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Ken Kesey

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social - Ken Kesey Empty Ken Kesey

Message par Bédoulène Lun 21 Aoû - 13:51

Ken Kesey
1935/2001

social - Ken Kesey Ken-ke10

Ken Kesey, né Kenneth Elton Kesey à La Junta (Colorado) le 17 septembre 1935 et mort à Eugene (Oregon) le 10 novembre 2001, est un écrivain américain.
Il a écrit Vol au-dessus d'un nid de coucou (1962), Et quelquefois j'ai comme une grande idée (roman) (adapté au cinéma par Paul Newman sous le titre
Le Clan des irréductibles) (1963), Sailor Song (1993), Last Go Round (1995), deux pièces de théâtre, dont Twister (1999), et deux livres pour enfants,
Little Tricker the Squirrel Meets Big Double the Bear et The Sea Lion: A Story of the Sea Cliff People.
Son premier roman adapté au cinéma en 1975 par Miloš Forman sous le même titre, Vol au-dessus d'un nid de coucou, et interprété par Jack Nicholson et Louise Fletcher.
Il a également été adapté pour le théâtre par Dale Wasserman.
1959-1966 : l'aventure psychédélique : les Merry Pranksters
À côté de son activité d'écrivain, Ken Kesey, avec son groupe communautaire les Merry Pranksters, est aussi l'un des inspirateurs les plus importants du mouvement
psychédélique des années 1960.
Spoiler:

Oeuvres traduites en français

La Machine à brouillard 1962 (Vol au-dessus d'un nid de coucou)
Et quelquefois j'ai comme une grande idée 1964

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ken_Kesey (autres publications)


Dernière édition par Bédoulène le Lun 21 Aoû - 19:26, édité 3 fois

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Message par Bédoulène Lun 21 Aoû - 13:52

social - Ken Kesey Captur29


Et quelquefois j'ai comme une grande idée...


S'entortillant puis, après un temps d'arrêt, se détortillant dans les bourrasques de pluie, à deux ou trois mètres au-dessus du flot rapide, un bras humain, attaché par le poignet (rien que le bras, qui tourne, là au-dessus de l'eau)... spectacle à l'intention des chiens sur la rive, de cette satanée pluie, de la fumée, de la maison, des arbres et de la foule qui crie, excédée, depuis l'autre côté de la rivière : "Stammmper ! Va pourrir en enfer, Hank Stammmmper !"
Et à l'intention de tous ceux qui auraient envie de regarder.
...celui qui s'est démené pour que le bras vienne osciller bien en vue depuis la route a aussi pris la peine de replier tous les doigts avant de les attacher, tous sauf le majeur, de sorte que cette provocation à la raideur universelle demeure, dressée dans son mépris, bien reconnaissable par n'importe qui..

Nous sommes dans l’Oregon et ce bras moqueur qui fait enrager la foule sur l’autre rive de la rivière Wakanga  est aussi indépendant que la famille Stamper. Cette grande famille de bûcherons depuis des décennies, installée dans ce village.

Henry Stamper le patriarche, implacable même à 80 ans
Hank son fils, (son père avait accroché à sa naissance sa règle de vie écrite : « ne lâche rien de rien)sa femme Vivian,
Joe Ben le cousin (un sympathique et utopique gnome) avec sa famille vivent tous dans la « vieille maison Stamper » renommée par sa position au-dessus de la rivière. Elle s’accroche au flan de la montagne, soutenue par un étaiement hétéroclite et anarchique, ne cédant rien à l’appétit de la rivière.


Le village est en effervescence : les ouvriers de la Cie WP sont en grève illimitée afin d’obtenir satisfaction de leur revendication ; la durée de ce conflit social a mis leur économie en grande difficulté aussi ils voient avec colère que Hank (qui dirige l’entreprise familiale) continue avec son équipe à travailler dur.
Hank est à la fois admiré et envié mais à ce moment là c’est l’envie et la colère qui dominent. Ce dernier craint de ne pouvoir assumer le contrat qui le lie à la WP, aussi sur les conseils de Joe il accepte de demander à son demi-frère Leland (Lee) (introverti)qui a quitté la maison avec sa mère depuis une douzaine d’années, de revenir pour les aider, car c’est lui aussi un Stamper.

Dernière entrevue entre les deux frères  alors que Lee est un gamin d’une dizaine d’années :

Lee :
...attends un peu le jour où...
...attends voir le jour où je serais assez grand pour...

Sur la carte invitant Lee à rejoindre la famille Hank a inscrit en gras au bas :
Tu dois être assez grand maintenant frérot !

Oui il est assez grand maintenant le frérot, mais il est toujours sous l’ « ombre » du grand frère, celui qui réussit tout, celui qui lui a volé sa vie, celui qui est responsable de ses échecs.

Au village la situation s’envenime quand le syndicat des ouvriers apprend le contrat qui lie Hank à la WP et qui constitue de fait une entrave à leur grève. Les ouvriers doivent empêcher Hank d’ honorer son contrat.

Les coups dans le dos de la vie, de la Nature  toucheront si profondément Hank qu’il laisse tomber, il accepte la proposition qui lui est faite par le syndicat ; il est las de lutter,  Cependant sa chute sera si hypocritement et ironiquement saluée par les ouvriers, par la ville entière qu’il en tirera une grande force générée par sa grande faiblesse, parce que Hank a pris conscience que la force n’existe pas elle  n’est rien d’ autre qu’un degré de faiblesse.

Lee lui ne veut plus rester encore 12 ans sous l’ombre de son frère, si grande fut-elle. Le petit compagnon dans sa tête qui l’accompagne depuis toutes ces années ne sera pas écouté.



Cette saga familiale est portée par une écriture à la fois réaliste et poétique. Les descriptions de la Nature permettent une véritable imprégnation dans l’ atmosphère de la région. La rivière Wakanga est un élément et un lien essentiel à la vie de la région.
Tous les personnages sont psychologiquement bien étudiés.

C’est une excellente lecture qui reflète, je pense, la dure vie dans cette région car pour la connaître il faut « avoir passé un hiver » . Certains n’ont pas pu, pas su passer l’hiver.
C'est surtout une plongée dans les méandres des relations humaines.

Extraits

Y a peut-être des pères qui causent avec leur fils comme ça, mais le vieux Henry et moi, c'était pas notre genre. Il a fait autrement. Il m' a couché ça par écrit et il l'a accroché au mur de ma chambre. Le jour même de ma naissance, à ce qu'on m' a dit. Tout ça il m'a fallu un bon bout de temps avant de le comprendre. Seize ans. Et là encore c'est pas le paternel qui me l'a expliqué ; c'est sa femme, ma belle-mère.
la rivière, un personnage : la voir comme elle est, c'est déjà bien assez. Et la meilleure façon de la voir c'est pas de regarder derrière elle - ni en-deça ni au-delà - mais de la regarder en face. Et ne jamais oublier que ce qu'elle veut c'est tirer un bon profit.

"et ne pas être assez grand pour prendre sa place 'a privé de ma propre place, m' a laissé n'être plus personne. Moi, je voulais être quelqu'un, Viv, et il n'y avait apparemment qu'une seule façon d'y arriver...

Lee pense :  Hank oublie les paroles cachées derrière mes paroles, reste encore, continue de parler. C'est notre chance. C'est ma chance. Continue de parler assez pour confirmer l'amour ou la haine, assez pour que je sois sûr de l'un ou de l'autre. S'il te plait reste encore, reste encore...

Ce qui voulait dire reconquérir la fierté que j’avais troquée contre la pitié.
Ce qui voulait dire ne pas laisser ce salopard descendre cette putain de rivière sans moi, pas une fois de plus, pas cette fois-ci, même si nous devions nous noyer tous les deux.



mots-clés : #famille #social #psychologique

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Message par Bédoulène Mar 22 Aoû - 18:23

ajout : dans cette région, comme beaucoup d'autres ? patriotisme rime avec anti-communisme et racisme ; mais ce n'est pas le thème essentiel de ce livre.

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Message par topocl Dim 11 Fév - 11:19

Et quelquefois j'ai comme une grande idée
"Sometimes a Great Notion"
traduction Antoine Cazé

social - Ken Kesey Images90

Nous sommes dans une petite bourgade de l'Oregon. Le Pacifique a arrêté là la migration des colons. La Wakonda Auga, grande maîtresse des lieux,  vient y jeter ses eaux tumultueuses. La ville vit du bûcheronnage et de ses retombées. Au bar Snag, tenu par l'observateur Teddy, se retrouvent les épaves et les notables, unifiés par une grève qui affame les foyers depuis deux mois.
Sur l'autre rive, la maison Stamper, qu'on ne peut rejoindre que par bateau, lutte sans fin contre les assauts des eaux. Les Stamper, partis de rien, ont vu leur empire se construire sur deux générations, grâce à leur politique d'embauche uniquement familiale, qui brise le syndicalisme.

Cette vie collective, cette lutte sociale sont la toile de fond d'une histoire familiale terrible, lutte entre deux frères ennemis écartelés entre l'amour et la haine, embarqués dans une vengeance des rancœurs de l'enfance, une histoire d'amours inconsolés.

Voilà, c'est un défi prodigieux que s'est fixé là Ken Kesey, et les 790 pages de ce roman immense, puissant, inventifs sont à la hauteur de l'enjeu. Il faut aborder la lecture en se disant que cette performance n'est pas offerte, qu'il faut la mériter, payer de sa personne, mais on sera récompensé par cette aventure palpitante, cette écriture puissante, lyrique, magistrale.

Quels personnages, nom de Dieu de bordel de merde! Les salauds ont leur large zone de sympathie, les mauviettes révèlent leurs atouts cachés. Pas un mot de psychologie mais ils sont là dans leur détresse et leur tendresse, déchirés, arrachés à leur confort, pauvres marionnette d'un destin sans pitié, bien décidé à montrer que  force et faiblesse ne sont que deux facettes du malheur.

Tel Hank, dont
"Sa femmes ne pouvait s'empêcher de se demander parfois s'il était fait d'os, de chair et de sang comme eux tous, ou plutôt de cuir tanné, de diesel et de chêne noir trempé dans la créosote"
condamné par atavisme sociétal et familial à la puissance et la bonne humeur, mais inquiet, affreusement solitaire, écartelé, réalisant au final que
" Non, la vraie force n'existe pas ; il y a  juste différents degrés de faiblesse…"
Tels tant d'autres confrontés à eux-mêmes dans leurs ambiguïtés face à une adversité qui n'épargne aucun camp, et ressemble à une malédiction. Il règne là une attention à l'humain et à sa tragédie, un humour plein de compassion.

Car Ken Kesey écrit d'une façon unique, chaque mot choisi, pesant, présent. Il saute d'un epoque à l'autre, d'un personnage à l'autre, alternant les points de vus, suivant en un même temps les actes et les pensées intimes de ses personnages, dans un enchevêtrement maîtrisé, balisé par les italiques et les parenthèse, tout cela dans une même phrase, n'hésitant pas à mener deux voire trois histoires de front, l'une impliquant l'autre, , à se la jouer poupée- gigogne, sans jamais perdre son lecteur, époustouflé d'une telle virtuosité. Une fois le rythme pris, je me suis  lovée dans cette performance éblouissante, emportée, admirative, exaltée face à un tel talent.

Tragédie grecque sous la pluie ininterrompue de l'Oregon, roman choral reflet d'un mode de vie et d'une époque, merveilleux roman de Nature Writing mâtiné de social, tout à la fois intime et universel, Et quelquefois j'ai comme une grande idée se met très sérieusement sur la ligne de départ pour briguer mon Prix du Meilleur Roman 2018.



mots-clés : #nature #romanchoral


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Message par animal Dim 11 Fév - 12:55

topocl a écrit:Quels personnages, nom de Dieu de bordel de merde!
social - Ken Kesey 3945176875

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Message par Bédoulène Dim 11 Fév - 19:51

tu me vois ravie topocl ! j' étais pratiquement sure que tu aimerais ! (j'ai tellement aimé ! )

merci pour ton commentaire !

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Message par topocl Lun 12 Fév - 9:22

La citation ne marche pas ce matin.

Animal :
En fait les personnages parlent comme ça! social - Ken Kesey 1390083676

Et Bédoulène, merci de m'avoir souvent relancée, puis incitée à continuer sur le début que je trouvais ardu!

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Message par animal Lun 12 Fév - 21:36

et c'est communicatif ?

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Message par Tristram Ven 22 Mai - 22:29

Et quelquefois j'ai comme une grande idée

social - Ken Kesey Captur29

Le début dramatique avec le bras paternel m’a rappelé celui de Jim Harrison dans De Marquette à Veracruz (un hommage, ou juste un hasard, au commencement d’un roman qui présente bien d’autres similitudes ?)
Wakonda, le Yoknapatawpha de Ken Kesey, à moins que ce ne soit celui-ci : https://en.wikipedia.org/wiki/Waconda,_Oregon ; Faulkner m’est très vite venu à l’esprit, tant sur le fond que sur la forme, décidément indissociables. Puis Dos Passos, pour l’enchaînement filmique des séquences, plans brefs ou longs qui déconstruisent la chronologie et complexifient le texte.
Je n’ai pas été dérouté par les premières pages, il m’a paru assez facile de suivre le récit, éclaté par le changement rapide de points de vue mais de telle façon qu’on comprend aisément qu’il s’agit de la lignée des Stamper, obstinés voire butés, focalisés sur le départ (et toujours vers l’Ouest) ‒ la « grande idée ». Ce changement fréquent de narrateur, généralement un des personnages, à la première ou à la troisième personne, dans le présent ou le passé, pour des passages plus ou moins brefs, donne une animation changeante au texte ‒ peut-être celle de cette omniprésente rivière Wakonda Auga qu’on entend sans cesse, et qui ravit progressivement ses rives et tout ce qui s’y trouve.
« …] on peut imaginer que la rivière représente tout un tas de trucs. Mais ça, je trouve que c’est se voiler la face : voir en elle plus que ce qu’elle est, ça l’amoindrit. »
La coriacité brutale des Stamper est allégorisée par leur demeure, la « vieille maison » construite au bord de ce torrent et maintenue contre le courant par une lutte quotidienne et acharnée.
Lee, « Petit frère », obsédé de ses ratages et impuissances, est revenu se venger de Hank (qu’il a épié couchant avec sa mère), son demi-frère aîné, manifestement dans la filiation directe du patriarche, Henry ; alors que ce dernier a pour devise « Lâche rien de rien ! », le leitmotiv de Lee est « Fais gaffe ! ».
On y trouve de très belles images de la nature sauvage, wilderness de cette forêt du Northwest si difficile à rendre qu’elle n’échappe pas au poncif :
« Car cette terre débordait de mort ; cette terre d’abondance, où les plantes poussaient en une seule nuit, où Jonas avait vu un champignon éclore sur la carcasse d’un castor et, en quelques heures furtives, atteindre la taille d’un grand chapeau – cette terre d’abondance était littéralement saturée d’une mort humide et terrifiante. »
Sa description vaut plus que dans certains ouvrages tenus pour appartenir au genre du nature writting, comme par exemple l’observation des corbeaux, très vécue. J’ai découvert enchanté des phénomènes comme la « cheminée du diable », un de ces puits laissés par les grands pins d’une forêt ensablée par les dunes (Lee enfant tombe dans l’une d’elles, et sera sauvé par Hank). Les épisodes tirés d’anecdotes apparemment véridiques ajoutent à l’intérêt de la lecture. Ce qui en augmente aussi l’attrait, c’est comme les thèmes sont longuement approfondis (comme celui de la pluie et du passage des oies, par exemple).
C’est également l’univers des bûcherons, et la description de leurs travaux est impressionnante, comme par exemple l’écimage ; elle atteindra une dimension homérique. D’ailleurs tout ce long roman est un vaste crescendo (suspense), qui mérite qu’on s’accroche au début (un bel exemple de la nécessité d’un développement prolongé, et de la gratification accordée au lecteur pugnace).
Humour déjanté, avec une grande liberté de ton et d’expres​sion(novateur en 1963, et peut-être même avec une allusion à Vol au-dessus d'un nid de coucou, paru l’année précédente) :
« En revoyant la scène (je veux dire ici et maintenant, depuis ce moment particulier où je suis capable de courage et d’objectivité grâce au miracle de la technique narrative moderne), je perçois clairement cette terreur, mais j’ai un peu de mal à croire que j’aie pu vouloir, en toute honnêteté, attribuer cette panique naissante à la crainte somme toute banale d’être en train de devenir fou. Certes, à l’époque c’était à la mode de prétendre qu’on vivait constamment dans la peur de disjoncter pour de bon, mais ça faisait un sacré bout de temps, je crois, que je n’avais pas réussi à me convaincre moi-même de mon droit à la folie. »
Kesey excelle à incarner ses personnages hauts en couleur, jusqu’aux plus secondaires, telle Jenny l’Indienne si seule, Teddy l’observateur barman sociologue ; il rend avec bonheur (et humour) leurs caractères, ici l’enthousiasme et la simplicité incarnées :
« On raconte que quand il était gosse, ses cousins avaient vidé sa chaussette de Noël et remplacé les cadeaux par du crottin de cheval. Joe avait jeté un œil au fond de la chaussette et s’était précipité vers la porte, les yeux brillants d’excitation. "Attends, Joe, où tu vas ? Il t’a apporté quoi, le père Noël ? " Si l’on en croit l’histoire, Joe se serait arrêté dans l’entrée pour chercher une longe : "Il m’a apporté un joli petit poney, mais il s’est échappé. Si je me dépêche je pourrai le rattraper. " »
Willard, le piètre tenancier de blanchisserie et cinéma :
« "Qu’est-ce que ça peut bien me faire, ce qu’ils voient de moi ? Ils croient connaître le livre en voyant la couverture, mais le livre, lui, il sait bien ce qu’il vaut." Aujourd’hui, il n’avait plus d’illusions : si le livre ne s’ouvre jamais pour révéler son contenu, il peut se déformer pour finir par correspondre à l’image que s’en font les autres. Il se rappela ce que Jelly lui avait raconté sur son père… un homme timide et doux jusqu’au jour où le pare-brise d’une voiture lui avait laissé, du menton à l’oreille, une balafre qui avait le don de hérisser le poil des inconnus rencontrés dans les bars et d’inciter la police à le fouiller à la moindre occasion ; jadis doux comme un agneau, il purgeait aujourd’hui une peine de prison à perpétuité avec vingt ans de sûreté pour avoir tué un vieux copain d’un coup de rasoir. Non, un livre n’était pas imperméable à l’influence que sa couverture pouvait avoir sur lui, absolument pas. »
Des personnages et des éléments récurrents sont régulièrement suivis, et s’il n’y a pas (encore) de lien entr’eux, ce seront (peut-être) des indices pour le lecteur :
« Et Simone s’endort devant les cierges allumés à sa Vierge Marie, convaincue que la statuette en bois ne doute pas de sa pureté, mais plus que jamais empêtrée dans ses propres incertitudes. Et Jenny se lève de sa couche, prise par des maux de ventre, vomit les restes de ses crapauds bouillis dans le pot de chambre, puis fait brûler son exemplaire illustré de Macbeth dans le fourneau. Et le vieux tailleur de billons, après avoir crié tout son soûl et ingurgité tant de tord-boyaux, commence à ne plus bien se rappeler que la voix qui lui répond est la sienne. Et la vigne vierge et la marée montent ; et la moisissure guette le tapis du salon là où Hank a laissé ses empreintes humides ; et la rivière sillonne les champs tel un oiseau de proie scintillant. »
Des métaphores sont aussi reprises quelquefois, comme celle-ci :
« Le temps se recouvre lui-même. Le souffle qu’une brise vagabonde transporte n’est pas le vent tout entier, pas plus que la fin d’un événement passé n’est le début d’un autre à venir. C’est plutôt – voyons un peu – comme de pincer l’un des filaments arachnéens d’une vaste toile des vents et faire frissonner l’ensemble tout entier. »
Des passages sous hallucinogène (et j’ai même pensé à Lowry) :
« La foudre de la nuit précédente repose maintenant suspendue tête en bas parmi les sapins de la montagne, assoupie telle une chauve-souris. Et un vent charognard, galeux et famélique, court les prés glacés en criant famine, roide et froid, pleurant son compère chiroptère qui, là-haut dans les branches, rêve de belles étincelles… dans un monde comme celui-là. Il court et gémit en faisant claquer ses dents de glace. »
Totalement d’accord avec les précédentes commentatrices, un grand livre ; de plus, j’ai eu l’impression que c’était bien traduit.

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Message par Bédoulène Sam 23 Mai - 6:32

merci Tristram pour ce commentaire argumenté !

ravie que tu aies apprécié !

j'ai encore en mémoire ces moments où Hank admire la Nature, son attachement à son chien ; son admiration pour le Père vieillissant.

etc...................

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Message par topocl Sam 23 Mai - 8:57

Et bix, ou en es-tu? tu as tenu le coup ou lâché?

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Message par bix_229 Sam 30 Mai - 16:12

topocl a écrit:Et bix, ou en es-tu? tu as tenu le coup ou lâché?
C'est limite !
Il ne reste que 450 pages ! 
Mais je pioche sérieusement et j'ai du mal car c'est une mauvaise période pour lire et me concentrer.
Ce livre est un objet étrange et composite. Un patchwork riche de son trop plein. Avec des personnages inoubliables
et un lyrisme sans limites.
Je ne gacherai le plaisir de quiconque, mais je ferai peut etre quelques réserves qui n'engagent que moi.
Et puis, il y a quand meme des livres qui ploient sous le poids des éloges et d'un concensus unanimes.
Mais bon j'aime l'enthousiasme !
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Message par Avadoro Ven 13 Nov - 23:54

social - Ken Kesey Eqji_10

Et quelquefois j'ai comme une grande idée

Un roman qui laisse régulièrement le lecteur à la fois épuisé et captivé, et dans lequel il est aisé de se perdre. Ken Kesey donne vie à des personnages qui portent en eux une démesure, un excès, tout en laissant la place au souffle épique et poétique de la nature, symbolisé par le flot d'une rivière dont l'expression semble être le coeur du récit...tant elle révèle les tensions humaines et une forme de miraculeuse fragilité.

Le conflit fratricide entre Hank et Leland Stamper m'a particulièrement touché, tant les deux hommes dévoilent à tour de rôle un visage sombre et lumineux, reflétant d'infinies contradictions. Hank apparait d'abord comme un mur de raideur, de solidité imperturbable et figée, avant de voir une façade extérieure peu à peu se déchirer et se remplir de nuances. Leland, à travers sa sensibilité écorchée, apporte de son côté un regard bouleversant dans sa complexité, mais sa colère enfouie, et sa rancoeur conduisent au fil des pages vers une forme d'impasse, marquée par les regrets.

Face à cet univers masculin qui vit par ces affrontements silencieux, Viv Stamper, l'épouse de Hank, apporte une stabilité, une présence discrète mais décisive, et la possibilité d'un apaisement. A l'image d'une oeuvre qui parvient à trouver sa respiration au bout d'une course-poursuite, lorsque les conflits cèdent face au calme d'un paysage, et au patient passage du temps.
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Message par topocl Sam 14 Nov - 8:55

Comme une envie de profiter du confinement pour le relire?

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Message par animal Sam 14 Nov - 10:29

(il faut que j'arrête de lire le titre du fil comme "Paul Kersey").

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Message par Bédoulène Sam 14 Nov - 13:42

merci Avadoro ! les souvenirs remontent et j'aime ça !

oui Animal et que tu lises Ken Kesey !

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
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