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Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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175 résultats trouvés pour humour

Nicholson Baker

La Mezzanine

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 97822210

Trouvant de très sympathiques qualités à Mezzanine je jugeais cependant que Nicholson Baker en faisait un peu trop avec ses notes de bas de pages. Mais Baker explique la raison d’être de ces multiples « ajouts » d’une façon désopilante et avec des mots qui m’ont fait penser à ce que disait Marcel Schwob dans l’introduction de ses Vies imaginaires, quoique le dada de ce curieux personnage de Mezzanine soit un peu moins artiste, ou plus solipsiste que celui de l’écrivain français.

Marcel Schwob a écrit:L’art est à l’opposé des idées générales, ne décrit que l’individuel, ne désire que l’unique. […] Les idées des grands hommes sont le patrimoine commun de l’humanité : chacun d’eux ne posséda réellement que ses bizarreries. Le livre qui décrirait un homme en toutes ses anomalies serait une œuvre d’art comme une estampe japonaise où on voit éternellement l’image d’une petite chenille aperçue une fois à une heure particulière du jour.]


Dans Mezzanine, il s’agit principalement d’objets, des interactions les plus anodines, de détails triviaux en somme : toutes ces choses sont insignifiantes prises une à une mais ne le sont pas dans l’ensemble qu’elles constituent. Chez ce personnage excentrique, la conscience méticuleuse des objets et de l’espace suit la plus ou moins heureuse formation de son être, de son identité. Nicholson Baker a beaucoup de tendresse pour son personnage et ne cache pas que de l’inquiétude se niche dans toutes les observations de cet employé de bureau ayant usé ses lacets. Autre différence notable avec l’esthétique Schwobienne et le monde des Vies imaginaires, est l’idée sous-jacente chez l’écrivain américain que toutes les choses avec lesquels son personnage entretien un rapport qui frise l’affection, toutes ces choses sont reproduites sans lassitude, du moins jusqu’à obsolescence.


Mots-clés : #humour #viequotidienne
par Dreep
le Mar 8 Déc - 12:58
 
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Sujet: Nicholson Baker
Réponses: 1
Vues: 453

Joaquim Maria Machado de Assis

Mémoires posthumes de Brás Cubas

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Mzomoi10

D’entrée, Machado de Assis se place sous l’égide de Sterne et Xavier de Maistre, et les digressions empreintes d’humour qui suivent en attestent. Le narrateur est un Carioca qui se présente en effet non pas comme « à proprement parler, un auteur défunt, mais un défunt auteur »… Un ascendant du Pedro Páramo de Rulfo, mais l’analogie s’arrête là (quoique l'auteur soit vraisemblablement une des sources du réalisme magique). Brás Cubas nous raconte comment il est mort d’une idée fixe, « l’invention d’un médicament sublime, un emplâtre “anti-hypocondriaque” »… « l’amour de la renommée, l’emplâtre Brás Cubas. »
« Peut-être le lecteur sera-t-il surpris de la franchise avec laquelle j’expose et mets en lumière ma médiocrité ; qu’il n’oublie pas que la franchise est la première qualité d’un défunt. »

« Mais c’est cela justement qui fait de nous [les morts] les maîtres de la terre, c’est ce pouvoir de faire revivre le passé, afin de toucher du doigt l’instabilité de nos impressions et la vanité de nos affections. Laisse Pascal affirmer que l’homme est un roseau pensant. Non ; l’homme est un erratum pensant, cela oui. Chaque âge de la vie est une édition, qui corrige l’édition antérieure, et qui sera corrigée elle-même, jusqu’à l’édition définitive, que l’éditeur distribue gratuitement aux vers. »

Dans cette biographie ou récit posthume, il s’adresse directement au lecteur (comme déjà le Cervantès de Don Quichotte) :
« Comme les autres lecteurs, ses confrères, je pense qu’il préfère l’anecdote à la réflexion, en quoi il a bien raison. Nous y arriverons donc. Mais il ne faut pas oublier que ce livre est écrit sans hâte, avec le flegme d’un homme déjà délivré de la brièveté du siècle, œuvre éminemment philosophique, d’une philosophie inégale, tantôt sévère, tantôt plaisante, qui ne veut ni construire ni détruire, qui ne peut ni enflammer ni refroidir, qui est tout de même plus qu’un passe-temps et moins qu’un apostolat. »

« Je revins… Mais non, n’allongeons pas ce chapitre. Parfois je m’oublie à écrire et ma plume court, mangeant le papier, non sans préjudice pour moi, l’auteur. De longs chapitres conviennent mieux à des lecteurs d’esprit pesant, tandis que nous, nous ne sommes pas un public in-folio, mais in-douze : peu de texte, grandes marges, impression élégante, tranche dorée et vignettes…, vignettes surtout… Non, n’allongeons pas ce chapitre. »

« Que le lecteur ne s’irrite pas de cette confession. Je sais bien que, pour chatouiller les nerfs de son imagination, je devrais souffrir d’un profond désespoir, répandre quelques larmes et m’abstenir de déjeuner. Ce serait romanesque, mais ce ne serait pas biographique. La réalité pure est que je déjeunai comme les autres jours, soignant mon cœur avec les souvenirs de mon aventure et mon estomac avec les plats fins de M. Prudhon… »

Dans le même esprit, l’auteur-narrateur se commente en délectables apartés qui créent une connivence facétieuse avec le lecteur :
« Je ne me rappelle plus où j’en étais… Ah oui ! aux chemins inconnus. »

« Le manque d’à propos m’a encore fait perdre un chapitre. N’aurait-il pas mieux valu dire les choses tout uniment, sans tous ces heurts ? J’ai déjà comparé mon style à la démarche des ivrognes. »

« La fin du dernier chapitre m’a laissé si triste que je me sentirais capable de ne pas écrire celui-ci, de me reposer un peu, de purger mon esprit de la mélancolie qui l’embarrasse, avant de continuer. Mais non, je ne veux pas perdre de temps. »

Il m’a ramentu notamment Brantôme ; on pense également à des auteurs comme Voltaire (auquel il sera souvent fait référence plus loin) :
« Je songeai alors que les bottes étroites sont un des plus grands bonheurs de la terre, car, en faisant souffrir les pieds, elles donnent naissance au plaisir de se déchausser. »

Certains passages, parfaitement hors de propos, sont fort savoureux, tel le chapitre 21 : son baudet s’emballe et le jette à bas, il est sauvé par un muletier et décide de gratifier ce dernier d’une somme d’argent, dont le montant diminue rapidement comme il se remet de l’accident…
Suivant généralement le caprice du « trapèze de [s]on esprit », Brás Cubas regarde souvent ses chaussures, le bout de son nez ou une mouche, lors de médiations parfois amères. Il égrène ainsi quelques brèves observations à propos de l’enterrement de son père, puis conclut :
« Cela paraît un simple inventaire : ce sont des notes que j’avais prises pour un chapitre triste et banal, que je n’écrirai pas. »

Certaines phrases bien senties confient à l’aphorisme ou à l’apophtegme (parfois dans l’ombre de Shakespeare, de Calderón de la Barca et d’autres) :
« Jamais je n’ai cessé de penser en moi-même que notre petite épée est toujours plus grande pour nous que l’épée de Napoléon. »

« Sur le théâtre de la tragédie humaine, peut-être eût-il suffi d’un figurant de moins pour faire tomber la pièce. »

« Il y a des inventions qui se transforment ou disparaissent, les institutions elles-mêmes meurent : l’horloge est définitive et perpétuelle. Le dernier homme, au moment de quitter cette terre froide et dévastée, aura dans sa poche une montre, pour savoir l’heure exacte de sa mort. »

Et cette belle définition de l’aveuglement humain :
« …] ce phénomène, pas très rare sans doute, mais toujours curieux : l’imagination élevée au rang de conviction. »

Machado de Assis revient sur ce thème, lorsque le mari de son amante sacrifie son ambition à sa superstition. Justement, Brás Cubas nous raconte ses amours, « La belle Marcella », cupide ; Eugénia, « la fleur du bosquet » ; surtout Virgilia, femme de cet ami ; enfin Nhã-lolo, ou Eulalia. Il nous présente aussi Quincas Borba, philosophe théoricien de « l’Humanitisme » ; ce personnage est à l’origine vraisemblablement du roman éponyme ultérieur. De même, « L’aliéniste » de rencontre donnera une novella l’année suivante.

Ce roman assez court est fragmenté en 160 chapitres brefs, ce qui en rend la lecture agréable. Pour donner le ton, voici deux chapitres in extenso :
« 124
Intermède
Qu’y a-t-il entre la vie et la mort ? Un simple pont. Cependant, si je ne composais pas ce chapitre, le lecteur éprouverait une pénible secousse, assez préjudiciable à l’effet du livre. Sauter d’un portrait à une épitaphe est chose courante dans la vie réelle ; mais le lecteur ne se réfugie dans un livre que pour échapper à la vie. Je ne prétends pas que cette pensée soit de moi : je prétends qu’il y a en elle une dose de vérité et que, tout au moins, la forme en est pittoresque. Et je le répète : elle n’est pas de moi. »

« 136
Inutilité
Mais, ou je me trompe fort, ou je viens d’écrire un chapitre inutile. »

À la fois démonstration et fin en soi, l’histoire se dilue, badine, dans l’insignifiance humaine.
Un auteur à mon gré, que je regretterais de n’avoir pas découvert plus tôt !

\Mots-clés : #absurde #humour #xixesiecle
par Tristram
le Jeu 26 Nov - 23:26
 
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Sujet: Joaquim Maria Machado de Assis
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Richard Brautigan

Le monstre des Hawkline ‒ Western gothique

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Le_mon10

Ça commence effectivement en western, et bascule dans le roman gothique… Comment dire ? nous manquons de pseudo-synonymes moins imprécis pour "décalé", "déjanté" et autres "foutraque" et "loufoque". C’est un burlesque et un absurde qui correspondent assez à ce que firent au cinéma au même moment les Monty Python, voire même un homologue du théâtre de l’absurde, dans la grande lignée du grotesque et du non-sens de la farce.
Deux tueurs professionnels sont engagés pour une mystérieuse mission dans « l’énorme maison jaune » de Miss Hawkline, à l’écart dans le désertique « Oregon de l’est »… et l’antagonisme de l’ombre et de la lumière des « Produits Chimiques » dans le cristallisoir du sous-sol renouvelle les genres avec force clins d’œil !
« Greer et Cameron étaient visiblement des hommes capables de se sortir de n’importe quelle situation avec le maximum d’effet pour le minimum d’effort.
Ils n’avaient l’air ni dur ni méchant. Ils ressemblaient plutôt au produit de la distillation de ces deux qualités. Ils semblaient vivre dans l’intimité de quelque chose que les autres ne pouvaient percevoir. Bref, ils ne manquaient pas de présence. On n’avait pas envie de se frotter à eux, même si Cameron passait son temps à compter, par exemple qu’il avait vomi dix-neuf fois entre Hawaii et San Francisco. Ils gagnaient leur vie à tuer les gens. »

« La route s’enfonçait dans la désolation des Dead Hills qui disparaissaient derrière eux pour réapparaître de nouveau. Tout était toujours pareil et tout était très tranquille.
Un instant Greer crut voir quelque chose de différent, mais il comprit qu’il s’était trompé. Ce qu’il avait vu était identique à ce qu’il voyait. Il avait cru que c’était plus petit, mais c’était en réalité exactement de la même taille que tout le reste. »

« Greer et Cameron contemplaient les sœurs Hawkline occupées à caresser en l’embrassant un porte-parapluies fait d’une patte d’éléphant, en l’appelant :
‒ Daddy ! Daddy !
C’est-à-dire :
‒ Papa ! Papa ! »

Malheureusement dans une traduction avec des maladresses… absurdes.

Mots-clés : #absurde #fantastique #humour
par Tristram
le Mer 14 Oct - 20:43
 
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Sujet: Richard Brautigan
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Stéphane Zagdanski

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 10915310

Pris par hasard à la bibliothèque : la (très) bonne pioche !

Un livre excellent, hilarant et instructif à la fois, un roman sous forme de chronique tragi-comique de notre monde actuel (et passé) un état des lieux commenté par quelques schizophrènes hôtes au long terme d'un hôpital psychiatrique  à New York.. : le Manhattan Psychiatric Center.....très cultivés néanmoins...disséquant les travers de notre société et de ses acteurs....on y croise des politiques, surtout DSK et l'affaire du Sofitel à New York, des économistes, des financiers, des scientifiques....très juste et très drôle....j'ai d'ailleurs ri comme une folle (normal ça se passe dans un asile psy) Wink

On y croise, Hitler, DSK, Sarkozy, l'économie des Etats et ses escroqueries, l'inventeur du marketing :Edward Louis Bernays, neveu de Sigmund Freud (ça ne s'invente pas) ou comment manipuler les esprits pour susciter les désirs et ceci s'applique à un baril de lessive comme à un homme politique...et même Egas Moniz, un médecin portugais ayant eu le prix Nobel de médecine en 1949 pour ses travaux sur la lobotomie dont il était le plus grand fan  Shocked

Citation d'entrée : " La civilisation n'est qu'une mince pellicule au-dessus d'un chaos brûlant"...Nietzsche

J'ajouterai que ce vernis craque de partout et le meilleur des solvants étant les réseaux sociaux...du moins pour ce qui concerne notre monde actuel. Le débat est ouvert  Smile


Le narrateur, sac d'os, qui prétend entrer dans la tête des autres, il lit dans les pensées dit-il....

C'est vraiment jubilatoire, surtout lorsqu'il pénètre celles de DSK.

Extraits :

( au tribunal)

DSK cligne machinalement de la paupière droite. Ses vieux tics le reprennent. Il n'ose même plus diriger son visage vers la juge Jackson, elle risquerait de penser qu'il lui fait de l'oeil au pire moment, juste quand Artie rappelle au monde entier que DSK est français, donc séducteur, bâfreur, baiseur, dégoûtant comme un camembert qui dégouline, volatil comme une bulle de champagne, ithyphallique comme une baguette de pain, et fuyard comme un conscrit de 1939 en pleine débâcle devant l'armée allemande...."

Guy, un des potes de Sac d'os :

"Les faits, terribles témoins, sont faciles à étudier ; on peut constater le désastre. La prolifération numérique du portrait a pris des proportions aussi abyssales que dégoûtantes, et qui ne trompent pas. Plus leur caboche est creuse, plus ces imbéciles d'humains se gargarisent d'en multiplier le vil reflet. La gadgétisation de l'impudeur a transformé le portrait, un genre pictural jadis réservé aux plus nobles, en tout-à-l'égout des égos délabrés, en réceptacle des déjections extraverties du dodo sapiens. En photographiant sous les plus répugnantes coutures la part la plus secrète et sacrée de son être, sa face, la mouche homonculesque s'en détourne, la dilapide, la putréfie en rognure dérisoire. L'immonde homo picturalis se tire le portrait à tout va, comme par réflexe et sans y penser, de même qu'il éternue....."

Super drôle, de vraies trouvailles de vocabulaire (homo çapionce)... très bien écrit.... très intéressant.. j'ai adoré !! Very Happy


Mots-clés : #humour
par simla
le Mer 23 Sep - 2:06
 
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Sujet: Stéphane Zagdanski
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Littérature et alpinisme

Marie-Louise Plovier-Chapelle

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Une_fe10
Une femme et la montagne
éditions Flammarion 1954, 210 pages environ.




J'ai eu la joie de le trouver dans l'édition originale, malheureusement une vingtaine de pages, à peu près au second quart de l'ouvrage, ne sont pas lisibles.

Livre drôle, empli d'une cocasserie de répartie et d'un comique de situation, rendant hilarant des passages, où, sous une autre plume, il y aurait lieu de se lamenter, ce qui est une prodigieuse qualité.
Livre daté, où affleure ce qu'on prenait alors pour un déterminisme des sexes, aujourd'hui dépassé du moins en occident, donc qu'on ne saurait écrire aujourd'hui, qui hérisserait, ne serait guère publiable et pourtant, 1954, ce n'est pas si ancien.

Voilà une mère de famille du Nord, dans la tourmente de la seconde guerre mondiale, qui par amour des montagnes et par contraintes de guerre (zone libre/zone occupée) se retrouve dans les Alpes, s'initie au ski (celui de l'époque) et l'alpinisme, dont c'était quelque part encore l'âge d'or, le tout sur le tard.
Peu douée, mais dotée d'un moral en chrome-molybdène, d'une insouciance d'airain, sans jamais se prendre pour ce qu'elle n'est pas, notre Marie-Louise nous égrène avec légèreté et humour toutes les incongruités de sa situation.

Défilent dans ces pages ses enfants bien sûr, ainsi qu'Édouard Frendo, le fameux guide de Haute-Montagne, quelques amis, et en filigrane Gaston Rebuffat, Louis Lachenal, Lionel Terray, Gilbert Chappaz...

Pages de guerre, d'occupation et de maquis, aussi, et toujours cette bonne humeur, cette joie de mise même dans pires galères et les instants les plus critiques.  
Marie-Louise Plovier-Chapelle pratique sérieusement sans se prendre au sérieux, son nom est à jamais attaché à l'Aiguille du Roc dont elle signa la première en compagnie de son fils Luc, Édouard Frendo étant le guide et maître d'œuvre de la réalisation (photo de l'Aiguille de Roc en bas de message, - par ailleurs une des plus célèbres photos représentant Gaston Rebuffat est prise alors qu'il se tient sur ce sommet-là).

Et, ces travaux d'aiguille accomplis, reste le charme de sa plume alerte et rigolote, sans prétention, mais aussi juste (voir le 2ème extrait ci-dessous) et un grand chapeau bas à tirer à son intrépidité couplée à son humilité.


Au moment du coucher, un grave problème d'arithmétique s'imposa à tous les esprits: on parvint bien, à force de compression, à entasser onze personnes sur le bat-flanc supérieur conçu pour six, et autant sur celui du dessous, mais il restait le vingt-troisième et qui n'était pas divisible par deux !
  J'imagine qu'un examen approfondi des espaces interstitiels lui révéla que le moins exigu se trouvait précisément entre Luc et moi; toujours est-il que je sentis le tiers du poids du monsieur s'installer sur ma personne tandis qu'un calcul élémentaire me faisait présumer que le second tiers était sur Luc et le troisième dans le vide, mais le vide comptait-il ? Supportait-il une part du poids ?
  Mes connaissances en dynamométrie étaient insuffisantes pour que je puisse déclarer à coup sûr si la force de pesanteur devait être divisée par deux ou par trois.
  Cette incompétence me tracassait.
  Pour me débarrasser de cette obsession, je décidai, par des manœuvres savantes et patientes, d'amener la moitié de la personne dudit monsieur sur le bat-flanc, ce qui n'était possible qu'en plaçant la moitié de la mienne sur la sienne.
  Je ne fus guère bien inspirée !
Car le monsieur, au lieu de respirer d'une façon lente et régulière, qui aurait bercé mon sommeil, avait un petit souffle sec et saccadé qui me donna pour toute la nuit l'impression d'être dans un autobus corse ou dans un château hanté.
  J'eus des heurs pour me persuader de l'urgence qu'il y avait de faire voter par le comité responsable du Club Alpin Français un amendement interdisant l'accès des refuges aux ronfleurs et, aux jours de grande affluence, à tous ceux qu'une respiration saccadée apparente à une locomotive en surcompression.

Je me levai au petit jour complètement moulue.
- Puisque vous êtes si fatigués, nous n'allons faire que le Grand Dru, nous dit Frendo.
  Décision malheureuse, car la sécheresse des années précédents avait tellement abaissé le niveau du glacier que nous nous trouvâmes à l'attaque du rocher en présence d'une rimaye décollée de cinq mètres, dominées par un surplomb qui nous sembla tout de suite bien coriace.
- Les autres années le glacier monte beaucoup plus haut, tout ceci est dans la neige.
- Et pas un piton, bien entendu !
- On ne s'attendait pas à celle-là !
  Frendo essaye une première fois le passage qu'on descend généralement en rappel au retour de la traversée des Drus.
- Ça ne passe pas.
Nouvel essai à droite, puis à gauche sans plus de succès.


       
Recherche du danger alors ? Je ne crois pas: le danger en soi ne m'attire pas, je le déteste en voiture et ailleurs.
Peut-être victoire sur le danger, ce qui, en fin de compte, revient à dire: victoire sur soi-même, victoire sur la peur d'abord, victoire sur la fatigue, victoire sur les années qui passent, réalisation du meilleur de soi, réalisation plus complète, je pense, que dans nul autre sport, car je me refuse à considérer la montagne comme un sport.
[...]
Tout cela fait qu'on se sent meilleur, en montagne.

Les célèbres frères Ravier feront un écho involontaire à cette toute dernière affirmation, quelques années plus tard, en se demandant: à quoi ça sert tout ceci, si ça ne fait de nous de meilleurs hommes ?

" Un bloc de neige plus gros que les autres, détaché par une cordée ", eus-je le temps de penser avant de voir, bien plus bas, un très gros caillou qui rebondissait comme une balle, et de sentir en même temps un coup dans la nuque.
  Je hurlais de douleur et aussi parce que j'étais sûre que j'allais m'évanouir, je voulais les mettre tous en état de parer ma chute.
  Je ne m'évanouis pas.
- J'ai sûrement encore une vertèbre cassée, vous voyez bien que j'aurais mieux fait de ne pas insister et de redescendre quand je vous l'ai dit, c'était un pressentiment.
  Je sentais mon cou et mon épaule se contracter et d'engourdir.
- Jamais je ne pourrai descendre.
- Allons, allons, me dit Frendo, songez plutôt à la veine que vous avez eue de recevoir ce caillou à ma place !


Je quittai Chamonix avec l'espoir de revenir et je me demande pourquoi diable cela me remplissait d'aise, puisque, après tout, la preuve était faite que j'étais d'une maladresse tenace en montagne; mais, en plus de la maladresse, j'étais atteinte d'illogisme, maladie incurable pour moi et endémique, je crois, chez les alpinistes.


Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Aiguil10
Aiguille de Roc

Mots-clés : #alpinisme #autobiographie #deuxiemeguerre #humour #xxesiecle
par Aventin
le Dim 12 Juil - 19:15
 
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Sujet: Littérature et alpinisme
Réponses: 78
Vues: 10052

Sibylle Lewitscharoff

Apostoloff

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Aposto10

Originale : Allemand, 2009
description du livre a écrit:
Deux sœurs, installées en Allemagne, acceptent l'offre d'un riche membre de leur communauté d'origine : il leur propose une importante somme d'argent pour l'exhumation de leur père car il veut réunir dans un même tombeau les dépouilles de ses amis bulgares morts en exil.
Un convoi de limousines les conduit donc à Sofia et leur chauffeur, Apostoloff, entreprend de leur faire découvrir les richesses du pays : la céramique... à base de bleu de cobalt toxique, le littoral de la mer Noire… défiguré ou l'architecture locale (un crime contre l'esthétique).
Les péripéties de cette odyssée, racontées avec un humour corrosif, sont l'occasion pour Sibylle Lewitscharoff de mener une réflexion sans concession sur des questions existentielles comme les racines des migrants, le sentiment de nostalgie ou la famille.


REMARQUES :
A vrai dire j’aurais presque jeté le livre dans un coin de ma chambre ! Quel démonstration haineuse  des rapports de la narratrice envers son père, puis le pays de celui-ci, d’où il s’est exilé dans les années 40 ! Amer, plein de « préjugés », - semble-t-il. Plus que méchant ! Pour les amateurs du genre par contre probablement un bonheur !

Et puis je me suis dit : avec le Prix reçu comme meilleur livre de l’année, il doit y avoir autre chose ? Continuons à lire !
Et puis rapidemment apparaissait quelque chose, une lecture possible, de cette amertume sous la lumière de la mélancolie de l’exilé , de l’émigrant. Et cela pas juste dans la première génération, mais même, comme transmise mystèrieusement, dans celle de la deuxième, voir troisième. J’y reconnaissais quelque chose de mon vécu.

D’un coup cette vue acerbe, le criticisme envers la Bulgarie, son père, presque tout le monde, deviennent comme par magie et secrètement une expression d’un désir de plus, d’un inaccomplissement. Et une attente d’autre chose : pour les pays de l’ancien bloc de l’Est, mais aussi soi-même ?

CES sujets sont suggérés et en quelque sorte sécrets. Mais évident et incontournable est (j’ai lu le livre en allemand) l’incroyable art de manier la langue de l’auteure ! La langue est riche, inventive, laconique, aussi « mèchante ». Mais toujours originale. Ce serait intéressant ce qu’un lecteur francophone en tire de la traduction française !

C’est avec effroi presque que nous réconnaissons dans cette écriture de poison tellement de parallèles avec la biographie de l’auteure. Aïe ! Mais reconnaissons alors aussi derrière cette amertume le souffle d’une mélancolie. Celle-là resonne d’une façon merveilleuse parfois. Qu’est-ce qu’on attend, qu’est-ce qu’attend un tel pays ? C’est par le négatif que Lewitscharoff dit ce qui manque, ou ce qu’il faudrait : de l’âme. Le pays aurait été déâmisé… Et pas juste la Bulgarie, j’ajoute, peut-être la maladie d’aujourd’hui ?


Mots-clés : #famille #humour #immigration
par tom léo
le Mer 17 Juin - 7:51
 
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Sujet: Sibylle Lewitscharoff
Réponses: 6
Vues: 609

Henri Bosco

Monsieur Carre-Benoît à la campagne (1947)

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Monsie10

Livre peu connu. En cause, les politiques d’édition qui font que ce roman n’a pas été publié depuis 1951 ! Il est donc très difficile à trouver. Pour ma part, j’ai dégoté l’édition originale de « Charlot » à Alger. C’est un exemplaire imprimé sur du papier de « guerre » exécrable, marron, cassant et ponctué de taches de bois.

Fulgence Carre-Benoît, récent retraité de l’administration, arrive aux Aversols, un village du Lubéron, en partie déserté par l’exode rural. Il vient prendre possession d’une vaste maison dont sa femme, Herminie, vient d’hériter.
M. Carre-benoît est la caricature du rond de cuir routinier et borné. Tout est parfaitement réglé dans sa manière de vivre :

« Il ne dormait jamais par plaisir, mais par utilité, pour prendre du repos. Il avait calculé le volume et le poids du sommeil nécessaire au bon fonctionnement de sa vie organique et morale. Il en avait réglé l’administration avec rigueur. Comme rêver c’est perdre du sommeil, il en avait exclu les rêves. Quand on dort, on dort. Tout sommeil qui se laisse séduire par un rêve n’est qu’un sommeil manqué, une parodie de sommeil. »


Rapidement, ce monsieur venant « de la ville » en impose aux habitants du village qui le choisissent comme maire. Il crée même un « bureau » sur la place principale :

« - M. Fulgence, le premier, a fondé un Bureau aux Aversois. Vous m’avez demandé de quoi s’occupait ce Bureau, monsieur ? Que vous répondre ? Il faudrait voir monsieur Fulgence. Alors vous comprendriez. Car ce Bureau, c’est le Bureau, le Bureau-type, le Bureau qui montre au village (si arriéré, monsieur !) ce qu’est un Bureau fonctionnant, avec sa table de Bureau, ses tampons de Bureau, son classeur, son chef de Bureau, son travail de Bureau, son atmosphère de Bureau, sa vie de Bureau, pour tout dire. Et tout cela, monsieur, sans aucune nécessité. »


Monsieur Carre-benoît s’y rend ponctuellement chaque matin pour s’y livrer à ses occupations favorites :

« M. Carre-Benoît ne répondit pas tout de suite. Il avait entendu le toc, mais il grattait. Il grattait, d’un grattoir prudent, une tache minuscule au bas de la page 14, registre : GRATIFICATIONS. Il grattait comme on doit gratter, avec l’art subtil du gratteur, usant du fil seul de la lame, sans appuyer. Il grattait juste sur la tache, évitant la bavure et l’ébouriffement. Il n’enlevait qu’une pellicule légère sur laquelle, de temps en temps, il soufflait à petits coups secs. Il redoutait le trou, ennemi du gratteur et honte du registre. Aussi, la tache peu à peu pâlissait-elle, et bientôt l’encre disparut. On ne vit que les fibres fines et légèrement cotonneuses. Aussitôt, promenant le manche poli du grattoir sur le petit rond bien gratté, M. Carre-Benoît lui rendit son lustre. Puis il se recula, cligna de l’œil, fut satisfait de son travail et dit, à haute voix :
- Entrez ! »


A l’inverse de monsieur Carre-Benoît, maître Ratou, le notaire, aime la nuit, les signes du destin qu’il perçoit avec une étrange acuité. Il cultive le mystère et d’étranges « ombres » rôdent dans son sillage :  

« Il était minuit. C’est alors que quelqu’un passa et l’aperçut. On n’a jamais su qui. Ce n’était qu’une sorte d’ombre, longue, dégingandée et chaussée de légères espadrilles. L’ombre gratta contre un volet ; le volet s’ouvrit ; on conciliabula. La croisée de Me Ratou s’émut à son tour. Il en vint un chuchotement. L’ombre fit un grand geste à travers la lune. Puis les volets se refermèrent. La lune s’en alla. L’ombre s’évanouit. Tout se tu. »


« Enfin tout ! l’incompréhensible, l’étrange, jusqu’à l’anonymat de l’Ombre, et ces mouvements du mystère qui savent si bien, d’une porte, d’un volet ou d’un pan de mur, détacher d’insolites présences, et tirer, d’un objet inanimé, une âme hésitante, qu’un rien effarouche. »


« C’était l’heure où l’axe du monde équilibre, au milieu du ciel d’été, par masses douces, dans l’air assoupi de la nuit, les planètes et les étoiles. Alors l’exaltation des figures célestes atteint les pointes les plus hautes du bonheur sidéral, et chaque créature exhale fugitivement, mais avec douceur, tout son être nocturne. L’accord se fait du roc, de la plante, des bêtes, à la splendeur de l’univers étincelant et sombre. »


« Car l’idée fixe n’est pas fixe. Elle le paraît. C’est par rapport à vous qu’elle ne bouge pas ; mais, par rapport au sens commun, elle fait tellement de cabrioles qu’elle sort des bornes permises ; et elle vous entraîne avec elle aux chimères, sans que vous en ayez le moindre sentiment. Vous croyez être toujours là, entre le guéridon et le fauteuil Voltaire, tandis que vous flottez ailleurs, entre Betelgeuse et Aldabaran, ou même plus loin. »


Etre ambivalent, maître Ratou est sous la figure tutélaire du chat dont il partage le mystère et le fuyant. Capable de faire le bien pour ceux qu’il estime, sa part d’ombre est néanmoins inquiétante et il tisse des pièges mortels pour les autres. Cet aspect est parfaitement rendu avec la métaphore des souterrains, typique de l’art de Bosco :

« Il y a dans les caves des maisons à la campagne, beaucoup plus qu’on ne pense, de vieux souterrains désaffectés. Il suffit d’un plâtras qui tombe pour en révéler l’existence. Mais généralement, après avoir reniflé l’air moisi qui sort de l’orifice, et parlé d’oubliettes, on mure le trou. Pourtant le souterrain est là, sous vos pieds, ténébreusement enfoncé dans la terre. Qu’un curieux, un maniaque, un imaginatif le découvre sous la maison, et le voilà en possession d’un instrument magique. Car dés lors, il a mis la main sur le monde des issues secrètes. Or celui qui sait se garder une issue inconnue des autres hommes passe à l’invisibilité. Il pénètre dans une vie double. Ce que montre sa face de lumière voile ce que contemple sa face d’ombre. Il acquiert le goût de l’attente. Il connait la vertu des longs silences ; les conseils que fournit l’obscurité le troublent, sa pensée ne vit plus que d’arrière-pensées, il est hanté par le souci des richesses clandestines, et bientôt son esprit ne tient plus à ce monde que par le génie de la nuit. »


Représentant de la poésie, du sacré, maître Ratou ne peut qu’entrer en conflit avec monsieur Carre-Benoît. L’évènement déclencheur sera l’abattage du vieux peuplier Timoléon :


« - Il est vrai, je le sais, que l’arbre n’est pas libre. Il tient par ses racines aux nécessités de l’humus, et c’est, dans l’esclavage où le contraint le sol, qu’il doit vivre jusqu’à sa mort, là où il est né, avec patience. Mais, monsieur Tavelot, l’avez-vous écouté ? Et saurions-nous, sans lui, ce que disent, sur notre tête, tous les souffles des vents ? Les vents sont libres. Or cette voix des êtres libres qui, violents ou doux, chaque jour, travaillent nos terroirs et animent nos sangs, l’aurions-nous jamais entendue aux Aversols, sans la présence du feuillage séculaire que leur offrait le peuplier Timoléon ? Que seraient ces souffles de l’air s’ils n’apportaient que la caresse ou la dévastation à nos campagnes ? Des bruits ou des murmures passagers, et rien de plus… Mais par leur croisement et leur contact avec la feuille, qui, tout en chantant, tient à l’arbre, c'est-à-dire au génie du corps, ils enfantent l’appel et le gémissement, la musique et la confidence, par où s’expriment la pensée et le sentiment de la terre maternelle. Pour que puissent fleurir les communautés d’hommes, il faut que cette pensée et ce sentiment leur restent accessibles. Ici, on n’y accède plus, et le vieil arbre, qui parlait des antiques vertus civiques et des lois naturelles, en vain chantait pour ce village, oublieux de ses privilèges et de ses devoirs. Maintenant, on n’entendra plus la voix des Aversols. Timoléon est mort. Et ceux qui l’ont tué, par sottise, par ambition, par cupidité, sont les maîtres. »



Mots-clés : #humour #identite #ruralité
par ArenSor
le Dim 31 Mai - 20:09
 
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Sujet: Henri Bosco
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Gilbert-Keith Chesterton

Le Poète et les fous

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Titre original: The Poet and The Lunatics. Huit nouvelles, parues en 1929, qui peuvent être lues ici en langue originale. 255 pages environ.

Il s'agit d'un énième personnage de détective chestertonnien, nommé cette fois-ci Gabriel Gale, grand jeune homme blond, peintre et poète. Il n'y a pas vraiment de nouveaux codes, toujours le parti-pris de l'apparente irréalité, de l'intuition prenant le pas sur la méthode, le scientifique. On trouve un peu moins de burlesque, un peu moins de ce fameux humour britannique dont il est un champion (ou est-ce moi qui est passé au travers ?).

On relève une jolie petite délicatesse dans le procédé littéraire, consistant à donner la chute de la première nouvelle...dans la dernière !

Ici, notre Gilbert-Keith raisonne ainsi:
Les fous, les aliénés, Lunatics en anglais, pour comprendre leurs actes lorsque ceux-ci apparaissent hors-normes ou inouïs au commun des mortels, il faut soit l'être un peu soi-même, soit emprunter des voies imaginatives quasi jamais fréquentées.

D'où le façonnage d'un type de héros comme Gabriel Gale, encore une variation de Chesterton sur le thème du détective qui n'en est pas (et ne paye pas de mine) mais parvient in fine à résoudre.  

On retrouve aussi ces bonnes vieilles déclinaisons de l'auteur sur des thèmes qu'il court si volontiers, le déguisement, l'amitié, les auberges ("pubs"), l'apparence trompeuse, le détail, et ces constructions littéraires si fluides, si adaptées au format nouvelles, qui embarquent bien le lecteur, vraiment sans coup férir.

Le goût de la marge, les comptes réglés avec la pensée scientiste, ça et là (mais plus parcimonieusement ici) la formule qui fait que Chesterton reste à jamais cette mine à citations à ciel ouvert - même si là on est dans une veine moins abondante.
Un peu moins prophétique qu'il ne fut peut-être (voir L'auberge Volante, La sphère et la croix, Le Napoléon de Notting Hill...), même si, dans ce domaine-là aussi, il y a un ou deux joyaux à glaner...

Autre goût, celui de la couleur, le sens du pictural (dans son autobio, L'homme à la clef d'or, il s'en explique, disant que depuis le temps des boîtes à jouer il avait toujours conservé l'émotion d'échafauder des décors peints).
Un exemple de ce côté pictural et coloriste, et de l'embarquement garanti du lecteur, cet extrait proche de l'entame de la 2ème nouvelle:
L'oiseau jaune a écrit:C'était comme s'ils avaient atteint un bout du monde paisible; ce coin de terre semblait avoir sur eux un effet bizarre, différent selon chacune de leurs personnalités, mais agissant sur eux tous comme quelque chose de saisissant et de vaguement définitif.
Et cependant il était d'une qualité aussi indéfinissable qu'unique; il n'était en rien sensiblement différent d'une vingtaine d'autres vallées boisées de ces comtés occidentaux en bordure du Pays de Galles.
Des pentes vertes plongeaient dans une pente de forêts sombres qui par comparaison paraissaient noires mais dont les fûts gris se reflétaient dans un méandre de la rivière comme une longue colonnade sinueuse. À quelques pas de là, d'un côté de la rivière, la forêt cédait la place à de vieux jardins et vergers, au milieu desquels se dressait une maison haute, en briques d'un brun intense, avec des volets bleus, des plantes grimpantes plutôt négligées s'accrochant aux murs, davantage à la manière de la mousse sur une pierre que de fleurs dans un parterre.
Le toit était plat, avec une cheminée presque en son milieu, d'où un mince filet de fumée s'étirait dans le ciel, seul signe de ce que la maison n'était pas complètement abandonnée.
Des cinq hommes qui, du haut de la colline, regardaient le paysage, un seul avait une raison particulière de le regarder.  



Enfin, le quichottisme de Gabriel Gale n'est pas sans rappeler bien d'autres héros -ou caractères principaux- de la prose du gentleman de Beaconsfield (je vous épargne la liste maison !).

Bref, on peut juger que ce n'est peut-être pas un Chesterton majeur, mais...qu'est-ce qu'il se dévore bien, tout de même !

Mots-clés : #absurde #criminalite #humour #nouvelle #satirique #xxesiecle
par Aventin
le Mar 26 Mai - 19:47
 
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Sujet: Gilbert-Keith Chesterton
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Tahar Ben Jelloun

L'insomnie

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Tanger : le narrateur, un scénariste, est insomniaque et découvre qu’il ne trouve le sommeil qu’après avoir tué quelqu’un ‒ remède qui ne dure qu’un temps, et donc à renouveler régulièrement. En fait, pris dans un engrenage, il force la main aux personnes promises à une mort proche.
« Je n’étais pas un tueur, mais un "hâteur" de mort. »

« ‒ Non, pas le tuer, mais juste avancer la date de sa mort… »

L’efficacité du procédé dépend de la "valeur" des personnes qu’il aide « en fin de vie à partir en paix » :
« Les points crédits sommeil ‒ c’est ainsi que je les appelais désormais ‒ que je venais de gagner étaient dix fois plus importants que ceux que m’avait fait gagner son frère qui, du fait de sa pauvreté, ne pesaient pas lourd dans la balance de ma bourse imaginaire. »

Cette histoire, assez rocambolesque (et qui m’a rappelé Vila-Matas, peut-être aussi par contamination de ma récente lecture), est occasion sinon prétexte à rendre compte avec un esprit fort critique de la société marocaine, empreinte des « mauvais souvenirs des années de plomb », d’autoritarisme, de corruption, d’hypocrisie, de prostitution, de sorcellerie, et de la religion musulmane.
« Elle a fait le pèlerinage cinq fois et pense que mourir sur les lieux saints de l’islam est une chance inespérée. J’aurais pu lui offrir le voyage pour qu’elle se laisse piétiner par des brutes et meure sur place. Mais je n’étais pas assez croyant pour tenter le coup. »

« Je ne jeûne pas durant le mois de Ramadan. Il m’arrive de boire un verre de bordeaux ou une coupe de champagne. Je n’exagère jamais. »

« J’ai réussi cependant à lui interdire d’insulter en ma présence les juifs et les Noirs. Il se retenait et je voyais que ça le démangeait et qu’il faisait beaucoup d’efforts. »

« Comme tous les grands voyous, il devait avoir une assurance européenne qui lui permettrait d’être évacué par avion sanitaire et d’être sauvé dans un hôpital parisien. »

Le narrateur est divorcé, toujours en contact et en mauvais termes avec sa mégère d’épouse, à la base de son problème d’insomnie.
« "C’est qu’elle t’aime toujours !" Comment pouvaient-ils confondre l’amour et cette volonté de nuire ? Comment penser qu’aimer c’est harceler, poursuivre de sa hargne une personne qui a été proche ? »

Belle étude clinique de l’insomnie :
« Nuits blanches, nuits sèches, sans rêves, sans cauchemars, sans aventures. Nuits tristes. Nuits étroites, étriquées, réduites à quelque souffrance. Nuits inutiles, sans intérêt, sans saveur. Nuits à oublier, à jeter dans la poubelle. Nuits traîtresses. Nuits sans vergogne. Nuits de bandits, de truands, de salauds. Nuits sales, perverses, cruelles, hideuses. Nuits indignes du jour, du soleil, de la lumière et de la beauté du monde. »

« Je ne sais plus depuis combien de nuits je suis privé de sommeil. Je ne dors plus. Impossible de fermer l’œil, même un instant. La nuit devient blanche et creuse. Son vide me torture et me met dans tous mes états. Dès que le soir approche, je ne suis plus le même. Je me surprends à mendier à voix haute : "S’il vous plaît… un petit peu de sommeil… un petit peu de cette douce et agréable absence… Une simple échappée, une brève escapade, un pique-nique avec les étoiles dans le noir absolu me suffiraient…" Mais rien. »

« Quelqu’un chuchote dans l’oreille : le sommeil est un animal de compagnie, il faut en prendre soin, sinon il te quitte et tu auras le plus grand mal à le faire revenir, un animal doux et tendre, capricieux, parfois compliqué, plus important qu’un chien ou un chat, c’est le prince de la compagnie, s’il t’abandonne tu connaîtras une douleur étrange… »  

Évidemment, « aider des vieilles personnes à s’en aller dans le calme et la dignité » évoque l’euthanasie, et ce livre peut aussi contenir une réflexion sociétale, ou même une fable ‒ à moins qu’il ne s’agisse que des fictions ou fantasmes du cinéaste, voire de ses rêves !
Dans un genre totalement différent que celui des autres livres de Tahar Ben Jelloun (au moins ceux que j’ai lu), celui-ci est finement humoristique, quoique grinçant.

Mots-clés : #humour #satirique #thriller
par Tristram
le Lun 4 Mai - 0:25
 
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Sujet: Tahar Ben Jelloun
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Kurt Vonnegut, jr

Les Sirènes de Titan

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Malachi Constant, d’Hollywood, est devenu l'homme le plus riche de l'Amérique du XXIIe siècle grâce à sa chance : en spéculant à partir de séquences tirées de la Bible. On apprend à cette occasion comment mettre en place une organisation bureaucratique propre à enfumer le Bureau des Contributions Directes…
Il rencontre le mystérieux Winston Niles Rumfoord, dont le vaisseau spatial a pénétré dans un infundibulum chrono-synclastique, endroit où « toutes les formes de vérité s’adaptent les unes aux autres aussi joliment que les rouages de la montre solaire de votre papa », et où l’on trouve « les multiples façons d’avoir raison ». Je rappelle qu’infundibulum, du latin, fait référence à une structure creuse en forme d'entonnoir, et synclastique à une surface où tous les rayons de courbure en un point quelconque ont leur centre d'un même côté de ladite surface (exemple la sphère), soit « incurvé[e] dans le même sens dans toutes les directions, comme la peau d’une orange ».
Bref, l’espace est « un cauchemar d’incommensurable inintelligibilité ». Je salue dès à présent une traduction qui présente a minima un français de qualité :
« La foule savait qu’elle ne verrait rien mais ses membres trouvaient plaisir à se savoir proches, à regarder ces murs lisses, à imaginer ce qui se passait de l’autre côté. Ce mur ne faisait qu’exalter les mystères d’une matérialisation, comme il l’aurait fait de ceux d’une pendaison ; ils n’étaient qu’écrans sur lesquels se projetaient, alliciantes images d’une lanterne magique, celles de l’imagination morbide de la masse. »

La traduction est d’autant plus méritante qu’elle est rarement soignée dans ce genre littéraire, et que les œuvres de Vonnegut sont manifestement difficiles à rendre, pleines d’allusions, de clins d’œil intraduisibles.  
Rumfoord prédit son avenir à Constant, ce qui arrive effectivement : il est enrôlé dans l’Armée de Mars, qui se prépare à envahir la Terre, et pour cela pratique le lavage de cerveau des recrues et l’installation dans celui-ci d’une antenne pour les contrôler.
« Nous pouvons rendre le centre d’une mémoire d’homme virtuellement aussi stérile qu’un scalpel sorti de l’autoclave. Mais les grains d’une nouvelle expérience commencent de s’y accumuler aussitôt. Ces grains, à leur tour, se groupent de façon pas nécessairement favorable à la pensée militaire. Malheureusement, ce problème de la recontamination paraît insoluble. »

« Les avantages d’un système de commandants secrets sautent aux yeux. Toute rébellion au sein de l’Armée de Mars serait inévitablement dirigée contre des irresponsables. Et, en temps de guerre, l’ennemi pourrait exterminer tous les officiers martiens sans déséquilibrer en rien l’Armée de Mars. »

« Le seul succès militaire martien fut la prise d’un marché à la viande, à Bâle, en Suisse, par dix-sept Parachutistes de Marine à Ski. »

Puis entre en scène « Salo [était un] messager de la planète Tralfamadore dans la petite nébuleuse de Magellan » (qu’on retrouvera dans Abattoir 5), machine et ami de Rumfoord, (dont les pieds sont gonflables, ce qui lui permet de flotter, et) dont le vaisseau est propulsé par la « Volonté Universelle De Devenir » (VUDD), l’énergie-même qui est responsable de l'apparition de l'Univers.
Prophète, Rumfoord créera une religion, « l’Eglise de Dieu le Suprême Indifférent » :
« Et je vous le demande… la chance est-elle dans la main de Dieu ? »

Après de multiples péripéties, on découvrira « la théorie de Rumfoord selon laquelle l’homme dans le système solaire n’avait qu’une mission, celle de dépanner un messager de Tralfamadore. »
Côté imagination créatrice, mention spéciale pour les harmoniums de Mercure, des membranes vivant dans les profondeurs spéléologiques de vibrations musicales.
Il y a aussi de la satire, et un regard acéré, comme dans cette percutante définition de l’aristocratie :
« Si Rumfoord accusait les Martiens d’accoupler les gens au même titre que des animaux de ferme, il les accusait d’une chose pratiquée depuis longtemps par sa classe. La force de sa classe dépendait dans une certaine mesure de placements monétaires, mais aussi et surtout, de mariages basés cyniquement sur le sort des enfants susceptibles d’être reproduits.
Leurs desiderata : des enfants sains, charmants, intelligents. »

La société humaine est volontiers caricaturée :
« Il était des femmes auxquelles un sort imbécile avait donné le terrible avantage de la beauté. Elles luttaient contre cette injustice en portant des vêtements informes, en se tenant mal, en mâchant de la gomme, ou en employant des cosmétiques de façon excessive. »

Dans ce roman de science-fiction parodique, et surtout loufoque, voire dickien, Kurt Vonnegut joue avec les notions métaphysiques de hasard, nécessité, signification, message, manipulation, mort, amour. Cocasse et saugrenue, c’est finalement une interrogation sur le sens de l’existence, la guerre, l’existence de Dieu.
« Ce n’était pas tellement ce que les Terriens faisaient que la façon dont ils le faisaient. Ils se démenaient sans cesse comme s’ils croyaient qu’un grand œil fixé dans le Ciel attendît qu’ils le divertissent. »

« ‒ La pire des choses qui pourrait arriver à quelqu’un, dit-elle, serait de ne servir à rien pour personne. »

« ‒ A celui qui a été si loin dans une course de dupe, il ne reste guère d’autre choix que de mettre son point d’honneur à poursuivre sa mission. »

« Il nous a fallu tout ce temps pour comprendre que le but de la vie humaine – peu importe qui la contrôle – est d’aimer ce qu’il y a d’aimable. »


Mots-clés : #humour #sciencefiction
par Tristram
le Jeu 23 Avr - 0:03
 
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Sujet: Kurt Vonnegut, jr
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Romain Gary

La Vie devant soi

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Le narrateur est Mohammed ‒ « Momo pour faire plus petit » ‒, un garçon qui vit avec d’autres gosses de passage dans le « clandé » (« une pension sans famille pour des mômes qui sont nés de travers ») de Madame Rosa, une Juive rescapée d'Auschwitz et ancienne prostituée (qui donc « se défendait avec son cul »). Arrivé là pour ses trois ans, il est le plus âgé des enfants en attente de leur mère ou d’une adoption, mais a « dix ans » pour longtemps (en fait quatorze), car Madame Rosa, qui affectionne les faux papiers, s’est un peu perdue dans les dates.
« Je n'ai pas été daté. »

C’est un savoureux mélange de mots d’enfant, d’approximation langagière et d’humour vachard, avec des aperçus fulgurants (sur les stigmates des camps de concentration, la justice, la société, le sexe, la vieillesse, la pauvreté, la religion, etc.) et une humanité admirablement suggérée (sentiments paradoxalement pudiques de Momo, Madame Rosa).
Momo ignore les tabous sociaux, et notamment racistes, ce dont Gary/ Ajar profite à fond.
Et comme souvent chez cet auteur, le risque est de tout citer…
« La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur. »

« Au début, je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, j'avais déjà six ou sept ans et ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin. »

« Pendant longtemps, je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait. »

« Au début je ne savais pas que je n'avais pas de mère et je ne savais même pas qu'il en fallait une. Madame Rosa évitait d'en parler pour ne pas me donner des idées. Je ne sais pas pourquoi je suis né et qu'est-ce qui s'est passé exactement. Mon copain le Mahoute qui a plusieurs années de plus que moi m'a dit que c'est les conditions d'hygiène qui font ça. Lui était né à la Casbah à Alger et il était venu en France seulement après. Il n'y avait pas encore d'hygiène à la Casbah et il était né parce qu'il n'y avait ni bidet ni eau potable ni rien. »

« C'est moi qui étais chargé de conduire Banania dans les foyers africains de la rue Bisson pour qu'il voie du noir, Madame Rosa y tenait beaucoup.
‒ Il faut qu'il voie du noir, sans ça, plus tard, il va pas s'associer. »

« Madame Rosa disait que les femmes qui se défendent n'ont pas assez de soutien moral car souvent les proxénètes ne font plus leur métier comme il faut. Elles ont besoin de leurs enfants pour avoir raison de vivre. »

« Je l'ai suivie parce qu'elle avait tellement peur que je n'osais pas rester seul. »

« Moi maintenant je pense qu'il y croyait lui-même. J'ai souvent remarqué que les gens arrivent à croire ce qu'ils disent, ils ont besoin de ça pour vivre. Je ne dis pas ça pour être philosophe, je le pense vraiment. »

« Je ne sais pas du tout pourquoi Madame Rosa avait toujours peur d'être tuée dans son sommeil, comme si ça pouvait l'empêcher de dormir. »

« Les gens tiennent à la vie plus qu'à n'importe quoi, c'est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu'il y a dans le monde. »

« ‒ C'est mon trou juif, Momo.
‒ Ah bon alors ça va.
‒ Tu comprends ?
‒ Non, mais ça fait rien, j'ai l'habitude.
‒ C'est là que je viens me cacher quand j'ai peur.
‒ Peur de quoi, Madame Rosa ?
‒ C'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur, Momo.
Ça, j'ai jamais oublié, parce que c'est la chose la plus vraie que j'aie jamais entendue. »

« ‒ Oh qu'il est mignon ce petit bonhomme. Ta maman travaille ici ?
‒ Non, j'ai encore personne. »

« J'ai dû lui jurer que j'y reviendrai plus et que je serai jamais un proxynète. Elle m'a dit que c'étaient tous des maquereaux et qu'elle préférait encore mourir. Mais je voyais pas du tout ce que je pouvais faire d'autre, à dix ans. »

« Chez une personne, les morceaux les plus importants sont le cœur et la tête et c'est pour eux qu'il faut payer le plus cher. Si le cœur s'arrête, on ne peut plus continuer comme avant et si la tête se détache de tout et ne tourne plus rond, la personne perd ses attributions et ne profite plus de la vie. Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux. »

« Si Madame Rosa était une chienne, on l'aurait déjà épargnée mais on est toujours beaucoup plus gentil avec les chiens qu'avec les personnes humaines qu'il n'est pas permis de faire mourir sans souffrance. »

« Madame Lola disait que le métier de pute se perdait à cause de la concurrence gratuite. Les putes qui sont pour rien ne sont pas persécutées par la police, qui s'attaque seulement à celles qui valent quelque chose. On a eu un cas de chantage quand un proxynète qui était un vulgaire maquereau a menacé de dénoncer un enfant de pute à l'Assistance, avec déchéance paternelle pour prostitution, si elle refusait d'aller à Dakar, et on a gardé le môme pendant dix jours ‒ Jules, il s'appelait, comme c'est pas permis ‒ et après ça s'est arrangé, parce que Monsieur N'Da Amédée s'en est occupé. »

« Elle avait toute sa tête, ce jour-là, et elle a même commencé à faire des projets d'avenir, car elle ne voulait pas être enterrée religieusement. J'ai d'abord cru que cette Juive avait peur de Dieu et elle espérait qu'en se faisant enterrer sans religion, elle allait y échapper. Ce n'était pas ça du tout. Elle n'avait pas peur de Dieu, mais elle disait que c'était maintenant trop tard, ce qui est fait est fait et Il n'avait plus à venir lui demander pardon. Je crois que Madame Rosa, quand elle avait toute sa tête, voulait mourir pour de bon et pas du tout comme s'il y avait encore du chemin à faire après. »

« Monsieur Hamil m'avait souvent dit que le temps vient lentement du désert avec ses caravanes de chameaux et qu'il n'était pas pressé car il transportait l'éternité. Mais c'est toujours plus joli quand on le raconte que lorsqu'on le regarde sur le visage d'une vieille personne qui se fait voler chaque jour un peu plus et si vous voulez mon avis, le temps, c'est du côté des voleurs qu'il faut le chercher. »

« En France les mineurs sont très protégés et on les met en prison quand personne ne s'en occupe. »

« Un vieux ou une vieille dans un grand et beau pays comme la France, ça fait de la peine à voir et les gens ont déjà assez de soucis comme ça. Les vieux et les vieilles ne servent plus à rien et ne sont plus d'utilité publique, alors on les laisse vivre. En Afrique, ils sont agglomérés par tribus où les vieux sont très recherchés, à cause de tout ce qu'ils peuvent faire pour vous quand ils sont morts. En France il n'y a pas de tribus à cause de l'égoïsme. »

« Monsieur Waloumba dit que c'est la première chose à faire chaque matin avec les personnes d'un autre âge qu'on trouve dans les chambres de bonne sans ascenseur pour voir si elles sont seulement en proie à la sénilité ou si elles sont déjà cent pour cent mortes. Si le miroir pâlit c'est qu'elles soufflent encore et il ne faut pas les jeter. »

« Mais il ne se piquait pas, il disait qu'il était rancunier et ne voulait pas se soumettre à la société. Le Nègre était connu dans le quartier comme porteur de commandes parce qu'il coûtait moins cher qu'une communication téléphonique. »

« Moi je comprends pas pourquoi il y a des gens qui ont tout, qui sont moches, vieux, pauvres, malades et d'autres qui n'ont rien du tout. C'est pas juste. »

« La vie, c'est pas un truc pour tout le monde. Je me suis plus arrêté nulle part avant de rentrer, je n'avais qu'une envie, c'était de m'asseoir à côté de Madame Rosa parce qu'elle et moi, au moins, c'était la même merde. »

« Moi les Juifs je les emmerde, c'est des gens comme tout le monde. »

« C'est dommage que Madame Rosa n'était pas belle car elle était douée pour ça et aurait fait une très jolie femme. »

Le personnage de Momo est tout à fait dans la lignée de l’éponyme de Gros-Câlin.
Le message pour lequel milite indubitablement l’auteur, c’est la mort assistée, c'est-à-dire « avorter » les vieillards qui le souhaitent :
« Je comprendrai jamais pourquoi l'avortement, c'est seulement autorisé pour les jeunes et pas pour les vieux. »

Outre ce plaidoyer, le point de vue donné par l’ouvrage est plus généralement que la vie ne vaut pas forcément le coup d’être vécue pour tous…
Des épisodes m’ont bien fait rire, notamment celui du père de Momo, Arabe à qui Madame Rosa fait accroire que son fils est devenu juif :
« Et quand on laisse son fils pendant onze ans sans le voir, il faut pas s'étonner qu'il devient juif... »

« D'abord, vous tuez la mère du petit, ensuite vous vous faites déclarer psychiatrique et ensuite vous faites encore un état parce que votre fils a été grandi juif, en tout bien tout honneur ! Moïse, va embrasser ton père même si ça le tue, c'est quand même ton père ! »

Mention spéciale également pour Madame Lola, qui travaille comme « travestite » au Bois de Boulogne, ancien boxeur sénégalais très attentif à Madame Rosa et Momo, comme d’ailleurs l’ensemble de leur immeuble d’immigrés sans papiers et autres laissés-pour-compte.
La vraie réussite de Gary, c’est de faire son lecteur se tordre de rire tandis qu’il s’émeut empathiquement pour ces marginaux « détériorés » ‒ une sorte d’effet Le père Noël est une ordure (1979).

Mots-clés : #enfance #humour #social
par Tristram
le Ven 17 Avr - 15:13
 
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Karel Capek

L'année du jardinier

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 51jlkn10

Tom et Bix ont déjà fait une présentation élogieuse de ce texte, je vais plutôt insister sur un de ses aspects particuliers.
Il y a une forme de jubilation dans le goût des listes et autres accumulations, comme chez Zola, Huysmans et nombres d'autres auteurs, que Čapek inventorie des verbes, amoncelle des noms de plantes ou énumère les caractéristiques (admirablement observées) des bourgeons :
« On dit qu’au printemps la nature verdoie ; ce n’est pas absolument vrai, car elle se pare aussi de bourgeons roses et écarlates. Il y a des bourgeons d’un pourpre foncé et d’un rouge brutal ; d’autres sont gris et gluants comme la poix ; d’autres sont blanchâtres comme le feutre qui recouvre le ventre d’une hase, mais il y en a aussi qui sont violets et fauves ou sombres comme du vieux cuir. Quelques-uns laissent percer de petites pointes, d’autres ressemblent à des doigts ou à des langues et d’autres encore rappellent des verrues. Les uns s’enflent, deviennent charnus, se couvrent de duvet et sont trapus comme de jeunes chiens ; d’autres s’allongent en une pointe mince et raide ; d’autres poussent des queues hérissées et fragiles. Croyez-moi, les bourgeons sont aussi étranges et aussi divers que les feuilles ou les fleurs. On n’a jamais fini de découvrir les différences qui les séparent. »

Un autre exemple de "collection" (et en l’occurrence les extraits ne peuvent pas être très courts) :
« Et puis, il y a des cactus qui ressemblent à des oursins, à des concombres, à des courges, à des candélabres, à des pots, à des barrettes de curé, à des nids de serpents ; il y en a qui sont couverts d’écailles, de tétines, de touffes de poils, de griffes, de verrues, de baïonnettes, de yatagans et d’étoiles ; il y en a qui sont trapus et d’autres étirés ; les uns sont hérissés comme un régiment de lanciers, les autres tranchants comme une troupe qui brandit le sabre ; vous en voyez qui sont gonflés, ligneux, ridés, barbus, bourrus, épineux comme des abatis d’arbres, tressés comme des paniers, semblables à des tumeurs, des animaux ou des armes : c’est la plus mâle de toutes ces plantes, portant des graines chacune selon son espèce, qui furent créées le troisième jour (Qu’ai-je fait là ? dit ensuite le Créateur, étonné lui-même de ce qu’il avait créé). »

Ce jardinier, passionné par les plantes, est surtout enthousiasmé par la terre elle-même.
« La terre de jardin ou de culture, appelée aussi humus ou terre meuble, se compose d’une manière générale de certains ingrédients qui sont : la terre, le fumier, les feuilles pourries, la tourbe, les pierres, les tessons de verres à bière, les plats cassés, les clous, les fils de fer, les os, les flèches hussites, le papier d’étain des tablettes de chocolat, les tuiles, les vieux sous, les vieilles pipes, le verre de vitres, les glaces, les vieilles étiquettes de plantes, les ustensiles de fer blanc, les ficelles, les boutons, les semelles, les excréments de chiens, le charbon, les anses de pot, les cuvettes, les serviettes, les bouteilles, les traverses, les bocaux, les boucles, les fers à cheval, les boîtes de conserves vides, les morceaux de journaux et d’innombrables autres composants que le jardinier surpris récupère chaque fois qu’il bêche ses plates-bandes. »

« Il y a des terres grasses comme du lard, légères comme du duvet, levées comme un gâteau, jaunes et noires, sèches et imprégnées d’humidité, qui sont toutes d’excellentes variétés de beauté, quoique très diverses : mais tout cela est laid et infâme qui est gluant, aggloméré, mouillé, dur, froid, stérile et donné à l’homme pour qu’il maudisse la matière non rachetée, et tout cela est aussi laid que la froideur, l’opiniâtreté et la méchanceté des âmes humaines. »

« Prendre la terre à pleines bêches, c’est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de prendre de la nourriture à pleines louches ou à pleines cuillères. La bonne terre, comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse, ni trop lourde, ni trop froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni trop gluante, ni trop dure, ni trop crue : elle doit être comme du pain, ou du pain d’épices, comme un gâteau, comme une pâte levée ; elle doit s’émietter mais non pas se dissoudre ; elle ne doit pas former des blocs ni des mottes, mais quand vous la retournez à pleines bêches, elle a loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en grains de gruau. Et alors ce sera une terre appétissante et comestible, cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée et tendre, bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes qu’ils sont bons ; et dans cette vallée de larmes, il n’y a rien de meilleur, comme on le sait. »

« Je vous le dis : la mort n’existe pas ; il n’y a même pas de sommeil. Seulement nous croissons par périodes. Il faut être patient avec la vie car elle est éternelle. »
« Novembre »

Mots-clés : #humour
par Tristram
le Jeu 2 Avr - 16:50
 
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Sujet: Karel Capek
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James Joyce

Giacomo Joyce

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Giacom10
Éditions Multiple, 2013, traduction de Georgina Tacou - la première version traduite, par André du Bouchet en personne en 1973, est épuisée et ardue à trouver. Non daté, sans doute écrit entre 1905 et 1920, lorsque Joyce séjourna longuement à Trieste, première publication intégrale en langue originale: post-mortem en 1968. Une douzaine de pages environ.


Texte en langue originale ici.

Giacomo est bien sûr la traduction de James en italien, mais c'est aussi, à ce qu'il paraît et merci la postface de Yannick Haenel, une désignation, en italien, pour quelqu'un qui en fait trop dans sa cour amoureuse.


En un mot il s'agit d'un désir amoureux pour une de ses élèves, Amalia Popper. Les pages traduisent un crescendo palpable de l'auto-échauffement amoureux, son rendu littéraire et Joycien...

Le mécanisme du désir est bien sûr fouillé, ponctué de descriptions qui, si elles ne constituent pas de l'érotisme à proprement parler, ont valeur suggestive et poétique avancée, c'est un des nombreux charmes de ces quelques pages, voyez par exemple (euh...par pure prétention pédante j'ai substitué ma propre trad' à celle proposée par l'édition: ne pas taper  Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 1038959943 ) :

Again. No more. Dark love, dark longing. No more. Darkness.

Twilight. Crossin the piazza. grey eve lowering on wide sagegreen pasturelands, sheddin silently dusk and dew. She follows her mother with ungainly grace, the mare leading her filly foal. Grey twilight moulds softly the slim and shapely haunches, the meek supple tendonous neck, the fine-boned skull. Eve, peace, the dusk of wonder.......


À nouveau. Plus jamais. Amour illicite, noir désir. Jamais plus. Noirceur.

Crépuscule. À travers la piazza. aube grise s'atténuant en vastes pâturages vert-sauge, se débarrassant en silence de la brunante et de la rosée. Elle suit sa mère avec une élégance disgracieuse, jument conduisant sa pouliche. Le crépuscule gris moule en douceur les hanches minces et galbées, le doux souple et tendineux cou, la délicate boîte crânienne. Soir, paix, le crépuscule du questionnement......
   






Mots-clés : #amour #humour #poésie #xxesiecle
par Aventin
le Mer 4 Mar - 15:21
 
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Sujet: James Joyce
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Lauren Weisberger

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 61dzxv10

le Diable s'habille en Prada

Trouvé dans une boîte à livre, ayant adoré le film et Meryl Streep, qui incarne merveilleusement bien ce monstre, je me suis dit qu'il fallait que je le lise.
Je ne suis pas déçue, c'est une lecture facile, agréable, très accessible (tout comme le film), même si on ne s'y connaît pas du tout dans la mode (vive la petite sauvageonne que je suis :p ), et que ça ne nous intéresse pas Wink
On se demande jusqu'où l'horrible Miranda va aller (elle est bien plus terrible dans le livre, je ne pensais pas que c'était possible !), la fin du roman ne suit pas exactement le film, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Malgré que ça soit une lecture facile, je trouve que c'est un vrai reflet de notre société où l'on se donne corps et âme pour notre boulot, notre patron, pour un système ... Au détriment de notre vie, de nos priorités etc. Une comédie certes, mais pas que !

Pour une lecture détente, je recommande fortement, et je lirais avec plaisir d'autres romans s'ils me tombent entre les mains.

C'est tout.



Mots-clés : #contemporain #humour #mondedutravail
par Silveradow
le Mar 11 Fév - 19:34
 
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Gilbert-Keith Chesterton

Le club des métiers bizarres

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Le_clu10

Titre original: The Club of Queer Trades. Nouvelles, 1905, 190 pages environ.
Peut se lire en langue originale ici.
Six nouvelles reliées entre elles par les thèmes et les protagonistes principaux.

Autant les premiers romans de Chesterton comptent parmi ce qu'il a fait de meilleur, autant ces nouvelles-ci, ses premières, laissent un peu l'exigeant lecteur sur sa faim, j'eus souhaité qu'il sophistiquât quelque peu davantage, qu'il enjolivât encore.

En 1905, en fait de polars britanniques, existait Sir Arthur Conan Doyle et son Sherlock Holmes, et c'est à peu près tout: l'historien du genre, pointilleux, me rétorquera sans doute qu'untel ou untel (dont R-L Stevenson en personne) s'était aussi aventuré dans ce domaine littéraire-là, qui allait faire florès au XXème et toujours de nos jours, mais on parle bien d'auteurs à la fois spécialisés et grand-public, en matière de polars britanniques.

Comment prendre le pendant de l'écrivain-médecin et de sa logique clinique ?
Bien sûr, si vous avez déjà lu quelques pages de Chesterton c'est évident, le projet va de soi: face à la déduction scientifique l'auteur oppose le paradoxal intuitif, la conviction dût-elle paraître d'un absurde consommé.
Aussi ceci: on ne meurt pas dans les enquêtes narrées par Chesterton, d'ailleurs, à ma connaissance, on ne meurt pas non plus dans ses romans ou son théâtre: ainsi les enquêtes, comme les histoires narrées au sens large, ne sont pas alourdies du fardeau de la gravité, ni de la délectation voyeuriste de la violence morbide.

Peut-être, sans trop s'avancer, peut-on suggérer que Chesterton tente d'ébaucher son personnage de détective, qui sera, bien des années plus tard, le Père Brown, Basil Grant étant un prototype abandonné d'emblée, trop typé, trop limité ?

Le détective est Rupert Grant, toujours en chasse, tandis que l'enquêteur qui démêle, le héros principal, est son frère, Basil Grant, un excentrique juge démissionnaire: dans chacune des nouvelles, à la fin, Basil démontre à Rupert qu'il n'y a eu ni crime, ni intention malfaisante de la part de ceux contre qui sont les apparences trompeuses.
Ou presque:
La dernière nouvelle (mais ne dévoilons pas !) montre un cas de justice pour des faits non répréhensibles par les lois des tribunaux, en sus de quelques baffes, mêlées, horions et autres coups de poing.

L'auteur (c'est narré au "je") dit s'appeler Swinburne (oui, comme le grand poète, encore vivant et londonien à l'époque de parution), et fait office de témoin tout en complétant le trio, basculant dans l'erreur (c'est-à-dire du côté Rupert de l'analyse):
Procédé commode pour permettre d'embarquer le lecteur vers la mystification et donner du poids aux chutes des nouvelles.
Quelques unes des marques de fabrique du gentleman de Beaconsfield sont bien là, comme l'habituelle mine à citations (bien que réduite à sa portion congrue, cette fois-ci - une ci-dessous), les descriptions très picturales et savoureuses, l'humour.

La curieuse affaire de l'agent de location a écrit:
- La vérité doit forcément être plus étrange que la fiction, dit Basil avec calme. Car la fiction n'est qu'une création de l'esprit humain et, par conséquent, est à sa mesure.



La singulière conduite du professeur Chadd (entame) a écrit:

  En dehors de moi, Basil Grant avait relativement peu d'amis et cependant, il était le contraire d'un homme insociable. Il parlait à n'importe qui n'importe où et il parlait non seulement bien mais avec un intérêt et un enthousiasme parfaitement sincères pour les affaires de son interlocuteur. Il parcourait le monde, pour ainsi dire, comme s'il se trouvait toujours sur l'impériale d'un omnibus ou sur le quai d'une gare. Naturellement, la plupart de ses connaissances de hasard disparaissaient après avoir traversé sa vie. Quelques-uns, ici ou là, restaient en quelque sorte accrochés à lui et devenaient ses intimes pour toujours, mais ils avaient tous un même air d'être là accidentellement, comme des fruits abattus par le vent, des échantillons pris au petit bonheur, des ballots tombés d'un train de marchandises ou des paquets-surprises pêchés à la foire.  


En langue originale c'est encore plus savoureux (et fluide, surtout !):

The Noticeable Conduct of Professor Chadd (beginning) a écrit:

Basil Grant had comparatively few friends besides myself; yet he was the reverse of an unsociable man. He would talk to any one anywhere, and talk not only well but with perfectly genuine concern and enthusiasm for that person's affairs. He went through the world, as it were, as if he were always on the top of an omnibus or waiting for a train. Most of these chance acquaintances, of course, vanished into darkness out of his life. A few here and there got hooked on to him, so to speak, and became his lifelong intimates, but there was an accidental look about all of them as if they were windfalls, samples taken at random, goods fallen from a goods train or presents fished out of a bran-pie.


Mots-clés : #absurde #humour #justice #nouvelle
par Aventin
le Sam 28 Déc - 17:38
 
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Roger Nimier

D'Artagnan amoureux
ou: cinq ans avant

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 D_arta10

Roman, 300 pages environ, paru post-mortem en 1962.

Fiction de cape et d'épée, promenade dans le Grand Siècle français. Très surprenant ouvrage, on n'y reconnaît absolument rien du style ni de la manière du Hussard bleu.
Ces cinq ans avant du sous-titre situent l'action quinze ans après Les trois mousquetaires, d'Artagnan a trente-cinq ans.

S'amusant sans doute beaucoup, Nimier s'essaie à plagier Alexandre Dumas, et à faire défiler autour de d'Artagnan quelques personnages de pure fiction, comme Pélisson de Pélissart, maréchal de France, esprit allègre et, n'en doutons pas, génial, inventeur entre autres d'une machine volante qui ne vole pas mais roule.
Mais aussi de grands noms, telle Marie de Rabutin-Chantal, pas encore devenue Madame de Sévigné (ce qui me fais penser que j'ai un bon vingt-cinq messages de retard sur le fil de l'épistolière), son fameux parent Roger de Bussy-Rabutin, le Pape Urbain VIII, l'abbé Ménage, Paul de Gondi, futur Cardinal de Retz, Louis XIII, la Reine, Louis XIV enfant, Richelieu agonisant, Mazarin, le Duc d'Enghien (le Grand Condé de la bataille de Rocroi, orthographiée Rocroy), et jusqu'à l'évocation de Blaise Pascal, voire le nom de Rembrandt, simplement jeté sans que Nimier n'ose le portraiturer:    
Une déclaration d'amour au Grand Siècle, version française. Et à Dumas...

On ne s'ennuie pas, c'est preste, enlevé, tout empli de missions secrètes, contretemps et aléas, chausses-trappes et bien sûr de méchants-qui-courrent-toujours, on croise le fer, complote, désire, échange de bons mots, se bat, défenestre, bouffe et boit à la Rabelais, nonobstant de forts curieux régimes, ou bien lorsque l'acédie prend le dessus.

À réserver à ceux d'entre les adolescents que vous côtoyez qui n'ont pas eu leur compte après avoir épuisé Les trois mousquetaires, Le vicomte de Bragelonne et Vingt ans après.  
Plume et style de joli panache, tout-à-fait digne des grands succès du genre de cape et d'épée.


Chapitre Une conversation diplomatique a écrit:
  "S'agirait-il, pensa d'Artagnan, d'une commande de mules faite par Richelieu qui a les pieds sensibles ? Serais-je devenu bottier sans le savoir ? Non, car on ne m'aurait pas tiré des coups de mousquet pour des mules. Attendons la suite."
- Mais s'il est un temps pour passer des mules, il en est un autre pour enfiler des bottes.
 "Voilà qui est mieux, songea notre mousquetaire. Mes affaires augmentent d'une pointure."
- Or, que se passe-t-il aujourd'hui ?
  Les yeux de M. Pélisson eurent le scintillement de l'enfer et le velouté du diable.
- Il se passe qu'on s'est mis à table.
  "Mordious, fit d'Artagnan pour lui-même, serions-nous passés de l'orthopédie à la gastronomie ?"
- Ce qui fait qu'il se donne de fameux coups de fourchette à travers l'Europe. Le plus gros mangeur se nomme Habsbourg. Il a double tête et double estomac. Et ce double estomac contient déjà l'Espagne, Naples, la Sicile, le Milanais, l'Autriche, la Bohême, la Hongrie, les Flandres.
- Je sais cela. Je lui ai repris Arras, voici deux ans.
  Sans se soucier de cette gasconnade, M. Pélisson de Pélissart poursuivit:
- En face, l'autre convive se nomme Bourbon.
Le pauvre n'a que la France.
- C'est déjà un joli morceau.
- Oui, parce qu'avec la France, il a la Gascogne, jambe de chienne ! dont nous sommes issus tous deux. Et aussi les massifs centraux d'Auvergne, d'où sortent des soldats à la tête trop dure pour les boulets ordinaires. Si bien qu'on est obligé d'aller chercher du minerai de fer en Suède pour parvenir à la leur casser.
M. Pélisson but un troisième verre.
- Ouverte ou cachée, la guerre dure depuis 1618. Cela fait donc vingt-quatre ans qu'on se trouve à table, chose suffisante pour un siècle ou deux.
- Comme vous y allez ! Moi qui n'ai pas de mines de plomb ni de champs de truffes, j'ai besoin de combats pour vivre.
- Il restera le Turc.
- Je l'ai vaincu sur mer.
- Le protestant.
- Besogne de faquins.
- Bah ! Nous arrangerons cela. Connaissez-vous Urbain VIII ?
- Non.
- Il veut vous voir.
- Moi ?
- Vous.
- Que me dira-t-il ?
- Il vous remettra un traité de paix universelle, valable pour trois siècles et contresigné par les plus grands souverains d'Europe.
- Ce qui fait qu'il n'y aura plus de guerre jusqu'au milieu du XXe siècle.
- Terminé.
- Et dans trois siècles, on pourra recommencer.
- Peut-être.
- Je serai trop vieux, soupira d'Artagnan.
- Je vous ai dit qu'on s'occuperait de vous.
- Et que ferai-je de ce traité ?
- Vous le remettrez au cardinal de Richelieu, avec un message personnel.
- Et cela suffira ?
- Cela suffira.
  D'Artagnan demeura songeur. M. Pélisson de Pélissart lui tendit un verre de réconfort et s'approcha de son oreille.
 


Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 De_bat10




Mots-clés : #humour #jeunesse
par Aventin
le Lun 16 Déc - 17:11
 
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Sujet: Roger Nimier
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Éric Chevillard

L'Explosion de la tortue

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 L_expl10


C’est d’abord l’histoire de la piètre fin de Phoebe la tortue de Floride, « cette vie en dedans, cette vie de dos » ; puis la non-postérité de Louis-Constantin Novat, obscur écrivain mineur, s’entremêle à cette trame.
Métaphore filée jusqu’à l’absurde, c’est ensuite l’exercice de la pure digression (par exemple l’irrésistible épisode du bouchon)
« Or un bouchon qui bouche imparfaitement est un bouchon qui ne bouche pas du tout. »

C’est surtout une inventivité prodigieuse, qui fuse sans trêve, paraît inépuisable, à la limite du délire dans l’emphase burlesque ; mais dans cet humour se révèle un léger grincement qui raille bientôt l’expression convenue à la mode. Il y a quelque chose d’extrêmement actuel dans cette dérision, rappelant un peu la sourde culpabilité contemporaine (qui sera prouvé ultimement responsable, fut-ce par inadvertance ?)
Servie par une parfaite maîtrise de la langue, tout à fait contrôlée, idéalement au service du pince-sans-rire, c’est au final une mauvaise foi loufoque, aux frontières du cynisme et de la cruauté (des flashes dévoilent, comme dans un cauchemar, des aperçus inacceptables, tel petit Bab), qui éclate.
La tendance affichée par l’auteur de se substituer à Novat, typique plagiat, est bien dans l’air du temps littéraire ‒ tandis que le thème de l’écrivain méconnu est récurrent chez lui.
« Ne mangera plus jamais de betterave l'orphelin dont la mère s'étouffa avec la plante potagère et sous ses yeux mourut.
(Un jour pourtant, mais c'est une autre histoire encore, les dames de la cantine découvriront que cette maman se porte tout à fait bien et que l'enfant est un malin qui n'aime pas la betterave.)
(On peut le comprendre : à qui appartient cette main sanglante qui lâche dans notre assiette les dés du pire avenir ?) »

Eric Chevillard fait partie, avec Régis Jauffrey, un autre écrivain du succinct à profusion passé maître en humour noir, de ce qui compte dans ce qui s’écrit aujourd’hui d’original. (Et quelle est la part due par ces œuvres à l’esprit des bandes dessinées de notre adolescence ?)

Mots-clés : #absurde #humour
par Tristram
le Jeu 5 Déc - 23:11
 
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Sujet: Éric Chevillard
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Ryu MURAKAMI

69

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 41c2fq10


De Ryu Murakami j’ai aussi lu „seulement „69“ et comme déjà dit, cette oeuvre semble sortir de l’atmosphère des autres livres. C’est, au moins à Tokyo, le temps de la révolte, avec les Stones, Beatles et Compagnie, et chez le héros, le narrateur principale, le souci premier de finalement perdre sa virginité. Pour vue qu’on accepte que dans cette perspectif Ryu subordonne la révolution à la recherche d’une relation amoureuse, on trouvera un livre hilarante à souhait, avec des poules perdues et des infractions rocambolesques à l’école. Il semble que ce livre fut aussi un triomphe au Japon. Et même si je ne suis pas de la même génération, je me sentais rappelé aux temps d’une certaine jeunesse.


Mots-clés : #autobiographie #humour #jeunesse #xxesiecle
par tom léo
le Sam 30 Nov - 7:57
 
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Sujet: Ryu MURAKAMI
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Littérature et alpinisme

Trois curés en montagne

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Trois_10

Récit, ré-édité en 2012 par Hoëbeke, qui l'avait déjà ré-édité en 2004, première publication: 1950, éd. B. Arthaud.
165 pages environ.

Jean Sarenne est le pseudonyme du curé d'Huez en Oisans, Jean Zellweger (1915-1974).
Son pseudo est tiré du glacier de Sarenne, devenu aujourd'hui le théâtre lifté d'une...piste noire de la station de ski de l'Alpe d'Huez...O tempora...


________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Avant-propos a écrit:D'ordinaire l'alpiniste "pond" son livre sur la montagne quand il a pu le bourrer d'exploits qui le remplissent comme un œuf.
  Nous n'avons pas voulu faire de même, non par souci d'originalité, mais parce qu'en fait nos plus fortes émotions, nos plus beaux souvenirs, nos plus prestigieuses aventures restent attachés à notre premier contact avec la haute montagne.

  Que les gens d'expérience, qui seraient tentés de crier à la mystification, veulent bien se rappeler leurs débuts.
Ils deviendront indulgents.  


La découverte de l'alpinisme par de jeunes séminaristes autodidactes, à la fin des années 1930.
Il y règne un humour tendre, un humour de joie, antithétique au ricanement, le sourire fondant en rire qui ne fait pas mal, n'égratigne pas (le seul qui vaille ?), fondé sur beaucoup d'autodérision, ne se laissant jamais tout à fait aller au narquois; on pense (mais c'est facile, ils sont cités) à Tartarin sur les Alpes, d'Alphonse Daudet, et (beaucoup !) aux aquarelles de Samivel:

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 3 Samive10

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Ce Jean Sarenne a une très agréable plume, on sent, et c'est régal, qu'il ne se prend absolument pas au sérieux dans son rôle d'écrivain, qu'il est là pour faire passer un bon moment, dénué de la moindre prétention, à son lecteur.
On sourit d'attendrissement, un peu en pouffant "oh la la !" aux tribulations de nos séminaristes, qui ne sont d'ailleurs que deux sur un bon deux tiers de l'ouvrage.

Le dernier chapitre (dix ans après, en face nord des Drus) sonne un peu comme un addenda, chapitre de littérature alpine pas loin de l'excellence (on sent que l'auteur en connaît les codes, tiens, tiens !), qui ne déparerait pas publié dans l'une de ces revues aussi prestigieuses que confidentielles (suivez mon regard).
Mais, si ça se déguste volontiers ce type de trouvaille inespérée, c'est moins dans le ton, un peu déconnecté du reste du livre, une manière d'à-part.

On troublerait probablement la modestie de l'auteur en son repos en regrettant que ce livre-là soit sa seule parution, en ajoutant qu'il a l'œil et qu'il sait crayonner: je fus totalement embarqué par son regard doux, qu'il sait faire passer via sa plume agile, gracile même par instants, allant jusqu'à des accointances avec un burlesque un peu perdu aujourd'hui et qui faisait florès il y a un siècle, façon Pieds Nickelés ou Buster Keaton.



Chapitre 1, L'idée a écrit:Un piolet peut être très pratique. Dans les rues d'une ville, avec une soutane et le grand chapeau ecclésiastique, il peut aussi être très encombrant.


Chapitre 10, La piste a écrit:En face de nous jaillissaient en plein ciel les Bans, telle une incisive noire sur une incisive blanche. Ils étaient ce que nous avions imaginé. Par contre, le glacier était plus blanc et lumineux que prévu. Son aspect de crème fouettée nous faisait songer aux montagnes suisses; je ne sais pourquoi, car nous ne les avions pas encore vues. Il s'étirait à la base en une coulée grise semblable à une monstrueuse patte. Elle rappelait le mystère que le Corrège a peint sur les flancs de son Io.


Chapitre 9, La Gandolière a écrit: Un alpiniste a dit quelque part que dans un cas pareil le mieux est de s'occuper l'esprit avec une idée absorbante, celle de la femme aimée par exemple. La recette m'avait paru un remède de commère, injurieux et pour la dignité de l'élue assimilée aux narcotiques et pour la vigueur intellectuelle de celui qui voulait en user ainsi. Ne sachant plus comment soulager ma peine, je fus sur le point d'envier ceux qui pouvaient ainsi se droguer mentalement. Heureusement pour moi je me mis à avoir peur, ce qui me guérit de la monotonie et de ses tentations.


Chapitre 9, La Gandolière a écrit:Une large crevasse la longeait à la base.
"Ce doit être une rimaye", me dit Jo. Et il sourit comme pour s'excuser de l'emploi d'un terme aussi technique. Nous étions un peu confus et troublés, Il faut dire que les lèvres de la crevasse étaient un peu trop ouvertes pour notre ardeur de débutants. Elles semblaient avides, et découvraient de longues stalactites de glace semblables à des dents de requin...
 En vérité j'aurais préféré une moins belle rimaye, mais j'ignorais encore les délicates intentions de la Providence.
 Je regardais le col, quand il sembla descendre à notre rencontre. D'un seul coup, et partout à la fois, la neige qui le remplissait se mit à glisser vers nous. Cette fois je voyais l'avalanche...
  Exactement dans son axe, les pieds dans une masse gluante et profonde, il nous eût été difficile de fuir. La terreur nous paralysa. Bouche ouverte, et ahuris, nous ne pûmes que nous faire tout petits en regardant l'énorme bourrelet qui dévalait de la montagne. Ils ont dû connaître notre peur les malheureux qui, le pied pris dans un rail, voient arriver sur eux soufflant et crachant un lourd train de marchandises,car ce qu'il y avait d'effrayant dans la masse qui avançait, ce n'était pas sa vitesse - elle n'allait pas vite - c'était plutôt quelque chose de comparable à un bouillonnement interne. De puissantes bielles semblaient faire tournoyer la neige sur elle-même en une multitude de rouleaux s'écrasant les uns sur les autres, et le tout avait des allures d'une vague écumeuse courant sur la grève.    


Chapitre 12, Les bœufs rouges a écrit:- À la messe ?
 La pauvre fille en perdit la voix. Comment, nous avions fait les fous, nous avions ri, chanté, plaisanté, nous étions trois gaillards qui semblaient être de joyeux lurons, et nous parlions de bigoteries moyenâgeuses ! Elle ne comprenait plus.
Cette histoire de messe mettait en déroute toute sa psychologie pratique. Elle se mit à nous épier.
Finalement, n'y tenant plus, elle s'écria:
"Mais qui êtes-vous donc ?
- Des séminaristes, on vous l'a dit ce matin.
- Ah !" fit-elle.
  Puis, après un silence: "Et qu'est-ce au juste que des séminaristes ?"
 Le ton était dégagé, comme celui qu'on prend pour dire:
Mais quel est donc ce personnage bien connu, vous savez, celui qui...
"Des séminaristes, dis-je, ce sont des gens qui portent la soutane. Nous sommes trois curés, si vous aimez mieux, trois curés en montagne."
 L'incognito est toujours amusant. Mais on a quelquefois plaisir à le dévoiler. Un jour je fus pris par un clochard pour un de ses respectables confrères. Je revenais d'Oisans. La méprise était donc excusable. Notre conversation roula sur les curés, "ces salauds qui se nourrissent sur la sueur du peuple". Je sus parler du Grand Soir avec enthousiasme. Ce qui me valut plusieurs tapes dans le dos: "Toi t'es un pote, disait l'ami, viens boire un verre".
 Par hasard j'avais une carte de visite. Au moment des adieux je la donnais au bonhomme en guise de souvenir. Il parut surpris.
 Je crois que Simone le fut davantage. Elle devait être de celles qui touchent du bois au passage des robes noires.
   




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Mots-clés : #alpinisme #amitié #humour #sports #xxesiecle
par Aventin
le Ven 29 Nov - 19:34
 
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Sujet: Littérature et alpinisme
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Rutebeuf

Le premier béguinage du royaume fut institué à Paris par et sous la protection de Saint-Louis en 1264,  là nous avons une indication historique, le poème ci-dessous est à plutôt dater de la fin de la vie de Rutebeuf.

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Le Dit des Béguines

Spoiler:




Allez, assez bavassé, en avant pour un joli morceau satirique et drôle !

Li Diz des Béguines a écrit:

Des Béguines,


ou ci encoumence


LI DIZ DES BÉGUINES





En riens que Béguine die
N’entendeiz tuit se bien non ;
Tot est de religion
Quanque hon trueve en sa vie :

Sa parole est prophécie ;
S’ele rit, c’est compaignie ;
S’el’ pleure, dévocion ;
S’ele dort, ele est ravie ;
S’el’ songe, c’est vision ;
S’ele ment, non créeiz mie.

Se Béguine se marie,
S’est sa conversacions :
Ces veulz, sa prophécions
N’est pas à toute sa vie.
Cest an pleure et cest an prie,
Et cest an panrra baron.
Or est Marthe, or est Marie ;
Or se garde, or se marie,
Mais n’en dites se bien non :
Li Rois no sofferroit mie.


Explicit des Béguines.


Proposition de transcription:

Le dit des Béguines

En chaque chose qu'une Béguine dit
N'entendez rien sauf du bien:
Tout est conforme à la religion
Quoi qu'on puisse trouver dans sa vie.

Sa parole est prophétie;
Si elle rit, c'est convivial;
Si elle pleure, dévotion;
Si elle dort, elle est en extase;
Si elle songe, c'est vision;
Si elle ment, n'en croyez rien.

Si elle se marie,
C'est sa nouvelle conversion:
Ses vœux, sa profession de Foi
N'est pas édictée pour la vie.
Cette année elle pleure et cette année elle prie,
Et cette année elle prendra baron pour mari:
Elle est Marthe, elle est Marie,
Elle est chaste, elle se marie,
Mais n'en dites que du bien sinon:
Le Roi ne le souffrirait point.


En somme Rutebeuf reproche que les Béguines aient l'avantage d'une vie ecclésiale, et l'approbation des puissants, sans en connaître les inconvénients: j'ai failli cocher #Jalousie parmi les mots-clefs suggérés.
Il préfigure la décision d'interdiction qui les frappera au siècle suivant.

Lui qui ne connaît que la paille, la misère, les expédients doit trouver que le béguinage, c'est le comble du bien-être, du nantissement en sus d'une vie orans et laborans, qui est le nec plus ultra rêvé du temps...
D'où ce ton persiffleur, cette charge, ce coup de griffe destiné à écorcher.

On est loin du raffinement, de l'aboutissement formel extraordinaire de La griesche d'yver.
Cette prosodie est rendue acérée via le balancement très incisif des S..., quasiment sur les douze vers qui précèdent les deux Or...  proches des vers finaux.
Ces deux vers "Or..." marquent un ralentissement préparatif à la touche terminale du dernier vers, osée, et qui constituerait peut-être une indication de datation à mettre au conditionnel:
Ce serait sous le règne de Philippe III Le hardi et non de Saint-Louis que ce Dit des Béguines fut composé.

Mots-clés : #conditionfeminine #humour #moyenage #poésie
par Aventin
le Lun 11 Nov - 10:10
 
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Sujet: Rutebeuf
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