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Message par Bédoulène Mer 5 Fév - 21:03

ça devient compliqué pour Huon, encore une fois le génie marin l'aide. Il y a donc deux ménestrel à présent ? celui qui nous charme depuis le début et Estrument ?


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Message par Aventin Ven 7 Fév - 22:45

Tristram a écrit:C'était courant, en tant que langue qui se cherchait avant de se figer dans l'écrit.
Il y a des petites orthographes curieuses, par exemple, pour un mot qui revient -nécessairement- à longueur de vers, Huon: celui-ci peut être écrit Huë, Huon ou bien Huelin. Je me demande s'il n'y a pas des désinences, comme des subsistances d'accords anciens, venues de langues celtes, franques ou bien saxonnes plus sûrement que du latin (? Si quelqu'un y entendant quelque chose parcourt ces lignes...)?

Bédoulène a écrit:ça devient compliqué pour Huon, encore une fois le génie marin l'aide. Il y a donc deux ménestrel à présent ? celui qui nous charme depuis le début et Estrument ?

Voilà, le ménestrel-auteur-narrateur-versificateur nous introduit un personnage de ménestrel, choisi virtuose, bon, malheureux, extrêmement âgé et renflouant, en quelque sorte, Huon alors que ce dernier est au plus bas.

Rien à voir, au passage un tout petit détail: avez-vous remarqué le pseudonyme choisi par Huon, qui est Garinet, "le petit Garin", Garin étant le marin-armateur-commerçant de son équipée, lorsque Huon choisit de se faire passer pour un commerçant africain ?
________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________




Huon de Bordeaux, vers 7766 à 8285

[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Jeu-de11
Jeu d'échecs dit de Lewis, trouvé complet en 1831 en baie d'Uig, Île de Lewis, Écosse, et daté du XIIème siècle.  



Apprenant qu'elle doit jouer aux échecs contre Garinet alias Huon, la fille de l'émir Yvorin, délurée, glisse que son père est complètement fou, et ajoute qu'elle va le laisser gagner plutôt que de laisser trancher la tête à un si bel homme.

Convoquée solennellement en présence de deux Comtes relevant d'Yvorin, elle se plie poliment aux exigences, constatant qu'elle n'a qu'à obéir.

Huon demande à l'émir d'ordonner le silence total.
Le jeu d'échecs est magnifique, tout d'or et d'argent, les pions eux-mêmes étant d'or pur. Huon demande courtoisement à son adversaire de choisir quelle règle elle préfère [une variante d'époque du jeu d'échecs consistait à s'en remettre aux dés pour définir quelle pièce déplacer !], elle choisit la règle classique, celle toujours en usage de nos jours. Huon commence par perdre pièce sur pièce, au point que la fille de l'émir s'en inquiète, lui demande s'il est au jeu.

Huon ne se désarçonne pas, réplique que la partie n'est pas terminée. La concentration de la fille de l'émir décline à mesure qu'elle s'absorbe dans la contemplation de ce beau jeune homme à portée de sa main...
Alors, d'un coup fulgurant, Huon annonce qu'il peut la mettre échec et mat (mat en un coup), et, afin de ne pas vaincre officiellement sa partenaire, se contente de le faire constater à l'émir et sa cour.

Yvorin est furieux et récrimine contre sa fille de s'être fait battre par un valet, elle qui triomphe des plus nobles, experts et distingués d'entre les adversaires.

Huon, pour désenvenimer l'affaire, souhaite modestement que l'émir cesse de fâcher sa fille, et qu'ainsi ça suffira, ils seront quittes.
Yvorin dit qu'il lui versera quand même les cent marcs de récompense convenue.
Mais la jeune fille est furieuse: elle escomptait bien passer la nuit dans les bras d'Huon, qu'elle maudit à présent.

Le lendemain, Yvorin fait proclamer son ban afin que tous les hommes dignes de s'armer le fassent en hâte et rejoignent sa troupe.

Huon se présente spontanément à Yvorin qui accepte sa candidature, demande qu'on lui fournisse armes et monture, et, croyant se moquer de lui [pensant qu'il ne saura jamais s'en servir, en d'autres termes pensant le rendre ridicule] un chevalier lui donne une épée gravée.
Huon regarde les marques, constate qu'elle est sœur de Durandal [la fameuse épée de Roland], qu'elle fut forgée par Galand en vingt couches d'acier, ce qui prit un an pour la confectionner [Galand était "le" forgeron célèbre, presque mythique, de ce temps].

Puis Yvorin demande pour Huon-Garinet un cheval rapide, mais un conseiller lui souffle qu'il vaut mieux lui donner la pire carne, sinon il risque d'en profiter pour filer en douce.

La rosse la plus minable (un œil crevé, boiteuse, incapable d'aller autrement qu'au pas, n'a vu ni seigle ni avoine depuis sept ans) lui servira donc de destrier.

Yvorin commence le siège d'Aulaferne, exigeant de Galafre la libération d'Esclarmonde. Laquelle propose de sortir et mette ainsi fin au conflit, ce que récuse Galafre, hors de question pour lui.

Un jeune chevalier neveu de Galafre, Sorbrun, vient le trouver et propose de lutter contre un champion du camp d'Yvorin désigné par ce dernier, afin d'éviter un inutile bain de sang, et même s'il y en a deux, il ne tournera pas bride [propos similaires à ceux d'Agrapart, aux vers 6645 et suivants].

Demande acceptée, seulement, au moment de trouver un volontaire pour affronter Sorbrun, précédé d'une terrible réputation dans les rangs de hommes d'Yvorin, il ne se trouve personne.
D'autant que Sorbrun monte Blanchadin, un cheval plus blanc que la fleur des prés, considéré comme ce qu'il y a de mieux sous le soleil [les détails du harnachement et de la selle sont à peu près copie conforme de ceux employés pour décrire le harnachement du cheval d'Agrapart].

Ce que voyant, Huon presse (au pas...) autant qu'elle le peut sa carne, afin de se porter volontaire. Par défaut, il est choisi.

Les adversaires se saluent et se défient, seulement, lorsqu'il sont à la distance réglementaire d'un bon arpent, Sorbrun pique des deux comme l'éclair tandis que le cheval fourbu d'Huon refuse de quitter le pas. Qu'à cela ne tienne, après de rapides prières Huon choisit astucieusement de mettre son cheval en travers, dans une posture "a recibir", comme l'on dirait en tauromachie...

Au traver torne le chevalz esclopé,
Ver le paien ait mis l'escus bouclé;
Et Sorbrun vint per moult rude fierteit,
Li cheval brut comme foudre de mer;
Li paien baisse l'espiet au feir carreit
Et fiert Huon sor son escus bandez.
Desor la boucle li ait frait et frowez,
Maix le habert n'ait il point enprirei;
Sa lance brise, plux n'i ait conquestér,
Ne tant ne quant ne l'ait fait remueir
Nez plux qu'eüst a une tour hurtér.
Paien le voient qui sont enmy le prey,
Dit l'un a l'autre: "Si fait moult a amer;
C'est grant merveille comment y puet ovrer."
Dsit l'amiral: "Il est plain de fierteit !
Car pleüst a Mahommet mon dei
Que il fuit or sor mon chevalz montér."
Et Hue tint le boin brant s'aicier cler,
Car sa lance ait enmy le prey getér;
De l'escremie savoit l'anffë assez,
Le paien fiert quant il dut trespasser,
Amont sor l'ialme li ait grant cop donneér.
Tout le fandit, ne vault I gant parér,
La blanche coiffe, I denier monnoiez.
Il lou pourfant jusqu'au nou dou baudrez,
Estrot son colz, si l'ait jus mort versez.
En travers se tourne le cheval estropié,
En direction du païen est placé l'écu bouclé;
Et Sorbrun s'en vient à toute allure,
Le cheval rapide comme la foudre de mer;
Le païen abaisse sa lance au fer solide
Et frappe Huon sur son écu à bande
Au-dessus de la boucle il le perce et le brise,
Mais le haubert n'est pas entamé;
Sa lance se rompt sans avoir causé d'autres dommages,
Il ne l'a pas ébranlé
Plus que s'il n'avait heurté une tour.
Les païens les voient qui sont sur le pré,
Se disant l'un à l'autre: "Il est digne d'être très estimé
C'est une grande merveille la manière dont il s'y prend."
L'émir dit: "Il est tout puissant
Car eût-il plus à Mahomet mon dieu
Qu'il eût mon cheval à monter".
Et Huon tient la bonne fine lame de clair acier,
Car il a jeté sur le pré sa lance;
Sur l'escrime le jeune homme en sait assez,
Et lorsque le païen vient le croiser
Il lui assène un grand coup sur le sommet du heaume  
Qui ne le protège pas plus qu'un gant brodé, il le fend
Toute comme la blanche coiffe qui ne vaut pas un denier [pour la protection].
Il le pourfend jusqu'au nœud du baudrier,
Tord le col, l'étend raide mort.  


[Les cinq derniers vers sont ardus à rendre, j'ai pris encore plus de liberté que dans les messages précédents, ce qui n'est pas peu dire !]

Il se saisit du poitrail du cheval adverse, laisse sa monture et monte Blanchadin, auquel il fait faire plus de dix voltes en occupant toute la surface du pré.
Il revient vers Yvorin au tour fransoy ("tour français", je ne me le figure pas, si quelqu'un est versé en technique d'équitation ?).
Yvorin se jette dans les bras d'Huon, mais les hommes de Galafre, au lieu d'accepter la défaite, sortent en armes d'Aulaferne.

Bientôt la mêlée est furieuse. Huon fait des prodiges, chargeant monté sur Blanchadin, au point que les adversaires se garent et s'enfuient dès qu'il paraît à proximité. Ils tournent bientôt casaque, emportant la dépouille de Sorbrun. Comme Huon aperçoit le soudard qui lui avait donné la somptueuse épée [afin de pouvoir se gausser d'Huon alias Garinet] et lui donne, royal cadeau, Blanchadin, le destrier de Sorbrun.

Galafre se terre dans sa citadelle cadenassée, et les vainqueurs rentrent à Monbrant, au palais d'Yvorin. Huon reprend sa place aux côtés d'Estrument, son ménestrel et son maître, mais Yvorin le fait mander et ordonne qu'il soit assis à ses côtés, à sa droite.
Euphorique, Yvorin dit qu'il lui abandonne les biens de son palais, richesses, mets, vins, or et argent, tout est à sa disposition.
Il lui dit même d'
Allez az chambre az pucelle jueir
Et dez plux belle faite vous vollanteit.  
D'aller jouir dans les chambres des pucelles
Et des plus belles qu'il fasse ce qu'il veut.


En outre il souhaite qu'Huon soit toujours à ses côtés quand il chevauche, qu'il boive du clairet lorsque l'émir se contentera de vin, et qu'il ne désirera jamais plus manger tant qu'Huon n'en donnera pas l'ordre.

Le repas commence, Huon donne quelques ordres après lesquels nul ne rechigne, puis on ôte les nappes et c'est l'heure d'écouter le vieux ménestrel virtuose. Celui-ci charme tant l'auditoire que, comme ça paraît être la coutume, les manteaux pleuvent en sa direction.

Alors, enjoué, le vieux maître Estrument apostrophe Huon, en l'appelant ironiquement "vassal", lui dit qu'il fait peu de cas de lui et devrait ramasser ces manteaux: l'assistance rit aux éclats !

Pendant ce temps-là, les compagnons d'Huon naufragés ont dérivé jusqu'à Aulaferne, cité que Gériaume reconnaît instantanément. Il donne des conseils d'extrême prudence, sait l'émir Galafre féroce, et, justement, Galafre qui était au créneau sur ses remparts, voit ces naufragés débarquer.
Il va au devant de ces nouveaux arrivants, avec sa troupe. Gériaume prend le parti de dire qu'ils sont des pèlerins revenant du Sépulcre, naufragés après une tempête, et qu'ils sont disposés à acquitter un péage pour leur séjour à Aulaferne.

Galafre leur explique qu'il est en guerre, et que, plutôt, il aurait besoin d'un coup de main. Gériaume promet d'aider loyalement au combat. Galafre continue en racontant le sort des dix pirates de la barque, lâchant ainsi qu'il détient Esclarmonde, la fille de Gaudisse qui était leur otage.
Il ajoute en être éperdument amoureux et l'avoir épousée, mais qu'elle ne peut se donner à lui.
Gériaume se maîtrise et ne montre pas la moindre émotion.

Enfin, Galafre propose qu'un d'entre eux aille défier ce chevalier inconnu qui a occis son neveu Sorbrun en combat singulier.
Gériaume accepte.
Galafre promet tout son royaume si ce chevalier-là est tué, et Blanchadin ramené.
Gériaume demande à voir cette demoiselle si fameuse, Galafre accepte, uniquement parce que Gériaume est âgé et au poil tout blanchi, précisant que sinon il aurait refusé.

Dès qu'Esclarmonde voit Gériaume, son sang ne fait qu'un tour et elle tombe à terre, pâmée d'émotion.
Elle se remet et prétexte une violente attaque de goutte (J'ai gouste a mon costez), en suggérant que, peut-être, qui sait, ce chevalier qui vient de France connaît quelque remède susceptible de la soulager.      

Avec l'accord de l'émir, Esclarmonde et Gériaume se retirent donc, juste le temps nécessaire pour qu'Esclarmonde explique à Gériaume qu'elle croit Huon mort abandonné pieds et poings liés et les yeux bandés sur une île déserte, et faire promettre à Gériaume, qui le promet, de ne pas quitter Aulaferne sans elle, et qu'elle forme dorénavant le dessein de devenir nonne en France et de prier sans cesse pour le repos éternel de son bel Huon...

[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Prieur10
Pour Chamaco, s'il passe par là: détail de mosaïque, prieuré clunisien Notre-Dame de Ganagobie (Alpes-de-Haute-Provence), vers 1120. Un blanc destrier, toujours les pattes très fines, donc un coursier vif, de petite taille à l'échelle du corps du chevalier. Pas de protection si ce n'est l'écu, lequel, bien manœuvré, doit protéger combattant en simple haubert et monture...



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Message par Tristram Ven 7 Fév - 23:31

Aventin a écrit:Huë, Huon ou bien Huelin
Des diminutifs, plus ou moins familiers ou affectueux selon le contexte ?

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Message par Aventin Dim 9 Fév - 9:35

Tristram a écrit:
Aventin a écrit:Huë, Huon ou bien Huelin
Des diminutifs, plus ou moins familiers ou affectueux selon le contexte ?
Non, je ne pense pas - ni non plus une commodité afin d'obtenir un décasyllabe ou une rime quand ça s'avère nécessaire.
Voir, par exemple, les trois orthographes données pour Huon dans l'extrait ci-dessous, mystère !
D'ailleurs on trouve aussi Hue sans tréma sur le e - le ë serait-il une forme primitive de l'umlaut de la langue allemande ??  
Quelle misère de se sentir aussi démuni, béotien, au cours d'une lecture !!

Autre mystère, les conjugaisons des verbes aussi offrent des difficultés, j'en viens à considérer que soit c'est truffé d'exceptions, soit la règle a une souplesse remarquable.  


____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________


Huon de Bordeaux, vers 8226 à 8900

[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Zyle_d10
La citadelle de l'île du Pharaon (Égypte), nommée île de Graye par les croisés et Ayla par les chroniqueurs arabes, bâtie par les croisés vers 1160, prise et renforcée par Saladin en 1170.


Le lendemain,

Au londemain sont per maitin levér.
Or vous dirai de Huon au vif cler;
Yvorin ait maintenant appellez:
"Sire, dit il, faitez vous gens armer
Et si allons Gallafre ravider;
Hons qui ait guere ne doit pas sejorner.
Per Mahommet, bien vous tient a viteit
Quant tient vous niepce et tout oultre vous grez;
De doit tenit de vous cez heriteit."
Dist Yvorin: "Vous dite veriteit."
Adont ait fait lt ban criier
Que tout se voisent fervestir et armer;
Li annfe Hue ne c'est mie arestér:
Le haubert veste, laisse l'iame gemér,
Et sint l'espee a son senestrte lez.
Blanchadin fuit de l'estaublre getez,
Cil li amoyne cui il l'ot commandér.
Huë y monte, qu'as estrier n'an sot grez;
Le lendemain ils sont levés [tôt] le matin.
Je reviens à Huon au visage lumineux;
Il s'adresse à présent à Yvorin:
"Sire, dit-il, faites armer vos soldats
Et retournons affronter Galafre;
L'homme qui fait la guerre ne doit pas se prélasser.
Par Mohomet, il vous tient en piètre estime
Lorsqu'il détient votre nièce contre votre gré;
C'est de vous qu'il doit tenir son héritage.
Yvorin dit: "Vous dites vrai"."
Adoncques j'ai fait proclamer le ban
Que chacun s'arme et revêtisse le fer;
Le jeune Huon ne s'est point arrêté:
Il revêt le haubert, lace le heaume de pierres [précieuses] incrusté,
Et ceint l'épée à son côté gauche.
Blanchadin est sorti de l'étable
On le lui amène ainsi qu'il l'avait ordonné.
Hüon y monte, sans avoir besoin des étriers [pour ce faire];


Pendant ce temps, la fille de l'émir Yvorin est à l'appui d'une fenêtre du palais, en compagnie de nombreuses autres jeunes filles.
Comme Huon s'arrête en passant, les jeunes filles l'admirent et s'exclament sur la beauté du jeune homme, son courage, sa valeur suite à son exploit en combat singulier face à Sorbrun, et la chance qu'aura celle qui le prendra pour époux. Et la fille d'Yvorin de maugréer en disant qu'a minima, s'il avait été vraiment courtois, il l'eût escollér, à tout le moins il l'aurait prise dans ses bras, ajoutant que:
Tout mez jans corpz li fuit abandonnér

La troupe sort, Yvorin et Huon chevauchent botte à botte.

C'est Huon lui-même, depuis son cheval, qui défie Galafre penché au créneau de sa citadelle, le sommant de rendre Esclarmonde s'il ne veut pas finir pendu et traîné derrière des chevaux, ses possessions confisquées.  

Galafre se tourne vers Gériaume, qui part s'équiper afin de défier cet impétrant en combat singulier. Comme, rien qu'en s'étirant, il fait ployer l'échine du cheval, et qu'il allonge les étrivières de quatre bons doigts, les hommes de Galafre le jugent tout empli de puissante férocité.

Le combat s'avère d'une violence et d'une détermination rare, et Gériaume assène un cou sur le heaume de Huon, qu'il fend, coupant la cervelière et atteignant la coiffe blanche, au point que du sang en coule par en-dessous.

Huon se voit perdu, jugeant "ce païen" terrible, il adresse une prière, se lamente qu'il ne reverra plus jamais son cher Géiraume et la belle Esclarmonde...
Gériaume, à ces mots, est comme figé sur place
li sang li est muëz
puis ordonne à Huon de lui trancher la tête pour l'avoir blessé, ne l'ayant pas reconnu. Alors ils ôtent leurs heaumes (ou ce qu'il en reste dans le cas d'Huon) et tombent dans les bras l'un l'autre:
Scène qui, bien sûr, provoque la stupeur dans les rangs de Galafre comme dans ceux d'Yvorin !

Mais Gériaume garde la tête froide, et ourdit son plan: Huon fera comme s'il était son prisonnier, ainsi ils entreront dans Aulaferne et il retrouvera sa chère Esclarmonde à propos de laquelle il ajoute qu'elle lui conserve tout son amour et toute sa loyauté, s'avérant très astucieuse pour contenir à distance les assauts de Galafre.

Gériaume passe devant Yvorin, tenant Huon par le col, et lui dit qu'il va jeter le prisonnier dans un cachot de la grande tour, enjoignant Yvorin de faire sortir ses troupes d'Aulaferne et de devancer le combat, ajoutant qu'il arrive dès que le prisonnier sera bouclé. Galafre obtempère et fait sortir ses troupes d'Aulaferne, en ordre de bataille.
Yvorin harangue ses hommes et passe à l'attaque.

Voilà les quatorze réunis à noueau, ils font fermer les portes de la citadelle aux cris de "Monjoie !", tout en réduisant à l'impuissance, par le biais d'un massacre a priori, le reliquat de troupes s'y trouvant encore, et ce sont les émouvantes retrouvailles entre Esclarmonde et Huon.  

Et, tandis que la bataille fait rage hors les murs, Esclarmonde et les quatorze festoient tranquillement.
Mais deux messagers, ayant trouvé des corps jetés par les français au bas des remparts, et ayant reconnu Huon comme celui qui abattit le géant Agrapart et tua Gaudisse, vont trouver Galafre en lui disant que les français sont maîtres de la citadelle.

Galafre est fou de rage et ne sait que faire.
Son entourage lui conseille d'aller trouver Yvorin, d'implorer sa pitié, dans le but d'obtenir l'arrêt des combats et mobiliser ses troupes pour reprendre la forteresse, qu'ils présument livrée au pillage dans un bain de sang.

Galafre se rend à ce conseil, va trouver Yvorin, implore à genoux sa pitié et son pardon, et lui apprend que son jeune champion n'est autre que l'homme qui a tué son frère.  

Yvorin est, à son tour, stupéfait et fou de rage. Son entourage lui conseille de pardonner à Galafre, puisqu'il s'est humilié, et d'unir les deux troupes, jusqu'alors adverses, pour assiéger et reprendre la citadelle, ce qu'Yvorin approuve.

Yvorin fait élever un gibet juste devant les remparts, et y fait traîner le vieux ménestrel, coupable d'avoir amené Huon chez lui.

Estrument, emporté vers le gibet, aperçoit Huon sur le rempart et le supplie d'intervenir, lui rappelant brièvement tout le bien qu'il lui a fait. Derechef, les quatorze s'équipent et s'arment, Esclarmonde ouvre les portes, les referme après le passage des quatorze cavaliers, et en monte la garde.

Huon lâche les rênes à Blanchadin, vole vers le gibet, pourfend le bourreau et coupe la corde que le ménestrel avait déjà au cou.
Les treize autres ferraillent à qui mieux mieux. Yvorin fait sonner du cor, ordonne que chacun se ré-arme et se mobilise, et trente mille hommes fondent sur les quatorze, lesquels font front courageusement, avant qu'Huon ne commande la retraite, tous groupés.

Les voilà qui franchissent à toute vitesse les portes de la citadelle, mais, terrible oubli, Garin de Saint-Omer, le courageux capitaine-armateur, est resté dehors. Huon va pour ressortir mais les douze autres le retiennent: il n'y a plus rien à faire.
Alors Huon implore Dieu de le recevoir en Paradis, et se lamente. Gériaume, aidé des autres chevaliers français, tente de le secouer, lui demande de se ressaisir, et ils entraînent Huon à table afin de se restaurer.

Huon prie même le ménestrel, le repas achevé, de bien vouloir jouer de la musique.  
Puis, arpentant les remparts côté mer, opposé au côté des assiégeants, ils aperçoivent une voile qui s'avère être un grand vaisseau aux voiles ornées de croix d'or.

Le navire mouille dans le petit port de la citadelle, et l'équipage, effrayé, réalise que le vaisseau a touché terre devant la citadelle de l'émir Galafre.

Le premier, Gériaume les apostrophe et les rassure. Les marins disent d'où ils viennent en France, il y en a de Paris, d'autres de Saint-Omer. Huon demande s'il y en a de Bordeaux. Il se trouve qu'il en a un, il s'agit du prévôt Guiré, qui raconte la mort de la mère d'Huon, les forfaitures de son frère Gérard et de son allié via mariage Gibouard, les malheurs et maltraitances et fléaux qui s'abattent sur le duché d'Aquitaine du fait des mauvaises actions de ce duo, et que, chassé lui-même de sa prévôté et de ses terres, il cherche Huon en Terre Sainte depuis l'Arbre Sec jusqu'à la mer Rouge, en tout sens, ayant engagé tout le bien qu'il lui restait pour accomplir ceci.

Huon s'exclame: Gériaume, venez vite, vous allez pouvoir embrasser votre frère !


[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Echill10
Les retrouvailles entre Esclarmonde et Huon ?
Couple tendrement enlacé (et monstre à droite). Modillons extérieurs, de la magnifique église romane Saint-Pierre de Pérignac, Charente-Maritime, XIIème siècle.


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Message par Bédoulène Dim 9 Fév - 10:43

précieux Gériaume ! Huon s'en tire encore une fois mais que va-t-il advenir de Garin ? j'ai du mal à croire en sa disparition mais......

merci pour toutes tes traductions donc je me doute ce qu'elles coûtent en temps, en recherches.

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Message par Aventin Lun 10 Fév - 15:49

Bédoulène a écrit:précieux Gériaume ! Huon s'en tire encore une fois mais que va-t-il advenir de Garin ? j'ai du mal à croire en sa disparition mais......

merci pour toutes tes traductions donc je me doute ce qu'elles coûtent en temps, en recherches.
Merci à toi Bédoulène pour trouver de l'intérêt au fil et être aussi encourageante !

À propos de la restitution en français actuel:
Une traduction est proposée dans l'édition que je lis (celle du premier message du fil), mais, franchement, je ne la trouve pas satisfaisante; le fait de tenter de m'y atteler moi-même, c'est purs joie & intérêt de lecture (en plus ça fait lire très lentement, on déguste d'autant mieux les vers) !

Pour les recherches annexes, là aussi c'est joie et intérêt de lecture - j'évite juste, mes messages étant déjà excessivement bavards, d'ajouter ce chacun peut trouver dans l'édition.

Les quelques images plaquées sur les messages m'évitent d'ouvrir un fil sur l'art roman, pour lequel vous savez que j'éprouve un gros intérêt, comme je n'aurais jamais su l'ouvrir ni qu'y poster pour l'alimenter, autant se laisser aller à un peu d'opportunisme !

- En ce qui concerne Garin, nous avions été prévenus aux vers 2852 à 2854 (un peu faiblards à mon goût, d'ailleurs, ces trois vers-là) qu'il ne reverrait jamais plus sa femme et ses enfants, c'est même le seul des quatorze pour lequel nous avions, en quelque sorte, l'assurance d'un décès certain au cours de cette aventure:
Garin allait sa moillier escoller
Et cez anffan baisier et escoller;
Pues ne lez vit en trestout son aiez.
[Inutile de traduire, je pense (?) - peut-être juste moillier, bâti à partir du latin mulier, femme, a par ex. donné mujer en espagnol.]

Fait singulier, l'auteur tourne autour de l'évangélique chiffre treize pour le groupe formé par Huon et ses compagnons mais sans jamais complètement aboutir à treize. Maintenant, après le trépas de Garin, le vieux ménestrel et bien entendu Esclarmonde sont là qui font nombre...
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Message par Aventin Mar 11 Fév - 16:08

Huon de Bordeaux, vers 8901 à 9413


[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Florin10
Florins en or, XIIIème siècle, baie de Saint Jean d'Acre (dans l'actuelle Israël), trouvés en 2017:
Selon les inventeurs-chercheurs de l'Université d'Haïfa (Israël) Ehud Galili et Michal Artzy, ils auraient fait partie de la cargaison d’un navire naufragé à bord duquel auraient pris place des pèlerins chrétiens fuyant Acre lors de la chute de la cité (1291).




Guiré n'a pas de mal à expliquer à Huon à quel point il est attendu en Aquitaine, et en France généralement parlant, ça tombe bien, Huon est pressé de partir !

Les deux frères, Gériaume et Guiré, qui ont beaucoup à se raconter, s'entretiennent pour ces retrouvailles inespérées.
Pendant ce temps, Huon s'adresse aux marins, leur demande de baisser le ton, puisque, de l'autre côté, ils sont assiégés, et de prendre place à leur bord moyennant royale rétribution.

L'équipage réplique très noblement en refusant le moindre denier pour rétribution de leur passage à bord.
La nuit entière se passe à charger en richesses (soie, or, argent, taffetas, etc...) le navire.
Puis ils font silence la journée, et mettent à la voile à la nuit tombée.

Le lendemain, étonnés de ce siège silencieux, les armées ennemies osent s'aventurer jusqu'au mur d'enceinte, jettent des projectiles, et n'obtiennent pas la moindre riposte. Ils préviennent alors l'émir. Soupçonneux et en rage, il fait armer une barque pour trente guerriers afin d'aller voir de l'autre côté si quelque chose s'y trame: rien.

Les soldats de l'émir finissent pas forcer les portes, et pénètrent dans la ville...déserte !

Pendant ce temps, le navire vogue, et finit après une traversée non narrée par toucher le port de Brindisi.
Huon annonce le décès de Garin à sa veuve, abasourdie:
- Sainte Marie ! Hue, que me disez ?
Est donc mez sire de cest siecle passez ?

Alors elle s'évanouit à quatre reprises, ils l'entourent et veillent.

Restant cinq jours auprès de la veuve de Garin, ils achètent chevaux et palefrois en nombre, se font confectionner des vêtements de soie d'outremer [de Chine donc, vêtements aux tarifs oscillant entre exorbitants et inaccessibles, de très grand luxe], puis ils font charger des mules et des chevaux de bât, et Huon défraie les marins,
   
Or et argens lour donnait a planteit
Dont tous jours furent menant et assassez.
[Quelque chose comme:]
Il leur donna or et argent à profusion
Assez pour [vivre dans] l'aisance jusqu'à la fin de leurs jours.

Ils chevauchent ensuite vers Rome où ils sont reçus, à nouveau, par le Pape, qui reconnaît Huon d'emblée et lui demande de ses nouvelles. Il l'informe du trépas de Garin de Saint-Omer. Il dit qu'il ramène la barbe et les molaires de Gaudisse, et lui demande de baptiser Esclarmonde, puis de les marier.

Le Pape est d'accord, mais à la condition qu'ils acceptent son hospitalité et passent la nuit chez lui, la soirée fut joyeuse.
Le lendemain, Huon se confesse, et le Pape baptise Esclarmonde et chante lui-même la messe.
Puis les noces sont belles au palais papal, et le ménestrel-auteur, sentant que l'épopée approche un peu de la fin, n'omet pas de préciser que les ménestrels furent rétribués avec grande largesse !

Le lendemain, ils reprennent leur route vers la France.
Ils cheminent en hâte, de jour comme de nuit. Si bien qu'un jour ils aperçoivent à proximité les murs et les fossés de Bordeaux.
Huon, s'adressant à Esclarmonde, a une exclamation tout à fait étonnante:
"Damme, dit il, ve la vous heriteit !
Ve la la ville que je vous doi donner
Si m'aie Dieu, seu est or duchaieit,
Maix se je pués de France retorner,
Se yert roialme, se Dieu me puist sauver."
Ma Dame, dit-il, voilà votre héritage !
Voilà la ville que je vous dois donner
Avec l'aide de Dieu, c'est aujourd'hui un duché,
Mais si je puis retourner de [la capitale de] France,
Il deviendra royaume, si Dieu me peut assister".


[Cette velléité indépendantiste cadre assez mal avec la logique de pairie de France dont Huon peut se targuer, surtout en revenant victorieux de toutes ces épreuves.
Est-ce l'euphorie, ou une énième manifestation de la folleteit de son tempérament ?]

Le sage Gériaume, d'ailleurs, bride aussitôt son envolée:
Et dit Geralme: "Ne vous chault de vanter,
Vous ne savez comment esploiterez;"
Et Gériaume dit: ne vous souciez pas de vous vanter,
Vous ne savez comment cela va tourner;"


Il enjoint ensuite de chevaucher jusqu'à l'abbaye de Saint Maurice des Prés, très proche.

[Ce passage-là est plus réaliste qu'il pourrait n'y paraître à première vue. Bien que le point culminant de la Gironde soit à...166 mètres d'altitude, on peut en effet, par conditions météo favorables, apercevoir vaguement Bordeaux depuis certaines collines de ces parages-là de l'entre-deux-mers, en les choisissant parmi les plus élevées et les mieux orientées.
Et, en effet, l'abbaye Saint-Maurice "toute proche" existe vraiment, située à Blasimon.]  

Huon se range à cet avis, envoie un messager prévenir de leur arrivée.
Ainsi est-il fait, les moines revêtent pour la circonstance leur habit de chœur, et, en guise d'accueil, c'est une grande liesse et un repas de fête exceptionnel.

L'abbé propose à Huon d'aller mander son frère Gérard. Huon trouve l'idée bonne, et un messager part pour Bordeaux. Apprenant le retour de son frère, Gérard pense devenir fou, mais n'en laisse rien paraître. Il renvoie le messager disant qu'il accourt à sa rencontre. Puis il consulte son seigneur, félon fieffé, conseiller du pire et âme damnée, le traître Gibouard.
[Le ménestrel a dû jouer à plaisir de l'allitération G...Ard, entre Gibouard et Gérard, dans les vers qui suivent et nous séparent du dénouement, pour faire relief au dégoût en les prononçant !]

Et Gibouard y va de son conseil:
Il suffit d'embusquer une quarantaine de chevaliers dans un bois tout proche de l'abbaye, pendant que Gérard ira seul, accompagné d'un écuyer, retrouver son frère. Il faut l'obliger à se lever très tôt le lendemain matin [un départ de nuit permet de ne pas trahir pas l'embuscade, en la rendant visible]. Arrivé à proximité du bois, il conviendra à Gérard de chercher querelle à Huon. Si la moindre parole déplacée est proférée, alors la bande sortira du bis et fondra sur les compagnons d'Huon: il suffira ensuite de s'emparer d'Huon, de le jeter en geôle et d'en appeler à la justice de Charlemagne, lequel, c'est notoire, a Huon en détestation. Si l'on donne à Charlemagne une telle occasion, avec de tels chefs d'inculpation, il lui réservera la mort la plus infamante ["la mort la plus infamante", est-ce assez christique ?]. Ainsi, via ce plan simplissime, Huon est d'ores et déjà à regarder comme condamné à mort.

Gérard va au devant de son frère, l'embrasse [baiser de Judas].
Huon est très étonné du fait que la tradition ne soit pas observée, à savoir que Gérard eût dû paraître à la tête d'une troupe munificente, ce à quoi Gérard rétorque que la modestie s'impose, tant qu'Huon n'aura pas été à Paris faire reconnaître ses terres.
Et qu'il sera bien temps, alors, de parader et de banqueter.
Naïvement, Huon lâche qu'il déteint les trophées pileux et dentaires de Gaudisse, et qu'il a épousé Esclarmonde.
Pressé de savoir où ces trophées sont conservés, et de qui il a pu recevoir de l'aide, Huon ne dissimule pas l'étrange cachette, ni la part prise par Aubéron.

Politesse oblige, Huon prend des nouvelles de Gérard, et, à mesure qu'il les reçoit, dit qu'il désapprouve l'union avec la fille de Gibouard de Sicile,
Cis est traiitre cui fille vous avez.
Ce à quoi s'oppose Gérard, évidemment.

Ensuite l'on passe au banquet, somptueux. Gérard réserve des regards de foudre au prévôt Guiré. Juste avant le coucher, Huon interpelle l'abbé, en conciliabule, lui laissant voir que son bagage sur les mules et chevaux de bât cèle des richesses inouïes.

Gérard va voir Huon au coucher, et l'enjoint à partir de très bonne heure le lendemain, ce à quoi Huon ne s'oppose pas.
Huon, Esclarmonde, le vieux ménestrel  et leurs compagnons passent une douce nuit, tandis que Gérard, tout à sa félonie ourdie, ne parvient pas à trouver le sommeil...




[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Blasim10
L'abbaye Saint-Maurice de Blasimon.

Spoiler:
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Message par Tristram Mar 11 Fév - 17:23

Or et argens lour donnait a planteit
Une petite remarque sur "à plenté" (écrit "planté" sous l'influence de "plante"), du lat. plenitas, -atis « abondance », de plenus « plein » : cf. "plantureux", et l'anglais "plenty" !

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Message par Bédoulène Mer 12 Fév - 11:01

"[Cette velléité indépendantiste cadre assez mal avec la logique de pairie de France dont Huon peut se targuer, surtout en revenant victorieux de toutes ces épreuves.
Est-ce l'euphorie, ou une énième manifestation de la folleteit de son tempérament ?]"

ah! ces gens du Sud ! Smile

Encore naïf Huon !

mais Huon ne devait-il pas épouser la fille de Charlemagne ?

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Message par Aventin Sam 15 Fév - 20:15

Tristram a écrit:
Or et argens lour donnait a planteit
Une petite remarque sur "à plenté" (écrit "planté" sous l'influence de "plante"), du lat. plenitas, -atis « abondance », de plenus « plein » : cf. "plantureux", et l'anglais "plenty" !
[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 1252659054  Ai Dieu ! Tristram, comme est bien apancez !


Bédoulène a écrit:mais Huon ne devait-il pas épouser la fille de Charlemagne ?
Pas à ma connaissance, enfin il a déjà assez de périls et d'épreuves comme ça, non ?
Tu imagines le plan de table aux réunions de famille (alors, voyons voyons, tenez, Géraâârd allez, pas de façons, mettez vous donc face à Charlemagne, tandis que Nayme, Esclarmonde et Huon seront trèèèès bien à la petite table au fond en coin, là, voilà, voilà, voilà...)  Very Happy  ?

_____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________


Huon de Bordeaux, vers 9414 à 9750



[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Canter10
Vitrail figurant l'assassinat de Saint Thomas À-Becket, cathédrale de Cantorbéry, début XIIIème siècle.

Gérard est bien sûr le premier levé, et s'empresse d'éveiller son frère, lequel proteste, moins que Gériaume toutefois, qui ne voit pas du tout la raison d'une mise en route aussi matinale. Huon finit par donner raison à son frère, chacun s'apprête, et la troupe s'élance sans tarder, Li baron montent sans plux de l'arester.
Huon avait donné, en guise de recommandations fortes à l'abbé la veille au soir, de ne confier ou laisser entrevoir tout le trésor qu'il véhiculait à personne, strictement.

Gérard prend la tête, Esclarmonde a une sorte de pressentiment, se traduisant par une sensation de froid et de mal-être. Tandis qu'Huon tente de la rassurer, sa mule s'agenouille et elle chute. Huon la relève et la remet en selle, elle est un peu blessée. Gériaume glisse à quel point c'est une imbécillité de chevaucher si tôt sans raison. Comme Gérard proteste, Gériaume inisiste et ajoute qu'il est encore grand temps de retourner à l'abbaye.    

En dépit de tout cela, ils parviennent à une grande croix marquant un important carrefour, à Romagne [la commune de Romagne existe toujours, encore une fois, au niveau situation géographique, c'est tout à fait réaliste].

Huon, devant cette croix plantée par Saint-Maurice et ses propres ancêtre, marque une halte et déclare que quatre chemins sont possibles, l'un va à Bordeaux, où ils n'iront pas, un à Paris, capitale vers laquelle ils se dirigeront afin de rendre compte et faire reconnaître ses droits, le troisième chemin est celui d'où ils proviennent et le dernier celui qui mène en Lombardie [???!!!].

Ils s'engagent donc nord toute, en direction de Paris, et Gérard tente de fâcher son frère par des propos dérangeants conformément au plan élaboré par l'infâme Gibouard. Cela donne cette laisse très surprenante sur sa forme.
Le décasyllabe y est parfois quelque peu...élastique, disons, la rime en -ie, pour ainsi dire jamais utilisée depuis le début, est parfois bizarre bien que nous en apprenant sans doute un peu sur celles d'entre les consonnes qui pouvaient alors s'élider (par ex. delivre, traiitre, Gille, etc...):

El chamin entrent, et il etsa maignie
Avec lui vait Gerard, li faulz traiitre.
N'ont pais allez , je cude, une traitie
Quant sont venus en la serve follie
Ou Guibuart estoit a sa maignie.
Dont ait Gerart sa raison commansie:
"Hue, biaulz frere, dit Gerart li traiitre,
Vous en allez en France la garnie
Et pour avoir la voustre signorie;
Bien sai de voir, toute l'arez delivre.
Ju ais heüt voustre terre en baillie,
N'i ait conquis vallissant une allie,
Ains l'ai gardér loialment san bodie.
Marïér sus et si ai femme prise,
Ceu est la fille Huibuart de Saint Gille;
Moult est haulz  hons et de grant signorie,
Moult me fait mal quel tenez a traiitre.
Vous en allez en France la garnie,
S'i lou savoit, tanroit lou a follie;
Sor voustre terre me donnait il sa fille,
Car il cudoit, per Dieu le filz Marie,
Ne deüssiez maix revenir en vie.
Or n'ai de terre qui soit en ma baillie
Qui vaille, certe, une pomme porie;
Se vous requier que me faitez aiie,
Ca savoir vuelz ou serait ma partie
Qaunt revanrez de France la garnie,
Que puisse traire a moy et ma maignie.
Il s'engage sur le chemin avec ses compagnons;
À ses côtés se tient avec fausseté Gérard le traître.
Ils n'ont pas parcouru, je pense, une traite
Qu'ils parviennent au couvert des feuilles de la forêt
Où Gibouart se tient avec ses hommes.
Donc Gérard entame son plan:
"Huon, mon cher frère, dit Gérard le traître,
Vous allez vers la France, le riche pays
Afin de recevoir [de nouveau] votre seigneurie,
J'en suis bien aise, certain que vous l'aurez.
J'ai eu la garde de votre terre,
Qui ne m'a pas rapporté valant une gousse d'ail,
Ainsi l'ai-je gardée loyalement, sans rechigner.
Je suis marié et si j'ai pris épouse,
Celle-ci est la fille de Gibouart de Saint-Gilles;
C'est un homme de grande valeur et de haut lignage,
Et cela me fait mal que vous le teniez pour traître.
Vous allez en riche France,
S'ill 'apprenait, il le tiendrait pour folie;
En foi de vos possessions il m'a donné sa fille,
Car il était sûr, par Dieu fils de Marie,,
Que vous ne dussiez jamais revenir en vie.
Or je n'ai terre sous ma coupe
Qui vaille, c'est certain, un pomme pourrie;
Je vous requiert donc votre aide;
Car je veux savoir ce qui va me revenir
Quand vous reviendrez de riche France,
Ce à quoi je puis m'attendre pour moi et les miens.


Mais le plan ourdi par Gibouard et mis en scène par Gérard échoue, Huon ne se départit pas de sa belle humeur et ne se fâche pas. Il lâche que des biens considérables, qu'il a rapportés, sont sous la garde de l'abbé de Saint-Maurice, et affirme que lui, Huon, ne disposera pas d'un denier dont Gérard n'aurait pas la moitié.

Gérard, cherchant toujours à provoquer, à heurter Huon afin qu'il sorte de ses gonds selon ce qui était convenu, dit qu'il exige des terres, une seigneurie. Huon flaire enfin le piège, qu'Esclarmonde et surtout Gériaume avaient été plus prompts à redouter.

Gériaume, gardant la tête froide, conseille à Huon de donner à Gérard ce qu'il demande. Huon opine, et laisse choisir Gérard entre Bordeaux et Gironville [probablement l'actuel Bourg-sur-Gironde, peut-être Blaye].
Gérard, retors, refuse de choisir, veut qu'Huon choisisse pour lui [afin de s'estimer lésé, quel que soit le choix].
Huon réitère sa question, et Gérard, voyant qu'il ne parvient pas à ses fins [mettre Huon en colère, prétexte à dégainer les épées], s'en prend à Guiré le prévôt, frère de Gériaume, l'apostrophe et dit que c'est à cause de lui qu'il a tout perdu, et qu'il va lui trancher la tête. Il pousse alors son cri de guerre, qu'entend Gibouart, et, à ce signal convenu, lui et ses hommes en armes sortent du couvert du bois et fondent sur la troupe.

Huon et ses compagnons ne sont pas équipés ni vêtus pour la lutte, face à soixante (ou peut-être plus) guerriers bénéficiant de l'effet de surprise, l'affrontement est trop inégal. Avec vaillance Huon en pourfend pourtant quelques-uns, mais les douze périssent dans cet affrontement. Gibouart et Gérard se débarrassent des corps en les jetant dans la Gironde, Une riviere qui court per grant vertus, (une rivière au cours impétueux).

[Comme nous sommes près de Romagne, c'est l'entre-deux-mers, pas encore l'estuaire de la Gironde: vu la situation géographique de Romagne, c'est plutôt dans la Dordogne que dans la Garonne qu'ils se sont débarrassés des cadavres.]  

[On comprend pourquoi l'auteur a choisi de faire périr Garin de Saint-Omer devant Aulaferne, en rentrant, il ne serait pas allé plus loin que Brindisi. Or le choix littéraire s'est porté sur la disparition de tous les compagnons valeureux du héros, qui sont aussi les témoins de la véracité de toute l'épopée.]

Huon finit par être mis à terre et saisi, pieds et poings liés, les yeux bandés. Gérard déchire à l'épée le côté de Gériaume, qui hurle de douleur, afin de s'emparer des molaires et de la barbe de Gaudisse. Huon implore qu'on ne tuât pas Gériaume, Gérard répond qu'il ne lui fera plus aucun mal à présent, et le lie et lui bande les yeux. Esclarmonde subit un sort similaire.       
 
Gériaume, Esclarmonde et Huon sont juchés sur trois chevaux, et prestement conduits de nuit à Bordeaux la nuit suivante afin que nul ne s'émeuve, et ils sont jetés dans une terrible geôle sans clarté ni soleil.

Le lendemain, Gérard et Gibouard filent à l'abbaye de Saint-Maurice, l'abbé refuse de leur confier le trésor d'Huon, ils le malmènent avec une telle violence qu'ils finissent par le tuer. Les moines fuient mais les hommes de main du duo de malfaiteurs les rattrapent, et, par couardise et contre la vie sauve, remettent le trésor aux criminels. Au passage ils pillent l'abbaye, ne laissant ni ciboire, ni candélabre ni châsse, ni même un gant brodé...

[passage un peu confus ensuite] Apparemment, il y a parmi les moines le fils d'un traître, qu'on présume donc être fils d'un soudard de Gérard ou de Gibouart. Il est promu abbé sur le champ.

Les traîtres de retour à Bordeaux chargés de leur spectaculaire et volumineux pillage, les bourgeois n'en croient leurs yeux, mais la troupe file abriter tout cela en vitesse derrière les murs du palais.

Toutefois, dix chevaux ne sont pas débâtés et partent en direction de Paris (le reste abonde au trésor de Gérard), avec Gérard, Gibouard, le nouvel abbé, deux écuyers et un moine, qui prennent à peine le temps de se restaurer. Au terme d'une longue chevauchée qui ne nous est pas narrée, ils parviennent à la capitale de Charlemagne ...     

[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Chapit10
Chapiteau roman XIIème siècle évoquant, avec un peu d'imagination, une capture surprise par des bras issus de la végétation, église Saint-Vivien de Romagne, devant laquelle l'équipée est censément passée.

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Message par Bédoulène Dim 16 Fév - 8:49

beaucoup donc auront péris pour être compagnons d'Huon !

comment vont-ils s'en sortir de l'enfermement ? quelle réaction de Charlemagne par rapport à Gérard qu'il n'avait pas missionné ?

pourquoi traiitre auparavant traiitour avec 2 i ? c'est une des lettres élidée ?

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Message par Tristram Dim 16 Fév - 10:55

Le redoublement du i, comme celui du a, a été remplacé par l'accent circonflexe : aame = âme ; cela correspondait sans doute à une prononciation plus grave que l'accent... grave, qui se serait perdue comme beaucoup d'autres en français (de même que le "ai"ouvert des Parisiens). L'accent circonflexe a aussi servi à remplacer "es" par "ê" dans beste, teste, etc.
Traiitour a un accent de langue d'oc plutôt que d'oïl !? Traître est un mot apparu... dans La chanson de Roland !

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Message par Aventin Dim 16 Fév - 12:45

Re- [Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 1252659054  Sire Tristram,
Encor me dite que m'en concillerez.
J'en suis toujours à me demander guère avancé en cela depuis les premiers vers, tout en sachant que la langue écrite -hors latin- n'était pas vraiment fixe à l'époque, s'il n'y a pas des désinences, ou des vestiges d'accords venant de langues ayant versé au creuset du français (langue Franque ? Celte ?).  

Bédoulène a écrit:beaucoup donc auront péris pour être compagnons d'Huon !

comment vont-ils s'en sortir de l'enfermement ? quelle réaction de Charlemagne par rapport à Gérard qu'il n'avait pas missionné ?

C'est un peu donner les clefs du dénouement que te répondre, mais rassure-toi, on commence à beaucoup s'approcher des derniers vers !
_______________________________________________________________________________________________________________________________________________



Huon de Bordeaux, vers 9751 à 10399


[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Vieill10
Vieillards de l’Apocalypse, abbaye Saint-Pierre de Moissac, Tarn-et-Garonne, XIIème siècle.



Arrivé à la Cour, Gérard se répand en largesses, donnant le chargement de trois chevaux de bât à Charlemagne, et deux à la reine, inondant les barons de biens précieux et d'or, les valets de collets d'hermine, si bien qu'unanimement l'on clame sa louange.
Un seul refuse le moindre denier, le duc Nayme, persuadé que tout cela fut mal acquit, au contraire de Charlemagne, qui le fait asseoir à la place d'honneur à son côté et lui demande de raconter ce qui l'amène.

Après une entame d'une totale fausseté, lors de laquelle il précise qu'il préfèrerait être outre-mer qu'ici, que s'il parle, c'est pour l'amour de Dieu, que la chose est cependant terrible et gagnerait à être dissimulée, Gérard assure Charlemagne de sa totale loyauté et de son dévouement entier à son roi.

Nayme lui demande d'abréger, Gérard lui dit qu'un jour récent il vit arriver Huon à Bordeaux, pauvrement vêtu, flanqué d'une belle dame et d'un vieillard nommé Gériaume. Il n'avait rien vu de Babylone et ne ramenait pas les trophées qu'il devait prélever sur la tête de Gaudisse.

Alors, pour ne pas être accusé de trahison en recevant Huon à Bordeaux où il ne devait jamais remettre les pieds ayant échoué, il le fit jeter en prison avec cette dame et ce vieillard, puis s'est hâté jusqu'à Paris afin de soulager sa conscience d'un tel fardeau et se soumettre à la royale volonté.

Entre eux, les barons murmurent que Gérard s'est comporté en traître vis-à-vis de son frère aîné.
Mais Charles se lève et tonne qu'on lui remette le traittour fellon Huon, avant de demander à Nayme son avis. Nayme dit clairement que Gérard semble s'être comporté en traître.

Gérard dit qu'il est en mesure de produire des témoins fiables, dont cet abbé et Gibouart, venus avec lui, lesquels clament que c'est la pure vérité. Nayme tonne qu'ils ne sont tous que des brigands, argumente de la faible plausibilité, et pressent fortement qu'il y a là une manœuvre déloyale et un quadruple faux témoignage, est même prêt à le jurer sur les reliques.

Gérard blêmit, commence à regretter que ses crimes puissent être percés à jour par le perspicace Nayme, mais tente de faire bonne figure.

Nayme donne alors à Charles le conseil de choisir quelques barons fiables et de s'en aller à Bordeaux juger lui-même le prévenu, écouter au moins ce qu'Huon a à dire pour sa défense.

Ainsi est-il fait. Charles ne fait pas les choses à moitié, convoquant cent quarante barons et les onze pairs de France !
Charles fait arrêter les dix chevaliers qui s'étaient portés garants d'Huon lors de son départ, mais Nayme les fait libérer et, mieux, les inclut dans le royal déplacement jusqu'à Bordeaux.
[Comme à l'accoutumée pour les trajets, aucun détail sur le déplacement cette mini-armée sous la houlette de la fine fleur de la noblesses, de la pairie et du roi, et nous la retrouvons touchant au terme du voyage.]

En vue des murailles et des clochers de Bordeaux, Gérard demande à Charlemagne de le laisser filer devant afin de soigner les préparatifs nécessaires pour recevoir dignement de tels hôtes d'un si grand prestige.
Charlemagne lui répond sagement, en un vers syncopé:
"-Girart, dit Charle, certe, vous n'irez mie."
Nayme en profite pour louer cette décision.

Sous les yeux des bourgeois ébahis, tous pénètrent en ville. Au palais, on fait dresser en hâte les tables et apprêter un grand repas de fête. Charlemagne siège sur un trône d'or.

L'yauwë apportent a grant baissin d'or mier,
Ly roy lavait, assis sont au maingier;
Lez lui s'aisist Naymon o le vif fier,
Az aultre tauble sisent li chevalier.
Avaz cez rue corrent si bouteiller,
Li ung vuelt pain et li aultre vin viez.
Hues les ot ça deseure noisier,
Isnellement appelle le chartrier:
"Amis, dit il, se Dieu ouist aidier,
Queilz gens sony ceu que j'o leans plaidier ?"
Et cil respont, que moult fez fuit et fier:
"C'est Charlement, qui France ait a baillier,
A cez baron qui vous viennent jugier;
Pandus serez ains qu'il soit aneutiér.
-Per foid, dit Hue, Dieu te doint encombrier !
Malle nouvelle me vient ore noncier."
Les acquiers apportent un grand bassin d'or pur,
Le roi s'y lave [les mains], [chacun] est assis au repas,
À son côté s'installe Nayme au fier visage,
À d'autres tables se disposent les chevaliers.
Au milieu courent les échansons,
Les uns désirent du pain, d'autres du vin vieux.
Huon les entend depuis sa geôle recluse,
Et aussitôt appelle le geôlier:
"Mon ami, dit-il, que Dieu te vienne en aide,
Qui sont ces gens que j'entends vacarme mener ?
À quoi il répond, si fièrement méprisant qu'il est:
-C'est Charlemagne, qui règne en France,
Et ses barons qui viennent vous juger;
Vous serez pendus avant qu'il ne fasse nuit.
-Par ma foi, dit Huon, que Dieu te confonde !
Tu viens de m'annoncer une très mauvaise nouvelle."


Au palais, tandis que tous s'alimentent et s'abreuvent, Nayme, le vieux sage endurci, pleure.
Puis il se dresse de façon subite, renversant involontairment tous les hanaps de la table.
Charlemagne lui demande ce qu'il a, ajoutant qu'il a bien tort de répandre le vin de la sorte.

Nayme lui répond sans détour qu'il éprouve un fort chagrin en le voyant devenu si sot.
Il lui demande s'il est venu à Bordeaux pour bâffrer et picoler du vin, n'a-t-il pas tout cela en abondance en sa Cour parisienne ?
Et quand tout le monde sera rassasié de mets et chahuté de boisson, il sera demandé aux Pairs de prêter serment et de juger l'un des leurs ? Il conclut que quiconque aura bu et entendra siéger ensuite perdra sa ducale amitié.

Charlemagne se dit à la disposition de Nayme, ordonne qu'on ôte les nappes, qu'on amène Huon.
Celui-ci paraît, fers aux pieds. Le sang lui monte au visage en voyant Charlemagne, lequel relève de leur fonction les dix chevaliers s'étant portés garants du fait qu'Huon, s'il survit à ses aventures orientales, s'en retournera devant Charlemagne.

Huon s'avance et s'incline devant Charles jusqu'à terre.
Il commence sa plaidoirie par la fin de l'histoire, en somme, par représenter la fourberie commise par son frère [Caïn et Abel ?], les barons en pleurent de compassion, tout en remarquant le physique décharné, le teint très pâle, les traits émaciés de l'ex si beau jeune homme:
"Cis ne vient mie de dammes escoller,
Bien ait son tempz chaingiér et remüér.
Nous le veÿsmes icy belz baicheller,
Or est si maigre et si descollorez.
Qu'est devenue sa trez grande biaulté ?"

Puis Huon narre, aussi succinctement que possible, ses aventures.
Expliquant entre autres les trophées du visage de Gaudisse enchâssés dans le côté de Gériaume, signe certain de la réussite de la mission, et le mariage papal avec sa fille, Esclarmonde, désignant ses deux compagnons d'infortune, debout contre un pilier.
Ce qui lui permet de nommer adroitement le seul témoin à la fois hors d'atteinte de Gérard et Gibouart et incontestable qui lui reste, même s'il est si malcommode de le faire venir que c'en est presque inenvisageable, le Pape en personne.    

Puis, histoire de pointer une anomalie (certes bien ténue) il fait remarquer que, contrairement à la coutume, lorsque Gérard a appris son retour, il ne s'est pas précipité au-devant d'Huon avec une nombreuse troupe richement vêtue, mais seul, avec un écuyer. Et, que lui ayant tiré les vers du nez sous couvert d'amitié, il avait obtenu le secret extraordinaire du lieu de la cache des trophées, ainsi que celui relatif à l'entreposage du trésor ramené. Puis il narre la félonie de l'embuscade de Romagne, Gériaume montre sa cicatrice au côté en appui à la véracité des dires. Enfin Huon conclut en disant qu'il est prêt, pour certifier la vérité, à combattre en combat singulier Gérard et Gibouart ensemble, et leur faire avouer tous leurs crimes.

Nayme, d'un ton approbateur, déclare qu'il n'est pas besoin d'en dire davantage. Gérard rétorque que ce ne sont qu'affabulations. Charles tranche en s'adressant à Huon, lui rappelant l'interdiction de se rendre à Bordeaux avant d'avoir paru devant lui-même, ce  à quoi Huon réplique qu'il n'est certes pas venu à Bordeaux de son plein gré.
À la question de savoir où sont les trophées, Huon répond qu'il vient de s'en expliquer, le traître Gérard les a arrachés par l'épée au côté de Gériaume.
Nayme intervient, disant à Charlemagne qu'il ne cherche en rien à juger, mais à condamner à mort Huon.
Charlemagne se récrie en ajoutant que, s'il l'avait voulu, Huon serait déjà mort du trépas le plus infamant et douloureux.

Puis il enjoint les Pairs de France à s'assembler à l'écart pour débattre et prononcer leur jugement.
Retirés dans une salle, un grand silence se fait parmi eux. Nayme le rompt en rappelant l'importance de leur future décision, et du fait qu'il faut se garder de passer toute mesure, et bien entendu de proférer des propos mensongers.

Le Comte Baudoin de Flandre prend alors la parole, et propose que Charles rende à Huon fief, titres et seigneuries, et qu'il attribue une terre et une seigneurie ailleurs à Gérard. [Ce qui revient à renvoyer dos-à-dos les frères en évitant de juger les crimes.]

Le vieux Comte de Châlons déclare alors que tout ceci ne sert à rien, Charles, au fond de lui, tient à protéger les formes, les apparences, mais sa décision est déjà connue de tous. Il propose cependant de s'en remettre au duc Nayme pour la déclaration de leur délibéré.

Nayme, ainsi invité à prendre la parole, ne se lève pas, ne profère pas un mot.  

Pendant ce temps, à l'extérieur, on en parvient aux mêmes conclusions que celles du Comte de Châlons, tout ceci ne rime à rien sinon à sauvegarder les apparences, tout est joué d'avance.

Esclarmonde, auprès d'un pilier, est en pleurs et fait observer que, sur sa terre natale, autant de félonie impunie de saurait être, et aussi elle confie sa perte de confiance dans la religion chrétienne nouvellement épousée, non loin de s'en remettre à nouveau à celle de Mahomet, puisque nul signe favorable ne leur parvient.
Les Français qui, autour, entendent les paroles d'Esclarmonde, pleurent, bouleversés par ses accents déchirants, en premier lieu les barons guerriers les plus endurcis.

Nayme finit par déclarer qu'il n'y a pas lieu de tergiverser, qu'en effet il faut se rendre à l'évidence, la décision royale est inéluctable. Il envisage de par lui de trouver, in extremis, un obstacle, ce que nous nommerions aujourd'hui un vice de forme ou de procédure, afin de retarder la fatale échéance.
Il parvient tout de même à tirer des Pairs, un tantinet pusillanimes, des paroles et gestes d'affliction, et de leur faire promettre de corroborer ses propos.

La porte s'ouvre, le silence se fait, tous, valets, écuyers et bourgeois prient en leur for intérieur pour Huon.
Huon regarde Nayme, impassible, se doutant que c'est à lui qu'il incombera de parler.

Grand est le désespoir chez Huon et Gériaume, abondants les pleurs chez Esclarmonde.
Les barons eux-mêmes pleurent de compassion...






[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Beato_10
Huon plaidant ?

Enluminure tirée de l'exceptionnel Beatus de Silos, écrit et décoré en l'abbaye Santo Domingo de Silos, actuelle Province de Burgos (Espagne), achevé en 1091 pour l'écriture et 1109 pour l'enluminure. Conservé à la British Library, London.  

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Message par Aventin Mer 19 Fév - 15:17

Huon de Bordeaux, vers 10400 à 10798 (fin)

[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Mdcs_p10
Gibet, peinture sur coffre, XIIème siècle (Sant Jaume de Frontanya, Catalogne, Espagne).


Nayme se tourne vers Charles, qui l'autorise à prendre la parole.
Il continue à s'adresser au monarque, lui demandant en quelles terres ou villes l'on peut juger un Pair de France ?
Charlemagne manifeste déjà son impatience en concédant à Nayme qu'il est certes un honnête homme, mais que son seul but est de faire acquitter Huon.

Nayme poursuit en rappelant qu'il n'est que trois lieux où l'on puisse convoquer les Pairs de France pour juger l'un des leurs, Paris, Orléans et Saint-Omer.

Cette fois-ci Charles explose, disant qu'il pensait rendre un jugement conforme et équitable mais, puisqu'il en est ainsi, il promet de ne jamais manger tant qu'Huon ne sera pas pendu, puis, derechef, tonne qu'on dresse sa table (c'est tout dire !).

Huon est désespéré, Esclarmonde est en larmes, Gériaume également, mais aussi tous les barons, quant à Gérard, il se réjouit, mais n'ose pas trop le montrer, la totalité des présents s'affichant en faveur du camp adverse.

Bien loin de Bordeaux, Aubéron est dans la forêt en compagnie de ses chevaliers-fées. Il est à sa table, mais verse des larmes. Son entourage lui demande ce qui ne va pas. Alors il leur dépeint Huon condamné, la félonie de Gérard et de Gibouart, le meurtre des compagnons de Huon, la pseudo-justice de Charlemagne, le repas que celui-ci s'apprête à prendre tranquillement, signifiant le trépas d'Huon.

Aubéron, à cette évocation qu'il narre pourtant lui-même est révulsé. Il décide alors de se porter sur les lieux, à Bordeaux, que sa propre table soit dressée devant celle de Charlemagne, qu'elle soit plus haute que la sienne, qu'y figurent son hanap, son cor, son invincible haubert orné d'orfroi. Et Aubéron souhaite aussi la présence de cent mille hommes en armes, devant patrouiller en ville et sécuriser le palais. Aussitôt dit, aussitôt fait (aussitôt fée ?).

Charles, à cette spectaculaire vue, se croit ensorcelé, et en prend Nayme à témoin. Tous les barons et toute l'assistance sont stupéfaits. Gériaume, relevant la tête, reconnaît sur le champ le hanap, le haubert et le cor sur la table et dit à Huon de regarder et de cesser de se désoler !

Huon est fou de joie, Dieu a enfin entendu ses prières !
Aubéron paraît alors à Bordeaux, ordonne que chaque porte de la ville et du palais soit gardée par plus de dix mille hommes [!!??], afin que nul ne puisse sortir, les gardes devant en répondre sur leur tête. Puis il monte les marches du palais,
Puez est laissus ens es pallais montér,
De cez baron moinne avec lui assez;
Il fuit vestu d'un paile gironnér,
A XXX lais ot bandez lez costeit,
Aussi bialz fuit com sollail en esteit.
Delez lou roy paisse per teilt fierteit
Que de son chief fait le chaippez voller,
Que il l'ait si de l'espaulle hurtér.
"Dieu, de cest nain, comme il est bouserez !
Saint Marie, comme il ait grant bialteit !"
Sou dit roy Charle, qui tant est redoubtér.
Et Auberon s'an est oultre paissez,
Vin à Huon, si l'an ait fait lever;
Anialz et bueés lour ait fait tout oster,
Lui et sa femme et Gériaume le ber;
Tout III lez ait errant desprisonnér
Pues lez assiez delez lui au disner.  
À présent il les laisse et monte vers le palais,
À ses côtés suffisamment de ses barons;
Il est vêtu de soie étoffée,
À trente lacets et bandes obliques;
Il est aussi beau que le soleil en été.
À côté du roi il passe avec une telle détermination
Que sa tête en fait voler le chapeau [de Charlemagne]
En le heurtant de l'épaule.
"-Dieu, que ce nain est bossu !
Sainte Marie, combien grande est sa beauté !"
Dit Charles, [roi] tant redouté.
Et Aubéron passe outre,
Va à Huon, le fait lever,
Fait ôter anneaux et entraves,
À lui et sa femme et Gériaume le barbu;
Tous les trois les a désenchaînés,
Ensuite les fait asseoir à ses côtés au dîner.


Puis il prend son valeureux hanap d'or resplendissant, trace au-dessus un signe de croix et le hanap s'emplit de vin. Puis il le transmet à Esclarmonde, qui boit et le donne à Huon qui le fait passer à Gériaume.
Ensuite Aubéron demande à Huon de donner ce hanap à Charlemagne, afin qu'il boive en signe de paix. Huon s'exécute, Charlemagne porte le hanap à ses lèvres, mais le vin disparaît.
"Vaissalz, dit Charle, vous m'avez enchantér"
[à noter qu'en dépit de l'arrivée tonitruante d'Aubéron, qui a même -symbolique !- mis à terre le royal couvre-chef, Charlemagne, qui a la royale habitude de n'avoir personne au-dessus de lui sur terre, ne se démonte pas et apostrophe Aubéron du qualificatif de vassal !!]

Aubéron souligne qu'il n'y est pour rien, que ce sont les péchés de Charles qui sont la cause de la disparition du vin, et un péché mortel jamais confessé en particulier: mais par égard, pour ne pas l'humilier devant sa Cour, il ne dira rien de celui-ci.
Charles est saisi par l'épouvante.

Huon porte ensuite le hanap à Nayme, qui y boit à longues gorgées. Mais aucun d'entre les Pairs et barons qui tente d'y boire ensuite n'y parvient, le vin disparaît aussitôt.

Aubéron demande l'attention et rend sa justice, pointant les manquements de celle de Charlemagne.
Il assure que tout ce qu'a déclaré Huon est la pure vérité, et que lui, Aubéron, peut en témoigner.
Qu'il faut restituer à Huon ses titres, terres et fiefs,
Car proudom est, et plain de loialteit
Il demande ensuite à Gérard de s'approcher, tout en s'adressant à Charles en ces termes:
Ve la Gerart, le malvaix traiiter,
Que son frere ait traii per malvisteit,
Sifaitement com vous oiir porez.
Et Gérard, acculé, avoue tout, tout en chargeant Gibouard pour l'inspiration comme pour le fait, qu'ayant épousé sa fille en foi du duché en dot, il ne se sentait plus capable de reculer.

Aubéron rend la sentence [se substituant à Charles]:
Ils seront pendus l'un et l'autre, Charles ajoute qu'ils n'y échapperont pas. Aubéron demande à Gérard où sont les molaires et la barbe de Gaudisse, Gérard, trop heureux de cette occasion de s'éclipser, dit que les trophées sont en lieu sûr et qu'il peut aller les chercher.
Aubéron, voyant où Gérard veut en venir, déclare que ce n'est pas la peine, et aussitôt il les fait apparaître sur la table.
 
Profitant de ce que chacun s'émerveille, Huon demande grâce pour son frère.
Refus d'Aubéron.
Aussitôt, par magie, un gibet pour trois (Gérard, Gibouart et l'abbé nommé par eux) se dresse devant le palais, Aubéron le veut plus haut qu'un gibet normal "d'une portée d'arc" [??!!] et les trois coupables y sont pendus.
Cette fois-ci, au comble de la stupéfaction, Charles change de qualificatif et ne nomme plus Aubéron vassal:
"Per foid, dit Charle, si hons est Damedei !
Se il volloit, nous seriens tous tuei !"
"Ma foi, dit Charles, cet homme est Dieu le Père !
S'il le voulait, nous serions tous occis !"


Aubéron précise qu'il ne leur fera aucun mal, et raconte ses origines, son histoire, dit qu'il n'est qu'un homme.
Puis il demande à Huon de porter les trophées à Charles, qu'il lui rendra titres, fiefs et tout son avoir.
Charles obtempère bien entendu, ajoute qu'il n'éprouve plus rancune ni haine à son égard. Pour faire bonne mesure Aubéron exige d'Huon d'être toujours loyal et fidèle envers son souverain. Charles embrasse Huon.

Puis Aubéron demande à Huon de venir, avec Esclarmonde, en sa cité de Monmur dans trois ans.
Huon recevra le royaume d'Aubéron avec toutes les prérogatives inhérentes.
Il portera couronne d'or et fera don de toutes ses terres de France à Gériaume.
Aubéron précise:
Je ne vuelz plux es ciecle demoreir
, son siège en Paradis aux côtés de Notre Seigneur est déjà préparé.
Il parle encore à Charles, lui recommande Huon [le terme est "desserver" - je pense qu'il faut l'entendre au sens de la commandatio franque, à la fois lien précis ré-affirmé et officialisé, et nouveau départ sur de bonnes bases.].

Nayme, dans son coin, se réjouit, comme au reste tous les Pairs et barons. Pour finir, Huon va à l'abbaye de Saint-Maurice, réparer le saccage commis par Gérard et Gibouard, ajoutant au domaine abbatial des terres fertiles adjacentes, et veillant à la tenue de l'élection libre d'un nouvel abbé, choisi pour ses capacités et ses vertus.      

La belle Esclarmonde et Gériaume sont en liesse.


Fin sur des paroles de convenance:
Ains nous covint nostre chanson finer.
Proiez tous Dieu, le Roy de maiesteit,
Que tout ciaulz doint honnour et bonteit
Que bien nous font per la soie amisteit;
Li Roy dou cielz, per sa sainte piteit,
Nous dont sa graice , se il li vient en grey.

Amen.
 





 



[Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 Kavana10
Hanap, ivoire d'éléphant et laiton, connu sous le nom de Kavanagh Charter Horn, Caomhánach, Irlande, XIIème siècle.

Peut-être utilisé comme cor à l'origine, avant que l'orifice le plus petit ne soit colmaté afin de servir de hanap.
Longtemps possession de la famille Kavanagh elle-même (rois de Leinster), qui le détenait depuis sa création, l'objet est aujourd'hui visible au National Museum of Ireland (Dublin).


Dernière édition par Aventin le Jeu 20 Fév - 15:16, édité 1 fois
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Message par Bédoulène Jeu 20 Fév - 0:08

merci Aventin pour ce partage et ton implication qui m'a permis de suivre facilement l'histoire du Brave Huon !


"Aussitôt, par magie, un gibet pour trois (Gérard, Huon Gibouart et l'abbé nommé par eux) se dresse devant le palais, Aubéron le veut plus haut qu'un gibet normal "d'une portée d'arc" [??!!] et les trois coupables y sont pendus.

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Message par Aventin Jeu 20 Fév - 16:15

Bédoulène a écrit:merci Aventin pour ce partage et ton implication qui m'a permis de suivre facilement l'histoire du Brave Huon !


"Aussitôt, par magie, un gibet pour trois (Gérard, Huon Gibouart et l'abbé nommé par eux) se dresse devant le palais, Aubéron le veut plus haut qu'un gibet normal "d'une portée d'arc" [??!!] et les trois coupables y sont pendus.
Oups [Anonyme] Huon de Bordeaux - Page 3 1038959943  c'est Gibouard et non Huon (édité), merci Bédoulène !
Et merci surtout pour ton intérêt, c'était vraiment encourageant, sans toi j'aurais capitulé, ainsi que Tristram !


À refaire, je ne ferai pas un truc pareil: lire en commentant au fil ce n'est pas approprié je pense, merci donc à la modération qui l'a permis.
En revanche ça pourrait, pourquoi pas, convenir peut-être à une LC, sur une autre chanson de geste - Le roman de Renart, la Chanson de Renaud de Montauban, voire même les romans de Chrestien de Troyes, La Chanson de Roland etc...(ce que vous voudrez, s'il y en a à qui ça dit !)


____________________________________________________________________________________________________________________________________________________


Quelques petits derniers mots:
- Huon  est une chanson de geste, oui mais une chanson engagée aurait-on dit dans les années 70-80.
La justice des hommes y est brocardée, la moralité et la loyauté des puissants aussi: le ménestrel devait quand même prendre quelques précautions -ou rassembler toute son audace- en se lançant dans son interprétation dans les Cours & châtellenies, ou bien peut-être le propos d'artiste était-il moins contraint qu'on ne suppute généralement (j'aurais tendance à me ranger à la seconde possibilité) ?

- Aubéron est le seul cas de nain bossu qui ne soit pas disgracieux dans ce que j'ai pu lire de littérature médiévale: il est même tout juste le contraire: resplendissant, charismatique, beau comme le soleil en été. Quant à ses pouvoirs -là en revanche il n'est pas rare que les nains bossus aient des pouvoirs spéciaux dans cette littérature-là- ils sont acquis, en quelque sorte, à la cause du bien et de la justice, ce qui est loin d'être toujours le cas sinon.

- Huon chanson masculine ? Certainement quand même, bien qu'Esclarmonde... C'est, toutefois, intrinsèque au genre chanson de geste, peut-être n'y-a-t-il pas à relever davantage ce point qu'il ne le mérite (?).

- Au niveau du style, de la poésie: D'accord la version que j'avais entre les mains est tardive, donc rodée, mais enfin tout de même, c'est mené tambour battant, très enlevé, très vivant, à 90-95% la narration se situe dans la linéarité temporelle, il y a un peu de déperdition ou de facilité sur certaines laisses, petit coup de mou assez compréhensible sur une distance de 10800 vers, mais j'applaudis sans réserve à ce type de vraiment belle ouvrage.

- L'abord en est beaucoup plus aisé que les romans de Chrestien de Troyes et ses si mystérieux à-côtés, circonvolutions, sous-romans emboîtés en poupées russes, retours en arrière, symbolique touffue, ardue jusqu'à l'hermétisme, bref d'une accessibilité assez faible, et pourtant celui qui est resté confidentiel, c'est Huon, c'est étonnant:
Pas dans les manuels scolaires, pas dans les opéras (enfin je crois qu'existe un Oberon, on dira que ce n'est pas un Parsifal, quoi), pas dans les séries télévisées, pas dans le cinéma, pas dans les pastiches, etc...
Bonne nouvelle en même temps, ça préserve cette excellente surprise !

Vous avez échappé à pas mal d'images, comme dit il y a quelques messages j'en ai profité pour montrer quelques facettes de l'art roman et de ce qui est parvenu jusqu'à nous, mais allez, dénué de la moindre continence j'en flanque une dernière, qui est un bout de chose, de chosien:

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Message par Tristram Jeu 20 Fév - 16:38

Aventin a écrit:À refaire, je ne ferai pas un truc pareil: lire en commentant au fil ce n'est pas approprié je pense, merci donc à la modération qui l'a permis.
En revanche ça pourrait, pourquoi pas, convenir peut-être à une LC, sur une autre chanson de geste - Le roman de Renart, la Chanson de Renaud de Montauban, voire même les romans de Chrestien de Troyes, La Chanson de Roland etc...(ce que vous voudrez, s'il y en a à qui ça dit !)
Oui, expérience fort intéressante, à reproduire. Ce n'est pas une expérience exhaustive, quoique tu aies le regard perspicace (et renseigné) : mais bien difficile de fédérer des compétences autour de telles lectures !
Belle pioche, cette tête de dame ! j'espère qu'elle ne disparaîtra pas de notre héritage commun !

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Message par Bédoulène Jeu 20 Fév - 18:08

ton commentaire était des plus intéressant Aventin et il me souvient qu'avec notre amie Shanidar nous avions aussi fait sous cette forme en alternance nos commentaires directement sur le fil d'auteur.

Heureux Chosien tu es d'avoir fait cette découverte !

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Message par ArenSor Jeu 20 Fév - 18:29

Je n'ai pas trop suivi car je compte lire un jour prochain ce fameux Huon, mais j'ai beaucoup apprécié les images. Smile
A ce sujet, l'enluminure ci-dessous représente le prophète Habacuc portant de la nourriture à Daniel dans la fosse aux lions. Résumé du "Livre de Daniel", ch. 14, v. 28-42 : Daniel a été jeté dans une fosse avec des lions affamés. Un ange vient voir la prophète Abacuc qui portait de la nourriture aux moissonneurs, le saisit par les cheveux et le transporte au-dessus de la fosse pour nourrir Daniel et les lions. Ce qui ressemble à une harpe est en réalité un vase avec de la nourriture. C'est tout cela qu'explique le texte :"Lucus Leonum ubi Daniel missus fuit et abbacuc portans illi prandium".

Bon, j'arrête de faire le pédant  Rolling Eyes




Aventin a écrit:

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Message par Bédoulène Jeu 20 Fév - 19:00

merci Arensor pour le complément d'information !

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