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Doan Bui

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Message par Armor Jeu 5 Oct - 21:33

Doan Bui

doan bui - Doan Bui Nee-au10

Doan Bui est une journaliste française, grand reporter à l'Observateur.
Elle a reçu le prix Albert-Londres 2013, pour son reportage Les Fantômes du fleuve, consacré aux  immigrés qui essayent de pénétrer en Europe par la Turquie, publié par le Nouvel Observateur.

Le silence de mon père a reçu le prix Amerigo-Vespucci et le pris de la Porte Dorée en 2016.

Bibliographie :

Milliardaires d'un jour : Splendeurs et misères de la nouvelle économie, (avec Grégoire Biseau), 2002
Les Affameurs : voyage au cœur de la planète de la faim, 2009
Ils sont devenus français, (avec Isabelle Monnin),  2010
Pour une terre solidaire, (avec Jean-Paul Rivière et coll.), 2011
Le Silence de mon père, 2016


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Message par Armor Jeu 5 Oct - 22:53

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Le silence de mon père

Les mots sont comme les oiseaux gracieux que mon père admirait sur les estampes chinoises. Les mots se sont envolés de son esprit : oiseaux migrateurs, ils sont partis vers des horizons plus chauds et mon père est resté dans son éternel hiver de silence.

Suite à un AVC, le père de Doan Bui a perdu la parole. L’occasion pour l’auteur d’un triste constat : elle ne connait pas son père, cet homme qui, une fois rentré de sa journée de travail, s’installait en silence face à la télévision. Et qui n'a rien dit, sur son enfance au Vietnam, sur l’exil, sur l'impossible retour. Venu en France faire des études de médecine, n’en est jamais reparti. Il a épousé une vietnamienne, elle aussi réfugiée. Ensemble ils ont eu des enfants « banane ». Jaunes à l’extérieur, blancs à l’intérieur. Tous nés en France. De purs produits de la République française. Ne parlant pas la langue de leurs parents.
C’est d’ailleurs tout le paradoxe de Doan Bui, qui raconte à merveille le dilemme des immigrés de la seconde génération. Car Française, elle ne l'est pas vraiment aux yeux de tous. Régulièrement, on la complimente pour sa remarquable maîtrise de la langue, ou on la salue d'un retentissant : "Ni Hao !"...   Accentuant le sentiment d’imposture d’une femme qui ne sait plus très bien, en somme, qui elle est vraiment.

Je voulais tellement être Française, qu’il m’était  –m'est ? insupportable d’être confondue avec d’autres immigrés, ceux qui parlaient mal la langue de Voltaire, les Fresh of the boat, arrivés plus récemment, les blédards, les niakoués. L’affront suprême était d’être assimilée aux immigrés chinois, ceux dont on parlait avec méfiance à la télévision (clandestins, mafieux, etc., etc.).
J’avais habité un temps chez une tante dans une des tours du 13e et j’en étais venu à haïr l’odeur du nuoc-mâm imprégnée dans les murs, les sacs plastiques Tang Frères, les enseignes bariolées (...). Ah non, moi, jamais je n’habiterai là, chez les chinetoques, merci bien, plutôt mourir, c’est moche, mais c’est moche là-bas, inimaginable, je rêvais d’appartements haussmanniens moulurés, de boulangeries tradition, de fromagers, de caves à vin…
Et pourtant, aimantée, j’ai finalement posé mes valises dans une tour, en plein cœur de Chinatown, avec plein de Chinois qui me prennent pour une Chinoise, des épiceries chinoises tous les deux mètres, des coiffeuses chinoises qui s’appellent Jenny Coiffure, avec des photos de stars hongkongaises permanentées sur la devanture et une forêt d’enseignes criardes en chinois qui clignotent comme dans un casino de Las Vegas.
Ma mère en fut très contrariée. Avant mon déménagement, elle s’y est rendue et croisant un voisin blanc, elle l’a interpellé :  « Y a vraiment beaucoup de Chinois ici, non ? » Et l’autre, perplexe : « Ne vous inquiétez pas madame, ils sont très gentils.»


Ce livre, c'est donc le témoignage d'une fille partie à la recherche de son père, mais aussi d'elle-même. Paradoxalement, Doan Bui, grand reporter à l'Obs et spécialiste des sujets sur l'immigration, n’avait jamais osé franchir le mur de silence familial. Enfin, elle retrouve ses réflexes de journaliste : elle fouille, elle ose questionner, quitte à dévoiler au grand jour les secrets de famille... Croyant bien faire, nos parents se sont interdits de transmettre leur culture, ils sont restés muets sur leur histoire. Je retrouve tant de secrets dans toutes les familles asiatiques, imbriqués dans les parcours d’exil.

Au-delà de l'immigration, ce livre pose la question de la relation parent-enfant, de la parole, et de la transmission. C'est avant tout une réflexion prenante sur l'identité, d'autant plus difficile à aborder quand l'exil est de la partie... J'ai ainsi été marquée par l'aspect paradoxal d'une culture vietnamienne à la fois omniprésente et occultée. Bien qu'elle les constitue intrinsèquement, les parents Bui poussent leurs enfants à la renier. Une dualité qui, forcément, a des conséquences. Sur les parents, qui taisent leurs renoncements, leurs peurs, leur nostalgie. Sur les enfants qui, tout en étant résolument français, ressentent sans se l'avouer un sentiment d'incomplétude.
Mais cette fois, Doan Bui a décidé de tout dire. Car il n’y a aucune honte à avoir. Rien à cacher. Personne ne perdra la face.
Un témoignage dont l'impudeur se pare d'élégance, et qui, tout en retenue, dit la difficulté d'être français...


mots-clés : #autobiographie #exil #famille #immigration #devoirdememoire


Dernière édition par Armor le Jeu 12 Nov - 18:11, édité 5 fois
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Message par Armor Ven 6 Oct - 18:19

Un petit extrait supplémentaire, qui dit bien le sentiment "d'imposture" de l'auteur...

Je suis journaliste mais aujourd’hui encore je peine à y croire : ce n’était pas un métier pour moi, enfants d’immigrés. Je fus à la fois sidérée et ravie de voir pour la première fois mon nom en bas d’un court article.  Moi, écrire dans un journal ! Moi qui n’avais jamais lu Le Monde ! Je mentais donc, par-ci par-là. Je me confectionnais un personnage. Je laissais croire que j’avais fait une école de journalisme. Quand je fus recrutée à l’Obs, je prétendis que mes parents y étaient abonnés depuis toujours et je cachai qu’ils avaient toujours voté Chirac, détail qui me semblait malvenu dans un journal de gauche. Je racontais que je rêvais d’être reporter comme Tintin,  alors que jamais je ne me suis identifiée à Tintin, mais à Tchang, le petit chinois.

Je n’étais pas dupe. Je ne suis pas dupe. Parfois, lorsqu’on me présente comme grand reporter, j’ai envie de rire. Je sais, au fond de moi. Ce n’était pas ma place. Et cette phrase, que j’ai entendue bien souvent en reportage dans les quartiers dits « difficiles », raisonne avec les paroles de ma mère. « Les médias ? Tous des menteurs !  De toute façon, les journalistes, c’est que des Français !!! »
Journaliste : mes parents ne m’avaient pas programmée pour ça. Comme tous les Vietnamiens, ils m’imaginaient médecin, ingénieur, dentiste
.


Dernière édition par Armor le Sam 7 Oct - 16:49, édité 1 fois
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Message par Pia Sam 7 Oct - 16:34

Super je note. J'ai des enfants qui sont des immigrés de deuxième génération et je suis donc de la première.....L'intégration est une situation que je vis donc au quotidien et mes enfants qui semblent s'être fondus dans le pays d'adoption n'oublient pas le pays de leur mère. Ce sont des questions qui se posent au quotidien chez nous. Et on pourrait penser que là où je vis, dans un un pays d'Europe, que cela devrait être facile....Et bien, cela se pose tout de même.
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Message par Armor Sam 7 Oct - 21:17

Oui, je pense qu'il y a forcément des questions qui se posent, même entre européens.

Je me souviens notament d'un passage où l'auteur explique qu'adolescente, elle avait "honte" d'entendre son père parler vietnamien dans la rue, ce qui a accentué son refus d'apprendre la langue.
Mais une fois adulte, c'est une chose qu'elle a regretté...
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Message par Pia Lun 9 Oct - 16:47

Il a fallu que je me batte pour imposer le Français à la maison. Les gosses avaient tant besoin de s'intégrer qu'ils rejetaient un peu leur langue maternelle. Il y avait aussi le fait qu'il fallait qu'il se concentre sur la langue à apprendre et que pour leurs petites têtes, ce n'était pas toujours facile. Bref....Dès que je peux trouver ce livre, je le lirai avec plaisir.
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Message par topocl Dim 22 Oct - 21:07

Le silence de mon père

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Quand son père a brusquement été frappé d'aphasie, après les "Et si..." et les "Pourquoi", sont apparus les "jamais plus" : ce silence qu'il a adopté au fil des années avec ses enfants,  plus jamais on n'aurait moyen de savoir ce qu'il cachait.

Et ces sons maladroits sont des cadavres pendus qui dodelinent dans le vide, les mots morts  mon père, des oiseaux égarés qui foncent sur les baies vitrées et s'échouent au sol, foudroyés en plein vol.

Quel passé, quelles déchirures, quelles racines jamais replantées, quelle résilience pour ce Vietnamien arrivé en avion  faire ses études à Paris, vite interdit de retour puisqu'il allait être suivi par des milliers des ses compatriotes fuyant en Boat people l'enfer de Pol Pot?

Sa fille , qui dès l'enfance a résolument  tourné le dos à ce passé familial a l'intuition brutale qu'il est incontournable. Journaliste spécialisée qui a suivi le parcours de nombreux réfugiés, elle comprend qu'elle n'a jusqu'à présent que traqué inconsciemment son histoire familiale à travers ses reportages aux quatre coins du monde.

Elle s'arme des outils habituels de ce genre de recherche : archives, voyage aux sources, interrogatoire des aînés, pour enfin  essayer de comprendre le traumatisme de l'exil de ses parents. De prospection en hasards et coïncidences, elle découvre que se cachaient là non seulement l'histoire tragique et complexe d'un pays, mais aussi l'histoire intime de son père , sous-tendue par la honte, masquée par le secret. En même temps que celui-ci se dévoile, le père arrive, dans son effroyable isolement, à une espèce de rédemption.

Elle s'interroge  sur le silence et ce qu'il cache, ce qui n’est pas dit et ce qui n'est pas entendu : l'impossible communication, liée à une langue non partagé,  à des mots trop difficiles à dire, hiatus infranchissable entre deux générations voués à des appartenances différentes.

J'ai adoré cette recherche si fructueuse révélatrice de tant de faits du passé, lesquels donnent un sens tout autre au présent. . Le père qui ne parle plus, permet que les secrets se lèvent, que la transmission reprenne. J'ai déjà lu de nombreux livres qui décrivent de telles démarches et leurs découvertes privées et historiques, toujours surprenantes et bouleversantes. Ils parlaient le plus souvent d'un autre exil, et d'autres persécutions, touchant les Juifs. Le Viet-Nam et son histoire amènent ici une ouverture nouvelle, la découverte d'un aspect historique moins habituel, et d'une autre culture.




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Message par Tristram Dim 22 Oct - 21:11

Devoir de mémoire
est une définition d'une bonne part de la littérature...

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Message par Armor Dim 22 Oct - 21:24

topocl a écrit:J'ajouterais bien Devoir de mémoire aux mots clés.

C'est fait, merci.
J'ai l'impression que nous avons fait deux lectures un peu différentes, mais complémentaires. C'est un livre qui, au-delà de l'histoire personnelle de l'auteur, interroge sur l'identité, la filiation et la transmission, et j'espère que d'autres chosiens auront envie de le lire.
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Message par topocl Dim 22 Oct - 21:29

Ce qui parle des mots, de la langue et du silence m'a beaucoup touchée (il faut dire que j'ai un carnet de citations spécial sur le silence)

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