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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Wallace Stegner

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Message par Tristram Dim 8 Déc - 11:46

Lettres pour le monde sauvage

psychologique - Wallace Stegner - Page 5 Lettre10

Textes autobiographiques, les souvenirs d’une enfance dans les plaines du Saskatchewan, et l’expérience déterminante de se tenir seul dans l’immensité de la nature :
« Le monde est vaste, le ciel encore plus, et vous tout petit. Mais le monde est également plat, vide, presque abstrait, et, dans sa platitude, vous êtes une petite chose dressée sur son chemin, aussi soudaine qu’un point d’exclamation, aussi énigmatique qu’un point d’interrogation. »
La quadrature du cercle
Ces différents récits se superposent, donnent des variantes ou se complètent. Ils retracent notamment l’histoire d’un melting pot pionnier à la frontière canadienne (métis d’Indiens et de Français, cockneys, cow-boys, Scandinaves, etc.), un pot-pourri de migrants idéalistes, naufragés ou escrocs. Ils permettent aussi de trouver l’origine de certaines scènes des romans de Wallace Stegner, comme celle du poulain à la décharge.
Et surtout, ils expriment la réalité du contact avec la nature :
« Mon enfance dans l’un des derniers espaces de la Frontière m’a inculqué deux choses : la connaissance du monde sauvage et de ses créatures, et, sur le tard, la culpabilité d’avoir participé à leur destruction.
J’étais un enfant chétif, mais pas soumis. Comme tous les garçons que je connaissais, je reçus une arme et l’utilisai dès l’âge de huit ou neuf ans. Nous tirions sur tout ce qui bougeait ; nous abattions tout ce qui n’était pas apprivoisé ou protégé. L’hiver, nous posions des pièges pour les petits animaux à fourrure de la rivière ; l’été, mon frère et moi passions chaque jour des heures à piéger, abattre, prendre au collet, empoisonner ou noyer les spermophiles qui affluaient dans notre champ de blé et dans l’eau précieuse de notre rezavoy [réservoir, en français]. Nous empoisonnions les chiens de prairie et liquidions au passage les putois à pieds noirs qui s’en nourrissaient – ce sont aujourd’hui les mammifères les plus rares d’Amérique du Nord. Nous ignorions même qu’il s’agissait de putois ; nous les qualifiions de grosses belettes. Mais nous les tuions comme nous tuions tout le reste. Un jour, j’en transperçai un avec une fourche dans le poulailler et fus écœuré par sa vitalité farouche, épouvanté par la résistance des créatures sauvages face à la mort. J’eus la même impression en attrapant un blaireau dans un piège à spermophiles. Je l’aurais volontiers laissé partir, mais il était si féroce et se jeta sur moi avec une telle sauvagerie que je dus le frapper à mort avec une pierre »
Trouver sa place : une enfance de migrant

« Chaque fois que nous nous aventurons dans le monde sauvage, nous recherchons la perfection de l’Éden primitif. »
Au jardin d’Éden
C’est par exemple « le Havasu Canyon, le sanctuaire profondément enfoncé, cerclé de falaises, des Indiens havasupai » d’Au paradis des chevaux. (Le lieu m’a ramentu un paysage des Himalayas décrit par Alexandra David-Néel.)
Mais c’est « Un paradis pas complètement idyllique, malgré son isolement, sa tranquillité et son eau d’un bleu éclatant. », notamment à cause de « l’insensibilité habituelle des Indiens vis-à-vis des animaux »
Wallace Stegner lui-même ne sait pas quelle solution préconiser pour sauvegarder les dernières cultures libres :
« Est-il préférable d’être bien nourri, bien logé, bien éduqué et spirituellement (c’est-à-dire culturellement) perdu ; ou bien est-il préférable d’être ancré dans un schéma de vie où décisions et actions sont guidées par de nombreuses générations de tradition ? »

Puis viennent des remarques d’une "brûlante" actualité sur l’arrogance aberrante de notre civilisation inadaptée, qui n’ont pas été entendues. À propos d’une mirifique, prodigue et vaine réalisation architecturale :
« Cette maison dans le désert me paraissait, et me paraît toujours, un paradigme – plus qu’un paradigme, une caricature – de notre présence dans l’Ouest au cours de ma vie. »
Frapper le rocher
L’aridité comme mode de vie est plutôt un essai historique sur l’Ouest américain, vaste espace pour migrants déracinés, tandis que Les bienfaits du monde sauvage interroge le devenir du rêve américain.
« Combien de temps la liberté survit-elle aux richesses ? Combien de temps la démocratie peut-elle survivre à l’amenuisement des possibles et à l’élargissement du fossé entre riches et pauvres ? »
Les bienfaits du monde sauvage

« Car, pendant que nous nous acharnions à modeler le monde sauvage, celui-ci nous modelait en retour. Il a changé nos habitudes, notre cuisine, notre langue, nos espoirs, nos images, nos héros. Il a courbé le manche de nos haches et marqué un tournant dans notre religion. Il a façonné notre mémoire nationale ; il nous a fait une promesse. Manifestement, ce changement n’a pas affecté tous les Américains, et les nouveaux Américains arrivés trop tard pour être rebaptisés par le monde sauvage, qui ne connaissent d’autre Amérique que les jungles d’asphalte, risquent de ne pas l’avoir ressenti du tout. Mais il a affecté suffisamment de gens et de générations pour insuffler à nos institutions, nos lois, nos croyances et notre rapport à l’univers une dynamique dont les futurs Américains ont pu bénéficier et dont ils ont pu tirer des enseignements, une dynamique à laquelle le droit tend à se conformer, qui fait partie intégrante d’une foi typiquement américaine. »
Les bienfaits du monde sauvage

« Nous sommes une espèce sauvage, comme l’a montré Darwin. Personne ne nous a jamais apprivoisés, domestiqués ou engendrés scientifiquement. Mais, pendant au moins trois millénaires, nous nous sommes engagés dans une course effrénée et ambitieuse pour modifier notre environnement et en prendre le contrôle, et, dans ce processus, nous nous sommes quasiment domestiqués. »
Coda : lettre pour le monde sauvage

« Il me semble significatif que notre littérature ait ostensiblement glissé de l’espoir à l’amertume presque au moment précis où le mythe de la Frontière touchait à sa fin, en 1890, et quand l’American way of life a commencé à devenir largement urbain et industriel. À mesure de cette urbanisation, notre littérature et, je crois, notre peuple devenaient affolés par le changement technologique, malades et aigris. »
Coda : lettre pour le monde sauvage

Mots-clés : #amérindiens #autobiographie #ecologie #essai #nature #ruralité #temoignage

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Message par Bédoulène Dim 8 Déc - 18:16

tu confirme mon envie Tristram ! donc bientôt

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Message par Tristram Ven 6 Mar - 12:21

Angle d’équilibre

psychologique - Wallace Stegner - Page 5 Angle_10


« Lyman Ward qui épousa Ellen Hammond et engendra Rodman Ward », infirme vieillissant et solitaire, décide de consacrer son reste d’existence à explorer l’histoire de sa grand-mère, Susan Burling, dessinatrice douée qui s’exila de l’univers mondain et artistique de l’Est en pleine époque victorienne pour suivre son mari, ingénieur, dans l’Ouest.
Pour en savoir beaucoup plus, voir notre LC, avec Bédoulène et Romain, ici !

Mots-clés : #aventure #culpabilité #famille #psychologique #relationdecouple #social #xixesiecle

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Message par Bédoulène Ven 6 Mar - 13:39

Tristram a posé le sujet.

J'ai eu beaucoup de plaisir de lecture. De beaux portraits de femmes et d'hommes, une évasion dans l'Ouest grandiose.

Pour quelle raison le vieil homme (mais non il n'a que 58 ans) choisi-t-il de retourner sur le passé de ses grands-parents ? parce que l'intriguent ces deux conjoints si différents socialement et dans leur caractère , comment ont-ils vécus si longtemps ensemble ?
C'est dans la correspondance de la femme avec une amie durant une cinquantaine d'années que Lyman trouvera certaines réponses et pourra déduire ce qui fait défaut ; d'autant qu'il a vécu lui-même auprès de ses grands-parents.

Inclure aussi qu'il peut comparer, assimiler l'échec de son couple au couple de ses grands-parents.

Une occasion aussi de comparer le mode de vie sur deux, voire trois époques (avec sa jeune "assistante")

vraiment une lecture que je conseille.

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Message par Tristram Jeu 7 Mai - 0:44

L'Envers du temps

psychologique - Wallace Stegner - Page 5 L_enve10


Bruce Mason, ancien ambassadeur, rédacteur en chef, spécialiste des hydrocarbures du Moyen-Orient, revient à Salt Lake City où il vécut « l’innocence » paradisiaque de ses enfance et adolescence mormones dans l’Utah des années vingt et trente. Et le passé resurgit à quarante-cinq années d’écart, par bouffées d’intenses sensations.
« Il connaissait cette rue, mais celle-ci le mettait mal à l’aise. Cela tenait-il à ce que, bien que pourvus des mêmes yeux, celui qui voyait et celui qui se souvenait n’étaient pas les mêmes ? »

« Prenant simultanément conscience de l’endroit où il se trouve et de son caractère familier, ralentissant le pas afin de poursuivre cette conversation imaginaire sur la pelouse de Joe, il ressent comment la somme du passé, massée en un désordre qui n’a rien de chronologique, flotte derrière le rideau du présent, rattachée à un parfum, à un son, à un contact ou à tel ou tel mot, qui va lui ouvrir les portes et la laisser revenir. Alors qu’une bouffée plus forte agite les frondaisons en contrebas, il s’immobilise pour écouter. Le souvenir est instantanément tangible, une giclée d’adrénaline dans le sang, une sensation de chair de poule sur les bras. »

« Or ici, il avait passé l’après-midi et la soirée à arpenter les contours de cette réserve de la mémoire, fasciné par des images extraites de son immaturité et par la fragrance des possibilités perdues. »
Il retrouve avec gêne le souvenir de celui qu’il fut, « maladif et chétif », affligé d’un complexe d’infériorité et « affamé de reconnaissance », ses premières amours, « l’impatiente, spirituelle et fébrile Holly » et surtout la radieuse Nola au regard insondable, qu’il aimait tant et devait épouser, et son ami Joe Mulder, qui l’initia au tennis et l’introduisit dans la communauté de son âge, aussi Jack Bailey, le perpétuel « sujet de scandale ».
Est bien décrit l’espèce de monstrueux "allumage" permanent que constituent les rapports des jeunes Nord-Américains entr’eux, l’optimisation fébrile et assez absurde de l’excitation sexuelle de jeunes gens sportifs, étirée jusqu’au supplice…
« Il vivait dans les livres et dans sa tête, tête engourdie par les drogues altérant la perception que secrète la physiologie adolescente. »

« L’obsession érotique ordinaire. »
Son père avait fait du salon un bar clandestin, puis était devenu bootlegger, et la mésentente, le conflit sourd qui les oppose ne se sont jamais éteints ; on retrouve des éléments autobiographiques déjà présents notamment dans La Bonne grosse montagne en sucre (outre le père dans l’alcool, les frères Bruce et Chet, Salt Lake City, etc.)
Stegner développe l’idée que le choix de sa destinée par Bruce fut en fait casuel (ce que je crois plus fréquent qu’on ne l’admet généralement) :
« Certains d’entre nous n’en savaient pas assez pour être insatisfaits et ambitieux. Certains d’entre nous avaient une expérience et des aspirations si limitées que seulement le hasard ou l’intervention d’autrui ou peut-être on ne sait quelle inéluctable destinée psychosociale furent capables de nous éjecter hors de notre ornière. »

« Il n’est pas né pour fonder Rome, il n’a pas de compulsion particulière à devenir riche et célèbre, il est incapable de calcul et de stratégie. Tout au contraire, ses aspirations et son avenir visible coïncident. »

« Il n’avait pas eu plus d’initiative relativement à sa carrière que l’eau n’en a lorsqu’elle dévale une pente. »
J’ai aussi apprécié le rendu des rêves de Bruce, et d’une manière générale la façon habile de présenter l’histoire.
(Une fois encore avec cet auteur, c’est arrivé presque à la moitié du livre que son intérêt jaillit. J’avais déjà noté que c’était une œuvre mineure, après l’impression de déjà vu due à son histoire familiale.)
Le titre original, Recapitulation, a les mêmes acceptions qu’en français, notamment celles de "sommaire", etc. Le Merriam-Webster précise l’une d’elles : “the hypothetical occurrence in an individual organism's development of successive stages resembling the series of ancestral types from which it has descended so that the ontogeny of the individual retraces the phylogeny of its group”, et Le Grand Robert confirme : « Loi de récapitulation, d'après laquelle l'ontogénie répète la philogénie (et l'embryologie correspond à l'anatomie comparée). » Voilà qui éclaire me semble-t-il l’approche de Wallace Stegner révélée dans la seconde partie (sur quatre) de ce roman :
« Vu et invisible, éclairé et enténébré, tout était présent sans effort. C’était un espace de vie jadis accepté et utilisé, sur lequel il s’était reposé sans incertitude, sans même s’en rendre compte, une sécurité figée comme l’expression d’un visage au moment d’un instantané photographique. Ce territoire contenait et limitait une histoire, personnelle et sociale, dans laquelle il s’était jadis construit. C’était sa place – d’abord son problème, puis son huître et aujourd’hui le musée ou le diorama où étaient conservées des versions antérieures de lui-même. »
Bruce reste le dernier de la famille… Par contre, je n’ai pas de vraie raison au titre en français ; je ne sais pas non plus pourquoi les éditions Gallmeister ont publié ce livre dans la collection "nature writing". Le véritable thème, outre un retour de l’auteur sur son existence, est celui de l’élaboration des souvenirs. Bruce à coutume de noter dans un carnet noir ce qu’il doit faire, et de le caviarder lorsque c’est fait :
« Ce qui ne lui plaisait pas, il pouvait soit le biffer soit le corriger. La mémoire, tantôt agent de conservation, tantôt tampon du censeur, pouvait être aussi un art. »

Mots-clés : #famille #relationenfantparent

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Message par Bédoulène Jeu 7 Mai - 10:32

merci Tristram, j'y viendrai !

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Message par Tristram Lun 20 Juil - 13:04

En lieu sûr

psychologique - Wallace Stegner - Page 5 Cvt_en10

À ranger dans le (grand) rayonnage "les universitaires parlent des universitaires" ‒ question de fond qui me taraude : écrivent-ils parce qu’ils sont universitaires, ou deviennent-ils universitaires pour écrire ? Même question pour les journalistes qui parlent des journalistes ‒ mais je tâterais bien des terrassiers qui parlent des terrassiers, pour changer…
De nouveau également le « vieux » (l’auteur avait 78 ans à la parution du livre, et Larry le narrateur a mon âge) qui parle de vieillesse et de souvenirs, et même un vieux couple ‒ pas nouveau, notamment chez Stegner…
A propos, Larry est un écrivain, qui parle donc… d’écriture. Aussi d’une certaine élite intellectuelle, privilégiée ‒ volontiers réfugiée dans son « pensoir »… Et le propos est toujours d’actualité.
« Les écrivains sont-ils reporters, prophètes, agitateurs, amuseurs, prédicateurs, juges, quoi d’autre encore ? Qui les nomme porte-parole ? Et s’ils s’autoproclament tels, ce qui est manifestement le cas, quelle est la validité de ce mandat ? Si, comme le pensait Anatole France, c’est exclusivement la durée qui fait les chefs-d’œuvre, alors les grands écrits ne sont que tâtonnements ayant surmonté l’épreuve du temps ; et, s’ils se ramènent à cela, il faut par-dessus tout qu’ils soient libres, qu’ils procèdent du talent et ne résultent pas de contraintes extérieures. Le talent est sa propre justification, et l’on ne saurait dire avec certitude, avant le pourvoi devant la postérité, s’il vaut vraiment quelque chose ou bien n’est que l’expression éphémère d’un engouement ou d’une tendance, l’expression d’un stéréotype. »

« Une écriture longuement travaillée est gage d’une lecture facile. »

« ‒ Je croyais justement que la fiction était l’art de rendre la vérité à partir du factice. »
Donc un certain entre-soi :
« L’amicitia dure mieux que la res publica et au moins aussi bien que l’ars poetica. »
Langage d’initiés des gens cultivés ; j’ai suivi approximativement les références mythologiques (beaucoup moins celles à la littérature anglo-saxonne de l’époque).
« …] ma Sally au regard placide et au front de Déméter. »

« …] des vaches jersiaises, belles comme des biches, les regardent passer avec des yeux de Junon. »
Larry s’est hissé avec beaucoup d’efforts dans la sphère de ce gotha, est c’est peut-être pourquoi il défend les valeurs méritocratiques :
« Il n’empêche que, lorsque j’ai vent du dénigrement actuel de l’ambition et de l’éthique du travail, cela me hérisse. C’est plus fort que moi. »

« L’ambition est une voie, non une destination, et cette voie est essentiellement la même pour tout le monde. »
À noter que Charity, l’autoritaire planificatrice qui régente, a de l’ambition pour Sid, son mari. De fait, le roman tourne autour de cette dépendance et de…
« …] l’ascension sociale. Il appelait cela le “péristaltisme vertical au sein de la société”. »
La devise du père de Larry me plaît davantage :
« Fais ce que tu aimes faire et cela s’avérera probablement être ce que tu fais le mieux. »
Le milieu académique donc, entre précarité et titularisation :
« Je me suis dit que je ne donnerais pas dans cette attente, cette espérance et cette angoisse. J’ai fait mon boulot. Si on m’aime bien et que l’on juge bon de me reconduire dans ma fonction, tant mieux. Dans le cas contraire, je me débrouillerai. D’ici là, j’ai des devoirs à corriger.
Foutaises, oui ! Sid avait raison : je serais prêt à mettre mon joli corps d’albâtre aux enchères sur la place publique pour conserver mon poste. »

« Ici règnent l’endogamie intellectuelle, la paresse et la peur. »
C’est aussi un roman plein de bons sentiments ‒ sauvé par le style de Stegner, qui glisse malicieusement, en guise d’adroite mise en abyme :
« Comment, à partir d’existences aussi paisibles que celles-ci, faire un livre qui trouverait des lecteurs ? »
La question du manque d’attrait littéraire du bonheur et autres aspects plaisants de l’existence (ou après, confer Dante) est développée plus loin.
« Les méchants et les malheureux ravissaient la vedette parce que le péché et la souffrance étaient le lot universel. Techniquement, le Christ était le héros du Paradis perdu [de Milton] ; en réalité, c’était Satan. La grandeur déchue s’est toujours révélée plus instructive que la perfection. »
Évocation donc de deux jeunes couples très proches, malgré des milieux d’origine très différents ; curieux matriarcat, parfois un peu trop dominateur peut-être ; plaisir dans la nature lors de cette randonnée en Nouvelle-Angleterre ‒ et tout cela rapporté avec beaucoup de finesse, esprit et sensibilité. Les portraits psychologiques sont très fouillés, peu réductibles à des types génériques (mais ils évoquent certains membres de la famille !)
Le serpent n’apparaît dans l’éden qu’à la moitié du livre, et c’est alors seulement que surgira le drame (l’"action" ?)
Une fois encore, c’est en avançant dans le livre qu’il m’a conquis, malgré que j’en eusse…
Stegner reste décidément le grand maître des romans qu’il faut lire jusqu’au bout pour les mériter.

Mots-clés : #famille

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Message par topocl Lun 20 Juil - 17:18

Je sentais une certaine réserve au début de ton commentaire. Mais la persévérance semble récompensée!

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Message par Tristram Lun 20 Juil - 17:34

Oui. Le gars est trop fort : je craque pratiquement à tous les coups. Et ne me restent pour me refaire que les relectures...

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Message par Bédoulène Lun 20 Juil - 20:37

merci Tristram, je note ! j'ai beaucoip aimé l'angle d'équilibre !

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Message par Tristram Ven 19 Mai - 14:10

Le Goût sucré des pommes sauvages

psychologique - Wallace Stegner - Page 5 Le_goz11

Cinq nouvelles.
Le Goût sucré des pommes sauvages : celles d’un verger abandonné près d’un village mort du Vermont.

Jeune fille en sa tour : un retour dans l’espace et le temps, et le ressouvenir de l’innocence perdue.

Guide pratique des oiseaux de l’Ouest : le narrateur, Joe Allston, un agent littéraire à la retraite, savoure l’environnement aviaire de sa nouvelle propriété californienne. Invité à un cocktail rupin avec son épouse Ruth chez Bill et Sue Casement :
« Sam Shields, l’homme à la bétonnière increvable et aux étendues d’allées et de patios cimentés, de fosses à barbecue et autres incinérateurs, proche voisin des Allston, maçon qui, défiant le paradis et l’isostasie, a bâti lui-même sa maison au bord de la faille de San Andreas. »

« Nous contournons le plongeoir, poussons jusqu’à la pelouse, plus souple et plus paisible, avec la texture d’un tapis merveilleusement épais. Quelque chose sous mon pied, oups ! qu’est-ce que c’est que ça ? Un arceau de croquet. La moitié d’un bon verre renversé sur la robe de Ruth ? Non. Un autre Japonais se porte à la rescousse, sorti du gazon tel un champignon. Merci, merci. Grand sourire aux dents éclatantes, impossible de savoir ce qu’il pense. Du mépris ? Ces Américains qui picolent ? Mais quid alors de toute leur gentillesse, leur hospitalité, leur générosité ? Qu’est-ce que vous en faites, mon vigilant et impeccable ami, toutes dents dehors ? Préféreriez-vous que nous soyons des aristocrates français tout droit sortis de chez Henry James ? Absurdité. N’abrite probablement aucune pensée de ce genre. Bon serveur, bien formé. »

« Des Américains spirituellement vides passent leur temps à importer des zèbres, des léopards ou des crocodiles en guise d’animaux de compagnie. Cela fait partie de cette démangeaison qui les porte à l’acquisition et au sensationnel. La décadence romaine. »
La soirée est dédiée à la promotion d’un jeune pianiste juif polonais, Arnold Kaminsky, d’entrée antipathique à Joe qui le voit comme un « génie glandulaire » :
« Sue s’est arrêtée à une table voisine pour parler aux Ackerman, au critique chenu et au fabricant de clavecins. La petite prof de musique, stéréotype de la sœur sans charme dans un roman de Jane Austen, a réussi à s’introduire dans ce cercle musical. On se croirait dans un traité d’ornithologie : la façon dont les espèces restent entre elles et dont les juncos, linottes et autres granivores sautillent en un même endroit, tandis que les merles razzient en masse les baies des houx et que les geais jacassent à n’en plus finir dans les amandiers. La compagnie s’est décomposée en ses éléments : voisins, inconnus, ce petit noyau de musiciens. Voilà que Sue, penchée au-dessus d’eux, fait signe à Kaminsky d’approcher et qu’il arrive en contournant le plongeoir, pareil au petit du coucou, dont le comportement naturel et immuable est de tendre son gosier sans fond et d’engloutir tout ce que lui apporte une mère adoptive inepte. »
Mais, malgré sa grande expérience, Joe s’interroge vainement…

Fausses perles pêchées dans la fosse de Mindanao : Robert Burns, « ambassadeur culturel représentant une fondation en faveur de l’unité de l’humanité », parcourt le (Tiers) monde avec bonne volonté, mais au détriment de sa santé ; présentement aux Philippines, il est confronté à une réalité humaine qui le laisse dubitatif.

Genèse : un jeune Anglais, Rusty Cullen, devient cow-boy dans le Saskatchewan, et participe à un rassemblement de bétail avant l’hiver. Le froid s’établit, ce qui occasionne une savoureuse variation aux « parolles gelées » de Rabelais :
« Il avait déjà tout compris sans trop de mal. Il faisait tellement froid dehors que, sitôt prononcées, leurs paroles s’étaient trouvées congelées, solidifiées comme du plomb. Ensuite, quand ce dégel rapide s’est produit, elles se sont détachées d’un coup d’un seul pour tomber sur la tête de ce vieux Dan comme des pointes de glace se détachent du bord d’un toit. Mais il expliquait qu’après ça, même après avoir compris l’affaire, il n’avait plus été question pour lui de rester là-haut : ça le mettait mal à l’aise de penser que quelqu’un pouvait à tout moment lui hurler dans l’oreille avec trois mois de décalage. Il disait qu’il avait toujours préféré sa conversation fraîche plutôt que réfrigérée. »
Un blizzard disperse les bêtes, et ils doivent fuir à pied dans une autre tourmente glacée, en réchappant de justesse. Rusty a commencé d’apprendre l’héroïsme ordinaire de la solidarité en milieu hostile.
Le troisième et surtout le cinquième texte sont de plus longues nouvelles, voire des novellas, et toutes des jalons du voyage de l’existence de Stegner, comme autant d’amorces de romans, ainsi qu’il le confie dans une note en postface de 1989 :
« Il ne serait pas juste de dire que ces nouvelles, réunies à l’approche du terme d’une vie d’écriture, constituent une autobiographie, même fragmentaire. Pour m’y être essayé, j’ai compris qu’on ne pouvait m’y faire confiance. Je hais le côté restrictif des faits ; je ne puis m’empêcher de remanier, supprimer, ajouter, enjoliver, inventer et améliorer. L’exactitude m’importe moins que la suggestivité ; j’ai la mémoire aussi inventeuse qu’enregistreuse et, lorsqu’elle a œuvré dans ces récits, ce fut presque aussi librement que s’ils n’avaient rien à voir avec mon histoire personnelle. […]
Si l’art est un produit dérivé de la vie, et c’est mon opinion, alors j’entends que ma production reste aussi proche que possible de la terre et de l’expérience humaine. Or la seule terre que je connaisse est celle sur laquelle j’ai vécu, la seule expérience humaine dont je sois sûr est la mienne. »

\Mots-clés : #nouvelle

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Message par Bédoulène Sam 20 Mai - 8:03

merci Tristram ! tentée par les pommes ! Wink

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