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Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 8:55

58 résultats trouvés pour communautejuive

Saul Bellow

Ravelstein

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Ravels10

Chick, le narrateur, parle d’Abe Ravelstein à la requête de ce dernier. Son proche ami, qui devint riche en suivant son conseil de consigner dans un livre grand public sa philosophie politique (entre Moïse et Socrate en passant par Thucydide, Machiavel et Rousseau), est depuis détesté par les autres professeurs d’université. Ravelstein, élégant, intelligent, lucide, franc, polémique et passionné par autrui, est adulé par son cercle d’étudiants favoris ; ses anciens élèves sont parvenus à des postes importants, le consultent toujours et le tiennent averti des décisions politiques en temps réel (il est aussi amateur de commérages). Pour lui, « chaque âme était en quête de son autre singulier, désireuse de son complément », et il vit avec son compagnon Nikki, puis s’avère atteint du sida.
Après son divorce d’avec Vera, une physicienne d’origine slave, Chick vit avec Rosamund, une des jeunes étudiantes en « Grande Politique » de Ravelstein (qui est aussi une sorte d’entremetteur, mais fut là mis devant le fait accompli) ; ce dernier lui a demandé de dresser son portrait.
Entre Paris, Chicago et le Midwest, les deux hommes discutent et philosophent avec humour sur la judaïté, la marche du monde, et Chick relate leur relation non sans redites et allers-retours dans le temps, comme dans un premier jet ou une conversation.
« Mais, heureusement — ou peut-être pas trop heureusement —, nous sommes à l’ère de l’abondance, du trop-plein parmi toutes les nations civilisées. Jamais, du côté matériel, d’immenses populations n’ont mieux été protégées de la faim et la maladie. Et cette délivrance partielle de la lutte pour la survie rend les gens ingénus. Par là, je veux dire que leurs fantasmes s’expriment sans retenue. On se met, selon un accord implicite, à accepter les termes, invariablement falsifiés, sous lesquels les autres se présentent. On anéantit sa puissance critique. On étouffe son astuce. Avant même de s’en rendre compte, on paie une pension alimentaire colossale à une femme qui a plus d’une fois déclaré qu’elle était une innocente qui n’entendait rien aux questions d’argent. »

« Nous étions parfaitement francs l’un avec l’autre. Nous pouvions nous parler ouvertement sans nous offenser. D’un autre côté, rien n’était trop personnel, trop honteux pour être dit, rien n’était trop méchant ou trop criminel. Il me semblait parfois qu’il m’épargnait ses jugements les plus sévères si je n’étais pas encore prêt à les assumer. Je le ménageais, moi aussi. Mais c’était pour moi un immense soulagement d’être aussi net et carré avec lui que je l’aurais été avec moi-même devant les faiblesses ou les vices. Il me dépassait de très loin dans la compréhension de soi-même. Mais toute discussion personnelle virait finalement à la bonne vieille rigolade nihiliste. »

« Il exposait les défaillances du système dans lequel ils avaient été formés, la superficialité de leur historicisme, leur susceptibilité au nihilisme européen. Un résumé de sa thèse était que, si on pouvait acquérir une excellente formation technique aux USA, la formation générale s’était réduite au point de disparaître. Nous étions les esclaves de la technologie, qui avait métamorphosé le monde moderne. »

« Tout cela vous remettait en mémoire les manifestations de masse organisées et mises en scène par l’imprésario de Hitler, Albert Speer : rencontres sportives et grands rassemblements fascistes empruntaient les uns aux autres. »

« Ses élèves étaient devenus historiens, professeurs, journalistes, experts, hauts fonctionnaires, membres de cellules de réflexion. Ravelstein avait produit (endoctriné) trois ou quatre générations de diplômés. Qui plus est, ses jeunes gens devenaient fous de lui. Ils ne se limitaient pas à ses doctrines, ses interprétations, mais imitaient ses manières et essayaient de marcher et de parler comme lui — librement, furieusement, acerbement, avec un brio aussi proche du sien qu’il leur était possible. »

« J’avais découvert que, si l’on plaçait les gens sous un éclairage comique, ils devenaient plus sympathiques — si vous parliez de quelqu’un comme d’un brochet humain frustre, pétomane et strabique, vous vous entendiez d’autant mieux avec lui par la suite, en partie parce que vous aviez conscience d’être le sadique qui l’avait dépouillé de ses attributs humains. En outre, lui ayant infligé quelques violences métaphoriques, vous lui deviez une considération particulière. »

« Mais les Juifs pensent que le monde a été créé pour chacun d’entre nous, autant que nous sommes, et que détruire une vie humaine, c’est détruire un univers entier — l’univers tel qu’il existait pour cette personne. »

« — Bien sûr que c’est autour de ça que tourne la conversation — ce que cela signifie pour les Juifs que tant d’autres, des millions d’autres, aient voulu leur mort. Le reste de l’humanité les expulsait. Hitler aurait dit qu’une fois au pouvoir il ferait dresser des échafauds, des rangées entières, sur la Marienplatz à Munich et que tous les Juifs, jusqu’au dernier, y seraient pendus. Ce sont les Juifs qui ont été le marchepied de Hitler vers le pouvoir. Il n’avait pas d’autre programme, et n’en avait aucun besoin. Il est devenu chancelier en rassemblant l’Allemagne et une bonne part du reste de l’Europe contre les Juifs. »

« Il fallait penser ces centaines de milliers de millions détruits pour des motifs idéologiques — c’est-à-dire sous quelque prétexte habillé de rationalité. Un raisonnement présente une valeur considérable comme manifestation d’ordre ou de fermeté de propos. Mais les formes de nihilisme les plus folles sont les plus strictement allemandes et militarisées. »

Ravelstein décédé, c’est le narrateur (plus âgé que ce dernier) qui manque succomber à une ciguatera contractée à Saint-Martin.
« Je disais souvent à Rosamund que l’un des problèmes du vieillissement était l’accélération du temps. Les jours passaient « comme des stations de métro traversées par un express ». Je me référais souvent à La Mort d’Ivan Ilitch afin d’illustrer cela pour Rosamund. Les jours des enfants sont très longs, mais, dans le vieil âge, ils filent « plus vite que la navette du tisserand », comme dit Job. Et Ivan Ilitch mentionne aussi la lente ascension d’une pierre jetée en l’air. « Quand elle retourne à la terre, elle est accélérée de dix mètres par seconde. » Nous sommes régis par le magnétisme gravitationnel et l’univers tout entier est impliqué dans cette accélération de votre fin. Si seulement nous pouvions retrouver les journées pleines que nous connaissions étant enfants. Mais nous sommes devenus trop familiers avec les données de l’expérience, me semble-t-il. Notre manière d’organiser les données qui affluent sous forme de Gestalt — c’est-à-dire de manière de plus en plus abstraite — accélère les expériences en une dangereuse dégringolade de comédie. Notre précipitation élimine les détails qui enchantent, retiennent ou retardent les enfants. L’art est un moyen d’échapper à cette accélération chaotique. Le mètre en poésie, le tempo en musique, la forme et la couleur en peinture. Mais nous sentons bien que nous filons vers la terre, vers l’enfouissement de la tombe. "Si ce n’étaient que des mots, dis-je à Rosamund. Mais je le ressens tous les jours. Une méditation impuissante dévore elle-même ce qui reste de la vie..." »

« — Il me citait à moi-même. » Il avait déterré une déclaration que j’avais faite sur le désenchantement moderne. Sous les débris des idées modernes, le monde était toujours là, prêt à être redécouvert. Et sa manière de le présenter était que le filet gris de l’abstraction jeté sur le monde dans le but de le simplifier et de l’expliquer d’une manière adéquate à nos objectifs culturels était devenu le monde à nos yeux. Nous avions besoin de visions alternatives, d’une diversité de regards — et il parlait de regards qui ne soient pas régentés par des idées. Il y voyait une question de mots : « valeurs », « modes de vie », « relativisme ». J’étais d’accord, dans une certaine mesure. Nous avions besoin de savoir — mais notre besoin humain profond ne peut être comblé par ces termes. Nous ne pouvons nous échapper du fossé de la « culture » et des « idées » qui sont censées l’exprimer. Les mots justes seraient d’un grand secours. Mais, plus encore, un don pour lire la réalité — l’élan de tourner son visage aimant vers elle et de presser ses mains contre elle. »

Il s’agit d’un roman à clef (Ravelstein est le philosophe Allan Bloom, ami de l’auteur), en partie autobiographique (on y trouve des portraits de femmes de Saul Bellow), mais cette face cachée de l’œuvre m’échappe largement dans cette publication en français sans appareil critique (il semble y avoir de nombreuses allusions, comme avec le Bloomsbury Group). Sinon, c’est un roman du cercle universitaire (comme L'hiver du doyen), et de celui du passé plombé des juifs (qui augure de Philip Roth notamment), mais qui ne vaut pas Herzog à mes yeux.

\Mots-clés : #amitié #antisémitisme #autobiographie #biographie #communautejuive #mort #pathologie #portrait #vieillesse #xxesiecle
par Tristram
le Dim 3 Mar - 11:21
 
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Sujet: Saul Bellow
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W.G. Sebald

Amère patrie − À propos de la littérature autrichienne

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Amzore10

Ces essais constituent une sorte de suite, ou plutôt un pendant, à La Description du malheur, d’ailleurs aussi sous-titré À propos de la littérature autrichienne. Cette fois, il s’agit dans cette « tradition d’écriture » de ce qui tourne autour du concept de Heimat, la « (petite) patrie », « qui s’était imposée dans l’Autriche des années 1930 ».
« Ce qu’on essayait d’accomplir à l’époque, c’était de gommer la moindre différence, d’ériger l’étroitesse de vue en programme et la délation en morale publique. »

Il s’agit des auteurs du XIXe (et début XXe), et sont notamment évoqués les Juifs, l’exil, les migrations, la disparition culturelle, la perte et le passé.
Intéressante découverte de Peter Altenberg, le poète bohème et flâneur viennois (rapproché de Baudelaire).
Comme pour le précédent essai, une connaissance approfondie de l’histoire et de la littérature autrichiennes serait fortement souhaitable. De même, je n’ai pas été en mesure d’apprécier vraiment la validité de la « dimension messianique » juive attribuée au Château de Kafka.
Concernant Joseph Roth, sa conscience de la destruction à venir d’un monde où les Juifs avaient leur place est significative de l’élaboration fasciste qu’il dénonce dès 1927.
« Dans le domaine de l’esthétique, il en va toujours en dernier ressort de problèmes éthiques. »

Suit un article (fort) critique sur Hermann Broch.
« Le kitsch est le pendant concret de la désensibilisation esthétique ; ce qui se manifeste en lui est le résultat d’une erreur de programmation de l’utopie, une erreur de programmation qui mène à une nouvelle ère où les substituts et les succédanés prennent la place de ce qui a été un jour le réel, y compris dans le domaine de la nature et de l’évolution naturelle. »

Je ne connaissais pas Jean Améry :
« …] le jour de l’Anschluss ne sonnait pas seulement le glas de sa patrie, de son enfance et de sa jeunesse, mais aussi, de jure, celui de sa personne [… »

« Améry endossa ce qu’on a un jour appelé le vice du peuple juif, l’être ailleurs [en français dans le texte], et devint un “apatride de métier”. »

L’essai s’achève en évoquant Peter Handle :
« Si l’idée de Heimat s’est développée au XIXe siècle à l’épreuve de plus en plus inévitable de l’étranger, l’idéologisation de la Heimat, inspirée de la même façon par l’angoisse de la perte, conduit au XXe siècle à vouloir l’expansion la plus grande possible de cette Heimat, si nécessaire par la violence et aux dépens des autres patries. »

Et si je suis loin d’avoir tout saisi, certains passages trouvent une résonance…
« À partir des mythes indiens, Lévi-Strauss a montré que leurs inventeurs ne craignaient rien tant que l’infection de la nature par l’homme. La compréhension du monde qui en résulte a pour précepte central que rien n’est plus important que d’effacer les traces de notre présence. C’est une leçon de modestie diamétralement opposée à celle que notre culture s’est proposé d’appliquer. »


\Mots-clés : #biographie #communautejuive #ecriture #essai #exil #historique #nostalgie
par Tristram
le Ven 22 Déc - 11:06
 
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Sujet: W.G. Sebald
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Philip Kerr

Une douce flamme

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Une_do10

« Le navire était le SS Giovanni, ce qui semblait tout à fait approprié puisque trois au moins de ses passagers, moi y compris, avaient appartenu à la SS. »

Avec cet incipit, Bernhard (Bernie) Gunther, alias Doktor Carlos Hausner, nous apprend qu’il rejoint l’Argentine avec Herbert Kuhlmann et… Adolf Eichmann…
Nous sommes à Buenos Aires en 1950, et le roman s’y passe (ainsi qu’à Tucumán), mais aussi à Berlin en 1932, quand Gunther y vivait la chute de la République de Weimar avec son sergent Heinrich Grund. Ce dernier est alors un fervent partisan du parti national-socialiste, qui s’oppose au SPD, « Front de fer », le parti social-démocrate, et prend le pouvoir.
L’Argentine est le salut de nombre de « vieux camarades » dans l’après-guerre, quoique…
« À Buenos Aires, il vaut mieux tout savoir qu’en savoir trop »

Le Troisième Reich s’est effondré, mais ses rescapés survivent en exil et s’organisent sous le régime de Juan (et Evita) Perón, continuant à perpétrer leurs crimes, même s’ils ne sont plus de guerre.
« — Tous les journaux sont fascistes par nature, Bernie. Quel que soit le pays. Tous les rédacteurs en chef sont des dictateurs. Tout journalisme est autoritaire. Voilà pourquoi les gens s’en servent pour tapisser les cages à oiseaux. »

« Qu’est-ce que prétend Hitler ? demandai-je. Que la force réside non dans la défense mais dans l’attaque ? »

Gunther est recruté par le SIDE, les services de renseignement péronistes, et enquête sur la mort de jeunes adolescentes auxquelles on a enlevé l’appareil génital. Il rapproche ces crimes d’une affaire similaire non élucidée en 1932 ; il apparaît qu’ils furent perpétrés pour dissimuler des avortements ratés par des psychopathes ayant profité de l’aubaine constituée par le nazisme ; Bernie retrouvera notamment le Dr Hans Kammler (ingénieur responsable « de tous les grands projets de construction SS pendant la guerre », et Herr Doktor Mengele…
« Pour être un grand détective, il faut être aussi un protagoniste. Un personnage dynamique qui provoque les événements rien qu’en étant lui-même. Et je pense que vous appartenez à cette catégorie, Gunther. »

Il se confie aussi, bourrelé par sa mauvaise conscience, à Anna, son amante juive.
« Tous les Allemands portent en eux l’image d’Adolf Hitler, dis-je. Même ceux qui, comme moi, le haïssaient, lui et tout ce qu’il représentait. Ce visage, avec ses cheveux ébouriffés et sa moustache en timbre-poste, continue de nous hanter, aujourd’hui encore et à jamais, et, telle une douce flamme impossible à éteindre, brûle dans nos âmes. Les nazis parlaient d’un Reich de mille ans. Mais, parfois, je me dis qu’à cause de ce que nous avons fait, le nom de l’Allemagne et les Allemands sont couverts d’infamie pour mille ans. Qu’il faudra au reste du monde mille ans pour oublier. Vivrais-je un millier d’années que jamais je n’oublierais certaines des choses que j’ai vues. Et certaines de celles que j’ai commises. »

« J’en veux aux communistes d’avoir appelé en novembre 1932 à la grève générale qui a précipité la tenue d’élections. J’en veux à Hindenburg d’avoir été trop vieux pour se débarrasser de Hitler. J’en veux aux six millions de chômeurs – un tiers de la population active – d’avoir désiré un emploi à n’importe quel prix, même au prix d’Adolf Hitler. J’en veux à l’armée de ne pas avoir mis fin aux violences dans les rues pendant la République de Weimar et d’avoir soutenu Hitler en 1933. J’en veux aux Français. J’en veux à Schleicher. J’en veux aux Britanniques. J’en veux à Gœbbels et à tous ces hommes d’affaires bourrés de fric qui ont financé les nazis. J’en veux à Papen et à Rathenau, à Ebert et à Scheidemann, à Liebknecht et à Rosa Luxemburg. J’en veux aux spartakistes et aux Freikorps. J’en veux à la Grande Guerre d’avoir ôté toute valeur à la vie humaine. J’en veux à l’inflation, au Bauhaus, à Dada et à Max Reinhardt. J’en veux à Himmler, à Gœring, à Hitler et à la SS, à Weimar, aux putains et aux maquereaux. Mais, par-dessus tout, je m’en veux à moi-même. Je m’en veux de n’avoir rien fait. Ce qui est moins que ce que j’aurais dû faire. Ce qui est tout ce dont le nazisme avait besoin pour l’emporter. Je suis coupable, moi aussi. J’ai mis ma survie au-dessus de toute autre considération. C’est une évidence. Si j’étais vraiment innocent, je serais mort, Anna. Ce qui n’est pas le cas. »

« — Mon ange, s’il y a bien une chose qu’a montrée la dernière guerre, c’est que n’importe qui peut tuer n’importe qui. Tout ce qu’il faut, c’est un motif. Et une arme.
— Je n’y crois pas.
— Il n’y a pas de tueurs. Seulement des plombiers, des commerçants, et aussi des avocats. Chacun est parfaitement normal jusqu’à ce qu’il appuie sur la détente. Il n’en faut pas plus pour livrer une guerre. Des tas de gens ordinaires pour tuer des tas d’autres gens ordinaires. Rien de plus facile. »

Entr’autres lieux communs, on fera une petite virée au-dessus du Rio de la Plata avec des opposants de Perón, et on retrouvera même les ruines d’un camp d’extermination de Juifs dans la pampa, mais cette approche d’une Histoire si difficile à comprendre ne m’a pas paru vaine, même si elle peut sembler oiseuse, ou simpliste. Kerr donne quelques éclaircissements sur ses sources en fin d’ouvrage.

\Mots-clés : #antisémitisme #communautejuive #criminalite #culpabilité #deuxiemeguerre #exil #guerre #historique #politique #xxesiecle
par Tristram
le Lun 31 Juil - 15:06
 
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Sujet: Philip Kerr
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Etgar Keret

Sept années de bonheur

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Sept_a10

Ces chroniques intimes, parues en 2013 en Israël, réunissent des ressentis et réflexions d’un habitant d’un pays menacé en permanence, et sa condition particulière, notamment lors de ses nombreux voyages à l’étranger. Significativement, la première évoque comme, ayant amené sa femme pour accoucher dans un hôpital, y affluent les victimes d’un attentat terroriste de plus. Mais c’est aussi un regard plus vaste sur cette société ; ainsi sa sœur est convertie à l’orthodoxie.
« En France, un réceptionniste nous dit, à moi et à l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, que si ça ne tenait qu’à lui, l’hôtel ne recevrait pas les juifs. Après quoi il me fallut passer le reste de la soirée à entendre Sayed râler : comme si ça ne suffisait pas d’avoir subi l’occupation sioniste pendant quarante-deux ans, il lui fallait maintenant supporter l’insulte d’être pris pour un juif. »

Beaucoup de choses sur les taxis, son fils, son père, et aussi La maison étroite, « une maison qui aurait les proportions de mes nouvelles : aussi minimaliste et petite que possible », qu’un architecte lui construit à Varsovie. Sur trois niveaux, elle est prévue dans une « faille » entre deux immeubles :
« Ma mère regarda l’image simulée pendant une fraction de seconde. À ma grande surprise, elle reconnut immédiatement la rue ; l’étroite maison serait construite, par le plus grand des hasards, à l’endroit précis où un pont reliait le petit ghetto au grand. Quand ma mère rapportait en fraude de quoi nourrir ses parents, elle devait franchir une barrière à cet endroit, gardée par un peloton de nazis. Elle savait qu’en se faisant surprendre avec une miche de pain elle serait exécutée sur-le-champ. »

Seule rescapée de sa famille, son père lui avait demandé de vivre pour faire survivre leur nom.
Voici l’extrait qui m’a conduit à lire ce livre (et constitue une bonne réponse possible dans le dossier La littérature c’est koi, notée par Bix en son temps) :
« L’écrivain n’est ni un saint ni un tsadik [(homme) juste, en hébreu] ni un prophète montant la garde ; il n’est rien qu'un pécheur comme un autre doté d’une conscience à peine plus aiguisée et d’un langage un peu plus précis dont il sert pour décrire l’inconcevable réalité de notre monde. Il n’invente pas un seul sentiment, pas une seule pensée ‒ tout cela existait longtemps avant lui. Il ne vaut pas mieux que ses lecteurs, pas du tout ‒ il est parfois bien pire ‒, et c'est ce qu’il faut. Si l'écrivain était un ange, l'abîme qui le séparerait de nous serait si vaste que ses écrits ne nous seraient pas assez proches pour nous toucher. Mais parce qu'il est ici, à nos côtés, enfoui jusqu'au cou dans la boue et l'ordure, il est celui qui plus que quiconque peut nous faire partager tout ce qui se passe dans son esprit, dans les zones éclairées et, plus encore, dans les recoins sombres. »


\Mots-clés : #antisémitisme #autobiographie #communautejuive #conflitisraelopalestinien #contemporain #ecriture #terrorisme #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 19 Mai - 12:45
 
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Sujet: Etgar Keret
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George Steiner

Un long samedi, entretiens avec Laure Adler

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Un_lon10

« Ce livre est issu de plusieurs séries d’entretiens inities par France Culture entre 2002 et 2014, puis réécrits et restructurés par les auteurs. »

Le premier tiers du livre traite de la judéité, et est fort déroutant : qu’est-ce que l’identité, la spécificité juive ?
On connaît ma sensibilité aux majuscules, et j’ai attentivement surveillé les occurrences du substantif avec ou sans ; il porte généralement une majuscule, et se rattacherait donc au peuple des Juifs. Steiner se dit non croyant, pratiquement antisioniste ; il se targue de réflexion rationnelle et d’esprit scientifique, rejetant notamment la notion de « race ». Qu’est-ce alors qu’être Juif, ou juif ? Ce serait appartenir à un peuple, « une vision intellectuelle, morale, spirituelle », voire « avoir une certaine culture, une certaine éducation, un certain sens esthétique » ; une sorte d’état d’esprit, de méritocratie. Partager, bénéficier d’une franc-maçonnerie de l’information, ne pas être pédophile :
« …] (je suis prudent, car que savons-nous des grands secrets ?)… »

On voit qu’à ce jeu des citations on peut vite glisser dans une vision complotiste, monter de nouveaux Protocoles des Sages de Sion !
« L’Amérique juive domine une grande partie de la science et de l’économie de la planète. »

« Mais fondamentalement, ce qui me fascine, c’est le mystère de l’excellence intellectuelle juive. Il ne faut pas être hypocrite : en sciences, le pourcentage de Nobel est écrasant. Il y a des domaines dans lesquels il y a presque un monopole juif. Prenez la création du roman américain moderne par Roth, par Heller, par Bellow, et tant d’autres. Les sciences, les mathématiques, les médias aussi… Pravda était édité par des Juifs. »

« Pourquoi est-ce que 70 % des Nobel en sciences sont juifs ? Pourquoi est-ce que 90 % des maîtres d’échecs sont juifs, que ce soit en Argentine ou à Moscou ? Pourquoi les Juifs se reconnaissent-ils entre eux à un niveau qui n’est pas seulement celui de la réflexion rationnelle ? Il y a de longues années, Heidegger disait : "Quand on est trop bête pour avoir quelque chose à dire, on raconte une histoire !" C’est méchant. Alors je vais raconter une histoire ! Il y a des années et des années, alors que j’étais jeune doctorant, je suis allé à Kiev. Je sors le soir pour me promener, j’entends des pas derrière moi, un homme se met à marcher à mon côté et prononce le mot Jid. Je ne savais pas le russe et lui ne savait pas l’allemand, mais nous découvrons que l’un comme l’autre nous savons un peu de yiddish. Je lui dis : "Vous n’êtes pas juif ? − Non, non. Mais je vais vous expliquer. Pendant les années noires des purges staliniennes, des extraterrestres auraient pu atterrir dans le village voisin qu’on ne l’aurait pas su : on ne savait rien ! Mais les Juifs, eux, avaient des nouvelles du monde entier ! Comment ? Nous ne l’avons jamais compris, mais ils savaient ce qu’il se passait." Une vraie franc-maçonnerie de la communication souterraine. Il a ajouté : "J’ai appris assez de yiddish pour pouvoir au moins leur poser la question : ‘‘Que se passe-t-il à Moscou ?’’ Parce que, eux, ils savaient." »

Tout cela est troublant, d’autant que Steiner cite fréquemment Heidegger, penseur qui fut pourtant nazi (il est vrai que les Cahiers noirs, marqués d’antisémitisme, n’avaient pas encore été publiés à l’époque). Jusque dans sa conception personnelle de la judéité, il y a une réactivation du mythe du Juif errant : être « celui qui est en route, fier de ne pas avoir de chez-lui. »
« Et dans l’errance, je vois un très beau destin. Errer parmi les hommes, c’est leur rendre visite. »

« Être juif, c’est appartenir à cette tradition plurimillénaire du respect pour la vie de l’esprit, du respect infini pour le Livre, pour le texte, et c’est se dire que le bagage doit toujours être prêt, qu’il faut toujours que la valise soit faite, je le répète. »

Suit la question de la langue, ou plutôt des langues, chez ce polyglotte.
« Pour Nabokov, Byron vient presque avant Pouchkine ; et sa nounou – capitale dans l’histoire – lui parlait anglais. »

Mademoiselle O, sa gouvernante, était de langue française, et lui apprit… le français (langue dans laquelle il écrivit ce texte) ?!
« Une langue, c’est une façon de dire les choses, tout simplement : le verbe au futur – qui s’appelle l’espoir dans certaines langues – est différent dans chaque langue. L’attente du potentiel de l’aventure humaine, de la condition humaine varie de langue en langue. Tout autant que le souvenir, que l’immense masse du souvenir. »

Puis le Livre, et les livres.
« …] on peut presque définir le Juif comme étant celui qui lit toujours avec un crayon en main parce qu’il est convaincu qu’il pourra écrire un livre meilleur que celui qu’il est en train de lire. C’est une des grandes arrogances culturelles de mon petit peuple tragique. Il faut prendre des notes, il faut souligner, il faut se battre contre le texte, en écrivant en marge : "Quelles bêtises ! Quelles idées !" »

Et la littérature.
« Bien sûr, il y a Proust et Céline qui divisent la langue française moderne entre eux. Il n’y en a pas de troisième. »

La psychanalyse.
« "Vider son sac" – comme on dit en français – dans les mains d’autrui, contre paiement, cela m’horripile. C’est se prendre au sérieux d’une façon à mes yeux inexcusable. Et d’ailleurs, dans les camps de la mort ou sous les bombardements, dans les vraies horreurs de la vie, sur les champs de bataille, on ne fait pas de psychanalyse ; on trouve en soi-même des forces presque infinies, des ressources presque infinies de dignité humaine. »


\Mots-clés : #antisémitisme #communautejuive #entretiens #religion #universdulivre
par Tristram
le Dim 8 Mai - 13:58
 
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Sujet: George Steiner
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Bernard Malamud

Le Tonneau magique

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Treize nouvelles sur les déboires de petits juifs, généralement à New York (ou en Italie), souvent réfugiés polonais après la Seconde Guerre mondiale, et qui cherchent un peu de bonheur.
Les Sept Premières Années : Sobel est amoureux de la fille du cordonnier Feld pour qui il travaille, mais ce dernier rêve d’un beau-fils plus prospère.
Les Pleureurs : Kessler, un ancien mireur d’œufs, est expulsé par son "marchand de sommeil" ; il pleure sur son existence (il a abandonné femme et enfants), et son propriétaire se joint à lui.
La Fille de mes rêves : auto-autodafé de manuscrits…
L’Ange Levine : Manischevitz, un infortuné tailleur, hésite à croire en un ange gardien, juif noir de Harlem.
Attention à la clé : un pauvre étudiant aves femme et enfant cherche un logement à Rome.
Prenez pitié : Rosen, un ancien représentant malade, s’efforce de donner de l’aide à une jeune veuve dans le besoin avec deux enfants, jusqu’à sacrifier sa vie.
La Prison : piégé, un ancien délinquant tente de prévenir une délinquante en herbe.
La Dame du lac : Levin, un ancien chef de rayon juif américain, profite d’un petit héritage pour visiter l’Italie, où il rencontre Isabella del Dongo sur son île du lac de Streza – croit-il −, et ment pour rehausser sa condition.
Lectures d’été : George a abandonné l’école, et reprend les livres pour se conformer à ce qu’il prétend faire.
La Facture : Willy Schlegel, concierge, achète à crédit dans la petite boutique d’en face, et ne peut pas rembourser.
Le Dernier Mohican : Arthur Fidelman, un étudiant du Bronx, arrive à Rome pour écrire une étude critique sur Giotto, et d’emblée Shimon Susskind, un réfugié, juif comme lui, le sollicite en quémandant son vieux costume. Le premier chapitre que Fidelman a écrit lui est dérobé, et il suspecte Susskind, qu’il cherche longuement, ne parvenant plus à poursuivre son ouvrage.
Le Prêt : Kobotsky réapparaît chez Lieb le boulanger. Amis lorsqu’ils étaient jeunes immigrants, une question d’argent les sépare jusque dans leurs misères.
Le Tonneau magique : Léo Finkle, un étudiant rabbinique de l’Université de Yeshivah de New York, passe par un marieur pour rencontrer une future épouse.
« Il lui fit remarquer en passant que la fonction du marieur était antique et honorable, hautement approuvée par la communauté juive, car elle rendait le nécessaire pratique sans entraver la joie. »


\Mots-clés : #communautejuive #misere #nouvelle #viequotidienne
par Tristram
le Mer 15 Déc - 12:31
 
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Sujet: Bernard Malamud
Réponses: 46
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Philip Roth

L'Écrivain des ombres

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Le narrateur est Nathan Zuckerman, alter ego de Philip Roth (et ce roman est le premier du cycle qu’il consacra à ce personnage). Il s’agirait d’un Bildungsroman (terme employé par Roth), où Zuckerman apparaît comme un écrivain encore jeune et prometteur.
Une loufoque série de mentors gigognes commence avec E.I. Lonoff, illustre écrivain exclusivement dédié à l’écriture, vivant reclus dans la « ruralité goy peuplée d’oiseaux et d’arbres où l’Amérique était née et s’était éteinte depuis longtemps. » Elle se poursuit avec… Thomas Mann ! mentor de Félix Abravanel, autre membre (fictionnel ; je ne crois pas qu’il s’agisse d’un roman à clef, quoique…) avec Babel (dont Roth me ramentoit que j’ai les Contes d’Odessa dans ma PAL), du cénacle de grands auteurs qui forcent le respect de Zuckerman.
Outre le milieu littéraire, c’est celui du judaïsme (aux USA) qui est évoqué ; d’ailleurs Zuckerman, confit de déférence pour Lonoff son père spirituel, est entré en conflit avec son père biologique, qui lui reproche d’avoir écrit un texte sur un épisode cupide de leur histoire familiale, risquant de les déconsidérer et d'alimenter l’antisémitisme.
Bien sûr les références littéraires abondent, certaines directes, comme pour Les Années médianes d’Henry James. Dans le second chapitre (sur quatre), Philip Roth associe son alter ego à Dedalus, personnage principal de Portrait de l’artiste en jeune homme, roman autobiographique de Joyce sur le passage à l’âge adulte.
Toujours mené par la libido et l’imagination de son auteur, le lubrique et inventif Zuckerman tombe amoureux d’Amy la jeune étudiante qui travaille pour Lonoff… et serait Anne Frank ayant survécu, belle et intelligente jeune fille, écrivain refusant d’être réduit à une rescapée juive (et qui ressent pour Lonoff des sentiments plus que filiaux) !
« Responsabilité devant les morts ? Rhétorique pour les dévots ! Il n’y avait rien à donner aux morts – ils étaient morts. »

Ce qui semble surtout révolter Zuckerman/ Roth, c’est qu'en plus d’adopter une attitude conventionnelle, on demande aux juifs d’expliquer pourquoi ils sont haïs – plutôt qu’à leurs persécuteurs.
Roman bref (ramassé sur le temps d'une visite de Zuckerman à Lonoff), retors, assez iconoclaste et d’un humour féroce ; le thème central serait : comment écrire de la fiction sous le fardeau d'un lourd passé.
Je ne sais pas faire la part d'autobiographie et d'autofiction, et cocherai les deux cases.

\Mots-clés : #autobiographie #autofiction #communautejuive #ecriture
par Tristram
le Mar 20 Juil - 12:13
 
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Elias Canetti

La Langue sauvée - Histoire d’une jeunesse 1905-1921

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A paru en 1977, récit autobiographique (premier opus de ceux-ci), 210 pages environ.

Histoire d'une trajectoire, avec une petite enfance dans un milieu plutôt très aisé à Roustchouk (aujourd'hui Roussé ou Ruse, dans l'actuelle Bulgarie), dans une famille Séfarade (s'orthographie "Sépharade" dans la version dont je dispose).
Classiquement ladinophone, originaire d'Anatolie, où leurs ancêtres avaient migré à la toute fin du XVème siècle suite aux lois d'expulsion des juifs des royaumes d'Espagne et du Portugal, comme nombre de Séfarades, alors bienvenus dans l'empire Ottoman, la famille Canetti s'appelait alors Cañete et a modifié son patronyme suite à une installation du côté de Venise, qui s'avèrera provisoire.

Un grand père commerçant, grossiste, qui emploie outre son frère le père d'Elias (lequel Elias a reçu le prénom du grand père), lequel père  a épousé Mathilde Arditti, d'une des meilleures familles juives Séfarade de l'Empire établie à Roustchouk, ils se sont connus à Vienne, sont férus d'art, en particulier de musique et de littérature, parlent allemand entre eux, et Elias grand père a tout fait pour contrarier la vocation de musicien de son fils, le faisant entrer de gré ou de force dans l'entreprise qu'il mène.
Elias a deux frères, Georg et Nissim, une cousine qui réside dans la même grande maison, Laurica, qui faillit l'ébouillanter, peut-être en réaction du fait qu'il l'a poursuivie un jour, hache piquée au tas de bois en mains, pour une histoire de cahier qu'elle refusait de lui montrer, ces deux évènements sont déterminants.

Il y a dans la petite enfance d'Elias Canetti un attachement viscéral à sa mère, des propos dithyrambiques envers son père, et un départ brusque pour Manchester, le père d'Elias s'étant fâché avec son grand père, se dernier finira par le maudire -chose terrible et extrêmement rare parmi les juifs Séfarades.

Peu de temps après l'installation de la famille à Manchester, où le père d'Elias est associé aux brillantes affaires d'un frère de Mathilde (il s'agit toujours de commerce, d'import-export), ce père meurt brusquement, âgé de 31 ans, laissant Mathilde veuve à 27 ans.

La suite de ce premier volume autobiographique se déroule d'abord en Suisse, vécu comme une étape avant Vienne, le retour à Vienne étant la grande perspective de Mathilde, laquelle est souffrante et se voit préconiser des soins, de préférence dans quelque sanatorium Suisse. D'abord Lausanne, puis Zürich, tout le corpus se déroule autour de la relation mère-fils aîné, peu ordinaire il est vrai, et de l'adaptation à la vie Suisse ainsi que de questions relatives à la scolarité, et au personnel de maison, puis -enfin- c'est Vienne, 1913-1916, période qui forme la troisième et dernière section de l'ouvrage.        

Vienne, mais via Zürich où Elias est scolarisé sans ses frères et loin de sa mère, ce sont aussi les premières manifestations d'antisémitisme au lycée, joliment narrées au demeurant, les camarades, les professeurs, et une admission dans un pensionnat tenu par quatre sœurs (ou presque sœurs) âgées, où Elias est le seul garçon.  
Sur le titre de l'ouvrage ("La langue sauvée"), on s'aperçoit qu'en effet Elias jongle déjà avec bonheur avec les langues, outre le Ladino, l'Anglais, le Français (peut-être un peu en-deçà sur cette langue-là, toutefois), l'Allemand - et le Latin... et aussi les lieux, les us, les cultures.
Truffé de personnages fort bien campés, ce volume d'entrée en matière est assez prenant:
On sent que Canetti éparpille des pièces de puzzle, tout en nous les donnant à voir chacune, et, une fois le mélange bien effectué, il devrait peu à peu nous donner à discerner quelque chose, mais quoi ?  

Goppenstein était encore plus inhospitalier, plus désert que je ne m'y attendais. On grimpa jusqu'au Löschendal par l'unique sentier qui relie la valée au monde extérieur. J'appris que ce sentier était encore plus étroit peu de temps auparavant; les bêtes chargées de leur faix ne pouvaient y progresser que l'une derrière l'autre. Il y avait moins de cent ans, les ours étaient encore nombreux dans le coin; à présent, on n'en rencontrait plus et c'était bien dommage. Je songeai avec regret aux ours disparus quand la vallée s'ouvrit brusquement devant nous; éclatante sous la lumière du soleil, elle s'étendait en penteascendante, se terminant par un glacier à hauteur des montagnes blanches qui se profilaient par derrière.
Il ne fallait pas beaucoup de temps pour rejoindre l'autre extrémité de la vallée.
De Ferden à Blatten, le chemin sinueux passait par quatre localités. Tout ici était différent, d'un autre âge.
Les femmes portaient un chapeau de paille noir. Et non seulement les demmes mais aussi les petites filles. Il y avait quelque chose de solennel, même dans l'allure des enfants de trois ou quatre ans, à croire que l'on était conscient ici, dès sa naissance, de la particularité de l'endroit où l'on vivait et, par suite, forcé pour ainsi dire de prouver aux intrus qu'on était différent, qu'on n'avait rien à voir avec eux.
Les enfants se pressaient contre les vieilles femmes au visage érodé sous le regard desquelles ils jouaient encore un instant auparavant.
La première phrase que j'entendis prononcer me parut provenir du fond des âges.
Un très petit garçon mais fort entreprenant s'était avancé vers nous; une vieille femme l'avait rappelé et les deux mots qu'elle lui lança pour le détourner de nous me parurent si beaux que je n'en crus pas mes oreilles: "Chom Buobilu ! - viens mon garçon", fit-elle.
Quelles voyelles étranges ! "Buebli" que j'avais l'habitude d'entendre pour "Büblein" devenait "Buobilu", sombre assemblage de u, o et i qui me fit penser aux poésies en vieux haut allemand que nous lisions en classe.
Je savais que le dialecte suisse était proche du moyen haut allemand; maintenant seulement, je découvrais qu'il y avait des patois encore plus anciens et qui sonnaient comme du vieux haut allemand.
La phrase de la vieille femme s'est d'autant mieux gravée dans ma mémoire qu'il ne me fut pas donné d'entendre autre chose de la journée. Les gens étaient muets et semblaient nous éviter.


\Mots-clés : #autobiographie #communautejuive #relationenfantparent #viequotidienne #voyage #xxesiecle
par Aventin
le Dim 4 Juil - 20:57
 
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Bernard Malamud

Le Commis

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Morris Bober est un petit épicier juif assez misérable ‒ un raté. Frank Alpine est un jeune goy ‒ un rital ‒, également assez misérable, qui participa au braquage lamentable de Morris, et se fait bizarrement embaucher par celui-ci comme commis. Grâce à lui les affaires semblent s’’améliorer, tandis qu’il s’éprend de la fille de la maison, Helen.
Les pensées des personnages tournent toutes autour du rêve américain, de la réussite sociale et personnelle : « devenir quelqu’un ». Il semble que les destinées soient inéluctablement bornées (parce qu'ils appellent la malchance), que ce soient les membres de la famille juive ou Frank, qui, dans une imprédictible alternance de dévouement et d’autodestruction, paraît voué à saboter ses propres espoirs par son comportement, et à entretenir sourdement une culpabilité qui le condamne à échouer.
« Il comprit qu’il aurait toujours des péchés inavouables, et il en fut profondément atteint. »

« Une autre chose qui l’encourageait à continuer ses filouteries, c’était le sentiment qu’il avait porté chance aux Bober en même temps qu’il leur rendait service. Quoi de plus normal que de prélever un petit quelque chose ? »

« Les années avaient passé, inexorables, sans rien lui laisser. À qui la faute ? Les coups que le sort lui avait épargnés, il se les était infligés lui-même. Il avait toujours choisi la mauvaise voie ; il s’était toujours infailliblement trompé et, faute d’instruction, il n’avait jamais pu comprendre pourquoi. La chance est un don qui ne s’acquiert pas. »

« Il [Morris] était plein de frustration : chacun de ses mouvements semblait se finir en tragédie. »

Ces existences précaires, étriquées dans un milieu de petits marchands, tournent avec les occurrences répétées de sordides comptes de menue monnaie.
« Un commerçant sentait tout de suite quand les affaires reprenaient. Les gens semblaient moins inquiets et moins irritables, moins en compétition permanente pour obtenir leur part de soleil sur cette terre. »

La situation évolue cependant vers un imbroglio inextricable des rapports humains de la maisonnée.
Être juif, c’est suivre les rites et préceptes de la religion mosaïque, ce que les Bober ne font pas à la lettre. La qualité distinctive des Juifs, outre un reste de culture commune et la méfiance envers les goys, semble consister en une certaine résignation consentante à l’adversité.
« Dieu bénisse Julius Karp, pensa l’épicier. Sans lui, mon existence serait trop facile. Si Dieu a créé Karp, c’est pour me rappeler que la vie d’un petit épicier est dure, mais ce n’est pas une raison pour l’envier. »

« En somme, se disait Frank, ces gens-là ne vivent que pour souffrir. Et le plus honoré d’entre eux, le pur des purs, le Juif modèle est celui qui supporte le plus longtemps la douleur qui lui ronge les tripes avant de se précipiter aux toilettes. Pas étonnant s’ils lui tapaient sur les nerfs. »

« C’est drôle, se dit-il, pour les Juifs la souffrance est une pièce de tissu ; ils s’en drapent comme dans un vêtement. »

« …] il est resté fidèle à l’esprit de notre loi en souhaitant pour les autres ce qu’il désirait pour lui-même, selon la loi que Dieu dicta à Moïse sur le mont Sinaï. »

À ce propos, voici une étonnante expression d’Helen :
« Elle aurait voulu être à nouveau vierge et en même temps mère. »

Les Juifs ne sont pas présentés sous un jour plus favorable que les goys (on se demande d’ailleurs où serait la différence entre les uns et les autres) :
« Quand on a du gelt [argent] plein les poches, toutes les femmes ont le genre qu’on veut, dit Karp. »

Frank, si épris de la notion de rachat, constitue une sorte de figure christique (références à saint  François d'Assise, etc.)  

Mots-clés : #communautejuive #religion
par Tristram
le Mer 15 Avr - 22:51
 
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Sujet: Bernard Malamud
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Philip Roth

Némésis

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C’est donc l’histoire d’une épidémie de polio, mais surtout prétexte à s’interroger sur l’« injustice », l’iniquité perçue entre destins humains plus ou moins "heureux", (et) l’absence de sens de ces destinées.
« Quel sens peut bien avoir la vie ?
‒ On a l’impression qu’elle n’en a pas, répondit Mr Cantor.
‒ Où est la balance de la justice ? demanda le pauvre homme.
‒ Je n’en sais rien, Mr Michaels.
‒ Pourquoi est-ce que la tragédie frappe toujours les gens qui le méritent le moins ?
‒ Je ne connais pas la réponse, répondit Mr Cantor. »

« Parfois on a de la chance, et parfois on n’en a pas. Toute biographie tient du hasard et, dès le début de la vie, tout relève du hasard, de la tyrannie de la contingence. Le hasard, je crois que c’est ce que Mr Cantor voulait dire quand il accusait ce qu’il appelait Dieu. »

La « fureur contre Dieu pour avoir poursuivi d’une haine meurtrière les enfants innocents de Weequahic » entre en résonance avec ma lecture de Le Livre contre la mort, d’Elias Canetti.
« Mais maintenant qu’il n’était plus un enfant, il était capable de comprendre que si les choses ne pouvaient pas être autres que ce qu’elles étaient, c’était à cause de Dieu. Si ce n’était pas à cause de Dieu, de la nature de Dieu, elles seraient autres. »

« Il était frappé de voir à quel point les vies divergent, et à quel point chacun d’entre nous est impuissant face à la force des choses. Et Dieu dans tout ça ? Pourquoi est-ce qu’Il installe une personne, le fusil à la main, dans la France occupée par les nazis, et une autre dans le réfectoire d’Indian Hill devant une assiette de gratin de macaronis ? Pourquoi est-ce qu’Il place un enfant de Weequahic dans un Newark ravagé par la polio, et une autre enfant dans le splendide sanctuaire des Poconos ? Pour quelqu’un qui avait jusqu’alors trouvé dans le sérieux et l’application au travail la solution à tous ses problèmes, il était maintenant bien difficile de s’expliquer pourquoi ce qui arrive arrive comme ça et pas autrement. »

« Espérons que leur Dieu miséricordieux leur accordera tout cela avant de leur planter Son poignard dans le dos. »

Concernant l’épidémie et ses méfaits collatéraux, le mécanisme du bouc émissaire joue bien sûr (tout autant qu’à notre époque "éclairée", si acharnée à trouver "un responsable") :
« C’est pourquoi tout le monde essaie de trouver qui ou ce qui pourrait être responsable. On essaie de trouver un coupable pour pouvoir l’éliminer. »

Le point de vue juif souligne la mécanique du tandem peur-haine :
« Je m’oppose à ce qu’on fasse peur aux enfants juifs. Je m’oppose à ce qu’on fasse peur aux Juifs, point. Ça c’était l’Europe, c’est pour cela que les Juifs ont fui. Nous sommes en Amérique. Moins il y aura de peur, mieux cela vaudra. La peur fait de nous des lâches. La peur nous avilit. Atténuer la peur, c’est votre job, et le mien. »

« Certains semblent penser que la meilleure solution pour se débarrasser de la polio serait d’incendier Weequahic, avec tous les Juifs dedans. Il y a beaucoup d’agressivité à cause de toutes les choses délirantes que les gens disent par peur. Par peur et par haine. »

Qu’on soit croyant ou pas, l’existence est incertaine, et ceci établi il reste à s’interroger sur les réactions humaines vis-à-vis de cet état de fait. Bucky Cantor est déterminé par son passé à une culpabilité ravageuse : son sens des responsabilités est paradoxalement mené à l’absurde.
« Il faut qu’il convertisse la tragédie en culpabilité. Il lui faut trouver une nécessité à ce qui se passe. Il y a une épidémie, il a besoin de lui trouver une raison. Il faut qu’il se demande pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi ? Que cela soit gratuit, contingent, absurde et tragique ne saurait le satisfaire. Que ce soit un virus qui se propage ne saurait le satisfaire. Il cherche désespérément une cause plus profonde, ce martyr, ce maniaque du pourquoi, et il trouve le pourquoi soit en Dieu soit en lui-même, ou encore, de façon mystique, mystérieuse, dans leur coalition redoutable pour former un destructeur unique. »

« "Je voulais aider les gosses à devenir forts, finit-il par dire, et au lieu de ça, je leur ai fait un mal irrévocable." C’était cette pensée qui avait tenaillé pendant tant d’années de souffrance silencieuse un homme qui méritait moins que tout autre qu’il lui soit fait du mal. »

Le passage central sur les activités "scoutes" du camp d’été m’a paru long, et assez hors de propos, alors que la thématique du roman est ailleurs exposée sans détour.
Le style m’a semblé impropre par moments, mais est-ce dû à la traduction ?

Mots-clés : #communautejuive #culpabilité #Pathologie
par Tristram
le Jeu 26 Mar - 20:44
 
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Jean-Pierre Luminet

Le bâton d'Euclide ‒ Le roman de la Bibliothèque d’Alexandrie

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Divulgation (terme préféré à vulgarisation par Jean-Pierre Luminet), roman historique des aventures de pensée des scientifiques dans le musaeum (maison des Muses) aux sept cent mille livres d’Alexandrie la cosmopolite, sur mille ans.
En 642, le général Amrou investit Alexandrie, Bédouin envoyé par le calife Omar de Médine pour brûler les livres de sa fameuse bibliothèque : le Coran les rend inutiles, voire pernicieux.
« Quant aux livres dont tu me parles dans ta dernière lettre, voici mes ordres : si leur contenu est en accord avec le livre d’Allah, nous pouvons nous en passer puisque, dans ce cas, le Coran est plus que suffisant. S’ils contiennent au contraire quelque chose de différent par rapport à ce que le Miséricordieux a dit au Prophète, il n’est aucun besoin de les garder. Agis, et détruis-les tous. »

Le bibliothécaire, Philopon, un vieux philosophe chrétien, Rhazès, un médecin juif, et la belle Hypatie, mathématicienne et musicienne, vont plaider (sur le mode des Mille et une Nuits) pour donner au général les arguments qui pourraient infléchir la décision du commandeur des croyants : c’est l’occasion de narrer l’histoire de la ville depuis le projet des Ptolémées, ainsi que l’apport des savants, écrivains et philosophes qui la marquèrent : Euclide, Archimède, Callimaque, Apollonios, Aristarque, Ératosthène, Hipparque, Philon, Claude Ptolémée, Galien…
La ficelle est grosse, la psychologie indigente, le style convenu (quelque part entre Amin Maalouf et d’Ormesson), mais cela peut constituer une belle découverte des premiers pas de l’esprit scientifique, basés sur l’observation et le calcul.
Évidemment, on parle beaucoup d’astronomie… et, bizarrement, d’astrologie !
En compléments d’une postface ou l’auteur précise sa part d’invention, on trouve d’utiles annexes, Personnages, tableaux chronologiques et notes savantes.

« Et les rois ont plus besoin des poètes que les poètes des rois. »

« ‒ Nous, les Bédouins, nous n’avons souvent pour toit que la voûte étoilée. Et nulle part le ciel ne paraît plus proche de la terre qu’au milieu du désert. Le désert nous invite au ciel. Dans la solitude et le silence des dunes, l’esprit qui pense subit par degrés la dilatation de l’infini. Plusieurs fois, jadis, aux côtés de mon grand-père, j’ai ressenti cette expérience intérieure, presque mystique… Je voyais, j’entendais, j’adorais la musique du ciel dans le silence universel… »

« …] brûler les livres, c’est brûler ses ancêtres, brûler son père et sa mère, brûler son âme, brûler l’humanité tout entière avec elle. »

« Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé !
Lis !

Ce sont les premiers mots que dit au Prophète l’archange Gabriel, le messager d’Allah, dans la caverne du mont Hira où Mahomet connut la Révélation.
[…]
Lire, sans doute, songea Hypatie. Mais lire quoi et comment ? Lire le seul Coran ou avoir la curiosité de se pencher sur d’autres ouvrages ? Lire sans comprendre n’est pas grave. Lire sans douter est redoutable. Lire sans plaisir, ce n’est pas lire. »

« ‒ Je n’ai appris qu’une seule chose durant tous mes voyages : il faut écouter l’autre, l’étranger, il faut lire l’autre, l’étranger. Il faut le comprendre. Cela doit être notre règle ordinaire, Nikolaus, notre règle absolue. Comme dit le vieux proverbe grec : "Fais bon accueil aux étrangers"…
‒ "Fais bon accueil aux étrangers, car toi aussi un jour tu seras étranger", complète Nikolaus. »


Mots-clés : #antiquite #communautejuive #historique #science #spiritualité #universdulivre
par Tristram
le Lun 16 Déc - 20:51
 
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Stefano Massini

Les frères Lehman

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Entre 1844 où les trois frères Lehman, fils d’un Juif marchand de bestiaux allemends, débarquent aux Etat-Unis pour  faire fortune, et le krach boursier de 2008, il y a trois générations menées par la soif de l’argent. Un petit commerce de vêtements  mène au commerce du coton à l’échelle du pays, puis du café, puis du charbon, puis les médias, puis les automobiles, puis  les avions puis le cinéma (et j’en passe), avec un détour par la banque, et les voilà à la conquête du monde ! Le tout mené avec une arrogance jamais démentie, mais des caractères bien différents.

Somptueuse galerie de portraits, portrait d’un pays et d’une époque, l’histoire de la famille Lehman, c’est l’histoire du capitalisme à l’œuvre, c’est l’histoire de notre désir permanent de croître, qui va nous mener à la chute.

Voilà un récit audacieux tant par l’ampleur du sujet que par la forme magistrale : roman-poème biblique de 800 pages, avec ses litanies, ses leitmotivs, ses refrains, prose fragmentée aux raccourcis saisissants qui mêle la sagesse et l’humour. Il s’agit d’un sacré moment de littérature.
Grandiose.

Il existe aussi une pièce de théâtre, du même auteur : Chapitres de la chute. Saga des Lehman Brothers

Mots-clés : #communautejuive #famille #historique #immigration #mondialisation
par topocl
le Dim 27 Oct - 17:56
 
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Daniel Mendelsohn

Les Disparus

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Très tôt dans l’ouvrage, les commentaires du commencement de la Torah, l’origine du monde et le début de l’histoire de l’humanité, le présentent comme une sorte de travelling du général au particulier, procédé choisi par souci de raconter une histoire particulière pour représenter l’universelle. Une intéressante glose de la Bible se déroule en parallèle de l’enquête de l’auteur, insérée en italiques comme tout ce qui est externe à son cours, et concernant notamment les annihilations divines (le déluge, Sodome et Gomorrhe) ; on apprend aussi qu’Abraham, le premier Juif, s’est enrichi comme proxénète de sa propre femme auprès de Pharaon (IV, 1)…
Daniel Mendelsohn revient sur les mêmes points, répète les mêmes choses, cite plusieurs fois le même document ou le même extrait dans une sorte de délayage qui ne m’a pas toujours paru approprié ou plaisamment effectué ; de plus, l’ouvrage fait 750 pages, et c’est long. Peut-être est-ce calqué sur la forme litanique de lamentations du type kaddish, comme le livre éponyme d’Imre Kertész ; il est vrai que par contraste les témoignages précis (et horribles) marquent d’autant plus. En tout cas, on peut s’attendre à des moments d’ennui ou d’agacement avec d’être totalement pris par les attachantes personnes rencontrées dans cette quête étendue dans le temps et l’espace.
Les Disparus, c’est ceux (personnes et culture) dont il ne reste apparemment rien et dont Mendelsohn tente de retrouver trace, mais c’est aussi beaucoup l’histoire de sa parentèle ; le goût prononcé pour la famille et la généalogie, un peu désuet voire étonnant pour certains.
Ce livre, c’est encore comment conter, le compte-rendu de l’élaboration de sa narration, la transmission des faits de la Shoah par les petits-enfants des témoins ; focus et importance des détails.
« Un grand nombre de ces fêtes [juives], je m'en étais alors rendu compte, étaient des commémorations du fait d'avoir, chaque fois, échappé de justesse aux oppressions de différents peuples païens, des peuples que je trouvais, même à ce moment-là, plus intéressants, plus engageants et plus forts, et plus sexy, je suppose, que mes antiques ancêtres hébreux. Quand j'étais enfant, à l'école du dimanche, j'étais secrètement déçu et vaguement gêné par le fait que les Juifs de l'Antiquité étaient toujours opprimés, perdaient toujours les batailles contre les autres nations, plus puissantes et plus grandes ; et lorsque la situation internationale était relativement ordinaire, ils étaient transformés en victimes et châtiés par leur dieu sombre et impossible à apaiser. » I, 2

« …] écrire ‒ imposer un ordre au chaos des faits en les assemblant dans une histoire qui a un commencement, un milieu et une fin. » I, 2

« Nous ne voyons, au bout du compte, que ce que nous voulons voir, et le reste s'efface. » I, 2

« Mais, en même temps, qui ne trouve pas les moyens de faire dire aux textes que nous lisons ce que nous voulons qu’ils disent ? » II, 1

« La première Aktion allemande, a commencé Bob, qui voulait que je comprenne la différence entre les tueries organisées des nazis et les vendettas privées de certains Ukrainiens, ceux qui avaient vécu avec leurs voisins juifs comme dans une grande famille, comme m'avait dit la gentille vieille Ukrainienne à Bolechow, a eu lieu le 28 octobre 1941. » III, 2

Curieuse reconnaissance de la judéité chez quelqu’un, ici par un autre juif :
« Quelqu'un en uniforme français, et je me suis approché de lui, et il avait l'air d'être juif. » III, 2

Francophobie, ou french bashing ?
« (Le rabbin Friedman, au contraire, ne peut se résoudre à envisager seulement ce que les gens de Sodome ont l'intention de faire aux deux anges mâles, lorsqu’ils se rassemblent devant la maison de Lot au début du récit, à savoir les violer, interprétation que Rachi accepte placidement en soulignant assez allègrement que si les Sodomites n'avaient pas eu l'intention d'obtenir un plaisir sexuel des anges, Lot n'aurait pas suggéré, comme il le fait de manière sidérante, aux Sodomites de prendre ses deux filles à titre de substitution. Mais, bon, Rachi était français.) » V

« Parfois, les histoires que nous racontons sont les récits de ce qui s'est passé ; parfois, elles sont l'image de ce que nous aurions souhaité voir se passer, les justifications inconscientes des vies que nous avons fini par vivre. » IV, 1

« …] plus nous vieillissions et nous éloignions du passé, plus ce passé, paradoxalement, devenait important. » IV, 2

« …] les petites choses, les détails minuscules qui, me disais-je, pouvaient ramener les morts à la vie. » IV, 2

« Les gens pensent qu'il n'est pas important de savoir si un homme était heureux ou s'il était malheureux. Mais c'est très important. Parce que, après l'Holocauste, ces choses ont disparu. » IV, 2

« …] la véritable tragédie n'est jamais une confrontation directe entre le Bien et le Mal, mais plutôt, de façon plus exquise et plus douloureuse à la fois, un conflit entre deux conceptions du monde irréconciliables. » V

« Il n'y a pas de miracles, il n'y a pas de coïncidences magiques. Il n'y a que la recherche et, finalement, la découverte de ce qui a toujours été là. » V



Mots-clés : #antisémitisme #campsconcentration #communautejuive #devoirdememoire #entretiens #famille #genocide #historique
par Tristram
le Sam 23 Mar - 20:29
 
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Sujet: Daniel Mendelsohn
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Olga Tokarczuk

Les livres de Jakob  

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sur la couverture duquel on peut lire:
Les livres de Jakob ou Le grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions et d'autres moindres : rapporté par les défunts, leur récit se voit complété par l'auteure selon la méthode des conjectures, puisées en divers livres, mais aussi secourues par l'imagination qui est le plus grand don naturel reçu par l'homme. Mémorial pour les Sages, Réflexion pour mes Compatriotes, Instruction pour les Laïcs, Distraction pour les Mélancoliques


Nous sommes à la fin du XVIIIème siècle, période où les esprits recherchent à chambouler des conceptions du monde prétendument acquise. Chez les juifs polonais, c’est la saturation face a la misère, aux pogroms, à l’exclusion et, si des messies s’autoproclament à tous les coins de rue, Jakob Frank va déclencher un mouvement hérétique qui mènera des dizaines de milliers de Juifs à la conversion au catholicisme. Mais quel est donc cet homme si peu ordinaire, si charismatique, mais aussi pervers, jouisseur, tyran à l’ego démesuré, jusqu’à en être malsain, dont la secte est un grand bordel, au sens propre du terme. Les catholiques initialement réjouis de voir toutes ces brebis égarées rejoindre le droit Chemin, démantèlent peu à peu la supercherie, et les revoilà repartis pour  l’exclusion et la persécution.


C’est l’occasion pour Olga Tokarscuz non seulement de raconter par le détail les jours heureux et malheureux de cette secte si particulière, mais aussi de dresser un portrait d’une société polonaise multiple et  multiculturelle. Dans un récit d’une puissance à la hauteur de la tâche assignée, cela  foisonne, cela fourmille, les gens comme les idées voyagent, les odeurs palpitent, les climats marquent les faits de leur empreinte, les marchés grouillent, les commerces fructifient ou s’étiolent, les salles d’études regorgent de livres…Olga Tokarscuz multiplie les descriptions, les personnages d’horizons divers, humbles et puissants,  donne aussi  la parole aux uns ou aux autres via des écrits divers, journaux, lettres, publications diverses.

En grande conteuse, elle n’oublie pas de lier tout cela avec une pointe de fantastique,  grâce au regard omniscient d’une  vieille femme qui séjourne entre les vivants et les morts pour l’éternité, qui voit tout, connaît chacun.

Mais ce côté conteur n’oublie pas de  s’inscrire dans  notre monde d’aujourd’hui  et ses préoccupations, puisqu’on y croise un homme qui souhaite que le savoir soit gratuit et accessible à tous, des femmes qui s’insurgent contre le droit de cuissage, un homme qui apprend la langue du pays aux migrants...

C’est un bouquin époustouflant, énorme par son nombre de pages mais aussi par son érudition, par sa qualité romanesque, par son envergure géographique et temporelle, par son intelligence, par sa sensibilité. C’est bien dommage tous ces lecteurs potentiels qui vont y renoncer au vu de sa longueur.

mots-clés : #communautejuive #historique #religion
par topocl
le Mar 26 Fév - 10:55
 
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Philippe Apeloig

Enfants de Paris 1939-1945

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Proxy109

Souvenez-vous d’eux, votre mémoire est leur seule sépulture.


Philippe  Apeloig s’est donné pour tâche  de répertorier, photographier et transmettre dans un cadrage rigoureux plus de 1000 plaques commémoratives de la période 1939-1945 à Paris, classées par arrondissement, dans un souci d’exhaustivité dont il savait d’avance qu’elle ne serait jamais parfaite.

Des enfants, des hommes, des femmes, arrêtés, déportés, fusillés, décapités, torturés par ceux qui sont nommés selon les plaques les boches, les Allemands, les nazis, l’ennemi, les hitlériens. Des juifs, des résistants, des soldats, des anonymes ou des hommes célèbres réduits à rien par le destin, humblement et fermement commémorés par des plaques éparpillées sur les murs de la capitale, dans les rues, sur les façades, dans des lieux publics ou privés.

Dans un texte très émouvant, il raconte comment son grand-père, émigré de Pologne à Paris, a caché sa famille en zone libre à Châteaumeillant où elle fut sauvée grâce à la constante complicité de la population. Le grand-père, lui, a rejoint le maquis. La mère de Philippe Apeloig n’a eu de cesse de commémorer, à travers cet événement, les habitants salvateurs. Cette démarche s’est confrontée à l’expérience de Philippe Apeloig, son expérience de graphiste et de typographe, sa visite au mur des vétérans de Washington érigé par Maya Lin, son vécu du 11 septembre à travers les milliers de petits mots laissés par les habitants autour du désastre. Tout cela l’a amené à la construction progressive de ce livre, longuement mûri, de cette collection de fourmi obsessionnelle.

Nous avions repéré, Monsieur topocl il y  a quelques mois, l’annonce de ce livre dans divers journaux. Nous  en avions discuté, admiratifs d’une démarche que certains pourraient qualifier de vaine, mais qui nous avait semblé cruciale. De là à acheter le livre… nous ne nous étions pas lancés. Topocl Junior nous avait gentiment moqué, rappelant que, si nous avions toujours fréquenté les cimetières militaires, y traînant notre marmaille, si nous continuons à e faire encore aujourd’hui, nous ne nous étions jamais « amusés » à en lire successivement chaque pierre tombale.

Mais un  ange silencieux et bienveillant a bien vu, lui, que ce livre était pour moi.

C’est d’abord un splendide objet, dont la forme, très rectangulaire,  la couleur et la typographie de couverture évoquent évidemment les plaques qu’il enserre. Présentation très soignée, les feuilles de garde, bleu pour la première, rouge pour la dernière enserrant la tranche blanche dans un bel hommage patriotique, que complète des signets tissés également bleus et rouges.

Contemplant tout d’abord songeusement l’ouvrage, témoin de quelque chose qui peut-être considéré comme une performance artistique, je me demandais comment me l’approprier. Une plaque par jour ? J’en avais de plus de trois ans. Je m’étais finalement décidée pour un arrondissement par jour.

Et puis, il faut bien le dire, entrée là-dedans, il m’a semblé impossible d’en sortir, captivée, aimantée, très soigneusement préparée par l’introduction de l’auteur qui parle de mis en page, de typographie, de police, de choix des mots… J’ai avancé, j’ai continué, je n’ai rien pu lâcher jusqu’à la dernière page. C’était une belle promenade, pleine d’émotions et de sérieux, l’impression de quelque chose de bien, quand bien même je ne faisais finalement que quelque chose de très égoïste.
Qui étaient-ils ? Que seraient ils devenus ? Qu’on-t’ils pensé dans leurs derniers moment ? Qui les a pleurés ? Qui pense encore à eux ?



mots-clés : #campsconcentration #communautejuive #deuxiemeguerre #devoirdememoire #temoignage
par topocl
le Jeu 24 Jan - 17:58
 
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Sujet: Philippe Apeloig
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Gila Lustiger

Nous sommes

Tag communautejuive sur Des Choses à lire G10

Mon père a toujours voulu nous protéger de lui-même ; pas des Allemands, de lui-même. Pas de l’homme, bien sûr, qu’il était venu après tant d’années vouées à la rigueur et à la discipline de son travail de refoulement; mais de son pire ennemi, qu’il a combattu pendant cinquante nous ans et qu’il croit à présent avoir vaincu, lui, l’homme d’affaires et l’essayiste en vue : le garçon exténué du camp de concentration. Mon père a toujours voulu nous protéger de ce jeune homme et ne nous a jamais laissé voir son visage d’enfant parce qu’il n’était ni innocent, ni tendre, ni joufflu, ni pur. Mais c’est justement ce visage que ma sœur et moi avons cherché toute notre vie. En vain.


Dans ce texte tardivement autobiographique, Gila Lustiger raconte sa famille Ses parents, ses grands-parents. Son grand-père maternel, le jeune sioniste, communiste convaincu, qui embarque de Pologne sa bourgeoise de fiancée, pour de ses mains  participer à la création de l’État d’Israël. Son père réchappé d’Auschwitz, enfermé dans son silence, ses journaux, ses livres et qui a nommé ses filles l’une Bonheur, l’autre Joie.

Au-delà des portrait émouvants, et souvent savoureux, elle raconte aussi ce livre en train de se faire, ce que cela coutes d’être écrivain et romancière dans une famille  vouée au silence, et qui  peut considérer la fiction comme une insulte à ce qu’elle a vécu.

Gila Lustiger est prise entre une fougueuse admiration, une compassion bouleversée, mais aussi une détestation déterminée : le poids du silence, le devoir d’assumer ce fardeau, censé déterminer la conduite de tous les descendants, un devoir de courage et de bonheur par respect pour ceux qui sont revenus.

Pas facile de grandir, puis d’être une adulte libre là au milieu

C’est assez disparate,  La traduction joue peut-être son rôle. Mais Gila Lustiger gagne son lecteur par son humour décapant, son ironie, qui peut parfois aller jusqu’à la hargne, sa capacité à briser les tabous et à s’autoriser la subversion.

Eh oui, c’est la vérité, même si elle est inavouable : ce n’est pas aux assassins que j’en voulais, ni aux collaborateurs, aux lâches, aux voleurs, aux tortionnaires et aux traîtres, mais à ma famille qui avait été anéantie pendant la guerre à cause des Allemands. Je pensais : Il fallait que ça tombe sur toi. Être justement ce qui te déprime, le rejeton d’une famille anéantie.



En tout cas, merci à bix pour cette lecture qui, derrière l’émotion, marque son originalité par un côté pas toujours politiquement correcte, pas du tout.


mots-clés : #autofiction #campsconcentration #communautejuive #conflitisraelopalestinien #devoirdememoire #famille
par topocl
le Jeu 17 Jan - 20:35
 
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Sujet: Gila Lustiger
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Nicole Krauss

Forêt profonde

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Cvt_fo10

Eh bien, la forêt a été vraiment obscure pour moi. Il y a là une recherche de virtuosité, dans une tentative pseudo(?)-philosophique tournant autour de l’identité, du double, de la métamorphose, des univers multiples qui nuit férocement au romanesque. Les discours « penseurs » envahissent le paysage et nuisent aux deux intrigues, qui devraient être des thrillers psychologiques, mais sont plutôt des objets cocasses que j’ai abordés avec un certain détachement

Il y a donc deux personnages (dont une écrivaine prénommée Nicole qui ne supporte plus son mari), menés en chapitres alternés, qui ont certes beaucoup de points communs : tous deux abandonnent leur vie américaine plus ou moins ordinaire, insatisfaits l’un de sa réussite vaine l’autre de son mariage en échec, s’exilent sans trop savoir pourquoi, s’installent au Hilton de Tel-Aviv, sont chacun pris en charge par un personnage mystérieux et atypique qui veut leur imposer l’un des histoires de judéité en rapport avec la kabbale, l’autre une curieuse histoire autour de Kafka dont la mort n’aurait été qu’un simulacre lui permettant une deuxième vie à l’abri de la notoriété. Le problème narratif, c’est qu’au-delà de ces similitudes, ils ne se rencontrent qu’à la dernière page dans une pirouette temporelle assez naïve.

J’aspire à un roman comme une clairière, dont le récit linéaire se suffirait à lui-même,sans thèse, sans thème, sans démonstration,
où l’auteur n’aurait pas le besoin de montrer qu’il ou elle est un ou une brillant(e) intellectuel(le),   n’aurait pas besoin de Kafka comme mentor, ni de régler ses comptes avec son ex.


mots-clés : #absurde #autofiction #communautejuive #creationartistique #identite #philosophique
par topocl
le Mer 9 Jan - 18:29
 
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Christophe Boltanski

La cache

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Proxy_89

Christophe Boltanski, neveu du plasticien Christian et du sociologue Luc, raconte l'histoire de sa famille et de ses origines. Mais ce n'est pas tant ceux-là qui tiennent la place centrale que ses grands- parents. Elle, abandonnée enfant par sa famille à une riche « marraine », très handicapée par une polio, communiste et nantie, qui vampirise sa famille dans un mode de vie bohème et fusionnel. Lui, fils d'immigrés juifs ukrainiens, qui a passé 20 mois caché dans leur appartement, l'oreille aux aguets, survivant terrorisé par ses semblables. Autour d'eux, enfants et petits enfants, comme scotchés les uns aux autres : le point d'ancrage est une grande maison, rue de Grenelle où on mange ensemble, on dort ensemble, d'où on se déplace ensemble, un creuset d'ébullition culturelle et intellectuelle plein de fantaisie.

Quel matériau ! Qu'est ce qui fait pourtant que je n'ai pas trop vibré ? Christophe Boltanski survole un peu, et à part la grand-mère qui est le personnage premier, tous sont un peu inconsistants, il y a une réelle superficialité qui tient à distance.
Quant au mode d'écriture, centrer le livre sur la maison, petits plans à l'appui, c'était plutôt une bonne idée, mais au final cela met un côté fouillis. D'autant que Boltanski adore dire « elle » ou « lui » plutôt que de nommer son personnage, ce qui achève de nous perdre. Et le recours répété aux énumérations est une solution de facilité qui ne suffit pas à faire un style.

Ce n'est certes pas un livre à condamner, mais je n'y ai pas pris le plaisir que j'en espérais.

Recup 2015

Mots-clés : #communautejuive #famille #lieu
par topocl
le Ven 21 Déc - 17:41
 
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Sujet: Christophe Boltanski
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Charles Lewinsky

Charles Lewinsky
Né en 1946

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Avt_ch12

Charles Lewinsky, né le 14 avril 1946 (72 ans) à Zurich, est un écrivain, dramaturge et metteur en scène. Il vit en Franche-Comté (France).

Il a étudié la littérature allemande et le théâtre. Dramaturge, scénariste et romancier, il a obtenu, pour son précédent roman Johannistag (2000), le prix de la Fondation Schiller. Melnitz, salué par la critique comme une prouesse littéraire, a été qualifié de Cent ans de solitude suisse.

Melnitz, c'est la saga des Meijer, une famille juive suisse, de 1871 à 1945 - de la guerre franco-prussienne à la fin de la deuxième guerre mondiale.


Publications

Melnitz, Grasset, 2008 (L'histoire d'une famille juive en Suisse de 1871 à 1939)
Un village sans histoire, Grasset, 2010
Un Juif tout à fait ordinaire. Monologue d'un règlement de comptes. Éditions du Tricorne, Genève, 2011.
Retour indésirable, Grasset, 2013



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Melnitz

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Melnit10

"Plus c’est absurde, plus ils s’en souviennent. Ils se souviennent qu’avant Pessah nous égorgeons des petits enfants et faisons cuire leur sang dans la pâte des "Matze". Cela n’est jamais arrivé, mais 500 ans plus tard, ils sont capables de raconter la scène comme s’ils l’avaient vue de leurs propres yeux. Comment nous avons attiré le petit garçon loin de ses parents en lui promettant des cadeaux ou bien du chocolat, bien longtemps avant l’existence du chocolat. Ils le savent dans les moindres détails."




Melnitz c'est une chronique de famille, une famille juive vivant en Suisse sur quatre générations de 1871 à 1945.

Ces dates ne sont jamais arbitraires. Elles correspondent à des faits historiques qui modifièrent la vie de chacun de ses membres.
Une famille qui, somme toute, ressemblerait à celle des autres citoyens du pays. Ambitions sociales, quête d'ascension logique pour les descendants.
Evidemment il y a les rites et coutumes juifs. Un héritage, des repères, des fêtes et des repas.
Pas de communautarisme. Au contraire. Aucun de ses membres n'est un fanatique religieux. Certains même vont jusqu'à renier cette tradition, cette religion, et embrasser le christianisme.
Et le succès d'abord semble donner raison aux plus ambitieux. Mais c' est sans  compter sans l'Histoire, les guerres, les bouleversements sociaux. A la fin, ils connaîtront tous le sort commun aux exclus. Et les juifs sont le symbole quasiment éternel de l' exclusion, des pogroms. Bref de l'antisémitisme dont ils sont les boucs émissaires.
Cette famille est ce qu'est tout famille. A cette exception près peut être, qu'on y trouve des personnalités extraordinaires et inoubliables. Et c'est un point fort de cette chronique.

Et Melnitz ?

C'est un inquiétant personnage, ce Melnitz, qui traîne derrière lui l'odeur et le froid du caveau. Mort depuis deux siècles au moins, il réapparaît dans la famille Meijer, à l'occasion d'un deuil, d'une bar-mitsva, d'une noce. Il entre sans s'annoncer, s'assied, écoute, et de temps à autre prend la parole pour un commentaire sarcastique. Ce qui le met en verve, c'est la confiance que les Meijer témoignent à leur pays - la si paisible Confédération helvétique -, à leurs voisins - tellement bien disposés à leur égard -, à leur propre réussite.

" Tu crois, dit-il à l'un de ces ingénus, qu' il ne peut plus rien t'arriver. Mais tu te trompes. Parfois, ils gardent le silence et nous pensons qu'ils nous ont oubliés. Crois-moi, ils ne nous oublient pas". Et de dérouler la pelote des persécutions depuis le jour lointain où lui- même, Melnitz, est né en Ukraine, d'une jeune juive violée par un cosaque."

Ainsi le définit Mona Ozouf. Melnitz raconte. Lui qui sait tout, rappelle à chacun qu' il est juif et qu' il subira éternellement la malédiction de son peuple. Comme le Juif errant.
Malheur à celui qui l'oublie !

A propos de son oeuvre, Lewinsky dit :

"Toutes les sagas juives pourraient avoir comme sous-titre "Le Chemin vers la tragédie". De ce point de vue, Melnitz n'est pas une saga juive, ne serait-ce que parce que la Suisse a été touchée mais pas dévastée par la Shoah. J'ai surtout écrit ce roman à l'intention des Suisses qui ne connaissent pas leurs voisins."




mots-clés : #antisémitisme #communautejuive #famille #guerre
par bix_229
le Jeu 29 Nov - 15:49
 
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Sujet: Charles Lewinsky
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Louis-Philippe Dalembert

Avant que les ombres ne s’effacent

Tag communautejuive sur Des Choses à lire Proxy_67

J’ai appris dans ce livre que Haïti avait déclaré la guerre au « petit caporal » allemand, ouvert sa porte aux Juifs qui le fuyaient, offert la nationalité haïtienne aux apatrides et hébergé ainsi 300 familles fuyant le nazisme à l’heure où toutes les nations leur fermaient leurs portes.

C’est donc une histoire du XXème siècle, une de plus : Ruben , futur médecin fuyant enfant les pogroms polonais, installé à Berlin avec sa famille pour une adolescence heureuse, fuyant après la nuit des longs couteaux : diaspora familiale classique, l’une en Palestine et les autres aux Etats-Unis. Quant à Ruben, après avoir tâté des camps allemands et français, il fait le « choix » de Haïti.

J’ai beaucoup aimé toute la partie européenne qui est très réussi dans un secteur déjà souvent raconté, les personnages et les relations intrafamiliales sont touchants, l’humour toujours présent en  filigrane. Il y a une une légèreté dans la façon de raconter ces drames qui m’a parfois rappelé le Tabac Triezneck.

Curieusement, la partie haïtienne, qui commence à Paris dans la communauté haïtienne puis se poursuit dans l’île, voit apparaître quelques longueurs alors qu’elle devrait constituer  l’ "originalité" du livre. Celui-ci  perd en épaisseur, devient plus descriptif d’un mode de vie, le personnage se perd un peu.

Cela reste une bonne lecture, la découverte d’un fait historique que je ne connaissais pas, et d’une réelle verve littéraire.


Mots-clés : #communautejuive #exil #famille #historique #insularite #lieu
par topocl
le Ven 19 Oct - 11:22
 
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Sujet: Louis-Philippe Dalembert
Réponses: 3
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