Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 8:02

24 résultats trouvés pour captivite

Olivier Rolin

Le Météorologue

Tag captivite sur Des Choses à lire Index116

Biographie du Russe/Ukrainien d’origine hollandaise Alexeï Féodossiévitch Vangengheim (1881 - 1937), « directeur du Service hydro-météorologique unifié de l’URSS, président du Comité hydro-météorologique près du Soviet des commissaires du peuple, chef du Bureau du temps, président du Comité soviétique d’organisation de la seconde année polaire, et des tas de titres encore », et victime de Staline parmi tant d’autres en cette époque d’arbitraire où on passait subitement de héros du travail à saboteur.
« Il semble que la torture, qui sera courante dans les années de la "Grande Terreur", en 1937-1938, ne soit pas d’un usage systématique en 1933-1934 : nous n’en sommes encore qu’à la Terreur ordinaire. »

Sont évoqués Édouard Herriot, qui visite l’Ukraine en pleine famine sans la voir, Louis Aragon (auteur du vibrant et apparemment inconditionnel poème Liberté) louant la Guépéou et le goulag…
« Conjuguant l’élimination des paysans riches ou supposés tels (il suffit parfois de posséder une vache pour être décrété "koulak" et déporté ou fusillé), la collectivisation à marche forcée et les réquisitions de grain, la politique démente de Staline entraîne en Ukraine une famine atroce. Des millions de gens, trois millions sans doute, meurent pendant les années 1932-1933 sur les terres où Alexeï Féodossiévitch a passé son enfance et sa jeunesse. Quand on a fini de manger les chats, les chiens, les insectes, de ronger les os des animaux morts, de sucer les herbes, les racines et les cuirs, il arrive qu’on mange les morts, il arrive même qu’on les aide à mourir. »

Comme quoi l’Histoire, qui paraît-il ne se répète pas, parfois nous rattrape.
Vangengheim est envoyé au camp des îles Solovki, un des premiers du Goulag, où là déjà le travail bien exploité rééduque avant de libérer…
Ce qui est le plus terrible pour ce véritable précurseur (énergies éolienne et solaire, etc.), qui ne perd jamais sa « foi dans le Parti », c’est le non-sens, l’absurdité de son sort. Il y eut peut-être du calcul dans l’attitude de ce zek toujours partisan du pouvoir qui le prive de sa vie (espoir d’un revirement à son avantage, protection de sa femme et sa fille), ou de l’aveuglement, mais il semble qu’au fond il n’ose admettre la terrible dérive du bolchévisme.
« J’espère toujours que la raison triomphera, c’est beaucoup plus important que mon destin personnel. »

« Je crains en mon âme que personne ne se soucie de la vérité. »

Le fait est que l’aberration totale et durable du communisme soviétique me paraît toujours assez incompréhensible, voire sidérante, et peut-être aussi irrationnelle que celle d’une secte.
La plupart des bourreaux seront eux-mêmes fusillés.
« Cette autodestruction des bourreaux montre la folie de l’époque. »

Reste que Vangengheim fut au nombre des millions de personnes sacrifiées à une terrifiante mécanique d’une grotesque injustice, une course en avant de la bêtise.
« Ça ne change d’ailleurs pas grand-chose, mais c’est assez caractéristique : il faut attendre trois ans pour apprendre pourquoi on est condamné… »

(Apparemment c’est Vangengheim qui parle, ce n’est pas toujours très clair.)
« …] il fallait trouver des boucs émissaires pour les désastres de l’agriculture collectivisée, et les responsables des prévisions météorologiques étaient des candidats tout désignés à ce rôle. »


\Mots-clés : #biographie #captivite #regimeautoritaire
par Tristram
le Sam 23 Avr - 13:01
 
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Sujet: Olivier Rolin
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Albert Londres

L’Homme qui s’évada
(Adieu Cayenne ! serait une nouvelle version de 1932.)

Tag captivite sur Des Choses à lire L_homm12

Camille-Eugène-Marie Dieudonné, ébéniste proche de la mouvance anarchiste, est accusé d'appartenir à la bande à Bonnot, et d'avoir participé à l'attaque d'un agent de change ; probablement innocent, il est condamné à la guillotine et gracié par Poincaré, puis envoyé aux travaux forcés dans le bagne de Cayenne, où Londres le rencontre en 1923 (voir son enquête Au bagne).
Comme dans Une journée d'Ivan Denissovitch (Soljenitsyne) et les autres camps de concentration,
« Ce ne sont pas les gardiens qui gardent les forçats au bagne, ce sont les forçats qui se gardent mutuellement. »

Londres retrouve Dieudonné en 1927 au Brésil, comme sa troisième tentative d’évasion a réussi. Il le laisse parler, et le livre est leur dialogue. Sa relation est haute en couleur : naufrage en pirogue et séjour dans la mangrove, puis en forêt, traqués par les « chasseurs d’hommes », nouveau départ avec l’étonnant Strong Devil, de Sainte-Lucie, « au nom du Diable » :
« Comptez. Dans la première pirogue : six. L’un est mort ; trois autres sont repris ; Jean-Marie rentre au bagne sur le Casipoor [extradé par le Brésil] ; moi, je suis assis sur mes dalles, derrière mes barreaux.
Cinq dans la seconde pirogue. Ne parlons plus de Jean-Marie et de moi ; le troisième : mort ; les deux autres : pas encore à Belém après quatre mois, ce qui signifie qu’ils n’ont pas réussi. »

On assiste à la noyade de l’un, à l’agonie de « l’Autre ».
« L’Autre vit encore. »

Expérience vécue, avec la confusion des faits véridiques, mais aussi de véritables qualités humaines.
« Quelques maisons.
(Ceux qui n’ont pas entendu Dieudonné – c’est-à-dire vous tous – prononcer à cette minute ces deux mots : quelques maisons, n’entendront jamais tomber du haut de lèvres humaines la condamnation du désert !) »

Quelques inexactitudes cependant, et des faits difficiles à croire.
« – On se nourrissait. L’homme peut manger ce que le singe mange. On les observait. Vous ne pouvez imaginer comme c’est rigolo à regarder vivre les singes ! Ainsi, ils craignent l’eau. Savez-vous comment ils passent les criques ? Le plus fort s’attache à une branche haute ; un autre se pend après le premier, et tous se pendent à la suite, de manière à faire juste la longueur de la crique, dix mètres, vingt mètres, ça dépend. Jamais ils ne se trompent.
Quand ils sont le nombre qu’il faut, ils se mettent à se balancer, le singe de queue attrape une branche de l’autre côté de la crique. Le pont suspendu est établi. Toute la tribu le traverse, dos en bas. Quand elle a passé, le singe de tête, celui qui soutenait la guirlande, lâche tout. Et le "pont" ainsi détaché franchit l’eau redoutée. »

Profitant d’un imbroglio politique, le forçat est paradoxalement protégé par la police brésilienne, qui refuse de le renvoyer à l’administration pénitentiaire française ; il pourra revenir en France avec Londres, gracié.

\Mots-clés : #captivite #exil #historique #temoignage
par Tristram
le Sam 19 Fév - 11:24
 
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Sujet: Albert Londres
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Alexandre Soljenitsyne

Une journée d'Ivan Denissovitch

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Une journée de Choukhov, matricule CH-854, dans un goulag où, condamné à dix ans (au moins) pour avoir été fait prisonnier par les hitlériens pendant la Seconde Guerre mondiale (il aurait pu avoir été retourné comme espion...), il est maçon dans la construction d’une centrale électrique, depuis huit ans (on est en 1951). Le texte, extrêmement factuel et prosaïque, très lisible, est chronologique, rapportant les échanges des prisonniers, avec quelques passages en italiques qui explicitent des situations. Parmi ses compagnons, il y a des intellectuels, comme Vdovouchkine, mais aussi Senka, un rescapé de Buchenwald, et bien sûr on rapproche les deux usines à broyer des hommes ; au goulag, les gardiens sont plus proches des détenus que dans les camps nazis. Une certaine solidarité dans les brigades coexiste avec les comportements égoïstes, dans un quotidien de petites combines au jour le jour (les déportés eux aussi s’organisent).
« Au camp, on a organisé la brigade pour que ce soit les détenus qui se talonnent les uns les autres et pas les gradés. C’est comme ça : ou bien rabiot pour tous, ou bien on la crève tous. Tu ne bosses pas, fumier, et moi à cause de toi, je dois la sauter ? Pas question, tu vas en mettre un coup, mon salaud ! »

Parmi leurs maux de déportés luttant pour leur survie, le froid…
« Il fait moins 27. Choukhov, lui, fait 37,7. C’est à qui aura l’autre. »

« Ça s’est réchauffé, remarque tout de suite Choukhov. Dans les moins 18, c’est tout ; ça ira bien pour poser les parpaings. »

… et la faim, la kacha, claire bouillie de céréales, étant distribuée en maigres rations…
« Ce qu’il a pu en donner, Choukhov, d’avoine aux chevaux depuis son jeune âge... il n’aurait jamais cru qu’un beau jour il aspirerait de tout son être à une poignée de cette avoine ! »

« Choukhov avait moins de difficulté pour nourrir toute sa famille quand il était dehors qu’à se nourrir tout seul ici, mais il savait ce que ces colis coûtaient et il savait qu’on ne pouvait pas en demander à sa famille pendant dix ans. Alors, il valait mieux s’en passer. »

À noter aussi la résilience des zeks, et la dignité humaine préservée de certains, comme Choukhov qui ne parvient pas à se départir de son inclination pour le travail bien fait…
Témoignage d’une expérience vécue par l’auteur, cette novella (que j’ai lue dans sa première traduction française) révéla le Goulag en Occident en 1962 ; on y prend la mesure du système concentrationnaire planifié, quel que soit le régime politique.
« Ce qu’il y a de bien dans un camp de travaux forcés, c’est qu’on est libre à gogo. Si on avait seulement murmuré tout bas à Oust-Ijma qu’on manquait d’allumettes au-dehors, on vous aurait fichu en taule et donné dix ans de mieux. »

« Choukhov regarde le plafond en silence. Il ne sait plus bien lui-même s’il désire être libre. Au début, il le voulait très fort et il comptait, chaque soir, combien de jours de son temps étaient passés, et combien il en restait. Mais ensuite, il en a eu assez. Plus tard, les choses sont devenues claires : on ne laisse pas rentrer chez eux les gens de son espèce, on les envoie en résidence forcée. Et on ne peut pas savoir où on aura la vie meilleure, ici ou bien là-bas.
Or, la seule chose pour laquelle il a envie d’être libre : c’est retourner chez lui.
Mais chez lui, on ne le laissera pas. »

La fin du texte :
« Choukhov s’endort, pleinement contenté. Il a eu bien de la chance aujourd’hui : on ne l’a pas flanqué au cachot ; on n’a pas collé la brigade à la “Cité socialiste”, il s’est organisé une portion de kacha supplémentaire au déjeuner, le chef de brigade s’est bien débrouillé pour le décompte du travail, Choukhov a monté son mur avec entrain, il ne s’est pas fait piquer avec son égoïne à la fouille, il s’est fait des suppléments avec César et il a acheté du tabac. Et, finalement, il a été le plus fort, il a résisté à la maladie. Une journée a passé, sur quoi rien n’est venu jeter une ombre, une journée presque heureuse.
De ces journées, durant son temps, de bout en bout, il y en eut trois mille six cent cinquante-trois.
Les trois en plus, à cause des années bissextiles. »


\Mots-clés : #campsconcentration #captivite #historique #politique #regimeautoritaire #temoignage #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 27 Jan - 15:40
 
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Sujet: Alexandre Soljenitsyne
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Maurice Raphaël

La Croque au sel

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André Breton ne s’y était pas trompé : il y a chez Maurice Raphaël une vraie patte d’écrivain, certes pas encore totalement aboutie, encore trop démarquée de Céline, mais l’essentiel est présent.
L’histoire est celle d’une famille du genre affreux, sales et méchants : les parents, Graine qui marche avec une béquille et qui vient de perdre son dernier emploi de ménage, son mari Poro, invalide depuis longtemps et qui va du lit au fauteuil et du fauteuil au lit, les deux fils, Voves employé d’usine en grève et qui chasse la nuit les chats pour nourrir la famille, Ponce qui est en prison, Kromme son compagnon de cellule tout juste libéré. Il y a encore la plus jeune, Cachou, qui se console avec le chien Albert et enfin la belle Nacre, femme de Ponce et devant laquelle bavent tous les mâles de la famille.
Cette belle brochette d’individus loge dans une HBM (habitation à bon marché) ; occasion pour Maurice Raphaël de fustiger ces constructions et les architectes qui les conçoivent

« Chaque tribu son alvéole. Foyers sans âtre. Tables vides, vides buffets. Corps vides qui se propulsaient dans leur cage avec de lentes grâces d’insectes aveugles. Familles entassées, comprimées, condensées, mises en conserve dans leurs deux pièces si bon marché. Pêle-mêle, les couples et leur portée, vioques et lardons, le bidet, la vaisselle et la lessive en train de sécher sur une corde tendue de long en large dans la salle à manger. Les langes, les dessous, les bas, les cotons, les tampons, les serviettes, girandole dégoulinante de drapeaux loqueteux. Grand pavois de la misère. La misère à même le corps, celle qui s’auréole sous les bras d’arcs en ciel douteux, qui transpire des pieds, pue de toute sa peau dans des hardes raidies. On lave son linge sale en famille. On le lave à l’eau froide et sans savon. Et l’hiver, il n’en finit pas de sécher. »


« D’une cellule à l’autre, d’étage à étage, ça fermentait dur, jour et nuit. Le beau bouillon de culture. Des centaines et des centaines de vibrions en piste, chicanant, ahanant, cancanant, crachant, crottant, se grimpant les uns sur les autres, acharnés à se disputer tout morceau de chair à se mettre sous la dent, emportés par un incessant remous les précipitant têtes contre ventres, cuisses et bras mêlés, tripes enlacées et agglutinant par grappes des corps convulsés de désir, de désespoir et de rage. Bien sûr, c’était dans la norme qu’ils finissent par tous chercher à s’entretuer. »


Autour de ces immeubles c’est un peu un no man’s land de boue et neige fondue, tout du moins jusqu’au Boulevard qui marque une frontière :

« Le boulevard, c’était la frontière entre ceux qui crevaient de faim et ceux qui crevaient de peur. De la peur de ceux qui crevaient de faim. Mais ils étaient assez communément installés dans leur peur, depuis des générations qu’ils se léguaient leur colique de père en fils. Ca les empêchait pas de vivre. Le tout était d’avoir du papier hygiénique assez fin à leur portée. Ils avaient toute une presse et des journalistes bien stylés à cet effet. Ils en avaient les moyens. C’était, somme toute, une peur confortable et bien nourrie. Elle se manifestait en surface, assez naïvement par des verrous de sûreté, des pièges à loup, des tessons sur les murs et de fréquentes rondes d’agents cyclistes. »


L’époque est mal définie, les files devant les commerces, la difficulté pour se chauffer et se nourrir font penser à l’Occupation, mais ce pourrait être aussi l’immédiat après-guerre :

« Une foule se tient facilement debout. C’est tout simple. Une construction aisée et fragile à la fois, comme un château de cartes. Et, il suffisait également d’un rien pour voir la file se disloquer et chacune d’entre les femmes s’en retourner de son côté. Les jambes se retrouvaient par paires, toutes semblables, des jambes uniformes avec leurs varices bleuâtres et leurs pieds que les engelures transformaient en plantes obscènes. Et leurs pas étaient bien pareils et laissaient les mêmes empreintes léchées dans la neige des rues et des terrains vagues. »


« Cela faisait à travers le quartier de longs cortèges funèbres immobiles où l’œil cherchait instinctivement au premier regard la place du corbillard et ne trouvait qu’un pas de porte. Pour ajouter à cette impression, des conversations chuchotées émanait cette sorte de bourdonnement feutré, bordé de deuil, qui accompagne les enterrements. Mais ici le bruit croupissait sur place et les mots, les mêmes mots toujours, repris et abandonnés, se tassaient au creux de chaque bouche et lui pourrissaient les dents lentement. Graine avait des dents noires, très espacées, qui peignaient l’air avec un soin cruel. Et les visages se lançaient les uns aux autres des bouffées de buée, au travers desquelles ils apparaissaient flous et inconsistants. »


L’image d’enfants mourant de malnutrition et de maladies revient fréquemment :

« Graine avait la tête bruissante d’une danse de tout petits cadavres qui avaient des sourires rouges de viande de boucherie et des jambes grêles ratatinées comme des radicelles sous des ventres démesurés aux nombrils proéminents. Ils flottaient à l’intérieur de son crâne empli d’un liquide qui pesait un poids énorme, plus lourd que tout le reste de son corps, et lui faisait craquer les tempes et la nuque. A en hurler. »


Des paragraphes sur la prison sentent le vécu !

« - Le mitard, c’est le cachot. La prison dans la prison. Quelque chose de soigné. L’isolement total, une cellule sans fenêtre. La nuit toute la journée et une gamelle tous les quatre jours. De la flotte avec des épluchures de patates et des fanes de carottes. Tous les quatre jours. Les droits de l’homme.
Et le froid. On te donne des habits de singe pour la cérémonie et chaque soir on te retire les fringues pour la nuit. Si j’ai pas crevé.
Le mitard. Parce qu’à la fin, même en taule, on pourrait arriver à se croire libre en oubliant le reste. Le dehors. Ce serait trop beau. Ils ont trouvé le moyen de créer une super taule, à l’intérieur de l’autre, une plus perfectionnée. Ce que c’est que la civilisation. Les vaches. »


« Mais il avait une très longue habitude des pas-perdus et des itinéraires sans but. Cela ne faisait jamais que quelques pas de plus qui s’ajouteraient aux millions de pas dont il avait tracé le dédale à travers les cellules qui l’avaient détenu. Un voyage au très long cours. Qui continuait. Ne pouvait plus avoir de terme. Il faudrait maintenant l’assommer à coups de merlin pour interrompre sa route. Mais déjà on lui préparait des terminus. Des crosses de mousqueton de garde mobile, des sifflets à faire valser les escargots et des machines à secouer le paletot très perfectionnées l’attendaient au prochain tournant. Tant il est vrai que peut être inquiétante pour l’ordre public et attentatoire à la sûreté de l’Etat, la marche d’hommes qui ne vont nulle part. »


« Je te le dis, accepter l’idée qu’on peut être matraqué, c’est déjà se reconnaître coupable. Vous ne faites riens, d’accord. Vous êtes immobile, les mains en l’air. Vous ne les rabaisserez que pour vous laisser passer les menottes. »


Mots-clés : #captivite #misere #social
par ArenSor
le Ven 15 Oct - 11:18
 
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Sujet: Maurice Raphaël
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Valentine Cuny-Le Callet

Le monde dans 5 m²

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Elle a 19 ans, et par l’intermédiaire de l’ACAT (association chrétienne pour l’abolition de la torture), elle entreprend une correspondance, qui dure encore à ce jour avec Renaldo, un Noir américain qui est depuis dix ans dans le couloir de la mort et clame son innocence. Comme dans les films où on confronte deux personnages antagonistes. Cependant là, c’est la vraie vie, et il s’avère que les personnages ne sont pas si antagonistes que ça.

Peu importe ce qu’il a commis ou pas, Valentine offre son amitié à un homme condamné à la solitude, à la colère et à l’angoisse. Valentine n’est pas la femme des grands combats, en tout cas pas ici, mais bien celle des petits pas qui font avancer la dignité.

Avec une belle économie de moyens, elle a recours aux faits, des faits souvent  incroyables d’absurdité,  qu’elle dévoile avec un précision mesurée et qui se dénoncent eux-même.
Elle raconte surtout une belle histoire de partage et d’amitié.
Ce livre est touchant tant dans sa sobriété que dans sa générosité.


Mots-clés : #amitié #captivite #correspondances #justice
par topocl
le Mar 26 Mai - 9:27
 
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Sujet: Valentine Cuny-Le Callet
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Carlos Liscano

Le Fourgon des fous

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Ce récit est celui de Carlos Liscano, vingt-trois ans, qui subit la torture puis est emprisonné pour treize ans au pénitencier de Libertad, "lui et son corps".
Les aspects techniques de la torture (le « ramollissement » préalable, mise en condition réceptive pour l’épreuve du baril d’eau ; le responsable attitré de chaque prisonnier, seul contact de ce dernier hormis d'autres détenus) assurent l’efficacité de la machine à broyer.
« On torturera pendant un temps assez bref, mais fort, sans ménagements, une dizaine de prisonniers. Cela, à raison d’une demi-heure par prisonnier, prend toute la nuit. Il est impossible qu’un seul groupe de tortionnaires supporte cinq heures de torture. Un prisonnier peut le supporter, un tortionnaire non. »

« On ne peut pas demander à son corps de résister à la douleur et en même temps lui dire qu’il vous dégoûte. Alors on éprouve de la peine pour cet animal. Il provoque le dégoût mais on veut l’aimer, parce que c’est tout ce qu’on a, parce que c’est de sa résistance que dépend votre dignité, une certaine dignité. Parce que ce que veut le tortionnaire c’est que le prisonnier éprouve du dégoût pour lui-même. Qu’il soit dépourvu de défense au point de croire qu’il ne vaut rien, et alors fermer la bouche, mentir, résister n’aura pas de sens. Si on ne vaut rien, si on se dégoûte, que peut-on défendre sous la torture ? Même pas les futurs souvenirs.
Je ne trouve pas comment expliquer à quel point le dégoût de son propre corps fait qu’on se voie différemment, et que cette connaissance est là pour la vie. C’est une dimension que, me semble-t-il, la vie normale ne donne pas, ou alors elle ne donne pas la possibilité d’entrevoir cet aspect primitif et essentiel, qui fait qu’on reconnaisse en soi l’animal. L’animal qu’on est, qu’on a toujours été, qu’on peut redevenir à tout instant, parce qu’on choisit de le redevenir, ou parce qu’on vous y oblige.
Bien des années plus tard je verrai, et je penserai, mon corps comme un animal ami. Je dois en être reconnaissant au dégoût que j’ai ressenti un jour pour lui, en me rendant compte que je ne le supportais pas, mais qu’il était tout ce que j’avais, et que je devais continuer à l’aimer, à prendre soin de lui, à le protéger. Aimer l’animal qu’on est, pour continuer à être humain. »

Une réflexion qui pourrait être faite par une multitude de petites gens dans de nombreux pays dits moins avancés :
« Le néant dans mon pays c’est ne pas avoir un nom, un oncle, des amis connus de tout le monde, aucun lien avec le pouvoir. »



Mots-clés : #captivite
par Tristram
le Lun 20 Jan - 20:55
 
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Sujet: Carlos Liscano
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Carlos Liscano

Le rapporteur et autres récits

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Un mendiant défend sa place face à un vigile.
Ayant été ramassé ivre par la police, le narrateur a donné un faux nom. Emprisonné jusqu’à ce qu’il avoue son vrai nom, d’ailleurs connu de la justice, un juge lui rend visite chaque année, et des rapports très courtois les unissent au fil des ans ; ainsi, le prisonnier s’apprête avec humour à écouter les confidences du magistrat :
« Ce qui se dira ici ne sortira jamais de ces murs. »

Une réunion en bonne société engendre ou pas « un petit animal social » utile aux relations humaines.
Dialogue beckettien de Ku et Ke, qui jouent aux idiots, l’un entraînant l’autre, puis l’inverse.
Une famille où l’on se vend, de père en fils et réciproquement.
Synopsis (austerien) :
« Si nous pouvions voir la nuit depuis les hauteurs, nous constaterions que nous somme maintenant quatre et que nous n’avons besoin que d’être quatre : celui qui tue, le mort, celui qui écrit, celui qui lit. Deux hommes se sont cherchés dans la nuit. Lentement, ils ont marché sous la pluie en dessinant avec leurs pas une figure secrète. Quand cette figure trouvera sa forme définitive, la nuit sera finie pour l’un d’entre eux. Et l’histoire sera finie. Nous ne serons plus que trois. »

L’auteur chez le dentiste en Suède (Liscano s’est réellement exilé là au sortir de prison dans son pays, où il a été torturé) : son dentiste, « la tentation des ténèbres », le martyrise longuement (d’ailleurs il tue le premier ministre suédois). Un texte plus long, kafkaïen, qui témoigne excellement de la perception transformée du vécu.
Un onirique étendage de linge devient universel.
Le récit éponyme, lui aussi assez long, mais bizarrement gouailleur par moments, rapporte l’arrestation, la séquestration avec sévices de qui pourrait être l’auteur, contraint à parler, puis à écrire… des rapports… Il semble que ce soit une sorte de journal justement consigné en prison pour conjurer le dénuement, le non-sens et la folie qui le guette au moyen de l’écriture, que Liscano interroge elle-même.
« Les chemins sont déjà plus ou moins tracés. Par d’autres qui sont passés avant nous, et on les prend à notre tour. On ne choisit pas tout ce qu’il y a sur le chemin. Ce sont les chemins qui s’imposent à nous. Moi, mon chemin m’a amené jusqu’ici. Je ne proteste pas, mieux vaut un chemin que pas de chemin du tout, mais il aurait pu être meilleur. »

« Je demande qu’on me prenne comme je suis, avec mon style particulier, pas avec celui d’un autre type, du premier cochon venu qui écrive dans le coin.
Qu’il me soit permis de développer un peu cette idée, de lui apporter des nuances, un peu de relief, de faire qu’il y ait des tenants et des aboutissants. On a son style et les autres ont le leur, chacun le sien. Si on n’avait pas de style propre, on ne serait pas comme on est, on serait quelqu’un d’autre, avec un style différent. Alors le style est quelque chose de fondamental, c’est ce que je suis en train d’expliquer. J’ai mon style, qu’on le croie ou non, mais c’est la vérité. Et je m’efforce de garder le style qui me caractérise, sinon rien n’aurait de sens, rien ne vaudrait la peine, nous perdrions notre temps. »

« C’est le Blond qui commande et il disait que je devais parler. Et après que je devais écrire. Voilà le problème, c’est comme ça qu’il se posait.
De quoi puis-je parler ? me demandais-je. De quelque chose. Il voulait savoir, ça n’avait aucune importance pour moi. Ce n’est pas que je ne savais pas, ou que je savais et que je ne voulais pas répondre, ou quelque chose comme ça. Non, c’était que, me disais-je, à quoi bon parler quand tout a déjà été dit ? »

« C’est cela, on essaye de tirer le meilleur parti de la vie. Si mauvaise que soit votre vie, vous essayez d’en tirer le plus possible. Il n’y en a pas d’autre. »

Dans ce recueil de nouvelles qui jouent de plusieurs registres, tout est étrange, et difficile à partager...

Curiosité : mon exemplaire porte la mention suivante : ÉPREUVES NON CORRIGÉES. Je ne garantis donc pas l’exactitude des extraits que j’en ai cité.

Mots-clés : #absurde #captivite #ecriture #nouvelle #solitude
par Tristram
le Mer 14 Aoû - 16:36
 
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Sujet: Carlos Liscano
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Henri Calet

Le Bouquet

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Juin 1940, retraite, déroute, débâcle, débandade, une partie de l’Histoire de France moins relatée que d’autres, piteuse, lamentable, et qui mène à la captivité Henri Calet, alias Adrien Gaydamour, et ses compagnons.
Ce qui en ressort, c’est le comportement de troupe, de troupeau, que la société et l’exercice militaire ont inculqué, que la fatigue et la faim favorisent aussi, ainsi que l’humiliation sans doute ; camaraderie, solidarité certes, surtout conformisme naturel dans une sorte d’esprit d’équipe. Il y a une analyse fine de la mentalité dans l’armée défaite.
« Mais, on choisit généralement de vivre en société, d’emprunter le droit chemin, le plus commode, le plus fréquenté aussi. De manière qu’on ne risque pas de se fourvoyer : tout est marqué. Ce qui évite de poser des questions. On suit la foule. Ça sent bon la laine. On se laisse aller. D’ailleurs, le chemin ne mène à rien. N’empêche qu’il y en a qui paraissent pressés d’arriver, qui jouent des coudes. »

À d’autres la débrouillardise ; parfois de la veine, au hasard…
On pense à Hyvernaud pour l’aspect peu glorieux et pitoyable de la guerre chez les troupiers ; c’est parfois célinien aussi, dans l’esprit et le ton.
Vaut surtout pour les observations perspicaces d’un témoignage doux-amer, avec l’humour d’époque, et pour les portraits de Français et d’Allemands (et des Alsaciens et Lorrains dont la position est ambiguë) qui doivent moins à l’imagination qu’aux souvenirs de l’auteur. Ainsi l’étonnant Oberfeldwebel Stiffelbein, qui dirige l’AKP d’une façon édifiante. A propos, l’évasion n’en est pas si ardue…
« Remarquables de sang-froid parmi l’énervement, les cafetiers n’arrêtaient pas de verser à boire sur cette effervescence. Un cafetier demeure à son poste, tel le capitaine qui n’abandonne pas son navire au moment du naufrage. Et les villes faisaient naufrage les unes après les autres, en juin, en France. »

« On a bavardé, l’Allemand et moi. J’arrivais à me faire entendre. Il était de Trêves, boulanger à Trêves. Il a tiré d’une poche le portrait de sa femme qui a fait le tour du wagon. Tous le regardaient et opinaient d’une admiration feinte ou sincère.
‒ Goutte Madame, lui a gueulé Bouquet. Madame goutte.
Deux boîtes à lait germaniques, de taille et de poids. C’eût été faire montre de faux patriotisme que de ne pas reconnaître qu’elles éclipsaient celles de sa p’tite poule. Mais, il était empêché de lui dire par mots. »

« En passant, on a vu le camp qui était primitivement destiné aux prisonniers allemands. On avait tout prévu, sauf qu’il servirait à interner des Français. En somme, il a servi quand même. Des prisonniers allemands, il n’y en a pas eu des masses. Il paraît qu’ils se moquaient de leurs gardiens :
‒ Nous, bientôt garder vous.
Ils étaient gonflés. À nous, cela ne nous serait pas venu à l’idée, pas dans les premiers temps. »

« L’argent tout nu, tout sale, je ne l’ai jamais pris. Ou, lorsqu’on me le mettait de force dans la poche, je le repassais à Bouquet. Je voulais me dévouer sans profit ; j’ai toujours eu une conscience un peu théâtrale, à falbalas. »

« Berger se disait antisémite et royaliste. J’avais déjà connu un Juif hitlérien, Greiss, mais pas encore de Juif antijuif. Il estimait peut-être mieux s’en tirer de cette manière. »

« Par étapes dans l’abjection, on apprend à vivre, on s’affermit, on devient un homme. Tout de même, j’avais grande envie de dégobiller sur tout cela, sur cette dégradation générale, sur moi-même. »

« Il ne se faisait à peu près plus de réparations à l’AKP, mais des bagues, des cendriers, des souvenirs en série. Sous la direction de Cabas, Berger s’était mis à son tour à peindre des aigles – art gothique. »

« Parmi les Allemands de l’AKP, il y avait de tout ; des bons et des mauvais, comme ailleurs. Il y avait surtout un fort pourcentage de cornichons. Gris ou kaki, c’est l’uniforme qui veut cela. Car, chez nous, on ne brillait pas non plus. Mais, il y avait une différence : eux, ils étaient tous semblablement cornichons, de la même façon. Tandis que nous offrions la plus grande variété. Chacun avait sa petite opinion à soi, sur tout, ce qui fait qu’on entendait des cornichonneries à longueur de journée, et de tous les calibres. Chez eux, officiers ou soldats, une seule pour tous, une leçon bien sue. Ils répétaient les paroles de leur Furère. Peut-être que s’ils avaient parlé d’eux-mêmes, c’eût été plus intéressant. Mais, ils n’avaient probablement rien à dire.
Bref, beaucoup de types qui s’emmerdaient autant que nous et qui ne demandaient qu’à rentrer à la maison, qu’à retrouver leur famille, leur boulot et leurs petites habitudes. C’est ce qui les poussait à boire sec, sans soif. En tête à tête, ils se laissaient aller à parler un pauvre langage humain. Mais, dès qu’ils étaient deux, ils recommençaient à débiter de la propagande. Ils se défiaient les uns des autres. »

Intéressant ! Et peut-être un témoignage à la fois juste et inattendu (le livre n'est pas désigné comme roman, récit ou autre)...


Mots-clés : #captivite #deuxiemeguerre
par Tristram
le Dim 31 Mar - 0:45
 
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Sujet: Henri Calet
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Zakhar Prilepine

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L’Archipel des Solovki


Originale : Oбитель (Russe, 2014)

CONTENU :
Zakhar Prilepine ose et assume le romanesque pour raconter les Solovki - premier camp du régime soviétique, à cent soixante kilomètres du cercle polaire. Créé quelques années après la révolution d'Octobre, il a été installé presque symboliquement dans un haut lieu monastique. Sans craindre les scènes de genre, les discussions métaphysiques, la folie meurtrière, Prilepine réussit à nous faire croire à l'histoire d'amour d'un détenu et de sa "gardienne" tout en maîtrisant brillamment, sans jamais être pris en défaut quant à l'exactitude historique - il a lu Soljénitsyne -, une narration riche d'une foule de personnages. Artiom, jeune homme parricide (allusion assumée aux Frères Karamazov) déporté aux Solovki, se retrouve ainsi immergé au milieu d'une population, haute en couleur, de droits-communs, de politiques, de membres du clergé, d'officiers de l'Armée blanche, de soldats de l'Armée rouge, de tchékistes...

REMARQUES :
Les îles Solovki sont plus qu’un Archipel quelconque dans la Mer Blanche, mais à plusieurs titres un lieu significatif dans l’Histoire aussi bien de la Sainte Russie, que la Russie tsariste moins glorieuse et enfin les horreurs du premier Goulag. Depuis le XVème siècle il y avait eu les premiers moines et éremites qui avaient trouvé le chemin à travers la mer vers ces îles isolées. Plus tard, le monastère influent, aussi lieu de pélérinage, haut lieu de spiritualité orthodoxe, est aussi devenu un prison pour des incommodes au régime tsariste. Après la révolution d’Octobre, et déjà dès 1920, s’est créé un camp, un goulag, où on internait des gens les plus différents, réprésentatnt topute la palette de la société pas en phase avec le nouveau pouvoir, ou simplement des criminels.

Ce roman joue plutôt dans la deuxième moitié des années 20 : Nogteev, l’ancien commandant, a disparu, et c’est Eikhmanis le chef actuel. Parmi les détenus Artiom Gorianov qui va connaître une relation mouvementé avec Galia, gardienne ou sécretaire personnelle de Eikhmanis. Néanmoins une reduction de cette œuvre à un roman d’amour serait vraiment trop court. Encastré dans le concret du cadre plus que réaliste du camp, et dans une certaine ampleur de brasser les différentes éléments de vie, assez contrasté, ce roman donne à comprendre la complexité de la vie sur les Solovki. Qui garde qui ? On utilise les uns contre les autres. Parfois le sentiment bizarre, qu’au milieu de la crasse et de travaux lourdes et pénibles, on « soutient » encore les études, les dons des uns et des autres. Signe aussi : la grande bibliothèque (dont Rolin avait fait le sujet d’un livre). Ou des pièces de théâtre, jouées par des détenus. Ou des competitions « olympiques ». Ou les recherches quasimment scientifiques de certains spécialistes. Ici, à leur façon, on n’avait pas juste voulu « punir », mais éduquer une société nouvelle, un homme nouveau… - mais par quels moyens !

Cette ambivalence semble traverser le roman et pourrait bien être un mot clé plus universel pour décrire la Russie ?! Habitué aux excès (politiques) de Prilèpine, on pourrait se demander si parfois il aimerait justifier certains choix. Mais ailleurs il semble clair et lucide. Puis, des irriptions pas tellement de « justifications » que plutôt de lumière au milieu de cette obscurité. On connaît – peut-être sujet unifiant une littérature des camps – l’obscurité de ces lieux où l’homme peut devnir loup pour loup. Mais aussi : quelques hommes ici, qui gardent une bonté foncière. Cela rappelle « La maison des morts » de Dosto par ex, et autres. Et rappelle que cet écrivain, dans sa violence parfois, peut d’un coup être d’une tendresse, d’une profondeur « toutes russes ».

On a pu apprécier Prilepine déjà comme maître de la forme plus courte. Ici il s’attaque à une forme d’épopée, large. Un vrai pavé qu’il faut attaquer, ou dans lequel il faudrait se plonger . Cela pourrait valoir la peine !


Mots-clés : #captivite #historique #regimeautoritaire
par tom léo
le Ven 25 Mai - 22:05
 
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Sujet: Zakhar Prilepine
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Justine Augier

De l'ardeur

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Justine Augier s'attache au personnage de Razan Zaitouneh, avocate dissidente, élément clé de la résistance syrienne, qui a été enlevée avec trois "comparses"en décembre 2013, on ne sait pas par qui, même si on a des doutes, et dont on est sans nouvelles. C'est l'occasion d'un portrait de ce qui se passe en Syrie, la très large répartition des exactions entre pouvoir en place, activistes, et islamistes.

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Justine Augier le dit elle-même, elle n'a jamais été en Syrie, mais elle s'attache à cette icône de la liberté, ayant elle-même travaillé dans l'humanitaire, partageant ses idées à défaut de ses actions.

Elle livre un récit  sans doute volontairement éclaté, sans chronologie vraie, prenant ses distances avec les faits. il ne faut donc pas compter sur ce livre pour satisfaire l'espoir d'y comprendre enfin quelque chose sur la situation en Syrie, qui est présupposée comme acquise .  Il ne faut pas non plus attendre un portrait psychologique fin, on y trouvera plutôt une Razan Zaitouneh reconstituée par Justine Augier. Mais là encore, frustration, si l'auteur s’implique tout au fil du récit, on ne comprend guère  ce lien qu'elle revendique. C'est surtout l'importance du témoignage, plus que l’œuvre littéraire en elle-même, le devoir de mémoire immédiate, qui pousse à terminer le livre.

Un peu foireux donc, fouillis (brouillon?), plein d'enseignement malgré ses lacunes c'était évidemment une bonne idée, même si cela reste inabouti,  d'attirer notre attention sur cette femme emportée par un devoir qui n'admet aucune concession et sur le drame humanitaire de la Syrie.

Mots-clés : #actualité #biographie #captivite #guerre #insurrection #regimeautoritaire #violence
par topocl
le Ven 25 Mai - 11:21
 
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Sujet: Justine Augier
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Vasil Bykaŭ (Vassil Bykov)

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La traque

Originale : Аблава (Biélorusse, 1986) ; Облава (Russe, 1986)

CONTENU :
Un homme retourne dans son pays natal, son village de naissance. C'est l'automne, on se trouve au milieu des années 30 dans l'Ouest de la République biélorusse, pas très loin de la frontière polonaise. Après cinq années dans un camp, d'abord en compagnie avec sa femme et leur fille, il réussi maintenant à la troisième tentative la fuite et retourne à pied et en cachette les mille kilomètres vers sa maison. Peu de jours se déroulent dans la narration chronologique : il est irrésistiblement attiré par les environs de ses origines tout en sachant qu'il ne pourra pas se montrer.

Tandisqu'il se cache et cherche quelque chose à manger, les souvenirs reviennent avec force : sa vie autrefois dans le village, l'amélioration des circonstances matérielles grâce à la terre qui lui fut assignée lors de la redistribution des terrains, sa femme, leurs enfants, puis le reproche d'être « Koulak » (parce qu'il était plus travailleur?), la trahison par des proches, des voisins et enfin le bannissement : cinq années dans un camp avec, au bout, la perte de sa femme et de leur enfant avant de ne s'échapper lui-même.

Et maintenant, de retour, il est attiré et paralysé à la fois. Comment cela va finir ?

REMARQUES :
Le titre du livre en diverses langues est emprunté du titre du cinquième et dernier chapitre ; ce titre pourrait créer des malentendus, même si l'histoire va mener vers cette fin... Les premiers chapitres sont sous le signe du retour du fugitif dans son village natale et à une vie cachée, secrète en marge de ce village. Au même moment avec la description de cette vie en fuite, Fédor est sousmergé par les souvenirs de tout ce qui a mené vers cette situation. Il est vrai qu'il y a déjà un espèce d'avant-goût dramatique sur ces premiers pages, mais l'auteur raconte d'une façon calme, très humain de la vie du protagoniste. Il semble qu'il avait connu seulement des échecs, des deceptions. Néanmoins il lui manque la dernière toute grande amertume, haine, et il trouve même des fois des justifications pour ce qui n'est pas justifiable (besoin tout humain de raisons plus ou moins objectives pour l'injustice subie?). Ainsi le « présent » et les souvenirs et descriptions du passé s'alternent.

En lui il y a comme un soif de voir « une âme vivante » dans cette région qui pourrait fatalement lui presque seulement apporter du malheur. Cherchant presque le danger il est attiré comme par un aimant par ce village et les alentours : il n'y a pas d'endroit où aller. Face à l'injustice subie, comment ne pas se poser les vieilles, grandes questions humaines : D'où nous vient cela ? Pourquoi moi ? Est-ce que primairement je me suis rendu coupable moi-même ? Ou est-ce qu'il y a injustice, une innocence ?

Il semble que dans la plupart des livres de l'auteur il s'agit du destins d'individus dans la Grande Guerre qu'il avait vécu lui-même comme partisan et soldat activement. Ici par contre il suit de très près la vie de quelqu'un qui fut visiblement une victime de la politique de Staline, de l'opération de la « dékoulakisation » (voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9koulakisation ). Est-ce que notre Fédor était tout simplement un paysan bon travailleur qui fut victime de jalousie et envie ? Cette politique a mené apparemment vers la méfiance, une solidarité manquante et une culture profonde de peur. Toujours est-il qu'il était avec sa famille envoyé au camp.

L'homme est victime de la mechanceté de l'homme, de la guerre, de la dictature – et Bykau trouve des mots très précis et clairs (vus les circonstances dans lesquelles il écrivit) pour dénoncer et décrire les erreurs du système. Il s'est demandé apparement, comme un commentaire le disait, « si la bonté a encore une place dans le monde ». Ainsi à coté d'une dénonciation (politique) il y a quand même un profond humanisme qui trouve une expression chez lui.

Pour moi une belle découverte. Un auteur qui n'est peut-être plus au premier plan (comme par exemple en Allemagne un Heinrich Böll), mais qui valait la peine d'être lu.

mots-clés : #captivite #culpabilité #regimeautoritaire
par tom léo
le Ven 27 Avr - 22:35
 
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Sujet: Vasil Bykaŭ (Vassil Bykov)
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Edward Abbey

Seuls sont les indomptés

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Jack Burns est un "indompté". En plein XXème siècle, il vit comme un cow-boy de légende. Sa seule amie est sa jument farouche, il n'a d'autre domicile que les grands espaces de l'Ouest. Il vit en immersion dans la nature sauvage, loin de toute contrainte. Nul n'a entendu parler de lui depuis un an, mais quand il apprend que son ami Paul, ayant refusé la conscription, se retrouve en prison, il revient vers la ville et ses hommes asservis, et se fait emprisonner pour l'aider à s'évader. Mais pour Paul, le cérébral, le prudent, la liberté est ailleurs: c’est la liberté de choisir, et d'exprimer ce choix par l'acceptation-même de son emprisonnement. Jack s'évade donc seul et il s'ensuit une géante chasse à l'homme, totalement disproportionnée, dans les montagnes sauvages où il s'est réfugié.

Edward Abbey, autre indompté, nous offre dans ce western des temps moderne, un récit tout à la fois mélancolique et lyrique, dans sa sobriété et sa soif d'absolu. Dans un style musical, où les adjectifs sont comme des notes sur la portée, il raconte cet homme unique, et son lien avec une nature libre et magnifique, même quand le prix à payer sont les pièges et l'hostilité. Il prend son temps , note chaque détail de l'action et du paysage, dans une vigilance égale à celle de son héros, que seule une attention de tous les instants peut sauver dans cet univers menaçant.
Dans l’opposition des deux amis, dans les hésitations du juge et du shérif, il nous offre une réflexion sur la liberté, qui est multiple et singulière pour chacun.




mots-clés : #amitié #aventure #captivite #nature
par topocl
le Mar 6 Fév - 19:40
 
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Sylvain Pattieu

Et que celui qui a soif, vienne

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Trois navires fendent les eaux de l'Atlantique: un négrier qui livre sa "marchandise" arrachée aux côtes africaines, un galion français qui emmène une cargaison de femmes de petite vertu au bagne, un puissant navire richesses à revendre au prix fort aux antipodes. Seulement, voilà, on est aux temps où tout est aventure. Mutinerie, rébellion, attaque pirate, nos trois navires passent aux mains des pirates. Les puissants sont tués, punis ou chassés, les biens sont pillés, un nouvel équipage s'organise selon les allégeances de chacun. Une société qu'on qualifierait aujourd'hui de multiraciale, multiculturelle et multicultuelle s'organise, utopie vivante et farouche, jurant fidélité à la liberté, l'égalité, l'honneur. Le plaisir et la filouterie ne sont pas oubliés. L'amitié et l'amour en sont les fondations.
Évidemment marchands et armateurs n'ont pas dit leur dernier mot et c'est  l’occasion d'une lutte fratricide, un frère et une sœur ayant chacun choisi son camp.

Vous avez fait de la mer et la terre votre monde, votre lieu où circuler, vous l'avez parcouru. Inlassablement. Vous avez pris ce que d'autres ont volé. Vous l'avez partagé. Vous n'êtes pas restés enfermés. Vous n'êtes pas restés isolés. Vous avez levé les états de siège. Brisé les chaînes et les barrières. Mis les fouets hors d'état de nuire. Vous avez plus aimé vivre que la mort malgré le crâne sur votre drapeau. Vous n'avez pas respecté les frontières. Vous ne vous êtes pas laissé dire qui doit être d'un côté et qui de l'autre. Vous avez choisi votre place.
Vous avez propagé ce mot de
pirate. Il n'y a pas un lieu, pas un sur terre, où votre nom n'est parvenu, où votre nom n'a surgi. Dans le monde entier, pour des siècles.


C'est beau et palpitant, non comme un camion,  mais comme un galion battu  par les flots : comme un roman d'aventure qui fait chaud au cœur . On vibre, on prend fait et cause, on s'attache, on espère.

Sylvain Pattieu ne dirige pas un  master de création littéraire pour rien: il tire avec magie les ficelles complexes de cette histoire à trente têtes, sans que jamais on s'emmêle, le cœur battant pour chacun, ses combats, ses fantômes. La narration est brillante, enjouée, emportée. Le style du conteur est vraiment singulier,  faisant un sort très curieux, plein de noblesse, aux articles et à certaines virgules.


(j'ai moins aimé, comme son père,  les encarts qui parlent de l'histoire familiale de l'auteur, de la maladie de sa mère : je les ai trouvés soit trop rares et de ce fait disparates, soit inutiles dans cette histoire - inutiles pour le lecteur, je veux dire, mais certainement indispensables à l'auteur. C'est vite pardonné.).

L'histoire raconte la naissance de la mondialisation, et si l'on peut croire aujourd'hui qu’elle est devenue inéluctable, il s'avère qu'en ces temps reculés, le mal était déjà fait. Face à la puissance des nantis, l'enthousiasme des rebelles offre de beaux espoirs, mais cela ne suffit pas. On l'a compris depuis longtemps, mais cela fait de bien belles histoires.

mots-clés : #aventure #captivite #esclavage #historique
par topocl
le Jeu 9 Nov - 16:43
 
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Sujet: Sylvain Pattieu
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Varlam Chalamov

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Récits de la Kolyma

Editions Verdier, 1478 pages

Ce qui m’a intrigué en feuilletant cet énorme livre, c’était que la place importante que Chalamov donne à la littérature dans son livre saute aux yeux. A la Kolyma, nous dit Chalamov, où tout est déshumanisé, elle semble au contraire n’avoir aucune place. On est par ailleurs bien trop occupé à survivre au milieu des truands et du travail forcé, d’un froid qui descend jusqu’à -60° C, des maladies et du manque évident de nourriture. Mais j’avais aussi envie de lire ce livre pour ce qu’il revêt de la perception d’une certaine réalité, atroce. Je n’avais à ce moment-là pas d’autre envie. L’auteur prévient le lecteur que ce qu’il a vécu là-bas le dépasse, nous à plus forte raison encore.

Des petits morceaux sont reconstitués, dans un désordre chronologique et de répétitions. Le livre acquiert en quelque sorte une forme libre de mémoire aux limites humaines : quelques réflexions éparses ― il ne brille pas par sa dimension analytique malgré tout ― quelques épisodes. Notamment un, relaté dans un très beau récit intitulé "Marcel Proust"… Ce fantôme (dans le meilleur sens du terme, s’entend) a un éclat très particulier, très étrange et en tout cas lumineux au cœur de ce témoignage. Si justement la littérature n’a plus de place, ou presque plus, c’est au mieux en tant que souvenir.  Dans des pénibles tentatives de réminiscences de sa vie avant le goulag, ou bien quand on « édite des rômans » pour des truands oisifs. Mais « au mieux, un souvenir » n’est-ce-pas déjà beaucoup ? La littérature devient pour Chalamov un moyen de redevenir humain, qu’il partage avec son lecteur dans une avidité palpable. Mais on se sent comme étranger, peut-être que l’expérience est trop radicale, même si nombre de ces récits sont émouvants.

Varlam Chalamov a écrit:Les valeurs sont brouillées et chaque notion humaine, bien que désignée par un mot dont l’orthographe, les sonorités, l’assemblage familier de sons et de lettres restent les mêmes, renvoie à quelque chose qui n’a pas de nom sur le « continent » : ici, les critères sont différents, les us et les coutumes particuliers ; le sens de chaque mot est transformé.
Lorsqu’il est impossible d’exprimer un sentiment, un événement ou un concept nouveau dans le langage humain ordinaire, on voit naître un mot neuf, emprunté à la langue des truands qui sont les arbitres de la mode et du bon goût dans l’Extrême-nord.



mots-clés : #autobiographie #campsconcentration #captivite #creationartistique #regimeautoritaire
par Dreep
le Mer 1 Nov - 19:11
 
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Sujet: Varlam Chalamov
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Georges Hyvernaud

Le wagon à vaches.

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Un peu plus tard, la guerre finit, et on érigea un monument aux morts.


Le narrateur,  revenu de la guerre rapporte quelques souvenirs de ses premiers jours de mobilisation, avant l'assaut, et de sa captivité où il a été emmené dans des Wagons à vaches. Il en garde "cette amertume sommaire, cette passivité ".

Bonne vieille race obstinée des hommes : toujours prête à tout recommencer, à remettre ça. Se raser, cirer ses souliers, payer ses impôts, faire son lit, faire la vaisselle, faire la guerre. Et c'est toujours à refaire. Ça repousse toujours, la faim, les poils, la crasse, la guerre.


Il parle surtout de sa vie terne d'employé de bureau, pour laquelle ses parents, des gens ternes et convenus, l'ont fait étudier afin qu'il dépasse leur condition. Il essaie d'écrire le soir chez lui, il raconte le quotidien nauséeux de cet après-guerre , et s’attache à portraiturer un petit monde étriqué et vaniteux. Pas un pour rattraper l'autre. Les personnages sont des médiocres, des petits bourgeois compassés dont il fustige la capacité à s'habituer, à faire comme si, alors que la guerre colle encore à la peau de chacun. Il y met une ironie mordante, qu'il épice d'un peu de scatologie sarcastique.

Des médiocres vivants, incapables de donner du relief à leur vie. Impuissants à imposer au malheur la richesse et l'intensité d'une aventure - au hasard, la figure d'un destin.


Un projet de monument aux morts se dessine et révèle les petites mesquineries, les grandes récupérations, les jalousies et les ambitions sordides, avant de sombrer devant la faiblesse des contributions.

L'auteur-narrateur a une  plume talentueuse et croque ce petit monde provincial et ordinaire  avec une certaine vivacité , mais trop est peut-être trop:  que fait-il de mieux, pour s'autoriser cette causticité morne, cette supériorité fustigeante? La guerre, il  n'est pas le seul à l'avoir traversée. Chacun s'en remet et s'en défend comme il peut, et un soupçon d'indulgence n'aurait pas forcément gâché la sauce.


mots-clés : #captivite #devoirdememoire #guerre #viequotidienne
par topocl
le Lun 16 Oct - 20:52
 
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Sujet: Georges Hyvernaud
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Russell Banks

La relation de mon emprisonnement

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Actes Sud a écrit:Dans sa Relation de mon emprisonnement, Russell Banks utilise la forme, hautement codée, du récit de captivité imaginaire tel qu’en rédigeaient les docteurs puritains du XVIIe siècle afin d’édifier leurs frères en la foi par leur lecture au cours de l’office. Il poursuit ainsi de l’intérieur, et en remontant à une figure archétypale, l’investigation du héros tel qu’il l’entend : obstiné, indifférent aux injonctions du monde, mi-saint, mi-fou. Il en démonte cette fois les rouages en présentant de l’intérieur sa perpétuelle reconstruction de soi, et le récit relate les épreuves que subit le narrateur, les tentations qu’il repousse, les errements auxquels il se laisse aller, les mortifications qu’il s’impose et, surtout, le complexe écheveau de ses débats de conscience. Un récit singulier qui donne de l’Amérique profonde une image inhabituelle.


10-18 a écrit:" Récit de captivité imaginaire, voici un livre hors du commun, un texte singulier où l'on découvre une image tout à fait inhabituelle de l'Amérique profonde. Nous sommes au XVIIe siècle, le narrateur est charpentier, il appartient à une communauté puritaine. Or, sans que l'on sache pourquoi, son activité principale, la construction de cercueils, est soudain déclarée illégale, " hérétique " et poursuivie avec rigueur. Notre héros, dont nous ne saurons jamais le nom, conte avec minutie les péripéties de son emprisonnement, de son procès, de sa condamnation. Obstiné, indifférent aux injonctions du monde, il poursuit son idée : " Faire charité aux morts ", c'est-à-dire parvenir à les doter d'un cercueil. Son ardeur est telle qu'il parvient à convaincre même son geôlier et surtout, au prix de mille ruses, à obtenir pour lui-même un cercueil. A quel prix... Il faut lire ce texte étrange, faux récit d'édification, souvent touchant malgré l'aspect un peu ridicule de cet entêtement frisant la folie, ou la sainteté. Et admirer l'auteur, Russell Banks, un Américain bien de notre siècle, d'avoir su retrouver la forme et le ton utilisés jadis par les docteurs puritains. " S. W., Libertés !


Étrange exercice de style puritain du XVIIe états-unien que cette novella, une uchronie en forme d’allégorie (on peut par exemple remplacer le culte des morts par celui des ancêtres, des Anciens). La méditation dans un cercueil est attestée en mystique, notamment extrême-orientale (il s’agit d’une sorte de memento mori qui permet de s’abstraire du siècle). Notre hérétique passe par tous les maillons de la chaîne de l’illusion (sexe, gourmandise, argent, etc.) en homme du temps qui échappe finalement à la nostalgie de la vie.
N’ayant fait l’objet d’aucune décision de justice, et donc non formellement condamné, il ne peut bénéficier des périodiques amnisties en sa prison...

« Je tombai à genoux, comme je le fais maintenant, et remerciai les morts imperturbables, objectifs, éternellement détachés de m’apporter la liberté de penser clairement et, par là, de me libérer de l’esclavage de la finitude, de la chaîne de la vie, des chaînes du désir né du souvenir. »


Décidé à ne pas plus résister à la vie qu’à abjurer sa foi, même malade, il survit en guise de pénitence, et témoigne en écrivant sa relation aux vivants _ dans son cercueil enfin recouvré.

mots-clés : #captivite #religion
par Tristram
le Mar 12 Sep - 0:21
 
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Sujet: Russell Banks
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Lola Lafon

Mercy, Mary, Patty

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"Défiez-vous des histoires simples "


Patricia Hearst, l'héritière du richissime magnat d'une presse sevile, élevée dans les meilleures institutions américaines, est enlevée par un groupe révolutionnaire. En quelques jours, elle adhère à leur cause, revendique le droit pour tous à manger à sa faim, quitte à recourir à des méthodes violentes.

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"On ne trouvera dans ces pages  ni victime, ni coupable, ni sainte, martyre ou héroïne révolutionnaire."


Manipulée, droguée, terrorisée? ou simplement révélée à elle-même comme une photo dan le  bac de développement, parce qu'"elle a vu l'envers de l'Amérique"? Pour elle, n'est-ce pas "un  deus ex machina providentiel vêtu de treillis militaire ?"
Si j'ai subi un lavage de cerveau c'est celui qui nous conditionnes tous à prendre et garder notre place dans la société. J'ai passé douze années dans des écoles privées au milieu de jeunes occupés à développer leurs aspirations de dominants. Rétrospectivement, pour moi, ces écoles sont un terrain d'entraînement, de formation de futurs petits fascistes, on nous encourageait à développer toutes les valeurs du capitalisme : individualisme, sens de la compétition, sans oublier le racisme.


C'est ce que s'activent à dénouer trois femmes, se passant avec passion le relais entre 1975 et aujourd'hui, portant chacune en elle sa forme et sa méthode de rébellion : Gene Neveva, la chercheuse Américaine ancienne activiste, Violaine, son assistante anorexique et -croit-on- candide, et, des années plus tard, bouclant la boucle, la narratrice inommée.

Cela donne un curieux roman très élaboré, un édifice tout à la fois déroutant et magistral de maîtrise. On peine au début à se glisser dans le récit du fait d'un fouillis initial volontairement orchestré, mais surtout du  choix narratif, les personnages sont "je", "elle" et "vous" et cela déconcerte dans les premières pages, et même parfois au-delà, rendant la lecture parfois ardue. Mais ce choix se justifie  pleinement  quand on avance en lecture, instituant une hiérarchie de respect  entre les protagonistes.

Quant au propos, son intérêt est sa grande fluidité.

Pas de chronologie détaillée, mais une analyse rétrospective des archives, textes, radio-cassettes, films pour en tirer la moelle cruciale.

Pas d'apologie du terrorisme, simplement une mise à plat de ce qui peut y mener, ou à toute rébellion quelle qu'elle soit. Ce questionnement: qu’est ce qui fait que dans une société de jeunes blanches bourgeoises font le choix d’adopter la tribu indienne qui les a enlevées (Mercy et Mary), de partager la cause d'un groupuscule terroriste (Patty), ou de partir au Jihad… Car plus qu' encore plus que des actes, c'est sans doute des motivations de ces  "âmes flottantes", "identités mouvantes" » qu'il faut trouver le sens. Le rôle des rencontres qui permettent les choix et les refus.

Pas de leçons, pas de conclusions définitives, pas de raccourcis réducteurs, mais une réelle attention à la détresse que cela exprime, une détermination farouche à ne pas tomber dans le manichéisme, à débusquer l'ambiguïté et la complexité des choses, une pensée intelligemment subversive.

Mercy, Mary, Patty est un hommage à toutes celles qui ont eu le courage de ne pas suivre le  chemin tracé, une analyse,  indépendante de toute naïveté, des accomplissements et des errements que cela implique,  une belle incitation à s'indigner.




mots-clés : #conditionfeminine #insurrection #captivité
par topocl
le Sam 9 Sep - 10:14
 
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Sujet: Lola Lafon
Réponses: 29
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José Maria Arguedas

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El Sexto

C' était la plus grande prison de Lima,  sous la dictature de Benavides, dictature avec la complicité des gringos.   Y est interné pour avoir participé à une manifestation antifasciste le jeune étudiant Gabriel.

El Sexto c'est l'enfer, avec 3 niveaux de "pêcheurs" : au rez de chaussée les assassins, les clochards, ceux qu'on appelle la lie, au 2ème niveau les droits communs mais aussi des innocents objets de délation, au 3ème niveau "le paradis" les politiques.

Gabriel se retrouve dans la cellule d'un vieux Communiste, chef de file des mineurs, que tous respectent, même les Apristes. (Apristes et Communistes adversaires politiques)

Le sexe, la drogue, l'argent sale, la perversion, les exactions commises par et sur des prisonniers avec l'aval de l'administration corrompue qui règne au sein même de la prison avec la  collaboration de  deux assassins notoires.

Le récit est composé essentiellement par des dialogues  entre les prisonniers.

Tout est vu, entendu dans El Sexto car la construction ne permet aucune intimité, même pour les sanitaires ;  les prisonniers à tous les niveaux sont visibles par tous.

Quand un prisonnier quitte El Sexto c'est principalement quand la mort l' emporte pour l'amener à un  niveau, en quelque sorte libérateur.

Quelques gestes, quelques mots de compassion et d'aide prouvent tout de même qu'il y a encore de l'humanité dans certains.

Cette deuxième lecture d'Arguedas me confirme que c'est un auteur incontournable du Pérou.

extraits

"Haïr, haïr comme qui dirait un ouvrier, ce sera peut-être nécessaire, mais mon coeur n'y arrive pas. Je hais ces maudits gringos et je mourrais en luttant ontre eux ! Mais un responsable ouvrier dans l'erreur, je ne lui en veux qu' au moment de sa trahison ; après ça me passe. Je les vois souffrir exactememnt comme moi : les gringos et les contremaîtres leur crachent dessus tout pareil."

"Quel est l' idéal, frère Càmac, qui guide nos exploiteurs et nos tyrans, eux qui traitent les métis et les Indiens de la Côte et de la Sierra comme des bêtes, et qui voient et entendent, parfois, de loin et avec dégoût, ces musiques et ces danses où s'exprime notre patrie telle qu'elle est, dans sa grandeur et sa tendresse ?"

"Ils tournaient autour des marmites et du noir. Les plus faibles restaient fréquemment les mains vides et même lorsqu'ils parvenaient jusqu'au noir e obtenaient une louche de bouillie dans les mains ou dans un papier sale, ils n'arrivaient pas à courir assez vite pour échapper aux plus forts. Ils avalaient leur ration en courant. Ils enfournaient les haricots avec le carton, le papier, n'importe quoi, ou ils se mordaient les doigts.Ils n'avaient pratiquement pas le temps de mâcher. Les plus forts les suivaient ; ils leur ouvraient les mains pour prendre les restes ; il les léchaient ; et si, dans sa fuite le clochard poursuivi laissait échapper tout ou partie de sa ration, lui et son poursuivant se mettaient à lécher le sol."

"Monsieur dit l'enfant au Piurano. Je ne vais pas rentrer au village. Je vais attendre par Dieu !
Il s'est signé et il est passé dans la grande cour. Nous l'avons vu s'éloigner, boitant, petit, sans chapeau.

- l'anneau a réapparu dit le noir. Nous ici ont en a forcé un autre.
Le Piurano s'est rapproché jusqu'à ce que son ventre touche presque celui du noir.
- Répète moi ça charognard ! lui a-t-il crié. Répète moi ça charognard de merde !

Nous ne quittions pas des yeux les mains du noir. Celui-ci a marmonné quelque chose ; son visage était couleur de cendre."




mots-clés : #captivite #criminalite #regimeautoritaire
par Bédoulène
le Mar 23 Mai - 15:15
 
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Sujet: José Maria Arguedas
Réponses: 4
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Virginia Reeves

Tag captivite sur Des Choses à lire 97822310

Un travail comme un autre

Alabama, au cours des années 1920 : Roscoe T. Martin habite dans la ferme dont il a hérité de son beau-père avec sa femme et son fils, mais son désintérêt pour le travail agricole provoque une frustration qu'il cherche désespérément à combler. Sa passion pour l'électricité le pousse à détourner une ligne récemment installée, afin de trouver une légitimité personnelle et même une raison de vivre. Un évènement dramatique inattendu dont il est jugé responsable (la mort d'un technicien électrocuté) met fin à cet état de grâce et le conduit en prison, détruisant un idéal et la cohésion naissante d'une famille.

J'ai été ému par ce premier roman de Virginia Reeves. Elle dévoile grâce à l'écriture les silences et les non-dits d'un homme qui se cherche un destin et se heurte à son propre vide. De la violence extrême de la prison aux tensions raciales, Un travail comme un autre aborde beaucoup de sujets douloureux liés à l'histoire des Etats-Unis, avec un angle d'approche à la fois intime et collectif. Certains passages sont moins aboutis et l'épilogue peut sembler abrupt, mais je retiens l'ampleur d'un regard singulier d'une grande force.


mots-clés : #segregation #criminalite #captivite
par Avadoro
le Dim 5 Mar - 11:30
 
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Sujet: Virginia Reeves
Réponses: 2
Vues: 579

David Morrell

Rambo  / Premier sang

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Tag captivite sur Des Choses à lire 41kh1310

Dialogue imaginaire.
-Tu lis quoi en ce moment ?
-Premier sang, de David Morel.
-Ah ouais ? C'est quoi ça ?
-Le livre dont a été tiré Rambo.
-Ah ouais ? Rambo?  Tag captivite sur Des Choses à lire 575154626
-Oui, c'est animal  qui m' a dit !
-Aaaaaaaah! animal!
-Ben oui Tag captivite sur Des Choses à lire 1384701150
-Et c'est bien?
-Oui, pas le coup de génie, mais vachement bien  Very Happy  !

Donc si on se dit que c'est Rambo, le Rambo de Sylvester Stallone, en effet, ça peut faire un peu peur, au début.



En fait si  on a l'impression que le film suit scrupuleusement le scénario objectif du livre, si on est embarqué dans une course-poursuite haletante, totalement in-crédible mais à laquelle on croit  quand même à chaque instant, si plus on avance, plus ça devient dément et violent, le livre est loin de n'être que cela. C'est beaucoup plus nuancé, il n'y a pas de vrai salaud, les héros, dont j'imagine que dans le film on peut croire qu'ils n'ont que des muscles, ici, ont un cœur et un cerveau.

Sous couvert d'action, le livre est une réflexion navrée, quoique enlevée, sur le thème : Regardez ce que nous faisons de ces hommes que nous envoyons à la guerre. La guerre ne fait pas que des morts au combat, elle nous détruit tous à petit feu (enfin, grand feu un peu dans le livre, hein...). Un jour au Vietnam ce sont nos héros, un jour aux USA ils devraient rentrer dans le moule qu'on leur a soigneusement fait quitter et il deviennent inacceptables .
On est impressionné par ces trois hommes pris dans des sables mouvants  de haine, de fascination, de fierté et qui le paient le prix fort.
Et le dosage est plutôt habile entre la pensée et l'action.

(commentaire récupéré)

Mots-clés : #captivite #guerreduvietnam #thriller #violence
par topocl
le Ven 17 Fév - 11:14
 
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Sujet: David Morrell
Réponses: 5
Vues: 1285

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