Anna de Noailles
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Anna de Noailles
SourceD’origine gréco-roumaine, Anna de Noailles est née à Paris, où elle vécut de 1876 jusqu’à sa mort, en 1933. À partir de son premier recueil, Le Coeur innombrable (1901), couronné par l’Académie Française, Noailles composa neuf recueils de poèmes, trois romans (dont le savoureux Visage émerveillé, en 1904), un livre combinant histoires courtes et méditations sur les relations hommes-femmes (Les Innocentes, ou La Sagesse des femmes, 1923), un recueil de proses poétiques (Exactitudes, 1930), et une autobiographie couvrant son enfance et son adolescence (Le Livre de ma vie, 1932).
Anna de Noailles fut la seule femme poète de son temps à recevoir les plus hautes distinctions publiques. En dépit de l’oubli partiel auquel elle fut soumise après sa mort, des jugements critiques ultérieurs confirment que cette reconnaissance était méritée. Reflétant la situation de Noailles entre romantisme et modernisme, un écart entre forme et contenu caractérise sa poésie où des concepts et des images dynamiques s’efforcent de dissoudre une structure qui reste largement classique.
En s’engageant dans un dialogue avec son héritage littéraire français tout en trouvant une source d’inspiration dans le paganisme grec et dans la pensée radicale de Nietzsche, Anna de Noailles est parvenue à construire une vision poétique originale. Son oeuvre peut être décrite en termes dionysiens – extatique, sensuelle, érotique, ludique, quelquefois violente, et toujours marquée par un courant tragique qui devient plus manifeste vers la fin de sa vie.
Bibliographie :
Recueils de poèmes :
- Le Coeur innombrable. Calmann-Lévy, 1901.
- L’Ombre des jours. Calmann-Lévy, 1902.
- Les Éblouissements. Calmann-Lévy, 1907.
- Les Vivants et les Morts. Fayard, 1913.
- Les Forces éternelles. Fayard, 1920.
- Poème de l’amour. Fayard, 1924.
- L’Honneur de souffrir. Bernard Grasset, 1927.
- Derniers Vers et Poèmes d’enfance. Bernard Grasset, 1934.
Romans :
- Anthologie poétique et romanesque. Éd. François Raviez. Le Livre de poche, 2013
- La Domination. 1905. Édition préfacée et annotée par François Raviez. Le Livre de Poche, 2017.
- L’Offrande. Éd. Giraudon, Philippe. Orphée / La Différence, 1991.
- Passions et Vanités. Éditions l’Harmattan, 2005. E-book.
- Le Visage émerveillé. FB Éditions, 2015.
- La Nouvelle Espérance. Calmann-Lévy, 1903.
- Les Innocentes, ou La Sagesse des femmes. Fayard, 1923.
Proses poétiques :
- Exactitudes (1930)
Re: Anna de Noailles
Je n'ai jamais lu de recueils ou de romans d'Anna de Noailles mais je suis tombée sur quelques poèmes qui m'ont donné envie d'en découvrir davantage...
Le temps de vivre
Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l'aube au jour qui baisse.
Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour,
Aux mouvements de l'onde,
Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour,
C'est la chose profonde ;
Combien s'en sont allés de tous les coeurs vivants
Au séjour solitaire,
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,
Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s'enfonce !
Ils n'ont pas répandu les essences et l'or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort
Sans rêve et sans haleine.
- Toi, vis, sois innombrable à force de désirs,
De frissons et d'extase,
Penche sur les chemins, où l'homme doit servir,
Ton âme comme un vase ;
Mêlée aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l'amour chantent comme un essaim
D'abeilles sur ta bouche.
Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment,
Les rives infidèles,
Ayant donné ton coeur et ton consentement
A la nuit éternelle...
Le premier chagrin
Nous marchions en été dans la haute poussière
Des chemins blancs, bordés d’herbes et de saponaires.
Le descendant soleil se dénouait sur nous,
Je voyais tes cheveux, tes bras et tes genoux.
Un immense parfum de rêve et de tendresse
Était comme un rosier, qui fleurit et qui blesse.
Je soupirais souvent à cause de cela
Pour qu’un peu de mon âme en souffle s’en allât.
Le soir tombait, un soir si penchant et si triste,
C’était comme la fin de tout ce qui existe.
Je voyais bien que rien de moi ne t’occupait ;
Chez moi cette détresse et chez toi cette paix !
Je sentais, comprenant que ma peine était vaine,
Quelque chose finir et mourir dans mes veines,
Et comme les enfants gardent leur gravité,
Je te parlais, avec cette plaie au côté…
J’écartais les rameaux épineux au passage,
Pour qu’ils ne vinssent pas déchirer ton visage ;
Nous allions, je souffrais du froid de tes doigts nus,
Et quand, finalement, le soir était venu,
J’entendais, sans rien voir sur la route suivie,
Tes pas trembler en moi et marcher sur ma vie.
Nous revenions ainsi au jardin bruissant,
L’humidité coulait, j’écoutais en passant -
Ah ! comme ce bruit-là persiste en ma mémoire ! -
Dans l’air mouvant et chaud, grincer la balançoire
Et je rentrais alors, ivre du temps d’été,
Lasse de tout cela, morte d’avoir été,
Moi, le garçon hardi et vif, et toi, la femme,
Et de t’avoir porté tout le jour sur mon âme…
Midi
Un store de paille est penché
Sur la vitre où le soleil donne ;
La cloche du déjeuner sonne,
L'air sent la rose et le pêcher ;
Des guêpes de vol et de lucre,
Dans la claire salle à manger
sont arrivées du potager
Pour le melon et pour le sucre.
Les compotiers sont pleins de fruits,
Les guêpes s'en vont et s'en reviennent ;
Les plats de faïence ancienne
Se fêlent d'entendre du bruit.
Soigneux de vos douces haleines,
Pour vous, beaux fruits d'un goût si fort,
Les couteaux ont des lames d'or
Et des manches de porcelaine...
Dans un coin, près d'un broc d'étain,
Une araignée alerte file ;
- Les fruits qu'on mange au soir tranquille
Ne sont pas si bons qu'au matin .
Il faut qu'un peu de soleil dore
Le mal vif et doux qu'on leur fait,
Et que leur fraîche agonie ait
L'encouragement de l'aurore ;
Pour que, plus émus, nous pressions
Leur chair suave qui rayonne,
Il faut que le matin leur donne
Sa luisante exaltation,
Il faut que la claire rosée
Ait attendri leur coeur juteux,
Et que leurs corps pleurent un peu
La moelle existence brisée...
Dissuasion
Fermez discrètement les vitres sur la rue
Et laissez retomber les rideaux alentour,
Pour que le grondement de la ville bourrue
Ne vienne pas heurter notre fragile amour.
Notre tendresse n'est ni vive ni fatale,
Nous aurions très bien pu ne nous choisir jamais ;
Je vous ai plu par l'art de ma douceur égale,
Et c'est votre tristesse amère que j'aimais.
La peine de nos coeurs est trop pareille, et telle
Que nous nous mêlerions sans nous renouveler :
Évitons le mensonge et la brève étincelle
D'un désir qui nous luit sans pouvoir nous brûler.
La vie a mal gardé ce que nous lui donnâmes,
Rien du confus passé ne peut se ressaisir ;
Nous aurions tous les deux trop pitié de nos âmes,
Après l'oubli léger et fuyant du plaisir :
Car nous entendrions sangloter notre enfance
Pleine de maux secrets, toujours inapaisés,
Que ne rachète pas, dans sa munificence,
La réparation tardive des baisers...
Le temps de vivre
Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l'aube au jour qui baisse.
Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour,
Aux mouvements de l'onde,
Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour,
C'est la chose profonde ;
Combien s'en sont allés de tous les coeurs vivants
Au séjour solitaire,
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,
Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s'enfonce !
Ils n'ont pas répandu les essences et l'or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort
Sans rêve et sans haleine.
- Toi, vis, sois innombrable à force de désirs,
De frissons et d'extase,
Penche sur les chemins, où l'homme doit servir,
Ton âme comme un vase ;
Mêlée aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l'amour chantent comme un essaim
D'abeilles sur ta bouche.
Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment,
Les rives infidèles,
Ayant donné ton coeur et ton consentement
A la nuit éternelle...
Le premier chagrin
Nous marchions en été dans la haute poussière
Des chemins blancs, bordés d’herbes et de saponaires.
Le descendant soleil se dénouait sur nous,
Je voyais tes cheveux, tes bras et tes genoux.
Un immense parfum de rêve et de tendresse
Était comme un rosier, qui fleurit et qui blesse.
Je soupirais souvent à cause de cela
Pour qu’un peu de mon âme en souffle s’en allât.
Le soir tombait, un soir si penchant et si triste,
C’était comme la fin de tout ce qui existe.
Je voyais bien que rien de moi ne t’occupait ;
Chez moi cette détresse et chez toi cette paix !
Je sentais, comprenant que ma peine était vaine,
Quelque chose finir et mourir dans mes veines,
Et comme les enfants gardent leur gravité,
Je te parlais, avec cette plaie au côté…
J’écartais les rameaux épineux au passage,
Pour qu’ils ne vinssent pas déchirer ton visage ;
Nous allions, je souffrais du froid de tes doigts nus,
Et quand, finalement, le soir était venu,
J’entendais, sans rien voir sur la route suivie,
Tes pas trembler en moi et marcher sur ma vie.
Nous revenions ainsi au jardin bruissant,
L’humidité coulait, j’écoutais en passant -
Ah ! comme ce bruit-là persiste en ma mémoire ! -
Dans l’air mouvant et chaud, grincer la balançoire
Et je rentrais alors, ivre du temps d’été,
Lasse de tout cela, morte d’avoir été,
Moi, le garçon hardi et vif, et toi, la femme,
Et de t’avoir porté tout le jour sur mon âme…
Midi
Un store de paille est penché
Sur la vitre où le soleil donne ;
La cloche du déjeuner sonne,
L'air sent la rose et le pêcher ;
Des guêpes de vol et de lucre,
Dans la claire salle à manger
sont arrivées du potager
Pour le melon et pour le sucre.
Les compotiers sont pleins de fruits,
Les guêpes s'en vont et s'en reviennent ;
Les plats de faïence ancienne
Se fêlent d'entendre du bruit.
Soigneux de vos douces haleines,
Pour vous, beaux fruits d'un goût si fort,
Les couteaux ont des lames d'or
Et des manches de porcelaine...
Dans un coin, près d'un broc d'étain,
Une araignée alerte file ;
- Les fruits qu'on mange au soir tranquille
Ne sont pas si bons qu'au matin .
Il faut qu'un peu de soleil dore
Le mal vif et doux qu'on leur fait,
Et que leur fraîche agonie ait
L'encouragement de l'aurore ;
Pour que, plus émus, nous pressions
Leur chair suave qui rayonne,
Il faut que le matin leur donne
Sa luisante exaltation,
Il faut que la claire rosée
Ait attendri leur coeur juteux,
Et que leurs corps pleurent un peu
La moelle existence brisée...
Dissuasion
Fermez discrètement les vitres sur la rue
Et laissez retomber les rideaux alentour,
Pour que le grondement de la ville bourrue
Ne vienne pas heurter notre fragile amour.
Notre tendresse n'est ni vive ni fatale,
Nous aurions très bien pu ne nous choisir jamais ;
Je vous ai plu par l'art de ma douceur égale,
Et c'est votre tristesse amère que j'aimais.
La peine de nos coeurs est trop pareille, et telle
Que nous nous mêlerions sans nous renouveler :
Évitons le mensonge et la brève étincelle
D'un désir qui nous luit sans pouvoir nous brûler.
La vie a mal gardé ce que nous lui donnâmes,
Rien du confus passé ne peut se ressaisir ;
Nous aurions tous les deux trop pitié de nos âmes,
Après l'oubli léger et fuyant du plaisir :
Car nous entendrions sangloter notre enfance
Pleine de maux secrets, toujours inapaisés,
Que ne rachète pas, dans sa munificence,
La réparation tardive des baisers...
Re: Anna de Noailles
merci Coli , je n'avais jamais entendu parler de cette poétesse.
le premier poème me plait beaucoup, c'est tellement juste ! c'est un hymne à la vie pour moi !
les autres aussi me parlent !
le premier poème me plait beaucoup, c'est tellement juste ! c'est un hymne à la vie pour moi !
les autres aussi me parlent !
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21020
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Anna de Noailles
Une émission de nuit qui m'avait donné envie de la découvrir un jour :
1H5 Entretiens avec Marie Scheikevitch 2/4 - Portraits et souvenirs : -Partie 4/12 : Gabriele d'Annunzio, -5/12 : Anna de Noailles (1ère diffusion : 07 et 14/08/1960)
Merci pour la piqûre de rappel !
1H5 Entretiens avec Marie Scheikevitch 2/4 - Portraits et souvenirs : -Partie 4/12 : Gabriele d'Annunzio, -5/12 : Anna de Noailles (1ère diffusion : 07 et 14/08/1960)
Merci pour la piqûre de rappel !
églantine- Messages : 4431
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Savoie
Re: Anna de Noailles
Je l'avais déjà un peu survolée. A découvrir.
Je m'étais demandé si le quartier de Marseille du même nom était en lien avec elle, mais en fait pas du tout !
Je m'étais demandé si le quartier de Marseille du même nom était en lien avec elle, mais en fait pas du tout !
Invité- Invité
Re: Anna de Noailles
Merci pour le podcast Eglantine, je note !
En revanche pas mal de coins portent son nom à Evian et en me renseignant, j'ai appris qu'effectivement, dans son enfance, elle venait passer les saisons chaudes vers Evian. Mais ensuite, elle a surtout vécu à Paris.
Je pense que je vais me pencher sur un recueil un peu au hasard...
Arturo a écrit:Je l'avais déjà un peu survolée. A découvrir.
Je m'étais demandé si le quartier de Marseille du même nom était en lien avec elle, mais en fait pas du tout !
En revanche pas mal de coins portent son nom à Evian et en me renseignant, j'ai appris qu'effectivement, dans son enfance, elle venait passer les saisons chaudes vers Evian. Mais ensuite, elle a surtout vécu à Paris.
Je pense que je vais me pencher sur un recueil un peu au hasard...
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