Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 23:35

207 résultats trouvés pour poesie

Jacques Réda

Ferveur de Borges

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Ferveu10

Recueil de textes où Réda glose sur l’œuvre de Borges, tant les poèmes que la prose où il exerce sa « perplexité métaphysique ». Ce déchiffrement perspicace permet de mieux approcher le sens de cette « conception totale et ambiguë de la littérature où lire ne se sépare pas d’écrire ».
« …] l’œuvre de Borges est caractérisée, à première vue, par la compilation, la falsification des sources, la préméditation dans l’équivoque, le calembour métaphysique et la mystification bibliographique. »

« Systématiquement appliquée, la technique de l’égarement transforme l’œuvre de Borges en cela même qu’elle explore et qu’elle commente : le monde énigmatique, le cheminement de l’esprit au sein de cet inépuisable labyrinthe et, au-delà encore, par un suprême effet de glaces, en ce reflet d’elle-même qu’à l’infini elle répercute. »

Aussi une belle évocation de « songerie déambulatoire » dans Paris et sa périphérie, entre flânerie et exploration, celle des « poètes rôdeurs » à l’affût de signaux du soir. Et des poèmes... borgésiens !

\Mots-clés : #essai #poésie
par Tristram
le Mar 8 Juin - 22:14
 
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Sujet: Jacques Réda
Réponses: 38
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Henri Michaux

À distance

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 A_dist10


Recueil posthume de poèmes qui n’avaient pas encore été réunis.
L’étang est un texte plus intelligible que la plupart des autres (c’est un de ses premiers textes), et marqué par la récurrence « Lui demeure ».
« De tout son poids il aspirait à la profondeur, il attendait que son trou plus dans le noir s’approfondisse, plus près du gros centre d’attraction de tous les étangs.
Il était assis dans un trou et il attendait.
On lui jetait des pierres et il les mangeait. »

Dans Portes donnant sur le feu :
« Souffrance qui survit à tout, comme un culte inepte, »
transmis incompris, »
auquel on reste soumis »

Désagrégation (in extenso) :
Désagrégation –
réagrégation
Flux des minuscules
Flux – reflux
Houle

Dans la nasse d’infinisation
d’indéfiniment recommencements
une veut paraître
lame qui revient, lame entre mille
lame qui revient, renoue, remue

Tout le bloc passe par le filtre de la poussière
la poussière en l’air
la poussière sans poids
traversée de t !
travers ! de tressaillements

les ondes traversent

une onde
sans cesse une onde

infatigable fatigue
qui tout desserre

dans d’évasif moutonnement au balcon des sillons

Paysages

toutes coutures décousues, défaites

Sillons en tous sens
sillons

des têtes semées dans des sillons
des physionomies
perdues visage dans les en jachères
Visages, herbes de l’esprit

dans le bassin du monde mille affluents

Début d’Univers des dessins :
Debout un poteau à deux jambes donc un homme
près d’un autre qui n’en a qu’une
et ronde tout à fait : Donc un arbre

Comme les arbres sont proches des hommes !
les hommes presque des arbres
à peu de chose près, comme tout est homme !


\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Lun 26 Avr - 12:29
 
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Sujet: Henri Michaux
Réponses: 60
Vues: 5801

Richard Brautigan

Il pleut en amour  

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Il_ple10

(Complément à la présentation circonstanciée de Jack-Hubert Bukowski.)
Florilège de poèmes minimalistes, souvent brefs, instantanés célébrant le dérisoire, évoquant Baudelaire, des amours, des corbeaux, l’ombre de la mort…
L’heure de l’éternité
« Les Chinois
lisent l’heure
dans les yeux
des chats »,
disait Baudelaire
en entrant dans
une bijouterie
de Market Street.
Il en ressortit
quelques moments
plus tard traînant
un chat siamois
de vingt et un carats
au bout d’une chaîne en or.

30 cents, deux tickets, amour
Je pensais à toi très fort
en montant dans le bus
j’en ai eu pour trente cents
et j’ai demandé deux tickets
      au conducteur
avant de réaliser que
j’étais tout seul.

La Lune contre nous ne recouchant jamais ensemble
Me voilà assis, le super vilain des histoires
d’amour,
je pense à toi. Mon Dieu, je suis désolé de
t’avoir
rendue malheureuse, mais il n’y avait rien à
faire
parce que j’ai besoin d’être libre.
Tout eût été différent peut-être
si tu étais restée à table ou si tu m’avais
demandé
de t’accompagner pour admirer la lune,
au lieu de te lever et de me laisser seul avec elle.

Telle une aiguille
Telle une aiguille
taillée dans le souffle d’un clown ivre
la mort coud l’ombre d’un (Impossible de
déchiffrer les deux mots qui suivent.
J’avais d’abord écrit ce poème à la main)
avec ton ombre à toi.


\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Dim 18 Avr - 14:03
 
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Sujet: Richard Brautigan
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Flâneries urbaines

De Léon-Paul Fargue, recueil Sous la lampe, 1929.

Juste magnifique et saisissant, langueur du rythme, traces de rimes, cicatrices d'assonances...
Allez fuse, poème, fuse...




La gare


À Arthur Fontaine



Gare de la douleur j’ai fait toutes tes routes.

Je ne peux plus aller, je ne peux plus partir.

J’ai traîné sous tes ciels, j’ai crié sous tes voûtes.

Je me tends vers le jour où j’en verrai sortir

Le masque sans regard qui roule à ma rencontre

Sur le crassier livide où je rampe vers lui,

Quand le convoi des jours qui brûle ses décombres

Crachera son repas d’ombres pour d’autres ombres

Dans l’étable de fer où rumine la nuit.



Ville de fiel, orgues brumeuses sous l’abside

Où les jouets divins s’entrouvrent pour nous voir,

Je n’entends plus gronder dans ton gouffre l’espoir

Que me soufflaient tes chœurs, que me traçaient tes signes,

À l’heure où les maisons s’allument pour le soir.



Ruche du miel amer où les hommes essaiment,

Port crevé de strideurs, noir de remorqueurs,

Dont la huée enfonce sa clef dans le cœur

Haïssable et hagard des ludions qui s’aiment,

Torpilleur de la chair contre les vieux mirages

Dont la salve défait et refait les visages,

Sombre école du soir où la classe rapporte

L’erreur de s’embrasser, l’erreur de se quitter,

Il y a bien longtemps que je sais écouter

Ton écluse qui souffre à deux pas de ma porte.



Je suis venu chez toi du temps de ma jeunesse.

Je me souviens du cœur, je me souviens du jour

Où j'ai quitté sans bruit pour surprendre l'amour

Mes parents qui lisaient, la lampe, la tendresse

Et ce vieux logement que je verrai toujours.

Sur l'atlas enfumé, sur la courbe vitreuse,

J'ai guidé mon fanal au milieu de mes frères.

Les ombres commençaient le halage nocturne.



Le mètre, le ruban filaient dans leur poterne

Les hommes s'enroulaient autour d'un dévidoir

La boutique, l’enclume à l’oreille cassée,

La forge qui respire une dernière prise,

La terrasse qui sent le sable et la liqueur

Rougissaient par degré sur le livre d’images

Et gagnaient lentement leur place dans l’église.

Un tramway secouait en frôlant les feuillages

Son harnais de sommeil dans les flaques des rues.



L’hippocampe roulait sa barque et sa lanterne

Sur les pièges du fer et sur les clefs perdues.

Il y avait un mur assommé de traverses

Avec un bec de gaz tout taché de rousseur

Où fusait tristement les insectes des arbres

Sous le regard absent des éclairs de chaleur.



L’odeur d’un quartier sombre où se fondent les graisses

Envoyait gauchement ses corbeaux sur le ciel.

Une lampe filait dans l’étude du soir.

Une cour bruissait dans son gâteau de miel.

Une vitre battait comme un petit cahier

Contre le tableau noir où la main du vieux maître

Posait et retirait doucement les étoiles.

Les femmes s’élançaient comme des araignées

Quand un passant marchait sur le bord de leur toile.

Les grands fonds soucieux bourbillaient de plongeurs

Que le masque futur cherchait comme il me cherche

Le présage secret qui chasse sur les hommes

Nageait d’un peu plus près sur ma tête baissée.



Je me suis retrouvé sous la terrasse des vitres

Dans les plants ruisselants, les massifs des visages

Scellés du nom, de l’âge et du secret du coffre,

Du nécessaire d’os et du compas de chair,

En face du tunnel où se cache la fée

De l’aube, qui demain vendra ses madeleines

Sur un quai somnolent tout mouillé de rosée

Dans le bruit du tambour, dans le bruit de la mer.



J’ai longé tout un soir tes grands trains méditants,

Triangles vigilants, braises, bielles couplées,

Sifflets doux, percement lointain des courtilières

Cagoules qui clignez bassement par vos fentes,

Avec deux passants noirs penchés sur la rambarde

Au–dessus du fournil du pont de la Chapelle

Où le guerrier déchu qui mène les hommes

Encrasse son panache avec un bruit de chaînes,

Et le grand disque vert de la rue de Jessaint,



Gare de ma jeunesse et de ma solitude

Que l’orage parfois saluait longuement,

J’aurai longtemps connu tes regards et tes rampes,

Tes bâillements trempés, tes cris froids, tes attentes,

J’ai suivi tes passants, j’ai doublé tes départs,

Debout contre un pilier j’en aurai pris ma part

Au moment de buter au heurtoir de l’impasse,

À l’heure qu’il faudra renverser la vapeur

Et que j’embrasserai sur sa bouche carrée

Le masque ardent et dur qui prendra mon empreinte

Dans le long cri d’adieu de tes portes fermées




\Mots-clés : #poésie #urbanité #xxesiecle
par Aventin
le Dim 18 Avr - 6:52
 
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Sujet: Flâneries urbaines
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Léon-Paul Fargue

Merci Tristram  Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 1304972969  !

Poète sensible ce Léon-Paul, amateur de jeux de mots, buveur, oiseau de nuit parisien et épris de sa ville...
Colette a, paraît-il, prétendu: Je ne l'aurais peut-être pas reconnu, si je l'avais rencontré au clair de jour.

Il signe une poésie à l'âcre légèreté, ou à l'insouciance pesante, comme dans ce magnifique extrait (qui ouvre le recueil Espaces Vulturnes - Épaisseurs, 1928) en pleine hype surréaliste et pourtant complètement engagé sur une voie différente.

C'est un poème sonore et imagé, avec son premier vers introductif de l'espace (la ville), poème énonçant la condition existentielle du poète Fargue, lequel doit certainement être l'homme à l'encre sympathique, poème qui donne la mission assignée: être l'œil quêteur de ces va-et-vient urbains.



La ville ouvre ses compas
Ses couleurs, ses tire-lignes.
Sur les grèves étagères
L'homme à l'encre sympathique
Contemple avec méfiance
Les signes de son bonheur.
Hachures de chair qui dansent
Aux confins de la rumeur,
Cette allure verticale,
Ce saut interrogateur
Dans les rues qui se démaillent
Piétinées par les troupeaux
Que faisande le menteur


\Mots-clés : #poésie #urbanité #xxesiecle
par Aventin
le Dim 18 Avr - 6:31
 
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Sujet: Léon-Paul Fargue
Réponses: 13
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Michel Leiris

Langage Tangage ou ce que les mots me disent

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Langag10

Le livre débute, en guise de « supplément » à son Glossaire j'y serre mes gloses, par Souple mantique et simples tics de glotte, un recueil sous forme de lexique de jeux de mots sur leurs sonorités et des associations analogiques.
« hétéroclite (quel étrange cliquetis de choses et autres cette épithète étiquette !). »

« marginal – allergique à la mare où l'on nage en majorité. »

« miroir – roi de la rime. »

Suit une sorte d’essai commençant sur le même ton, le fond dicté par la forme (ou l'inverse), auto-démonstration de son procédé de composition de paraphrases par calembour et allitération, les mots suscités par d’autres avec transformation sémantique et musique lyrique, écriture « chargée d'harmoniques et comme animée d'un indéfinissable vibrato... »
Ce sont en quelque sorte les ultimes paroles anticipées de Leiris, sa dernière volonté de brûler ses livres, renier le (vain) refuge de l’écriture, ce qui fut le fondement de toute son existence, afin d’éviter de vivre et la mort, ainsi que tout engagement.
« Brûler mes livres : me punir par où j'aurai péché et détruire le corps du délit. Péché dont il n'y a pas à chercher à déterminer si excès ou défaut le caractérise, car il est péché pour ainsi dire originel : m'être depuis ma jeunesse acharné à rédiger des livres au lieu de m'attacher franchement à ce qu'il m'était donné de vivre. »

Leiris s’interroge et s’étudie, tente sans cesse de se justifier et de rationaliser son rapport à la littérature.
« Déçu, désarçonné mais dévoré par le désir de dire, comme si dire les choses était les diriger, disons du moins : les dominer. Dur ou doux, ce qui se doit avant tout, c'est dire différent : décalé, décanté, distant. D'où – que l'on n'en doute pas – mon langage d'ici, où les jeux phoniques ont pour rôle essentiel – eau, sel, sang, ciel – non d'ajouter à la teneur du texte une forme inédite de tralala allègre ou tradéridéra déridant, mais d'introduire – doping pour moi et cloche d'éveil pour l'autre – une dissonance détournant le discours de son cours qui, trop liquide et trop droit dessiné, ne serait qu'un délayeur ou défibreur d'idées. Curieusement donc, chercher du côté du non-sens ce dont j'ai besoin pour rendre plus sensible le sens, pratique point tellement éloignée – à bien y réfléchir – de ce procédé classique la rime, qui joue sa musique mais le plus souvent ne rime à rien sémantiquement parlant. »

Suivant ce staccato de consonnes dentales, une superbe variation sur l’inexprimable :
« …] "indéfinissable" (alias déphasé, déclassé, ainsi qu'un dé dans l'infini des sables), terme aussi flou que ces deux autres qu'on croirait ouverts sur des profondeurs quand, indices d'incontestable infirmité, ils ne sont qu'aveux d'une incapacité catégorique de formuler : "indicible" et "ineffable" [… »

Leiris revient sur la méthode appliquée dans son « intermittent et interminable glossaire » pour explorer le langage et la langue − protocole d’invention poétique de gloses qu’en fait il prolonge et remet en pratique :
« …] chacun de ces textes (à peine dignes de ce nom tant ils étaient concis) apparaissait, non comme le fruit de mon caprice mais comme déterminé par le contenu phonétique et la structure formelle du mot ainsi analysé, mot en quelque sorte déplié, façon fleur japonaise, comme pour l'expliciter et mettre en évidence ce qu'il suggère non seulement tel qu'on l'entend mais tel que les yeux le voient [… »

« …] − comme dans une mélodie une note paraît appeler une autre note ou quelques autres – un mot en appellerait un autre, l'arbitraire des signes cédant place en apparence à un système cohérent [… »

Leiris commente longuement la place essentielle de cette manière de dictionnaire surréaliste, onirique et divinatoire dans sa vie et sa pensée, rite en rapport avec la mort, devenu jeu, voire tic ; au cours de cette analyse il évoque notamment Mallarmé, Rimbaud et (son ami) Desnos, Raymond Roussel, Joyce, mais aussi Shakespeare et Verdi.
À propos de la dualité fond et forme, Leiris ajoute cette belle image au débat :
« …] le contenant était autant ce qui détermine le contenu que ce qui, par décret du sort dirait-on, le revêt [… »

Je suis resté trop longtemps loin de l’œuvre de Leiris, au point d’avoir presque oublié quel styliste fondamental il demeure.
Les amateurs de poésie sont fort heureusement nombreux sur le forum, et je les engage à découvrir cet auteur (qui rappelle Ponge et, évidemment, les surréalistes) si ce n’est déjà fait !

\Mots-clés : #autobiographie #creationartistique #ecriture #essai #poésie
par Tristram
le Ven 9 Avr - 13:59
 
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Sujet: Michel Leiris
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Federico Garcia Lorca

Toujours dans le Romancero gitano:

4ème et dernière partie de Preciosa y el aire a écrit:Preciosa, llena de miedo,
entra en la casa que tiene,
más arriba de los pinos,
el cónsul de los ingleses.

Asustados por los gritos
tres carabineros vienen,
sus negras capas ceñidas
y los gorros en las sienes.

El inglés da a la gitana
un vaso de tibia leche,
y una copa de ginebra
que Preciosa no se bebe.

Y mientras cuenta, llorando,
su aventura a aquella gente,
en las tejas de pizarra
el viento, furioso, muerde.


(traduction proposée, celle de Line Amselem, in Complaintes Gitanes, édition bilingue, publiées chez Allia - 2017)

Preciosa, pleine de peur, entre
dans la demeure que possède
Monsieur le consul des Anglais,
bien au-dessus de la pinède.

Saisis de frayeur à ces cris
trois carabiniers viennent voir,
les bonnets vissés sur la tête,
entourés dans leur capes noires.

L’Anglais propose dans un verre
du lait tiède pour Preciosa,
et une coupe de genièvre
que la Gitane ne boit pas.

Pendant qu’en pleurant elle explique
sa mésaventure à ces gens,
on sent dans les tuiles d’Ardoise
le vent qui mord furieusement.


Entrer dans la demeure du consul comme accomplir un destin d'élévation, mais qu'on pressent tragique.
La borne à la frayeur et aux cris n'en est pas une, ce sont ces inquiétants carabiniers, encapés de noir, comme de mauvais augure, jamais ou si peu souvent du côté des gitans.
Pas loin de penser à une connotation érotique dans la boisson proposée par le consul anglais et que refuse Preciosa.
Jolie correspondance entre les pleurs de Preciosa et le vent qui mord furieusement.


Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Sam 20 Fév - 7:05
 
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Sujet: Federico Garcia Lorca
Réponses: 33
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Henri Michaux

Moments ; traversées du temps

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Moment10

La thématique évoquée dans le titre court dans tout le recueil sans être systématiquement l’objet des onze textes qui le composent.
Ces vers se suivent dans une apparence décousue, notes que Michaux semble s’être astreint à inscrire au seuil de songes plus ou moins artificiels.

« Oblique / leur ombre longue / traversant les rues sans passants / dans l'espace désert / telle une jetée insensée s'avance / »

« il naît
il naît des commencements
trop
trop
trop vite qui se répètent
et incessamment répètent que je répète que « ça se répète »
et que je répète que je répète que je répète que « ça se répète »
écho de l'écho de l'écho jamais éteint »

« je suis fleuve dans le fleuve qui passe »

Une belle relecture pour ma part !

\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Sam 30 Jan - 14:39
 
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Sujet: Henri Michaux
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Jean de La Croix (Juan de La Cruz)

Son poème le plus connu, peut-être, En una noche oscura (del alma), Dans une nuit obscure (de l'âme).
Date d'écriture probable: autour de son évasion (15 août 1578), avec des vers composés sans être encore couchés sur le papier, dans le cachot de Tolède.

Le poème initial s'arrêtait aux quatre premières strophes. La suite sera effectuée en trois ajouts distincts. En fait, ne peut-on dire qu'ils correspondent à des phases ultérieures de la vie de Jean de La Croix ?
En tous cas, la nuit aux quatre premières strophes, et l'amour aux quatre dernières...
La nuit, autrement dit l'obscur, le ténébreux peints dans le poème précédent (dont l'élément était l'eau) devient à son tour élément.
À noter qu'il s'agit encore d'une "Cancion".


En una noche oscura

En una noche oscura,
con ansias en amores inflamada,
¡oh dichosa ventura!,
salí sin ser notada,
estando ya mi casa sosegada.


A escuras y segura,
por la secreta escala, disfrazada,
¡oh dichosa ventura!,
a escuras y en celada,
estando ya mi casa sosegada.


En la noche dichosa,
en secreto, que nadie me veía,
ni yo miraba cosa,
sin otra luz y guía
sino la que en el corazón ardía.


Aquesta me guïaba,
más cierto que la luz del mediodía,
donde me esperaba
quien yo bien me sabía
en parte donde nadie parecía.


¡Oh noche que guiaste!,
¡Oh noche amable más que la alborada!,
¡Oh noche que juntaste
Amado con amada,
Amada en el Amado transformada!


En mi pecho florido,
que entero para él sólo se guardaba,
allí quedó dormido,
y yo le regalaba,
y el ventalle de cedros aire daba.


El aire de la almena,
cuando yo sus cabellos esparcía,
con su mano serena
en mi cuello hería
y todos mis sentidos suspendía.


Quedéme y olvidéme,
el rostro recliné sobre el Amado,
cesó todo y dejeme,
dejando mi cuidado
entre las azucenas olvidado.


Ce sont des strophes dites "en lyre" en poésie espagnole, composées de cinq vers, vers heptamètres ou de dix pieds, croisées-alternées de façon rigoureuse. On voit, après un échantillon basique de quelques poèmes, que Jean de La Croix n'est pas le poète d'un seul style, tout au contraire il utilise les différentes possibilités communes à sa langue, à son temps et à son lieu, avec un égal bonheur allié à la maestria de celui qui possède son art, au gré de ce qu'il souhaite mettre en œuvre.

Les rimes s'achèvent par la lettre "a", sauf partiellement en strophes 5 et 6, et pas du tout en dernière strophe; on remarque la totale symétrie des quatre premières strophes, celles qui composaient le poème en première mouture:
Strophes 1 et 2: -ura, -ada, -ura, -ada, -ada. Strophes 3 et 4 - ía, aba,  ía, aba, aba. Strophe 5 -aste, aba, -aste, -aba, -aba. Le -aba se retrouve en strophe 6; -ido, -aba, -ido, -aba, -aba. Strophe 7 -ena, -Ia,  -ena, -ia, -ia. Dernière strophe, -eme, -ido, -eme, -ido, -ido.

Comme tous ne sont peut-être pas au fait des bases de la prononciation en espagnol, rappelons que chaque lettre se prononce, (donc le "i" est détaché du "a" dans "ia"), et que l'accent tonique est situé sur l'avant-dernière syllabe en traînant sur la voyelle de celle-ci, sauf indication contraire, donnée par un accent aigu sur la -ou une des- voyelle(s) de la syllabe en question, comme par exemple dans "También" ou "corazón", ou "guía", qui du coup rime bel et bien avec "veía" en strophe 3, même chose pour "esparcía", "hería" et "suspendía" dans l'avant-dernière strophe.  

Un petit exemple de l'envergure des allitérations, à présent:
Rien moins que onze "s" durs dans la première strophe, et treize dans la seconde !
Ces "s" soulignent la tortueuse et discrète évasion nocturne, telle cette note musicale aigüe mais sourde que les réalisateurs croient bon de placer dans les films à suspense avant une scène d'action, ou encore telle la reptation d'un serpent, cette façon de se faufiler est, d'ailleurs, suggérée par le graphisme de la lettre. L'emploi de quelques "t" accentue encore l'effet, pour une diction qu'on devine très susurrée (plutôt que déclamée - en tous cas est-ce là un point d'interprétation auquel je conclus).

Quelques répétitions, parfois anaphoriques, viennent aussi renforcer les allitérations, exemple:
En una noche oscura,
con ansias en amores inflamada,
¡Oh dichosa ventura!,
salí sin ser notada,
estando ya mi casa sosegada

a escuras y segura,
por la secreta escala disfrazada,
¡Oh dichosa ventura!
a escuras y en celada,
estando ya mi casa sosegada;

en la noche dichosa,
en secreto, que nadie me veía,
ni yo miraba cosa,
sin otra luz y guía
sino la que en el corazón ardía.

Ou bien aussi, en manière de procédé répétitif/allitératif, à chantonner sur les cahots poudreux en compagnie de son âne:
Amado con Amada,
Amada en el Amado transformada!




La symbolique en général est exceptionnelle, mettons en avant celles contenues dans des formules aujourd'hui encore fraîches et mystérieuses, comme "En mi pecho florido" (sur mon sein fleuri), El aire del almena (l'air -ou la brise- du créneau) il s'agit de deux vers sont placés bien en évidence, en tête de strophes. Mais les fins de strophes aussi ont leurs charges de symboles, prenons "y el ventalle de cedros aire daba" (l'air était agité par l'éventail des cèdres), ou encore:
"dejando mi cuidado
entre las azucenas olvidado".
(abandonnant mon souci
oublié parmi les lys.)

Vous trouverez via "vidéos" sur votre moteur de recherches web une ribambelle de versions de ce poème -c'est, sans doute, la rançon du succès pour un des poèmes les plus connus de la littérature espagnole- versions parfois déclamées, parfois chantées, parfois mises en musique, parfois pas. Mon goût me porte plutôt -on peut bien sûr en discuter- vers une diction ou un chant susurré pour les deux premières strophes, j'ai indiqué pourquoi, et surtout vers les voix féminines, que la version soit chantée ou déclamée.

Une curiosité:
A part en rattachant "del alma" à "En una noche oscura", ce qui est fréquemment fait, ou bien en modifiant le titre en: "La noche oscura del alma", ce qui est encore plus souvent effectué, on ne voit pas une seule fois le mot "alma", qui signifie âme, dans ce poème, Jean de La Croix ne l'emploie pas.
Et l'on pourrait parfaitement effectuer une lecture très premier degré de ce poème, en songeant à une femme sortant, de nuit, rejoindre en douce son amant...

Est-ce, par exemple, à rapprocher du fait qu'il n'emploie pas les termes "spiritualité" ou "mystique" dans aucun de ses ouvrages ?
Pas si sûr.

Mais, pourtant, direz-vous, il s'agit bien de l'âme.
Je formule cette hypothèse: en ne la nommant pas, du moins était-il possible de ne pas encourir grand chose, la prudence était plus de mise que la provocation pour l'évadé du cachot de Tolède (où il pétrira ces vers, du moins les premières strophes, tout comme ceux du poème posté juste avant sur ce fil).  

En dépit de cela, une fois de plus Jean de La Croix est très audacieux:
El alma, l'âme, est masculin en espagnol. Or, ici, il la rend féminine, en utilisant un "je" ("yo"), toujours accordé au féminin, dans la trajectoire pour rejoindre l'"époux" plutôt que de se servir du mot "alma", procédé incroyable, qui ne nous saute peut-être pas aux yeux à nous lecteurs francophones (puisqu'on dit "une âme" en français) !

A noter l'unique césure employée lors des quatre premières strophes, sur le vers de dix pieds "en secreto, que nadie me veía," (2ème vers de la 3ème strophe) son utilisation n'est pourtant pas de prime importance à la diction, pourquoi vouloir "marquer" ce vers ? Je suis enclin à considérer qu'il s'agit de souligner le furtif, le côté dérobé, en mettant en relief "en secreto".

Que nous dit-il de l’âme, ce poème ?
L’amante - l’âme, (de façon hypothétique, l’humanité, je n'ose extrapoler jusque là ?), s’esquive hors de sa maison (de sa demeure pour utiliser un terme thérésien), à la recherche de son bien-aimé (les quatre premières strophes) ; guidée par un seul rai de lumière, ténu, elle trouve enfin dans la rencontre le repos de l’amour (les quatre dernières). Au cœur de la nuit, la lumière mène à l’amour qui mène à un état extatique où l'on pressent un infini de paix.

L’aventure nocturne de l’emprisonnement physique de son corps, et indicible de son âme, font place à l’expérience amoureuse: je trouve beaucoup de volupté réellement sensuelle dans la seconde partie du poème. La rencontre, en s'extirpant de la nuit, est une expérience amoureuse du divin:
Encore une fois, l'élément de ce poème-ci est la grande nuit cosmique, celle qui enveloppe l'univers entier, par définition infini - exfiltré de cette nuit se vit l'union "lumineuse".

Avant d’avoir atteint la précieuse union divine, elle ne faisait pas sens, elle était plongée dans l’ombre, quels référents bibliques mettre en exergue ?
J'ai un peu farfouillé (très sommairement) et n'ai pas trouvé grand chose, accréditant l'idée suivant laquelle Jean de La Croix faisait vraiment du neuf.

A vrai dire, je suis dubitatif envers presque toutes mes trouvailles, à l'exception d'une seule.
Ancien Testament, au tout début de celui-ci: Genèse (1,2 et 1,3) nous dit qu'avant que le Seigneur dise "que la lumière soit !" (le célèbre "Fiat lux !") le monde "était plongé dans les ténèbres".
Certes, mais bon, non, ça n'est pas satisfaisant !

Du moins pas si on considère la cinquième strophe, car la nuit est aussi bénéfique - disons qu'elle a aussi ses bénédictions.
Je pense à la Veilleuse du Saint-Sacrement.
Vous savez, cette petite lampe signalant dans une église où se situe le tabernacle renfermant les hosties consacrées. Quelques passages magnifiques dans Bosco...
Et, en tout premier lieu, au Cantique des Cantiques, un des textes les plus prodigieusement mystiques de l'Ancien Testament, peut-être surtout
Voici mon bien-aimé qui vient !
il escalade les montagnes,
il franchit les collines,
il accourt comme la gazelle,
comme le petit d’une biche.

Le voici qui se tient derrière notre mur ;
il regarde par la fenêtre,
il guette à travers le treillage.

Mon bien-aimé a parlé ;
il m’a dit : « Lève-toi, mon amie,
viens, ma toute belle.

Ma colombe, blottie dans le rocher,
cachée dans la falaise,
montre-moi ton visage,
fais-moi entendre ta voix ;
car ta voix est douce,
et ton visage est beau. »

Mon bien-aimé est à moi,
et moi je suis à lui.

Il m’a dit :
« Que mon nom soit gravé dans ton cœur,
qu’il soit marqué sur ton bras. »
Car l’amour est fort comme la mort,
la passion est implacable comme l’abîme.
Ses flammes sont des flammes brûlantes,
c’est un feu divin !

Les torrents ne peuvent éteindre l’amour,
les fleuves ne l’emporteront pas.


Dans un autre texte, notoire, que peut-être l'on postera et/ou commentera sur ce fil, "Subida del Monte Carmelo" (Montée au Mont-Carmel), Jean de la Croix propose à l’âme d’ "arriver à la divine lumière de l’union parfaite avec Dieu par amour, autant qu’elle est possible en cette vie."
Voilà qui est éclairant, si j'ose écrire  honte , sur "En la noche oscura".

Mais l'art poétique de Jean de La Croix ne puise ni beaucoup, ni qu'aux référents de l'Art Sacré dans ce poème.
Ici comme dans d'autres textes, il oscille entre arts profane et sacré, et j'ai tenté plus haut d'étayer la conviction qu'en matière d'art sacré, il ne fait pas du neuf avec du vieux, mais pour ainsi dire que du neuf. Ce n'est pas le moindre de ses charmes, et est peut-être une clef d'explication au fait que la vogue de son art poétique ne se soit pas encore ralentie !

La forme de ses poèmes est, au reste, profane, et (j'ai essayé de commencer à montrer pourquoi) il posait quelques bornes à un art purement sacré, s'il y a une raison à chercher, ce qui n'est pas sûr !

Et puis, comment oublier qu'il fut l'ado de Medina, l'étudiant de Salamanque (à l'époque où les autorités firent interdire la guitare et les chants en Romance...), et à ce titre Juan de La Cruz a tous les airs en vogue alors dans la tête, même ceux qu'il vaut mieux ne pas fredonner en public !
Au reste, des témoignages de Carmélites de son temps nous disent qu'il cheminait à pied, toujours chantant, et pas que des airs sacrés, loin de là.
La critique et les biographes citent généralement comme poètes référents, auprès desquels Jean de La Croix a pu puiser, Boscàn et Garcilaso. Mais il faudrait recenser l'ensemble des airs populaires de ce temps et de ce lieu, ce qu'on entendait dans les auberges, les refrains qui passaient sur les lèvres des muletiers, ce qu'on entonnait à plusieurs sur un marché, sur un coin de place de village...


Traduction:

Dans une nuit obscure

Dans une nuit obscure,
brûlante d’amour anxieux,
oh, L’heureuse fortune !
je sortis sans être remarquée,
alors que ma maison était déjà paisible.

Dans le noir et assurée,
par l'échelle secrète, déguisée,
oh, L’heureuse fortune !
dans le noir et en cachette,
alors que ma maison était déjà paisible.

Dans la nuit bienheureuse,
en secret, car nul ne me voyait,
moi, je ne regardais rien non plus,
sans autre guide ni lumière,
que celle qui dans le cœur brûlait.

Elle me conduisait
plus sûrement que la lumière de midi
là-bas on m'attendait
un que je savais bien,
en un pays où nul ne paraissait.

Ô nuit qui conduisis,
ô nuit aimable plus que l'aube,
ô nuit qui réunis,
l'Aimé avec l'Aimée,
l'Aimée en Aimé transformée !

Sur mon sein fleuri,
que je gardais tout entier pour lui seul,
là il s'est endormi,
moi je le caressais,
l'air était agité par l'éventail des cèdres.

La brise du créneau,
lorsqu'avec ses cheveux je jouais,
de sa main sereine au cou me blessait
et suspendait tous mes sens.

Je demeurais et m'oubliai,
je posais sur l'Aimé mon visage,
tout cessa, je m'abandonnai,
abandonnant mon souci
oublié parmi les lys.



Bien que l'on trouve un nombre assez élevé de traductions sur la Toile, je préfère vous copier celle-ci d'un livre, et que je n'ai pas rencontrée sur le net, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'y est pas !
Je ne sais même pas avec certitude qui la signe, par déduction au vu du bouquin je l'estime ancienne, le plus vraisemblable est qu'elle provient du Père Cyprien (alias Cyprien de la Nativité, 1605–1680, considéré comme le probable premier traducteur de Jean de La Croix en français).
Elle offre comme avantages d'être assez littérale, et élégante dans les choix de mots, qui, s'ils n'ont pas pour ambition de restituer toute la musicalité couplée à la rigueur du bâti du poème de Jean, sonnent agréablement en langue française.
Pour avoir tenté de rendre ce qu'il y a de plus essentiel dans l'impossible travail de traduction de poésie, on ne tiendra certes pas rigueur du "rendu", de la forme: absence de rimes, ponctuation modifiée, nombre de pieds négligés, allitérations toutes passées à la trappe - d'autres traductions privilégient plutôt un ou plusieurs de ces aspects formels.

\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mar 22 Déc - 19:35
 
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Sujet: Jean de La Croix (Juan de La Cruz)
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Jean de La Croix (Juan de La Cruz)

Un autre poème à un seul élément - cette fois-ci, c'est l'air.
On peut le lire comme le renversement de la proposition du prédateur (= du nobiliaire, du moins le conçois-je ainsi) et cela procède d'une certaine logique disons, d'analogies, puisque la fauconnerie a inspiré maint texte médiéval, cependant c'est osé, là, un sens mystique est donné au symbole profane, mais inversé !

C'est plus qu'audacieux en termes d'allégorie, puisque Dieu est la proie, et le faucon, Juan lui-même.
Une ivresse de détenu, conquête céleste et règne aérien.

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Faucon10

Tras de un amoroso lance

Tras de un amoroso lance

y no de esperanza falto
volé tan alto tan alto
que le di a la caza alcance.

Para que yo alcance diese
a aqueste lance divino
tanto volar me convino
que de vista me perdiese
y con todo en este trance
en el vuelo quedé falto
mas el amor fue tan alto
que le di a la caza alcance.

Cuanto más alto llegaba
de este lance tan subido
tanto más bajo y rendido
y abatido me hallaba
dije: "No habrá quien alcance".
Abatíme tanto tanto
que fui tan alto tan alto
que le di a la caza alcance.

Por una extraña manera
mil vuelos pasé de un vuelo
porque esperanza del cielo
tanto alcanza cuanto espera
esperé solo este lance
y en esperar no fui falto
pues fui tan alto tan alto,
que le di a la caza alcance.




Traduction:

Pressé d'un élan amoureux

Pressé d'un élan amoureux
Et d'espérance sans défaut,
Je m'envolai si haut, si haut,
Qu'en ma proie, je fus victorieux.


En tel élan, pour que je puisse
Atteindre cet amour divin,
Il fallut qu'en mon vol, j'en vins
À ce que de vue, me perdisse ;
Et cependant, à cette crête,
En cours de vol, je fis défaut :
Mais l’amour s’en alla si haut
Que de ma proie, fis la conquête.



Alors que plus haut je montais,
Ma vue en restait éblouie,
Et la plus forte des saisies
Dans l’obscurité se faisait ;
Comme d’amour allait la quête
Aveugle, je fis l'obscur saut :
Et je volai si haut, si haut,
Que de ma proie, fis la conquête.



Alors qu'au plus haut j'arrivais
Dans cette quête si indue,
Qu'au plus bas et entier rendu,
Abattu, je me retrouvais.
Je dis : inutile requête !
Et je m’abattis, holà oh !
Que je volai si haut, si haut,
Que de ma proie, fis la conquête.



De façon extraordinaire,
En un vol, j’en fis plus de mil,
Car du ciel, l’espérance habile
Acquiert tout autant qu’elle espère ;
Espérer cette seule quête,
Et je l'espérai sans défaut :
Puisque j'allai si haut, si haut,
Que de ma proie, fis la conquête.


\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Dim 20 Déc - 6:27
 
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Sujet: Jean de La Croix (Juan de La Cruz)
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Jean de La Croix (Juan de La Cruz)

Un de mes poèmes préférés de Jean de La Croix, à présent. Il s'agit de "Qué bien sé yo la fonte", daté de 1578.
Après le feu et l'air, un seul élément, à nouveau, cette fois-ci c'est l'eau.

Veuillez me pardonner pour l'adjonction de numéros au début des strophes, c'est uniquement pour faciliter la référence en commentaire:

Qué bien sé yo la fonte...

Qué bien sé yo la fonte que mana y corre,
aunque es de noche.


1. Aquella eterna fonte está ascondida,
qué bien sé yo do tiene su manida,
aunque es de noche.

2. Su origen no lo sé, pues no le tiene,
mas sé que todo origen della viene,
aunque es de noche.

3. Sé que no puede ser cosa tan bella,
y que cielos y tierra beben della,
aunque es de noche.

4. Bien sé que suelo en ella no se halla,
y que ninguno puede vadealla,
aunque es de noche.

5. Su claridad nunca es escurecida,
y sé que toda luz de ella es venida,
aunque es de noche.

6. Sé ser tan caudalosos sus corrientes.
que infiernos, cielos riegan y las gentes,
aunque es de noche.

7. El corriente que nace de esta fuente
bien sé que es tan capaz y omnipotente,
aunque es de noche.

8. El corriente que de estas dos procede
sé que ninguna de ellas le precede,
aunque es de noche.

9. Aquesta eterna fonte está escondida
en este vivo pan por darnos vida,
aunque es de noche.

10. Aquí se está llamando a las criaturas,
y de aquesta agua se hartan, aunque a oscuras
porque es de noche.

11. Aquesta viva fuente que deseo,
en este pan de vida yo la veo,
aunque es de noche.


Vous trouverez, notamment sur la Toile, des traductions en castillan (espagnol) contemporain, certes l'évolution est légère, mais la phonétique est de prime importance à ce qu'il me semble, surtout dans un poème si concis, si musical, si calibré/soupesé.

Les voici:
Le texte original (Romance) donne "escurecida" alors que vous trouverez souvent "oscurecida" (strophe 5), la contraction "della" alors que vous trouverez "de ella" (strophes 2 et 3), "fonte" au lieu de "fuente" (titre, strophe 1 et 9).
Fonte (fontaine en français, font en oc) il faut absolument le garder, le terme a d'autant plus d'importance que le texte d'origine indique..."fuente" dans les strophes 9 et 11 !!  
Même emploi du Romance "ascondida" (strophe 1), castillanisé selon les versions en "escondida", mais Jean de La Croix utilise "escondida" en cette strophe 9 décidément irrémédiablement castillane (je cherche encore le sens que cela fait, mais ce n'est pas là par hasard) !!

"El corriente" au lieu de "La corriente" (strophes 7 et 8 ), ce qui induit l'accord "caudalosos" au lieu de "caudalosas" (se rapportant à "corrientes") strophe 6.
"aquesta" mis pour "questa" strophe 10, ce qui souligne son ré-emploi à correspondance évidente en tête de strophe 11.

On remarque:
- Les deux premiers vers de chaque strophe sont de onze syllabes, c'est le vers dit "italien" classique.

- La forme est proche de la Séguédille, comme une invite à chanter ces vers, et bien sûr à danser (mais sans manières, la Séguédille est une danse populaire !). C'est aussi cette transmission orale -probablement sous forme récitée, mais aussi sous forme chantée- qui explique les petites variations Castillanes sur le texte tel qu'il nous parvient aujourd'hui.

- Les aspérités volontairement laissées:
Tel l'unique "porque es de noche", au refrain de la strophe 10, au lieu de  "aunque es de noche"): mais la seule fois où "aunque" est utilisé hors refrain, c'est précisément dans le vers tout juste précédent, allitéré avec le "que" de "aquesta": "y de aquesta agua se hartan, aunque a oscuras".
Ou encore, vous avez noté que ce sont des rimes plates, plus favorables à quelque diction sonore et coulante (à la manière d'une fontaine, en somme). Pour accentuer cela, la rime s'achève sur une voyelle elle aussi choisie pour être sonore, sauf quatre vers, deux qui riment en "entes", et deux qui riment en "uras" (strophes 6 et 10). Jean de la Croix aurait facilement pu faire l'économie de ces "s" finaux (ce ne sont que des "s" de pluriel) et éviter ainsi de paraître dysharmoniser l'ensemble - aspérité laissée volontairement, du moins en ai-je la conviction.
Isolons-les, ces rimes si musicales, pour y voir plus clair. Nous avons 1-"ida", 2-"iene", 3-"ella", 4-"alla", 5 à nouveau -"ida", 6-"entes" et donc s'il n'y avait pas le "s" nous aurions un "ente" (celui de 7) qui suivrait un autre "ente", 8-"cede", 9 encore un "ida", le troisième !, 10-"uras" et enfin 11-"eo".

- Revenons un instant sur ces sont "que", ils parsèment le poème, comme autant de claques dans les mains destinées à rythmer les pas de danseurs, ou accompagner le récitant. Cela évoque aussi le clapotis de l'eau vive '"viva fuente", de la fontaine qui sourd "la fonte que mana y corre".
Vous avez noté toute la tristesse concise de "aunque es de noche", le bref refrain, le rendu lancinant est bien sûr accentué par sa position en finale de strophe, systématisation traduisant la permanence des ténèbres, et aussi qu'elles sont le réel, autrement dit le réel est l'obscur.
Notez "que", accolé à "aun" (aounn), plaintif, et à la bagatelle de quatre "e" fermés (rien que ça !), amplifiant l'effet.
Les "qu" sont omniprésents ( aquella, aquesta double, sé que employé à...six reprises !) et sont augmentés de "c" durs à prononciations similaires (comme dans corre, ascondida, escondida, caudalosos, cosa, claridad, corriente, capaz, nunca, criaturas, oscuran, etc...). "Corriente(s)" est triplé, le dur "c" est suivi d'un "o" ouvert, le double "r" qui s'ensuit est roulé en prononciation, suivi d'un ie" ouvert où se place l'accent tonique, et la finale "nte" achève d'évoquer l'eau vive pétillante et galopante sur des galets.



En ce qui concerne le sens, une fois que vous aurez fait le rapprochement entre la nuit du cachot de Tolède et la sapience, le "sé que" l'extérieur existe et c'est lui le réel, peut-être aurez-vous envie de ne pas mettre un point final à votre réflexion, d'aller plus loin.
Le fait que la source soit cachée (ou secrète) interpelle. Aussi le rapport flagrant qu'entretient ce poème avec "La noche oscura del alma" -la nuit obscure de l'âme, qui, est, avec le Cantique spirituel, le texte de Jean de La Croix le plus connu - ou commenté. La symbolique de l'eau courante, de la source...mais ne vous arrêtez pas à ça. Ce poème permet d'aller beaucoup, vraiment beaucoup plus loin....Je serais ravi d'échanger...

Traduction:

Je sais bien moi la fontaine...

Je sais bien, moi, la fontaine qui coule et court
                   malgré la nuit.

Cette éternelle fontaine est secrète,
je sais bien, moi, où elle a sa retraite,
                   malgré la nuit.

Son origine je l'ignore, point n'en a-t-elle,
mais je sais que toute origine vient d’elle,
                   malgré la nuit.

Je sais qu'il ne peut y avoir chose aussi belle,
et que le ciel et la terre s'abreuvent en elle,
                   malgré la nuit.

Je sais bien qu'on y saurait trouver pied,
et que nul ne la peut passer à gué,
                   malgré la nuit.

Sa clarté jamais n’est obscurcie,
et je sais que d’elle toute lumière est sortie,
                   malgré la nuit.

Je sais que ses courants sont si riches,
qu’ils arrosent les enfers, et le ciel, et les peuples,
                   malgré la nuit.

Le courant qui naît de cette fontaine,
Je sais bien qu'il est aussi vaste qu'elle et tout-puissant,
                   malgré la nuit.

Le courant qui de ces deux procède,
je sais qu’aucun deux ne le précède,
                   malgré la nuit.

Cette fontaine éternelle est cachée,
dans ce pain vivant pour nous donner la vie,
                   malgré la nuit.

En lui elle appelle toutes les créatures,
et elles se rassasient de cette eau, mais dans le noir,
                   car c’est la nuit.

Cette fontaine vivante que je désire,
je la vois dans ce pain de vie,
                   malgré la nuit.


Remarque: Je préfère(rai) "bien que ce soit la nuit" à "malgré la nuit" pour traduire "aunque es de noche". L'emploi du "que" français est plus proche du "que" ("qué") de "aunque", et aussi, ainsi le vers-refrain traduit compte le même nombre de pieds que le vers original.

\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Sam 19 Déc - 16:45
 
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Sujet: Jean de La Croix (Juan de La Cruz)
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Jean de La Croix (Juan de La Cruz)

Ce fil sera sûrement l'occasion d'évoquer à quelle tradition poétique et à quelle source mystique Jean de La Croix puise, pour autant que ces deux points puissent être établis avec certitude, mais, assez de présentation, de la poésie, du texte !


¡ Oh llama de amor viva !

1
¡ Oh llama de amor viva,
que tiernamente hieres
de mi alma en el más profundo centro ! ;
pues ya no eres esquiva,
acaba ya, si quieres ;
rompe la tela de este dulce encuentro.

2
¡ Oh cauterio suave !
¡ Oh regalada llaga !
¡ Oh mano blanda ! ¡ Oh toque delicado !,
que a vida eterna sabe
y toda deuda paga ;
matando, muerte en vida la has trocado.

3
! Oh lámparas de fuego,
en cuyos resplandores
las profundas cavernas del sentido,
que estaba oscuro y ciego,
con estraños primores
calor y luz dan junto a su querido !

4
! Cuán manso y amoroso
recuerdas en mi seno
donde secretamente solo moras,
y en tu aspirar sabroso
de bien y gloria lleno
cuán delicadamene me enamoras !

Traduction:

O flamme d’amour vive !

O flamme d’amour vive
Qui tendrement me blesses
Au centre le plus profond de mon âme,
Toi qui n’es plus rétive,
Si tu le veux bien, laisse,
De ce doux rencontre brise la trame.

O brûlure de miel,
O délicieuse plaie,
O douce main, ô délicat toucher
Qui a goût d’éternel
Et toute dette paie,
Tuant la mort, en vie tu l’as changée.

O torches de lumière,
Dans vos vives lueurs
Les profondes cavernes du sentir
Aveugle, obscur naguère,
Par d’étranges faveurs,
Chaleur, clarté à l’ami font sentir.

O doux et amoureux
Tu t’éveilles en mon sein
Où toi seul en secret as ton séjour,
Ton souffle savoureux
Tout de gloire et de bien,
O délicat, comme il m’emplit d’amour.




La mystique de Juan de La Cruz ne verse jamais dans les travers technico-littérateurs, ou dans les vers mystiques tendant sur le fumeux: comme par exemple l'illuminisme, ou l'encodage extrême, ou encore cette espèce de façon de tendre en énigmes, les lubies démonstratives de mages ou de d'intercesseurs.
C'est pour cela, je pense -opinion très personnelle et toute entière discutable, un rien tiré par la tonsure j'en conviens- qu'il est encore si lu, si apprécié, et par des gens -un "public" si vous voulez- très divers.

Un symbole donc ici, le feu.
Réminiscence du feu métaphorique, tel qu'on le trouve dans la Révélation de Jean (l'Apocalypse selon Saint-Jean), ou encore dans Le Cantique des Cantiques.
De là à évoquer le buisson ardent, YVH lui-même...
La flamme désigne aussi, couramment, en symbolique chrétienne, le "troisième élément" de la Trinité, l'Esprit.

Le poème Flamme d’amour vive et son commentaire ont été composés au couvent Los Martires de Grenade, lorsque Jean de la Croix était vicaire provincial d’Andalousie.
Ils répondaient à une demande d’une de ses filles spirituelles, Doña Ana de Penalosa, devenue veuve de Juan de Guevara à Ségovie en 1579.
Elle perdit aussi sa fille unique, et possédait de grands biens, devenant bienfaitrice en 1586 pour le couvent Carmélite de Ségovie.
C'est à sa demande que le corps de Jean de La Croix sera transféré en 1593 d’Ubeda à Ségovie (mais ceci est une autre histoire...).

Le poème Flamme d’amour vive est composé de quatre "chansons de l’âme en l’intime communication d’union d’amour de Dieu".
L'âme [du poète, sans aucun doute] répond par des "O", et des "Combien", signes de louange, donc un peu quelque part de réception, plutôt que d'élévation vers...

Le genre, d'usage répandu en Espagne à l'époque, se nomme Cancion, pluriel Canciones:
"Chanson", la traduction ne gêne pas. La forte musicalité de ces vers, si vous avez quelques notions de la prononciation du Castillan, nous y invite, au reste, ne trouvez-vous pas ?

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Christ11
Christ en croix, dessin de Juan de la Cruz - on note la perspective peu usuelle, et les traits plutôt vigoureux.

\Mots-clés : #poésie #spiritualité
par Aventin
le Ven 18 Déc - 17:19
 
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Sujet: Jean de La Croix (Juan de La Cruz)
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André du Bouchet

Ici en deux


Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Ici_en11
Recueil paru en 1986.



Bâti très symétrique pour ce recueil, composé de cinq parties, ainsi intitulées:
FRAÎCHIR
PEINTURE
NOTES SUR LA TRADUCTION
FRAÎCHIR
PEINTURE

Ce court poème est dans le second PEINTURE.
Il est assez peu révélateur du contenu de l'ouvrage, pas plus que ça "illustratif".

Par .../... j'indique un saut de page.
Cette fois-ci encore, mais vous en avez l'habitude sur ce fil-là, c'est une piètre approximation, en tentative de format message de forum, du réel rendu visuel du poème; espérant, comme à chaque fois, que ça pourra peut-être donner envie d'ouvrir ces pages...



PIERRE OU EAU


...  en avant
du centre
serré
comme pierre un instant


ou eau.















.../...


... l'oubli
au centre

pierre
un instant ou eau

a été serrée.










... et immobile
après le centre.




                              ... le cœur de la montagne sera pierre
ou eau.



_______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________




Ma petite lecture personnelle:

Quatre fois l'emploi du mot pierre, quatre fois l'emploi du mot eau.
Deux fois un instant suit pierre .
Une fois suivi d'un temps passé:
pierre
un instant ou eau

a été serrée



Une fois suivi d'un temps futur:

                              ... le cœur de la montagne sera pierre
ou eau.


Cet
...en avant
du centre

qui ouvre d'emblée porte le regard du lecteur au loin, mais central; à vue dirigée. Poème qui est ponctué, ce qui n'est pas si fréquent que cela chez du Bouchet.
Comme si, à travers la sobriété extrême de ce poème très ramassé, n'ouvrant pas de perspectives et gommant tout azimuth, il n'y avait aucune ouverture.
La fixité floue,
...  en avant
du centre
serré

Donc au-delà - de ce qu'on observe.
André du Bouchet est le poète qui écrit debout.
Les ... sont les pas précédents.
Ce centre, serré et indéterminé (ou plus exactement réduit à deux hypothèses, pierre ou eau) est la focale du marcheur, qui attire son œil, sur la ligne d'horizon (là est situé "le cœur de la montagne"), dans cette vision, vision imprécise et se modifiant, appelée à nécessairement à une acuité accrue au fur et à mesure que le marcheur s'approchera, laquelle sera nécessairement, le marcheur en a la conviction, sera pierre ou eau.  

\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mer 9 Déc - 14:59
 
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Sujet: André du Bouchet
Réponses: 14
Vues: 5513

Daniel Boulanger

De Tchadiennes, sans doute un des recueils de poésie que je range le plus rarement.

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Tchadi10

(toujours pareil, un poème occupe une page entière)


Soir à tête rase,
ta phrase ressemble au lait vert.


Deux femmes enlacées miment l'amollissement du jour.




Ciel, caillot suret,
l'orage se resserre.



Les mouches se groupent toutes
en une énorme mouche blanche.





130 Fahrenheit.


Je ne peux plus voir le fleuve
que dans la transparence des mots.


Doigts des sphères.




Babel des silences, Soleil !




Poisson,


sanglot du fleuve céramique.


\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Sam 28 Nov - 18:24
 
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Sujet: Daniel Boulanger
Réponses: 6
Vues: 2777

Vénus Khoury-Ghata

À la longue (à l'usure, quand on l'a bien ressasé, effectué toutes les ruminations, retours, laisser-reposer, etc... ?) le recueil Demande à l'obscurité s'effiloche pour la partie Le dit du hakawati , nettement moins substantifique (à mon goût, impression, ressenti, du moins) que les poèmes groupés sous Des hommes et des loups.  

Un autre, toujours de cette seconde partie:



Femme et draps rétrécis par deuil long comme le chemin
une plume occupe la cage désertée
la bonne mort promise n'a pas tenu parole
l'épine dans le pied du caillou empêche l'absent de revenir
comment lui dire que son dernier vêtement sèche sur la haie avec la
    sueur de l'abeille
que les genoux de sa femme sont lisses mais son cœur est poilu
Comment lui expliquer que ses mains qui se multipliaient pendant
    l'amour sont vides
que ses appels se diffractent sur nos murs

et comment croire ceux qui affirment que les morts disent ce qu'ils
    ont tu de leur vivant ?





\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Sam 28 Nov - 17:28
 
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Sujet: Vénus Khoury-Ghata
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André du Bouchet

pourquoi si calmes

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Pourqu10
Publié chez Fata Morgana en 1996, 55 pages environ.


Recueil avec au milieu une espèce d'intervention (?), en fait un discours prononcé par André du Bouchet lors d'un hommage à Henri Maldiney en 1995, dont une problématique donne son titre à l'ouvrage, ainsi qu'une préface au catalogue de l'exposition  Réserves - les suspens du dessin, Musée du Louvre 1995, nommée où je suis quand je vois.

Le poème ci-dessous clôt le livre et se nomme d'un carnet.

Comme pour les autres poèmes d'André du Bouchet de ce fil, l'agencement spatial, la pagination sont impossibles à reproduire en format message de forum; j'essaie juste de respecter au maximum, de donner une idée, et surtout de donner envie d'aller ouvrir ce recueil.
.../... indique qu'on change de page.
les points . en début de vers n'existent pas dans le texte, ils servent à résoudre (maladroitement) une difficulté de mise en page.
Il est à noter que ce poème-ci est ponctué, ce qui n'est pas si fréquent chez du Bouchet.
Les vers ou morceaux de vers paraissant alignés à droite le sont, effectivement, dans le poème, mais tout aligner à droite laisserait trop d'espacement, et l'alignement sur les vers ou morceaux de vers en partie médiane, ou alignés à gauche, ne "rendent" plus correctement.
L'italique comme figure bien dans le texte.
J'ai essayé de rendre les _ par un double tiret -- correspondant mieux au visuel du poème.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------







D'un carnet








.../...
.../...






                                                                      quelque chose de l'épaisseur du
vent comme il se dérobe à soi.


                                               
                                                                      ardoise poursuivie sur la lancée
de sa compression.


                                                                                                               soif
abouchée à la soif traverse la barrière.


je n'ai trouvé montagne que dans l'arrachement.

.../...

que tu me parviennes, neige, comme -- à travers la brûlure
ou des carreaux, l'homme allongeant le pas dans la neige.




ici j'ai gardé contact avec le froid.











.../...

                                                                  image, je l'ai cherchée à sa
racine -- la disparition.



froid sur lequel j'ai, une fois, respiré.                        la n'est
                                   qu'une fois, alors même qu'à l'infini
                                                    recommencé.




                                                                      récurrence,
ou un cillement -- l'épaisseur.





.                                                  le ciel entre paupière et
soi, je n'ai pas   -- sinon pour le solidifier,
.                                                           à le rapporter à la
                       cassure.



lavandes, bleu enfermé.




.                                         il a suffi -- pour enfouir l'image
adventice, de lever la tête.

.../...

.                                                                     comme
est le sol où mon pied a eu place.


.                                                épongée la poussière qui
a donné le bleu, la terre ronde est devenue noire.



la couleur a percé.


.                                                                     air porteur
de la parole disparue

enclume ici et là qui prononcera les distances.              air
porteur.     enclume disparue.

parole -- enclume disparue -- comme incluse.


une coulée -- signe de l'escarpement.

.../...

.                                                                        montagne
allégée de son faîte, et sur ses à-plats de nouveau soustraite
.                                                  à une image impraticable.


montagne restée la face dans laquelle déjà s'apercevoir
.                                                     des pieds à la tête
.                                  engagé.


.                                                      sommités fleuries
où sur son demi-tour le ciel circulaire à nouvau fiché.


.                                                                   trancher
sans conclure.


ce qui demeure soustrait, c'est la terre qu'ici on aura croisée.




.                                  ...jusqu'à l'ouverture de ce demi-tour
qui dans l'épaisseur -- là où l'épaisseur a refait surface --
.                                                            me reconduit à moi
.            où je dois terminer.










\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Lun 23 Nov - 19:30
 
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Sujet: André du Bouchet
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Jacques Réda

Quel avenir pour la cavalerie ?
Une histoire naturelle du vers français.

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Rzoda11


Paru en 2019, 200 pages environ.

Cette sorte d'exposé, ou de balayage démonstratif, peut paraître passablement didactique, comment l'éviter au demeurant, l'objet même, qui est l'histoire de la versification française, ne se prêtant pas trop à autre chose ?

C'est judicieusement contrebalancé, toutefois, par la plume de Jacques Réda, légère, ou peut-être plus de façon plus exacte en état de non-pesanteur, ce qui semble intrinsèque à ses écrits.

Ouvrage passionnant, truffé de références sans être roboratif, avec l'art de la mise en perspective, de ce bon vieux vers, ses avatars, ses métamorphoses, démo délicate, dont on sait gré à Jacques Réda, par exemple, de ne jamais avoir utilisé le détestable anglicisme punchline, ou encore d'éviter le piège de l'encyclopédisme foisonnant; à ce titre, le petit Nota Bene de fin d'ouvrage est appréciable, semblant dire "lisez-moi plutôt que consultez-moi, c'est un ouvrage, pas un index commode", il commence ainsi:
Au sujet de la bibliographie, son absence à la fin de ce volume s'explique par la préférence que j'ai eue pour l'inclusion, dans le corps du texte, des références des ouvrages cités. [...]


Au sujet du sous-titre, énigmatique et plaisant, un petit indice que je laisse à votre sagacité:
Contre toute définition et toute objectivité, la poésie serait-elle une guerre ? D'un point de vue assez opposé au mien, Henri Meschonnic, auteur de nombreux ouvrages sur la langue, le vers et le rythme, le pensait. Et nous nous sommes, amicalement, parfois trouvés en guerre à propos de celle-là - mais elle a bien eu lieu. Et c'est la guerre de mille ans qu'a soutenue la langue française, aujourd'hui à bout de forces et d'expédients, en retraite sur tous les fronts du champ de batailleoù, à l'arrière garde, a le premier succombé, à Roncevaux, Roland. Mais il y avait sauvé le gros de l'armée, et tout l'avenir qu'elle avait devant soi.
 Notre situation est la même, si l'avenir est plus menaçant.
Mais quel motif aurions-nous de le craindre pour notre langue elle-mêm ? Qu'elle soit, dans mille ans, encore plus différente de la nôtre que de celle du temps des premiers Capétiens, quoi de plus naturllement propable ? C'est le langage même qui se trouve en danger, et la guerre n'est pas finie.


     
Lu et relu deux fois déjà, j'ai appris beaucoup, notamment -et entre autres !- en comprenant enfin le vers français XVIIIème, lorsqu'il est mis en perspective; ce poudingue douteux, qui, jusqu'alors me permettait de résumer l'apport poétique au seul Chénier, et de me gausser à peu de frais de certains d'entre lesdits "Grands Hommes"...
(Quiconque a lu un peu de poésie de Voltaire me rejoindra peut-être !)

J'en suis venu à conclure (même si Jacques Réda suggère peut-être un petit peu mais n'assène rien en ce domaine), que cette poésie d'édifice, au mortier, à la truelle et au fil à plomb, digeste comme une pâtisserie dont la réalisation serait confiée à coffreur-bancheur, est mieux perceptible si l'on considère qu'on pouvait utiliser le vers au quotidien -l'alexandrin de préférence- et qu'on ne se gênait pas pour le faire, dans des domaines aussi variés que la missive épistolaire commune, l'exposé scientifique, l'essai littéraire, le rapport militaire ou la conversation de salon.    

Pour ce qui est de la poésie d'origine, au prix et à l'appui d'une petite remontée gaillarde dans le temps -mettons celui des aèdes-, mon intime conviction sans preuve est que la versification (ex.: le décasyllabe à rimes plates pour l'ancien français oïl en formation) est de l'ordre de l'outil: en ces temps de transmission orale des œuvres, et d'accompagnement musical par le poète (barde, troubadour, trouvère, récitant, hôte, convive, etc...), il fallait un format commode, correspondant sûrement à un rythme adapté de diction, sur lequel apposer un rythme et des notes musicales elles aussi transmises oralement -à l'oreille.
Et, pour une évidence ce me semble, que la poésie des origines ne devait pas être une pratique solitaire.

Merci à Jacques Réda d'avoir bien précisé la contrainte du français oïl, cas linguistique rare avec l'absence d'accent tonique (les mots ne "chantent" pas spontanément à la diction).

Voir aussi le sort si particulier des voyelles élidées dans notre langue , entrant ou non dans le compte des pieds, et sûrement distinctes selon l'accent qu'on veut bien mettre à la lecture.
Pour un exemple tout à fait personnel, Francis Jammes en joue beaucoup, non dits avec un accent gascon prononcé, ses vers me semblent perdre des pieds en route, et/ou des rythmes, voire de la tessiture, de la couleur.

Sur la diction, nous avions en effet bien noté, Monsieur Réda, que les enregistrements qui nous sont parvenus de Reverdy ou d'Apollinaire sont totalement différents, dans l'abord du mot - du phrasé, de la prosodie en général - Apollinaire déclamant, comme c'était l'usage multiséculaire, façon institutionnelle, très Comédie-Française époque classique. Comme du Racine ou du Corneille.
Tandis que Reverdy, un peu écorcheur de mots, un peu brutalisant à la varloppe les saillantes, nous semble infiniment plus proche (au reste, cher Guillaume, plus personne ne déclame vos vers aujourd'hui, ainsi que vous le faisiez -était-ce pour la pose ?- et figurez-vous qu'ils semblent n'avoir rien perdu à ce type de transfiguration, allez, même, au contraire !).  

Idem pour la place de l'hémistiche, rendant possible le passage du déca et de l'octosyllabe à l'alexandrin, idem pour la conception et la diffusion du sonnet, structure aboutie loin d'être un simple formalisme.

Petit regret, M. Jacques Réda, de ne pas avoir -à mon goût- assez souligné le passage de la poésie dite (ou déclamée, ou chantonnée, on entonnée, ou chantée) à la poésie lue.
Même si vous parlez abondamment de la prosodie espacée, spatiale, visuelle (André du Bouchet, etc...).


Ouvrage qui ne passionnera sans doute pas tout le monde, mais beaucoup tout de même, j'en suis sûr.
En tous cas livre très recommandable.
D'ailleurs j'y retourne !

Mots-clés : #creationartistique #ecriture #essai #historique #poésie
par Aventin
le Lun 2 Nov - 18:42
 
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Sujet: Jacques Réda
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Vénus Khoury-Ghata

Demande à l'obscurité

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Demand10
Mercure de France, 2020.

Splendide recueil vraiment, qui fait mes délices depuis cet été.
Les thèmes qui hantent (mais inspirent) Vénus Khoury-Ghata sont assez récurrents à son œuvre, poétique ou romanesque - du moins pour ce que j'en ai lu.

Pas de renouvellement, donc ? Un empilage de plus ?
Vous n'y êtes pas: affinée (tout superflu, ou prosodie superfétatatoire, semble gommé), avec l'alliage entre sobriété et mature sérénité que donne parfois l'âge, son écriture ne s'écarte pas de l'essence même (pour ne pas dire de l'essentiel): Vénus Khoury-Ghata n'a pas des choses à nous dire, mais à nous dévoiler, nous transmettre, nous faire toucher de façon très tangible: grande dame, grande passeuse de mots (donc de signes) comme toujours, certes, mais avec en plus, dans ce recueil-ci, ce côté maître archer zen qui atteint sans coup férir sa cible les yeux bandés...

Un poème, nul doute que ça vaut bien mieux que de longs discours (NB: aucun poème n'est intitulé dans ce recueil, qui est scindé en deux parties: Le dit du hakawati et Des hommes et des loups):


Ce que nous prenions pour appel étaient nos voix qui nous revenaient
la pierre qui se détachait de la montagne ne portait aucun message

la mémoire parle de tornades immobiles
des boucs qui cognaient de leurs cornes la porte pourtant ouverte
la maison se terrait en elle-même
que d'herbes rampantes qui se rétractaient face au seuil
que d'oiseaux engouffrés dans la lucarne sortis effarés
l'aiguille de la mère ne pouvait raccommoder les lézardes des murs et des ailes
ne pouvait rapiécer tous les dégâts de la terre

nos malheurs
un récit d'enfant qui le tient d'un autre enfant disait-elle
tout rentrera dans l'ordre une fois nos dents de lait récupérées du puits

   
Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Dim 11 Oct - 7:51
 
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Sujet: Vénus Khoury-Ghata
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Collectif - Ombres de Chine (traductions proposées par André Markowicz)

Ombres de Chine

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Bat-co10

Traductions proposées par André Markowicz.

Dans un premier temps Ombres de Chine propose une intéressante remise en question de l’idée que l’on se fait de la traduction. Il est pour le moins inhabituel qu’un auteur propose des poèmes traduits par lui d'une langue qu’il ne connaît pas. Cependant il y a là la même ambivalence, sûrement problématique, que pour toute traduction : ces poèmes ont été écrits (en français) par André Markowicz ― ces poèmes sont de Lu Zhao-Lin, Wang Wei, Li Po, Tu Fu, Han Yü ou Li Ho, etc… les deux propositions sont également vraies. Ce qui change fondamentalement avec Ombres de Chine c’est la méthode : à partir de nombreuses sources et du mot-à-mot, puis suivant l’intuition de Markowicz pour tout ce qui concerne le choix des mots, in fine la composition finale du poème. Il a été guidé en cela par ce qui l’a motivé à écrire ces poèmes et composer cette anthologie : à savoir tout un « monde » de sens qu’il avait perçu dans les traductions en russe de ces poèmes Tang, et qu’il n’avait pas retrouvé dans les autres traductions françaises. Un monde de sens qui a réveillé en lui l’écho de l’histoire du vingtième siècle ― en particulier la seconde guerre mondiale ― un écho qu’il a voulu partager aux lecteurs francophones.

En 755 a eu lieu, en Chine, la révolte d’An Lushan qui a probablement (il y a une controverse sur ce nombre) fait près de quarante millions de morts. Ce funeste record n’a précisément été dépassé que lors de la seconde guerre mondiale (près de mille deux cent ans plus tard !). S’il est vrai que ces poèmes s’étalent sur trois siècles, ceux-ci paraissent tous, de diverses façons, liés à cet événement central.

Malade seul retiré sur ce pic
Las du silence et de la solitude
Mais le Song-shan de la haute retraite
Appelle d’heure en heure le regard.
Le séjour des esprits et des merveilles
Recouvert jour et nuit par les nuages
La bruine ne se lève qu’aujourd’hui.
Le soir rougeoie sur la vallée profonde.
L’herbe est touffue sur le bord des torrents
Les arbres verts au pied de la montagne.
Le cœur se tourne vers l’immensité
Sur les versants du pic les arbres gênent.
La Yi la Luo descendent vers le fleuve
De courant en courant de plaine en plaine.
L’été prend fin ― foison de vie sauvage
L’automne ― les cultures sont semées.
Désirs restreints dans un jardin enclos
La paix revient ― le travail de la ferme.
Mais pas d’ami à qui offrir du vin :
Juste ― au creux de la main ― un peu d’eau pure.


« Malade à la maison des sources chaudes à Yang Chung » Song Zhiwen, 690

Le cœur serré traversant un village :
Sur dix maisons pas une n’est debout.
Les survivants baissent les yeux et pleurent
Ils sont en loques pour vous accueillir.
Ils semblent effrayés quand on leur parle
Mais la porte fermée le cœur s’épanche :
― À droite de Chang An la terre est pauvre
Les gens vivent souvent dans la misère.
Ce pays dans le temps était heureux.


« Poème de deux cent vers écrit en traversant les faubourgs de l’ouest » Li Shang-Yin, 838 (extrait)

Sur trois siècles, plusieurs « écoles » ont eût le temps de se former : nombre ― la plupart j’ai l’impression ― de ces poèmes sont très narratifs. Le dernier poème, que Markowicz a choisi pour clore son anthologie, est peut-être celui qui donne l’image la plus clair ― autrement dit la plus violente ― du climat qui a régné en Chine pendant tout ce temps. Ce dernier poème est de 884, il décrit un autre conflit que celui qui a éclaté lors de la révolte ; il décrit un conflit lié, toujours, à celui de 755.

D’autres poèmes ― je ne sais dans quelles proportions, mais certainement non négligeables ― se concentrent entièrement sur des images poétiques, fort belles ou émouvantes. On retrouve cependant ces images dans tout les poèmes : elles structurent les uns, se trouvent en incise dans les autres. Markowicz partage ― traduit ― un monde d’images, reflets d’un monde intérieur qui se mélangent à la chronique guerrière, à la vie des gens.

Rosée de l’orchidée
Cachée ― des yeux en larmes.
Elle ne nouera plus de liens d’amour.
Fleur de brouillard ― pas de celles qu’on cueille.
L’herbe fait ses coussins
Les pins lui font un toit
Le vent lui fait sa robe
L’eau ― ses pendants d’oreilles.
Rideaux huilés du char
Toute la nuit l’attente.
Bougie d’azur glacé
Vacillante lumière.
Au pied des monts de l’Ouest
Le vent souffle à la pluie.


« La tombe de la petite Su » Li Ho (791 – 817)

Le plus souvent, ce sont les poèmes les moins narratifs que j’ai préférés. Certains poèmes de Li Ho, ou ceux de Tu Fu. Les moins longs. Sans le fait que tous les poèmes du livre se répondent entre eux, sans les explications et les nombreuses pistes proposés dans les notes, ces courts poèmes seraient obscurs. Mais il y a une puissance d’évocation similaire à celle du haïku. L’image s’impose à l’esprit et absorbe un instant le contenu du poème et celui qui le dit : une voix ― dont le locuteur est indéfini ― un personnage, ou bien le poète lui-même, se mettant souvent en scène dans sa poésie.

Il est vrai que l’on sait peu choses sur la révolte d’An Lushan, sur cette Chine du VIIème au IXème siècle. Ombres de Chine transmet des images, raconte une histoire ― ici ces deux actes deviennent équivalents ― dans un même effort pour nous rendre cette Chine contemporaine en quelque sorte.

Au pied des monts de l’Ouest
Le vent souffle à la pluie.
Banni loin de chez moi de ma famille
Je me trouve exilé en terre étrange.
Je me surprends à comprendre que l’âme
Ressente peu d’angoisse et de douleur.
Je retourne aux chapitres de Tchouang-tseu
Je réalise d’où je peux venir
Ma patrie véritable je suppose
C’est le pays qui n’est d’aucun pays.


« En lisant Tchouang-Tseu » Po Chü-I (815)

Pays brisé ― monts et rivières restent
Ville au printemps ― herbe et arbres foisonnent.
Pleurant les temps les fleurs versent des larmes
Coupé de tout l’oiseau perce le cœur.
Depuis trois mois les feux d’alarmes brûlent
Une lettre reçue vaut un trésor
On se gratte la tête ― cheveux blancs
Si rares que l’épingle n’y tient plus.


« Scène de printemps » Tu Fu, mars 757

Mots-clés : #poésie #universdulivre
par Dreep
le Mar 8 Sep - 10:32
 
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Sujet: Collectif - Ombres de Chine (traductions proposées par André Markowicz)
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Ossip Mandelstam

Arménie
Voyage en Arménie & poèmes

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 2 Armzon10

Lu dans l'édition La Barque parue en 2015, qui réunit à la fois "voyage..." et les poèmes afférents à l'Arménie.
Il reste tentant de lire "voyage..." dans la traduction d'André du Bouchet, ce sera sans aucun doute pour une autre fois.


Voyage entrepris comme une bouffée d'air chipée à nuit totalitaire du Kremlin.
Mandelstam, sentant sa fin proche, est-il déjà le condamné qui couchera les seize vers de l'Épigramme contre Staline ?
La thèse se tient, Mandelstam, en passeur, tente en effet de transmettre quelques bribes d'une Arménie millénaire ou éternelle, une Arménie culturelle, dirait-on aujoud'hui, aussi irrémédiablement vouée à destruction par rouleau compresseur soviétique que ne le fut le peuple arménien de Turquie, victime du génocide que l'on sait quelques années auparavant, incluant aussi la Géorgie (terre natale de Staline, soit mentionné en passant), l'évocation des Kurdes (chapitre Alaguez).

L'Arménie ?
C'est l'exotisme extrême, les confins au midi de l'Empire, une culture, un héritage et une langue non russes.
Mandelstam dévie de son propos, en coq-à-l'âne, pour nous confier quelques admirables pages dans ce curieux fourre-tout, chapitres "Moscou", "Les naturalistes", "Les français"...

Le poésie n'est pas sans sourdre de ces pages, témoin les deux premières phrases de l'extrait ci-dessous, quant aux termes utilisés pour eau et village, ils ont marqué André du Bouchet, dans le recueil "Ici en deux", peut-être en bafouillerai-je trois mots sur son fil un de ces jours:

Chapitre Sevan a écrit:Tout autour frisaient des copeaux. Le sel rongeait la terre, et les écailles de poisson clignaient de l'œil comme des éclats de quartz.
À la cantine de la cooprétavie, toute en rondins comme partout à Noradouz, et dans un style allemand cher à Pierre le Grand, on mangeait côte à côte d'épais chachlyks de moutons élevés en artel.
  Les ouvriers remarquèrent que nous n'avions pas de vin et, comme il sied à de vrais hôtes, ils remplirent nos verres.
  Je bus en mon for intérieur à la santé de la jeune Arménie, à ses maisons de pierre orange, à ses commissaires du peuple aux dents blanches, à la sueur de ses chevaux, au piétinement des files d'attente et à cette langue que nous ne sommes pas dignes de parler, tenus de rester à l'écart dans notre infirmité.
  Eau en arménien se dit: djour.
  Village: gyouk.


Mots-clés : #lieu #poésie #regimeautoritaire #voyage
par Aventin
le Ven 4 Sep - 13:29
 
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Sujet: Ossip Mandelstam
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