Virginia Woolf
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Re: Virginia Woolf
Tant mieux , c'est fait pour Tristam !
églantine- Messages : 4431
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Re: Virginia Woolf
Orlando
Avec cette identité changeante, instable d'Orlando ― et non seulement parce qu'il ou elle change de sexe ― avec tous ces éléments extérieurs (personnages et circonstances) qui, au lieu de passer pour réels ou objectifs, n'existent que sous forme de perceptions subjectives, le roman de Woolf s'impose comme l'étrange biographie d'une conscience. Conscience fragmentée ni plus ni moins de tous les éléments du livre, vie simultanément vécue de l'intérieur et écrite par un tiers. On peut considérer que tout ce qui est raconté dans le roman n'est pas uniquement une fantaisie de Woolf mais soit une invention du biographe d'Orlando, lequel avoue son ignorance et conçoit sa liberté de broder ; soit comme un fantasme d'Orlando lui-même. Et Woolf ? elle est une créatrice à la fois distante et fusionnelle, à la fois tendre et très ironique ; se fichant pas mal de la fameuse distinction entre auteur ― narrateur (le biographe) ― personnage (Orlando), elle s'implique toutefois sur un point essentiel du livre, le rapport d'Orlando à l'écriture et à la littérature.
Malgré toute ses métamorphoses Orlando reste fondamentalement le même. Toujours de son époque et cependant à part des autres. Il mûrit sur quatre siècles, pendant que la littérature, de même, évolue. Woolf fait pour cette dernière la somme de ces réinventions successives pour mieux s'en détacher, au lieu d'être parti prenante de l'une d'entre elles. L'originalité, le nouveau en littérature est un champs que Woolf explore avec un lyrisme dont l'intensité (et l'amour qu'il suppose) ne faiblit qu'à de rares périodes.
Avec cette identité changeante, instable d'Orlando ― et non seulement parce qu'il ou elle change de sexe ― avec tous ces éléments extérieurs (personnages et circonstances) qui, au lieu de passer pour réels ou objectifs, n'existent que sous forme de perceptions subjectives, le roman de Woolf s'impose comme l'étrange biographie d'une conscience. Conscience fragmentée ni plus ni moins de tous les éléments du livre, vie simultanément vécue de l'intérieur et écrite par un tiers. On peut considérer que tout ce qui est raconté dans le roman n'est pas uniquement une fantaisie de Woolf mais soit une invention du biographe d'Orlando, lequel avoue son ignorance et conçoit sa liberté de broder ; soit comme un fantasme d'Orlando lui-même. Et Woolf ? elle est une créatrice à la fois distante et fusionnelle, à la fois tendre et très ironique ; se fichant pas mal de la fameuse distinction entre auteur ― narrateur (le biographe) ― personnage (Orlando), elle s'implique toutefois sur un point essentiel du livre, le rapport d'Orlando à l'écriture et à la littérature.
Malgré toute ses métamorphoses Orlando reste fondamentalement le même. Toujours de son époque et cependant à part des autres. Il mûrit sur quatre siècles, pendant que la littérature, de même, évolue. Woolf fait pour cette dernière la somme de ces réinventions successives pour mieux s'en détacher, au lieu d'être parti prenante de l'une d'entre elles. L'originalité, le nouveau en littérature est un champs que Woolf explore avec un lyrisme dont l'intensité (et l'amour qu'il suppose) ne faiblit qu'à de rares périodes.
Dreep- Messages : 1539
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Age : 31
Re: Virginia Woolf
« À coup sûr, puisqu’elle est une femme, et une femme splendide, et une femme à la fleur de l’âge, elle va en finir bientôt avec cette affectation d’écriture et de pensée, et se mettre à penser, disons, à un garde-chasse (tant qu’une femme pense à un homme, personne ne lui reproche de penser). Alors elle lui écrira un petit mot (et tant qu’elle écrit des petits mots, personne ne reproche à une femme d’écrire non plus) pour lui donner rendez-vous dimanche à la tombée du jour [… »
Virginia Woolf, « Orlando », VI
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15547
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Re: Virginia Woolf
La Chambre de Jacob
traduction de Adolphe Haberer, Gallimard 2012.
J’avais lu Les Vagues, Vers le Phare, Mrs Dalloway, sans doute dans le désordre et sur plusieurs dizaines d’années et je voulais m’attaquer à la Chambre de Jacob. La seule chose que je savais, c’était que Virginia Woolf avait voulu rendre hommage à son frère disparu.
En général, je ne lis rien sur l’ouvrage avant de me faire mon opinion (ni sur le forum ni ailleurs). J’ai donc lu et découvert une œuvre qui demande « une lecture attentive », T.S. Eliot (4 décembre 1922) : "Ce ne sera pas une surprise qu’on vous dise que c’est un livre qui demande une lecture attentive – je dirais qui oblige une lecture attentive ; lecture attentive car V. Woolf expérimente dans ce premier roman ce qu’elle avait commencé à mettre en œuvre dans les nouvelles"; ce que souligne encore Eliot : « Il semble que vous ayez comblé un certain fossé qui existait entre vos autres romans et la prose expérimentale de Lundi ou mardi et que vous avez admirablement réussi ». Cela semble décousu au départ disons « impressionniste », c’est plus exact. J’étais un peu perdue et là, j’ai commencé à penser à Joyce. J’avais attaqué en ayant James et Mansfield en tête et finalement, j’étais devant l’écriture moderne qu’avait voulue V. Woolf.
Jacob est bien la figure centrale du roman depuis l’enfance jusqu’à l 'âge adulte, de son entourage familial à son passage à l’université puis à ses voyages en Italie et en Grèce ; autour de lui « bourdonnent » des conversations mondaines, les discussions avec les jeunes hommes de son âge, les rencontres juste suggérées avec les femmes. Il faut ajouter la nature très présente, la mer, Londres, Saint-Paul, les rues, les différents quartiers et puis Rome et surtout la Grèce. Entre prose et poésie, c’est assez difficile à raconter, c’est tout à la fin que l’on comprend complètement le titre.
La mise en page confirme cette relation entre prose et poésie. Des espaces, parfois plusieurs lignes blanches séparent des paragraphes ; elles sont très importantes pour le lecteur et sont plus qu’une coquetterie d’édition.
Extraits
Mrs Jarsis, voisine de la mère de Jacob se promène sur la lande
Ce long extrait mêle évocation d’un personnage et de l’ambiance (pour être prosaïque, ce que n’est pas V. Woolf), comme dans le reste du roman le passage des réflexions intérieures, des descriptions du paysage, des images intérieures se fait de manière « fluide »
«
»Mrs Jarvis se promenait sur la lande quand elle était malheureuse, elle allait jusqu’à un certain creux en forme de soucoupe, bien qu’elle eût toujours l’intention d’atteindre une crête plus lointaine ; et elle s’asseyait là, et sortait le petit livre dissimulé sous sa pèlerine et lisait quelques vers, et regardait autour d’elle. Elle n’était pas très malheureuse, et considérant qu’elle avait quarante-cinq, ne peut-être ne serait-elle jamais très malheureuse, c’est-à-dire désespérément malheureuse, au point de quitter son mari, et de ruiner la carrière d’un pauvre homme, comme elle menaçait parfois de le faire.
Pourtant, il n’est pas besoin de dire les risques que court une femme de pasteur quand elle se promène sur la lande. Petite, brune, les yeux ardents, une plume de faisan à son chapeau, Mrs Jarvis était exactement le genre de femme à perdre la foi sur la lande – c’est-à-dire à confondre son Dieu avec l’universel – mais elle ne perdit pas la foi, elle ne quitta pas son mari, elle ne termina jamais son poème, et continua à se promener sur la lande, regardant la lune derrière les ormes et sentant, assise sur l’herbe là-haut au-dessus de Scarborough ….Oui, oui, quand l’alouette prend son essor ; quand les moutons, avançant d’un pas ou deux, broutent l’herbe, et en même temps font tinter leurs cloches ; quand la brise se met à souffler, puis tombe, laissant un baiser sur la joue ; quand les bateaux en bas sur la mer semblent croiser et poursuivre leur route comme tirés par une main invisible ; quand il y a de lointains ébranlements dans l’air et des cavaliers fantômes qui galopent, qui s’arrêtent ; quand l’horizon est baigné de bleu, de vert, d’émotion, Mrs Jarvis poussant un soupir pense en elle-même « Si seulement quelqu’un pouvait le donner …si seulement je pouvais donner à quelqu’un…. » Mais elle ne sait pas ce qu’elle veut donner, ni qui pourrait le lui donner.
«
»Vénérables sont les lettres, infiniment vaillantes, désespérées et perdues.
La vie sans elles voleraient en éclats. « Venez prendre le thé, venez dîner, qu’y a-t-il de vrai dans cette histoire ? connaissez-vous la nouvelle ? la vie est gaie dans la capitale ; les Ballets russes…. » Ce sont elles qui nous soutiennent et nous maintiennent. Ce sont elles par qui nos jours s’entrelacent et qui font de la vie un globe parfait. Et pourtant, et pourtant…quand nous nous rendons à un dîner, quand avec une pression du bout des doigts nous espérons bientôt nous revoir quelque part, un doute s’insinue : est-ce ainsi qu’il faut passer nos jours ? ces jours rares limités, dont la donne est si vite épuisée – à boire du thé ? à dîner en ville ? Et les billets s’accumulent. Et les téléphones sonnent. Et pourtant où nous allons nous sommes environnés de fils et de tubes portant les voix qui cherchent à pénétrer avant que la dernière carte ne soit donnée et que les jours soient terminés. « Cherche à pénétrer » car au moment où nous levons la tasse, serrons la main, exprimons l’espoir, quelque chose chuchote : Est-ce là tout ?
«
»Je dirais plutôt, dit Jacob, en ôtant sa pipe, de la bouche, que c’est dans Virgile » et repoussant sa chaise, il alla vers la fenêtre.
Les conducteurs les plus casse-cou du monde sont, à coup sûr, les conducteurs de camionnettes de la poste. Dévalant Lamb’s Conduit Street, la camionnette rouge prit le virage près du pilier de la boîte aux lettres de telle manière qu’elle frôla la bordure du trottoir et que la petite fille qui leva les yeux mi-effrayée, mi-curieuse. Elle s’arrêta, la main dans la fente de la boîte ; puis lâcha sa lettre et partit en courant. Ce n’est que rarement que nous voyons un enfant sur la pointe des pieds avec pitié -le plus souvent une gêne obscure, un grain de sable dans la chaussure qui ne vaut guère la peine qu’on l’enlève – voilà ce qu’on ressent et donc -Jacob se tourna vers la bibliothèque.
«
»Telle est la vie des vieilles gens.
Il est curieux, couché dans un bateau, d’observer les vagues. En voici trois qui viennent régulièrement l’une après l’autre, toutes à peu près de la même taille. Puis courant derrière elles, arrive une quatrième, très grosse et menaçante ; elle soulève le bateau ; elle continue sa course ; se perd on ne sait comment sans avoir rien accompli ; s’aplatit avec les autres.
…………
Oui, des fenêtres mêmes, aussi bien au crépuscule, vous voyez grossir un flot qui court dans la rue, une aspiration, comme avec les bras tendus, les yeux pleins de désir, les bouches ouvertes. Et puis nous retombons paisiblement. Car si cette exaltation durait nous serions emportés comme l’écume lancée en l’air. Les étoiles brilleraient à travers nos corps.. Nous partirions avec la tempête en gouttes d’eau salée – comme cela arrive parfois.
Pinky- Messages : 462
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Re: Virginia Woolf
Je me demande s'il y a un écho, dans ce titre, d'Une chambre à soi ? Ce livre m'avait marqué, m'y reconnaissant profondément...
Sinon, j'avais prévu de lire Les heures, de Cunningham, que les passages extraits me ramentoivent par avance ; mais il semble que je doive me résoudre à y surseoir, pour cause de LC Grand Meaulnes...
Sinon, j'avais prévu de lire Les heures, de Cunningham, que les passages extraits me ramentoivent par avance ; mais il semble que je doive me résoudre à y surseoir, pour cause de LC Grand Meaulnes...
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Tristram- Messages : 15547
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 67
Localisation : Guyane
Re: Virginia Woolf
Oui sans doute ouverture vers Une Chambre à soi, qui, si je me souviens bien, est une revendication féministe. Importance des lieux pour parler de leurs habitants, des objets qu'ils contiennent
Quant aux Heures, j'ai vu le film de Stephen Daldry mais pas lu le livre de Cunningham. J'avais beaucoup aimé.
Il y a Meaulnes qui nous attend. Je recherche en vain les photos que j'avais faites de sa maison, de la mairie-école et du monument aux morts de la Chapelle-d'Angillon en plein Berry et où j'ai de la famille.
Quant aux Heures, j'ai vu le film de Stephen Daldry mais pas lu le livre de Cunningham. J'avais beaucoup aimé.
Il y a Meaulnes qui nous attend. Je recherche en vain les photos que j'avais faites de sa maison, de la mairie-école et du monument aux morts de la Chapelle-d'Angillon en plein Berry et où j'ai de la famille.
Pinky- Messages : 462
Date d'inscription : 28/11/2021
Re: Virginia Woolf
Mon souvenir d'Une chambre à soi n'a rien de féministe (puisque je suis du genre masculin ). En tout cas la revendication d'un espace privé ne me paraît pas genrée : elle est valable pour tous, même si on peut concevoir qu'une femme y aurait globalement moins accès qu'un homme...
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Tristram- Messages : 15547
Date d'inscription : 09/12/2016
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Re: Virginia Woolf
La Chambre de Jacob
Ce qui est remarquable chez Virginia Woolf, c'est cette constance au niveau de la technique narrative. Technique qu'elle n'a eu de cesse de perfectionner, et qui toujours peut déstabiliser, en ce qu'elle donne à ses romans un aspect plus ou moins fragmentaire, sinon éclaté. C'est particulièrement vrai avec La Chambre de Jacob, roman publié six ans avant Orlando. À l'instar d'Orlando, ce roman s'organise autour d'un seul personnage. Mais les points de vues brassés dans La Chambre de Jacob ― pris dans l'entourage direct du jeune homme ou plus éloignée de lui ― se comptent par dizaines. Ou disons plutôt qu'il s'agrègent sur celui qui, pour un temps, compte plus pour celui qui en fait l'objet : celui de la mère, de l'ami ou de l'amoureuse.
Les réflexions de ceux-ci s'accompagnent des remarques plus ou moins futiles de tous les autres. Mais ces réflexions plus précieuses ont tendance à se confondre dans la masse vétilleuse, sauf lorsqu'elles évoquent la Grèce antique ou William Shakespeare*. Ces amourettes de passages ne vaut pas beaucoup plus que ce qu'elles sont, et ces personnages autour de Jacob ne se distinguent pas tellement les uns des autres, restent à la surface du personnage, de sorte que son portrait paraît inconsistant, plus qu'évanescent ou estompé. La puissance de sa prose est en revanche une nouvelle fois rendue dans les mille petits détails naturels et les scintillement qu'elle décrit si bien. Julien Gracq disait à propos des paysages que loin d'être seulement décoratifs, ils ont un rôle égal à celui des personnages. Avec ceux de Woolf, s'expriment de concert ces manifestations secrètes et animées de la nature.
*: Cet antagonisme entre la futilité environnante et les aspirations plus romantiques de Jacob est régulièrement mis en relief.
Ce qui est remarquable chez Virginia Woolf, c'est cette constance au niveau de la technique narrative. Technique qu'elle n'a eu de cesse de perfectionner, et qui toujours peut déstabiliser, en ce qu'elle donne à ses romans un aspect plus ou moins fragmentaire, sinon éclaté. C'est particulièrement vrai avec La Chambre de Jacob, roman publié six ans avant Orlando. À l'instar d'Orlando, ce roman s'organise autour d'un seul personnage. Mais les points de vues brassés dans La Chambre de Jacob ― pris dans l'entourage direct du jeune homme ou plus éloignée de lui ― se comptent par dizaines. Ou disons plutôt qu'il s'agrègent sur celui qui, pour un temps, compte plus pour celui qui en fait l'objet : celui de la mère, de l'ami ou de l'amoureuse.
Les réflexions de ceux-ci s'accompagnent des remarques plus ou moins futiles de tous les autres. Mais ces réflexions plus précieuses ont tendance à se confondre dans la masse vétilleuse, sauf lorsqu'elles évoquent la Grèce antique ou William Shakespeare*. Ces amourettes de passages ne vaut pas beaucoup plus que ce qu'elles sont, et ces personnages autour de Jacob ne se distinguent pas tellement les uns des autres, restent à la surface du personnage, de sorte que son portrait paraît inconsistant, plus qu'évanescent ou estompé. La puissance de sa prose est en revanche une nouvelle fois rendue dans les mille petits détails naturels et les scintillement qu'elle décrit si bien. Julien Gracq disait à propos des paysages que loin d'être seulement décoratifs, ils ont un rôle égal à celui des personnages. Avec ceux de Woolf, s'expriment de concert ces manifestations secrètes et animées de la nature.
*: Cet antagonisme entre la futilité environnante et les aspirations plus romantiques de Jacob est régulièrement mis en relief.
Dreep- Messages : 1539
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