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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Ven 19 Avr - 10:30

278 résultats trouvés pour social

André Brink

Une saison blanche et sèche

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Extern41

il y a le Ben d’avant : bon père, bon mari, bon paroissien et bon prof, un rien terne et décevant. Tellement commode pour son entourage. Et puis il y a le Ben d’après les morts de Gordon et son fils, Gordon le balayeur noir du collège, Jonathan, l’enfant brillant dont Ben finançait la scolarité, devenu activiste dans Soweto en flammes. Tous deux arrêtes et torturés à mort, des mort niées et camouflées.

Cherchant la vérité, Ben s’expose à l’opprobre publique et familiale, à la traque et l’inquisition sans limites de la Section Spéciale. Qu’importe, porter la vérité est devenu son seul chemin, c’est devenir vrai lui-même. Sa trahison est sa loyauté.

Interdit de publication à sa parution, Une saison blanche et sèche est un roman-massue extrêmement condensé, concentré, minéral, qui, comme son héros,  va droit au but de la dénonciation, n’omet aucun détail, chemine assidûment et sans détour. Tout est là, tout est utile.

Bien plus que l’histoire d’un autre homme, Gordon, domestique devenu frère par sa mort,  Ben, quelque soit son chemin de croix, veut dénoncer le mal de toute une nation bien-pensante, derrière son Dieu, ses certitudes et sa vertu. Ben est un homme ordinaire, lanceur d’alerte étonné de lui-même, qui se perd pour sauver le monde, car pour lui nul autre choix n’est devenu possible.

Le roman est d’un grand classicisme, mais échappe aux lourdeurs et clichés qu’on redoute par moment. Dans une belle économie de moyens, André Brink ne retient que ce qui est utile à  son propos, mais il laisse aussi la part belle aux doutes, aux interrogations de son héros anti-héros, profondément humain dans son sacrifice. Le déchaînement de violence et de terreur auquel il est confronté n’a d’égal que la sauvagerie des paysages tant urbains que désertiques.


Le fait que le papa de Quasimodo soit de bon conseil n’était plus à démontrer. Reste juste au fiston à entendre ce beau conseil.


Mots-clés : #historique #polar #racisme #segregation #social #xxesiecle
par topocl
le Lun 18 Mai - 11:06
 
Rechercher dans: Écrivains d'Afrique et de l'Océan Indien
Sujet: André Brink
Réponses: 3
Vues: 1133

Annie Ernaux

Les années

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Images17

Ces années vont des quarante au début du XXIe. Revue de l’enfance et de l’adolescence, où je me suis largement retrouvé malgré le décalage ‒ et j’ai compris pourquoi ces évocations me déplaisent assez : c’est leur aspect terne, un peu sale, misérable, « gaucherie et honte » dans le souvenir (et nous revient par exemple la frappante image d’un rat crevé, pas les nombreux moments heureux avec des animaux de compagnie).
Aussi un rendu prosaïque des époques traversées, tant personnellement (ou familialement) que l’ensemble de la société, et sans infatuation a posteriori.
« Le progrès était l’horizon des existences. »

« Les parents affirmaient les jeunes en sauront plus que nous. »

« Les gens faisaient fond de plus belle, sur une existence meilleure grâce aux choses. »

« Pour nous, à qui il avait été prescrit durant l’enfance de sauver notre âme par de bonnes actions, en classe de philo de mettre en pratique l’impératif catégorique de Kant agis de telle sorte que ton action puisse s’ériger en maxime universelle, avec Marx et Sartre de changer le monde ‒ qui y avions cru en 68 ‒, il n’y avait aucune espérance là-dedans [les « nouveaux philosophes »]. »

« Le temps des enfants remplaçait le temps des morts [ceux de la seconde Guerre Mondiale]. »

Pour la dernière phrase, sinon le sens de la formule, au moins celui du raccourci !
« Les enfants n’avaient plus de vers et ils ne mouraient presque jamais. Les bébés-éprouvette naissaient couramment, les cœurs et les reins fatigués des vivants étaient remplacés par ceux des morts. Il fallait que la merde et la mort soient invisibles. On préférait ne pas parler des maladies nouvellement apparues qui n’avaient pas de remèdes. Celle au nom germanique, Alzheimer, qui hagardisait les vieux et leur faisait oublier les noms, les visages. L’autre, attrapée par la sodomie et les seringues, punition des homosexuels et des drogués, à la rigueur manque de chance de quelques transfusés. »

« La réélection de Mitterrand nous rendait à la tranquillité. Il valait mieux vivre sans rien attendre sous la gauche que s’énerver continuellement sous la droite. »

J’ai particulièrement apprécié l’observation de notre société au début du XXIe :
« L’anomie gagnait. La déréalisation du langage grandissait, comme un signe de distinction intellectuelle. Compétitivité, précarité, employabilité, flexibilité faisaient rage. On vivait dans des discours nettoyés. On les écoutait à peine, la télécommande avait raccourci la durée de l’ennui. »

« Les gens se fatiguaient du jour au lendemain. L’effusion alternait avec l’atonie, la protestation avec le consentement. Le mot « lutte » était démonétisé, comme un relent du marxisme désormais ridiculisé, « défense » désignait d’abord celle des consommateurs. »

« Nous étions débordés par le temps des choses. Un équilibre tenu longtemps entre leur attente et leur apparition, entre la privation et l’obtention, était rompu. La nouveauté ne suscitait plus de diatribe ni d’enthousiasme, elle ne hantait plus l’imaginaire. C’était le cadre normal de la vie. Le concept même de nouveau disparaîtrait peut-être, comme déjà presque celui de progrès, nous y étions condamnés. La possibilité illimitée de tout s’entrevoyait. Les cœurs, les foies, les reins, les yeux, la peau passaient des morts aux vivants, les ovules d’un utérus à l’autre et des femmes de soixante ans accouchaient. Le lifting arrêtait le temps sur les visages. »

Intéressante perspective sur la gestion de la mémoire dans la société actuelle :
« Le processus de mémoire et d’oubli était pris en charge par les médias. »

« Il n’y avait ni mémoire ni narration […]
Dans la vivacité des échanges, il n’y avait pas assez de patience pour les récits. »

Annie Ernaux a non seulement un point de vue féministe, mais féminin et sans fard, ce qui ne manque pas d’intérêt :
« Elle voudrait avoir le droit de mettre du rouge à lèvres, porter des bas et des talons hauts ‒ les socquettes lui font honte, elle les enlève hors de la maison ‒ afin de montrer qu’elle appartient à la catégorie des jeunes filles et qu’elle peut être suivie dans la rue. »

« À faire l’amour avec le même homme, les femmes avaient l’impression de redevenir vierges. »

Le procédé narratif d’Annie Ernaux est curieux, sans doute innovant, disruptif ; ainsi, là où l’on attendait un "nous déménageâmes" pour une expérience personnelle, surprend un :
« On partait. On s’installait dans une ville nouvelle à quarante kilomètres du périphérique. »

… et ainsi le singulier rejoint le générique d’une époque. Le choix des temps, généralement l’imparfait, donne aussi un rendu très particulier.
Étroitement tissée dans la société, l’expérience de son existence passée est exposée chronologiquement ; j’ai eu l’impression d’un rapport entre les deux, déroulement de son histoire et de l’Histoire, comparable à celui de l’ontogenèse avec la phylogenèse (développement de l'individu versus celui de l’espèce), en fait inséparables :
« Mais des phrases lui viennent souvent spontanément aux lèvres, que sa mère utilisait dans le même contexte, des expressions qu’elle n’a pas le souvenir d’avoir utilisées avant, « le temps est mou », « il m’a tenu le crachoir », « chacun son tour comme à confesse », etc. C’est comme si sa mère parlait par sa bouche et avec elle toute une lignée de gens. »

« À l’inverse de l’adolescence où elle avait la certitude de ne pas être la même d’une année, voire d’un mois, sur l’autre, tandis que le monde autour d’elle restait immuable, maintenant c’est elle qui se sent immobile dans un monde qui court. »

« Elle retrouve alors, dans une satisfaction profonde, quasi éblouissante ‒ que ne lui donne pas l’image, seule, du souvenir personnel ‒, une sorte de vaste sensation collective, dans laquelle sa conscience, tout son être est pris. »

Justement, vers la fin de cette non-fiction, Annie Ernaux expose sa démarche ‒ un projet aussi sociologique qu’autobiographique :
« Elle voudrait réunir ces multiples images d’elle, séparées, désaccordées, par le fil d’un récit, celui de son existence, depuis sa naissance pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Une existence singulière donc mais fondue aussi dans le mouvement d’une génération. Au moment de commencer, elle achoppe toujours sur les mêmes problèmes : comment représenter à la fois le passage du temps historique, le changement des choses, des idées, des mœurs et l’intime de cette femme, faire coïncider la fresque de quarante-cinq années et la recherche d’un moi hors de l’Histoire, celui des moments suspendus dont elle faisait des poèmes à vingt ans, Solitude, etc. Son souci principal est le choix entre « je » et « elle ». Il y a dans le « je » trop de permanence, quelque chose de rétréci et d’étouffant, dans le « elle » trop d’extériorité, d’éloignement. »

« Ce que ce monde a imprimé en elle et ses contemporains, elle s’en servira pour reconstituer un temps commun, celui qui a glissé d’il y a si longtemps à aujourd’hui ‒ pour, en retrouvant la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle, rendre la dimension vécue de l’Histoire. »

« Aucun « je » dans ce qu’elle [l’auteure/ narratrice] voit comme une sorte d’autobiographie impersonnelle ‒ mais « on » et « nous » ‒ comme si, à son tour, elle faisait le récit des jours d’avant. »

Dans le prolongement de cette lecture, je suis vivement attiré par celle de L'atelier noir, son journal d'écriture :
« Je me suis servie de ce journal comme d’une sorte de document, d’archive de la conception et de l’écriture des Années, qui sont inscrites à l’intérieur même de ce livre. Je ne voulais pas inventer la gestation du texte mais m’appuyer sur la réalité et celle-ci était contenue dans le journal d’écriture, de 1983 à 2002. Je l’ai donc utilisé de façon très précise pour évoquer les étapes du projet, ses modifications successives jusqu’au livre que le lecteur est en train de lire. »
Annie Ernaux, Florilettres 128

Ce texte fait partie bien sûr de la grande famille des témoignages intimistes et déplorations sur le temps qui passe ‒ non sans style et originalité :
« Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire. »


Mots-clés : #autobiographie #social
par Tristram
le Jeu 14 Mai - 17:38
 
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Sujet: Annie Ernaux
Réponses: 136
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Jack London

Le Talon de Fer

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Extern38

Écrit en 1906 par Jack London, ce livre donne la parole à Avis Everhard , laquelle écrit dans les années trente l’histoire d’une révolution socialiste  dans les années 1914-18 emportée par son mari contre le Talon de Fer du grand capital promu au rang d’oligarchie ploutocratique. Ce manuscrit est publié au 27ème siècle accompagné de notes en bas de page.

Bon, c’est quand même le grand Jack London… mais je prends cependant la liberté de dire que je me suis un peu barbée. La narratrice est une mignonne jeune fille de la bourgeoisie initiée au socialisme puis à la révolution par son Ernest de mari. Elle en  dresse un portrait si hagiographique qu’il en est un peu ridicule. Le coté démonstratif éloigne parfois de l’esprit romanesque, avec des explications politiques (discours et discussions de Ernest) souvent lourdes voire envahissantes.
Quand à l’astuce de la construction chronologique élaborée, on dirait que London a participe à un atelier de creative writing : si elle est audacieuse (astucieuse?), elle n’apporte pas grand chose au récit.

Au-delà de ces critiques, c’est toujours plaisant une dystopie, voir comment quelqu’un a réinventé l’avenir. Il serait sûrement intéressant de relire Une histoire populaire de États-Unis et Howard Zinn et de mettre les deux en parallèle.


Mots-clés : #politique #revolution #sciencefiction #social
par topocl
le Sam 9 Mai - 9:50
 
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Sujet: Jack London
Réponses: 45
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Rodolphe Barry

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Couv-h10

Honorer la fureur

Rodolphe Barry compose dans Honorer la fureur un hommage vibrant, éloquent et plein d'humilité à l'écrivain américain James Agee (1909-1955). Il se penche sur son parcours de vie à travers ses multiples facettes : journaliste, romancier, scénariste, Agee s'est investi dans tellement de projets mais s'est aussi brûlé les ailes, tant sa personnalité passionnée pouvait être intransigeante, abrupte voire auto-destructrice. Loin d'une biographie linéaire, Honorer la fureur est fidèle à son titre et trouve une remarquable cohérence dans sa structure.

L'ouvrage débute avec un moment décisif de la vie d'Agee, lorsque ce dernier est parti avec le photographe Walker Evans observer et partager la vie de trois familles de métayers dans l'Alabama, au coeur de la Grande Dépression à l'été 1936. Une rencontre qui a abouti à la rédaction de Louons maintenant les grands hommes, portrait bouleversant mais tellement éloigné du cadre d'abord imposé par le magazine Fortune pour lequel il travaillait. Et ce décalage entre le contexte des apparences sociales et la recherche d'intimité, de vérité, de l'artiste marque une fêlure profonde...avec par la suite de nombreux détours, échecs et remises en question, parallèlement à une vie personnelle toujours au bord du gouffre.

Rodolphe Barry évoque également avec justesse le poids de l'héritage de son enfance dans le Tennessee, et notamment de la perte de son père que James Agee évoque dans le roman Une mort dans ma famille. Et c'est son incursion dans le milieu du cinéma qui façonne la dernière partie de sa vie, de sa défense en tant que critique de l'oeuvre de Charlie Chaplin jusqu'à sa démarche de scénariste auprès de Charles Laughton pour La nuit du chasseur.
S'il reste une sensation d'inachevé à sa mort prématurée, l'écriture de Rodolphe Barry insiste avant tout sur l'intensité, la sincérité avec laquelle Agee a constamment vécu.

Mots-clés : #biographie #creationartistique #ecriture #social
par Avadoro
le Jeu 23 Avr - 23:46
 
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Sujet: Rodolphe Barry
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Isabel Allende

Zorro

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Zorro11
Roman, 525 pages environ, 2005. Titre original: El Zorro: Comienza la leyenda.

Parti pour voir si c'était compatible pour une lecture par mes garçons (ça l'est, juste une petite interrogation sur la distance, qui passe les 500 pages), et puis je me suis laissé prendre à ce bouquin, somme toute pas mal déconfinant; puis, parti pour poster un petit message sur le fil one-shot, je me retrouve à ouvrir un fil d'auteur dont je n'avais jamais rien lu...

Roman de cape et d'épée, donc genre littéraire regardé comme plutôt mineur, mais casse-figure tout de même:
Tout le monde n'est pas Dumas père ou encore Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse), ni même Roger Nimier (D'Artagnan amoureux).

Le sujet (voir le titre en langue originale) est l'enfance et la jeunesse de Don Diego/Zorro, en d'autres termes la genèse de Zorro.

Mme Allende s'en sort fort bien, portée par une documentation qu'on pressent solide (sur Barcelone aux temps de l'occupation française -napoléonienne-, les amérindiens, la Californie colonie de la couronne espagnole au XIXème naissant, les mœurs des gitans en Espagne, ceux des Gentilshommes de fortune du démocratique "royaume de Barataria" de Jean Lafitte, le vaudou à cette époque, l'administration royale et coloniale, etc, etc.).

Portée aussi par un sens narratif, ou peut-être un talent éprouvé de conteuse (?) ainsi que sa biblio incite à le supposer.

Peut-être une plume qui possède déjà, en 2005, beaucoup d'expérience, est-ce de l'ordre du flair, je ne sais pas, je découvre l'écriture d'Isabel Allende (mon impression est que l'excellence dans le domaine du sens narratif, il arrive qu'elle procède d'une articulation constructive sans faille - style Flaubert dans Salammbô si vous voulez - ou bien d'un flair, d'une intuition -à la Stevenson, même s'il y a sûrement beaucoup de boulot derrière l'apparente facilité, et sans doute le plus souvent d'un alliage intuition/colossale charge de travail).

Je lui sais gré que son Zorro soit un héros et non un super-héros, avec ses vulnérabilités, son romantisme, ses à-côtés, la sympathie qui va avec le personnage, antithétique du justicier froid.
Toisième Partie, Barcelone 1812-1814 a écrit:Il n'avait pas eu clairement conscience jusqu'à cet instant de sa double personnalité: d'un côté Diego de La Vega, élégant, minaudier, hypocondriaque, de l'autre Zorro, audacieux, insolent, joueur. Il supposait que son véritable caractère se situait quelque part entre ces deux extrêmes [...].

La dualité entre le personnage un peu gandin, frivole et peu signifiant de Diego et le héros Zorro est d'autant mieux exploitée qu'elle se double d'une dualité quasi gémellaire entre Bernardo et Diego, frères de lait, communiquant par gestes et télépathie, avec la part indienne de Zorro révélée (Bernardo est indien, dans ce Zorro-là).

Il m'est difficile pourtant, en lisant, de ne pas imaginer Zorro Le Renard sous les traits de Guy Williams, or j'ai toujours détesté cette intrusion dans mon imaginaire des aspects physiques de personnages que le cinéma ou les séries parviennent à imposer: je le prends toujours pour faiblesse, ou méforme, de ma part.

Il y a du burlesque, du gymnique, du fer croisé, des méchants, des veules, des passages secrets, des exploits et toutes sortes de prouesses, des coups du sort, des traîtrises, des torts à redresser, de l'imprévu, le camp du bien, celui du mal, etc...(vous n'en doutez évidemment pas !).

Un tout léger petit regret ?  
Dommage toutefois que Mme Allende ait escamoté toutes les possibilités de littérature équestre qu'offre un sujet aussi en or que Zorro: mais enfin l'opus pèse son pavé, on peut lui fournir une excuse...

Extrait:
Première Partie, Californie 1790-1810 a écrit:Bientôt il se trouva perdu dans l'immensité des montagnes. Il tomba sur une source et en profita pour boire et se laver, puis il s'alimenta de fruits inconnus cueillis aux arbres.
Trois corbeaux, oiseaux vénérés par la tribu de sa mère, passèrent en volant plusieurs fois au-dessus de sa tête; il y vit un signe de bon augure et cela lui donna le courage de continuer.  
À la tombée de la nuit, il découvrit un trou protégé par deux rochers, alluma un feu, s'enveloppa dans sa couverture et s'endormit à l'instant, priant sa bonne étoile de ne pas l'abandonner - cette étoile qui, d'après Bernardo, l'éclairait toujours -, car ce ne serait vraiment pas drôle d'être arrivé si loin pour mourir entre les griffes d'un puma.
Il se réveilla en pleine nuit avec le reflux acide des fruits qu'il avait mangés et le hurlement des coyotes tout proches. Du feu il ne restait que de timides braises, qu'il alimenta avec quelques branches, songeant que cette ridicule flambée ne suffirait pas à tenir les fauves à distance.
Il se souvint que les jours précédents il avait vu plusieurs sortes d'animaux, qui les entouraient sans les attaquer, et il fit une prière pour qu'ils ne le fassent pas maintenant qu'il se trouvait seul. À ce moment il vit clairement, à la lueur des flammes, des yeux rouges qui l'observaient avec une fixité spectrale. Il empoigna son couteau, croyant que c'était un loup, mais en se redressant il le vit mieux et s'aperçut qu'il s'agissait d'un renard. Il lui parut curieux qu'il reste immobile, on aurait dit un chat se réchauffant aux braises du feu.
Il l'appela, mais l'animal ne s'approcha pas, et lorsque lui-même voulut le faire, il recula avec prudence, maintenant toujours la même distance entre eux. Pendant un moment Diego s'occupa du feu, puis il se rendormit, malgré les hurlements insistants des lointains coyotes.
À chaque instant il se réveillait en sursaut, ne sachant où il se trouvait, et il voyait l'étrange renard toujours à la même place, comme un esprit vigilant. La nuit lui parut interminable, jusqu'à ce que les premières lueurs du jour révèlent enfin le profil des montagnes. Le renard n'était plus là.
Au cours de jours suivants, il ne se passa rien que Diego puisse interpréter comme une vision, excepté la présence du renard, qui arrivait à la tombée de la nuit et restait avec lui jusqu'au petit matin, toujours calme et attentif.
Le troisième jour, las et défaillant de faim, il essaya de trouver le chemin du retour, mais fut incapable de se situer.    



Mots-clés : #amérindiens #corruption #discrimination #esclavage #initiatique #litteraturejeunesse #segregation #social
par Aventin
le Lun 20 Avr - 18:34
 
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Sujet: Isabel Allende
Réponses: 4
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Romain Gary

La Vie devant soi

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 La_vie10

Le narrateur est Mohammed ‒ « Momo pour faire plus petit » ‒, un garçon qui vit avec d’autres gosses de passage dans le « clandé » (« une pension sans famille pour des mômes qui sont nés de travers ») de Madame Rosa, une Juive rescapée d'Auschwitz et ancienne prostituée (qui donc « se défendait avec son cul »). Arrivé là pour ses trois ans, il est le plus âgé des enfants en attente de leur mère ou d’une adoption, mais a « dix ans » pour longtemps (en fait quatorze), car Madame Rosa, qui affectionne les faux papiers, s’est un peu perdue dans les dates.
« Je n'ai pas été daté. »

C’est un savoureux mélange de mots d’enfant, d’approximation langagière et d’humour vachard, avec des aperçus fulgurants (sur les stigmates des camps de concentration, la justice, la société, le sexe, la vieillesse, la pauvreté, la religion, etc.) et une humanité admirablement suggérée (sentiments paradoxalement pudiques de Momo, Madame Rosa).
Momo ignore les tabous sociaux, et notamment racistes, ce dont Gary/ Ajar profite à fond.
Et comme souvent chez cet auteur, le risque est de tout citer…
« La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur. »

« Au début, je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, j'avais déjà six ou sept ans et ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin. »

« Pendant longtemps, je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait. »

« Au début je ne savais pas que je n'avais pas de mère et je ne savais même pas qu'il en fallait une. Madame Rosa évitait d'en parler pour ne pas me donner des idées. Je ne sais pas pourquoi je suis né et qu'est-ce qui s'est passé exactement. Mon copain le Mahoute qui a plusieurs années de plus que moi m'a dit que c'est les conditions d'hygiène qui font ça. Lui était né à la Casbah à Alger et il était venu en France seulement après. Il n'y avait pas encore d'hygiène à la Casbah et il était né parce qu'il n'y avait ni bidet ni eau potable ni rien. »

« C'est moi qui étais chargé de conduire Banania dans les foyers africains de la rue Bisson pour qu'il voie du noir, Madame Rosa y tenait beaucoup.
‒ Il faut qu'il voie du noir, sans ça, plus tard, il va pas s'associer. »

« Madame Rosa disait que les femmes qui se défendent n'ont pas assez de soutien moral car souvent les proxénètes ne font plus leur métier comme il faut. Elles ont besoin de leurs enfants pour avoir raison de vivre. »

« Je l'ai suivie parce qu'elle avait tellement peur que je n'osais pas rester seul. »

« Moi maintenant je pense qu'il y croyait lui-même. J'ai souvent remarqué que les gens arrivent à croire ce qu'ils disent, ils ont besoin de ça pour vivre. Je ne dis pas ça pour être philosophe, je le pense vraiment. »

« Je ne sais pas du tout pourquoi Madame Rosa avait toujours peur d'être tuée dans son sommeil, comme si ça pouvait l'empêcher de dormir. »

« Les gens tiennent à la vie plus qu'à n'importe quoi, c'est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu'il y a dans le monde. »

« ‒ C'est mon trou juif, Momo.
‒ Ah bon alors ça va.
‒ Tu comprends ?
‒ Non, mais ça fait rien, j'ai l'habitude.
‒ C'est là que je viens me cacher quand j'ai peur.
‒ Peur de quoi, Madame Rosa ?
‒ C'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur, Momo.
Ça, j'ai jamais oublié, parce que c'est la chose la plus vraie que j'aie jamais entendue. »

« ‒ Oh qu'il est mignon ce petit bonhomme. Ta maman travaille ici ?
‒ Non, j'ai encore personne. »

« J'ai dû lui jurer que j'y reviendrai plus et que je serai jamais un proxynète. Elle m'a dit que c'étaient tous des maquereaux et qu'elle préférait encore mourir. Mais je voyais pas du tout ce que je pouvais faire d'autre, à dix ans. »

« Chez une personne, les morceaux les plus importants sont le cœur et la tête et c'est pour eux qu'il faut payer le plus cher. Si le cœur s'arrête, on ne peut plus continuer comme avant et si la tête se détache de tout et ne tourne plus rond, la personne perd ses attributions et ne profite plus de la vie. Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux. »

« Si Madame Rosa était une chienne, on l'aurait déjà épargnée mais on est toujours beaucoup plus gentil avec les chiens qu'avec les personnes humaines qu'il n'est pas permis de faire mourir sans souffrance. »

« Madame Lola disait que le métier de pute se perdait à cause de la concurrence gratuite. Les putes qui sont pour rien ne sont pas persécutées par la police, qui s'attaque seulement à celles qui valent quelque chose. On a eu un cas de chantage quand un proxynète qui était un vulgaire maquereau a menacé de dénoncer un enfant de pute à l'Assistance, avec déchéance paternelle pour prostitution, si elle refusait d'aller à Dakar, et on a gardé le môme pendant dix jours ‒ Jules, il s'appelait, comme c'est pas permis ‒ et après ça s'est arrangé, parce que Monsieur N'Da Amédée s'en est occupé. »

« Elle avait toute sa tête, ce jour-là, et elle a même commencé à faire des projets d'avenir, car elle ne voulait pas être enterrée religieusement. J'ai d'abord cru que cette Juive avait peur de Dieu et elle espérait qu'en se faisant enterrer sans religion, elle allait y échapper. Ce n'était pas ça du tout. Elle n'avait pas peur de Dieu, mais elle disait que c'était maintenant trop tard, ce qui est fait est fait et Il n'avait plus à venir lui demander pardon. Je crois que Madame Rosa, quand elle avait toute sa tête, voulait mourir pour de bon et pas du tout comme s'il y avait encore du chemin à faire après. »

« Monsieur Hamil m'avait souvent dit que le temps vient lentement du désert avec ses caravanes de chameaux et qu'il n'était pas pressé car il transportait l'éternité. Mais c'est toujours plus joli quand on le raconte que lorsqu'on le regarde sur le visage d'une vieille personne qui se fait voler chaque jour un peu plus et si vous voulez mon avis, le temps, c'est du côté des voleurs qu'il faut le chercher. »

« En France les mineurs sont très protégés et on les met en prison quand personne ne s'en occupe. »

« Un vieux ou une vieille dans un grand et beau pays comme la France, ça fait de la peine à voir et les gens ont déjà assez de soucis comme ça. Les vieux et les vieilles ne servent plus à rien et ne sont plus d'utilité publique, alors on les laisse vivre. En Afrique, ils sont agglomérés par tribus où les vieux sont très recherchés, à cause de tout ce qu'ils peuvent faire pour vous quand ils sont morts. En France il n'y a pas de tribus à cause de l'égoïsme. »

« Monsieur Waloumba dit que c'est la première chose à faire chaque matin avec les personnes d'un autre âge qu'on trouve dans les chambres de bonne sans ascenseur pour voir si elles sont seulement en proie à la sénilité ou si elles sont déjà cent pour cent mortes. Si le miroir pâlit c'est qu'elles soufflent encore et il ne faut pas les jeter. »

« Mais il ne se piquait pas, il disait qu'il était rancunier et ne voulait pas se soumettre à la société. Le Nègre était connu dans le quartier comme porteur de commandes parce qu'il coûtait moins cher qu'une communication téléphonique. »

« Moi je comprends pas pourquoi il y a des gens qui ont tout, qui sont moches, vieux, pauvres, malades et d'autres qui n'ont rien du tout. C'est pas juste. »

« La vie, c'est pas un truc pour tout le monde. Je me suis plus arrêté nulle part avant de rentrer, je n'avais qu'une envie, c'était de m'asseoir à côté de Madame Rosa parce qu'elle et moi, au moins, c'était la même merde. »

« Moi les Juifs je les emmerde, c'est des gens comme tout le monde. »

« C'est dommage que Madame Rosa n'était pas belle car elle était douée pour ça et aurait fait une très jolie femme. »

Le personnage de Momo est tout à fait dans la lignée de l’éponyme de Gros-Câlin.
Le message pour lequel milite indubitablement l’auteur, c’est la mort assistée, c'est-à-dire « avorter » les vieillards qui le souhaitent :
« Je comprendrai jamais pourquoi l'avortement, c'est seulement autorisé pour les jeunes et pas pour les vieux. »

Outre ce plaidoyer, le point de vue donné par l’ouvrage est plus généralement que la vie ne vaut pas forcément le coup d’être vécue pour tous…
Des épisodes m’ont bien fait rire, notamment celui du père de Momo, Arabe à qui Madame Rosa fait accroire que son fils est devenu juif :
« Et quand on laisse son fils pendant onze ans sans le voir, il faut pas s'étonner qu'il devient juif... »

« D'abord, vous tuez la mère du petit, ensuite vous vous faites déclarer psychiatrique et ensuite vous faites encore un état parce que votre fils a été grandi juif, en tout bien tout honneur ! Moïse, va embrasser ton père même si ça le tue, c'est quand même ton père ! »

Mention spéciale également pour Madame Lola, qui travaille comme « travestite » au Bois de Boulogne, ancien boxeur sénégalais très attentif à Madame Rosa et Momo, comme d’ailleurs l’ensemble de leur immeuble d’immigrés sans papiers et autres laissés-pour-compte.
La vraie réussite de Gary, c’est de faire son lecteur se tordre de rire tandis qu’il s’émeut empathiquement pour ces marginaux « détériorés » ‒ une sorte d’effet Le père Noël est une ordure (1979).

Mots-clés : #enfance #humour #social
par Tristram
le Ven 17 Avr - 15:13
 
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Sujet: Romain Gary
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Wallace Stegner

Angle d’équilibre

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« Lyman Ward qui épousa Ellen Hammond et engendra Rodman Ward », infirme vieillissant et solitaire, décide de consacrer son reste d’existence à explorer l’histoire de sa grand-mère, Susan Burling, dessinatrice douée qui s’exila de l’univers mondain et artistique de l’Est en pleine époque victorienne pour suivre son mari, ingénieur, dans l’Ouest.
Pour en savoir beaucoup plus, voir notre LC, avec Bédoulène et Romain, ici !

Mots-clés : #aventure #culpabilité #famille #psychologique #relationdecouple #social #xixesiecle
par Tristram
le Ven 6 Mar - 12:21
 
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Sujet: Wallace Stegner
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Louis Guilloux

Le Sang noir

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« Ce surnom vient de ce qu’il parle beaucoup de la Critique de la Raison pure, dont les élèves ont fait la Cripure de la Raison tique, d’où : Cripure. »

Cripure est un étrange personnage, ambigu, ambivalent : infirme esseulé, excentrique méprisé et méprisant, professeur de philosophie et auteur raté, amoureux trahi, révolté contre la société et qui ne croit pas même à l’humanisme, ce qui rend le personnage intéressant, c’est que cet anticonformiste rempli de contradictions se reconnaît lui-même défaillant dans son orgueil blessé : lâche, il ne vaut pas mieux que les autres, qu’il hait. Guilloux fait référence à Rousseau à son propos. Ses ruminations morfondues, ses hallucinations alcoolisées et ses cauchemars culminent avec les apparitions du mystérieux Cloporte.
« Je détruis toute idole, et je n’ai pas de Dieu à mettre sur l’autel. Il faut avoir une bien piètre expérience de la vie pour oser croire à de pareilles foutaises. Les paradis humanitaires, les Édens sociologiques, hum ! Qu’il attende seulement d’avoir quarante ans, et d’être fait cocu par la femme aimée. Ensuite, on en reparlera. »

« Tant qu’il avait cru mépriser le monde, comme il avait été fort ! Mais le monde se vengeait. Cripure mesurait aujourd’hui combien il lui avait été facile de se poser en adversaire. Désormais, cette attitude n’avait plus aucun sens. L’aventure humaine échouait dans la douleur, dans le sang. Et lui, qui avait toujours prétendu, comme à une noblesse, vivre retranché des hommes et les mépriser, il découvrait que le mépris n’était plus possible, excepté le mépris de soi. »

Mais le malheureux (et attachant) Cripure n’est pas le seul personnage, s’il reste le principal : toute une société croquée sans concession gravite autour de lui, de Maïa la godon, sa servante-concubine (Basquin, son amant, la pousse à épouser Cripure ‒ pour le pognon), à Lucien le jeune rescapé qui veut changer la vie (c'est un idéaliste ‒ socialiste ‒ marqué par Cripure, ce dernier ayant aussi une certaine influence sur Moka le répétiteur, presque aussi toqué que son « maître »). Il faut également citer Kaminsky le cynique (plus même que l’auteur ?), et surtout les caricaturaux Babinot et Nabucet : le va-t-en-guerre le plus stupide et le manipulateur le plus abject d’une monstrueuse comédie humaine. Ils sont si nombreux qu’on pourrait parler de roman choral, et d’ailleurs le point de vue du narrateur n’est pas toujours celui de Cripure.
« Il compensait ainsi l’amertume de n’avoir jamais pu mettre les pieds dans les grands bordels trop coûteux de Paris, ce qui, avec le désir de fumer au moins une fois de l’opium, et celui d’être juré pour assister à un débat à huis clos sur une affaire de mœurs (autant que possible : le viol d’une petite fille) formait à peu près l’essentiel de ce qu’il eût voulu obtenir de la vie. »

Satire d’une province bourgeoise pendant la Première Guerre mondiale (Guilloux évoque à propos Bouvard et Pécuchet).
« ‒ Des taudis.
‒ C’est le mot juste.
‒ Mais, où iront loger tous ces gens-là, quand on aura démoli leurs maisons ?
‒ Ils chercheront d’autres logements, mon cher. Ils feront comme tout le monde. Que veux-tu que nous y fassions ?
Le bon sens dicta au Capitaine cette réflexion, qu’il eût été juste de leur en bâtir quelque part de nouvelles.
‒ Elles seraient aussi sales que celles-ci au bout d’un mois, répliqua Nabucet. »

Une fois encore, je trouve saisissant que ce qui diffère vraiment de notre époque dans les années dix, c’est le duel ‒ comme l’effarant détail qui ferait soupçonner un univers parallèle.
Un principal "message" de l’auteur, c’est que l'holocauste dans la guerre d’une jeune génération flouée est l’œuvre monstrueuse de la société elle-même.
« Plus il y réfléchissait, plus il se disait que la jeunesse est incroyablement dupe, une fois sur mille, et pour le reste consentante. »

« La vérité, c’est qu’il avait été comme tous les enfants, un enfant écrasé, puis un jeune homme et un homme écrasés, à qui on avait commencé de voler la vie en détail avant de tenter le grand coup de la lui voler en bloc. »

« Mais si j’suis pas tué, j’irai à la prochaine permission. »

« C’était pas son pognon mais ça lui faisait quelque chose quand même. Mille balles ! C’était toujours mille balles de foutues… Amédée n’aurait pas le temps de les dépenser avant d’arriver au front et il pouvait être tué le jour même. Et puis même sans ça, quoi… »

L’abjection de la tuerie organisée apothéose dans le poignant épisode de l’insurgé fusillé, qu’on ne connaît que par la souffrance des rares personnes faisant preuve d’humanité dans le roman, ses parents et le député Faurel.
Une autre récurrence, avec l’incessante dénonciation de l’hypocrisie, ce sont les exactions envers les femmes (mésalliées, prostituées, quand il ne s’agit pas de mineures abusées).
Une sorte de prémonition en filigrane, des allusions avant-coureuses augurent la fin de ces vingt-quatre heures de Cripure.
Dans cette misère générale, l’influence de la littérature russe (Dostoïevski, Gogol) est patente ; Guilloux, après Barbusse, a un regard pessimiste assez proche de celui de Céline dans le Voyage sur la guerre et la condition humaine.
« Le monde est absurde, jeune homme, et toute la grandeur de l’homme consiste à connaître cette absurdité, toute sa probité aussi. »

(Ayant réfléchi sur ce terme un peu désuet de "probité", il m’a semblé que Camus aurait apprécié cette sentence.)
« Les livres, peut-être, qui lui avaient tourné la tête. »

Le roman est suivi dans mon exemplaire d’une nouvelle, Douze balles montées en breloque, qui montre la fille d’un fusillé refuser sa réhabilitation tardive (on avait considéré que ce Breton ne parlant pas français s’était volontairement blessé à la main droite).
« Ce serait comme si Le Bihan consentait à sa propre mort, et pardonnait à ses bourreaux. »


Mots-clés : #mort #premiereguerre #social #xxesiecle
par Tristram
le Mer 1 Jan - 23:39
 
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Sujet: Louis Guilloux
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Alaa al-Aswany

Automobile Club d'Égypte

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 97823310

Étalage de bons sentiments, surtout ceux de l’épouse, en Égypte traditionnelle (notamment de Haute-Égypte, d’où proviennent la famille Hamam et Alaa al-Aswany d’après son nom), respect de Dieu, bigoterie et sens des convenances, obséquiosité ‒ mais il est vrai que cette société fait des Égyptiens des êtres foncièrement "sociaux" et gentils.
La misère sexuelle et le rapport problématique au sexe sont aussi typiques de cette société en porte-à-faux entre Orient et Occident.
La phrase citée par Dreep m’a choqué à la lecture :
« ‒ Chers condisciples, généralement nous rattachons le sens du mot “viol” au viol d’un corps. Mais cela est faux. Le viol, fondamentalement, est le viol d’une volonté. L’occupation vise à assujettir l’Égypte. Les Anglais veulent briser notre volonté. L’occupation est un viol. L’Égypte est violée. L’Égypte est violée. Est-ce que vous acceptez que votre pays soit violé ? […]
‒ Égyptiens, étudiants de l’université. Les négociations ne servent à rien. Ce ne sont pas des mots qui feront sortir les Britanniques d’Égypte. Les Britanniques ne comprennent que le langage de la force. Ils ont occupé notre pays par la force et ils ne l’évacueront que grâce à la force. Fils de l’Égypte, vous qui êtes son espérance, l’Égypte vous regarde. Cette journée est votre journée. Les soldats anglais violent vos mères et vos sœurs. Et vous, que faites-vous ? »

C’est l’argumentaire d’Hassan Mo’men, « le responsable du parti Wafd à l’université », pour soulever les étudiants : le moins qu’on puisse dire est qu’il utilise une rhétorique basée sur l’émotivité machiste…
Alaa al-Aswany excelle à croquer ses personnages aux traits caractéristiques ; ils dénotent son sens de l’observation (cf. Bahr le barman, ou Aïcha et sa fille Faïqa). La peinture des atermoiements de la main-d’œuvre servile du Club en difficile voie de passage de la résignation à l’indignation, leur "prise de conscience politique" parallèle à celle de l’Égypte dominée/ occupée/ colonisée par l’Angleterre, est particulièrement fouillée.
« La justice pervertit les serviteurs. »

L’invention de l’automobile par Carl Benz en Allemagne, épaulé par sa femme Bertha, qui débute le roman, de même que le découpage des séquences des fils de différentes vies, m’ont paru plutôt inappropriés ou artificiels, ainsi que la fin.

Mots-clés : #conditionfeminine #discrimination #fratrie #social
par Tristram
le Mar 10 Déc - 23:08
 
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Sujet: Alaa al-Aswany
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Pierre Jourde

Pays perdu

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Jourde10



Vous le savez peut-être, l'homme Pierre Jourde m'est assez antipathique. Mais je ne m'interdis jamais de lire ni d'aimer l'œuvre d'un écrivain dont la personnalité me rebute. Je ne profite donc pas de ce compte-rendu pour faire son procès, car son livre m'a déplu pour des raisons extérieures à ce qui me déplaît habituellement chez lui et dans ses articles de blog. Par ailleurs, je me suis forcé de ne pas lire ton commentaire, @Nadine. Je le lirai dès que j'aurai terminé le mien (et j'ai hâte !)

***
                                                                                         
Dans le village déshérité où vit encore une partie de la famille du narrateur, un enterrement a lieu. Cet enterrement est le fil rouge du roman, autour duquel s'entrecroisent les portraits des habitants de ce "pays perdu". Le narrateur, à travers et par-delà ces portraits, engage une réflexion sur la mémoire, sur le deuil et sur l'impermanence des choses.

Dans l'incipit, le narrateur retrace l'itinéraire de la ville jusqu'au "pays perdu", qu'il suivait avec son père lorsqu'ils allaient visiter leur famille. Cet itinéraire du cœur du monde à ses confins, paradoxalement brouillé par la précision des explications géographiques, nous fait mesurer l'isolement de ce "pays". Ceci entendu, cette énumération nécessairement longue et répétitive des routes, des villages, des crevasses, des montagnes, des rocs, des steppes brûlées, du ciel "comme une mer", matérialisant le gouffre spatial et temporel entre le "pays perdu" et le monde civilisé, à cause de sa longueur même, se devrait d'être sinon un manifeste esthétique, du moins une démonstration de style, sous peine d'être pur excédent et véritable pensum.

Or, d'entrée de jeu et tout le long du roman, c'est précisément le style qui pèche.

Sa phrase est encombrée de détails terre-à-terre censés produire un effet de réel, mais qui ne font guère illusion : ces détails, simples notations dépourvues de tout traitement littéraire et qui me semblent par ailleurs tout à fait accidentelles, se résument à un vain remplissage. Entre plusieurs artifices, Jourde a fréquemment recours à un vocabulaire excessif et tonitruant, qu'il semble confondre avec l'éloquence et la force d'évocation; afin de donner vigueur et mouvement à ses descriptions, il prête vie aux paysages et aux objets d'une façon maladroite et inefficace. Enfin, son texte juxtapose bien souvent un vocabulaire vulgaire jugé celui d'un campagnard et le lexique choisi d'un spécialiste (manifestations qu'on peut également observer à l'échelle de la syntaxe) : je suppose qu'il s'agit d'un choix conscient, non entièrement dénué d'humour, mais qui n'en est pas moins agaçant.
Je trouve par exemple cette phrase assez drôle, mais ça ne vient pas sans un léger malaise : quel regard du narrateur est-ce que cela traduit, au-delà de l'effet comique ?
Il est arrivé que Gustave, la bouche pleine de potage, puant la vinasse et la sueur, projette dans mon assiette, scories d'une éruption spasmodique de mots, quelques fragments de vermicelle.

Sans développer outre-mesure, je suis encore stupéfié par le passage consacré à la typologie des bouses de vache, dont topocl a déjà parlé. Je pense ne jamais avoir rien lu de plus vulgaire, mais j'avoue que je me suis bien amusé.

En somme, l'écriture de Jourde est une écriture inopérante : ce n'est pas le roman qui se regarde fonctionner, c'est l'auteur qui se regarde écrire. Et c'est regrettable, car ses portraits auraient pu m'intéresser. À leur tonalité on sent qu'ils se voudraient intimes, empathiques, et cependant sans concessions. Je les trouve sans chaleur car Jourde ne parvient jamais à faire oublier sa présence : c'est à peine si je vois rien d'autre que la page du livre que je suis en train de lire. Trop souvent, il sacrifie à la belle formulation et au trait d'esprit la justesse de ses peintures.
Avec sa casquette, sa veste de grosse toile bleue et ses moustaches, c'est l'effigie du paysan en visite. Le travail de soixante années tombe sur cette silhouette neutralisée et la rive au sol.

Dans la robe blanche qui peine à faire le tour de sa carrure puissante, la couronne des épousées sur le crâne, elle figurerait aussi bien, avec le même naturel, sur la photographie d'un mariage à Oulan-Bator dans les années quarante.


On trouve tout de même, çà et là, de courtes réflexions sur la douleur et sur le deuil qui m'ont paru plutôt justes.
À présent je ne viens plus toucher la tombe pour sentir sa peau, mais pour tenter de me remémorer une sensation morte. C'est à la sensation que je songe, et non à lui. Alors je me reproche ce geste vide. Je m'en veux de cette sentimentalité sans contenu, qui blasphème une piété disparue, réduite à des rites. Mais peut-on s'en vouloir d'accomplir les rites sans recevoir la visite du dieu ? Qu'il faille avoir honte de son absence signifierait que la douleur est honorable. La douleur n'a rien d'honorable. L'idée même est déplaisante, comme si l'on pouvait tirer quelque rétribution de cela. Ni la souffrance, ni l'absence de souffrance ne peuvent se vivre sans culpabilité. Il faudrait apprendre à ne plus s'en vouloir.


Quant à l'agression qu'il a subie après la parution de ce texte, je n'en vois pas le motif. Ce livre n'a pourtant rien d'une insulte…


Mots-clés : #intimiste #mort #nature #ruralité #social #solitude
par Quasimodo
le Jeu 31 Oct - 20:11
 
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Sujet: Pierre Jourde
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Paul Auster

Sunset Park

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 97827421

Pendant la crise financière américaine de 2008, Miles Heller, vingt-huit ans, travaille en Floride à l’enlèvement des rebuts dans les maisons abandonnées par leurs propriétaires ruinés.
« Dans un monde en train de s’écrouler, un monde de ruine économique et de misère implacable toujours plus étendue, l’enlèvement des rebuts est l’une des rares activités en plein essor dans cette région. »

Il héberge et soutient sa petite amie étudiante, Pilar, qui n’a que dix-sept ans… Un chantage particulièrement odieux le fera fuir, et retourner à New York.
Il m’a semblé percevoir une condamnation par l’auteur du diktat judiciaire qui occasionne une chasse abusive au "détourneur de mineure".
Le « narrateur omniscient » nous a aussi appris que Miles se sent coupable, objectivement ou pas, de la mort accidentelle de son demi-frère Bobby ; après cet accident et sept ans plus tôt, il a surpris une conversation entre son père et sa belle-mère (mariés après la fuite de sa mère alors qu’il avait six mois) lui reprochant son attitude devenue distante, et d’avoir renoncé au base-ball. Miles abandonna alors études et parents, ainsi que toute perspective ou projet pour sa propre existence.
Avec le personnage de la mère, Mary-Lee, abandonnant mari et bébé afin de poursuivre sa carrière d’actrice, on n’est pas non plus dans le propos mainstream politi-correct ; quant aux conséquences désastreuses :
« …] que sa mère n’avait absolument pas voulu de lui, que sa naissance était une erreur, qu’il n’y avait aucune raison défendable pour justifier son existence. »

Le père, Morris, un éditeur indépendant new-yorkais, est présenté comme quelqu’un de cultivé, sympathique, qui lutte pour sauver sa petite maison d’édition, préserver son couple en difficulté, et retrouver son fils.
« …] le fond de l’affaire était le suivant : ils s’aimaient mais n’arrivaient pas à s’entendre. »

« …] son père se démenait pour publier des livres valables dans un monde de produits éphémères, aussi inconsistants qu’à la mode. »

Le taciturne Miles rejoint le squat de son ami Bing Nathan, une maison délabrée de Brooklyn ‒ dans le quartier de Sunset Park ‒ où ce dernier, rebelle, percussionniste de jazz et tenancier de l’Hôpital des Objets Cassés (réparation d’appareils d’une époque révolue ‒ « machines à écrire mécaniques, stylos à encre », etc., et encadrement de tableaux), vit avec deux jeunes femmes. Il est contre…
« la croyance dominante qui veut que les nouvelles technologies modifient la conscience humaine. »

« …] et tout ce qui t’arrive depuis l’instant de ta naissance jusqu’à l’instant de ta mort, chaque émotion qui surgit en toi, chaque bouffée de colère, chaque montée de désir, chaque crise de larmes, chaque éclat de rire, tout ce que tu éprouveras un jour au cours de ta vie a également été ressenti par tous ceux qui sont venus avant toi, que tu sois un homme des cavernes ou un astronaute, que tu vives dans le désert de Gobi ou à l’intérieur du cercle arctique. »

« C’est le chevalier de l’indignation, le champion du mécontentement, le pourfendeur militant de la vie contemporaine, et il rêve de forger une réalité nouvelle sur les ruines d’un monde qui a échoué. Contrairement à la plupart des dissidents de son espèce, il ne croit pas à l’action politique. Il n’adhère à aucun mouvement, à aucun parti, il n’a jamais pris la parole en public et n’a aucun désir de conduire dans les rues des hordes en colère qui mettront le feu à des bâtiments et renverseront des gouvernements. Sa position est purement personnelle, mais s’il mène sa vie selon le principe qu’il s’est fixé, il est certain que d’autres suivront son exemple. »

« Dans une culture du jetable engendrée par la cupidité de sociétés commerciales mues par la recherche du profit, le paysage global est de plus en plus miteux, de plus en plus aliénant, de plus en plus vide de sens et de dessein unificateur. »

(Comme Simla, j’ai trouvé marquant par ce qu’il est dit de lui et de ses idées.)
Mais voici les "colocs" (sans loyer) : Alice est une thésarde et Ellen, qui a avorté et manqué un suicide, en proie aux « fantasmes hystériques » d’un désir sexuel exacerbé par le manque, tente de redonner un sens à sa vie en dessinant « l’étrangeté d’être en vie ». Toutes deux ont aussi un petit boulot partiel alimentaire.
« Elle [Ellen] ne veut pas en finir avec la vie afin de continuer à vivre. »

Les vétérans de la Seconde Guerre mondiale sont mis en parallèle avec les blessés de la société actuelle, et notamment des artistes :
« …] pas exactement des êtres humains ratés, mais pas non plus des réussites. Des âmes amochées. Des blessés qui marchent, qui s’ouvrent les veines et saignent en public. »

Plusieurs personnages gravitent autour de l’écriture, ce qui est l’occasion de la sorte de mise en abîme suivante :
« Telle est l’idée avec laquelle il joue, dit Renzo, celle d’écrire un essai sur les choses qui ne se produisent pas, sur les vies non vécues, les guerres qui n’ont pas été livrées, sur ce monde d’ombre qui s’étend parallèlement au monde que nous prenons pour le monde réel, le non-dit et le non-fait, le non-remémoré. Un terrain hasardeux, peut-être, mais qui vaudrait peut-être la peine d’être exploré. »

Auster passe d’un personnage à l’autre en leur consacrant à chaque fois un chapitre ou plus, et l’action se déroule simultanément.
Le point de vue du narrateur semble progressivement devenir celui de Morris (cet homme vieillissant est peut-être un alter ego de l’auteur), et Mary-Lee n’est bientôt plus présentée uniquement comme égocentrique, « capricieuse et incompétente », mais comme une vraie actrice (elle joue Becket au théâtre), qui regrette sincèrement son ratage de mère. Peut-être la perspective change-t-elle avec les personnages, mais ce n’est pas net.
Paul Auster a donc repris une fois de plus le thème des destinées hasardeuses :
« Ce n’est donc rien qu’un coup de dés de plus, rien qu’un numéro de loterie tiré de l’urne en métal noir, un hasard extraordinaire dans un monde de hasards extraordinaires et de désordre sans fin. »

J’ai regretté qu’il ait cédé à sa facilité enthousiaste pour prendre ses exemples de destinées extraordinaires dans les obscures et fastidieuses biographies de joueurs de base-ball.
Un des mérites du livre est de montrer clairement la précarité, les logements inaccessibles et les salaires qui ne permettent pas de vivre correctement pour ceux qui ont la chance d’avoir un travail, phénomènes qu’on observe dorénavant chez nous.
D’une manière prémonitoire,
« …] le point important de tout cela, écrivait le jeune Miles, c’est que les blessures sont une partie essentielle de la vie, et tant qu’on n’est pas blessé d’une façon ou d’une autre, on ne peut pas devenir un homme. »

Au début, j’étais persuadé de tenir un excellent roman, mais à la fin je me demande si l’élan de l’auteur ne s’est pas un peu dilué en route ; reste en tout cas une belle histoire (triste).

Mots-clés : #contemporain #social
par Tristram
le Mer 23 Oct - 21:06
 
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Sujet: Paul Auster
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Pierre Clastres

Chronique des Indiens Guayaki, Ce que savent les Aché, chasseurs nomades du Paraguay

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Chroni10

Le texte de Pierre Clastres paraît d’abord assez brouillon : observations en immersion chez les Guayaki (en 1963), présentation historique de ceux-ci découverts par le monde extérieur (mais sans suivre le cours chronologique), récit de sa venue chez eux s’entremêlent avec des réflexions sur notre civilisation, y compris sa thèse d’un pouvoir politique séparé de la violence, c'est-à-dire en occurrence où le chef parle mais n’ordonne pas (finalement pas si éloigné de notre société).
Les Guayaki sont des chasseurs-cueilleurs nomades qui auraient régressé et se seraient réfugiés dans la forêt (en perdant l’agriculture) sous la pression de l’expansion des Guarani plus nombreux (leurs langues sont apparentées) ; ce sont des « "gens de la forêt", des selvages ». Toute leur existence ressortit à la chasse ; le chasseur ne consomme pas le gibier qu’il flèche, mais le distribue dans une économie d’échanges courtois ; si l’arc est viril, le panier est féminin (passionnant épisode du cas d’un homosexuel). Ils sont assez souvent d’un teint clair et d’une pilosité inusités chez les Amérindiens, ce qui suscite quelques mythes non-amérindien. A propos, ils sont aussi cannibales, « mangeurs de graisse humaine » ‒ « endocannibales, en ce qu’ils font de leur estomac la sépulture ultime des compagnons », régime nourrissant, excellent au goût, même rapproché de l’amour.
« Parce que manger quelqu’un c’est, d’une certaine manière, faire l’amour avec lui. »

Certaines extrapolations interprétatives m’ont paru audacieuses, surtout après un séjour d’à peine 8 mois chez les Guayaki (groupe hélas éteint dans les années qui suivirent), et peut-être datées après les travaux Lévi-Strauss et Descola ‒ bien sûr mon incompétence ne peut avancer que des impressions, moi je suis seulement venu pour la ballade en forêt, grignoter quelques larves de palmier pinto, tâter du miel de l’abeille irö (dilué d’eau), chatouiller les femmes en kivay coutumier.
C’est donc l’habituelle opposition nature et culture, la violence devant rester en-dehors de la communauté qui s’applique à maintenir l’ordre, l’équilibre entre excès et manque.
« Là-même gît le secret, et le savoir qu’en ont les Indiens : l’excès, la démesure sans cesse tentent d’altérer le mouvement des choses, et la tâche des hommes, c’est d’œuvrer à empêcher cela, c’est de garantir la vie collective contre le désordre. »

Sinon, la grande affaire est de posséder des femmes, que ce soit par rapt guerrier ou liaison consentie qu’on se les procure. Ils pratiquent le meurtre d’enfant par vengeance-compensation d’un autre décès ; ils tuent aussi les vieillards qui ne peuvent plus marcher ‒ et, bien sûr, ils les mangent.
Revigorante, cette comparaison d'une autre société à la nôtre, avec peut-être plus de rapprochements à faire que de différences à pointer.

Mots-clés : #amérindiens #contemythe #essai #identite #minoriteethnique #mort #social #temoignage #traditions
par Tristram
le Lun 14 Oct - 1:14
 
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Sujet: Pierre Clastres
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José Saramago

Relevé de terre

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Le ton est celui du récit parlé populaire, celui d’un ancien avec ses dictons, ses ingénuités ; c’est l’histoire d’une misérable famille rurale sur quatre générations, au cours de laquelle les yeux bleus du violeur initial réapparaissent aléatoirement. Cette narration commence au début du XXe, au moment de la proclamation de la République, et repasse parfois au quinzième siècle, lors du viol de l’ancêtre par un Allemand gouverneur du latifundium, tant ce dernier laisse inchangé le destin de la population à sa merci.
Le latifundium est, dans l’antiquité romaine, un grand domaine rural formé à la suite d'usurpations de terres, cultivé par des esclaves et sur lequel les riches Romains pratiquèrent une agriculture de type nouveau fondée sur l'élevage, l'oléiculture et la viticulture ; aux temps modernes, c’est un très vaste domaine agricole où l'on pratique une culture extensive pauvre (TLFi). Aride contrée, où on arrache l’écorce de liège des chênes.
Le peuple affamé par le latifundium que soutient la garde nationale et le clergé, toujours dans la hantise du chômage, se rebelle progressivement grâce au communisme.
« Vu de Monte Lavre, le monde est une montre ouverte, avec les tripes au soleil, en train d’attendre que sonne son heure. »

« C’est ça le luxe de l’époque, que les souffrants se glorifient de leurs souffrances, que les esclaves s’enorgueillissent de leur esclavage. »

« …] ils se connaissaient, évidemment, ce ne fut pas je te vois et je t’aime, mais ensuite elle dit, Alors, Manuel, et il répondit, Alors, Gracinda, et ce fut tout, celui qui pense qu’il en faut davantage se trompe. »

« Trente jours d’isolement font un mois qui ne peut figurer sur aucun calendrier. On a beau calculer et apporter la preuve réelle, ce sont toujours des jours de trop, c’est une arithmétique inventée par des fous, nous nous mettons à compter, un, deux, trois, vingt-sept, quatre-vingt-quatorze, et finalement nous nous étions trompés, seuls six jours étaient passés. »

Les phrases sont souvent longues, paraissent parfois l’être trop, et la ponctuation n’aide guère à scander le discours (il manque des points entre les différentes répliques des dialogues qui sont concaténés, seule une majuscule annonçant le changement d’interlocuteur) ; c’est d’ailleurs l’écriture ‒ l’élocution ‒ typique de Saramago, flux torrentiel quasiment continu. Parti pris a priori ? j’ai eu l’impression d’une litanie monocorde, à peine relevée par moments, comme lorsqu’il évoque les libres brigands.
Heureusement quelques (fausses) digressions animent le récit :
« …] on se met à raconter une histoire, mais il y en a d’autres qui vous viennent en cours de route. »

Cette forme de relation orale est questionnée :
« Il faut distinguer ce qui est réflexions du narrateur de ce qui est pensées de João Mau-Tempo, mais reconnaissons qu’il s’agit d’une seule et même certitude, et, s’il y a des erreurs, qu’elles soient partagées. »

« Les hommes sont ainsi faits que même lorsqu’ils mentent ils disent une autre vérité et si, au contraire, c’est la vérité qu’ils veulent entendre sortir de leur bouche, cette vérité s’accompagne toujours d’une sorte de mensonge, même quand ce n’est pas intentionnel. Voilà pourquoi nous n’en finirions jamais si nous nous mettions à discuter la part de mensonge et de vérité dans ces histoires de chasse d’António Mau-Tempo [… »

On est même parfois proche du conte : outre la vision panoptique des milans, ce sont des fourmis qui « lèvent la tête comme les chiens », et sont les seuls témoins du maquillage en suicide de la mort sous les coups d’un gréviste interrogé après avoir été arrêté par la garde.
Ricardo Reis, hétéronyme de Fernando Pessoa et sujet du roman de Saramago quatre ans plus tard, fait une première apparition dans son oeuvre.
C’est une poignante évocation de la misère rurale portugaise, mais pas ma lecture préférée de cet auteur.

Mots-clés : #ruralité #social #viequotidienne
par Tristram
le Ven 11 Oct - 0:24
 
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Sujet: José Saramago
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Mathieu Palain

Sale gosse

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Couv_s10


Originale : Français, 2019

Présentation de l'éditeur a écrit:Wilfried naît du mauvais côté de la vie.
Sa mère, trop jeune et trop perdue, l’abandonne. Il est placé dans une famille d’accueil aimante. À quinze ans, son monde, c’est le foot. Il grandit balle au pied dans un centre de formation. Mais une colère gronde en lui. Wilfried ne sait pas d’où il vient, ni qui il est. Un jour sa rage explose ; il frappe un joueur. Exclusion définitive. Retour à la case départ. Il retrouve les tours de sa cité, et sombre dans la délinquance. C’est là qu’il rencontre Nina, éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse. Pour elle, chaque jour est une course contre la montre ; il faut sortir ces ados de l’engrenage. Avec Wilfried, un lien particulier se noue.
D’une plume hyper-réaliste, Mathieu Palain signe un roman percutant. Il nous plonge dans le quotidien de ces héros anonymes et raconte avec empathie une histoire d’aujourd’hui, vraie, urbaine, bouleversante d’humanité.


REMARQUES :
Roman, inspiré d’histoires vraies. Ecriture et histoire qui sonne réaliste et proche d’un vécu dans la France d’aujourd’hui. Comme dit le titre, il s’agit d’un gosse : à l’heure du roman Wilfried a quinze ans. Il a fait une bêtise qui l’arrache de ce qu’il aimait faire : le foot dans un centre d’entrainement de l’AJ Auxerre. Donc, il revient vers ses parents d’accueil et vire doucement vers le bas. Et sera reclamé après une quinzaine d’années d’absence par sa mère naturelle. Comment s’en sortir ?

Et c’est déjà que l’auteur avait introduit depuis le début la présence de personne attachantes et engagées de la protection des mineurs et de l’accompagnement. Donc un regard positif sur ce travail dans le social ! Et ainsi pas justement fataliste, mais porteur d’un espoir. Mais néanmoins écrit avec une plume très réaliste, n’évitant pas des descriptions macabres et p ex le langage des banlieues. J’ai rarement (jamais?) lu quelque chose de si près du vécu d’une couche de jeunes dont je ne connais si peu. Très bien !

Voir aussi entretien avec l'auteur: https://www.youtube.com/watch?v=V14nEZtOI1U


Mots-clés : #criminalite #jeunesse #justice #social
par tom léo
le Jeu 10 Oct - 22:02
 
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Sujet: Mathieu Palain
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Daniel de Roulet

10 petites anarchistes

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Index14

Au XIXème siècle, elles partent du Jura suisse  où les hommes et la vie les ont déçues, ces 10 jeunes femmes qui vont, avec une belle bande d’enfants,  tenter de vivre une utopie anarchiste en Amérique du Sud. L’exil, le climat, la rudesse des mâles, la difficulté de la tâche, l’amour, la mort, vont les éliminer une à une en dix  chapitres ouvertement placés sous la  férule d’Agatha Christie. Mais elles auront vécu – et partagé par ce roman - une belle aventure tout à la fois politique et humaine : d’amitié, de coopération .


Mots-clés : #amitié #conditionfeminine #immigration #politique #social #solidarite #xixesiecle
par topocl
le Jeu 3 Oct - 11:15
 
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Howard Fast

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 Memoir10

Mémoires d'un rouge

Encore un commentaire qui ne rendra pas justice à la somme de choses qu'on trouve dans le livre. Surtout qu'il a du métier ce Howard Fast dont je ne connaissais pas le nom, les environ 550 pages de ses mémoires passent avec une facilité déconcertante.

On démarre fort avec un jeune homme qui rêve de s'engager contre le nazisme et qui se retrouve presque à regret à travailler comme un damné à la préparation des bulletins d'information qui seront diffusés dans toutes l'Europe occupée.

On découvre ensuite derrière ce patriotisme un parcours assez dur : très jeune il a dû travailler, se battre aussi et à côté de ça il a réussi malgré tout à lire, et à écrire. L'obsession après avoir juste ce qu'il faut pour se loger et se nourrir avec ses frères et leur père.

De rencontre en rencontre il se démène et accepte l'importance de sa tâche, stimulé aussi par sa place au cœur du système et de l'information. Néanmoins il veut partir, se confronter à la réalité de la guerre. Ce qui ne se fera pas comme il l'espérait. Ses penchants "à gauche" ou pro-russes alors que le conflit va toucher à sa fin dérangent et son départ se fera pour l'Afrique du Nord avant l'Inde.

Patriotisme toujours, et pacifisme encore plus fort face aux absurdités et injustices de la guerre. Nous voilà partis dans un vrai voyage qui vient nourrir l'homme et ses convictions. Il y a des pages très fortes là-dedans aussi.

De retour aux Etats-Unis les années difficiles pour les communistes et sympathisants sont là. D'auteur à succès il devient persona non grata. Procès, refus des éditeurs... Condamnation et montage de sa propre maison d'édition. Prison, campagnes politiques, meetings, récoltes de fonds pour les plus démunis, combat contre le racisme des années difficiles mais riches encore. La mise en place du maccarthysme et de mascarades judiciaires aux frais du contribuable sont décrites dans l'ombre non pas des écoutes et tracas incessants causés par un FBI envahissant mais plutôt dans la tension entre le parti communiste et ses lignes directrices et le sentiment d'injustice car au fond il reste et est volontairement ce qu'on pourrait un "bon américain" avec des idéaux indéboulonnables de liberté.

Des pages assez incroyables encore. Il faut aussi parler de la menace d'une troisième guerre mondiale avec la menace atomique mais aussi de l'antisémitisme et des rumeurs d'une URSS de moins en moins idyllique. Ne pas oublier les tentatives de lynchages ?

C'est dense, très dense, très riche et avance vers l'inévitable ras le bol d'un parti qui s'est peut-être d'abord plombé lui-même à force de rigidité et de dogmatisme aveugle. Désillusion ? Ptet ben que oui, ptet ben que non.

Après tout pour Howard Fast ce qu'on lit c'est sa volonté mais soutenue par les rencontres, sa femme, ses enfants et les amis d'un jour ou de toujours, ce sont aussi ses chroniques au Daily Worker et surtout surtout l'indépendance et la liberté de penser, de s'exprimer et d'aider.

Et il y a les images et idéologies qui sont mises en lumière dans le livre avec leurs reflets d'aujourd'hui...

Mots-clés : #autobiographie #documentaire #guerre #justice #politique #racisme #social #solidarite #universdulivre
par animal
le Jeu 26 Sep - 14:08
 
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Alain Julien Rudefoucauld

Le dernier contingent

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 51dlp310


Pendant 12 semaines le lecteur (trice) suit le quotidien de jeunes mineurs délinquants : Marco, véritable Goliath, Thierry le rouquin Circassien, Sylvie fille de gendarme, Malid mulâtre qui se prostitue, Xavier fils d’enseignants  et Manon prostituée. En alternance chacun parle, c'est le "je" qui est employé et qui donne la vivacité à leur récit.

Tous abîmés par la société, parents absents, désintéressés ou pire intéressés.

Une plongée dans le système « éducatif » social/pénal en mutation permanente qui ne répond pas ou mal à l’ errance, la recherche des jeunes mineurs confrontés à la violence morale ou physique de la société.

On ne peut que s’attacher à ces jeunes cabossés mais qui restent pourtant debout, qui n’ont de soutien qu’ eux-mêmes. Des moments de tension extrême,sans réserve,  mais aussi des situations sur le fil qu'un sourire même moqueur, une parole, un geste peuvent apaiser.

Douze semaines de rencontres, de violence graduelle, d’insertion, de fuites, de retrouvailles, de partage, et une rencontre 3 ans après pour expurger le passif.

L’auteur expose des faits, des réalités, sans langue de bois, tel le langage déroutant pour un adulte de ces mineurs,  et sans jugement.

Certainement qu’ils sont nombreux dans notre société ces Marco, Malid, Manon,Thierry, Xavier, Sylvie…………. Qui ont le même langage, les mêmes mots pour dénoncer leur mal-être, leur difficulté à vivre,  la désertion des adultes.

Une écriture qui vient des tripes, c’est cru, net, incisif, certaines situations sont éprouvantes et le lecteur (trice)sent que la réalité est peut-être au-deçà.

Extraits
Sylvie : « De toute façon c’est à chaque fois le même truc. La même connerie. Chaque dimanche. Elle se fait sauter. Depuis le petit-déjeuner, jusqu’au soir. Il sort pas de la chambre l’autre. Elle se fait sauter, et Papa il a sauté. C’est tout ce qu’il y a à dire. »

Malid : « Ah ! les parents ils vont pouvoir lire, c’est pas en taule qu’ils vont s’amuser à la Partouze, ou alors y a plus de justice. Des tarés. Des adoptés. Tous gardiens agréés. Sécu. Assurance sociale et compagnie. […]Comme dans Zola. Pas un gosse qu’a la même origine. C’est la curée. La curée des adoptés. »

Xavier : Ma parole je fais. Mon père, il est toujours planqué derrière Platon, et ma mère, elle baise avec Kant, je vous dis pas les noms !
-Tes parents ils sont profs et ils t’appellent hé hé ! tu te fous de moi encore, je te sauve la mise, et tu me balades en plus, je vais me fâcher, je te le dis moi.
Elle redémarre en râlant comme un Garfield. Elle me scotche la Tatie. Elle gueule sans s’arrêter, - Allez, presse un peu, ils surveillent, ta culotte pue le chien. »
Xavier :
« Les gendarmes nous regardent. Ils sont avec un air de cons prétentieux.
Un gendarme :
-Qu’est-ce que tu racontes, demande celui qui est à côté de Malid, tu lis Albert Camus toi ?
- Ben oui il leur dit.
- Ben qu’est-ce que tu fous en ordonnance 45 ?
Là il dort plus Malid. Il se frotte le front. Il fixe le gendarme, - C’est ma révolte, Msieur.
- Quoi c’est ta révolte . Tu te révoltes en faisant la pute ?
- Non, mais le résultat c’est moi qui les baise, c’est ça ma révolte. »

« Marco balance ses battoirs en l’air, épouvantail, - Hé Msieur, pas la peine de reculer et de vous jouer l’aventure, si j’avais voulu vous aligner ça serait déjà fait ! mon copain il veut simplement que je vous pose une question, c’est ça la pièce, ça fait ringard, alors c’est quoi un AEP ?
Le gars se rassure. Il danse d’un pied l’autre.

- Un Accueil Educatif Pénal
- Un Accueil Educatif Pénal, ça va ensemble ces mots ?
- C’est la réforme de la justice ; j’y suis pour rien. »

Manon : […] vous inquiétez pas, vous avez déjà votre place réservée à la prison, ou à l’hôpital psychiatrique, ça dépend de ce qu’on trouvera dans les tests et dans les dossiers ; et moi je vous dis que j’attendrais pas, c’est clair ; oh ! la foule des humains ! vous m’entendez, les petits éducs ! les petits placés ! les rampants ! j’ai plus de liberté dans mes cuisses que dans votre tête ; regardez autour de vous bande de nazes, and look me !
Manon élève au-dessus de sa tête une belle poche en plastique jaune toute pleine de je sais pas quoi. Elle hurle au ciel, - La liberté !
Elle disparait du pont avant d’avoir dit – Je m’envole terriens.
On contemple Manon qui écarte l’eau de ses bras pour rejoindre la berge là-bas. »

Marco  au directeur de la colonie :  « Ben Msieur, vous êtes copain avec les monos ou quoi ?
Le gendarme m’empoigne le bras, - Bon alors, si c’est ça on va te laisser ici toi.
- Moi je reste pas là, çui qui s’appelle Robert, il m’a fouillé la braguette, et lui là, l’autre, là, il a rien fait, il était dans la cuisine pour le cinquième repas, mais il est pareil, pareil, je vous dis Msieur, alors pas la peine de me forcer, je reste pas là Msieur.
- Vous vous tenez à disposition, fait l’adjudant au directeur. »

N’hésitez pas à faire cette lecture bien au-delà de mon modeste commentaire.

Mots-clés : #jeunesse #justice #social #violence
par Bédoulène
le Mar 17 Sep - 17:35
 
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Sujet: Alain Julien Rudefoucauld
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Sylvain Pattieu

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 41debt10

Beauté Parade

En haut comme en bas, elles me parlent mais ne me disent pas tout. Il y a des choses trop dures, des choses qui ne sont pas faites pour être dites, comme les vétérans qui ont fait la guerre. Elles ont fait la guerre. La guerre économique. Chair à profits mondialisée plutôt que chair à canon. Engagées volontaires, mais choisit-on vraiment, quand on vient du mauvais côté du monde ?




Après PSA, un combat social plus discrète, mais tout aussi porteur. Parce que leur patron ne les paye plus depuis deux mois, 7 manucures et coiffeuses du quartier Château d’Eau à Paris se mettent en grève, soutenus par la CGT pendant 65 jours jusqu’à ce que la Préfecture leur accorde enfin des papiers. C’est le quartier de Sylvain Pattieu, le Xème, il passe en posant son fils à la crèche, il revient, il décide d’écrire cela.

A sa façon, touche à tout, attentif, à l’écoute, personnellement impliqué, aussi. Les grévistes et leurs soutiens ont la parole, on suit l’évolution des choses, mais on en apprend aussi sur l’industrie de la coiffure, les emplois précaires, les réseaux internationaux de vente de cheveux. Et le quartier, les clientes sont là aussi, intéressées ou pas par la lutte, qui viennent chercher un peu de réconfort en prenant soin d’elle-même.

Ici on est futile pour pas cher. Extravagant ou classique, tout est possible, dépend des goûts. On pense à la mode et au style et  pourquoi pas après tout. Si ça permet d'être digne, fort, fier de soi, bien dans son corps. De se faire une armure pour se garder du reste, tout ce qui cloche et qui fait mal. De penser à autre chose, pas pour se résigner ou s’évader mais pour s'affirmer tel qu’on veut être, pour se façonner, se trouver belle ou beau. Pour choisir ce qu’on montre à l’extérieur, ce sur quoi on est jugé, quoi qu'on dise, au premier regard. Pour l'entre soi dans la boutique. Pour prendre du temps pour soi. Pour qu’on s'occupe de soi un peu. Être dans d'autres mains et ne pas servir ni obéir.
Ce corps, on ne peut pas nous l'enlever. Encore heureux. Futile et vital, indissociablement.


C’est très humain comme approche, proche des gens, et en même temps il investigue sur plein de sujets parallèles. C’est bien.

Mots-clés : #mondedutravail #social
par topocl
le Mar 3 Sep - 10:29
 
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Sujet: Sylvain Pattieu
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Héctor Abad Faciolince

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 51teze10

Angosta

C’est une ville dystopique mais d’une cruelle réalité.
Trois niveaux géographiques, trois climats, trois peuples.

Niveau sekteur C – terres chaudes - près du fleuve, un fleuve tragique y vivent les « tercerons », peuple le plus pauvre qui subi toutes les plaies sociales, pauvreté, criminalité, injustice…..

Niveau Tempéré Sekteur T, y vivent les » secondons », niveau économiquement moyen ou pauvre aussi mais d’un niveau social plus évolué

Niveau Sekteur F (comme froid) y vivent les « Dons », les riches, ceux possèdent, ceux qui imposent, il faut un laisser-passer pour accéder à ce secteur, porte d’entrée par un check-point.

Sekteur T se trouve l’Hôtel « La comédie » y vivent notamment Jacobo Lince – lequel possède une librairie « la Cale » où travaillent Quiroz et Jursich, lesquels logent également à la Comédie, le Professeur Dan, ami de Jacobo, et dans les autres étages, notamment Vanessa une prostituée, Carlota qui gère le « Poulailler ». Contrairement aux niveaux de la ville, plus on est pauvre plus on loge dans les étages élevés. Virginia jeune « terceron » invitée de Jacobo loge au Poulailler, ainsi qu’un jeune poète Andrès.
Le Poulailler étant le moins doté en pièces sanitaires, le moins lumineux.

C’est notamment par le journal d’Andrès que nous suivons certains évènements concernant les locataires de la Comédie.

A la Cale se réunissent les amoureux des mots, de la littérature. L’héritage livresque du père de Jacobo, de son oncle constituèrent les fonds de la librairie, laquelle était en fait sa maison ; chassé par ses livres Jacobo s’installa à la Comédie.

Bien que secondon Jacobo par l’héritage économique (l' argent étant l'un des critères indispensable en sekteur F) de sa mère aurait le droit d' y vivre, il n’y aspira jamais, mais avait un laisser-passer qui lui permettait ainsi de voir la fille qu’il avait eue de son mariage, et qui vivait avec sa mère et son mari.

La ville vit sous le régime de l’ « apartamiento » plus fondé sur le niveau social et économique que sur le racisme. Apartamiento renforcé d’une part par les tueries officielles , les guerilla (tel le Jamas), les narcotrafiquants, les paramilitaires. Le bras exécuteur est le plus souvent la Secur.

Tous les « disparus » sont jetés au « Saut du désespéré », lieu de suicides ; le saut se jette dans le fleuve Trouble qui emporte toute trace. Quant aux emprisonnés ils sont envoyés au Camp de Guantanamo où nul ne sait où il se trouve, sauf évidemment ceux qui le gère.

C’est donc à travers la vie quotidienne des personnages que la ville d’Angosta se révèle ou plutôt « les villes » car les habitants des différents sekteurs non pas le sentiment de vivre dans la même ville. En haut c’est le Paradis, en bas l’Enfer.  Et les "7 sages (tels les jours de la semaine) du sekteur F, le Paradis,  décident de la mort des "gêneurs".



Une écriture prégnante  par la puissance de l’ ambiance, l’humanité ou la déshumanité qui sourdent des dialogues, et l’amour et l’hommage à la littérature bien présente. (l’auteur se joue de lui dans un passage, où il critique l’auteur Faciolince) Il ne se cache pas puisque l’un des personnages se nomme Jacobo Lince.

L’auteur a certainement puisé dans son vécu pour rendre le réalisme et la dramaturgie de cette ville qui pourrait bien être située en Colombie, comme dans certain pays d’Afrique où autre lieu de notre terre.

La composition sur 3 niveaux de la ville  et également les étages de l'hôtel La Comédie qui marquent aussi le statut des logés m' ont rappelé le livre (Hôtel Savoy de J. Roth pour lequel Shanidar avait fait un rapprochement avec l’Enfer de Dante).

Sous ce régime il n'y a pour se "sauver" que la fuite, du pays ou de la vie.

C’était une excellente lecture qui me conduira vers un autre de ses livres.

(il y a aussi, comme souvent chez les auteurs latinos du sexe)


Mots-clés : #regimeautoritaire #social
par Bédoulène
le Mer 28 Aoû - 18:52
 
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Sujet: Héctor Abad Faciolince
Réponses: 28
Vues: 3059

Amy Goldstein

Janesville Une histoire américaine

Tag social sur Des Choses à lire - Page 6 41li7n10

Janesville, Wisconsin, décembre 2008 : General Motors, en difficultés à force de ne produire que des 4x4 énergivores en cette situation de crise, ferme son usine séculaire de 7000 employés. La situation s’étend très vite à toute la ville par effet domino.
Amy Goldstein suit pendant 5 ans l’évolution de ce drame individuel et communautaire : les chômeurs qui se débattent avec plus ou moins d’énergie et de succès, les familles qui se soudent ou se délitent, les politiques qui s’agitent, les bonnes volontés qui se décarcassent, les soirées de bienfaisance qui se multiplient, tout à la fois utiles et indécents, face à ce gouffre de détresses.
Elle fait le choix de l’humain, suivant pas à pas des individus pour donner, dans ce grand roman américain non fictionnel,  une approche tant intime que collective .
Ca réussit le tour de force d’être à la fois poignant et objectif, c’est très instructif et palpitant de bout en bout.


Mots-clés : #mondedutravail #social
par topocl
le Mar 20 Aoû - 9:18
 
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Sujet: Amy Goldstein
Réponses: 3
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