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Marguerite Duras

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Message par églantine Lun 19 Déc - 10:38

Marguerite Duras (1914-1996)

Marguerite Duras Margue10

Première période : L'élan d'une jeune écrivaine (1914-1950)

Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, est née le 4 avril 1914 à Gia Dinh, une ville de la banlieue Nord de Saïgon. A l'âge de 5 ans la jeune Marguerite vit toujours à Saïgon lorsque son père Emile meurt, en France. Deux ans plus tard, en 1923, sa mère s'installe avec ses trois enfants à Vinh Long, une ville située dans le delta du Mékong.

Marguerite Donnadieu passe toute son enfance au Viet-Nam. En 1932, alors qu'elle vient d'obtenir son baccalauréat, elle quitte Saïgon et vient s'installer en France pour poursuivre ses études. Elle obtient en 1963 une licence en droit.
Cette même année elle rencontre un certain Robert Antelme qu'elle épousera en 1939. De cette union naîtra en 1942 un premier enfant malheureusement mort-né. Cette période troublé dans la vie de Marguerite Donnadieu sera marquée également par la rencontre de son futur second mari, Dionys Mascolo.

En 1943 Marguerite et Robert Antelme déménage, ils s'installent au 5 rue St Benoît, à Paris, dans le quartier de St Germain des Près. Robert Antelme et Dionys Mascolo se lient d'une profonde amitié et avec Marguerite entrent dans la résistance. En parallèle Marguerite Donnadieu publie un premier ouvrage sous le pseudonyme de Marguerite Duras : Les Impudents . L'année suivante elle passe chez Gallimard et fournit son deuxième ouvrage, La vie tranquille. 1944 est l'année qui marque l'arrestation de son mari Robert, déporté à Dachau. Marguerite s'inscrit alors au PCF, la Parti Communiste Français. A la libération Robert Antelme est libéré dans un état critique, il rejoint son épouse dans son domicile parisien. En 1947 Marguerite Duras divorce et se remarie avec Dionys Mascolo dont elle aura rapidement un enfant prénommé Jean.


Deuxième période : Vers la diversification des activités (1950-1968)

En 1950 Marguerite Duras quitte le PCF, elle publie Un Barrage contre le Pacifique, une œuvre majeure commencée trois ans plus tôt, puis en 1952 Le Marin de Gibraltar, et en 1955 Le Square. En 1957 elle rencontre Gérard Jarlot, avec qui elle va collaborer pour de nombreuses adaptations théâtrales ou cinématographiques. En parallèle sa vie personnelle est bousculée par deux évènements majeurs : elle se sépare de son second mari et sa mère décède.

Poursuivant son œuvre littéraire, Marguerite Duras publie en 1958 Moderato Cantabile; alors que les salles de cinéma mette pour la première fois à l'affiche une adaptation d'un de ses livres, Un barrage contre le Pacifique, de René Clément. Ses droits d'auteurs commencent à lui apporter une certaine aisance, ce qui lui permet d'aménager dans une maison individuelle à Neauphle-le-Château. Lancé dans le cinéma, elle signe les dialogues d'Hiroshima mon amour, d'Alain Resnais.

Cette multiplication des activités fait reconnaître Marguerite Duras au niveau national. De 1960 à 1967 elle est membre du jury Médicis. Politiquement marqué à gauche malgré l'abandon de sa carte de membre du PCF, elle milite activement contre la guerre d'Algérie, dont la signature du Manifeste des 121, une pétition sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, est le fait le plus marquant.

En 1963 elle commence l'écriture du Vice-Consul, puis en 1964 elle publie Le Ravissement de Lol V. Stein, un nouveau roman, et l'année suivante sa première œuvre théâtrale, "Théâtre" (tome I, éditions Gallimard). Active dans les évènements de mai 1968, elle poursuit toutefois la diversification de ses activités théâtrales en créant la pièce "L'Amante anglaise", mise en scène par Claude Régy.

Troisième période : La reconnaissance (1968-1996)

En 1969 elle passe à la réalisation cinématographique avec "Détruire, dit-elle". Puis en 1972 sa maison sert de décor à "Nathalie Granger", son nouveau film, puis elle écrit tour à tour "India Song" et "La Femme du Gange", qu'elle tourne au cinéma (Catherine Sellers, Gérard Depardieu, Dionys Mascolo)

En 1973 "India Song" est transformé en pièce de théâtre et parallèlement en film (sorti en salles en 1975). En 1977 c'est "Le Camion" qui sort au cinéma, un film marqué par l'apparition de Duras en tant qu'actrice (rôle succinct). Cette période prolifique pour elle se poursuit avec la réalisation en 1979 de quatre courts-métrages : "Les Mains négatives", "Césarée", "Aurélia Steiner-Melbourne" et "Aurélia Steiner-Vancouver".

A partir du début des années 80, Marguerite Duras poursuit la multiplication de ses activités avec la réalisation de "Dialogue de Rome", un film commandé par la RAI Italienne, puis suivront "Savannah Bay", "La Maladie de la mort" et en 1984 L'amant, un roman largement autobiographique reprenant la trame de son enfance. En 1985 elle met en scène "La Musica deuxième" au théâtre Renaud-Barrault, puis elle publie "Yann Andréa Steiner" (1992, éditions POL), "Ecrire" (1993, Gallimard) et "C'est tout" (1995, éditions POL)

Marguerite Donnadieu, dit Marguerite Duras s'est éteinte le 3 mars 1996 à son domicile parisien de St Germain des Près

Bibliographie

Romans et récits
Les Impudents, 1943 : Page 1
La Vie tranquille, 1944 : Page 1
Un barrage contre le Pacifique, 1950 : Page 1
Le Marin de Gibraltar, 1952 : Pages 1, 4
Les Petits Chevaux de Tarquinia, 1953: Pages 1 ,
Des journées entières dans les arbres - Le Boa, Madame Dodin, Les Chantiers, 1954.
Le Square, 1955 : Pages 1 ,
Moderato cantabile, 1958.
Prix de Mai en 1958.
Dix heures et demie du soir en été, 1960.
L'Après-midi de Monsieur Andesmas (récit), 1962 : Pages 2 ,
Le Ravissement de Lol V. Stein, 1964 : pages 1, 2, 3
Le Vice-Consul, 1966 Pages 2
L'Amante anglaise, 1967
Détruire, dit-elle, 1969
Abahn Sabana David, 1970
Ah ! Ernesto, conte pour enfants, ill. de Bernard Bonhomme, 1971
L'Amour, 1972
Vera Baxter ou les Plages de l'Atlantique, 1980
L'Homme assis dans le couloir (récit), 1980
L'Homme atlantique, 1982
La Maladie de la mort (récit), 1982
L'Amant, 1984 : Pages 3
Prix Goncourt en 1984, 1986
La Douleur, 1985 Pages 3, 4
Les Yeux bleus, cheveux noirs, 1986
La Pute de la côte normande, 1986
Emily L., Les Éditions de Minuit, 1987
La Pluie d'été, 1990
L'Amant de la Chine du Nord, 1991 Pages 3 ,
Yann Andréa Steiner, 1992
Écrire, 1993

Recueils
L'Été 80, 1980
Outside - Papiers d'un jour, 1981
La Vie matérielle - Marguerite Duras parle à Jérôme Beaujour, 1987
Les Yeux verts, 1987
Paru préalablement dans Les Cahiers du cinéma no 312-313 de juin 1980
Le Monde extérieur - 1993
C'est tout, 1995
La Mer écrite, textes d'après des photographies d'Hélène Bamberger, 1996
La Cuisine de Marguerite, 1999
Cahiers de la guerre et autres textes, 2006
La Beauté des nuits du monde, textes choisis et présentés par Laure Adler, 2010
Deauville la mort, 2014
Duras, une vie d'écrits, 2014

Théâtre
Les Viaducs de la Seine-et-Oise, 1959
Miracle en Alabama, de William Gibson, 1963

Théâtre I, 1965
Les Eaux et Forêts
Le Square
La Musica

Théâtre II, éd. Gallimard, 1968 :
Suzanna Andler
Des journées entières dans les arbres
Yes, peut-être
Le Shaga
Un homme est venu me voir

L'Amante anglaise, 1968
India Song, 1973
L'Éden Cinéma, 1977
Agatha, 1981, Page 4
Savannah Bay, 1982

Théâtre III, éd. Gallimard, 1984 :
La Bête dans la jungle, d'après Henry James
Les Papiers d'Aspern, d'après Henry James
La Danse de mort, d'après August Strindberg

La Musica deuxième, 1985.
Le Théâtre de l’amante anglaise, 1991

Théâtre IV, éd. Gallimard, 1999 :
Vera Baxter
L'Éden Cinéma
Le Théâtre de l’amante anglaise
Home
La Mouette

Entretiens
Les Parleuses, Marguerite Duras et Xavière Gauthier, 1974.
Les Lieux de Marguerite Duras, Marguerite Duras et Michelle Porte, 1977
Dits à la télévision, Marguerite Duras et Pierre Dumayet, 1999
La Couleur des mots, Marguerite Duras et Dominique Noguez, 2001
Réalisés en 1983 et accompagnés de 8 films, ces entretiens existent en cassettes et, en partie, en DVD.
Le Bureau de poste de la rue Dupin et autres entretiens, Marguerite Duras et François Mitterrand, 2006
On ne peut pas avoir écrit Lol V. Stein et désirer être encore à l'écrire, 2012
La Passion suspendue, 2013
Le Livre dit. Entretiens de Duras Filme, 2014
Dialogues avec Jean-Luc Godard, 2014
Le Dernier des métiers, 2016

A noter que les éditions Gallimard ont édité les œuvres complètes de Marguerite Duras (collections Quarto et Pléiade)

màj le 21/02/2024


Dernière édition par églantine le Ven 3 Aoû - 13:10, édité 13 fois
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Message par églantine Lun 19 Déc - 10:43

Les impudents

Marguerite Duras Images30

Paris ne s'est pas fait en un jour , un monstre sacré de la littérature non plus : voilà un premier roman qui finit par être accepté chez Plon  en 1943 alors qu'il fut refusé à plusieurs reprises depuis 1941 .
Qui reconnaitrait la griffe Duras insolente , râpeuse et talentueusement insaisissable  à travers cette écriture consciencieuse d'une élève appliquée pour une narration des plus laborieuses ?
Et pourtant ...à travers ce récit un peu poussif , quelques fulgurances nous laissent présager un avenir lumineux pour cette plume brillamment maladroite finalement .
Une première oeuvre de jeunesse donc où déjà apparaissent les tourments d'une constellation familiale douloureuse et qui marquera l'oeuvre Durassienne jusqu'au bout . Alors oui c'est trop souvent bancal  , inutilement compliqué , mais attendrissant rétrospectivement lorsqu'on sait ce que deviendra cet embryon d'écrivain .
Parce qu'il faut bien commencer par un bout , Les impudents offrent le premier fil de la longue histoire de" Duras et l'écriture " : pas vraiment indispensable , il permettra d'appréhender la progression de l'auteure en partant de la racine et de sentir la profondeur de ses blessures de jeunesse, et l'impact sur son oeuvre à venir .
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Message par églantine Lun 19 Déc - 10:46

La vie tranquille

Marguerite Duras La-vie10

Quelle évolution depuis Les impudents ! Le deuxième roman de Marguerite Duras commence à porter en germe la voix unique , mystérieuse , pénétrante et insaisissable qui fera d'elle "La Duras" .
Nous voilà à Périgueux ,dans ce Périgord que connait si bien Marguerite .
Au Bugues ,dans une ferme ,  en compagnie d'une drôle de famille où il vient de se passer un drame .

Une ambiance à la Mauriac , qui ferait doutait d'être avec Duras .
C'est Francine qui parle . On pourrait dire Marguerite .
Elle n'a pas le verbe large la Francine , en bonne terrienne efficace qui n'a que faire des étalages .
Le drame ? Parlons -en quand même , puisque La francine nous en conte des bribes . Mais juste ce qu'il faut pour laisser surgir la conscience et voir ce qu'on en fait , ce qu'elle en fait !
Il s'agit d'un meurtre .
Et la Francine elle sait bien qu'elle a une grosse part de responsabilité dans la mort de l'oncle Jérome  . Mais bon ,là voilà pendant des nuits et des nuits dans l'attente de son possible amant  le Tiene , l'ami de son frère Nicolas , et qu'elle entend les ébats amoureux de la femme de Nicolas dans les bras de l'oncle . Alors  allez savoir pourquoi , trop c'est trop , elle s'en va faire acte de délation auprés de son frère chéri . Les choses vont vite . Une rixe entre les deux hommes concernés et la mort est là !
C'est à ce moment là que commence véritablement la premièr partie du roman ; belle entrée en matière pour une vie tranquille !
La suite ?
Clémence qui a fauté s'en ira , laissant sa "marmaille" au père .
Eh puis la vie après ...
Celle de La Francine sensuelle ou éteinte ,
des amours perdus d'avance ( On n'aime pas son frère d'amour impunément, ça s'appellerait l'inceste  ) ou contrarié , le suicide de Nicolas ,  des éclairs de lucidité qui doivent gratouiller l'âme et la conscience ...Mais nulle trace de ce qu'on appelle remord ou culpabilité pour la Francine . C'est qu'elle se cache du lecteur la Francine .
Elle partira voir la grande bleue , celle qui n'avait jamais vu la mer .
Surprise pas son propre regard dans un miroir , elle prend conscience de l'état d'être , son existence propre , son identité on dirait, par une sorte de dédoublement et de vision fragmentaire de son schéma corporel  ...A part que , il est bien difficile de savoir qui l'on est lorsque le passé n'a aucun point d'ancrage dans le moi . Difficile donc de se positionner dans la relation à autrui sans cette connaissance . Alors peut-être bien que la vie et la mort n'ont pas de frontière bien définie .
Des jours plein de vide sous le soleil de fin d'été languissant , sur la plage , un homme qui se noie . On se surprend à penser Meursault .
Et comme il faut bien rentrer , sans trop savoir pourquoi , elle retournera vers le Tiene . Et la boucle le sera lorsque celui ci la demandera en mariage . Par amour ? Par faiblesse ? Par lassitude ? Ou juste parce que ce jour là , à cet instant unique et irréversible ,  le choix n'existe plus sous le regard de la Francine , celle qui sait avant les autres la destinée , et ce qu'on a à y voir la dedans , nous les acteurs de la vie .
Toutes griffes dehors , elle blesse au passage . La vie .
Mais elle continue à passer ...Tranquille ?
Que nenni , voilà un paradoxe Durassien qui affirme déjà une plume facétieuse .
On en redemande .
A travers tous ces personnages on pourra établir des parallèles avec son vécu du moment , comme souvent dans son oeuvre où réalité et fiction s'entrelacent .
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Message par églantine Lun 19 Déc - 10:50

Marguerite Duras 51btwk10

J'ai terminé "Un barrage contre le pacifique " : il a été largement commenté .Je m'en fais donc l"économie .


L'écriture commence à prendre une nouvelle orientation . J'ai pu constater une inégalité stylistique ou du moins une alternance entre une forme encore très classique et du reste fort maîtrisée et cette nouvelle griffe qu'elle cherche encore à cette période de sa vie  , cette langue unique qui fait écho à la musicalité de sa voix , nerveuse , hâchée , sourde et fracturée .
L'expression du sentiment est absente . Pour prendre plus de réalité et de puissance finalement . Un de paradoxes Durassien peut-être . C'est fort .
Quelque chose d'animal dans cette relation entre la mère , le fils et la fille .
Duras s'affirme , avec une force océanique , telle celle de ce pacifique qui détruit tout dans ses débordements ....Peut-être que c'est pour reconstruire que Marguerite  écrit l'histoire de sa vie , comme ça lui chante . Alors oui autobiographique mais plus encore , avec une impressionnante détermination à s'approprier l'histoire de sa vie et de la faire sienne, autrement que par le vécu : l'acte d'écriture qui donne le pouvoir et le choix .
On en ressort bouleversé .
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Message par églantine Lun 19 Déc - 10:55

Le marin de Gilbratar .
(Quatrième roman de Miss Duras publié en 1952)

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Si le précédent Un barrage contre le pacifique comportait une épaisse densité autobiographique , il n'en est rien avec ce nouvel opus . Bien que naturellement on retrouvera quelques éléments empruntés à son parcours et qui deviendront des jalons inhérents à l'ensemble de son oeuvre .Si on ne nait pas pas de la lune , Duras encore moins et elle ne s'éloigne d'elle que pour mieux se retrouver peut-être .
Alors oui , il fait chaud bien sûr et un vague ennui s'installe dès les premières pages ....Le narrateur semble trainer comme un "spleen" Baudelairien .... Il s'en faudrait de peu pour qu'il soit aussi voluptueux.
Florence sous la chaleur estivale , un couple comme tant d'autres , de ceux qui forcent le trait pour faire oublier l'absence . Elle , c'est Jacqueline , pleine de"vi" (de) , lui c'est un fonctionnaire au ministère des colonies au service "état civil" . Ne pas vouloir visiter Florence sous la canicule et passer ses journées dans un bar comme un autre peut être un déclic pour avoir le courage de dire "tchao , je plaque tout et je commence une nouvelle vie" .

"Le propre des optimistes c'est de vous exténuer"
,
et Jacqueline elle fait partie de cette race , la pire ou la meilleure selon sa propre adhérence au mo
nde .

"Je découvris que ce n'était pas vrai , qu'il était impossible qu'un humain pût aimer cette chaleur-là, que c'était le mensonge qu'elle avait toujours fait , le mensonge optimiste , que rien ne l'intéressait que parce qu'elle l'avait décidé et que parce qu'elle avait banni de sa vie ces libertés qui font l'humeur dangereusement changeante " .

Il fait toujours aussi chaud même si Jacqueline est partie et que c'est à Rocca , petite station balnéaire , où l'homme décide de faire peau neuve .

Et comme de bien entendu , puisque c'est l'été , le soleil la mer , une nouvelle romance s'installe . Et pas de ces petites histoires de peu qui finissent par ne pas laisser qu'un doux parfum de sale chaud et d'huile solaire mais une vraie ou fausse aventure amoureuse avec une belle américaine riche comme crésus , qui parcourt le globe sur son yacht à la recherche de son amour perdu , "Le marin de Gilbratar", accompagnée d'une dizaine de mâles pour la servir et la divertir peut-être .... .
Et comme de bien entendu , il s'embarque avec sa belle , l'ancien fonctionnaire au ministère des colonies préposé à l'état civil . Alors oublié "Le marin de Gilbratar" ? Evidemment non , Duras n'a pas la plume du mauvais goût . Plus présent que jamais , "Le marin de Gilbratar" , l'union fait la force et la conscience collective crée ...le mythe non ?

De marin s'il en fut , il n'existera que pour mieux nourrir la relation amoureuse entre Anna et le narrateur .La quête du désir , le jeu des corps et de âmes qui s'unissent en l'instant trouvent une prolongation dans ce mouvement incessant pour trouver Le marin , celui de Gibraltar ! Anna et son amour perdu , le fonctionnaire et son besoin d'exister en dehors de sa fonction : voilà que les motivations s'entremêlent dans une relation quasi triangulaire autour de ce marin .
On embarque et on débarque , on croit trouver l'homme sous les traits de Gégé ,Pierrot ( si si elle ose Duras ) , on fait semblant d'espérer même si Le marin de Gilbratar , ça ne peut décidément pas se cacher sous de tels pseudos .

Mais quelle importance , on voyage en attendant , on s'euphorise et on y va gaillardement dans" la picolette "( sinon ce ne serait pas Duras ) , Et on se laisse entrainer dans la loufoquerie la plus débridée  jusqu'à l'absurde , sous une plume de plus en plus facétieuse, car il faut varier les plaisirs semble nous dire Miss Duras .
Au final : point de Marin ?
Bien sûr que si , il faut bien continuer l'aventure . Celle d'écrire pour cette croqueuse de mots , et puis aussi ou  peut-être , celle d'éterniser le désir pour le besoin de l'imaginaire .
J'aime , j'aime , j'aime et je continuerai à la lire cette "sale gosse" !
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Message par églantine Lun 19 Déc - 17:05


Les petits chevaux de Tarquinia

Marguerite Duras Images27

Quelle bonne idée j'ai eue d'avancer dans l'oeuvre de Duras ces jours-ci où la canicule force au ralenti , propice donc aux lectures d'ambiance où on prend son temps en s'installant confortablement .
Nous voilà au sein d'un groupe d'amis , jeunes intellos en couples pour la plupart en vacances estivales . C'est l'Italie . Entre mer et montagne . Il fait chaud. Les filles sont belles . On "farniente " dur et grave tout en se donnant du courage pour continuer en buvant Bitter campari sur Bitter Campari . Parce qu'il en faut du courage pour se laisser aller à être soi quelquefois dans ces parenthèses de vie que constituent les vacances qui peuvent devenir rapidement l'enfer sur terre .
Et bien sûr les tensions s'exacerbent dans ce climat de touffeur et d'inertie . On se regarde autrement . On hésite entre le délitement du couple ou remettre un petit coup de braise sur la flamme vacillante . Et puis il n'y a pas grand chose à faire dans ce village du bout du monde , à part faire l'amour ou la guerre et jouer aux boules le soir . Tout tourne au ralenti , la lassitude s'installe .
Heureusement l'arrivée de "l'homme " sur son bateau à moteur , inconnu au "bataillon" apportera une bouffée d'oxygène ainsi qu'un danger potentiel .Mais dès lors une nouvelle dynamique se crée , le désir se réveille , jalousie et séduction en fil directeur de tous les émotions qui se réveillent simultanément .
L'homme restera pourtant l'homme ....Sans identité précise . Au milieu de Sara , Jacques , Diana, Gina et Ludi . Parce que c'était lui mais que ça pourrait être un autre bien sûr .
Heureusement aussi il y a le vieux et la vieille dans la montagne . Des inconnus eux aussi , venus chercher la dépouille de leur fils mort par accidents lors d'un déminage . On se réunit autour , on cherche à comprendre le refus de la vieille de signer l'acte de décès , ça fait diversion et permet de tenir en respect ses affects de la journée ....
Peut-être pour oublier le regard de l'Homme sur Sara pour Jacques , Peut-être pour oublier sa colère , pour Gina qui semble ne plus savoir aimer Ludi autrement ,peut-être pour oublier les trahisons à répétitions de Jacques pour Sara ...Ou peut-être pas ...
Quatre journées sur un rythme languissant dans une ambiance oppressante où rien ne semble réel ...Et où l'ennuie pèse dangereusement .
Alors oui Duras s'affirme , plus encore que dans Le marin de Gibraltar . Sa griffe s'émancipe : tout en gardant un classicisme dans le fond ,elle ose quelques barbarismes et solécismes savoureux , elle use de la répétition pour enraciner quelques informations " peut-être " ,' Bitter Campari " , elle déplace la psychologie des personnages de la parole à la sémiotique et c'est là son plus grand talent ....Rien n'est donné dans les normes habituelles pour le plus grand plaisir du lecteur qui aime à déchiffrer autrement que par les artifices ou codes habituels .
Alors oui je tiens ce roman pour meilleur que Le marin de Gilbratar encore . L'univers DURASSIEN prend forme ! cheers
....
Et si j'allais boire un Bitter Campari ?
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Message par églantine Lun 19 Déc - 17:22

Le square

Marguerite Duras Images28

Avec un titre pareil on peut tout imaginer et c'est bien là où réside la première force de cette oeuvre : avant même de lire les premières pages , le lecteur se voit déjà s'engouffrer dans un thriller démoniaque ou dans une histoire d'amour victorienne selon ses références .
On lâche bien vite ses idées préconçues et d'emblée on se demande quelle farce elle a encore inventé "La Duras" : s'agit-il d'un roman vraiment ? Ou plutôt d'un pièce de théâtre ? Probablement une forme hybride , une forme unique à la sauce Duras , qui n'en finit pas de creuser la création littéraire .
Une oeuvre de jeunesse publiée en 1955 .
Alors non dans ce square rien ne se passera : ni meurtre , ni grande déclarations d'amour . Juste ce qu'il s'y passe , dans la vraie vie , lorsque se croisent les gens "de peu" , les presque invisibles , ceux qui font "trois petits tours et puis s'en vont' dans la fuite du temps .
Et voilà une "bonne à tout faire" surveillant un enfant à garde qui croise un représentant de commerce , sur un banc public  :  s'engage alors une conversation où chacun essaiera d'aller à la rencontre de la vérité de l'autre alors qu'en dehors de leur étiquette sociale tout les oppose :
L'une ne vit que dans la projection et en flux tendu dans l'espoir de provoquer par ses actes et  la puissance de ses désirs la concrétisation de ses rêves , l'autre fuyant toute notion de perspective et de passé .
Bizarrerie complètement assumée par Marguerite Duras que de celle de créer un dialogue complètement décalé par rapport à la condition des personnages .
Non seulement celui-ci appartient en substance à une forme de dialectique philosophique , mais la forme langagière n'appartient à aucun registre codé .
On se surprend à penser à du Beckett ou du Ionesco avec quelques tonalités flirtant de près avec l'absurde . On notera aussi l'étrangeté d'un langage curieusement dépersonnalisé pour mieux parler de l'intime et de sa condition sociale .
Si le temps n'en finit pas de passer pour ces deux "derniers des derniers" dans la lourdeur de leur quotidien , ce moment- ci semble échapper à la temporalité . Moment unique et fracture qui divise le temps avec "un avant" et "un après".
Pour une fois il se passe quelque chose , une brèche , une ouverture vers un possible que l'un appelle autant que l'autre fuit "par lâcheté" et c'est comme si , en l'instant , ils échappaient ensemble à leur condition , ce que Marguerite Duras traduit par une sorte d'abstraction , lui permettant de jouer avec le langage avec une immense poétique de la litote et du silence ..........

Un ouvrage à multiples interprétations : Certains privilégieront une portée réaliste et politique ( Engagement communiste de Duras ) , d'autres se glisseront entre les silences pour y déceler touts les ferments d'une quête amoureuse là où certains trouveront de quoi nourrir leur tourment existentiel et leur propre introspection .
Une petite gourmandise Durassienne .

Quelques extraits :

"Vous ne pouvez pas savoir, monsieur , car si peu que vous soyez , vous êtes quand même à votre façon ,donc vous ne pouvez pas savoir ce que c'est que de n'être rien .

    Depuis, quand je pense à moi, c'est en terme d'homme de plus ou d'homme de moins, ce qui vous explique qu'un frigidaire de plus ou de moins dans la vie m'importe moins qu'à vous.    

"Eh bien ,monsieur, excusez-moi, mais les gens qui vous parlent du bleu de la mer me donnent envie de vomir. "



"Il y a des gens comme ça , qui ont tellement de plaisir à vivre qu'ils peuvent se passer d'espérer "

"Oh vous savez , je crois que c'est une chose bien courante que d'avancer ainsi dans la vie , sans savoir du tout pourquoi ".

"Il me semble que je pourrais mentir seulement sur quelque chose dont je serais responsable mais pas autrement ."

"Encore une fois , je veux connaitre l'amertume du bonheur ".

"Je serai malheureuse à la façon de tout le monde ou je ne le serai pas . Je veux l'être comme les autres le sont ou alors j'éviterai de l'être le plus que je pourrai."
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Message par églantine Lun 9 Jan - 15:49

Le ravissement de Lol V Stein



Marguerite Duras Produc12


A moins d'aimer vous perdre , d'accepter le jeu sans en connaitre les règles et d'être un admirateur sans réserves pour Duras fuyez .
Mais si les trois conditions sont réunies , il est fort probable que cette oeuvre vous laisse entrevoir une partie de vous-même, occulte , sagement policée par la raison et les balises normatives nécessaires à une vie normale .
Bien mystérieux tout ça ? Qu'est-ce à dire donc ?
Traduire l'intraduisible n'a jamais été une chose aisée , les plus grands s'y sont essayés sans succès .
C'est peut-être donc ce qu'elle a essayé de faire , la Duras .
Mais là encore ces errements , hésitations , affirmations démenties par la suite ne donnent pas l'assurance de quelque certitude .
.............
L'histoire est simple : Lol Valérie Stein , jeune fille fiancée à Michael Richardson, assistera à une" scène fracture" qui la conduira à "la folie " . Sous ses yeux , avec une précision implacable , son amoureux se fera ravir justement par : Anne-Marie Stretter lors d'un bal .
On serait en droit d'imaginer que la douleur insoutenable la conduit dans le tourment psychotique . Mais non , si psychose il y a , elle n'est en rien associée à une souffrance mais à contrario à une absence de souffrance .
Le temps passera et Lol V Stein , mutilée intérieurement (D'où probablement le choix de ce diminutif ) le vivra mécaniquement , ritualisé , ordonné , nettoyé , classé et aseptisé au sein d'un mariage sans relief . Le rituel garde-fou ?
Dix ans d'engourdissement salvateur pour le mental fragile de Lol .
Jusqu'au jour où les circonstances de la vie la mèneront à rouvrir la faille .
Lol se réveillera , revivra par projection son histoire .
C'est celui qui deviendra son dernier amant probablement qui raconte .
Jacques Hold, l'amant de Tatiana Karl, son amie de jeunesse qui était là aussi lors de ce bal , qui a tout vu aussi .
Lol V Stein s'immisce dans l'intimité de ce couple adultère (Tatiana est mariée ) par la petite fenêtre , celle de l'hôtel où les amants se rejoignent régulièrement pour s'unir ....Allongée dans un champ de seigle , Lol V Stein attend , capture , et trouve son bonheur à voir , aimer sûrement . Aimer par procuration alors ? Pas vraiment . Aimer dans l'absence . A soi . A l'autre . Au réel .Jusqu'à se perdre .
On n'en saura pas plus . Le narrateur , Jacques Hold dans l'hésitation , le doute , l'affabulation assumée " (« je crois » et « je ne crois plus » ,mais aussi « j’invente », « je mens »), nous maintiendra dans cette obscurité , témoignant ainsi d'une impossibilité de mettre du sens , de la raison par les mots ....N'est-ce pas invitation à lâcher les outils habituels pour accéder à la connaissance et se saisir du ravissement de Lol V Stein pour entrer en résonnance avec celui-ci et enfin comprendre autrement ?
Marguerite Duras semble avoir percé des portes pour accéder à l'inconscient , l'infini , la création , la "dépersonne" .
La forme narrative se destructure , vole en éclats : magnifique kaléidoscope littéraire , miroir du moi : celui de Lol certes . Mais le nôtre aussi dans ce ravissement proche de l'extase , et ce ravissement à soi-même en tant que lecteur (double sens du mot ravissement sur lequel joue l'auteur ) , ce roman exceptionnel , unique , échappant même à la volonté de l'auteur , nous offre une expérience de la rencontre avec nous-même singulière dont on peut dire très justement que l'on n'en sort pas indemne .
J'ai adoré me faire ravir . L'absence à soi lorsque elle est provoquée par une oeuvre de cette puissance , est une expérience de vie des plus marquantes .


Dernière édition par églantine le Lun 9 Jan - 15:55, édité 2 fois
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Message par églantine Lun 9 Jan - 15:53

Extraits de Le ravissement de Lol V Stein.

  "Je me sens bien sans vous depuis que je vous connais ".
"C'est peut-être dans ses moments là, quand j arrive à croire que vous avez disparu que "
.........
"Que je suis le mieux, celle que je dois. "

   

   "Ah je voudrais pouvoir vous donner mon ingratitude,comme je suis laide,comme on ne peut pas m aimer, je voudrais vous donner ça. "    

   "Lol regardait. Derrière elle j essayais d accorder de si près mon regard au sien que j'ai commencé à me souvenir,à chaque seconde davantage,de son souvenir. "    
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Message par shanidar Lun 9 Jan - 17:29

Je te lis d'un œil sur ce coup-là églantine, car je ne connais pas ce livre mais je l'ai acheté il y a bien longtemps.

Il faudrait peut-être s'interroger sur le rapport à la 'laideur' que Duras entretient, avec sa propre laideur d'ailleurs. Je me souviens avec une force incroyable des pages de L'Amant où elle décrit sans pudeur les ravages sur son visage. C'était très troublant parce que vécu comme une sorte de mutilation et comme une vengeance faite à la jeune fille si belle qui avait laissé l'homme, l'étranger, entrer dans sa vie (du moins c'est comme ça qu'à l'époque de ma lecture j'avais appréhendé ses mots).

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Message par églantine Mar 10 Jan - 18:06

Ah c'est intéressant ce que tu racontes Shanidar . Cela peut apporter d'hypothétiques éléments justificatifs de certaines bizarreries Durassiennes . Il est bien évident que cette oeuvre est à aborder sous le prisme psychanalytique . Lacan en a d'ailleurs souvent fait référence je crois .
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Message par shanidar Mar 10 Jan - 18:40

En fait il s'agit des deux premières pages de L'Amant (absolument bouleversantes) :

Un jour, j'étais âgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s'est fait connaître et il m'a dit : "Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j'aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté."

Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n'ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante. C'est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais, où je m'enchante.

Très vite dans ma vie il a été trop tard. A dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. A dix-huit ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. Il me semble qu'on m'a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelque fois alors qu'on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu'il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d'en être effrayée j'ai vu s'opérer ce vieillissement de mon visage avec l'intérêt que j'aurais pris par exemple au déroulement d'une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu'un jour il se ralentirait et qu'il prendrait son cours normal. Les gens qui m'avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m'ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu'il n'aurait dû. J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s'est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J'ai un visage détruit.


(1984)



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Message par églantine Mar 10 Jan - 18:45

Merci Shanidar .
Bouleversée je suis en lisant ces lignes .
Je n'ai pas encore lu L'amant ....On en reparlera donc . cheers
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Message par shanidar Mar 10 Jan - 18:50

Oh oui ça rend très humble une telle maitrise.
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Message par Nadine Mar 10 Jan - 23:31

Je me souviens tres bien de ce passage Shanidar.
je n'interviens pas , depuis le debut, sur ce fil, parce que mes lectures d'elle datent d'au moins dix ans, mais j'ai a-doré la lire. Ces posts me font penser qu'il m'en reste encore beaucoup d'ailleurs à decouvrir, quelle joie.
J ai adoré Un barrage, classique. Lu les deux livres sur l'Amant, les petits chevaux de traquina j'ai carrement ete surprise et ai beaucoup aimé (c est assez different des autres connus je trouve, plus civil, moins transe durassienne, mais intelligent au diable)

J'ai a-doré lire un de ses livres sur la maison, une suite de chapitres sur les choses, j'arrive pas à me rappeler le titre .
C'est dans ce dernier que j'ai rencontré pour la premiere fois le concept de "déclassé" qu'elle manie trs specifiqueent.
Tout cela pour dire qu'à commencer par celui-ci je reviendrai par là. A mon heure.
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Message par shanidar Mar 10 Jan - 23:34

En recopiant ce passage, je pensais à toi Nadine, non pas à ton visage, mais à ce que cette description pourrait te dire, toi qui semble si sensible à l'être, tant physique que mental. Je suis contente que tu réagisses à ça.
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Message par Nadine Mar 10 Jan - 23:39

Dans le mille.. Wink

Pour l'anecdote, vous aurez remarqué comme Duras est redevenue belle juste les dernieres années de sa vie .
C'est etrange le corps.
Enfin sans doute qu'elle n'a jamais cessé de l'être, les lunettes, la coupe, peut être l'alcoolisme, tout cela defaisait sa linearité. Les lunettes, surtout , je pense.

CLIC ici


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Message par Marie Mer 11 Jan - 1:56

Moi aussi je me souviens très bien de ces phrases , et du mot: " dévasté".
J'ai beaucoup lu Marguerite Duras, à une époque. Mais, après, c'est plus le personnage lui-même qui m'a intéressée. Après l'avoir vue un jour, par hasard, répondre à un journaliste. C'était bien avant sa mort, mais elle venait de sortir d'un problème de santé gravissime, avait encore une trachéotomie il me semble, était en fauteuil roulant et, bref, paraissait bien mal en point. Je ne me souviens pas bien sûr des mots exacts de ce journaliste, mais, en gros, il lui disait qu'il était content de la revoir bien vivante. Et ce regard ...ce silence qui avait duré quelques secondes et c'est long à la télé, le silence! Et la réponse, qui disait tout ce qu'il y a à comprendre sur ce qu'est une addiction: Oui, je suis vivante, si vous voulez. MAIS je ne bois plus.
Ce: "mais je ne bois plus ", qui signifiait: mais je ne vis plus...Et ce regard témoignant de sa douleur de devoir survivre sans cette aide. C'était déchirant.
Et ne plus boire, c'est ne plus écrire non plus. Pour elle qui ne pouvait affronter l'écriture que grâce à l'alcool.

Marguerite Duras et sa mère..: "
J'ai eu cette chance d'avoir une mère désespérée d'un désespoir si pur que même le plaisir de la vie, si vif soit-il, quelquefois, n'arrivait pas à l'en distraire tout à fait
». Lourd héritage, avec en plus ce sentiment d'injustice qu'elle éprouve toute sa vie.

C'est dans La vie matérielle qu'elle parle le plus de l'alcool. Je n'ai plus le livre, il y a un extrait ici
L'alcool pour consoler du manque de Dieu...

Plus à lire - et surtout plus clair-dans ce texte
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Message par shanidar Mer 11 Jan - 12:09

Merci Marie.
Je ne sais plus dans quel texte (La Douleur, peut-être ?) Duras écrivait :

Ecrire, c'est mourir un peu.
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Message par ArenSor Mer 11 Jan - 16:42

Le Ravissement de Lol Stein est une petite merveille ! J'avais lu beaucoup de livres de Marguerite Duras dans ma jeunesse. En fac, nous avions formé un petit groupe informel d'amis de M.D. Nous allions voir ses pièces de théâtre et ses films (peu diffusés) à Paris. Il faut que j'y revienne. C'est l'un des rares auteurs que j'aimerais avoir lu en intégralité Smile .
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