part", acceptant la souffrance comme clause d’un pacte avec l’absolu, le juif se fit, pour ainsi dire, la "mauvaise conscience" de l’histoire occidentale. »

« Quiconque a essayé de lire Sade peut juger de l’obsédante monotonie de son œuvre ; le cœur vous en monte aux lèvres. Pourtant, cet automatisme, cette délirante répétition ont leur importance. Ils orientent notre attention vers une image ou, plutôt, un profil nouveau et bien particulier de la personne humaine. C’est chez Sade, et aussi chez Hogarth par certains détails, que le corps humain, pour la première fois, est soumis méthodiquement aux opérations de l’industrie.
On ne peut nier que, dans un sens, le camp de concentration reflète la vie de l’usine, que la "solution finale" est l’application aux êtres humains des techniques venues de la chaîne de montage et de l’entrepôt. »

Après-culture
« C’est comme si avait prévalu un puissant besoin d’oublier et de rebâtir, une espèce d’amnésie féconde. Il était choquant de survivre, plus encore de recommencer à prospérer entouré de la présence tangible d’un passé encore récent. Très souvent, en fait, c’est la totalité de la destruction qui a rendu possible la création d’installations industrielles entièrement modernes. Le miracle économique allemand est, par une ironie profonde, exactement proportionnel à l’étendue des ruines du Reich. »

Steiner montre comme l’époque classique éprise d’ordre et d’immortalité glorieuse est devenue la nôtre, défiante des hiérarchies et souvent collective dans la création d’œuvres où prime l’immédiat, l’unique et le transitoire.
« L’histoire n’est plus pour nous une progression. Il est maintenant trop de centres vitaux où nous sommes trop menacés, plus offerts à l’arbitraire de la servitude et de l’extermination que ne l’ont jamais été les hommes et femmes de l’Occident civilisé depuis la fin du seizième siècle. »

« Nous savons que la qualité de l’éducation dispensée et le nombre de gens qu’elle touche ne se traduisent pas nécessairement par une stabilité sociale ou une sagesse politique plus grandes. Les vertus évidentes du gymnase ou du lycée ne garantissent en rien le comportement électoral de la ville lors du prochain plébiscite. Nous comprenons maintenant que les sommets de l’hystérie collective et de la sauvagerie peuvent aller de pair avec le maintien, et même le renforcement, des institutions, de l’appareil et de l’éthique de la haute culture. En d’autres termes, les bibliothèques, musées, théâtres, universités et centres de recherche, qui perpétuent la vie des humanités et de la science, peuvent très bien prospérer à l’ombre des camps de concentration. »

« Est-il fortuit que tant de triomphes ostentatoires de la civilisation, l’Athènes de Périclès, la Florence des Médicis, l’Angleterre élisabéthaine, le Versailles du grand siècle et la Vienne de Mozart aient eu partie liée avec l’absolutisme, un système rigide de castes et la présence de masses asservies ? »

Demain
« Populisme et rigueur académique. Les deux situations s’impliquent mutuellement, et chacune polarise l’autre en une dialectique inéluctable. C’est entre elles que se déploie notre condition présente.
À nous de savoir s’il en a déjà été autrement. »

À partir de l’importance croissante de la musique et de l’image par rapport au verbe, et de celle des sciences et des mathématiques, Steiner essaie de se projeter dans le futur proche (bien vu pour l’informatique connectée, heureusement moins pour les manipulations biologiques).
« Ce passage d’un état de culture triomphant à une après-culture ou à une sous-culture se traduit par une universelle "retraite du mot". Considérée d’un point quelconque de l’histoire à venir, la civilisation occidentale, depuis ses origines gréco-hébraïques jusqu’à nos jours, apparaîtra sans doute comme saturée de verbe. »

« De plus en plus souvent, le mot sert de légende à l’image. »

« Nous privons de leur humanité ceux à qui nous refusons la parole. Nous les exposons nus, grotesques. D’où le désespoir et l’amertume qui marquent le conflit actuel entre les générations. C’est délibérément qu’on s’attaque aux liens élémentaires d’identité et de cohésion sociale créés par une langue commune. »

« Affirmer que "Shakespeare est le plus grand, le plus complet écrivain de l’humanité" est un défi à la logique, et presque à la grammaire. Ceci cependant provoque l’adhésion. Et même si le futur peut, par une aberration grossière, prétendre égaler Rembrandt ou Mozart, il ne les surpassera pas. Les arts sont régis en profondeur par un flot continu d’énergie et ignorent le progrès par accumulation qui gouverne les sciences. On n’y corrige pas d’erreurs, on n’y récuse pas de théorèmes. »

« Il tombe sous le sens que la science et la technologie ont provoqué d’irréparables dégradations de l’environnement, un déséquilibre économique et un relâchement moral. En termes d’écologie et d’idéaux, le coût des révolutions scientifiques et technologiques des quatre derniers siècles a été énorme. Pourtant, en dépit des critiques confuses et bucoliques d’écrivains comme Thoreau et Tolstoï, personne n’a sérieusement douté qu’il fallait en passer par là. Il entre dans cette attitude, le plus souvent irraisonnée, une part d’instinct mercantile aveugle, une soif démesurée de confort et de consommation. Mais aussi un mécanisme bien plus puissant : la conviction, ancrée au cœur de la personnalité occidentale, au moins depuis Athènes, que l’investigation intellectuelle doit aller de l’avant, qu’un tel élan est conforme à la nature et méritoire en soi, que l’homme est voué à la poursuite de la vérité ; le "taïaut" de Socrate acculant sa proie résonne à travers notre histoire. Nous ouvrons les portes en enfilade du château de Barbe-bleue parce qu’"elles sont là", parce que chacune mène à la suivante, selon le processus d’intensification par lequel l’esprit se définit à lui-même. »

« Souscrire, de façon toute superstitieuse, à la supériorité des faits sur les idées, voilà le mal dont souffre l’homme éclairé. »

C’est érudit, tant en références littéraires que scientifiques, mais d’une écriture remarquablement fluide et accessible. Réflexions fort intéressantes, qui ouvre de nombreuses pistes originales − même si j’ai regretté l’absence d’un appareil critique apte à éclairer certaines allégations.

\Mots-clés : #campsconcentration #deuxiemeguerre #essai #philosophique #premiereguerre #religion #xxesiecle
par Tristram
le Mar 9 Nov - 13:38
 
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Daniel Mendelsohn

Trois anneaux ‒ Un conte d'exils

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Trois_12

Dans ce texte mi-essai mi-confidence d'écrivain, Mendelsohn étudie la structure de l’Odyssée ; Ulysse y est qualifié de polytropos, qui a plusieurs tours (dans son sac), et cette épithète a aussi un aspect littéraire :
« Ce procédé s’appelle la composition circulaire. Dans cette structure annulaire, le récit semble se perdre dans une digression (l’interruption du fil de l’intrigue principale étant annoncée par une formule toute faite ou une scène convenue), mais cette digression, qui a toutes les apparences d’une divagation, décrit au bout du compte un cercle, puisque le récit reviendra au point précis de l’action dont il s’est écarté, ce retour étant signalé par la répétition de la formule ou de la scène convenue qui avait indiqué l’ouverture de la parenthèse. Ces cercles pouvaient recouvrir une seule et même digression ou une série plus complexe de récits enchevêtrés, imbriqués l’un dans l’autre, à la manière des boîtes chinoises ou des poupées russes. »

« En ceci, la digression n’est jamais une déviation. Ses tours et détours poursuivent le même objectif, à savoir nous aider à comprendre l’action unique et complète qui constitue le sujet de l’œuvre dans laquelle ils s’inscrivent. »

Enchâssement de narrations secondaires mises en parenthèses, boucles discursives rompant la linéarité chronologique du récit et faisant de celui-ci une histoire au-delà des faits historiques rapportés, voilà qui encore récemment nous a interpelés sur le forum, avec des interrogations irritées à propos de mises en œuvre peut-être mal agencées. Ce procédé qui remonte aux Mille et Une Nuits me fascine, mais m’agace lorsqu’il est stéréotypé, embrouillant l’intrigue au lieu de la rehausser.
Brillante démonstration avec « Un étranger arrive dans une ville inconnue au terme d’un long voyage », séquence de l’exilé reprise da capo, leitmotiv revenant plusieurs fois, autant de faux départs séparés par des digressions-commentaires qui apportent indirectement des renseignements en lien avec le sujet principal ; cette ludique leçon de philologie appliquée enrichit élégamment le texte, qui comporte cependant des redites apparemment gratuites.
Mendelsohn suit le même fil jusque dans Fénelon (Les Aventures de Télémaque), puis Proust, enfin Sebald, et la trame s’étoffe de correspondances partagées dans cette remarquable mise en abyme du procédé. Cet ingénieux tour de pensée m'a ramentu Nabokov, c'est dire !

\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Sam 6 Nov - 12:44
 
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Pierre Michon

Trois auteurs. Balzac, Cingria, Faulkner

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Trois_11

Commentaires littéraires… mais quel bonheur d’expression ! quelle intimité avec Balzac, dont les souvenirs se mêlent à ceux de proches dans une affectueuse nostalgie. Évidemment les personnages de l’auteur, mais aussi ses expressions, parfois archaïques, entrées dans la langue, tant qu’on en oublie l’origine (« il est connu comme le houblon », c’est lui).
« Je me demande si on y a encore le loisir et la passion de s’étriper pendant toute une vie pour un héritage, maintenant que tout va plus vite. »

Affinités avec le pauvre Cingria (hagiographie médiévale notamment).
Michon nous apprend que c’est Absalon ! Absalon ! qui lui a permis de franchir le pas et d’entrer en écriture avec Les Vies minuscules – Faulkner père de son texte…


\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Ven 5 Nov - 11:21
 
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Sujet: Pierre Michon
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Baptiste Morizot

Manières d'être vivant. Enquêtes sur la vie à travers nous

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Extern48

Cinq « novellas philosophiques » voulant renouveler notre regard sur le monde.
L’introduction annonce clairement comment ces cinq textes s’articulent ; au final, ce qui les rattache est moins évident. J’ai surtout apprécié les premier et dernier textes, parlant de l’observation des loups par pistage et caméra thermique.
Sur recommandation de l’auteur :



Il y est donc question d’éthologie, d’écologie, voire d’anthropologie, mais peut-être plus de l’ordre de la réflexion hors cadre (scientifique) d’un naturaliste (amateur ?) sur le terrain. Il s’agit en tout cas de considérations intellectuellement stimulantes, parfois un peu creuses et, m’a-t-il semblé, pas dénuées de contresens ou de biais en matière d’évolutionnisme ; ainsi de la longue explication de ce que les nez ne sont pas faits que pour porter des lunettes, m’a paru enfoncer une porte ouverte : évidemment un organe n’a pas qu’une fonction, univoque et figée pour un seul usage.
Mais c’est toujours enrichissant lorsqu’on sort de son domaine de compétence (comme quand, de manière inverse, Pascal Picq se hasarde à philosopher dans La marche), mais rapidement se pose la question de la légitimité de certaines conclusions…
Le cœur du message déclaré, c’est l’interaction de tous les êtres vivants et la nécessité de leur cohabitation harmonieuse, comme en l’occurrence avec les loups, ces « aliens familiers », et ce en cherchant des modus vivendi dans une « diplomatie interespèces des interdépendances » par de multiples « égards ajustés » en permanence.
« C’est notre manière d’habiter qui est en crise. Et notamment par son aveuglement constitutif au fait qu’habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres formes de vie, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants. »

« Énigme parmi les énigmes, la manière humaine d’être vivant ne prend sens que si elle est tissée aux milliers d’autres manières d’être vivant que les animaux, végétaux, bactéries, écosystèmes, revendiquent autour de nous. »

Le constat est fait du fourvoiement de notre représentation du monde.
« Si nous ne voyons rien dans la “nature”, ce n’est pas seulement par ignorance de savoirs écologiques, éthologiques et évolutionnaires, mais parce que nous vivons dans une cosmologie dans laquelle il n’y aurait supposément rien à voir, c’est-à-dire ici rien à traduire : pas de sens à interpréter. »

D’où un point de vue original sur un des apex de notre philosophie moderne :
« Le sujet humain seul dans un univers absurde, entouré de pure matière à portée de main comme stock de ressources, ou sanctuaire pour se ressourcer spirituellement, est une invention fantasmatique de la modernité. De ce point de vue, les grands penseurs de l’émancipation qu’ont pu être Sartre ou Camus, et qui ont probablement infusé leurs idées en profondeur dans la tradition française, sont des alliés objectifs de l’extractivisme et de la crise écologique. »

… Et la préconisation d’une déconstruction de notre façon de penser.
« Les dualismes prétendent chaque fois cartographier la totalité des possibles, alors qu’ils ne sont jamais que l’avers et le revers d’une même pièce, dont le dehors est occulté, nié, interdit à la pensée elle-même.
Ce que cela exige de nous est assez vertigineux. Le dehors de chaque terme d’un dualisme, ce n’est jamais son terme opposé, c’est le dehors du dualisme lui-même. Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux. Faire effraction du monde pensé comme leur règne binaire et sans partage. C’est entrer dans un monde qui n’est pas organisé, structuré, tout entier rendu intelligible, à partir de ces catégories. »

Est avancée une mystérieuse survivance immémoriale − du type archétypes jungiens ?
« Dans l’approche inséparée du vivant défendue ici, la dynamique évolutive prend un autre visage que la seule “théorie de l’évolution” par variation-sélection. Elle devient la sédimentation de dispositifs dans le corps, produits par une histoire : des ascendances. »

Sont invoqués Descola, Despret, Barbara Cassin, Bruno Latour, Aldo Leopold, mais aussi Nietzsche, Foucault, Deleuze, et même Damasio (qui a écrit la postface), très proche de Morizot tant sur le fond que sur la forme ; j’ai aussi pensé à un Tout-monde glissantien à l’échelle cosmique. Encore une fois ce recueil constitue un excellent remue-méninge, bourré d’aperçus originaux.
« Je reprends ici l’approche deleuzienne suivant laquelle l’activité philosophique par excellence revient à créer des concepts. »

Morizot s’exprime à grand renfort de néologismes évocateurs (« panimal », « cosmopolitesse », etc.), d’expressions paradoxales et de métaphores hardies. Cela m’a paru bien écrit, brillant, trop peut-être même par moments (d’un lyrisme un peu soûlant, comme parfois Cyrulnik), en tout cas compréhensible pour un essai tout public (moins cependant que Pascal Picq, qu’il semble contredire quelquefois) ; bien sûr, cet essai demande une certaine assiduité, un minimum d’application de la part de son lecteur. Les éditeurs devraient peut-être apposer un Topocloscore, avec dans ce cas un Topoclo- ou Topoclo0, lecture à ne pas mettre dans les mains d’un enfant de moins de cinq ans.

\Mots-clés : #ecologie #essai #nature #philosophique
par Tristram
le Jeu 4 Nov - 12:06
 
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Sujet: Baptiste Morizot
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Pascal Picq

La Marche. Sauver le nomade qui est en nous

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 La_mar10

La marche – et la bipédie −, voilà le propre de l’homme qui pense (sujet déjà évoqué maintes fois sur le forum). Pascal Picq va plus loin :
« Cet essai commence pour sa première partie avec l’étude de la nature actuelle pour revisiter les diversités des bipédies et des modes de locomotion associés. Puis il nous entraîne dans le monde des mythes et de la science-fiction où se rencontrent les canons de l’anthropomorphisme qui hantent les esprits philosophiques et anthropologiques autour de la bipédie et de la marche. Ensuite, dans sa deuxième partie, il s’aventurera chez les espèces éteintes avant d’arriver à la lignée humaine. On verra alors que ce n’est pas la bipédie qui fait l’homme, mais que l’homme fait et adapte sa bipédie. En effet, la famille des grands singes pratique des formes de bipédies arboricoles et parfois terrestres depuis plus de dix millions d’années, alors que tous vivaient dans le monde des forêts. »

L’influence néfaste de convictions métaphysiques et philosophiques en science est donc pointée :
« Hélas, deux fois hélas, l’excellence de la biologie française comme le génie de ses écrivains passe à côté de la révolution darwinienne. C’est aux contextes sociaux et aux caractères des personnages que s’applique le naturalisme. Loin d’être une biologie, même de l’âme, il est au contraire lié à l’émergence d’une science de l’Homme et de la société, une sociologie stimulée par le positivisme d’Auguste Comte. Aujourd’hui, l’ennui du naturalisme se mesure à la pléthore des romans de chaque rentrée littéraire, aux centaines de livres sur les affres et les introspections d’auteurs qui nous offrent leurs états d’âme. Qu’ils aillent donc prendre l’air ! »

« …] (ce n’est pas la jungle qui produit des monstres, mais les regards portés aux bêtes). »

L’évolution rapide des espèces sous contrainte anthropique est discrètement soulignée :
« Espérons que notre siècle comprendra tout ce que l’homme partage avec les grands singes, notamment à propos de la bipédie et de la marche, car ils auront tous disparu d’ici la fin du XXIe siècle et il en va de la dernière possibilité d’édifier un récit universel des origines de toute l’humanité [… »

Le fameux « chaînon manquant » :
« À la manière des chevaliers en quête du Saint Graal, rien n’a jamais fait autant courir les paléoanthropologues partis à la recherche de ce qui, de toute évidence, n’a jamais existé : une forme fossile du passé, intermédiaire entre deux formes vivantes et contemporaines, l’homme et un grand singe élu de la nature actuelle selon les hypothèses en lice. »

L’ouvrage ne manque pas d’humour, rapportant des points de vue "scientifiques" farfelus (et erronés), comme non-scientifiques ou interdisciplinaires, tel le DAC, célèbre humoriste et Dernier Ancêtre Commun :
« Et il m’arrive souvent de penser que seule la pataphysique peut sauver la paléoanthropologie de la métaphysique. »

En dehors des contraintes structurales/ historiques et de plasticité des organismes des espèces dites "complexes",
« …] les sources des adaptations se trouvent dans les variations génétiques et l’environnement n’affecte jamais ces variations, mais les sélectionne. »

Pour l’homme,
« On retrouve le couple variation/sélection au cœur de la théorie darwinienne de la sélection naturelle qui, dans notre affaire, ne repose pas sur des variations génétiques, mais sur des contraintes historiques et sur la plasticité. Lucrèce l’avait bien vu au début de notre ère et Gould l’a conceptualisé magistralement à la fin du XXe siècle. Quel paradoxe (apparent) : des caractères qui apparaissent grâce à des contraintes ! Ou, comme nous verrons à propos de notre bipédie, comment une spécialisation peut proposer de nouvelles plasticités/potentialités. »

Quelques savoureux coups de gueule :
« Comme trop longtemps dans le cadre de la justice française, l’intime conviction balaie avec mépris toutes les preuves matérialistes, même celles de la police scientifique. Voilà un des travers de l’esprit humain cause de tant de malheurs : le "ce que je crois" prévaut toujours sur "ce qui est démontré". La charge de la preuve revient toujours à ceux qui observent et non pas à ceux qui revendiquent leurs convictions, ce qu’on appelle une "immunité épistémique" selon l’expression du philosophe Jean-Marie Schaeffer. C’est toute la différence entre être cartésien et scientifique : la réfutabilité. »

« Un tel aveuglement du monde de la paléoanthropologie, préférant s’accrocher aux certitudes ontologiques et anthropocentriques plutôt qu’aux grands singes et aux pionniers de la biomécanique, est tout simplement consternant. »

Et ce que je ne peux m’empêcher de voir comme des allusions à l’actualité :
« De même pour les cris de nos bébés et les jeux bruyants de nos enfants, sans oublier les colères et les cris qui sont les premières négociations de la vie avec les adultes. Tous ces comportements sont vite atténués chez les jeunes chimpanzés par les mères et les grands mâles pour éviter d’attirer des prédateurs ou des groupes de chimpanzés hostiles. Pour qu’une espèce admette de tels comportements, il faut un minimum de sécurité (et depuis deux décennies, jamais nos sociétés n’ont été aussi néoténiques avec des "adultes" continuant à se comporter comme de grands enfants jamais contrariés). »

J’ai découvert l’arboricolisme (auquel j’adhère sans modération), et des auteurs que je compte lire, des projets :
« Le projet Danser avec l’évolution a été une aventure scientifique et artistique digne de l’évolution : une rencontre inattendue, un "bricolage" entre science et danse, la mise en évidence de la plasticité et de caractères non mobilisés par les corps et les traditions chorégraphiques, des improvisations, les unes sélectionnées et perfectionnées, les autres abandonnées. »

Le secret du destin particulier de l’homme :
« Alors que toutes les sortes de proies se sont adaptées à des prédateurs bondissant soudainement sur elles, mais en étant capables de maintenir leur course rapide que sur quelques centaines de mètres, voici qu’arrive un nouveau prédateur avec une stratégie prédatrice inédite : la traque ou chasse par épuisement. »

« Car le prédateur humain associe trois caractéristiques redoutables : l’endurance, la capacité d’attaquer et de se défendre en lançant des objets et la coopération. Seuls les canidés, comme les lycaons en Afrique, les dholes en Inde ou les loups dans l’hémisphère nord adoptent de telles stratégies de traque ; et quand les hommes et les loups, qui deviennent des chiens, se rencontrent il y a plus de 30 000 ans, plus aucune espèce ne peut leur résister. »

« L’Homme a inventé une nouvelle course de l’évolution qui, on le sait maintenant, procède par élimination de trop de diversité, à commencer par les espèces les plus proches ou les plus grandes. »

L’avenir est sombre :
« À la fin du dernier âge glaciaire, des sociétés humaines s’orientent vers des économies de production et inventent deux fléaux qui affectent durement nos sociétés actuelles : le travail et la sédentarité. »

« Quand deux espèces proches exploitent les mêmes niches écologiques, ou elles divergent écologiquement, ou l’une des deux disparaît. »

Une question qui m’a toujours turlupiné :
« Mais d’où viennent ces rêves, ces pensées qui poussent notre espèce Homo sapiens à aller par-delà les horizons, les plaines, les déserts, les montagnes… […] C’est plus certainement une curiosité doublée d’une volonté d’aller marcher par-delà de grands espaces. »

En conclusion, après avoir rappelé le traitement peu enviable des femmes, Pascal Picq pointe une régression humaine depuis le début de l’Histoire (taille du cerveau, etc.) – et nous incite à renouer avec la marche. Une des choses que j’apprécie le plus chez lui, c’est le bon sens dans une vulgarisation accessible ; fréquemment on se dit : c’est évident, et pourtant je serais tombé dans ce biais !
Je voudrais encourager à cette lecture, qui intéresserait un lectorat plus vaste qu’on ne pourrait croire, tant on y trouve d’idées, d’observations, d’images aussi pertinentes qu’inattendues !
« Et dire qu’il y en a qui persistent à dire que la science désenchante le monde. »


\Mots-clés : #essai #historique #science
par Tristram
le Ven 29 Oct - 17:35
 
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Sujet: Pascal Picq
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Cees Nooteboom

Hôtel Nomade

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Hztel_10

Le texte qui donne son nom à ce recueil, kaléidoscope d’hôtels visités pour en concevoir un qui soit idéal, constitue une cruelle invitation au voyage. Voyage toujours lié à l’écriture (et à la description ; à la lecture aussi), « dans l’œil du cyclone » qui se déplace.
Solitude du voyageur, tout à sa connaissance de soi au travers des autres.
« Vignettes » sur Venise (dont certaines sont recyclées dans Venise − Le lion la ville et l'eau, y compris le passage sur l’Apparition de l’Éternel, de Bonifacio de’ Pitati, voir ICI.
« Ici, des hommes avaient fait une chose impossible, sur ces quelques lambeaux de terre marécageuse ils avaient inventé un antidote, une formule magique contre tout ce qu’il y avait de laid au monde. »

J’ai comme Bix été impressionné par le personnage de Tim Robinson, cartographe d’Aran (la citation en tête de son commentaire du 6 février 2017 est de Robinson) ; le lieu, fascinant "finistère" qui toucha aussi Bouvier.
À ces évocations de voyages, comme un pèlerinage dans les monastères japonais, font pendant celles de peintures et photos dans la « comptabilité du visuel ».
La troisième partie réunit des souvenirs.
« …] l’écrit est toujours destiné à qui le lit. »

« Il me semble parfois que ma vie ne se compose que d’avenir, cette époque où tout sera clair mais qui ne se décide pas à commencer. Le passé est une tache grise où quelqu’un qui se trouve par hasard porter le même nom que moi a fait apparemment un séjour prolongé, le présent n’est là que pour être enregistré et n’est donc rien par lui-même, mais dans l’avenir j’ouvrirai toutes mes vieilles valises pour voir qui je suis. C’est à peu près ça. »


\Mots-clés : #essai #lieu
par Tristram
le Mer 20 Oct - 23:47
 
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Sujet: Cees Nooteboom
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Aldo Leopold

L'éthique de la terre

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 L_zoth10

Huit textes relativement brefs sont édités avec cet essai d’abord publié en 1949.
Les explications scientifiques exprimées dans ces textes peuvent dater, et doivent être prises avec précaution – mais c’est aussi vrai de ce qui se publie de tout temps.
Dans le débat, qui a toujours cours, concernant l’intéressement économique (y compris de loisir) lié à l’écologie, Leopold n’y croyait pas :
« En résumé : un système de protection de la nature purement fondé sur l’intérêt économique est totalement déséquilibré. Il tend à ignorer, donc in fine à éliminer, de nombreux éléments de la communauté de la terre sans valeur commerciale, mais qui sont (à notre connaissance) indispensables à son fonctionnement sain. »

« Le sophisme que les tenants du déterminisme économique ont lié autour du cou de l’humanité, et dont elle doit maintenant se dégager, est la certitude que l’économie détermine tous les usages de la terre. »

Il m’a paru que ses points de vue demeurent globalement corrects.
« La science nous a donné une kyrielle de doutes, mais aussi au moins une certitude : l’évolution tend à élaborer et à diversifier le biote. »

« Les changements d’origine humaine sont d’une autre nature que ceux liés à l’évolution, et leurs effets dépassent nos intentions ou nos prévisions. »

L’effet presque automatique de la régulation des espèces l’une par l’autre me semble être vu d’une façon plus complexe aujourd’hui (amusants retours de bâton dans Boomerangs, moins drôles dans Penser comme une montagne :
« À présent, je soupçonne que, tout comme les cerfs vivent dans la peur mortelle des loups, une montagne vit dans la crainte mortelle des cerfs. Et peut-être à plus juste titre, car si un cerf tué par des loups peut être remplacé en deux ou trois ans, une chaîne ravagée par d’innombrables cerfs mettra des décennies à renaître. »

Un bon chêne, c’est celui, centenaire et foudroyé, que Leopold débite pour se chauffer, occasion d’évoquer les faits marquants dans la nature tout au long de son existence – ce qui permet de relativiser l’importance des catastrophes naturelles à l’aune de celles du passé, et de mesurer tout ce que nous ne verrons jamais, parce que cela a disparu.
Esthétique d’une protection de la nature reprend le sujet de l’exploitation de cette dernière.
« Le chasseur de canards, dans son aveuglement, et le chanteur d’opéra sur une scène font la même chose malgré la disparité de leur accoutrement. Chacun revit, dans le jeu, un drame jadis inhérent à la vie quotidienne. Tous pratiquent, en dernière analyse, un exercice esthétique. »

« Stimuler la perception des processus naturels est le seul aspect vraiment créatif de la conception des loisirs de plein air. »


\Mots-clés : #ecologie #essai
par Tristram
le Jeu 14 Oct - 16:27
 
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Sujet: Aldo Leopold
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Julien Gracq

Lettrines

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Lettri10

Recueil de notes de (re)lecture (Hugo, Balzac, Poe, Stendhal, Breton, Valéry, Claudel, Chateaubriand, Goethe, Dostoïevsky, Jünger et Céline notamment), de réflexions (sur l’histoire, sur les paysages – tout particulièrement Loire, Bretagne et Sologne − et de villes comme Venise, sur l’écriture, le roman et la critique littéraire, sans oublier le théâtre, et Wagner), de souvenirs (de la guerre, mais aussi de l’enfance). Certains de ses rêves sont rapportés par Gracq, à rapprocher de son goût très vif pour le surréalisme. Et toujours son style (c’est toujours phrasé), ses métaphores (ce que je savais moins, c’est l’importance de l’odeur chez Gracq).
« Les beaux muscles de l’eau, gainés d’un laminage de bulles, d’une nacrure d’aponévrose, comme les veines de la pâte à berlingots. »

Aussi un grand sens de l’aphorisme.
« Psychanalyse littéraire – critique thématique – métaphores obsédantes, etc. Que dire à ces gens, qui, croyant posséder une clef, n’ont de cesse qu’ils aient disposé votre œuvre en forme de serrure ? »

Variations sur cohérence et liaisons dans le roman :
« Dans un grand roman, contrairement au monde imparfaitement cohérent du réel, rien ne reste en marge – la juxtaposition n’a de place nulle part, la connexion s’installe partout [… »

« On se préoccupe toujours trop dans le roman de la cohérence, des transitions. La fonction de l’esprit est entre autres d’enfanter à l’infini des passages plausibles d’une forme à une autre. C’est un liant inépuisable. Le cinéma au reste nous a depuis longtemps appris que l’œil ne fait pas autre chose pour les images. L’esprit fabrique du cohérent à perte de vue. C’est d’ailleurs la foi en cette vertu de l’esprit qui fonde chez Reverdy la fameuse formule : "Plus les termes mis en contact sont éloignés dans la réalité, plus l’image est belle." »

« J’appelle cohésion nucléaire cette force d’attraction centrale logée, et bien cachée, dans les grandes œuvres, qui leur permet non seulement de tenir étroitement soudés et incrustés à elle tous les personnages qui les habitent, aussi solidement que nous sommes collés à la surface de notre planète – mais encore d’attirer dans leur orbite des astres errants de moindre calibre, et parfois à de grandes distances [… »

« L’étrange manque de liant, qui est la lacune la plus apparente (et parfois l’attrait, pour le goût blasé) de la prose de Flaubert : entre les blocs anguleux de ses paragraphes, l’ongle trouve le vide : il n’y a pas de ciment interstitiel, rien n’est rejointoyé. »

Toujours un bonheur de lecture !

\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Dim 10 Oct - 19:57
 
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Sujet: Julien Gracq
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Mark Twain

La vie sur le Mississippi
(Tomes 1 & 2)

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 La_vie14

« Il me restait trente dollars ; j’allais partir et terminer l’exploration de l’Amazone ; ce fut là toute la réflexion que j’accordai à cette question. Je n’ai jamais été très bon en ce qui concerne les détails. J’ai bouclé ma valise et j’ai pris un billet pour New Orleans sur un vieux rafiot, le Paul Jones. Pour seize dollars, j’ai bénéficié pratiquement pour moi tout seul des splendeurs dévastées et ternies de son salon principal, car cette créature avait du mal à attirer l’œil des voyageurs plus avisés. »

Le jeune Mark Twain renonce à explorer l’Amazonie lorsque Mr. Bixby, fameux pilote de bateau à roues à aubes sur le Mississippi, accepte de lui apprendre à naviguer sur le long fleuve qui le fait rêver depuis son enfance : mémoriser tous ses amers et sondages, d’ailleurs changeants au fil du temps, afin d’être capable de savoir en toute circonstance où il est (y compris de nuit).
« Il était évident que je devais apprendre la forme du fleuve de toutes les manières possibles et imaginables – à l’envers, par le mauvais bout, du dedans vers l’extérieur, de l’avant vers l’arrière, et "en travers" –, et puis qu’il me fallait savoir aussi quoi faire les nuits de brouillard, lorsqu’il n’avait pas la moindre forme. »

« Lorsque j’eus appris le nom et la position de chaque caractéristique visible du fleuve ; lorsque j’eus si bien maîtrisé sa forme que j’aurais pu fermer les yeux et en suivre le cours de Saint Louis à New Orleans ; lorsque je sus lire la surface de l’eau comme on lit les nouvelles dans le journal du matin ; et lorsque, enfin, j’eus entraîné ma mémoire peu douée à conserver précieusement une quantité infinie de sondages et de repères de traversée et à les tenir bien solidement, j’estimai que mon éducation était terminée. »

Mais il lui reste à apprendre les « couloirs » lors des crues, et bien d’autres choses sur le monde fascinant du grand fleuve, comme naviguer dans la fumée de bagasse...
« On a du mal à comprendre à quel point il est extraordinaire de connaître chaque petit détail de douze cents miles de fleuve et ce avec une exactitude absolue. »

Ce parcours mnémotechnique rappelle l'art de mémoire ou méthode des lieux, et le fonctionnement de la mémoire elle-même, comme on commence à l’expliquer de nos jours.
Ce livre est aussi un témoignage sur le monde méconnu du Mississippi au milieu du XIXe, un récit souvent autobiographique, un recueil d’aventures et d’anecdotes "parlantes", qui rendent ses habitués, des mariniers des radeaux de bois aux voyageurs de Saint Louis à New Orleans en passant par les planteurs, « nègres », « israélites », bûcherons, Indiens, mais aussi un compte rendu historique (dès la présence française dans les débuts d’exploration) et géographique (des considérations géologiques comme le fleuve devenant de moins en moins long, des « raccourcis » court-circuitant ses méandres, à une sorte de guide touristique vantant les nouvelles villes).
Tout un peuple est décrit, pittoresque et violent, avide de modernité, caractérisé par le dynamisme tant des laborieux que des escrocs.
« Le missionnaire passe après le whisky – je veux dire, il arrive après que le whisky est arrivé ; puis l’immigrant pauvre débarque, avec hache, houe et fusil ; puis le marchand ; puis la ruée mélangée ; puis le joueur, le desperado, le voleur de grands chemins et tous leurs frères et sœurs dans le péché ; et puis le petit malin qui a récupéré une ancienne concession couvrant tout le territoire ; cela attire la tribu des avocats ; le comité de vigilance amène l’entrepreneur des pompes funèbres. Tous ces intérêts font venir le journal ; le journal lance la politique, et le chemin de fer ; tout le monde s’y met, et on construit une église et une prison – et voilà, la civilisation est établie pour toujours dans la région. Mais le whisky, voyez-vous, était le chariot de tête, dans cette œuvre bienfaisante. C’est toujours le cas. »

Les pilotes formaient une aristocratie ne le cédant à personne, y compris aux capitaines ; ils incarnent peut-être le mythe états-unien à l’époque.
« …] un pilote, à cette époque-là, était le seul être humain au monde qui fût libre et entièrement indépendant. »

L’alias de « Mark Twain », « ("deux brasses de fond") – le cri par lequel le sondeur prévenait le pilote de la menace de hauts-fonds » − serait lié à son apprentissage du courage, ou au pseudonyme d’un certain capitaine Isaiah Sellers.
Nombre de digressions savoureuses, l’humour typique de l’auteur, participent de la faconde des personnages rencontrés, menteurs fabuleux et superstitieux à l’inventivité (et l’exagération, y compris dans les jurons) d’une délectable imagination.
« − Je ne vous raconterai pas d’histoires, expliqua-t-il ; il m’a dit un jour un mensonge si monstrueux que ça m’a fait gonfler l’oreille gauche. Elle est devenue si grosse qu’elle m’a caché la vue ; elle est restée comme ça pendant des mois et les gens venaient de miles à la ronde pour me voir m’éventer avec. »

« Lorsque je tombe sur un personnage bien dessiné dans une fiction ou une biographie, j’y trouve généralement un vif intérêt, parce que je l’ai connu avant – je l’ai rencontré sur le fleuve. »

J’ai beaucoup apprécié comme l’auteur facétieux est prodigue en parenthèses sans frein ni mesure, et comme son ton de conversation met en abyme l’esprit typiquement "sudiste" des oralités rapportées : là où le souvenir et sa relation enflent pour devenir fiction.
Mark Twain ayant dû abandonner son métier de pilote lors de la guerre, il revient sur le Mississippi vingt et un ans plus tard, en 1882 ; les changements sont immenses. Il reprend ses notes de voyage et réunit une importante documentation pour étayer son reportage fantaisiste, l’épopée du légendaire Mississippi avec sa boue, ses naufrages, voie commerciale devenue désuète et dont les digues ne contiennent pas toujours les débordements.
« La navigation à vapeur sur le Mississippi est née aux alentours de 1812 ; trente ans plus tard, elle avait pris de formidables proportions et en moins de trente ans encore, elle était morte ! »

La nostalgie est perceptible dans cette litanie des transformations, tant dans la nature que chez les hommes (malgré le progrès, notamment industriel, permis par le chemin de fer, cet adversaire vainqueur du fleuve).
« Beaver Dam Rock était au beau milieu du fleuve maintenant, y faisant une prodigieuse "marque" ; avant, il était près de la rive et les bateaux qui descendaient passaient à l’extérieur. Une grosse île qui était située au milieu du fleuve s’est retirée vers la rive côté Missouri, et les bateaux ne s’en approchent plus du tout. L’île appelée Jacket Pattern est réduite à un petit morceau triangulaire, à présent, et elle est promise à une prochaine destruction. Goose Island a complètement disparu, à l’exception d’un petit bout de la taille d’un vapeur. Le dangereux « Cimetière », dont nous franchissions les épaves sans nombre si lentement et avec de telles précautions, est loin du chenal désormais, et il n’est plus la terreur de personne. L’une des deux îles que l’on nommait jadis les Two Sisters n’existe plus ; l’autre, qui se trouvait près de la rive côté Illinois, est maintenant côté Missouri, à un mile de là ; elle est solidement reliée au rivage, et il faut un œil perçant pour voir où est la soudure – et pourtant, elle appartient encore au territoire de l’Illinois, et les gens qui y vivent doivent franchir le fleuve en bac et payer les routes et les taxes de l’Illinois : étrange état de choses ! »

La nature est dépeinte.
« Je me suis réveillé pour le quart de quatre heures, tous les matins, car on ne voit jamais trop de levers de soleil sur le Mississippi. Ils sont enchanteurs. D’abord, il y a l’éloquence du silence ; car un calme profond pèse sur tout. Puis il y a l’obsédante sensation de solitude, d’isolement, d’éloignement des soucis et du remue-ménage du monde. L’aube arrive à pas de loup ; les murs solides de la sombre forêt s’adoucissent en grisonnant, et de vastes espaces du fleuve s’ouvrent et se dévoilent ; l’eau est lisse comme du verre, émet de petites volutes spectrales de brume blanche, il n’y a pas le moindre souffle de vent, pas un mouvement de feuille ; la tranquillité est profonde et infiniment satisfaisante. Puis un oiseau se met à chanter, un autre l’imite, et bientôt les gazouillis se transforment en une joyeuse orgie musicale. Vous n’apercevez aucun de ces oiseaux ; vous vous déplacez seulement dans une atmosphère de chansons qui semble chanter d’elle-même. Quand la lumière est devenue un petit peu plus forte, vous avez l’un des plus beaux et des plus harmonieux spectacles imaginables. Vous avez le vert intense des feuillages serrés et touffus à côté de vous ; vous le voyez pâlir, une nuance après l’autre, devant vous ; au-dessus du prochain cap en saillie, à environ un mile ou plus, la couleur s’est éclaircie jusqu’au vert jeune et tendre du printemps ; le cap suivant, plus loin, a presque perdu la sienne, et à des miles sous l’horizon celui d’après dort sur l’eau, simple buée imprécise, et on le distingue à peine sur le ciel qui le domine et qui l’entoure. Et toute cette étendue de fleuve est un miroir, et s’y peignent les reflets ombreux des feuillages et des rives arrondies et des caps qui s’éloignent ; eh bien, cela est de toute beauté ; doux et riche et beau ; et quand le soleil est complètement levé, et qu’il distribue une touche de rose ici et une poudre dorée un peu plus loin et une brume pourpre là où elle produira le meilleur effet, vous estimez que vous avez vu quelque chose dont il vaudra la peine de se souvenir. »

Voici une recommandation pour éviter les enterrements à New Orleans, le sous-sol étant gorgé d’eau :
« Vous pouvez brûler une personne pour quatre ou cinq dollars ; et fabriquer assez de savon avec ses cendres pour payer la note. Si c’est quelqu’un de normal quant au volume, vous pouvez même faire un profit grâce à lui. J’ai estimé la chose sur soixante-quatre sujets qui m’ont rendu visite chez moi, et que je connais personnellement et intimement, et j’en ai conclu que tous paieraient la dépense, et que quarante-trois d’entre eux généreraient un profit. Moi-même je serai capable de laisser quelque chose, si je ne tombe pas en dessous de la moyenne. »

À noter que le risque d’épidémie évoqué par Mark Twain à propos de l’ensevelissement de cadavres (hors épidémie en cours) n’est pas avéré, comme un certain nombre d’autres faits rapportés (texte édité pour la première fois en 1883).

Ce livre constitue un excellent complément aux romans plus connus de Twain, sans que l’esprit en soit fort différent. Et ceux qui ont assez fréquenté un fleuve (que ce soit le Danube, le Nil, la Mana ou la Loire) comprendront cet amour tendrement passionné pour le Mississippi.

\Mots-clés : #essai #temoignage #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Dim 10 Oct - 0:25
 
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Hermann Hesse

Le métier d'écrivain

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Le_mzo10

Cinq articles portant sur la littérature, la sienne comme celle d’autres, y compris d’un œil critique. L’ensemble est daté et m’a paru de peu d’intérêt. Mais j’ai apprécié, dans L’esprit du romantisme, la notion (orientale) de possible coexistence de positions opposées, comme les regards du classicisme et du romantisme.
« Ne voir au contraire dans la réalité qu’apparences, mutabilité ; douter au plus haut point de la différence entre les plantes et les animaux, l’homme et la femme ; accepter à chaque instant que toutes les formes se dissolvent et se confondent, c’est se conformer au point de vue romantique. »

Écriture et écrits :
« Tout ce qui est écrit s’éteint plus ou moins vite, l’espace de quelques millénaires ou de quelques minutes. Tous ces écrits, comme toute leur extinction, l’esprit universel les lit et en rit. Pour nous, il est bon d’en avoir lu certains et d’en deviner le sens. Ce sens, qui se dérobe à toute écriture et lui est cependant inhérent, reste toujours le même. J’ai joué avec lui dans mes notes. J’ai contribué à le rendre un peu plus clair ou plus voilé aussi. Je n’ai rien dit de nouveau ; je ne le voulais pas non plus. Nombre de poètes et d’esprits pénétrants l’ont déjà dit maintes fois, à chaque fois d’une façon légèrement différente, légèrement plus plaintive ou plus gaie, plus amère ou plus douce. On peut choisir les mots autrement, entrelacer et structurer les phrases différemment, employer et disposer sur la palette les couleurs d’une autre manière, prendre un crayon dur ou un crayon tendre, il n’y a toujours qu’une seule chose à dire : l’Ancien, l’objet récurrent de nos paroles, l’objet récurrent de nos tentatives, l’Éternel. Ce qui est intéressant, c’est à chaque fois l’innovation ; ce qui est captivant, c’est à chaque fois la révolution qui secoue les langues et les arts ; ce qui est envoûtant, ce sont tous les jeux des artistes. Ce qu’ils veulent dire avec tout cela, ce qui mérite d’être dit sans être pourtant toujours et tout à fait dicible, demeure un à jamais. »


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par Tristram
le Ven 1 Oct - 21:15
 
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Maxime Decout

Éloge du mauvais lecteur

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Eloge_12

Essai sur la lecture qui établit, historiquement et au travers de nombreux exemples de livres, une dialectique entre "bon" et "mauvais" lecteur, situés entre deux attitudes contraires, l’immersion ou identification et l’interprétation ou déchiffrement (sans oublier l’opposition émotion et intellection).
« Le mauvais lecteur est un révélateur hors pair d’une situation inévitable mais qu’on accepte rarement de reconnaître : deux personnes ne lisent jamais le même texte. Une œuvre n’est nullement une chose objective mais une représentation mentale que chacun se forge à partir de son interprétation, de ses impressions et de ses souvenirs. »

La participation active du lecteur (voir ICI) semble de plus en plus fréquemment soulignée dans le domaine de la pensée critique : ainsi, on prône de nos jours que chaque lecture réactualise le texte lu.
J’ai été gêné par l’impression que Decout considèrerait par endroits les livres comme univoques (il n’y aurait qu’un seul "message", une seule lecture voulue de chacun), et précisément projetés, planifiés par un auteur absolument maître de ses intentions et réalisations, alors que l’œuvre littéraire peut être polysémique, même en dehors de ses desseins.
Pareillement, les « textes fantômes », « représentations mentales » des possibilités non réalisées dans l’œuvre, forment une notion pertinente, mais trop souvent perçus comme inconscients chez les auteurs.
Cet essai m'a paru un peu pécher par redondance superfétatoire, usant le fil complaisant du "mauvais lecteur" que son propre lecteur voudrait devenir. Heureusement, Decout fait référence de façon captivante à des travaux critiques (Barthes, Blanchot, etc.) comme à des œuvres littéraires (de Cervantès, Flaubert, James, Borges, Perec, Nabokov, Bolaño, Senges, etc.). L’ouvrage évoque notamment les travaux de Christine Montalbetti et les fictions d’Éric Chevillard, chouchous de Topocl et Louvaluna…

\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Dim 26 Sep - 15:10
 
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Sujet: Maxime Decout
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Alberto Manguel

La cité des mots

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 La_cit10

Cinq conférences qui parlent de la littérature et de comment, au-delà de rendre compte de la réalité, elle la crée. Manguel utilise beaucoup la dichotomie dans son approche, cherchant des clés souvent effectives dans les oppositions entre des notions comme dedans et dehors, etc. Il fait référence notamment aux tablettes de Gilgamesh et à la Bible (Job, Babel), à Döblin, Kafka, à la Légende de l’homme rapide de Zacharias Kunuk, à Cervantes… C’est si érudit qu’on trouve toujours au moins un passage intéressant.
« J’ai découvert que, les années passant, mon ignorance en d’innombrables domaines – anthropologie, ethnologie, sociologie, économie, science politique, et bien d’autres – est devenue de plus en plus parfaite tandis que, dans le même temps, d’une vie entière passée à lire au petit bonheur, il m’est resté en tête une sorte de recueil de citations dans les pages duquel je trouve mes propres réflexions formulées avec les mots d’autrui. »

« Søren Kierkegaard, que Kafka lisait durant son séjour à Zürau, écrivit en 1843 la kafkaïenne observation que voici : “Ce que les philosophes ont à dire de la réalité est aussi trompeur qu’un panonceau trouvé dans un marché aux puces, REPASSAGE EFFECTUÉ SUR PLACE. On apporte son linge et on s’aperçoit qu’on s’est fait avoir : le panonceau ne se trouve là que parce qu’il est à vendre.” »

« Nous savons que les conflits naissent de perceptions artificielles d’autrui, de dogmes qui nous identifient et qui, par crainte de dissolution, excluent afin de mieux définir, oubliant que ceux que nous considérons comme des monstres ne “restent pas à jamais des monstres”. »

Point de vue sur le marché de la publication littéraire :
« Pris entre le stratège en marketing éditorial et l’acheteur responsable pour les grandes enseignes de librairie, et peut-être aussi moins consciemment attentifs à leur responsabilité, les éditeurs, les écrivains qui enseignent la création littéraire et presque tous les participants à l’industrie du livre sont devenus, dans une large mesure, des éléments d’une chaîne de fabrication produisant des artefacts destinés à un public qui n’est plus constitué de lecteurs (au sens traditionnel) mais de consommateurs. »

« Les suppléments littéraires, contraints par une politique d’ensemble de la presse de s’adresser à des lecteurs supposés peu avertis, accordent de plus en plus de place à ces mêmes ouvrages de type “fast-food”, contribuant ainsi à donner l’impression que ces livres sont aussi valables que n’importe quel classique démodé, ou que les lecteurs ne sont pas assez intelligents pour apprécier la “bonne” littérature. Ce dernier point est très important : l’industrie doit faire notre éducation en matière de stupidité, car ce n’est pas naturellement qu’on devient stupide. Au contraire, nous venons au monde en tant que créatures intelligentes, curieuses et avides d’instruction. Il faut un temps et des efforts immenses, aux plans individuel et collectif, pour amortir et finalement réprimer nos capacités intellectuelles et esthétiques, notre perception créatrice et l’usage que nous faisons du langage. »

« Le travail de tels ["bons"] editors paraît plus remarquable encore si l’on considère le combat qu’ils mènent contre les gros groupes industriels exigeant la production d’une littérature industriellement efficace, à vente rapide, qui assimile difficulté à manque de talent, veut que chaque situation fictionnelle soit résolue, oppose des affirmations à chaque doute suggéré par l’imagination, et présente du monde une image pleinement compréhensible, d’où toute complexité a été éliminée et pour laquelle nulle connaissance nouvelle n’est requise, offrant en échange un état de “bonheur” décervelé. »

Encore une fois, Manguel semble renvoyer à ma récente lecture d'Eco !

\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Sam 25 Sep - 0:03
 
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Sujet: Alberto Manguel
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Umberto Eco

De Superman au surhomme

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 De_sup10

Essais des années soixante à quatre-vingt-dix, traitant essentiellement du roman populaire ou historique et du feuilleton (paternaliste, populiste) bref de la « narrativité de masse », « culture de grande consommation », « l’industrie de l’évasion » qui « console » le lecteur, versus le roman problématique, « qui propose des fins ambiguës », et remet en question la notion acquise de Bien et de Mal :
« Il faut démonter les mécanismes. »

L’étude notamment d’Eugène Sue et Alexandre Dumas, des surhommes (nietzschéens) de Vatekh à Tarzan et des superhéros des comics ainsi que le James Bond d’Ian Fleming, mène à des rapprochements passionnants entre littérature et idéologie.
« L’apaisement – qui, dans le roman commercial, résulte de la consolation par réitération de l’attendu – se présente, sous une forme idéologique, comme la réforme destinée à changer certaines choses afin que tout reste immuable : ce qui revient à nommer l’ordre, né de l’unité dans la répétition, de la stabilité des sens acquis. Idéologie et structure narrative se rejoignent en une union parfaite. »

« Le Comte de Monte-Cristo est sans doute l’un des romans les plus passionnants qui aient jamais été écrits, et c’est aussi l’un des romans les plus mal écrits de tous les temps et de toutes les littératures. »

Eco analyse Six Problèmes pour Isidro Parodi, le polar de Borges et Bioy Casares.
« Assumer que les livres se parlent entre eux sans que les auteurs (utilisés par les livres pour parler – une poule est l’artifice qu’un œuf utilise pour produire un autre œuf) se connaissent nécessairement, cela constitue, je crois, un excellent procédé borgésien. »

Il dégage « une excellente clé de lecture de l’œuvre de Borges » : dans ses récits l’enquête est du même registre de fiction que les faits rapportés, qui sont mis en scène et racontés par un autre esprit.
« On n’est jamais face au hasard, ou au fatum, on se trouve toujours à l’intérieur d’une trame (cosmique ou situationnelle) pensée par un quelconque autre esprit selon cette logique fantastique qu’est la logique de la Bibliothèque. »

Je pense que c’est cette cohérence fictionnelle qui induit chez le lecteur la satisfaction de découvrir un monde qui a un sens (comme il voudrait que le nôtre en ait un).
« …] ce qui caractérise le roman policier, fût-il d’investigation ou d’action, ce n’est pas tant la variation des faits que le retour d’un schéma habituel dans lequel le lecteur reconnaîtra quelque chose de déjà vu auquel il s’est attaché. »

Dans une conclusion de 1993 qui garde de sa pertinence :
« L’idiot du village des programmes télé actuels […] peut être aussi un intellectuel qui a compris que, au lieu de se fatiguer à écrire un chef-d’œuvre, il était possible d’avoir du succès en baissant son pantalon à la télé et en montrant son postérieur, en lançant des insanités lors d’un débat culturel, ou carrément en agressant à coups de gifles son interlocuteur. »


\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Lun 20 Sep - 13:34
 
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Sujet: Umberto Eco
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Corinne Rostaing

Une institution dégradante, la prison

Tag essai sur Des Choses à lire - Page 3 Instit10

Un livre qui me conforte sur le fait que la prison n'est ni un endroit qui permet une sanction compréhensible, ni une réintégration sociale à la sortie qui soit pertinente.
Mais je ne m'attendais pas à une analyse si tranchante et si bien étayée. C'est sourcé, c'est factuel, bien écrit, et je conseille cette lecture à toutes et tous, notamment nos responsables politiques.
Cela permet un questionnement philosophique plus large que la justice qui est déjà une question complexe, mais aussi sur la loi, sur la notion de prisonnier, sur les indivius qu'on exclut de la société, sur le libre arbitre aussi.
Un ouvrage très important.


\Mots-clés : #essai #justice #social
par Hanta
le Ven 6 Aoû - 19:45
 
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Sujet: Corinne Rostaing
Réponses: 6
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