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Romain Gary

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Message par ArenSor Mar 21 Aoû - 18:07

Romain Gary
(1914 - 1980)

politique - Romain Gary Romain10

Romain Gary, né Roman Kacew à Vilnius en 1914, est élevé par sa mère qui place en lui de grandes espérances, comme il le racontera dans La promesse de l’aube. Pauvre, «cosaque un peu tartare mâtiné de juif», il arrive en France à l’âge de quatorze ans et s’installe avec sa mère à Nice. Après des études de droit, il s’engage dans l’aviation et rejoint le général de Gaulle en 1940. Son premier roman, Éducation européenne, paraît avec succès en 1945 et révèle un grand conteur au style rude et poétique. La même année, il entre au Quai d’Orsay. Grâce à son métier de diplomate, il séjourne à Sofia, New York, Los Angeles, La Paz. En 1948, il publie Le grand vestiaire, et reçoit le prix Goncourt en 1956 pour Les racines du ciel. Consul à Los Angeles, il quitte la diplomatie en 1960, écrit Les oiseaux vont mourir au Pérou (Gloire à nos illustres pionniers) et épouse l’actrice Jean Seberg en 1963. Il fait paraître un roman humoristique, Lady L., se lance dans de vastes sagas : La comédie américaine et Frère Océan, rédige des scénarios et réalise deux films. Peu à peu les romans de Gary laissent percer son angoisse du déclin et de la vieillesse : Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, Clair de femme. Jean Seberg se donne la mort en 1979. En 1980, Romain Gary fait paraître son dernier roman, Les cerfs-volants, avant de se suicider à Paris en décembre. Il laisse un document posthume où il révèle qu’il se dissimulait sous le nom d’Émile Ajar, auteur d’ouvrages majeurs : Gros-Câlin, La vie devant soi, qui a reçu le prix Goncourt en 1975, Pseudo et L’angoisse du roi Salomon.
(Gallimard)

Œuvre littéraire

Sous le nom de Romain Kacew
• 1935 : L'Orage (nouvelle publiée le 15 février 1935 dans Gringoire)
• 1935 : Une petite femme (nouvelle publiée le 24 mai 1935 dans Gringoire)
• 1937 : Le Vin des morts

Sous le nom de Romain Gary
• 1943 : Géographie humaine (nouvelle)
• 1945 : Éducation européenne : Page 5
• 1946 : Sergent Gnama (nouvelle)
• 1946 : Tulipe
• 1949 : Le Grand Vestiaire : Page 6
• 1952 : Les Couleurs du jour
• 1956 : Les Racines du ciel (prix Goncourt) : Page 1, 6
• 1960 : La Promesse de l'aube
• 1961 : Johnnie Cœur (théâtre)
• 1962 : Gloire à nos illustres pionniers (nouvelles)
• 1963 : Lady L.
• 1965 : Adieu Gary Cooper (La Comédie américaine 2) : Page 1, 6
• 1965 : Pour Sganarelle (Frère Océan 1) (essai)
• 1966 : Les Mangeurs d'étoiles (La Comédie américaine 1, paru en anglais en 1961) : Page 6
• 1967 : La Danse de Gengis Cohn (Frère Océan 2)
• 1967 : Dix ans après ou la plus vieille histoire du monde (nouvelle)
• 1968 : La Tête coupable (Frère Océan 3)
• 1970 : Chien blanc : Page 1, 2, 6
• 1970 : Le Grec (ébauche de roman inachevé)
• 1970 : A bout de souffle (ébauche de roman inachevé)
• 1971 : Les Trésors de la mer Rouge
• 1972 : Europa
• 1973 : Les Enchanteurs
• 1974 : La nuit sera calme (entretien fictif)
• 1975 : Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable
• 1975 : Les oiseaux vont mourir au Pérou : Pages 1
• 1977 : Clair de femme : Page 3, 5
• 1977 : Charge d'âme
• 1979 : La Bonne Moitié (théâtre)
• 1979 : Les Clowns lyriques
• 1980 : Les Cerfs-volants : Page 5
• 1981 : Vie et mort d'Émile Ajar (posthume)
• 1984 : L’Homme à la colombe (version posthume définitive)
• 2005 : L'Orage (nouvelles)
• 2007 : Tulipe ou la Protestation (théâtre : adaptation scénique du roman)
• 2014 : Le Sens de ma vie. Entretien, préface de Roger Grenier, Gallimard

Sous le pseudonyme de Fosco Sinibaldi
• 1958 : L’Homme à la colombe

Sous le pseudonyme de Shatan Bogat
• 1974 : Les Têtes de Stéphanie

Sous le pseudonyme d’Émile Ajar
• 1974 : Gros-Câlin : Page 1
• 1975 : La Vie devant soi (prix Goncourt) : Page 2
• 1976 : Pseudo
• 1979 : L’Angoisse du roi Salomon : Page 5

màj le 27/02/24
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Message par ArenSor Mar 21 Aoû - 18:16

Adieu Gary Cooper

politique - Romain Gary Images15

Ce n’est certainement pas le plus connu des romans de Romain Gary, mais c’est une satire quelque peu déjantée, et que j’ai trouvé très amusante, de la société des années 60.
En résumé, quelques jeunes hommes américains viennent se réfugier en Suisse pour échapper à la conscription pour le Vietnam. Ils forment une communauté de « ski bums » qui ne se sentent bien que dans la neige, à au moins deux mille mètres « au-dessus de la merde ».

« La montagne blanche, c’est une vraie sirène. Ca vous appelle, ça vous promet. Les sommets. Le ciel. Pour un peu, on se mettrait à penser à Dieu »

Il y a parmi eux Bug Moran, riche homosexuel qui drague dans les toilettes de Zurich et qui rédige des télégrammes d’humour noir lorsqu’un des membres de la communauté va s’immoler par le feu sur les cimes pour des motifs obscurs (c’est l’époque où des bonzes s’immolent de cette façon au Vietnam).

« Votre fils s’était immolé par le feu pour protester contre le briquet de mauvaise qualité qu’on lui avait vendu stop Il est mort dans d’atroces souffrances ce qui explique pourquoi ses dernières pensées furent pour ses chers parents stop Prions chère maman venir recueillir pied gauche demeuré à peu près intact stop Vous assurons que le sacrifice de votre enfant sera pas inutile signé pour l’Association de Lutte pour l’Amélioration des Briquets, Bug Moran, pédéraste ». La poste suisse avait exigé de Moran qu’il supprimât le mot pédéraste. Cela les avait choqués.

On rencontre aussi Al Capone, un poète nouvellement arrivé, mais qui se révèle de la pire espèce :

« Et ce n’était pas tout, l’affreux mec, qui était tout barbu, avec le signe rouge de Brahma peint entre les sourcils, et qui sentait encore le tunnel – tous ses vêtements étaient imbibés de suie – s’était lancé aussitôt dans la philosophie. Bug, sans le savoir, leur avait ramené un « hippy », et s’il y avait une chose que les clochetons, les vrais de vrai, avaient en horreur, c’étaient les « hippies » qui étaient tous des fascistes, enfin, des types qui voulaient sauver le monde, bâtir une nouvelle société, chiasse de merde. Comme si celle qu’on avait n’était pas déjà pas assez jolie. »
Et Lenny (en hommage à Lenny Bruce ?), beau comme un dieu, totalement détaché des valeurs et agitations du monde qui ne possède que deux choses sacrées : sa paire de skis et une photo dédicacée de Gary Cooper, ce qui fait rire ses amis :

« Tu veux que je te dise, Lenny ? C’est fini, Gary Cooper. Fini pour toujours. Fini, l’Américain tranquille, sûr de lui et de son droit, qui est contre le méchants, toujours pour la bonne cause, et qui fait triompher la justice et gagne toujours à la fin. Adieu l’Amérique des certitudes. Maintenant, c’est le Vietnam, les universités qui explosent, et les ghettos noirs. Ciao, Gary Cooper. »

Et c’est bien de cela dont il s’agit dans ce roman, la fin des illusions et d’une conception traditionnelle de l’Amérique avec ses valeurs :

« Il y avait, derrière tout cela, une frontière perdue. Allumer un feu, seller son cheval, abattre son gibier, bâtir sa maison. Il n’y avait plus rien à décider. Toutes les décisions étaient déjà prises. On était toujours chez les autres. On prenait place, on entrait en circulation. Votre vie n’était plus qu’un jeton, vous étiez un jeton qui s’insérait dans le distributeur automatique. Insérez une pièce. Insert one. »

« Perdu rêve américain bon état Dieu famille liberté individualisme. Rapporter contre récompense, si possible avec terres vierges de l’Ouest. Révolutionnaires s’abstenir. »

Lenny comme les autres ski-bums se méfie beaucoup de types comme Al Capone qui prétendent réformer le monde :

« Jésus, pensait Lenny, ça y est. On y est. Psychologie. Sociologie. Analyse. Fais voir ton pipi je te ferai voir le mien. Il n’y a pas moyen de les semer. C’est tout de même pas croyable. Ils ont bâti un monde tellement con et tellement dégueulasse que c’est un vrai Madagascar, bourré de vierges et de poissons néfastes, avec seulement l’aliénation qui a survécu par miracle, quand on arrive à la trouver, et à la garder, et voilà qu’ils vous font encore des leçons de psychologie, de politique, et vous expliquent ce qui ne va pas, comme si quelque chose allait à part la plus grande force spirituelle de tous les temps, comme disait Bug. »

" L'Amérique maintenant c'est Freud, l'angoisse, le doute et la merde. »

« Le marxisme a quand même réussi une chose : nous sommes condamnés à nous branler. C’est ce qu’on appelle « l’absurde ».

En fait, il veut qu’on lui fiche la paix Lenny, quitte à se réfugier en Mongolie extérieure ou plus loin encore :

« Comment s’appelait déjà cet endroit qu’ils ont en Asie, comme la Mongolie extérieure, seulement encore plus loin ? Euthanasie, c’est ça. »

Ils sont parfois un peu rudes les « ski bums », comme pour cette fille, un peu paumée, que Bug a recueilli dans les toilettes de Zurich :

« De millions et des millions de spermatozoïdes qu’ils lâchent dans la nature, et après, ils appellent ça l’Amérique. Regardez-là. Complètement paumée. Les énormes conséquences de la copulation sont totalement ignorées par le couple au cours de l’acte. Cette fille n’aurait jamais dû être mise au monde, ça crève les yeux. Foutre des bébés n’importe où n’importe comment pour qu’ils deviennent n’importe quoi, c’est du génocide. Des naissances comme ça, c’est un assassinat du spermatozoïde. Vous vous rendez compte de ce qu’un spermatozoïde moyen devient aujourd’hui ? Regardez-moi ça. »

Mais quand la fille éclate en sanglot, leur bon cœur réapparait instantanément :

« Les larmes, c’est toujours intelligent. Ca vient de la compréhension. »

La philosophie des « ski bums », qu’ils formulent souvent sous forme de haïkus, est donc quelque peu désabusée et … prudente :

« Le Monde est vachement réussi
Mais que font donc les hommes ici ?
Debout, les damnés de la terre
Foutez-vous bien vite tous en l’air »

« La mort, on connaît pas encore assez là-dessus. C’est comme pour le cancer. C’est pas encore au point. J’aime mieux attendre. »

« Karl Heidegger nous dit qu’au fond,
La mort à quelque chose de con.
D’où, je tire mon argument :
Mourez, mais très, très prudemment. »

Et cette formule qui me ravit :

« Il faut surtout pas aimer ton prochain comme toi-même, il est peut-être quand même un type bien. »

Mais voilà, Lenny qui ne craint rien tant que l’attachement va trouver l’amour en la personne de Jess, fille de diplomate français, milieu que Gary connait bien et qu’il égratigne au passage :

« Vous savez très bien ce que c’est, l’immunité. Vous êtes sous votre cloche en verre en train de regarder le niveau du sang monter autour de vous, et vous traversez de temps en temps le sang dans votre Cadillac pour faire une visite protocolaire au doyen du Corps Diplomatique ou remettre aux assassins une « note verbale » dans laquelle « le gouvernement des Etats-Unis a l’honneur d’informer le gouvernement d’Irak que… » Vous êtes de retour juste à temps pour la réception que vous donnez en l’honneur d’une délégation commerciale venue pour faire des affaires avec les bourreaux… »

Jess est l’exact contraire de Lenny. Elle appartient à un groupe d’activistes parmi lesquels figure un certain Karl Böhm ! Le couple va se trouver entrainé dans une sombre affaire de trafic de devises…

On le devine, transparaît dans ce roman la vision pessimiste d’un Romain Gary qui n’est pas dupe des idéologies et de « l’air du temps », mais qui observe avec ironie, lucidité et tendresse l’univers qui l’entoure. Et toujours chez Gary il y a cet espoir, cette possibilité » de rencontre incongrue entre un Lenny et une Jess  et qui sauve tout.

« Moïse Calvin. Notre chef spirituel. Le grand mufti de Genève. C’est notre Gandhi, quoi. Che Guevara, si vous préférez. »


« La révolte des jeunes bourgeois contre la bourgeoisie était condamnée au canular ou au fascisme, la seule différence entre les deux étant quelques millions de morts. »


" Un journal a écrit que ce qui nous manque, aux jeunes, c'est une guerre, ce qui ne nous apprend rien sur les jeunes mais en dit long sur les vieux. »


Terminons sur ces quelques mots qui pourraient résumer la trajectoire de l’auteur


« Après elle va encore croire que je suis cynique.  Je suis pas cynique, moi. Je voudrais seulement choper la maturité, comme les gars qui se foutent enfin une balle dans la tête. »

Bon, j'édite mais finalement je laisse, ce sont deux citations qui m'ont fait rire (je sais, je suis un grand enfant  Very Happy )

« C’est le genre de sourire qu’un gorgonzola vieux de mille ans aurait eu, s’il avait encore la force de sourire, au lieu de se contenter de puer. »

« Le garçon sortit en courant du café et les regarda avec une expression de veau qui fait une prise de conscience et se rend brusquement compte avec horreur que sa mère est une vache. »

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Message par Tristram Mar 21 Aoû - 20:15

Lu quelques Gary, mais celui-ci semble particulièrement rosse !
Cet esprit insolent et fin méritait son fil, sans aucun doute !

_________________
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Message par bix_229 Mar 21 Aoû - 20:44

politique - Romain Gary Gary_110


CHIEN BLANC

Romain Gary vint en Californie en 1969 avec sa femme Jean Seberg, engagée politiquement et socialement.
C' est l' époque où les Noirs manifestent pour les droits civiques. Malcolm X a été assassiné, les Black Panthers dirigent un mouvement révoutionnaire radical qui va dérailler sérieusement et Martin Luther King est abattu à son tour.
Gary est témoin de la situation, mais beaucoup plus spectateur qu' acteur.
Il a eu certes un role important dans l' Histoire, mais les hommes l' ont déçu, enfin, la nature humaine...
Il aime les betes et il est toujours accompagné d' un zoo ambulant : chiens, chats, oiseaux, serpent...
Il a recueilli un chien perdu, quand il se rend compte très rapidement que l' animal a été dressé pour attaquer les Noirs.
Contre l' avis général, il décide de ne pas l' abattre...

"C' est assez terrible d' aimer les bètes. Lorsque vous voyez dans un chien un etre humain, vous ne pouvez pas vous empecher de voir un chien dans l' homme et de l' aimer."

Curieusement, je ne connaissais Gary que sous son nom d' emprunt : Ajar. Je crois que j' avais été retenu par le coté diplomate ou l' aspect best seller...
Je connaissais la réalité dont il parle, mais dite par un homme tel que Gary, elle acquiert une autre dimension, celle d' un homme honnète, généreux, lucide, profondément humain.
Vraiment un type bien !
Souvent déçu, irrité, mais jamais désabusé ni découragé.
Du moins à l' époque...

Sa femme, l' actrice américaine Jean Seberg, se suicide en 1979.
Et lui meme se tire une balle dans la bouche en 198O.
Que le bonheur est proche, que le bonheur est lointain !

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Message par Bédoulène Mar 21 Aoû - 23:37

merci Arensor et Bix, je me proposais de le lire

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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Message par ArenSor Mer 22 Aoû - 17:53

bix_229 a écrit:
Je connaissais la réalité dont il parle, mais dite par un homme tel que Gary, elle acquiert une autre dimension, celle d' un homme honnète, généreux, lucide, profondément humain.
Vraiment un type bien !
Souvent déçu, irrité, mais jamais désabusé ni découragé.
Du moins à l' époque...

J'approuve tout à fait ! Au fil de mes lectures, je trouve que Gary a une personnalité très attachante  Smile

En vrac, quelques citations extraites de "Chien blanc"

Une maison brûle, mais elle n’intéresse personne. Par contre, à cinquante mètres de là, devant la vitrine d’un magasin, on regarde les maisons brûler sur l’écran d’une télévision.

J’appelle « société de provocation » toute société d’abondance et en expansion économique qui se livre à l’exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalage alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu’elle provoque à l’assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu’elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit.

Je suis un de ces démocrates qui croient que le but de la démocratie est de faire accéder chaque homme à la noblesse.

Ma vue semblait lui faire le même effet qu’un verre de vinaigre lentement dégusté.

J’éprouve le besoin dévorant d’une ségrégation, d’une aliénation absolument sans précédent dans l’histoire de la solitude. Avec en moi un tel besoin de séparatisme, il faudrait pouvoir créer un monde nouveau. Je m’y mets immédiatement : je passe toute l’après-midi à écrire.

J’essaie de me calmer, je me dis que la bêtise, c’est grand, c’est sacré, c’est notre mère à tous, il faut savoir s’incliner devant Dieu.

Elle a l’air hâve, épuisée, et elle me rappelle ces femmes russes des années 1905 qui préparaient la Révolution et se faisaient déporter en Sibérie pour que leurs enfants et leurs petits-enfants se fassent un jour déporter en Sibérie. Une révolution qui triomphe, c’est encore une révolution de foutue.

Alain L. me parle de son fils qui fait partie d’un de ces groupements léninistes-trotskistes-révolutionnaires qui sortent partout du sol en ce moment, champignons succulents dont se délectent depuis toujours en salade de véritables connaisseurs comme Staline.

C’est assez terrible d’aimer les bêtes. Lorsque vous voyez dans un chien un être humain, vous ne pouvez pas vous empêcher de voir un chien dans l’homme et de l’aimer.
Et vous n’arrivez jamais à accéder à la misanthropie, au désespoir. Vous n’avez jamais la paix.

Il y a une anecdote qui me plaît bien et que je trouve assez révélatrice du personnage. Lors des journées de mai, traînant dans le quartier latin, il reçoit un coup de matraque d'un CRS. Il se demande pour quelle raison et comprend bien vite que c'est parce qu'il a les cheveux longs et qu'il porte un blouson. Furieux, il rentre chez lui, met son plus beau veston avec rosette de la légion d'honneur et croix de compagnon de la Libération, pour se faire insulter par les manifestants. Toute l'indépendance d'esprit de Gary est là ! Very Happy

N'hésite pas Bédoulène, je pense que c'est un livre qui pourrait te plaire  Smile

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Message par animal Mar 18 Déc - 21:40

politique - Romain Gary 91z-yt10

Les oiseaux vont mourir au Pérou

Un ensemble de nouvelles assez courtes qui fait d'abord sentir un mélange sensible de mélancolie et de douceur. Juste une pointe de noirceur. Une écriture très fluide.

Le rythme, la régularité, le ton, tout ce qu'il faut pour reprendre le livre avec plaisir. La maîtrise de la nouvelle, son équilibre narratif, le ménagement de sa chute taquine la curiosité et stimule l'envie, une certaine curiosité, pas purement intellectuelle, pas uniquement motivée par un jeu de l'esprit ou alors par un jeu plus profond.

Et au fil des pages si la noirceur et les échos de grands drames humains et contemporains sont plus pesants, la variété des thèmes et des approches apparaît aussi. Lassitude et déjà vu impossibles...

J'étais très curieux de cette première incursion dans le monde de l'auteur et mieux que pas déçu, je suis conquis. Très belle découverte, qualités humaine et de langage qui font du bien pour aborder certains traits de l'âme humaine ?


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Message par bix_229 Mar 18 Déc - 22:44

Le moment de lire La Promesse de l'aube ?
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Message par ArenSor Dim 23 Déc - 20:08

Gros-Câlin

politique - Romain Gary Gros-c10

Je ne le fait pas exprès, mais je suis actuellement dans une veine de lecture à tendance humoristique : Svevo, Durrenmätt et maintenant Emile Ajar, alias Romain Gary, l’une des plus grandes supercheries dans l’histoire des Lettres.
Monsieur Cousin, trentenaire au « style anglais », est statisticien. Il adopte dans son deux-pièces parisien un python de 2m 20 de long et rédige un traité d’herpétologie, consacré particulièrement aux pythons, en l’occurrence le sien, et qui doit faire date dans l’histoire des sciences.
Monsieur Cousin présente d’étranges affinités avec son animal familier. Surtout, M. Cousin crève de solitude dans une ville surpeuplée. Bien sûr, il y a sa collègue de travail, mademoiselle Dreyfus, une jeune guyanaise, mini-jupe et bottes de cuir, « seins sincères ». Il prend avec elle l’ascenseur chaque matin et traverse amoureusement chaque étage baptisé Bangkok, Singapour etc… Leurs relations ont du mal à dépasser ce stade. Il faut dire que monsieur Cousin est timide, délicat et scrupuleux. Alors, il trouve parfois réconfort auprès du serpent Gros-Câlin qui s’enroule autour de lui.
M. Cousin va chercher à résoudre ses problèmes existentiels successivement auprès d’un curé, d’un psychiatre, d’un thérapeute ventriloque, de voisins... 
A l’image de Gros-Câlin, M. Cousin a une pensée serpentiforme faite de circonvolutions, d’enroulements et de nœuds. Il manie la langue française avec une originalité certaine.  En voici quelques exemples qui montrent l’humour d’un Romain Gary jouant sur les mots, les dérivations et glissements de sens, l’absurde:

Je pense que le curé a raison et que je souffre de surplus américain. Je suis atteint d’excédent. Je pense que c’est en général, et que le monde souffre d’un excès d’amour qu’il n’arrive pas à écouler, ce qui le rend hargneux et compétitif. Il y a le stockage monstrueux de biens affectifs qui se déperdissent et se détériorent dans le fort intérieur, produit de millénaires d’économies, de thésaurisation et de bas de laine affectifs, sans autre tuyau d’échappement que les voies urinaires génitales. C’est alors la stagflation et le dollar.

Il hésita un moment. Il ne voulait pas être désagréable. Mais il n’a pas pu s’empêcher pour sortir.
-Vous savez, il y a des enfants qui crèvent de faim dans le monde, dit-il. Vous devriez y penser de temps en temps. Ca vous fera du bien.
Il m’a écrasé et il m’a laissé là sur le trottoir à côté d’un mégot. Je suis rentré chez moi, je me suis couché et j’ai regardé le plafond. J’avais tellement besoin d’une étreinte amicale que j’ai failli me pendre. Heureusement Gros-Câlin avait froid, j’ai astucieusement fermé le chauffage exprès pour ça et il est venu m’envelopper, en ronronnant de plaisir. Enfin, les pythons ne ronronnent pas, mais j’imite ça très bien pour lui permettre d’exprimer son contentement. C’est le dialogue.

Il ne me reste plus, pour faire le pas décisif, qu’à surmonter cet état d’absence de moi-même que je continue à éprouver. La sensation de ne pas être vraiment là. Plus exactement, d’être une sorte de prologomène. Ce mot s’applique exactement à mon état, dans « prologomène » il y a prologue à quelque chose ou à quelqu’un, ça donne de l’espoir ? Ce sont des états d’esquisse, de rature, très pénibles, et lorsqu’ils s’emparent de moi, je me mets à courir en rond dans mon deux-pièces à la recherche d’une sortie, ce qui est d’autant plus affolant que les portes ne vous aident pas du tout.


cest ce qu’on appelle justement des prologomènes, de l’anglais, prologue aux men, hommes, au sens de pressentiment.

La vérité est que je souffre de magma, de salle d’attente, et cela se traduit par un goût nostalgique pour divers objets de première nécessité, extincteurs rouge incendie, échelles, aspirateurs, clés universelles, tire-bouchons et rayons de soleil. Ce sont des sous-produits de mon état latent de film non développé d’ailleurs sous-exposé. Vous remarquerez aussi l’absence de flèches directionnelles.

Par exemple, elle [la société] ferme les bordels, pour fermer les yeux. C’est ce qu’on appelle morale, bonnes mœurs et suppression de la prostitution par voies urinaires, afin que la prostitution authentique et noble, celle qui ne se sert pas de cul mais des principes, des idées, du Parlement, de la grandeur, de l’espoir, du peuple, puisse continuer par des voies officielles.

J’ai parfois l’impression que l’on vit dans un film doublé et que tout le monde remue les lèvres mais ça ne correspond pas aux paroles. On est tous post-synchronisés et parfois c’est très bien fait, on croit que c’est naturel.

Lorsqu’on tend au zéro, on se sent de plus en plus, et pas de moins en moins. Moins on existe et plus on est de trop. La caractéristique du plus petit, c’est son côté excédentaire. Dès que je me rapproche du néant, je deviens en excédent. Dès qu’on se sent de moins en moins, il y a à quoi bon et pourquoi foutre. Il y a poids excessif. On a envie d’essuyer ça, de passer l’éponge. C’est ce qu’on appelle un état d’âme, pour cause d’absence.

Je passai une journée sinistre, au cours de laquelle je remis tout en cause. J’étais plein de moi-même avec bouchon.

Je n’ai pas compris et j’en fus impressionné. Je suis toujours impressionné par l’incompréhensible, car cela cache peut-être quelque chose qui nous est favorable. C’est rationnel chez moi.

Je n’écoutais pas ce que le père Joseph disait, je laissais faire, il poussait à la consommation. Il paraît que dieu ne risque pas de nous manquer, parce qu’il y en a encore plus que de pétrole chez les Arabes, on pouvait y aller à pleines mains, il n’y avait qu’à se servir.

-Monsieur le commissaire, dans ces affaires-là, on ne choisit pas, vous savez. C’est des sélectivités affectives. Je veux dire, des affinités électives. Je suppose que c’est ce qu’on appelle en physique les atomes crochus.

On rit beaucoup, bien sûr, en lisant « Gos-Câlin », mais c’est un rire tendre car se trouve toujours présent chez l’auteur cette profonde humanité. Romain Gary traduit avec humour le drame de l’individualisme, la misère affective des grandes villes.  

Les gens sont malheureux parce qu’ils sont pleins à craquer de bienfaits qu’ils ne peuvent faire pleuvoir sur les autres pour causse de climat, avec sécheresse de l’environnement, chacun ne pense qu’à donner, donner, donner c’est merveilleux, on crève de générosité, voilà. Le plus grand problème d’actualité de tous les temps, c’est le surplus de générosité et d’amitié qui n’arrive pas à s’écouler normalement par le système de circulation qui nous fait défaut, Dieu sait pourquoi, si bien que le grand fleuve en question en est réduit à s’écouler par voies urinaires. Je porte en moi en quelque sorte des fruits prodigieux invisiblement qui chutent à l’intérieur avec pourrissement et je ne puis les donner tous à Gros-Câlin, car les pythons sont une espèce extrêmement sobre et Blondine la souris, ce n’est pas quelque chose qui a de gros besoins, le creux de la main lui suffit.
Il y a autour de moi une absence terrible de creux de la main.

Quand j’étais gosse au dortoir je faisais venir la nuit à l’Assistance un bon gros chien que j’avais inventé moi-même dans un but d’affection et mis au point avec une truffe noire, de longues oreilles d’amour et un regard d’erreur humaine, il venait chaque soir me lécher la figure et puis j’ai dû grandir et il n’y avait plus rien. Je me demande ce qu’il est devenu, car celui-là, il ne pouvait vraiment pas se passer de moi.

J’ai même regardé dans le dictionnaire, mais il y avait une faute d’impression, une fausse impression qu’ils avaient là. C’était marqué : être, exister. Il ne faut pas se fier aux dictionnaires, parce qu’ils sont faits exprès pour vous. C’est le prêt-à-porter, pour aller avec l’environnement. Le jour où on s’en sortira, on verra qu’être sous-entend et signifie être aimé. C’est la même chose. Mais ils s’en gardent bien.


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Message par Tristram Dim 23 Déc - 20:28

Super => LAL.

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Message par animal Dim 23 Déc - 23:48

Pas mieux. J'avais hésité à la librairie, resté trop craintif, ça devrait aller mieux la prochaine fois !

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Message par Bédoulène Lun 24 Déc - 8:37

chouette il est dans ma pal !

merci Arensor de nous faire connaître ce livre.

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Message par Tristram Dim 2 Juin - 16:57

Diantre ! Je n'aurais pas cité Gary ??
« − On commence toujours par crever de faim, à New-York, jusqu’au jour où l’on fait crever de faim les autres, dit Grinberg. C’est ce qu’on appelle "réussir". »
Romain Gary, « Tulipe », IV

« Il me semble parfois que je ne continue moi-même à vivre que par politesse, et que si je laisse encore battre mon cœur c’est uniquement parce que j’ai toujours aimé les bêtes. »
Romain Gary, « La promesse de l’aube », troisième partie, chapitre XXXV

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Message par Tristram Lun 3 Juin - 14:37

Ça tombe à pic ! Je lis Les Racines du ciel, et Gary entre dans la Pléiade !!

politique - Romain Gary Album_10

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Message par Tristram Mer 5 Juin - 0:43

Les Racines du ciel

politique - Romain Gary Les_ra10

politique - Romain Gary Les_ra11

Écrit à l’origine en 1956, j’ai lu le texte définitif, de 1980, soit peu avant le suicide de Romain Gary ; je n’ai malencontreusement pas trouvé d’informations sur les modifications apportées d’une version à l’autre, ni même la préface de la première édition.
« Un blanc qui est devenu amok par misanthropie, et qui est passé du côté des éléphants… »
C’est l’histoire de Morel, « rogue » activiste écologiste dans l’Afrique centrale des années 50, persuadé de « toucher le cœur populaire » en défendant les « géants menacés »… Curieusement (ou pas), prendre la défense de la nature est perçu à l’époque comme un désaveu de l’humanité, alors qu’il s’agit peut-être du contraire, une empathie humaniste pour toute souffrance, la préservation d’une « marge humaine » de dignité ‒ les différentes interprétations du combat de ce sympathique héros incarnant un espoir, perçu selon les intérêts et surtout le milieu culturel des individus, constituent le fond de l’ouvrage. Les enjeux économiques, politiques, éthiques et même métaphysiques sont exposés, s’articulant autour d’une opposition utopisme - pragmatisme pas aussi nette qu’on pourrait croire.
« Le règlement de comptes entre les hommes frustrés par une existence de plus en plus asservie, soumise, et la dernière, la plus grande image de liberté vivante qui existât encore sur terre, continuait à se jouer quotidiennement dans la forêt africaine. »
Livre paru l’année de ma naissance, dont l’action se passe au Tchad, parfois dans les lieux mêmes où j’étais encore il y a dix ans… Dans ce pays, 90% de la population des éléphants aurait été exterminée au cours des 40 dernières années ; il n’y a plus de forêt en dehors du sud du pays.
Voici le pont sur le Chari limitrophe du Cameroun au sud de N’Djamena, quartier où se situe approximativement le bar dans le roman :
politique - Romain Gary Pont_s10

Au début, l’histoire gravite donc autour d’un bar, le Tchadien, et m’est sans cesse revenu à l’esprit cette auberge où je séjournais lors de mes passages à Fort-Lamy/ N’Djamena, et où l’atmosphère n’avait pas dû changer beaucoup depuis l’Indépendance. Il me semble que j’y voyais, et y revoir encore, les personnages que Gary a si habilement su camper en les présentant progressivement dans sa mise en scène. En premier lieu Morel, protagoniste de l’histoire, sorte de don Quichotte luttant contre l’extinction des éléphants :
« Je suis un peu allemand moi-même, par naturalisation, si on peut dire. J’ai été déporté pendant la guerre, et je suis resté deux ans dans différents camps. J’ai même failli y rester pour de bon. Je me suis attaché au pays. »
Il parle ici à Minna, l’entraîneuse allemande de le Tchadien, rescapée meurtrie de la seconde Guerre Mondiale, obstinée qui aime les animaux (et Morel) ; personnage le plus important après ce dernier ‒ « il fallait bien qu’il y ait quelqu’un de Berlin à côté de lui » ‒, elle est la seule femme du roman. La guerre et les camps, encore d’un passé récent à l’époque de la rédaction du livre, marquent indélébilement ce dernier, qui constitue aussi une allégorie où s’enchâsse comme un symbole de plus la parabole du déporté Morel portant secours aux hannetons…
Puis vient le commandant Schölscher, empathique ancien méhariste chargé de capturer Morel, et encore le gouverneur, irascible républicain empêtré dans la situation chaotique provoquée par ce dernier en rébellion ouverte. Il y a aussi le père Tassin (personnage inspiré par Teilhard de Chardin), jésuite et paléontologue convaincu de l’évolution darwinienne qu’il semble fausser de l’idée d’un dessein intelligent chrétien, le père Fargue, franciscain haut en couleur qui soigne les lépreux et les sommeilleux, Orsini le chasseur haineux qui conspue tous (et surtout lui-même), le vieux naturaliste danois Peer Qvist, vétéran de la lutte pour la protection de la nature :
« Peer Qvist lui dit que ce tapis vivant de près de cent kilomètres carrés qui changeait de couleur, s’élevait et retombait, s’éparpillait et se reformait comme une tapisserie fulgurante sans cesse brodée et rebrodée sous ses yeux, n’était qu’une parcelle infime, tombée en cours de route des milliards d’oiseaux migrateurs qui rejoignaient la vallée du Nil et les marécages du Bahr el Gazal soudanais. »
… Saint-Denis, l’administrateur de la région écartée des Oulés, qu’il voudrait préserver du « progrès » :
« Depuis vingt ans, je n’avais qu’un but, on pourrait presque dire une obsession : sauver nos noirs, les protéger contre l’invasion des idées nouvelles, contre la contagion matérialiste, contre l’infection politique, les aider à sauvegarder leurs traditions tribales et leurs merveilleuses croyances, les empêcher de marcher sur nos traces. »
… et son ami le sorcier Dwala, qu’il a convaincu de le réincarner en arbre ; également Waïtari, ex-député français et indépendantiste panafricain, arriviste et manipulateur :
« La brousse est pour nous une vermine dont nous devons nous débarrasser. »
… puis Habib le joyeux aventurier libanais (marin, tenancier de le Tchadien, trafiquant d’armes), Forsythe le major américain alcoolique (prisonnier des Chinois en Corée, il a « avoué » à la radio que son pays menait une guerre bactériologique) :
« Lorsqu’on quitte une engeance capable de vous offrir à la même époque le génocide, le "génial père des peuples", les radiations atomiques, le lavage du cerveau et les aveux spontanés, pour aller vivre enfin au sein de la nature, il est bien permis de prendre une cuite… »
… ou encore Babcock, colonel britannique en retraite :
« Elle devait se dire que l’on peut toujours compter sur un gentleman lorsqu’il s’agit de ne pas comprendre une femme. Je dois dire que j’ai justifié cette confiance entièrement. »
Il y aura aussi Abe Fields, juif et cynique, grand reporter américain (photographe) :
« C’était ça, le métier de Fields : rendre le texte inutile. »
Tous ces personnages ont leur personnalité, leur langage, souvent leur humour propre, formant une sorte de roman choral. Le sens de l’humour, ou des humours, est aussi divers que salutaire ; confer celui de l’atomiste Ostrach (c’est l’époque de l’anxiogène « miracle de l’atome », et Gary parle déjà du problème de l’interminable stockage des déchets), ou encore de Robert, le digne résistant qui invente dans un camp S. S. la course invincible et salvatrice des éléphants ‒ avant de devenir le planteur Duparc…
« l’humour est une dynamite silencieuse et polie qui vous permet de faire sauter votre condition présente chaque fois que vous en avez assez, mais avec le maximum de discrétion et sans éclaboussures. »
Il s’agit bien sûr de colons/ aventuriers/ fonctionnaires d’Afrique Equatoriale Française, et pour ce que j’en sais le livre témoigne assez justement des attitudes de l’époque, teintées de paternalisme, de prosélytisme, etc. ‒ mais guère de racisme. De même, les descriptions sont captivantes, telle l’évocation d’une exceptionnelle sécheresse aux effroyables effets.
Les Africains représentés, outre notamment Idriss le vieux pisteur et Youssouf le jeune guide, sont les Oulés, paradoxalement de grands chasseurs d’éléphants !
« Dans sa jeunesse, il avait souvent vu une bête abattue et dévorée sur place par les hommes du village, les plus avides absorbant jusqu’à dix livres de viande en une fois. Du Tchad au Cap, l’avidité de l’Africain pour la viande, éternellement entretenue par les famines, était ce que le continent avait en commun de plus fort et de plus fraternel. C’était un rêve, une nostalgie, une aspiration de tous les instants – un cri physiologique de l’organisme plus puissant que l’instinct sexuel. La viande ! C’était l’aspiration la plus ancienne, la plus réelle, et la plus universelle de l’humanité. »

« Seulement, les noirs ont une sacrée excuse : ils bouffent pas à leur faim. Ils ont besoin de viande. C’est un besoin qu’on a tous dans le sang et on n’y peut rien, pour le moment. Alors, ils tuent les éléphants, pour se remplir le ventre. Techniquement, ça s’appelle un besoin de protéines. La morale de l’histoire ? Il faut leur donner assez de protéines à bouffer pour qu’ils puissent s’offrir le luxe de respecter les éléphants. Faire pour eux ce que nous faisons pour nous-mêmes. Au fond, vous voyez que j’ai un programme politique, moi aussi : élever le niveau de vie du noir africain. Ça fait automatiquement partie de la protection de la nature… Donnez-leur assez à bouffer et vous pourrez leur expliquer le reste… Quand ils auront le ventre plein, ils comprendront. Si on veut que les éléphants demeurent sur la terre, qu’on puisse les avoir toujours avec nous tant que notre monde durera, faut commencer par empêcher les gens de crever de faim… Ça va ensemble. C’est une question de dignité. Voilà, c’est assez clair, non ? »

« L’idée de la "beauté" de l’éléphant, de la "noblesse" de l’éléphant, c’était une notion d’homme rassasié, de l’homme des restaurants, des deux repas par jour et des musées d’art abstrait – une vue de l’esprit élitiste qui se réfugie, devant les réalités sociales hideuses auxquelles elle est incapable de faire face, dans les nuages élevés de la beauté, et s’enivre des notions crépusculaires et vagues du "beau", du "noble", du "fraternel", simplement parce que l’attitude purement poétique est la seule que l’histoire lui permette d’adopter. »

« Essayez de leur expliquer que les Oulés ne sont pas partis à la conquête de leur indépendance politique, nationale, mais des couilles d’éléphants. Essayez… Vous m’en direz des nouvelles. »

« Quand on les voit assis toute la journée à la porte de leurs cases, on dit qu’ils sont flemmards et qu’ils ne sont bons à rien. Quand on coupe les gens de leur passé sans rien leur donner à la place, ils vivent tournés vers ce passé… »

« …] les collines Oulé sont des troupeaux d’éléphants tués par les chasseurs Oulé et sur lesquels l’herbe a poussé. »
Cette croyance mythique répond à une métaphore antérieure dans le texte :
« …] le troupeau des collines, massé à leurs pieds jusqu’aux limites de lune. »
Avec constance l’immensité du ciel et de l’Afrique est mise en opposition au vide intérieur (spirituel) des vieux solitaires blancs.
« On ne peut pas se soulager toute sa vie en tuant des éléphants… »

« Il y a à nos côtés une grande place à prendre, mais tous les troupeaux de l’Afrique ne suffiraient pas à l’occuper. »

« Au point où nous en sommes, avec tout ce que nous avons inventé, et tout ce que nous avons appris sur nous-mêmes, nous avons besoin de tous les chiens, de tous les oiseaux et de toutes les bestioles que nous pouvons trouver… Les hommes ont besoin d’amitié. »
Ce roman est vanté comme étant le premier qui soit "écologique" ; de fait, peut-être à cause d’une perception européenne de l’Afrique, le discours n’a pas vieilli :
« Quant à la beauté de l’éléphant, sa noblesse, sa dignité, et cætera, ce sont là des idées entièrement européennes comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

« Il y était proclamé également que "le temps de l’orgueil est fini", et que nous devons nous tourner avec beaucoup plus d’humilité et de compréhension vers les autres espèces animales, "différentes, mais non inférieures." »

« Ce que le progrès demande inexorablement aux hommes et aux continents, c’est de renoncer à leur étrangeté, c’est de rompre avec le mystère, – et sur cette voie s’inscrivent les ossements du dernier éléphant… L’espèce humaine était entrée en conflit avec l’espace, la terre, l’air même qu’il lui faut pour vivre. »

« Car il s’agit bien de ça, il faut lutter contre cette dégradation de la dernière authenticité de la terre et de l’idée que l’homme se fait des lieux où il vit. »

« Les hommes meurent pour conserver une certaine beauté de la vie. Une certaine beauté naturelle… »
J’ai souvent suivi les assalas en forêt équatoriale, et cela me permet sans doute de mieux percevoir ce texte :
« On ne peut pas passer sa vie en Afrique sans acquérir pour les éléphants un sentiment assez voisin d’une très grande affection. Chaque fois que vous les rencontrez, dans la savane, en train de remuer leurs trompes et leurs grandes oreilles, un sourire irrésistible vous monte aux lèvres. Leur énormité même, leur maladresse, leur gigantisme représentent une masse de liberté qui vous fait rêver. Au fond, ce sont les derniers individus. »
L’auteur laisse percer ses convictions personnelles :
« Quant au nationalisme, il y a longtemps que ça devrait plus exister que pour les matches de football… »
Il semble partisan de la colonisation, mais l’ironie voire l’autodérision sont si prégnantes qu’on se demanderait presque s’il est vraiment gaulliste :
« Les prisons sont aujourd’hui les antichambres des ministères. »
Et il a le sens de la formule :
« On fuyait l’action mais on se réfugiait dans le geste. »
Par contre, j’ai été déçu par des longueurs, des redites aussi, ressassements de certains points de vue qui font regretter que l’ouvrage n’ait pas été plus resserré par l’auteur.
Pour prolonger cette lecture, INA, interview par Pierre Dumayet suite à son Goncourt ‒ le premier !




Mots-clés : #aventure #colonisation #ecologie

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Message par Bédoulène Mer 5 Juin - 7:06

merci Tristram ! un sujet, plutôt plusieurs qui m'intérêsse !

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Message par Tristram Dim 7 Juil - 9:54

Un intéressant article universitaire sur le "syncrétisme identitaire en perpétuelle évolution" de Gary, qui louvoyait avec pudeur :
https://www.universalis.fr/encyclopedie/romain-gary/3-les-jeux-identitaires/

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Message par animal Ven 6 Déc - 21:12

politique - Romain Gary 11284410

Adieu Gary Cooper

Qui a été déjà été bien présenté par notre compère...

Qu'est-ce qui m'a marqué là-dedans, dans cette drôle de tambouille ? Le sens de la formule d'abord ? Une élégance qui fait passer beaucoup de chose, préservant beaucoup de charme à des considérations souvent désabusées dans un brassage d'images fortes entre oisiveté, guerre du Vietnam, Amérique et révolution... et tout un tas de petites choses, des caractères.

Si en plus on retrouve cette élégance dans le romantisme échevelé, quoique également désabusé ? de l'histoire entre Lenny et Jess...

Beaucoup d'ironie, quelques belles tournures joliment vaches, des situations improbables mais aussi un jeu de va et vient et des attachements solides. Une tambouille particulière qui réveille par son mélange des genres au style très sûr.

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Message par Tristram Ven 13 Déc - 12:34

Gros-Câlin

politique - Romain Gary Gros-c10

(Lu dans l’édition au Mercure de France augmentée de la fin originale.)
Plusieurs thèmes sont "noués" dans ce livre : la déréliction de l’individu dans la ville/ surpopulation et le besoin d’étreinte du narrateur (monsieur Cousin), ses difficultés à communiquer et ses fantasmes de relations humaines, son trop-plein d’affection sans emploi,
« …] la solitude du python à Paris. C’est l’angoisse. »

« Souvent, je m’endors ainsi, avec ce bras de deux mètres de long qui m’entoure et me protège en toute confiance, avec le sourire. »

« Je fus tiré de mon bain par un coup de téléphone, c’était naturellement une erreur, et à force de répondre toujours "c’est une erreur", je commence souvent à me sentir comme ça, je veux dire, comme une erreur. Je reçois un nombre incroyable d’appels téléphoniques de gens qui ne me connaissent pas et ne me demandent pas, je trouve ces tâtonnements à la recherche de quelqu’un très émouvants, il y a peut-être un subconscient téléphonique où s’élabore quelque chose de tout autre. »

« J’ai même acheté des journaux et j’ai bousculé deux ou trois personnes dans la rue en leur disant "Vous ne pouvez pas faire attention ?". Je passe comme ça une heure ou deux à rassurer par mon comportement social et je crois qu’ils commencent déjà à ne plus me voir. »

« Je souffre de surplus américain. Je suis atteint d’excédent. »
…aussi l’avortement (vivement discuté en France au moment de la rédaction de ce livre, au début des années 70) et toutes les références « prénatales »,
« Je suis rentré chez moi et j’ai fait une angoisse terrible, sans raison : ce sont les meilleures. Je veux dire, les angoisses prénatales sans aucune raison définie sont les plus profondes, les plus valables, les seules qui sont dans le vrai. Elles viennent du fond du problème. »

« Crier le fascisme ne passera pas, ça fait passer tout le reste. Le fœtuscisme, lui, n’est pas un parti politique, il n’est pas une idéologie, il n’a pas besoin de soutien populaire, il est démographique, c’est la nature qui veut ça, c’est le droit sacré à la vie par voie urinaire. Je fus pris alors d’une volonté de naître absolument furieuse et irrésistible, et pus même me lever et aller pisser dans le lavabo. »
…« les bonnes putes » et la prostitution combattue par la "bonne" société,
« …] la bonne pute – je répète pour la dernière fois, ou je vais me fâcher, que je prends ce mot dans son sens le plus noble et le plus heureux – car j’éprouvais un surplus américain de moi-même pour cause d’absence et de zéro, dont seules la tendresse et une douce étreinte pouvaient me débarrasser. »

« Elle me serra très fort dans ses bras et me caressa dans ce silence au goutte-à-goutte qui fait bien les choses. La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres. Son cou avait des abris et des rivages possibles. Elle était vraiment douée pour la féminité. »
…et encore les thèmes de la liberté, la clandestinité et l’écho de la Résistance (Jean Moulin et Pierre Brossolette sont des figures récurrentes).
« Je suis obligé d’en parler, à cause de la clandestinité, qui est un état naturel dans un agglomérat de dix millions de choses. Je suis également d’accord respectueusement avec l’Ordre des Médecins, il y a bien une vie avant la naissance, et c’est dans ce but que je leur dédie mes efforts dans ce but. »
Il y a un aspect kafkaien dans la métamorphose manquée de Cousin (un statisticien utilisant l'informatique débutante, qui se considère comme pas encore né) en python ‒ qui lui-même mue vainement.
« Les pythons sont à titre définitif. Ils muent, mais ils recommencent toujours. Ils ont été programmés comme ça. Ils font peau neuve, mais ils reviennent au même, un peu plus frais, c’est tout. Il faudrait les perforer autrement les programmer sans aucun rapport, mais le mieux, c’est que ce soit quelqu’un d’autre qui programme quelqu’un d’autre, avec effet de surprise, pour que ça réussisse. »

« Beaucoup de gens se sentent mal dans leur peau, parce que ce n’est pas la leur. »

« J’avais toujours un peu l’impression que ça se voyait mais c’est normal, c’est toujours comme ça après une mue quand on se retrouve comme avant et qu’il faut s’y faire. »
Le langage du narrateur est particulier, celui d’un esprit un peu dérangé, et/ou illogique, incohérent, en tout cas différent de la norme, entre paranoïa et schizophrénie, voire autisme.
« Je parle du revenu national brut, avec tête d’habitant. »

« ‒ Vous avez une façon de circuler très curieuse, dit-il [le commissaire, première entrevue]. Pardon, une façon de penser circulaire, je veux dire.
‒ Oui, ça fait des ronds, des anneaux, je sais, dis-je. La première règle d’une démarche intellectuelle saine, c’est de coller à son sujet. »

« ‒ Vous parlez un français très curieux, dit-il [le commissaire, autre entrevue].
‒ Je cherche à faire une percée, c’est tout. On peut déboucher sur quelque chose d’autre, qui sait. Notre garçon de bureau dit que les mots ont été dressés spécialement pour préserver l’environnement. »

« J’emploie souvent des expressions dont j’ignore prudemment le sens, parce que là, au moins, il y a de l’espoir. Quand on ne comprend pas, il y a peut-être possibilité. C’est philosophique, chez moi. Je recherche toujours dans l’environnement des expressions que je ne connais pas, parce que là au moins on peut croire que cela veut dire quelque chose d’autre. »
L’humour est parfois subtil (le « fort intérieur », les « prologomènes », etc.),
« Il y a même des moments où je me sens si faible qu’il doit y avoir erreur et comme je ne sais pas ce que j’entends par là, c’est vous dire son étendue. »

« Et s’il y avait des gens en civil dans le bistro, pour m’avoir à l’œil ? »
…et cet humour (qui rappelle celui de Boris Vian, de Raymond Devos) va jusqu’à la cocasserie (surtout dans les rapports de Cousin avec autrui)…
« ‒ Burak, Polonais. Je suis dentiste mais je voulais être chef d’orchestre.
‒ Personne ne vous comprend mieux que moi, lui dis-je, j’ai passé toute ma vie chez les putes, alors, vous pensez. »

« Ce curé a toujours été pour moi un homme de bon conseil. Il était sensible à mes égards et très touché, parce qu’il avait compris que je ne le recherchais pas pour Dieu, mais pour lui-même. Il était très susceptible là-dessus. Si j’étais curé, j’aurais moi aussi ce problème, je sentirais toujours que ce n’est pas vraiment moi qu’on aime. C’est comme ces maris dont on recherche la compagnie parce qu’ils ont une jolie femme. »

« Il me dit qu’il avait été chef de rayon à la Samaritaine pendant vingt ans, mais était passé au Bon Marché. Je n’ai pas demandé pourquoi, ce sont là des problèmes de conscience, il m’en informa avec fierté et c’est vrai qu’il faut beaucoup de courage pour changer de vie, à un âge où d’autres n’osent même plus y penser. Nous nous serrâmes la main et ne trouvâmes immédiatement rien à nous dire, ce qui établit entre nous une complicité sympathique. »

« C’est une sommité humanitaire. Selon les journaux, il a signé l’an dernier soixante-douze protestations, appels au secours et manifestes d’intellectuels. J’ai d’ailleurs remarqué que ce sont toujours les intellectuels qui signent, comme si les autres, ça n’avait pas de nom. »

« C’était une petite bonne femme à cheveux gris, une de celles qui ont beaucoup servi à rien et à personne. Elle devait tenir une boutique de quelque chose, faute de mieux. »
…et cette ironie est souvent celle de l’absurde, mais Gary louvoie perpétuellement entre non-sens et loufoquerie.
« Je ne veux pas être ajusté à l’environnement, je veux que l’environnement soit ajusté à nous. Je dis "nous" à titre de pluriel, car je me sens parfois très seul. »

« En rentrant, comme à propos, je trouvai sous la porte une feuille jaune : l’État des choses était venu chez moi pour me recenser. Je remplis la fiche avec empressement, car cela peut être utile en cas de doute, au cas où il faudrait prouver mon existence. Lorsqu’on va sur les trois milliards, avec six milliards prévus dans dix ans, on a beaucoup de mal, à cause de l’inflation, de l’expansion, de la dévaluation, de la dépréciation et de la viande sur pied en général. »
Au-delà de quelques piques satiriques, le roman reste profondément humain.
« Et il s’en est allé son chemin avec l’air de quelqu’un qui n’a pas d’amour à perdre. »

« À la sortie du métro, le ticket ne me jeta pas et me garda à la main avec sympathie, il savait que je passais par des moments difficiles. »
Ode à la digression, aux méandres reptiliens, des reprises entêtantes et comiques créent des nœuds dans le cours de la narration, comme la neuvième symphonie, « l’impossible », le jargon contemporain, etc.
« …] la neuvième symphonie de Bach, dis-je.
‒ De Beethoven.
Un de ces jours, je vais me foutre sérieusement en rogne.
Ils veulent pas que ça change, voilà. »

« Je ne sais quelle forme prendra la fin de l’impossible, mais je vous assure que dans notre état actuel avec ordre des choses, ça manque de caresses. Les savants soviétiques croient d’ailleurs que l’humanité existe et qu’elle nous envoie des messages radios à travers le cosmos. »

« Cela ne faisait que grandir autour de moi, l’impossible devenait de plus en plus français à une vitesse effrayante, avec expansion et accession à la propriété, clefs en main, pour plus de fermeture. »

« Je donnais bonne impression d’adaptation au niveau de vie. J’étais même louable et à encourager, car j’offrais un sympathique exemple de baisse de prix en pleine période de hausse. J’étais à vil prix, je ne nécessitais pas d’essence et de source d’énergie et j’étais économique, car on pouvait me jeter après usage. J’étais de plein emploi, et avec deux milliards de pièces de rechange, et sans autre matière première nécessaire que des investissements de foutre dans les banques de sperme. J’étais avec Pape, Ordre des Médecins à l’appui, avec droit sacré à la vie par voies urinaires et halte-là. J’étais à la fois matière première et produit fini, foutu même, avec promesses d’au-delà réservé uniquement aux morts. Je n’étais susceptible de dépassement que sur les autoroutes et j’étais vendu chaque année à deux millions d’exemplaires aux postes de télévision. On me mettait même une chaîne de couleur, comme son nom l’indique. J’avais un gouvernement qui me représentait sans aucun doute possible à cet égard. J’étais convertible. Je diminuais d’année en année, avec augmentation subséquente de besoins, pour compenser. Je bouffais de plus en plus de merde dans un but cancérigène. Ça gueulait parce que le prix de ma viande revenait de plus en plus cher à la sécurité routière et sociale. J’étais revenu national brute par tête d’habitant et de plus en plus. J’étais statistique jusqu’au trognon, démographique jusqu’à l’œuf, avec ovulation munie de tous les sacrements de l’Église et ouverte à toutes les bourses. »
C’est aussi une fabuleuse collection d’aphorismes et autres citations potentielles ; je ne peux pas me priver d’en ajouter au florilège d’ArenSor.
« La vie est une affaire sérieuse, à cause de sa futilité. »

« L’amour est peut-être la plus belle forme du dialogue que l’homme a inventé pour se répondre à lui-même. »

« Je ne sais si on mesure suffisamment toute l’importance qu’un événement peut prendre, lorsqu’il risque de ne pas se produire. »
Il ma aussi semblé que les discrètes références à l’Afrique et à l’environnement renvoyaient facétieusement à Les Racines du ciel, le (premier) Goncourt de Gary/ Ajar…

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Ven 13 Déc - 13:49

merci Tristram ! je n'ai lu qu'un seul livre et c'est bien trop loin, faudrait donc que j' y revienne

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