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Hubert Aquin

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Message par Jack-Hubert Bukowski Mer 4 Sep - 10:36

Hubert Aquin
(1929-1977)

Hubert Aquin Hubert10

Biographie, version courte :

Né à Montréal en 1929, Hubert Aquin a été romancier, scénariste, journaliste, directeur de la revue Liberté de 1961 à 1971 et directeur littéraire aux Éditions La Presse au milieu des années 1970. Surtout connu pour son roman Prochain épisode, l’écrivain a marqué la littérature québécoise par sa personnalité, par le baroque flamboyant de son œuvre, par son engagement politique et par son destin tragique. Il a mis fin à ses jours dans la cour du collège Villa-Maria, quelques mois après l’arrivée au pouvoir du Parti Québécois, à l’automne 1976.

Biographie, version longue et complexe :

Natif de Montréal, il étudie d'abord la philosophie à l'Université de Montréal puis la politique à Paris. À son retour à Montréal, il travaille à Radio-Canada, à la Bourse de Montréal et à l'Office national du film. Au début des années 1960, il joue un rôle actif dans le mouvement pour l'indépendance du Québec. Membre du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), il n'hésite pas à engager un débat idéologique avec un farouche opposant à cette cause, Pierre Elliot Trudeau. En 1964, il annonce qu'il entre dans la clandestinité, au nom de la cause de l'indépendance, et se dit prêt à utiliser le terrorisme pour arriver à ses fins. Arrêté, puis interné dans un institut psychiatrique, il écrit son premier roman, «Prochain Épisode», en 1965. Ce roman fait de son auteur un personnage important dans le monde des lettres au Québec. En 1969, il refuse le Prix du gouverneur général pour son oeuvre «Trou de mémoire». Lors du sabordage du RIN au profit du Parti québécois de René Lévesque, il dénonce la décision du chef Pierre Bourgault et quitte le parti. Isolé, il publie un nouveau roman, «L'Antiphonaire», sans lien apparent avec la politique. En 1971, il démissionne de la revue «Liberté», accusant les rédacteurs d'avoir passé sous silence la Crise d'Octobre de crainte de perdre la subvention du Conseil des Arts. En 1974, il publie son dernier roman, «Neige noire», réflexion philosophique sur le temps, l'amour, la mort. En 1975, il devient directeur des éditions littéraires de La Presse. Cette association se solde par un conflit et il démissionne un an plus tard. De plus en plus isolé, aux prises avec des difficultés financières, il met fin à ses jours en 1977.

Version documentaire : https://www.onf.ca/film/deux_episodes_dans_la_vie_d_hubert_aquin/

Version livre : Gordon Sheppard et Andrée Yanacopoulo, Signé Hubert Aquin. Enquête sur le suicide d’un écrivain

Déclaration d’Hubert Aquin le 15 mars 1977 :

« Aujourd’hui, le 15 mars 1977, je n’ai plus aucune réserve en moi. Je me sens détruit. Je n’arrive pas à me reconstruire et je ne veux pas me reconstruire. C’est un choix. Je me sens paisible, mon acte est positif, c’est l’acte d’un vivant. J’ai vécu intensément, c’en est fini. »

Bibliographie :

Prochain épisode, 1965
Trou de mémoire, 1968
L’antiphonaire, 1969
Point de fuite (essais), 1971
Neige noire, 1974
Blocs erratiques (essais), 1977
L’invention de la mort, 1991
Journal 1948-1971, 1992
Mélanges littéraires (2 volumes), 1995
Confession d'un héros : Le choix des armes, La toile d'araignée, 1997
Récits et nouvelles. Tout est miroir, 1998
Œdipe et Œdipe recommencé, 2017
Téléthéâtres, 2017


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Message par Jack-Hubert Bukowski Mer 4 Sep - 10:43

Prochain épisode (1965) :

Hubert Aquin Hubert16

À quelques années d’intervalle, j’ai lu et relu Hubert Aquin. Je suis entré en contact avec son œuvre pour la première fois en 2006, du moins je m’étais intéressé à son cas. J’ai dévoré Signé Hubert Aquin. Je suis tout à fait conscient que je commence par cette parenthèse pour entrer dans son œuvre. Prochain épisode est le grand accomplissement de la vie d’écrivain d’Hubert Aquin, au même titre que l’essai politique «La fatigue culturelle du Canada français». Animal en parlait justement à fort propos.

La lecture du Prochain épisode est assez déroutante. Il m’a fallu plusieurs lectures, un cours sur Hubert Aquin à l’UQÀM, des références et des travaux sur son œuvre et sa vie, et l’apprentissage de plusieurs intertextes pour mieux saisir le nœud de sa quête. Dès les premières pages, le suicide s’impose d’emblée comme préoccupation assez vive au point de classer Hubert Aquin parmi les héros problématiques du Québec.

Si on peut le dire ainsi, l’entrée littéraire de Prochain épisode fut fracassante. Il y avait une superbe qui auréolait l’entrée en matière de cet opus littéraire sous fond d’engagement d’un écrivain sur les questions politiques de l’heure. Encore aujourd’hui, il y a une certaine consécration littéraire autour de son œuvre, même si elle se fait de manière confidentielle et chuchotée. Nous pouvons prendre le cas d’Emmanuel Deraps qui s’inspire de l’œuvre d’Hubert Aquin, notamment dans Failure.

Pour cette lecture, je l’ai faite de manière relativement dégagée. J’ai pris le parti de lire le livre de bout en bout et de le parcourir page après page, sans m’attarder outre mesure aux notes de lecture. J’ai beaucoup reposé cette lecture au début, pour mieux embarquer dans le corps du sujet.

S’il y a une révolution à l’œuvre dans ce livre, c’est surtout par l’acte même d’écrire, de lire, vivre à travers ce qu’Hubert Aquin nous laisse à voir au fil des lignes, et il y a une forme de consécration du sujet amoureux, de l’acte d’aimer, qu’on essaye de capter à l’oeuvre.

Je vous laisse quelques extraits qui proposent plusieurs saillies des envolées verbales sous la plume :

Écrire est un grand amour. Écrire, c’était t’écrire; et maintenant que je t’ai perdue, si je continue d’agglutiner les mots avec une persévérance mécanique, c’est qu’en mon for intérieur j’espère que ma dérive noématique, que je destine à des interlocuteurs innés, se rendra jusqu’à toi. Ainsi, mon livre à thèse n’est que la continuation cryptique d’une nuit d’amour avec toi, interlocutrice absolue à qui je ne puis écrire clandestinement qu’en m’adressant à un public qui ne sera jamais que la multiplication de tes yeux. Pour t’écrire, je m’adresse à tout le monde. L’amour est le cycle de la parole. Je t’écris infiniment et j’invente sans cesse le cantique que j’ai lu dans tes yeux; par mes mots, je pose mes lèvres sur la chair brûlante de mon pays et j’aime désespérément comme au jour de notre première communion.

p. 66

La thématique de la révolution comme telle revient telle une ritournelle, même en boomerang, et Hubert Aquin nous entretient de cette révolution toujours à faire au Québec :

La révolution viendra comme l’amour nous est venu, un certain 24 juin, alors que tous les deux, nus et glorieux, nous nous sommes entre-tués sur un lit d’ombre, au-dessus d’une vallée vaincue qui apprenait à marcher au pas. Elle viendra à la manière de l’événement absolu et répété qui nous a consumés et dont la plénitude me hante ce soir. Ce livre innommé est indécis comme je le suis depuis la guerre de Sept Ans, anarchique aussi comme il faut accepter de l'être à l'aube d'une révolution. On ne peut vouloir la révolution dans la sobriété, ni l'expliquer comme un syllogisme, ni l'appeler comme on procède en justice. Le désordre inévitable me gagne déjà et pétrit mon âme : je suis envahi comme le champ d'une bataille que je prépare dans la fébrilité. C'est sur nous et en nous que le grand bouleversement commence; dans nos existences vulnérables et nos rencontres amoureuses que les premiers coups sont portés.

p. 90-91

Quand nous prenons connaissance des divers procédés d’écriture utilisés par Hubert Aquin qui est à cheval entre le Nouveau Roman et les innovations formelles, notamment en matière de fragment, nous pouvons voir qu’il peut se référer à des événements historiques, notamment l’assassinat de Jules César survenu un 15 mars :

Ma montre s’est arrêtée à trois heures quinze. Je suis sûr pourtant qu’il est beaucoup plus tard, ne serait-ce qu’en me fiant au déclin du jour que je vois par les portes-fenêtres. Il n’y a pas d’horloge ici et je suis au cœur de la Suisse! Comment savoir l’heure? Cela m’importe, car je ne veux pas manquer mon rendez-vous à la terrasse de l’Hôtel de l’Angleterre. Bah! je n’ai qu’à utiliser le téléphone qui se trouve dans le hall et la demander au central. Pourtant, non; il vaut mieux pas. Sait-on jamais? L’appareil se trouve peut-être branché sur un standard spécial situé Dieu sait où. Ce serait donner l’alerte au quartier général de H. de Heutz. On n’est jamais trop prudent, surtout que, de nos jours, le téléphone est devenu une vraie place publique.

p. 129


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Message par Jack-Hubert Bukowski Mer 4 Sep - 10:45

(Suite de Prochain épisode par JHB)

Dans l’extrait suivant, nous pouvons voir le niveau de sophistication dans les procédés littéraires utilisés. On parle souvent du baroque en présence dans l’œuvre d’Hubert Aquin et le procédé d’anamorphose (bien qu’il se retrouve davantage en évidence dans Trou de mémoire) :

Le duel à mort entre les deux guerriers de laque a pris soudain les teintes fauves de la peur. La surface qu’ils occupent se couvre de reflets funèbres. Le double de Ferragus habite ici. Ces meubles ciselés avec art, ces cercueils sculptés ou recouverts de marqueterie et la Mort du général Wolfe indique l’identité redoutable du maître des lieux. Celui qui se meut dans la splendeur sarcophale de cette demeure et qui connaît le chiffre de l’ex-libris de l’Histoire de César et de l’énigme dans laquelle je m’enroule, cet homme m’échappe infiniment! L’auteur de ce cryptogramme de fausses rencontres et d’ambiguïtés me cherche plus encore que je ne l’ai poursuivi. Une obsession trouble m’incorpore à sa fugacité.

p. 139-140.

Il me semblait important de vous montrer l’extrait suivant qui signale l’opportunité de la présence de la femme dans les romans d’Hubert Aquin. Il ne faudrait cependant pas se laisser tromper par des effets «trompe-l’œil» qui sont également utilisés à divers endroits dans le roman :

Pourquoi, sur le bord du lac ajourné, avons-nous réinventé cette révolution qui nous a brisés, puis réunis, et ce qui me paraît impossible, ce soir même, alors que je fais le guet dans cette foule hantée et que l’orchestre joue Desafinado? La révolution souterraine nous brise une fois de plus, au fond de notre exil, sur la terrasse de cet Hôtel d’Angleterre que j’aime et où je loge infiniment comme le poète mort à Missolonghi. Mon amour, tu es belle, plus belle vraiment que toutes ces femmes que je dévisage avec méthode. Ta beauté éclate de puissance et de joie. Ton corps nu me redit que je suis né à la vraie vie et que je désire follement ce que j’aime. Tes cheveux blonds ressemblent au fleuve noir qui coule dans mon dos et me cerne. Je t’aime telle que tu m’es apparue l’autre nuit, quand je marchais vers la place de la Riponne, pleine et invincible; et je t’aime tumultueuse quand tu cries nos plaisirs. Je t’aime drapée de noir ou d’écarlate, enrobée de safran, couverte d’un voile blanc, vêtue de paroles et transfigurée par le choc sombre de nos deux corps.

p. 147

En conclusion préliminaire, je dois admettre que j’ai mieux saisi le vertige de la lecture qu’Hubert Aquin nous propose. Il se lance dans une poursuite assez frénétique de son sujet et il s’en joue. En poursuivant K et H de Heutz, nous pouvons percevoir le désarroi du héros problématique qui s’avère incapable de tuer à tel point qu’il plonge plusieurs abîmes dans son impuissance soi-disant congénitale. Par cette utilisation du baroque et la succession des tableaux impressionnistes, Hubert Aquin nous plonge de nouveau dans le vertige du prochain épisode toujours inaccompli et qui reste à faire pour espérer de meilleurs lendemains alors qu’il se déclare le symbole fracturé de la révolution.
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Message par Invité Mer 4 Sep - 11:29

Merci pour le fil. C'est grâce à toi que j'avais découvert l'auteur, avec Prochain épisode.
Une lecture un peu déroutante, comme tu dis. Il faudra que je le relise, une écriture exigeante aussi ; une très belle plume en effet.

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Message par Tristram Mer 4 Sep - 13:46

Oui, merci : c'est en effet fort engageant (LAL) !

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Message par animal Mer 4 Sep - 20:58

En avant la récup' et pas seulement pour la présence de Ramuz dans et autour ? de ce livre. pirat

il faudra me pardonner l'absence de relecture du commentaire... un tigre réclame mon attention avec force miaulement désespérés !

Hubert Aquin 51r2am10

Prochain épisode

Dans l'intervalle entre deux jours, l'intervalle entre deux continents, entre la liberté et la captivité, entre l'action et l'échec de l'action il se passe ce Prochain épisode et son écriture flamboyante.

Vous avez les premières lignes à la page précédente et tout est de cet esprit vif et imagé.

Des histoires de révolution et d'espionnage et un espace littéraire très particulier. Extrêmement riche en références, merci les notes de l'édition critique qui éclairent le très touffu jeu de pistes, qui vont de Simenon à Ramuz en passant par beaucoup d'images, de la cryptographie...

Mais ce texte est une histoire d'espionnage avec un héros haut en couleur et intrépide (superbe moments de bravoure automobile), autour du Léman... écrit par un écrivain captif à Montréal.

La dynamique fluide et enroulée du récit, portée par une langue très articulée, rythmée entre les sons et le sens, déplace ses thématiques à plaisir. On devrait partir de l'action et de l'échec, c'est un récit de l'échec, un échec recommencé et surtout un échec de l'action. La génération précédente a pu écrire l'action (Malraux par exemple) et son spectacle, son accomplissement grandiose, Aquin a écrit l'échec de l'action, un échec cependant grandiose lui aussi. Un effet de retournement, absolument et consciencieusement littéraire, change le point de vue sur le problème, l'espace littéraire est l'accomplissement. On pourrait dire qu'il vend du rêve, une fiction, le possible du geste inaccompli. Et que le vrai lien est amour. Amour fusionnel éperdu et vécu dans une identité avec le pays (ce n'est pas non plus une histoire de frontières, lire l'article plus haut).

Compte tenu de la thématique révolutionnaire et des conditions d'écriture (Aquin arrêté avec une arme dans une voiture volée s'était déclaré révolutionnaire) le rapport ambivalent à l'action est très piquant.

L'assemblage littéraire est étonnant, explosif et d'une grâce à peine croyable, la lecture devient une espèce de moment punk d'érudition.

Dans la présentation qui accompagne mon édition (poche Bibliothèque Québecoise) il parait que certains ont trouvé à l'époque et même maintenant des emprunts et inspirations très ou trop marqués aux auteurs reconnus par Aquin. En ce qui me concerne, je guettais les références et l'influence de Ramuz. Indéniable entre le Léman et le Rhône, la présence de l'auteur dans la vitrine d'une librairie mais jamais il n'est singé, par contre la langue, la rupture, le sens du lieu et plus encore l'espace littéraire comme "autre monde", comme fiction consciente avec un regard sur le réel, tout ça et certainement une part des réflexions historiques et culturelles, alors elles seraient finement comprises et auraient nourri cette autre œuvre.

Tout ça, ce commentaire, est en dessous de ce qui passe, ne rend pas l'expérience de la lecture, la fulgurance, l'intensité et l'épure paradoxale, lunaire de ce roman bigarré. Il faut rappeler la nécessité du retour. Et il faudra proposer quelques extraits et aussi y revenir.

Excellent moment de lecture, très motivante découverte, tout vient à point... merci d'avoir insisté Jack-Hubert.

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Message par animal Mer 4 Sep - 21:25

Une paire d'extraits ?

(...) parce que je perçois mon livre à venir comme prédit et marqué d'avance, selon la cotation Dewey, d'un coefficient infime d'individuation et que, dans un même temps, je n'en cesse pas pour autant de vouloir écrire, c'est donc que l'écriture ne devient pas inutile du seul fait que je la départis de sa fonction d'originalité et que justement cette fonction génétique ne la résume pas. Du moins, l'ambition d'originalité n'est pas seule à valoriser l'entreprise littéraire. On peut donc entreprendre un roman d'espionnage dont l'action se déroule comme une anomalie sur les bords du lac Léman, avec un autre motif que d'en faire une œuvre unique ! L'originalité à tout prix est un idéal de preux : c'est le Graal esthétique qui fausse toute expédition, Jérusalem seconde, cette unicité surmultipliée n'est rien d'autre qu'une obsession de croisés. C'est la retransposition mythique du coup de fortune sur lequel s'est édifié le grand capitalisme.

(...) Du plein centre de Montreux à Château-d'Oex, j'escomptais, en forçant, une heure de trajet. Mais j'ai pressé l'accélérateur de ma Volvo jusqu'à faire gondoler la feuille d'acier sous mes pieds. Entre Montreux et Yvorne, la route était encombrée et j'ai eu un mal fou à m'en tenir à l'horaire que je m'étais fixé. Au volant de ma Volvo engluée dans le flot démoralisant des autos, j'avais le sentiment que le temps travaillait contre moi et la certitude que von Ryndt vivait ses dernières heures dans les bureaux de l'Union Fribourgeoise de Crédit. J'ai tout fait pour doubler scandaleusement les affreux qui faisaient du 60 km à l'heure devant moi. Je travaillais ferme au volant, et je suais tellement que ma chemise était détrempée sous mon aisselle gauche, là où je sentais le poids de mon Colt 38 automatique, solidement engagé dans son holster. Avant d'entrer à Aigle, j'ai littéralement bondi sur la route d'évitement en direction du Sépey et de Saanen. Dès la sortie du pont de la Grande-Eau, j'ai mis mes phares à long fuseau et je me suis engagé à tombeau ouvert sur la paroi escarpée de la montagne. Au premier virage en épingle à cheveux, j'ai eu clairement conscience que l'auto s'exaltait en dehors de l'axe. Mais je me suis appliqué, à mesure que je m'élevais vers les Diablerets, à prendre chaque courbe à une vitesse radiale maximum et à réduire à un crissement plaintif mon adhérence au sol. A chaque virage, je faisais diminuer la marge infime qui me séparait d'une embardée, accumulant par ce procédé audacieux quelques secondes d'avance sur mon parcours.

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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 6 Sep - 9:19

Je me suis replongé dans l'oeuvre d'Hubert Aquin depuis quelques jours. Parallèlement à mes lectures du Journal 1948-1971 et le recueil d'essais Point de fuite, je vous transmets deux liens instructifs en lien avec la démarche d'Hubert Aquin :

Comprendre dangereusement (texte écrit par Hubert Aquin)

Entrevue avec Andrée Yanacopoulo, ex-compagne de vie d'Hubert Aquin
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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 6 Sep - 10:17

Extraits d’«Écrivain, faute d’être banquier», entrevue de Jean Bouthillette avec Hubert Aquin republiée dans Point de fuite par Hubert Aquin lui-même :

- Si je ne m’abuse, vous avez longtemps refusé d’être ou de devenir écrivain; l’acceptez-vous aujourd’hui?
Il réfléchit un instant, comme quelqu’un qui additionne mentalement.
- Oui, dit-il, j’accepte maintenant d’être écrivain. Je ne voulais pas être l’homme d’un seul livre… (Un second roman, Trou de mémoire, doit paraître cet automne.) Après la parution et l’impact de Prochain épisode, j’ai accepté d’assumer activement cette identification. Le milieu agit sur moi comme si j’étais écrivain; alors, je dois l’être.
- Était-ce une forme de refus de vous-même?
- Non, pas du tout. Peut-être du milieu. Vous savez, ici on est écrivain faute d’être banquier. C’est contre cela que je me rebiffais. C’était une forme de refus politique, qui provient d’un refus de la société qui vous confine dans des fonctions d’officiant - écrire des poèmes, des romans, ou même de chansons - et qui ne veut pas qu’on l’occupe à d’autres titres. On nous octroie d’autant plus de talent qu’on nous refuse d’importance. De l’Anglais, par exemple, on dit qu’il est bon banquier et qu’en plus il a des écrivains. À nous, on ne concède que le talent d’écrire, comme si cela nous était dévolu par la nature - et il y a des écrivains qui tombent dans le piège -, quand en réalité, je le répète, c’est faute d’être banquier qu’on est écrivain.

p. 10

[…]

- Quelle sera, dans l’avenir, la relation entre vos écrits et le milieu canadien-français?
- Sur le plan artistique, je suis non engagé. D’ailleurs, Prochain épisode est un témoignage, une confession, non un roman engagé au sens étroit du terme, c'est-à-dire une prise de position politique. Si je voulais m’engager, je le ferais sur un autre plan. J’écris par appartenance, non par engagement. Mon deuxième roman n’est pas politisé, mais il est essentiellement québécois. Écrire est un métier.
- Mais cette passion intérieure?
- Écrire est un acte de volonté. Je n’admets pas que des gens soient dans un état de privilégié et d’inspiration. Je n’écris que quand j’en ai le goût. Sinon écrire serait un pensum. Si l’inspiration doit venir, c’est la plume à la main, dans le flot verbal. Prochain épisode, évidemment, est particulier. Mais c’est pour tuer le temps que je me suis astreint à l’écrire. Mes trois mois à la clinique psychiatrique ont été une façon dramatique de vivre; je n’étais pas malade. La preuve, je n’ai reçu aucun médicament. Disons que j’ai conjuré le danger en écrivant. J’en ai vu des malades, des gens qui faisaient des dépressions nerveuses. Ils en avaient la parole coupée, l’expression annihilée. Mon livre n’est pas le livre d’un déprimé au sens maladif du terme; et il n’est pas suicidaire puisque le prochain épisode, c’est la révolution à faire.
- Il y a chez vous une splendeur de l’écriture, une aisance, un flot verbal et un répertoire d’images peu communs. Écrire n’est-il pas un combat difficile avec les mots?
- Non, il m’est facile d’écrire; c’est un jeu agréable. Et quand je m’y mets, je me fais plaisir. Ma langue est épurée parce que je refuse de folkloriser mon langage. Si j’écris, disons fabuleusement, c’est par réaction à ce que je suis, Canadien français. La véritable difficulté, ici, est au niveau du parler, non de l’écriture.

p. 12-13

Auparavant, Hubert Aquin avait écrit «Profession : écrivain» en 1963.
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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 8 Sep - 6:27

Je vous ai parlé de «Profession : écrivain». Il s'agit d'un texte qui retrace la facture idéologique du courant de la décolonisation des années 1960 et le recours à la théorie d'Albert Memmi pour écrire un plaidoyer en faveur du métier d'écrire. J'aurais aimé citer ce texte, mais ce ne serait pas vous rendre service si vous voulez comprendre l'esprit d'Hubert Aquin. Je vous conseille donc instamment la lecture de ce texte pour mieux comprendre sa démarche.

J'alterne maintenant avec une analyse qui veut vraiment défricher un sentier de la critique de l'oeuvre d'Hubert Aquin. Il faut se sortir de la complaisance quand on analyse des écrivains du Québec.

Texte d'Alexandre L. Amprimoz

En sachant qu'Hubert Aquin fut arrêté le 5 juillet 1964 pour port d'armes illégal et vol de voiture, j'attire votre attention sur la publication du texte «Le pont (VIII)» dans la revue Liberté de mai-juin 1964 et qu'on peut retrouver dans le recueil Blocs erratiques. Je vous propose un extrait :

Je suis une femme morte, une revenante funèbre; et je vous prie, cher lecteur nécrophile, de considérer mes épiphanies, écrites sous des noms d'hommes, comme autant de cris d'outre-tombe. Si j'éructe ce dernier aveu comme le souffle agonistique, c'est que, derrière tant d'auteurs incohérables, derrière des personnages lancés sur le papier comme des engins de mort et tant d'efforts de fiction, une seule réalité émerge : la volonté mortuaire qui emplit mon âme de morte! Morte je le suis, car j'ai décidé de  me tuer, minutieusement, à la japonaise. Sans d'autre motivation que le plaisir de planter le cimeterre entre mes deux cuisses et de le relever d'une main morte mettant ainsi, à la portée de tous, mes grandes tripes d'écrivaine qui a quelque chose au ventre! Caresse ultime d'un clitoris éteint, vision hédonique de fer dans la plaie et après, toutes entrailles sorties, j'accèderai au spasme éternel que von Tripps a atteint, pour la première fois, en quittant la piste incinérante, à Monza, par un beau jour d'été.

Le texte était signé sous le pseudonyme Elga von Tod. Il est particulièrement significatif de constater que la publication de ce texte court précédait son incarcération et la publication - toujours à venir - de Prochain épisode. En outre, Hubert Aquin aurait commencé ses épisodes de crise épileptique autour du moment qu'il a écrit Prochain épisode.
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Message par Bédoulène Dim 8 Sep - 8:27

il s'ouvre au lecteur là ! je crois que c'est un auteur qu'il faut lire chronologiquement pour le connaître au mieux.

merci Jack !

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― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 8 Sep - 10:20

Ce qui est intéressant en 1963, c'est qu'Hubert Aquin fait une tentative de suicide et il rencontre la même année Andrée Yanacopoulo. Il était marié depuis 1955 à Thérèse Larouche et ils avait deux enfants. Andrée était également mariée et mère d'enfants. Ils ont tous deux laissé ça derrière eux :

Cette année-là encore [1963], [Hubert Aquin] célébra la beauté du nouveau bâtiment de la Place Ville-Marie à Montréal, le comparant à un spectacle baroque édifié sur le néant urbain et biculturel, incarnant toute la démesure et I'ambiguïté d'un Montréal divisé, l'exaltation étant provoquée en lui par la correspondance entre ce paysage urbain et son propre état d'âme : «La Place Ville-Marie est une sorte de concentration exceptionnelle de néant. J'aime Ie néant. II me fascine et je ne me lasse jamais de Ie feuilleter au hasard chaque fois que j'encercle ce quadrilatère, que je plonge dans ses couloirs souterrains ou que, par une contre-plongée du regard, je découvre le ciel colonial de Montréal, minutieusement coincé dans une étreinte d'aluminium et de verre... La Place Ville-Marie est I'enfant naturel de notre biculturalisme : édifiée sur pilotis, prête déjà à s'effondrer, elle me fait rêver au spectacle merveilleux de son avalanche… Ambiguïté pour ambiguïté, j'aurai pris Ia peine, juste avant ce bel éclatement, de soustraire au massacre les jeunes filles que je veux continuer de voir déambuler, voilées par leur beauté éclatante et sombre, soeurs multiples à qui je suis lié, autant de Maries que je ne veux pas voir impliquées dans cette crucifixion alcanique [l’aluminium utilisé ayant été produit par la société Alcan !].»

Cette année-là, lui qui ne cessait de penser au suicide depuis l'adolescence, fit une tentative, et, pendant les trois mois d’hospitalisation qui suivirent, subit une cure de désintoxication. Il rencontra alors Andrée Yanacopoulo, médecin qui faisait justement une recherche sur le suicide au Québec, Ce fut le coup de foudre pour eux deux, qui laissaient famille et enfants derrière eux. Elle devint sa compagne. Ils conclurent un pacte de non-intervention, si l'un ou l'autre décidait d'en finir. Elle allait lui donner un fils, Emmanuel Aquin.

Source : comptoirlitteraire.com (document Word sur Hubert Aquin)
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Message par Jack-Hubert Bukowski Mar 17 Sep - 9:50

Je peine un peu avec la lecture du Journal d'Hubert Aquin. Tout autant j'ai l'impression qu'il s'agit d'un document capital - on chemine à travers les confidences d'Hubert Aquin et on voit à quel point il avait mis le doigt sur ce qu'il allait écrire à 23 ans et il allait publier Prochain épisode seulement à 35 ans -, on peut avoir l'impression que ça stagne par bouts... ce que je peux dire quand même, c'est qu'Hubert Aquin avait une conscience extralucide de ce qu'il s'apprêtait à écrire. Il peinait, raturait et retravaillait continuellement ce qu'il allait écrire, il cherchait un peu l'effet qu'il voulait trouver dans Prochain épisode... pour l'instant, je suis rendu en 1961... il y a un bond entre 1954-55 et 1960-61... Hubert Aquin n'aura pas écrit entretemps... dans ce journal, il est quand même bon carnettiste. On l'a parfois comparé à Hector de Saint-Denys Garneau et son Journal... on peut trouver la même recherche intellectuelle, une quête de sensibilité qu'on peut retrouver chez les deux... Hubert Aquin n'était pas constant dans ses efforts, mais il avait plusieurs saillies... qui sait ce qu'il aurait pu faire s'il n'avait pas perçu le destin du Québec comme bloqué...
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Message par Invité Mar 17 Sep - 14:52

Il semblerait que Aquin soit tout de même assez difficile à appréhender dans sa démarche. Tu me conseilles quoi comme lecture, Jack, autre que Prochain épisode ?

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Message par Jack-Hubert Bukowski Mer 18 Sep - 10:35

@ Arturo,

Trou de mémoire est un must, et pour le reste de la production, je te dirais d'y aller au feeling pour savoir par quoi continuer. Le Journal est une porte intéressante... on peut retracer les débuts d'Hubert Aquin dans L'invention de la mort. Guylaine Massoutre a écrit un bouquin sur les Itinéraires d'Hubert Aquin. Il est parfois difficile d'appréhender L'antiphonaire et Neige noire, mais on peut surtout voir ça comme un décalage avec la production antérieure...
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Message par Jack-Hubert Bukowski Sam 21 Sep - 10:15

En reprenant la lecture du Journal d'Hubert Aquin, il y a un fil très ténu qui se tisse entre les épisodes de sa vie et de son oeuvre. On peut dire que sa vie est inextricablement liée à son oeuvre. Quand on regarde ce qui prépare, présage Prochain épisode, on peut lancer comme hypothèse que l'actualité politique des années 1960 lui a fourni une rampe de lancement. Il ne pouvait se réaliser, faire corps avec son oeuvre au moment de déclarer qu'il entrait dans la clandestinité pour faire sa révolution. Il préparait son roman depuis plusieurs années. Il parle des Rédempteurs, de L'invention de la mort et on peut voir en parcourant le fil de ses pensées écrites au début des années 1960 qu'il était dans une recherche esthétique très pointue (il parle de Nabokov). Puis vient l'engagement dans la vie d'un parti politique (RIN). Il y a eu l'épisode de sympathie avec les felquistes (FLQ) qui prônaient l'action politique violente, et il est passé à l'acte en écrivant et en faisant son écart «hors la loi». Ça fournissait le prétexte d'une scène.

Hubert Aquin est très épars dans la construction de ce journal. Tout comme dans son oeuvre, il y a plusieurs saillies, mais pas toujours une continuité à travers le temps sauf dans la mesure où ça coïncide avec certains projets précis et des moments de sa vie. On voit en 1966 qu'il poursuit avec Trou de mémoire et en 1971, on voit les notes qui retracent sa tentative de suicide ratée. Le Journal s'arrête là.
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Message par Invité Lun 11 Mai - 18:58

J'ai suivi ton conseil, Jack, en poursuivant avec Trou de mémoire... et j'en suis très content.
Du plaisir à retrouver Hubert Aquin, et me perdre dans sa prose, dans les méandres de ses constructions narratives. Comme avec Prochain épisode, je ne sais pas trop dans quoi je mets les pieds, souvent je peine à suivre, je me perds, mais c'est plaisant.
L'écriture d'Aquin est charnue, touffue, pleine de verve, de mystères et de relents révolutionnaires.

Mais j'ai tout perdu — cela me connaît, batailles, temps, jeunesse ; cela me ressemble de me perdre et de m'égarer, au milieu des failles du littoral, sur une côte affaissée qui m'appelle et m'étrangle. Je n'ai pas d'autre pays que ces limans noirs qui m'ensorcellent dans leur succession de redents et d'isthmes décrochés. Oui, mon pays n'est rien d'autre que ces sables mouvants qui encastrent Lagos dans un écrin accore. Né du sable, je tente interminablement de m'y enraciner, mais je m'ensable et je m'emprisonne dans le tracé du littoral et dans les calligrammes deltaïques du rivage. Le pays natal, mes frères (le discours, n'est-ce pas ?), n'est qu'un ruban magnétique à double trame qu'on a débobiné en frises perforées tout le long de ton flanc sombre, mon amour, et qui va de Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, jusqu'à la bouche innombrable du Niger, véritable linge secret que je presse avec nostalgie sans jamais te toucher, non jamais plus ! Car je t'ai perdue, mon amour, je t'ai perdue et je me perds de plus en plus moi-même, je suis en proie à un accès palustre, secoué par un syndrome de frissons, de chaleurs et de sueurs glacées qui me font claquer des dents, voilà ! je suis en plein crise : je passe du froid au chaud, mon sang pur se vidange à folle allure, mes doigts pâlissent, mon sexe (que j'entrevois soudain) est cyanosé, pourtant je deviens fébrile, je vibre à la tristesse comme une mince pellicule sous le vent chaud des lagunes... Ah ! vraiment, tu ne peux pas savoir, je me sens envahi par une armée d'hématozoaires, infesté par ce corps infestant qui me ronge sans amour, et quelque chose me dit que je franchis, dès cette première poussée de température, le seuil de la première phase. Je m'installe d'emblée dans le stade secondaire aigu et ce cher aria médiéval me fait mal. Je délire avec le superswing des empalés (ou empaludés, si l'on préfère), je m'étire sur la page avec la profusion d'une psychose d'enfant du siècle...

Trou de mémoire, p. 110-111

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Message par Invité Lun 8 Fév - 10:53

Un petit message pour encore te remercier JHB, de m'avoir fait découvrir Hubert Aquin, il y a de ça quelques années.
J'ai lu L'antiphonaire il y a peu, et je suis toujours happé par son écriture. Encore une fois Aquin se présente là où je ne l'attends pas, et même au sein d'une même oeuvre il est insaisissable pour moi. C'est en ça que je l'apprécie particulièrement, parce qu'il m'échappe.
Je ne parviens pas à parler de mes lectures concernant son oeuvre, mais je compte bien tout lire. cat

J'ai également visionné le documentaire que tu as mis dans la notice biographique, c'était instructif et pour le moins troublant dans la dernière partie, avec le témoignage de sa compagne, évoquant le rapport au suicide d'Aquin.

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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 21 Jan - 11:10

Je viens de parcourir à nouveau les pages de Point de fuite qui est un objet littéraire particulier d'Hubert Aquin, quelque part entre le carnet littéraire, les notes de journal et de création, et le recueil d'essais. Il a repris des textes qu'il avait publié antérieurement dans des revues, dont la revue Liberté.

Je vais prendre le temps de vous recopier une partie du texte «De retour le 11 avril» :

Le soir de ton départ, c'est là que je me suis rendu ;
une mince couche de neige crissait sous les pneus, tandis que
le fleuve glacé continuait de se mouvoir secrètement. Pendant
que j'expérimentais ma solitude discordante, toi, tu volais en
DC 8 vers l'Europe, peut-être même ton avion s'était-il posé
en douceur sur la piste verglacée de Schiphol après avoir
manoeuvré lourdement au-dessus de la mer du Nord et des
étendues immobiles du Zuiderzee. Moi, pendant ce temps, je
dérapais lentement le long des quais ; je suis rentré du port
en fin de soirée, j'ai pris le courrier dans notre boîte postale
avant de monter à l'appartement. J'ai mis quelques disques
et je me suis mis au lit sans conviction, en lisant un Simenon
que tu m'avais laissé avant de partir. Si je me souviens bien,
ce roman — « L'affaire Nahour » — se passe dans un Paris
couvert sous la neige (ce qui est rare) et, l'espace d'un cha-
pitre ou deux, à Amsterdam. J'ai dû m'endormir aux petites
heures du matin.

Le lendemain mon hiver commençait ; j'ai fait comme
si de rien n'était et, la mort dans l'âme, je me suis rendu
au trente-troisième étage, Place Ville-Marie, et je me suis
acquitté tant bien que mal de mon travail de bureau. Dans le
courant de la journée, je me suis rendu à la pharmacie du
centre d'achats, je lui ai demandé du phénobar ! « Il faut abso-
lument une ordonnance ». Je ne te dirai pas tous les argu-
ments tactiques que j'ai utilisés pour lui prouver qu'il pouvait
me ravitailler en toute sécurité et sans déroger à son éthique
professionnelle. En quittant cette pharmacie — plutôt dé-
pité —, je n'avais appris qu'une chose : il me fallait à tout
prix une ordonnance et des renseignements plus précis quant
au dosage et à la présentation des barbiturates que je voulais
me procurer.

On peut lire le texte au complet ici :

https://www.erudit.org/en/journals/liberte/1969-v11-n2-liberte1027618/29637ac/


Dernière édition par Jack-Hubert Bukowski le Ven 21 Jan - 11:54, édité 1 fois
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Message par Bédoulène Ven 21 Jan - 11:20

c'est juste pour lui ce récit j'espère ? qu'il garde sa déprime, courage, et ne la partage pas avec elle.

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
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