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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 8:22

28 résultats trouvés pour corruption

Leonardo Sciascia

Les Paroisses de Regalpetra

Tag corruption sur Des Choses à lire Les_pa10

Dans son Avertissement, Sciascia donne la chronique de cette petite ville fictive qui ressemble à celle de ses origines, Racalmuto, comme à nombre d’autres en Sicile : pressurisation des paysans et les mineurs (soufre, sel), les braccianti, depuis les comtes du XVIIe jusqu’au fascisme, excluant uniquement les fonctionnaires des Bourbons.
Dans Brève chronique d’un régime, c’est l’enfance du narrateur (Sciascia) sous le fascisme.
« À l’exception de quelques petites invectives, je n’entendais dire que du bien de Mussolini et du fascisme. »

En grandissant, s’épuise l’évidence du fascisme et de son embrigadement, de ses guerres en Éthiopie et en Espagne.
« C’est ça, la dictature : un soupçon venimeux, un réseau de trahisons et de tromperies humaines. »

Compte rendu édifiant instructif du Cercle de la Concorde, celui des galantuomini (mais malheureusement il faudrait bien connaître l’histoire et la politique italiennes pour le savourer en détail). Puis Sciascia est instituteur au bourg, avec des élèves affamés, sans autre perspective que la faim ou l’émigration, dont il désigne chaque jour les heureux bénéficiaires de la cantine.
« Si je m’habitue à cette anatomie quotidienne de misère, d’instincts, à ce cruel rapport humain, si je commence à la voir dans sa nécessité et sa fatalité, comme d’un corps qui est ainsi fait et qui ne peut pas être différent, j’aurai perdu ce sentiment, d’espoir et d’autre chose, qui est, je crois, ce que j’ai de meilleur en moi. »

Les ouvriers sauniers : passage qui vaut document sur leur misérable condition.

Journal d’une campagne électorale : celle de 1955, avec une multitude de partis dans une curieuse démocratie, très « pirandellienne ».

La neige, Noël : le froid ajoute à la pauvreté.
« Moi, le jour de Noël, j’ai joué avec mes cousins et mes camarades. J’avais gagné deux cents lires et quand je suis rentré, mon père me les a prises et c’est lui qui s’en est allé s’amuser. »

Sont marquants les ascendants des prêtres et de la mafia ; j'ai été surpris du renoncement impuissant de Sciascia instituteur.

\Mots-clés : #biographie #corruption #historique #misere #politique #ruralité #xxesiecle
par Tristram
le Mer 17 Mai - 12:40
 
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Sujet: Leonardo Sciascia
Réponses: 14
Vues: 2205

Albert Cossery

Les Couleurs de l'infamie

Tag corruption sur Des Choses à lire Les_co13

Ossama est un adroit voleur professionnel du Caire, à l’éthique de dérision professant que « le seul moteur de l’humanité était le vol et l’escroquerie » ; à ce titre, il vole les riches (voleurs) pour faire circuler l’argent.
« La multitude humaine qui déambulait au rythme nonchalant d’une flânerie estivale sur les trottoirs défoncés de la cité millénaire d’Al Qahira, semblait s’accommoder avec sérénité, et même un certain cynisme, de la dégradation incessante et irréversible de l’environnement. »

Il a trouvé dans le portefeuille volé d’un certain Suleyman, promoteur immobilier véreux, la lettre d’Abdelrazak, frère du ministre des Travaux publics, qui l’implique dans une malversation à propos d’une habitation neuve qui s’est effondrée en tuant cinquante personnes.
Pour faire éclater le scandale, il approche Karamallah, un lettré subversif qui vit dans la Cité des morts, un vaste cimetière urbain squatté par une multitude de démunis.
« Pour Karamallah le choix de cette austère résidence avait pour origine le despotisme d’un gouvernement imperméable à l’humour et férocement hostile à toute information ayant quelque rapport avec la vérité. »

« C’était un principe de sa philosophie que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes si on n’y prête pas attention. »

« Il n’y a aucun avenir dans la vérité, tandis que le mensonge est porteur de vastes espérances. »

« Sache que l’honneur est une notion abstraite, inventée comme toujours par la caste des dominateurs pour que le plus pauvre des pauvres puisse s’enorgueillir d’un avoir fantomatique qui ne coûte rien à personne. »

« Atef Suleyman, le promoteur d’anodins génocides urbains, ne portait pas le signe de l’infamie inscrit sur son front, mais cette négligence de la nature n’empêchait pas les innombrables locataires des immeubles construits par sa société immobilière de le maudire à toute heure du jour et de la nuit, sans compter certains extrémistes qui réclamaient sa mort immédiate. Malheureusement ces invectives d’une populace acrimonieuse, dépourvue de toute culture économique pour apprécier les beautés du capitalisme, n’atteignaient jamais leur destinataire. Celui-ci vivait majestueusement dans le quartier résidentiel de Zamalek, distant de plusieurs kilomètres des nouvelles cités conquises sur le désert où il exerçait sa lucrative industrie. Désabusé par la pérennité des monuments pharaoniques, Suleyman se voulait le promoteur de l’ère des constructions éphémères – emblème de la modernité – qui ne léguaient à la postérité que gravats et poussières. En langage clair, des maisons jetables. »

Karamallah décide de faire se rencontrer Ossama et « cet homme [qui] représente toute l’infamie universelle »…
Ce roman est moins abouti que de précédents, mais rend sensiblement Le Caire contemporain et sa population (ainsi que quelques réalités socio-économiques), avec même quelques personnages féminins moins contrefaits, comme Safira la prostituée et Nahed l’étudiante. Ici, j’entends Oum Kalsoum :
« Soudain il s’arrêta pour écouter une voix venue de nulle part, mais qu’il connaissait depuis son enfance. Une radio diffusait les airs adulés de la chanteuse mythique dont la voix accompagnera encore longtemps les hommes dans leurs dérives et leurs amours inassouvis. »


\Mots-clés : #corruption #misere #politique #social #urbanité #xxesiecle
par Tristram
le Mer 19 Avr - 12:03
 
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Sujet: Albert Cossery
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QIU Xiaolong

Dragon bleu, tigre blanc

Tag corruption sur Des Choses à lire Dragon10

L’inspecteur principal Chen Cao, qui a la réputation d’être un qingguan ou populaire fonctionnaire incorruptible, est brusquement muté comme directeur de la Commission de réforme juridique de Shanghai, une promotion qui n’est qu’apparente.
« Dans les hautes sphères chinoises, un avancement cachait souvent une mise au ban. »

« Cet intellectuel indépendant avait publié des articles sur la séparation des pouvoirs dans un blog et le Quotidien du peuple avait répondu par un éditorial affirmant qu’en Chine, les branches législatives, exécutives et judiciaires ne pourraient jamais fonctionner séparément. Zhongtian avait rétorqué que dans un système à parti unique, tant qu’il était admis que les intérêts du Parti se plaçaient au-dessus de la loi, tout débat au sujet de la réforme juridique ne pouvait être qu’une mascarade. À la suite de cela, Zhongtian avait été invité par la Sécurité intérieure à « prendre une tasse de thé », l’équivalent d’un avertissement sérieux délivré en personne. L’intellectuel avait continué à publier ses articles et il se retrouvait maintenant victime de « problèmes fiscaux », du moins d’après les sources d’Internet. »

Les chants rouges de Mao reviennent à la mode, qui avaient annoncé la révolution culturelle. Son père, sur la tombe duquel Chen est venu se recueillir, en avait beaucoup souffert en tant que penseur confucéen ; et l’immobilier funéraire est aussi gagné par l’inflation d’une finance corrompue.
Chen assiste à une hallucinante séance de dédicace en tant que traducteur de T. S. Eliot, organisée par un Gros-Sous dans une boîte de nuit (appartenant à un certain Shen, qui bénéficie de hautes protections), où il manque de se faire arrêter par la brigade des crimes sexuels de Shanghai.
« Les assassinats politiques de ce type étaient généralement d’une efficacité redoutable. »

Ayant échappé à ce coup monté, Chen va voir Nuage Blanc, puis Vieux Chasseur. Ce dernier occupe sa retraite de policier en aidant un détective, qui traite surtout des flagrants délits d’adultère à l’instigation des épouses ou des ernai, « secondes femmes », qui peuvent faire pression en menaçant de lancer une chasse à l’homme en publiant des photos sur Internet.
« Les flics travaillent pour le Parti et les détectives privés pour les individus. C’est pour ça que le terme est encore banni des médias. À l’agence, nous sommes obligés d’utiliser une autre appellation : Conseil et enquête. Le conseil couvre un champ infini. Nous n’avons pas de licence, mais nous ne sommes pas non plus dans l’illégalité. En gros, c’est comme pour le commerce du sexe. On peut appeler ça un salon de coiffure, un karaoké, un salon de pédicure, ou n’importe quoi, tant qu’on ne dit pas ce qui s’y passe vraiment. »

L’action se passe essentiellement à Suzhou, ville qui fut célèbre pour son opéra (et ses nouilles), où Chen s’est retiré pour veiller à la rénovation de la tombe paternelle. Il enquête pour Qian, une chanteuse devenue ernai de Sima, directeur du Bureau de liaison avec l’étranger, puis évincée, et qui veut poursuivre ses études à l’étranger pour faire revivre cet opéra traditionnel.
Vieux Chasseur est le père de l’inspecteur Yu, adjoint et ami de Chen promu à sa position (et mari de Peiqin) ; il manie la digression et l’allusion, caractéristiques de l’opéra de Suzhou qu’il admire, à la narration lente (et dorénavant démodée) :
« Dans la Romance des trois royaumes, le général Liu Bei se trouve dans la capitale en compagnie du premier ministre Cao. Irrité par Liu qu’il considère comme un rival potentiel, Cao veut se débarrasser de lui. Alors Liu lui fait part de son intérêt pour les légumes du jardin, comme un homme ordinaire, un homme fragile même, qui laisse soudain tomber sa coupe de vin en entendant le tonnerre éclater. Après cet incident, Cao cesse de prendre Liu au sérieux et ce dernier réussit à fuir loin de la capitale.
– C’est donc ce que Chen essaie de faire, coupa Peiqin. Il fait semblant d’être faible, de baisser les bras, de ne se soucier de rien en dehors du chantier de Suzhou. Mais pensez-vous vraiment que les autres vont le laisser en paix ? »

Tandis que Chen change de carte SIM, Vieux Chasseur utilise un enregistreur, et Peiqin se renseigne sur Internet : les nouvelles technologies sont assimilées par la population.
Qian est tuée. Yu retrouve le cadavre de Liang, « cadre du Parti véreux », qui fut l’objet d’un shuanggui (détention initiée par la Commission de contrôle de la discipline du Parti en dehors de la voie légale) suite à sa dénonciation sur Internet, avait disparu et a été tué. Chen échappe à un attentat.
Les « cadres nus » sont ceux qui font émigrer leur famille et leur compte en banque à l’étranger.
« « Un dragon bleu et un tigre blanc de bout en bout ! poursuivit-elle. Il se prend pour un dragon, un candidat au trône. » Dans l’imagerie populaire, l’expression « tigre blanc » était une image obscène utilisée pour décrire une femme sans poils pubiens. Selon la superstition, une telle femme portait malheur aux hommes. Quant au « dragon bleu »… Dans la Chine ancienne, l’empereur était perçu comme l’incarnation d’un dragon. Seul le « dragon bleu » était censé pouvoir dompter le « tigre blanc » sans attirer sur lui le mauvais sort. »

Le dragon bleu, c’est Liang, et le tigre blanc, c’est Wei, sa femme, victimes de Kai, avocate « ambitieuse, avare et orgueilleuse, issue d’une famille de princes rouges », et femme de Lai, le secrétaire du Parti de Shanghai, instigateur du retour des chants rouges.

L’ensemble du livre tourne – entr’autres – autour du « déclin moral généralisé dû à la corruption effrénée » de la « société harmonieuse »…
Comme d’habitude rehaussé d’extraits de poèmes et de proverbes (ainsi que de plats raffinés), ce polar donne surtout un aperçu (apparemment renseigné) sur la Chine du XXIe siècle, et l’intrigue est très bien ficelée.

\Mots-clés : #corruption #polar #politique
par Tristram
le Jeu 13 Avr - 12:59
 
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Sujet: QIU Xiaolong
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Romain Gary

Le Grand Vestiaire

Tag corruption sur Des Choses à lire Le_gra12

Le narrateur, Luc Martin, quatorze ans au sortir de la Deuxième Guerre et à la mort de son père, devient pupille de la nation. Mais très vite il est recueilli par le vieux Vanderputte, un des nombreux escrocs dans le chaos de la Libération, et volontiers métaphysicien...
« Il rejeta sa casquette en arrière, remua rapidement sa moustache, et braqua sur moi son ongle sale, tout en regardant soigneusement de côté.
– Apprenez cela, jeune homme, dès aujourd'hui : dans la vie, il s'agit de ne pas être là au bon moment, voilà tout. Il faut se faufiler adroitement entre les années, le ventre rentré et sans faire de silhouette, pour ne pas se faire pincer. Voilà ce que c'est, la vie. Pour cela, naturellement, il faut être seul. Ab-so-lu-ment ! La vie, c'est comme l'assassinat, il ne faut pas avoir de complice. Ne jamais se laisser surprendre en flagrant délit de vie. Vous ne le croirez peut-être pas, jeune homme, mais il y a des millions de gens qui y arrivent. Ils passent inaperçus, mais à un point... ini-ma-gi-nable ! C'est simple : à eux, la destinée ne s'applique pas. Ils passent au travers. La condition humaine – vous connaissez cette expression ? – eh bien, elle coule sur eux, comme une eau un peu tiède. Elle ne les mouille même pas. Ils meurent de vieillesse, de décrépitude générale, dans leur sommeil, triomphalement. Ils ont roulé tout le monde. Ils ne se sont pas fait repérer. Pro-di-gieux ! C'est du grand art. Ne pas se faire repérer, jeune homme, apprenez cela dès ce soir. Rentrer la tête dans les épaules, écouter s'il pleut, avant de mettre le nez dehors. Se retourner trois fois, écouter si l'on ne marche pas derrière vous, se faire petit, petit, mais petit ! Être, dans le plein sens du terme, homme et poussière. Jeune homme, je suis persuadé qu'en faisant vraiment très attention, la mort elle-même ne vous remarque pas. Elle passe à côté. Elle vous loupe. C'est dur à repérer, un homme, lorsque ça se planque bien. On peut vivre très vieux et jouir de tout, naturellement, en cachette. La vie, jeune homme, apprenez-le dès maintenant, c'est uniquement une question de camouflage. Réalisez bien ceci et tous les espoirs vous sont permis. Pour commencer, tenez, un beau vieillard, c'est toujours quelqu'un qui a su éviter la jeunesse. C'est très dangereux ça, la jeunesse. Horriblement dangereux. Il est très difficile de l'éviter, mais on y arrive. Moi, par exemple, tel que vous me voyez, j'y suis arrivé. Avez-vous jamais réfléchi, jeune homme, au trésor de prudence et de circonspection qu'il faut dépenser pour durer, mettons, cinquante ans ? Moi, j'en ai soixante... Co-los-sal ! »

Venu du maquis du Véziers à Paris avec Roxane la chienne de son père instituteur tué dans la Résistance (et son « petit volume relié des Pensées de Pascal » qui lui reste hermétique), Luc le rat des champs se sent perdu parmi les rats des villes.
« Mon père aimait à me plonger ainsi dans une atmosphère de mystère et de conte de fées ; je me demande, aujourd'hui, si ce n'était pas pour brouiller les pistes, pour atténuer les contours des choses et adoucir les lumières trop crues, m'habituant ainsi à ne pas m'arrêter à la réalité et à chercher au-delà d'elle un mystère à la fois plus significatif et plus général. »

Intéressante vision du cinéma et de son influence :
« La beauté des femmes, la force des hommes, la violence de l'action [… »

« Je cherchais alors à bâtir toute ma personnalité autour d'une cigarette bien serrée entre les lèvres, ce qui me permettait de fermer à demi un œil et d'avancer un peu la lèvre inférieure dans une moue qui était censée donner à mon visage une expression extrêmement virile, derrière laquelle pouvait se cacher et passer inaperçue la petite bête inquiète et traquée que j'étais. »

Avec Léonce (et comme beaucoup de gosses), ils rêvent d’être adultes, d’aller en Amérique, de devenir gangsters et riches. Il est amoureux de Josette, la sœur de Léonce, mais fort embarrassé.
« – Quelquefois, ça se guérit, me consolait-elle. Il y a des médecins qui font ça, en Amérique. On te colle la glande d'un singe et du coup, tu deviens sentimental. »

Vanderputte, un destin misérable :
« Je posais pour un fabricant de cartes postales. Sujets de famille, uniquement. J'ai jamais voulu me faire photographier pour des cochonneries. On pouvait me mettre dans toutes les mains. »

« Cet amour instinctif qu'il avait pour les objets déchus, cette espèce de sollicitude fraternelle dont il les entourait, avaient je ne sais quoi de poignant et c'est lorsque je le vis pour la première fois s'arrêter dans la rue, ramasser un peigne édenté et le glisser dans sa poche, que je me rendis compte à quel point ce vieil homme était seul. Les antiquités, les beaux objets de valeur finement travaillés ne l'intéressaient pas : il ne s'attachait qu'aux épaves. Elles s'accumulaient dans sa chambre et la transformaient en une immense boîte à ordures, une sorte de maison de retraite pour vieilles fioles et vieux clous. »

Avec son ami l’Alsacien Kuhl (son antithèse, épris d’ordre et de propreté ; employé à la préfecture de police, il reçoit mensuellement une enveloppe de Vanderputte), les deux cultivent un humanisme sentimental, convaincus de la décadence civilisationnelle.
Galerie de portraits hauts en couleur, tel Sacha Darlington « grand acteur du muet » et travesti vivant reclus dans un bordel, ou M. Jourdain :
« Le fripier, un M. Jourdain, était un bonhomme âgé ; il portait sa belle tête de penseur barbu, une calotte de velours noir extrêmement sale ; il était l'éditeur, le rédacteur en chef et l'unique collaborateur d'une publication anarchiste violemment anticléricale, Le Jugement dernier, qu'il distribuait gratuitement tous les dimanches à la sortie des églises et qu'il envoyait régulièrement, depuis trente-cinq ans, au curé de Notre-Dame, avec lequel il était devenu ami. Il nous accueillit avec une mine sombre, se plaignit du manque de charbon – on était en juin – et à la question de Vanderputte, qui s'enquérait de l'état de ses organes, il se plaignit amèrement de la vessie, de la prostate et de l'Assemblée nationale, dont il décrivit le mauvais fonctionnement et le rôle néfaste en des termes profondément sentis. »

Vanderputte tombe fréquemment amoureux d’un vêtement miteux, tel celui d’un Gestard-Feluche, fonctionnaire médaillé, qui ira augmenter le grand vestiaire de sa chambre.
Dans une France en pleine pagaille (et dans la crainte du communisme, de la bombe atomique), Léonce et Luc passent du trafic de « médicaments patentés » au vol de voitures, et envisagent un gros coup.
Josette meurt de la tuberculose, et Luc s’interroge toujours sur la société.
« Où étaient-ils donc, ces fameux hommes, dont mon père m'avait parlé, dont tout le monde parlait tant ? Parfois, je quittais mon fauteuil, je m'approchais de la fenêtre et je les regardais. Ils marchaient sur les trottoirs, achetaient des journaux, prenaient l'autobus, petites solitudes ambulantes qui se saluent et s'évitent, petites îles désertes qui ne croient pas aux continents, mon père m'avait menti, les hommes n'existaient pas et ce que je voyais ainsi dans la rue, c'était seulement leur vestiaire, des dépouilles, des défroques – le monde était un immense Gestard-Feluche aux manches vides, d'où aucune main fraternelle ne se tendait vers moi. La rue était pleine de vestons et de pantalons, de chapeaux et de souliers, un immense vestiaire abandonné qui essaye de tromper le monde, de se parer d'un nom, d'une adresse, d'une idée. J'avais beau appuyer mon front brûlant contre la vitre, chercher ceux pour qui mon père était mort, je ne voyais que le vestiaire dérisoire et les milles visages qui imitaient, en la calomniant, la figure humaine. Le sang de mon père se réveillait en moi et battait à mes tempes, il me poussait à chercher un sens à mon aventure et personne n'était là pour me dire que l'on ne peut demander à la vie son sens, mais seulement lui en prêter un, que le vide autour de nous n'est que refus de combler et que toute la grandeur de notre aventure est dans cette vie qui vient vers nous les mains vides, mais qui peut nous quitter enrichie et transfigurée. J'étais un raton, un pauvre raton tapi dans le trou d'une époque rétrécie aux limites des sens et personne n'était là pour lever le couvercle et me libérer, en me disant simplement ceci : que la seule tragédie de l'homme n'est pas qu'il souffre et meurt, mais qu'il se donne sa propre souffrance et sa propre mort pour limites... »

Les « ratons » (vaut tantôt pour petits rats, tantôt pour Nord-Africains) entrent dans le monde des « dudules » (vaut apparemment plus pour adultes, individus, que pour idiots) : le « gang des adolescents » devient célèbre pour ses braquages de transports de fonds. Léonce est tué ; Luc se retrouve dans la peau de Vanderputte, qu‘il craint de devenir cinquante ans plus tard. Ce dernier est poursuivi : entré dans la Résistance et arrêté par les Allemands, il avait très vite collaboré et dénoncé, principalement des juifs. Luc s’enfuit avec lui, pris par la pitié, mais…

\Mots-clés : #corruption #criminalite #deuxiemeguerre #enfance #humour #initiatique #jeunesse #portrait #vieillesse #xxesiecle
par Tristram
le Ven 10 Mar - 11:56
 
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QIU Xiaolong

Cyber China

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« …] le socialisme à la chinoise. Voilà un terme générique qui englobe tout ce qu’il y a d’énigmatique dans notre beau pays : socialiste ou communiste dans les journaux du Parti, mais capitaliste dans la pratique, un capitalisme de copinage, primaire, matérialiste au dernier degré. Et féodal aussi si l’on en juge d’après les enfants des hauts dignitaires, petits princes héritiers destinés à devenir dirigeants à leur tour, en légitimes successeurs du régime à parti unique. »

L’inspecteur principal de la police criminelle (et poète) Chen Cao, qui a été nommé au poste de vice-secrétaire du Parti, est désigné comme conseiller spécial dans l’enquête sur le suicide de Zhou Keng, directeur de la Commission d’urbanisme de Shanghai et donc cadre du Parti, qui s’est pendu alors qu’il était sous shuanggui pour corruption après avoir été l’objet d’une « chasse à l’homme » sur Internet (espace à la liberté d’expression limitée, mais moins que les médias officiels qui « harmonisent », et où les cyber-citoyens peuvent s’exprimer), traque lancée parce qu’un paquet de 95 Majesté Suprême (cigarettes dispendieuses) apparaissait sur une photo de lui tandis qu’il prônait le maintien du développement de l’immobilier à Shanghai, la principale ressource économique de la ville, par ailleurs inabordable pour la majeure partie de sa population.
« Le shuanggui était encore un exemple criant du socialisme à la chinoise. Sorte de détention illégale initiée par les départements de contrôle de la discipline du Parti, cette mesure venait répondre au phénomène de corruption massive propre au système de parti unique. À l’origine, le terme signifiait « double précision » : un cadre du Parti accusé de crime ou de corruption était détenu dans un endroit défini (gui) pendant une période déterminée (gui). En dépit de la constitution chinoise qui stipulait que toute forme de détention devait être conforme à la loi votée par l’Assemblée nationale populaire, le shuanggui n’exigeait ni autorisation légale, ni durée limitée, ni aucun protocole établi. De hauts fonctionnaires du Parti disparaissaient régulièrement sans qu’aucune information ne soit livrée à la police ou aux médias. En théorie, les cadres pris dans la zone d’ombre extrajudiciaire du shuanggui étaient censés se rendre disponibles pour une enquête interne avant d’être relâchés. Mais le plus souvent, ils passaient devant le tribunal des mois, voire des années plus tard pour être jugés et condamnés selon un verdict établi à l’avance. Les autorités considéraient le shuanggui comme une ramification, et non comme une aberration, du système judiciaire. D’après Chen, ce type de détention permettait d’empêcher que des détails compromettants pour l’image du Parti ne soient révélés puisque les enquêtes se déroulaient dans l’ombre et sous l’œil vigilant des autorités. »

On découvre Lianping, séduisante journaliste de la génération 80, Melong, un informaticien administrateur de forum/ blog, toute une société tiraillée entre modernité et mode de vie traditionnel, et en porte-à-faux avec le gouvernement qui pèse pour assurer la « stabilité ».
« Les mots sensibles peuvent être repérés et « harmonisés », effacés si vous préférez ; pour préserver l’harmonie de notre société, un site peut être bloqué ou banni et le gouvernement peut facilement remonter jusqu’au responsable. »

Outre la police de Shanghai, interviennent le gouvernement municipal et le contrôle de la discipline de Shanghai, la Sécurité intérieure et la Commission de contrôle de la discipline de Pékin : beau panier de crabes liés « par le secret de leurs malversations » !
(Le « monde de la Poussière rouge » semble désigner la Terre, notre cadre de vie ici-bas.)  
(Des fautes d’orthographe et de grammaire n’ont malheureusement pas été corrigées.)
« Le serveur posa sur la table une dizaine de petites soucoupes de garniture fraîche, dont des tranches de porc émincé, du bœuf, de l’agneau, du poisson, des crevettes et des légumes. Puis il leur servit deux grands bols de nouilles fumantes dans leur soupe recouverte d’un léger film huileux. Ils devaient plonger la garniture dans la soupe et attendre une minute ou deux avant de commencer à manger. »

J’ai apprécié ce mixte de cuisine appétissante, de renvois littéraires (ainsi Xiaolong m’a remis en mémoire Lu Xun, qui mériterait d’avoir son fil ici), de polar bien mené et d’explicitation bonace de l’entregent et de l’ingéniosité euphémiste chinoise (peuple comme dirigeants) …
« Au fait, connaissez-vous la blague sur le crabe d’eau douce ? C’est une homophonie du mot « harmonie ». Sur Internet, quand un article était censuré, on disait qu’il avait été harmonisé, effacé pour préserver l’harmonie de notre société capitaliste. Maintenant, on dit qu’il a été mis en eau douce. »


\Mots-clés : #corruption #polar #politique #regimeautoritaire #social #xxesiecle
par Tristram
le Lun 23 Jan - 12:17
 
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Sujet: QIU Xiaolong
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Antonio Lobo Antunes

Traité des passions de l'âme

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Le Juge d’instruction a été sommé de convaincre l’Homme, un membre d'une organisation terroriste, de renseigner la justice.
« Vous ne trouvez pas que c'est une aide généreuse, a-t-il demandé à l'Homme en lui tournant le dos et en lui présentant sous son costume des omoplates maigres d'ange inachevé. »

Le père du juge était le pauvre fermier (alcoolique) du grand-père du détenu, et les souvenirs de leur enfance commune s’entremêlent à leurs pensées tandis qu’ils s’entretiennent, en viennent à l’évoquer en se chamaillant, perturbant l’interrogatoire en s’y mélangeant inextricablement. Délirante, fantasmagorique et même farcesque, parfois nauséabonde, cette féroce peinture de mœurs dans un Portugal, un Lisbonne apparemment en ruine, est rendue dans une baroque profusion de détails.
« La villa, avec son toit d'ardoises noires, dégringolait comme une construction de dominos depuis les deux ou trois derniers hivers : le revêtement des angles se détachait par grandes plaques molles, une des vérandas en ruine inclinait ses planches vers les broussailles de la clôture, les rideaux se déchiraient à travers les losanges des fenêtres, les feux de navigation des fantômes défunts qui dérivaient de fenêtre en fenêtre devenaient de plus en plus dispersés et faibles et la musique titubait en hésitant sur les dénivellations des notes au bord d'une agonie douloureuse. Le gazon dévorait la clôture, maintenant complètement démolie, qui séparait la villa du bâtiment de l'école, les chats s'y recherchaient dans la frénésie du rut. Des oiseaux avec des pupilles démentes sortaient des fenêtres du vestibule dans un volettement de pages de dictionnaire et une silhouette claire se montrait de temps en temps à un appui de fenêtre pour contempler le fouillis de giroflées avec l'étonnement des statues de porcelaine. »

Dans cette villa vit le père de l’Homme (« António Antunes »), violoniste fou caché par ses parents-parents depuis la mort de sa mère…
Évocation de ses complices, « le Curé, l'Étudiant, l'Artiste, la Propriétaire de la maison de repos, l'Employé de banque », cellule marxiste enchaînant les sanglants assassinats mal ciblés. L’action se passe apparemment après la chute de Salazar, mais ce n’est pas toujours évident.
Le Monsieur de la Brigade spéciale annonce à Zé, le Magistrat, qu’il va servir d’appât pour les terroristes, actuellement occupés à éliminer les (faux) repentis et les infiltrés (c’est aussi un roman de trahisons croisées, de violence aveugle) ; l’Homme a rejoint la bande, renseignant la police qui lui a promis une exfiltration au Brésil.
Ce Monsieur, souvent occuper à reluquer la pédicure d’en face, ne dépare pas dans la galerie de grotesques salopards lubriques et corrompus issus de l’armée (exemple de la narration alternée).
« J'ai rangé ma serviette, mon canif en nacre, mon trousseau de clés et l'argent dans mon pantalon à côté d'une photo d'elle prise à Malaga l'été précédent et entourée d'un cadre en cuir à l'époque où elle s'était avisée de s'enticher d'un architecte italien à qui j'avais dû casser un coude pour le persuader poliment de rentrer bien tranquillement dans le pays de ses aïeux, et je me suis installé sur le pouf pour me battre avec mes lacets qui me désobéissent quand j'aurais le plus besoin qu'ils se défassent et avec mes souliers qui augmentent de taille comme ceux des clowns de cirque et qui m'obligent à avancer sur le parquet en levant exagérément les genoux, à l'instar des hommes-grenouilles chaussés de palmes qui se déplacent sur la plage comme s'ils évitaient à chaque pas des monticules de bouse invisible semés sur le sable par des vaches inexistantes. »
Petitesse de tous, qui vont et viennent entre le présent et le passé, souvent leurs souvenirs d’enfance.
En compagnie du cadavre de l’Artiste abattu par la police, les piètres terroristes retranchés dans un appartement avec leur quincaillerie achetée à des trafiquants africains tentent un attentat risible contre le Juge et la Judiciaire : du grand cirque.
« Les fruits du verger luisaient dans l'obscurité, des chandeliers sans but se promenaient derrière les stores de la villa, la constellation de Brandoa clignotait derrière les contours de la porcherie. Le chauffeur, la cuisinière, ma mère et moi, a pensé le Magistrat, nous glissions tous les quatre sur des racines, dans des rigoles d'irrigation, sur des pierres, des arbustes, des briques qui traînaient par terre, nous avons descendu mon père qui exhalait des vapeurs d'alambic, nous l'avons couché sur le lit que ma mère a recouvert de la nappe du dîner pour qu'il ne salisse pas les draps avec la boue de ses bottes et, un quart d'heure plus tard, après avoir enterré la chienne dans ce qui fut une plate-bande d'oignons et qui se transformait peu à peu en un parterre de mauvaises herbes, le chauffeur est revenu flanqué du pharmacien, dont la petite moustache filiforme semblait dessinée au crayon sur la lèvre supérieure, qui a examiné les pupilles de mon père avec une lanterne docte tout en lorgnant à la dérobée les jambes des bonnes, il a tâté sa carotide pour s'assurer du flux du sang, il a administré des coups de marteau sur ses rotules avec le bord de la main pour vérifier ses réflexes, il a souri à la cuisinière en se nettoyant les gencives avec la langue et il a annoncé à ma mère en projetant des ovales plus clairs sur les murs avec sa lampe, Pour moi, ça ne fait aucun doute, il a avalé son bulletin de naissance, si vous voulez, emmenez-le à l'hôpital Saint-Joseph par acquit de conscience, il faut qu'un médecin délivre le certificat de décès.
– Je lui ai fait comprendre que je le mettais dans un avion pour le Brésil, le type m'a pris au sérieux et c'est sur cette base qu'il a collaboré avec nous, a dit le Magistrat en regardant le Monsieur en face pour la première fois. Je lui ai affirmé qu'il n'aurait pas d'ennuis, et si vos hommes de main le descendent en arguant de la légitime défense ou de tout autre prétexte, je vous jure que je ferai un foin terrible dans les journaux.
– Mort ? s'est étonné le chauffeur en collant son oreille contre la bouche du fermier, puis se redressant et dansant sur ses souliers pointus vers le pharmacien qui examinait avec sa lampe la grimace jalouse de la cuisinière et les nichons des servantes. C'est drôle ça, j'ai vu des morts tant et plus quand je travaillais à la Miséricorde mais c'est bien le premier que j'entends ronfler.
– On se change, on prend une douche froide, on se met sur son trente et un, et après le dîner on se tire à Pedralvas, a proposé l'Homme qui se cramponnait au cèdre en essayant de se tenir sur ses genoux et ses chevilles gélatineuses. (Sa tête lui faisait mal comme une blessure ouverte, ses intestins semblaient sur le point d'expulser un hérisson par l'anus, le visage flou du Juge d'instruction le regardait derrière une rangée de narcisses.) Moi je me porte comme un charme, je pourrais aller jusqu'à Leiria au pas de course. »

L’Homme est en fuite, cerné par les forces armées (très présentes, ainsi que l’empreinte de la guerre d’Angola), et il appelle son ami d’enfance...
« Nous avons passé notre vie à nous faire mutuellement des crocs-en-jambe et quand des soldats encerclent votre maison, qui se souvient de son enfance ? »

Mais l’enfance revient toujours, avec le leitmotiv des cigognes. La justice impuissante et la révolte inepte sont en quelque sorte renvoyées dos à dos, s’engloutissant dans la violence brute, et l’état de fait ne change guère (après la révolution des Œillets).

\Mots-clés : #corruption #Enfance #famille #justice #politique #regimeautoritaire #terrorisme #trahison #violence #xxesiecle
par Tristram
le Mar 27 Déc - 11:37
 
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Sujet: Antonio Lobo Antunes
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Antonio Lobo Antunes

La Farce des damnés

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« Le deuxième mercredi de septembre mille neuf cent soixante-quinze » (après la révolution des Œillets, Salazar écarté et la guerre d’Angola terminée, à l’arrivée des communistes au pouvoir la bourgeoisie se prépare à l’exil) : la journée du narrateur, Nuno, un dentiste lisboète partagé entre sa femme Ana et Mafalda, sa maîtresse (deux amies). Après le déjeuner, scène de rupture loufoque avec la seconde, tandis qu’il se prend pour Edward G. Robinson ; il se rend chez ses parents, où sa mère fleurte avec une de ses conquêtes (son père est un homme d’affaires complaisant).
Premier aperçu de sa belle-famille, également nantie et sordide, essentiellement libidineuse :
« …] ma belle-mère qui couchait avec son beau-frère, la tante mongolienne d'Ana qui hurlait dans la cuisine, l'oncle qui avait fait un enfant à la cousine [… »

D’un Gitan qui essaie de vendre un stylo à Nuno :
« Ses vêtements accompagnaient ses gestes, avec l'impondérabilité presque transparente des écailles. Il sentait la mule morte et la morve d'une tripotée d'enfants, dans un terrain vague quelconque, auprès de femmes accroupies et de la soupe aux chardons du dîner qui bouillait dans un bidon rouillé. »

Puis ils partent, lui, Ana et son jeune frère Francisco, voir leur grand-père mourant en Espagne. Il s’enfuit pendant un contrôle de gendarmerie.
Compte-rendu de l’arrivée d’Ana et Francisco : vu « côté A » par leur mère, fille de régisseur dominée par son mari (la première activité d’Ana est de coucher avec son beau-frère, tandis que son grand-père agonise et que son père joue au train électrique). « Côté B », c’est Ana elle-même qui raconte, dans un récit traversé de souvenirs, cette même veille de fête, mais sept ans plus tard.
« C'est au Brésil, un ou deux ans après la révolution, que j'ai compris que le Portugal – tout comme les trains de mon père – n'existait pas. C'était une fiction burlesque des professeurs de géographie et d'histoire qui avaient créé des fleuves et des montagnes et des villes gouvernées par des dynasties successives de valets de cartes à jouer, auxquels succédèrent, après une demi-douzaine de détonations au bruit amorti de stands de tir, des individus à barbiche et lunettes emprisonnés dans des cadres ovales, observant le Futur avec la myopie sévère des élus, pour que tout, finalement, se dilue dans la blanche paix sans reliefs ni contours du salazarisme, pendant lequel ma famille avait prospéré comme le ver dans le bois, dévorant la sciure de fabriques et de montes. »

(Monte : domaine agricole en Alentejo. Généralement, la ferme ou la maison des maîtres se trouve sur une butte, d'où le nom de monte. (N.d.T.))
Revenue du Brésil avec son (nouveau) mari, Ada retrouve sa cousine (la fille de la mongolienne), sa mère et l’oncle (avec qui elle couchait sept ans plus tôt) qu’elle déshérite devant notaire.
Le jour de la fête (suivie sur trois jours, fusées, corrida), c’est Francisco qui raconte sa vie de pauvre bohème drogué, et nous apprend incidemment qu’il est le fils de son père et de sa sœur…
« Il y a toujours cinq ou six tourterelles sur le toit, uniques anges imaginables dans une ville où les panneaux publicitaires cachent, comme des pansements, les plaies d'une décomposition sans espoir. Lisbonne ressemble à un mendiant au soleil, avec ses moineaux qui farfouillent librement comme des poux dans la tignasse des arbres. »

Pendant la procession, Francisco doit promener sa tante mongolienne tandis que la famille se chamaille sur l’héritage et cherche le testament du grand-père afin de réunir un peu d’argent avant de s’enfuir devant les communistes. Le mourant, Diogo, « Monsieur l'ingénieur », après une vie à courser les servantes, boire et chasser, se remémore comme il épousa sa femme Adelina (présentée par son frère qui en était l’amant) et comment celle-ci s’est échappée, ce qui ne l’empêcha pas de la déclarer morte et d’en hériter.
Dans les derniers chapitres, les monologues de personnages divers s’entremêlent comme s’exacerbe le grotesque halluciné, proche du surréalisme ou du délire par moments, de ces saturnales abjectes dans l’immondice. Des détails finement observés, des métaphores originales, des précipitations du texte en paragraphes serrés, le leitmotiv du petit train animent ce flux rageur.
« La clarté des fenêtres décolorait les objets et traversait les aquariums des vitrines, où les pièces en corne flottaient comme des poissons ou des huppes dans le lointain, et les ailes des milans se dissolvaient telles des feuilles de thé dans la théière d'étain du ciel, qui reflétait, étirés et tordus, les arbres et les maisons. »

Avec l’agonie du patriarche en miroir de la fin de la dictature (et du massacre du taureau), c’est le terrible portrait de la (petite) bourgeoisie pourrie de l’intérieur (incestes entremêlés), sous couvert de religion et de valeurs familiales telles que :
« Il faut élever les enfants à coups de cravache, surtout lorsque nous sommes presque sûrs qu'ils ne sont pas de nous. »

Ce roman est une belle réussite car, s’il peut se perdre parfois parmi les coucheries familiales ou les divers intervenants, le lecteur n’oublie pas un instant qu’Antunes révèle les dessous de cette famille typique de l’époque. Je pense qu’on peut là le rapprocher de Faulkner, c’est tout dire !

\Mots-clés : #corruption #famille #regimeautoritaire #social #xxesiecle
par Tristram
le Dim 2 Oct - 13:43
 
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Sujet: Antonio Lobo Antunes
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Tash Aw

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Nous les survivants


Ad Hock,  est né dans un village de Malaise de parents chinois, milieu ultraprécaire où chaque espoir est contrecarré par le destin : le père émigre pour trouver du travail et ne revient jamais, sa mère croit trouver un certain salut auprès d’un concubin mais est chassée par la famille de celui-ci, la maison et le potager que sa mère et lui arrivent à mettre en place au prix d’efforts insensés est inondé plusieurs années de suite, la mère finit par décéder d’un cancer qu’elle ne peut soigner faute de moyens. Encore adolescent, il part en ville, découvre la violence du monde du travail : le déni de droit, la traite humaine, l’esclavagisme des migrants et la corruption.

Finalement arrivé à  un certain statut,  pris au piège de ses engagements, de son « honnêteté » dans un monde corrompu et de ses angoisses, il va finir par tuer un homme qui veut lui vendre des employés comme du bétail.

Malgré cet enchaînement de péripéties dramatiques, Tash Aw échappe au misérabilisme par le caractère informatif de son récit, et par une écriture très clinique, dont toute émotion est bannie.
Il présente son récit sous la forme de l’interview rétrospective de Ad Hock par une jeune sociologue. Malheureusement, non seulement cet aspect narratif n’apporte rien au roman, mais elle gêne puisque l’écriture ne fait preuve d’aucune oralité (en somme on est curieusement gênée par le fait que ce soit trop bien écrit)

Bref, j’ai trouvé ce roman m’a plus intéressée par son aspect documentaire que par son versant littéraire.


\Mots-clés : #corruption #mondedutravail #social #violence
par topocl
le Mer 12 Jan - 13:48
 
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Sujet: Tash Aw
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Hannelore Cayre

La Daronne

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La narratrice, Patience Portefeux, est une femme née dans un milieu très aisé (et interlope) qui se retrouve subitement veuve avec deux enfants et sans ressources ; parlant couramment arabe, elle devient traductrice-interprète judiciaire, et traduit des écoutes téléphoniques de la police. Elle modifie parfois les conversations, et en vient à intervenir dans une affaire en cours…
C’est, outre l’argent qui corrompt tout le monde, le milieu de la drogue et de la petite délinquance qui est abordé, mais de nombreux autres problèmes de société contemporains le sont également (fraude fiscale, blanchiment d’argent, vie en EHPAD, etc.).
Hannelore Cayre bouscule à peu près tout le monde, les flics et les malfrats, les racistes comme les racisés :
« J’ai mis une bonne semaine à la repérer vu que dans les mouroirs, c’est comme dans les hôpitaux ou les crèches : il n’y a pratiquement que des Noires et des Arabes qui y travaillent. Racistes de tout bord, sachez que la première et la dernière personne qui vous nourrira à la cuillère et qui lavera vos parties intimes est une femme que vous méprisez ! »

Le livre est bourré d’informations policières et judiciaires apparemment bien renseignées…
« Sinon, j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt.
Un vrai karma, décidément.
C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là mêmes qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ?
Enfin, moi qui suis corrompue, je trouve ça carrément flippant. »

Le style d’Hannelore Cayre est vif, dense, enlevé : elle va rondement à l’essentiel ; c’est aussi plein d’ironie.
J’ai trouvé un peu incohérent que l’on n’apprenne l’existence de Philippe, le fiancé flic de Patience, qu’au mitan de ce bref roman mené tambour battant : le personnage serait-il né en cours de rédaction ?
Attrayante lecture, entre amertume et humour.


\Mots-clés : #contemporain #corruption #polar
par Tristram
le Mar 23 Nov - 12:08
 
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Sujet: Hannelore Cayre
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Mario Vargas Llosa

Conversation à La Catedral

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Titre original: Conversación en la Catedral, 1969, 610 pages environ.
Lu dans la seconde traduction, d'Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès, Gallimard collection Du monde entier, 2015.


Au début un journaliste rentre chez lui, voit sa femme éplorée, on a subtilisé de force leur chien; le chroniqueur, Santiago Zavala, se rend à la fourrière canine afin de le récupérer (amener les chiens divagants à la fourrière rapporte quelques soles, et, quand ils ne divaguent pas...).

Là, après quelques saynètes et propos crus, Zavala tombe sur Ambrosio, ex-chauffeur de son père, et, sur proposition du premier et indication du dernier, ils vont se jeter quelques bières dans un boui-boui nommé La Catedral.
Les 600 pages sont la teneur de cette conversation, par séquences voire chapitres entiers très embrouillée, mâtinée de flashes-back, de réminiscences, d'évocations, de soliloques, de dialogues entremêlés, de bâtons rompus, bien que plus l'on avance, plus le propos soit formellement clarifié.

J'avais lâché cet embrouillamini indigeste et long il y a une quinzaine d'années, dans l'ancienne traduction.
Aujourd'hui c'est passé crème, le style narratif (parlé mais pas nécessairement ordonné) nécessite un peu d'accoutumance et le nombre des caractères ou personnages fait qu'on peut conseiller de le lire avec une relative célérité, du moins une linéarité.

In fine j'ai beaucoup apprécié cet apparent magma d'écriture faussement désinvolte, comme des micros qui captent toutes les bribes de conversations éparses, fissent-elles sens ou non, doublés de micros plus sophistiqués qui saisissent ce qui traverse les esprits, ce qui passe par les têtes:
N'est-ce pas plus proche de ce qui se passe dans la vie ?

Rendu on ne peut plus original donc, qui "classe" l'ouvrage dans un courant littéraire exploratoire. Techniquement, le rendu de ces interférences permanentes, de ces coqs-à-l'âne, couplé à la narration de style parlé permet beaucoup de choses: La légèreté sur un sujet et une époque qui réunissent pourtant tous les ingrédients pour que ce soit bien pesant, l'attention pseudo-détournée du lecteur, qui du coup en redemande à la lecture d'une saynète, sans trop savoir à quel moment du bouquin il va trouver la suite (ou ce qui précédait, via les flashes-back en nombre !).  

Le Pérou, époque dictature d'Odría, il y avait tout pour faire du livre un mélo, ce qu'il n'est pas. Vargas Llosa réalise un petit coup de maître en réussissant une fresque où rien ne semble manquer excepté la vie rurale. Mais nous avons des destins, certains humbles, d'autres de premier plan, la violence, la corruption, la répression, les "arrangements", les oligarques, les révoltés, l'intérieur des familles, les maîtres et les servants, la prostitution - de luxe ou de caniveau.
Et même une certaine chronologie de ces temps particulièrement troublés. Les mondes des casseurs, des petites frappes, des indics, du journalisme, de la nuit sont particulièrement gratinés, le tout servi dans un bouillonnement où mijotent les entrelacs des histoires.  

Certains personnages évoqués sont réels, Odría, Bustamante par ex. (mais la parole ne leur ait jamais laissée directement), la toponymie aussi, et les évènements narrés coïncident avec exactitude à l'histoire péruvienne de ces années-là.  

Le personnage de Santiago Zavala a du Mario Vargas Llosa en lui, on dira qu'il colle avec sa bio (quant au personnage d'Amalia, il est remarquablement troussé, à mon humble avis).

Ce curieux kaléidoscope est sans aucun doute un vrai grand livre, à placer -à mon humble avis, toujours- parmi les ouvrages incontournables de la littérature latino-américaine de la seconde moitié du XXème siècle.


Un exemple de superposition de plusieurs situations, plusieurs dialogues (deux, en l'occurence); on note le simple "dit" pour informer le lecteur de l'auteur de la prise de parole.
Jamais ce "dit", comme un invariable, n'est remplacé par un des équivalents habituels lorsqu'on écrit des dialogues, du type annonça, interféra, trancha, cria, coupa, affirma, etc.

Chapitre VII, Partie 1 a écrit:
- Fondamentalement, deux choses, dit maître Ferro. Primo, préserver l'unité de l'équipe qui a pris le pouvoir. Deuxio, poursuivre le nettoyage d'une main de fer. Universités, syndicats, administration.
Ensuite élections, et au travail pour le pays.
- Ce que j'aurais aimé être dans la vie, petit ? dit Ambrosio. Riche, pour sûr.
- Alors tu pars pour Lima demain, dit Trifulcio. Et pour faire quoi ?
- Et vous c'est être heureux, petit ? dit Ambrosio. Évidemment que moi aussi, sauf que riche et heureux, c'est la même chose.
- C'est une question d'emprunts et de crédits, dit Don Fermín. Les États-Unis sont disposés à aider un gouvernement d'ordre, c'est pour cela qu'ils ont soutenu la révolution. Maintenant ils veulent des élections et il faut leur faire plaisir.  
- Pour chercher du travail là-bas, dit Ambrosio. Dans la capitale on gagne plus.
- Les gringos sont formalistes, il faut les comprendre, dit Emilio Arévalo. Ils sont ravis d'avoir le général et demandent seulement qu'on observe les formes démocratiques. Qu'Odría soit élu, ils nous ouvriront les bras et nous donneront tous les crédits nécessaires.
- Et tu fais chauffeur depuis longtemps ? dit Trifulcio.
- Mais avant tout il faut impulser le Front patriotique national, ou Mouvement restaurateur, ou comme on voudra l'appeler, dit maître Ferro. Pour se faire, le programme est fondamental et c'est pourquoi j'insiste tant.
- Deux ans comme professionnel, dit Ambrosio. J'ai commencé comme assistant, en conduisant de temps en temps. Après j'ai été camionneur et jusqu'à maintenant chauffeur de bus, par ici, dans les districts.
- Un programme nationaliste et patriotique, qui regroupe toutes les forces vivves, dit Emilio Arévalo. Industrie, commerce, employés, agriculteurs. S'inspirant d'idées simples mais efficaces.
- Alors comme ça t'es un gars sérieux, un travailleur, dit Trifulcio. Elle avait raison Tomasa de pas vouloir qu'on te voie avec moi. Tu crois que tu vas trouver du travail à Lima ?
- Il nous faut quelque chose qui rappelle l'excellente formule du maréchal Benavides, dit maître Ferro. Ordre, Paix et Travail. J'ai pensé à Santé, Éducation, Travail. Qu'en pensez-vous ?  
- Vous vous rappelez Túmula la laitière, la fille qu'elle avait ? dit Ambrosio. Elle s'est mariée avec le fils du Vautour. Vous vous rappelez le Vautour ? C'est moi qui avait aidé son fils à enlever la petite.
- Naturellement, la candidature du général doit être lancée en grandes pompes, dit Emilio Arévalo. Tous les secteurs doivent s'y rallier de façon spontanée.
- Le Vautour, le prêteur sur gages, celui qu'a été maire ? dit Trifulcio. Je me le rappelle, oui.
- Ils s'y rallieront, don Emilio, dit le colonel Espina. Le général est de jour en jour plus populaire. Il n'a fallu que quelques mois aux gens pour constater la tranquillité qu'il y a maintenant et le chaos qu'était le pays avec les apristes et les communistes lâchés dans l'arène.
- Le fils du vautour est au gouvernement, il est devenu important, dit Ambrosio. Peut-être bien qu'il m'aidera à trouver du travail à Lima.


\Mots-clés : #corruption #criminalite #famille #insurrection #medias #misere #politique #prostitution #regimeautoritaire #relationdecouple #temoignage #violence #xxesiecle
par Aventin
le Lun 1 Nov - 10:28
 
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Sujet: Mario Vargas Llosa
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Ahmadou Kourouma

Quand on refuse on dit non

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Ce roman inachevé constitue la suite de Allah n’est pas obligé.
« Un jour, ça viendra, je serai peinard comme un enfant de développé (développé signifie ressortissant d’un pays développé. Un pays du Nord où il fait froid, où il y a de la neige), et tous les enfants d’Afrique avec moi. »

Nous retrouvons Birahima l'enfant-soldat se réjouissant de la « guerre tribale » gagnant la Côte-d’Ivoire (19 septembre 2002) ; comme en Guinée et Sierra Leone, il assiste aux horreurs de la guerre civile :
« (En Côte-d’Ivoire, les armées loyalistes et rebelles massacrent les habitants et entassent les cadavres dans un trou. C’est ce qu’on appelle un charnier.) »

« Les charniers donnent du terreau à la terre ivoirienne. C’est le terreau des charniers qui permet à la Côte-d’Ivoire d’avoir un sol riche qui nourrit du bon café, de la bonne banane, du bon hévéa, et surtout du bon cacao. La Côte-d’Ivoire est le premier producteur du monde de cacao et produit le meilleur cacao qui fait le meilleur chocolat du monde. Faforo (cul de mon père) ! »

C’est l’époque où Gbagbo, en tête de l’ethnie Bété, organise la lutte contre les Nordistes, les « Dioulas ».
« Malinkés, Sénoufos, Mossis, Gourounsis, etc., sont kif-kif pareils des Dioulas pour un Bété. »

Le moteur de cette guerre, c’est le racisme, rationnalisé par une doctrine, variante dévoyée de la négritude, l’hallucinante « ivoirité ».
« Les Bétés sont fiers d’avoir plein d’ivoirité ; ils parlent toujours de leur ivoirité (ivoirité : notion créée par des intellectuels, surtout bétés, contre les nordistes de la Côte-d’Ivoire pour indiquer qu’ils sont les premiers occupants de la terre ivoirienne). »

« Un Dioula mort, ça faisait une fausse carte d’identité d’ivoirité en moins à fabriquer : ça faisait une réclamation de terre vendue et reprise en moins. »

« Bédié pensa au retour à la terre. Mais la terre était occupée par ceux qui la travaillaient, comme l’avait voulu Houphouët-Boigny. Voilà l’Ivoirien sans emploi et sans terre dans son propre pays. Pour faire face à cette situation catastrophique, Bédié fit sienne l’idéologie de "l’ivoirité". L’ivoirité est le nationalisme étroit, raciste et xénophobe qui naît dans tous les pays de grande immigration soumis au chômage. Partout, c’est une idéologie prêchée par des intellectuels marginaux et qui est adoptée par une couche marginale de la population. En Côte-d’Ivoire, l’idéologie de l’ivoirité devient la doctrine de l’État. »

« L’ivoirité imposait d’arracher les "fausses et vraies" cartes d’identité et de poursuivre les fonctionnaires qui les établissaient. L’ivoirité imposait de récupérer les cartes d’identité acquises pour les élections quinquennales. »

C’est aussi un conflit religieux, le Sud étant chrétien (cf. la cathédrale de Yamoussoukro), et le Nord musulman.
Je vivais en Côte-d’Ivoire à cette époque ; les évènements me paraissaient délirants, et cette lecture me les ramentoit en authentifiant leur réalité : les « quatre principaux leaders ivoiriens : le président Gbagbo, Ouattara, Bédié et Gueï », les escadrons de la mort et les « jeunes patriotes », les mercenaires ukrainiens avec les loyalistes contre les rebelles, « les massacreurs ou supplétifs libériens », les milices de « chasseurs traditionnels » (les dozos), dont les grigris et amulettes « protégeaient leurs personnes contre les balles »…
Birahima accompagne avec son kalach la belle Fanta vers le Nord ; instruite, elle lui enseigne la géographie puis l’histoire de la Côte-d’Ivoire (peut-être peut-on soupçonner Kourouma d’être partisan des Dioulas).
À l’époque coloniale, les travaux forcés ont drainé la main-d’œuvre du Nord pour développer le Sud.
« D’autre part, les Burkinabés ont été les rats de la Côte-d’Ivoire. Ils ont creusé le trou de la Côte-d’Ivoire (construit le pays) et les serpents ivoiriens les ont chassés de leur trou pour l’occuper. Faforo ! »

« C’est parce que les habitants de la forêt étaient considérés comme lymphatiques que les Dioulas sont morts comme des mouches pour construire le Sud. »

Survient l’indépendance :
« Pour le moment, j’ai compris qu’après avoir allumé l’incendie en Côte-d’Ivoire Houphouët-Boigny s’est enfui et s’est bien caché dans un petit hôtel minable à Paris en France. Mitterrand lui a tendu la main. Il l’a saisie et a appelé cela le repli stratégique et le repli stratégique a fait de Houphouët le grand homme que tout le monde admire et vénère aujourd’hui. Et puis Houphouët-Boigny a pleuré comme un enfant pourri pour que la Côte-d’Ivoire reste une colonie de la France. Le général de Gaulle a carrément refusé. Faforo ! »

Alors viennent « les soleils [ère] de Houphouët-Boigny » : les colons sont devenus des coopérants qui permettent l’âge d’or économique du pays, puis vient l’africanisation. Les salaires étant insuffisants, la corruption est encouragée pour compléter ses revenus en se payant sur la bête, jusqu’à sa généralisation à tous les niveaux de la société.
« Houphouët-Boigny était un corrompu (personne qui se vend), un corrupteur (personne qui soudoie, achète quelqu’un d’autre) et un dilapidateur (dépensier et gaspilleur). »

Ahmadou Kourouma profite toujours du discours de son personnage pour pointer les différences de points de vue.
« (Quand c’est un groupe de blancs, on appelle cela une communauté ou une civilisation, mais quand c’est des noirs, il faut dire ethnie ou tribu, d’après mes dictionnaires.) »

Le roman s’interrompt avant l’arrivée à Bouaké, soit vraisemblablement en son milieu, sinon avant. Suivent des éléments laissés par Kourouma, qui n’empêchent pas de regretter sa disparition prématurée.

\Mots-clés : #colonisation #corruption #criminalite #guerre #historique #insurrection #violence
par Tristram
le Dim 13 Juin - 0:30
 
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Sujet: Ahmadou Kourouma
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Antonio Lobo Antunes

Le Manuel des inquisiteurs

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Un propriétaire terrien, Francisco, monsieur le docteur, ministre proche de Salazar avant l’arrivée au pouvoir des « communistes », a été quitté par son épouse Isabel pour un financier. L’homme de pouvoir sera finalement interné, cancéreux et moribond :
« …] le pantin dont il semblait que le moteur détraqué d’une tondeuse à gazon se disloquait dans sa poitrine, mon père qui un an après la révolution s’obstinait à attendre les communistes dans le domaine dévasté, jouant du piano au milieu du salon dans une
le saint transformé en un mikado de tibias, en une paire de narines dilatées, en un fantoche sans mérite, et moi malgré tout attendant une parole sans savoir laquelle et qui ne venait pas, qui ne viendrait jamais, d’autant que le médecin m’a expliqué qu’il ne fallait pas y songer en me montrant des analyses et sur des radios des taches qu’il a entourées de son stylo avec un soin didactique [… »

Il a un fils, João, un faible vite spolié par la famille de sa femme, Sofia.
« ‒ Il n’y a plus rien qu’ils puissent me prendre
et les eucalyptus qui s’avançaient vers lui à travers une cohue de grenouilles, les eucalyptus qui occuperont de leurs coassements le domaine tout entier si les cousins de Sofia et le secrétaire du tribunal ne viennent pas m’expulser un de ces jours [… »

Longues phrases heureusement scandées de renvois à la ligne, rendant les ressassages et digressions d’un flux de conscience ininterrompu, des monologues aussi, chaque « récit » alternant avec un « commentaire » d’un des protagonistes ou proches impliqués, non sans allers-retours dans le temps. Ce procédé dans la lignée de Joyce et Woolf est toujours exigeant du lecteur, mais c’est ici une réussite qui n’empêche pas ce dernier d’identifier les personnages et leurs rapports autour de la figure de pouvoir ; de plus, une certaine évolution fixe l’attention dans l’entendement de révélations successives. (À déplorer malheureusement des fautes et coquilles, d’autant plus gênantes dans ce genre de texte.)
Outre les répétitions constantes, tels le cigarillo et les bretelles élastiques du ministre, des sortes de refrains ponctuent le cours du texte qui paraît parlé ; voici un de ces leitmotive temporaires, pour le coup empreint de poésie :
« ‒ Il n’existe rien au monde de plus lent que les troupeaux et les nuages »

Suivent donc la cuisinière, que monsieur le docteur saillit comme quelques autres, le vétérinaire qui devra assister cette dernière lorsqu’elle donnera le jour à Paula, (demi-)sœur de João, puis sa nourrice, et encore son amant César à qui cela vaudra une raclée, Dona Albertina, Titina la gouvernante, puis Lina sa soignante, qui se trouve connaître João expulsé du domaine…
« la clarté de Setúbal à travers les stores pareille à la lumière ambrée de la morgue où le Christ avec une tête de trafiquant de drogue mort d’overdose attend son autopsie sur le mur, les rideaux semblables à des tentures mortuaires, sur le marbre de la commode des boîtes et des brosses comme des os alignés pour l’examen du médecin légiste, ma femme s’affalant doucement comme une pieuvre s’endort, plongeant ses tentacules dans le sable des draps [… »

« …] même si à neuf ou dix ans je ne savais pas très bien ce que signifiait mourir, mourir c’était une personne mal élevée allongée avec ses chaussures sur un lit sans que personne ne lui en veuille d’abîmer le couvre-lit avec ses talons, c’était un visage couvert d’un foulard avec dessus des mouches à viande par dizaines et puis après on soupirait, on mangeait des sandwichs et on l’emmenait pour la punir dans un internat où elle n’abîmerait pas les couvre-lits ou bien on la remettait aux Gitans chez qui tout est déjà abîmé, les femmes, les mules et leur vie [… »

« ‒ Elle dit que c’est la fille de monsieur le ministre elle dit qu’elle veut parler à son père et dehors la ville aux veines ouvertes charriant des généraux de bronze, des pigeons et des laiteries vers le Tage, des pavillons avec des moteurs à gasoil de rive en rive dans une lenteur de frégates [… »

« …] remonte le ressort du perroquet de feutre qui piaille durant cinq minutes en oscillant d’arrière en avant avec un air de béatitude confuse
‒ Qui commande ? Salazar Salazar Salazar
de plus en plus lentement jusqu’à finir par se taire au milieu de la phrase et de sa danse en une expression d’attardé [… »

Autre personnage marquant : Romeu l’innocent, qui rêve des caravelles chères à Ántonio Lobo Antunes, est amoureux de Paula.
« ma mère lissant le costume avec le fer à repasser, soulignant les plis, vérifiant les boutons, nettoyant une tache de moisi avec l’élixir pour les dents, rangeant l’épingle de la cravate dans un petit sac de toile et le mélangeant aux oignons pour tromper les voleurs, branchant la télévision et moi en pyjama en train d’attendre la soupe tandis que la taverne s’assombrissait, que le fleuve s’assombrissait, qu’on allumait des torches autour de la potence et sur les caravelles de l’Infante, que les bœufs transportaient le canon en labourant l’écume avec l’araire que faisaient leurs cornes, la pendule clamant dix heures et ma mère sans interrompre son ouvrage au crochet
‒ Romeu au lit
un divan rembourré d’épis avec un chien en velours sur l’oreiller et ma mère refrénant la pendule qui, si on la laissait faire, saignait comme un porc la nuit entière
‒ Tu as ton chien-chien Romeu ? »

« …] une femme qui passait ses journées à protéger son fils des gamins de l’école, des vauriens de la taverne qui lui enfilaient une bouteille de gnôle dans les mains et lui baissaient le pantalon pour voir je ne sais quoi ou plutôt je pense ne pas le savoir mais je n’en suis pas sûre ou bon d’accord je le sais écrivez dans votre livre que je le sais et que ça ne vaut pas la peine d’en parler, la clique de la taverne le saluant sous des applaudissements, suffoquant d’hilarité [… »

Il apparaît que toutes ces paroles sont des réponses aux interrogations d’un écrivain qui se documente :
« D’ailleurs ce que Paula a raconté ne me concerne pas ni ne m’intéresse, ce n’est pas la peine de fouiller dans votre serviette, de me montrer ces papiers car j’ai d’autres chats à fouetter et je ne vais pas les lire, ou bien vous me croyez ou bien vous ne me croyez pas et vous avez déjà beaucoup de chance que je parle avec vous parce que s’il prenait à Adélaïde de feuilleter votre livre et qu’elle tombe sur mon nom et sur les mensonges de Paula à mon sujet je suis fichu [… »

Cette galerie de portraits reprend l’histoire portugaise récente, politique et sociale (fascisme, guerre d’Angola), caricaturée jusqu’au grotesque.
Le style (en flux jusqu’à atteindre des acmés, transe du beat), les métaphores (les images font fréquemment référence aux précédentes) sont puissants :
« ‒ C’est celui-là ?
un chalutier qui cheminait sur l’eau comme un apôtre en troublant les albatros, les vagues qui plissaient et déplissaient leur front soucieux, un rot du sergent qui sonnait comme un cri de l’âme, comme un discours de cirrhose et de solitude, le major montrant le carnet à l’homme au chapeau que je connaissais sans me souvenir d’où
‒ C’est celui-là monsieur le ministre »

« un drapeau sur le mur, la carte du Portugal, des étagères de livres, des téléphones, des piles de lettres, le lion chromé du presse-papiers s’élançant sur un cendrier pris au dépourvu, le gaillard âgé qui vu de près, avec ses verres lui grossissant les orbites, donnait l’impression que ses cils étaient des petites pattes d’insecte en train de s’agiter, que ses yeux allaient se mettre à courir hors de son visage, cavaler de sa veste vers son pantalon, de son pantalon vers le sol et se tapir sous un meuble comme des cafards, attendant que je parte pour retourner à leur place près du nez, ses doigts humides sur le nard, sur ma main, sur mon épaule, tâtant les tendons de mon cou en une supplique infantile »

« …] les prisonniers, des paniers percés comme moi ici, des cageots frottés de peau, des cages de côtes disloquées qui voyaient le sable et la mer à travers les murs [… »

Mademoiselle Milá, jeune maîtresse du ministre auquel elle rappelle son épouse,
« …] si encore elle avait été intelligente, si elle avait été sympathique mais elle ne l’était pas, c’était un lambeau de timidité, un pudding de stupeur, un frisson de trouille. »

dona Dores sa mère,
« ‒ Tu n’aimes pas les poupées Dores ?
j’aimerais les poupées si elles étaient vivantes, mais les poupées mortes m’épouvantent surtout si elles continuent à battre des paupières, si elles continuent à répéter
‒ Maman
ma marraine penchant la poupée en avant et en arrière, et la poupée de battre des paupières et de répéter
‒ Maman »

puis le concierge acariâtre, ensuite le fourrier chauffeur du ministre, qui participa à l’assassinat du général d’aviation Humberto Delgado et de sa compagne (opposé au régime) :
« …] il était là mon oncle au fond du puits où nous l’avons trouvé un jour, nous nous sommes penchés et nous sommes tombés tout en bas sur son visage qui nous souriait, des fois en me rasant le matin je me heurte à ses dents bleues en train de ricaner au fond de mon miroir, une rangée de dents bleues et usées sur des gencives tout aussi bleues qui me narguent [… »

Avec le passage sur les vieilles, l’évocation du ministre impotent constitue un sommet :
« ‒ Pipi monsieur le docteur pipi on ne veut certainement pas salir son petit pyjama tout propre n’est-ce pas monsieur le docteur ?
des mains qui me lèvent, me couchent, me lavent, me donnent à manger, me coincent un vase de nuit entre les jambes, moi m’écoulant de moi-même en un cliquetis d’osselets, et elles de me pincer le menton avant de s’éloigner contentes, le long du couloir, m’emportant avec elles dans le vase de nuit »

« ‒ Petit bouillon monsieur le docteur un excellent petit bouillon aux légumes passés au presse-purée, un filet de merlan frit sans aucune arête que j’ai passé une demi-heure à enlever mon chameau, une petite poire cuite, celle-là pour papa allez on y va celle-là pour maman plus vite que ça celle-là pour moi car le diable t’emporte vieillard si je n’en mérite pas une aussi celle-là c’est pour votre couillon de fils pour qu’il ne vous trouve pas maigre le jour de la visite on ne va pas effrayer son fiston avec une frimousse de crève-la-faim on ne va pas effrayer son fiston avec une frimousse de momie on va être doux comme un agneau monsieur le docteur avalez nom d’un sacré petit bonhomme ne me fermez pas ces dents avalez vas-tu avaler ou non garnement ? »

L’aspect halluciné qu’atteint par moments le texte m’a fait penser à une des sources, ibérique, (ou à un flux commun) du macabre voire du réalisme magique sud-américain.

\Mots-clés : #corruption #historique #politique #regimeautoritaire #vieillesse #xixesiecle
par Tristram
le Mar 19 Jan - 21:27
 
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Sujet: Antonio Lobo Antunes
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Isabel Allende

Zorro

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Roman, 525 pages environ, 2005. Titre original: El Zorro: Comienza la leyenda.

Parti pour voir si c'était compatible pour une lecture par mes garçons (ça l'est, juste une petite interrogation sur la distance, qui passe les 500 pages), et puis je me suis laissé prendre à ce bouquin, somme toute pas mal déconfinant; puis, parti pour poster un petit message sur le fil one-shot, je me retrouve à ouvrir un fil d'auteur dont je n'avais jamais rien lu...

Roman de cape et d'épée, donc genre littéraire regardé comme plutôt mineur, mais casse-figure tout de même:
Tout le monde n'est pas Dumas père ou encore Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse), ni même Roger Nimier (D'Artagnan amoureux).

Le sujet (voir le titre en langue originale) est l'enfance et la jeunesse de Don Diego/Zorro, en d'autres termes la genèse de Zorro.

Mme Allende s'en sort fort bien, portée par une documentation qu'on pressent solide (sur Barcelone aux temps de l'occupation française -napoléonienne-, les amérindiens, la Californie colonie de la couronne espagnole au XIXème naissant, les mœurs des gitans en Espagne, ceux des Gentilshommes de fortune du démocratique "royaume de Barataria" de Jean Lafitte, le vaudou à cette époque, l'administration royale et coloniale, etc, etc.).

Portée aussi par un sens narratif, ou peut-être un talent éprouvé de conteuse (?) ainsi que sa biblio incite à le supposer.

Peut-être une plume qui possède déjà, en 2005, beaucoup d'expérience, est-ce de l'ordre du flair, je ne sais pas, je découvre l'écriture d'Isabel Allende (mon impression est que l'excellence dans le domaine du sens narratif, il arrive qu'elle procède d'une articulation constructive sans faille - style Flaubert dans Salammbô si vous voulez - ou bien d'un flair, d'une intuition -à la Stevenson, même s'il y a sûrement beaucoup de boulot derrière l'apparente facilité, et sans doute le plus souvent d'un alliage intuition/colossale charge de travail).

Je lui sais gré que son Zorro soit un héros et non un super-héros, avec ses vulnérabilités, son romantisme, ses à-côtés, la sympathie qui va avec le personnage, antithétique du justicier froid.
Toisième Partie, Barcelone 1812-1814 a écrit:Il n'avait pas eu clairement conscience jusqu'à cet instant de sa double personnalité: d'un côté Diego de La Vega, élégant, minaudier, hypocondriaque, de l'autre Zorro, audacieux, insolent, joueur. Il supposait que son véritable caractère se situait quelque part entre ces deux extrêmes [...].

La dualité entre le personnage un peu gandin, frivole et peu signifiant de Diego et le héros Zorro est d'autant mieux exploitée qu'elle se double d'une dualité quasi gémellaire entre Bernardo et Diego, frères de lait, communiquant par gestes et télépathie, avec la part indienne de Zorro révélée (Bernardo est indien, dans ce Zorro-là).

Il m'est difficile pourtant, en lisant, de ne pas imaginer Zorro Le Renard sous les traits de Guy Williams, or j'ai toujours détesté cette intrusion dans mon imaginaire des aspects physiques de personnages que le cinéma ou les séries parviennent à imposer: je le prends toujours pour faiblesse, ou méforme, de ma part.

Il y a du burlesque, du gymnique, du fer croisé, des méchants, des veules, des passages secrets, des exploits et toutes sortes de prouesses, des coups du sort, des traîtrises, des torts à redresser, de l'imprévu, le camp du bien, celui du mal, etc...(vous n'en doutez évidemment pas !).

Un tout léger petit regret ?  
Dommage toutefois que Mme Allende ait escamoté toutes les possibilités de littérature équestre qu'offre un sujet aussi en or que Zorro: mais enfin l'opus pèse son pavé, on peut lui fournir une excuse...

Extrait:
Première Partie, Californie 1790-1810 a écrit:Bientôt il se trouva perdu dans l'immensité des montagnes. Il tomba sur une source et en profita pour boire et se laver, puis il s'alimenta de fruits inconnus cueillis aux arbres.
Trois corbeaux, oiseaux vénérés par la tribu de sa mère, passèrent en volant plusieurs fois au-dessus de sa tête; il y vit un signe de bon augure et cela lui donna le courage de continuer.  
À la tombée de la nuit, il découvrit un trou protégé par deux rochers, alluma un feu, s'enveloppa dans sa couverture et s'endormit à l'instant, priant sa bonne étoile de ne pas l'abandonner - cette étoile qui, d'après Bernardo, l'éclairait toujours -, car ce ne serait vraiment pas drôle d'être arrivé si loin pour mourir entre les griffes d'un puma.
Il se réveilla en pleine nuit avec le reflux acide des fruits qu'il avait mangés et le hurlement des coyotes tout proches. Du feu il ne restait que de timides braises, qu'il alimenta avec quelques branches, songeant que cette ridicule flambée ne suffirait pas à tenir les fauves à distance.
Il se souvint que les jours précédents il avait vu plusieurs sortes d'animaux, qui les entouraient sans les attaquer, et il fit une prière pour qu'ils ne le fassent pas maintenant qu'il se trouvait seul. À ce moment il vit clairement, à la lueur des flammes, des yeux rouges qui l'observaient avec une fixité spectrale. Il empoigna son couteau, croyant que c'était un loup, mais en se redressant il le vit mieux et s'aperçut qu'il s'agissait d'un renard. Il lui parut curieux qu'il reste immobile, on aurait dit un chat se réchauffant aux braises du feu.
Il l'appela, mais l'animal ne s'approcha pas, et lorsque lui-même voulut le faire, il recula avec prudence, maintenant toujours la même distance entre eux. Pendant un moment Diego s'occupa du feu, puis il se rendormit, malgré les hurlements insistants des lointains coyotes.
À chaque instant il se réveillait en sursaut, ne sachant où il se trouvait, et il voyait l'étrange renard toujours à la même place, comme un esprit vigilant. La nuit lui parut interminable, jusqu'à ce que les premières lueurs du jour révèlent enfin le profil des montagnes. Le renard n'était plus là.
Au cours de jours suivants, il ne se passa rien que Diego puisse interpréter comme une vision, excepté la présence du renard, qui arrivait à la tombée de la nuit et restait avec lui jusqu'au petit matin, toujours calme et attentif.
Le troisième jour, las et défaillant de faim, il essaya de trouver le chemin du retour, mais fut incapable de se situer.    



Mots-clés : #amérindiens #corruption #discrimination #esclavage #initiatique #litteraturejeunesse #segregation #social
par Aventin
le Lun 20 Avr - 18:34
 
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Sujet: Isabel Allende
Réponses: 4
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José Zorrilla

José Zorrilla
(1817-1893)

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José Zorrilla y Moral, né à Valladolid le 21 février 1817 et mort à Madrid, 23 janvier 1893 (à 75 ans) est un écrivain, et poète ainsi que l'un des principaux dramaturges espagnols du XIXe siècle.
Dans ses Souvenirs du temps passé (Recuerdos del tiempo viejo, 1880-1883), Zorrilla rapporte plusieurs anecdotes de son existence besogneuse et mouvementée. Un poème qu'il lit sur la tombe de Larra (1837) lui acquiert d'emblée la célébrité. À Madrid, il écrit dans les journaux, publie des recueils poétiques, fait représenter plusieurs drames. Il se rend en France (1850), puis au Mexique (1855) où il bénéficie de la protection de l'empereur Maximilien. Il revient en Espagne, séjourne à Rome et en France de nouveau ; il se consacre activement à la littérature, est élu à l'Académie. En 1889, il reçoit à Grenade une couronne d'or qui consacre sa gloire littéraire.

Wikipédia et Encyclopædia Universalis

Bibliographie (non exhaustive, et en espagnol)

Poèmes narratifs

Grenade (poème oriental, précédé de La légende d'Al-Hamar), 1852
La légende du Cid (1882)

Théâtre

Vivir loco y morir más, 1837.
Ganar perdiendo, 1839.
Cada cual con su razón, 1839
Lealtad de una mujer y aventuras de una noche, 1839
El zapatero y el rey, 1840
El eco del torrente, 1842.
Los dos virreyes, 1842.
Un año y un día, 1842.
Sancho García, 1842.
Caín pirata, 1842.
El puñal del godo, 1843.
Sofronia, 1843.
El molino de Guadalajara, 1843
La oliva y el laurel, 1843.
Don Juan Tenorio, 1844
La copa de marfil, 1844
El alcalde Ronquillo, 1845.
El rey loco, 1846.
La reina y los favoritos, 1846.
La calentura, 1847 (suite de El puñal del godo)
El excomulgado, 1848
La Creación y el Diluvio Universal, 1848
Traidor, inconfeso y mártir, 1849
El caballo del rey Don Sancho, 1850
El encapuchado, 1870



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Don Juan Tenorio

Don Juan Tenorio, parfaitement inconnu en France, est un symbole national en Espagne et un véritable mythe en Andalousie. Je ne vois guère que Cyrano chez nous à pouvoir lui être comparé, dont il possède le panache romanesque, les morceaux de bravoure et la verve cavalière. Fondé sur l’histoire édifiante de Miguel de Mañara, suivant d’assez près le drame de Dumas (également méconnu en France), ce Don Juan est construit en deux parties dont l’une présente les funestes exploits de son héros, et l’autre sa spectaculaire rédemption. La première partie est la plus longue et la plus spécifiquement dramatique ; duels, paris, coups de théâtre, trahisons, anathèmes se succèdent ; les personnages courent d’auberges en couvent, de cours secrètes en garçonnière, et du sinueux quartier juif de Séville jusqu’au Guadalquivir. Don Juan mène ses intrigues tambour battant, distribuant libéralement pièces d'or et coups d'épée, tandis que son rival malheureux, débauché moins parfaitement doué, se trouve pris et broyé par le formidable engrenage.
La seconde partie met en scène le rachat de Don Juan, cinq ans après les faits de la première partie. L’ambiance est nettement différente : la première partie empruntait au genre du roman d’aventures et aux pièces d'Hugo et de Musset ; celle-ci est l’héritière d’une tradition baroque et des peintures de vanités, ainsi que du conte fantastique (on songe volontiers au Cantique de Noël de Dickens), et se distingue par ses accents élégiaques. Le douloureux cheminement intérieur de Don Juan Tenorio, fait de reculs, de trébuchements et de ruades qui rappellent quelque peu le Sigismond de Calderón, est initié par la visite des fantômes de ses victimes, parmi lesquels la statue du Commandeur qui le prie à souper. Contre la terrible figure de pierre et devant l'enfer tout prêt à l'accueillir, Doña Inés, image de «l'éternel féminin», obtient en définitive la rédemption du pécheur.

N'ayant pas la moindre notion de métrique espagnole, j'ai découvert cette pièce comme un enfant découvre Cyrano ou Le Cid, en me laissant porter par la pompe des rimes, les étonnantes contorsions de la syntaxe et les fulgurances des monologues.
Pour donner une petite idée :

Partout où je fus,
Je piétinai la raison,
Raillai la vertu,
Outrageai la justice
Et subornai les femmes;
Aux cabanes de pêcheurs je descendis,
Les palais je gravis;
J'escaladai les cloîtres,
Et en tous lieux je laissai
De moi un souvenir amer.
Il n'y eut ni heure ni lieu
Que je reconnusse sacrés
Ni qui fussent respectés par mon audace;
Pas plus que je ne me souciai de distinguer
Le laïc du prêtre.
Je provoquai qui je voulus,
Avec qui le voulut, je me battis,
Et jamais je ne crus
Que pût me tuer, moi,
Aucun de ceux que je tuai.

Por dondequiera que fui
la razón atropellé,
la virtud escarnecí,
a la justicia burlé,
y a las mujeres vendí.
Yo a las cabañas bajé,
yo a los palacios subí,
yo los claustros escalé,
y en todas partes dejé
memoria amarga de mí.
Ni reconocí sagrado,
ni hubo ocasión ni lugar
por mi audacia respetado;
ni en distinguir me he parado
al clérigo del seglar.
A quien quise provoqué,
con quien quiso me batí,
y nunca consideré
que pudo matarme a mí
aquel a quien yo maté.


(Désolé, ça sent fort le labeur parce que c'est une adaptation maison)


Mots-clés : #amour #aventure #corruption #sexualité #théâtre
par Quasimodo
le Sam 29 Fév - 21:18
 
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Sujet: José Zorrilla
Réponses: 12
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Alaa al-Aswany

L’immeuble Yacoubian

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Si on s’en tient au premier et au dernier chapitre, il s ‘agit d’un homme notable vieillissant, qui, voyant l’âge venir, emploie une jeune femme pour lui prodiguer de la compagnie et un peu plus. Et qui est si doux et si charmant qu’après avoir voulu le gruger, elle finit par l’aimer infiniment.

Mais au Caire la vie grouille et il ne s’agit pas de s’en tenir à une histoire intime et heureuse. L’immeuble Yacoubian, immeuble haussmannien qui réunit les riches dans ses étages et les pauvres sur sa terrasse, est un lieu de vie intense, jamais en pause,  où s’expriment toutes les déviances d’un pays marqué par la misère, la corruption, une religion égarée, des rapports sociaux gangrenés, un puritanisme mal caché par un libéralisme de mœurs qui n’est qu’apparent.

Dans ce roman choral, l’habile conteur Al Aswany fait se croiser et s’entrecroiser  le beau monde et les petites gens, les policiers ripous, les politiciens dépravés et les islamistes aveugles, les bourgeois sûrs du pouvoir de leur argent, les femmes manipulées, pelotées, achetées, les homosexuels réprouvés, tout un monde foisonnant qui illustre les dérives d’un pays, écartelé entre civilisation et régression,  à la fois révulsé et fasciné par l’Occident.



L'immeuble Yacoubian:
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Une terrasse:
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Mots-clés : #corruption #religion #romanchoral #terrorisme
par topocl
le Sam 25 Mai - 9:13
 
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Sujet: Alaa al-Aswany
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SHI Nai'an

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Au bord de l'eau

Un des grands romans classiques de la littérature chinoise, Au bord de l'eau évoque une rébellion de cent-huit hors-la-loi, révoltés contre la corruption et le mépris de dignitaires et hauts fonctionnaires gouvernementaux de la dynastie Song (XIIème siècle).

Il s'agit avant tout d'un immense récit d'aventures qui se développe sur plusieurs milliers de pages. Le lecteur est emporté par l'euphorie et la créativité d'une narration qui maintient une tension permanente, les intrigues se succédant selon un rythme trépidant. Il faut accepter de se perdre dans les méandres de l'action qui s'attache à suivre un personnage, puis un autre, en multipliant les perspectives et les détours apparents.

Au bord de l'eau est à la fois une oeuvre formidablement dépaysante et étrangement familière, dans sa révélation d'une sensibilité intemporelle fragile et souvent bouleversante. Des moments de violence implacable et de tendresse infinie se superposent sans cesse, dévoilant la complexité et les contradictions des comportements humains.
Ce fut en tout cas une découverte marquante de mon année littéraire.



mots-clés : #aventure #corruption #historique #insurrection
par Avadoro
le Sam 22 Déc - 0:56
 
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Sujet: SHI Nai'an
Réponses: 4
Vues: 810

Robert Penn Warren

Tous les hommes du roi

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Après tant de mois, j'y étais enfin. Car rien ne se perd, rien ne se perd jamais. Il y a toujours un indice, une facture, une marque de rouge à lèvres, une empreinte de pied dans la plantation, un préservatif sur le sentier du parc, une vieille blessure qui lance, un souvenir d'enfance, une infection dans le sang. Et le passé, le présent et le futur ne sont qu'un seul et même temps, et les morts n'ont jamais vécu avant que nous leur donnions vie, et leurs yeux, au-delà des ténèbres, nous implorent.


Que voilà un roman majestueux, virtuose, prolifique! Un roman noir qui emprunte au meilleur du genre, ses politiques véreux mais pathétiques, suant dans leurs costumes  élégants, ses petits malfrat obéissant dans la chaleur humide du Sud, où il ferait si bon boire et fumer sur les vérandas, si seulement la vie décidait d'être douce et simple, si seulement ces personnages crapuleux n'étaient pas aussi des hommes souffrants... Mais non, l'homme est par nature tourmenté, ballotté par la douloureuse splendeur du ballet de ses sentiments, désespéré de trouver un sens à la vie, une réponse aux aspirations de l'enfant qu'il était, de se définir en tant qu'individu cohérent, de dénouer l’inextricable nœud des responsabilités.

Racontée depuis les temps tardifs de l'apaisement, cette tragédie digne des Atrides nourrit un grand roman des illusions perdues, disserte sur le bien et le mal, la pureté impossible et la rédemption interdite.

C'est jack Burden qui raconte, Jack qui est celui qui ne se salit pas les mains, ou y croit, en tout cas.

il a dit que si le monde était  un tas d'ordures, l'homme, pour sa part, n'avait pas à l'être.


Tout à la fois journaliste et historien il  va comprendre que la quête de la Vérité ne suffit à sauver le monde :  "L'ignorance, c’est le bonheur".

Mais le monde est une gigantesque boule de neige qui dévale une montagne, et jamais on ne la voit remonter la pente pour revenir à l'état de flocons, à l'état de rien.


Car oui,  aussi : "La connaissance c'est le pouvoir", c'est ce qu'a compris Willy Stark, dont il est le bras droit, un "grand couillon naïf" parti de rien et devenu  Gouverneur "intense, inquisiteur, exigeant",  un populiste adulé par les petits, qui sait corrompre, asservir, terroriser.

-Tu as cru que tu pouvais me rouler...faire en sorte que je l'achète. Eh bien je ne vais pas l'acheter! Je vais l'écraser! J'ai déjà acheté trop de fils de pute. Si tu les écrases, au moins ils ne mouftent plus, mais quand tu les achètes, impossible de savoir combien de temps ils vont rester à ta botte.


Ces deux hommes pleins d'estime l'un pour l'autre dans leurs différences,versions pile et face de l'espèce humaine, se répondent en fait comme deux miroirs face à face, et ces miroirs mettent en lumière leurs ambiguïtés. Racontant Willy Stark, Jack Burden se dévoile, solitaire crâneur, homme d'amour et d'amitié, fils orphelin, il  pêche à la fontaine du souvenir , car tout se tient,  "c'est uniquement avec le passé que se forge le futur"

Il y a ce récit tragique aux accents déchirants, ces héros haïssables et qu'on aime pourtant, fasciné, charmé. Il y a aussi l'inventivité, l'acuité, le lyrisme de l'écriture de Robert Penn Warren, tout à la fois sensuelle et vigoureuse, patiente, attentionnée, liquide.  Il y a les pièces du puzzle patiemment accolées, les allers et retours, les chemins transversaux. Il y a les leitmotivs, les réminiscences obsédantes,. il y a les métaphores, leur pertinence, leur sensualité, leur poésie.

Le monde entier, les troncs nus des autres arbres, qui avaient perdu leurs feuilles désormais, le toit des maisons et même le ciel lui-même avaient un air pâle, lavé, soulagé, similaire à celui que peut avoir un homme souffrant d'une longue maladie qui se sent mieux et pense qu'il va peut-être guérir.


Il y a une lectrice comblée.




Ton Ami de Jeunesse est le seul ami que tu auras vraiment, car il ne te voit pas tel que tu es. Dans son esprit, il voit un visage qui n'existe plus, prononce un nom - Spike, Bud, Snip, Red, Rutsky, Jack, Dave - qui appartient à ce visage sans existence, mais qui, par quelque confusion absurde et sénile de l'univers, se rattache maintenant à un étranger ennuyeux qu'on regrette d'avoir rencontré. Mais il se plie à cette confusion sénile, incontinente, de l'univers et continue d'appeler ce pénible étranger par le nom qui n'appartient vraiment qu'à ce jeune visage d'autrefois, à l'époque où sa jeune voix appelait faiblement par-dessus le fruit des flots en fin d'après-midi, murmurait la nuit près d'un feu de camp, ou disait au milieu d'une rue bondée : « Oh, écoute un peu ça : « Aux confins du Welnlok, anxieuse est la forêt... Le Wrekin a gonflé  sa haute toison d'arbres » » Ton Ami de Jeunesse ne reste un ami que parce qu'il ne te voit plus.


Mots-clés : #amitié #amour #corruption #culpabilité #identite #relationenfantparent #trahison
par topocl
le Lun 9 Juil - 21:36
 
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Sujet: Robert Penn Warren
Réponses: 24
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Jean-Baptiste Malet

L'Empire de l'or rouge : Enquête mondiale sur la tomate d'industrie

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La tomate, direz vous, quelle drôle d'idée ? Et bien 280 pages plus loin, on a plutôt envie de dire que c'est une drôlement bonne idée, un sacrément bon sujet : on a appris plein de choses sur à la mondialisation en général et l'industrie agroalimentaire agroalimentaire.

Au fil des pages, on comprend que la tomate industrielle (c'est-à-dire la tomate qui est utilisée pour des préparations alimentaires, une tomate refabriquée dans ce sens, et non pas celle que l'on peut trouver sur les étalages, y compris des supermarchés ) est un enjeu économique beaucoup plus fort qu'on ne le croit, avec ses tradeurs, ses entreprises supranationales, sa loi du marché, sa corruption… C'est une très bonne façon de comprendre l'organisation du commerce au niveau mondial que de se pencher sur ce petit fruit/légume rouge...

On commence en Chine, où la tomate a été importée pour le seul plaisir de faire de l'argent, de façon tout à fait artificielle, et  où, outre enrichir des déjà-multimillionnaires, elle donne, généreuse qu'elle est, du travail aux enfants comme aux prisonniers des camps de redressement. Elle est ensuite conditionnée en concentré, de qualité pas très bonne à franchement très mauvaise, selon le marché auquel elle s'adresse. "Franchement" car, oui, les Africains n'ont pas d'argent, donc, pas de problème, on leur propose une qualité inférieure, et ce sera toujours cela de gagné en plus… À moins que la nouvelle idée d'implanter les usines de conditionnement en Afrique elle-même, ou la main d’œuvre est encore moins cher, soit finalement la panacée…

En Italie, qui a toujours été le royaume de la tomate, eh bien oui…maintenant, on reconditionne du concentré chinois, c'est tellement moins cher et facile, on colle une étiquette Made in Italie,  aux couleurs vert blanc rouge, et cela permet à l'occasion de blanchir l'argent de la mafia. Ce serait cependant mentir de dire qu'il n'y a plus de culture de tomates industrielles en Italie : il faut bien donner du travail aux migrants clandestins (ceux-la même que l'importation de concentré de tomates chinois en Afrique a privés de leur travail et de leurs revenus)r. Je vous raconte pas les conditions de travail, je  vous laisse les imaginer…

La Californie, avec ses cultures intensives, son libéralisme à outrance, son délire de mécanisation  ferait presque figure d'enfants de chieur là au milieu.

Au total, c'est un survol impressionnant du commerce au niveau mondial, complètement déprimant, certes, mais globalement très instructif.

Si vous préférez, il y a un filme co-réalisé avec Xavier Deleu


Mots-clés : #corruption #documentaire #economie #mondedutravail #mondialisation
par topocl
le Mar 3 Juil - 16:46
 
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Sujet: Jean-Baptiste Malet
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David Grann

La note américaine

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(Quel titre nul...
Titre original :Killers of the flower Moon, The Osage Murders and the Birth of the FBI)
Traduction Cyril Gay

A la fin du XIXème siécle, chassés par l'avidité des colons, les Indiens Osages achètent des terres dans ce qui sera l'Oklahoma. Des terres arides et dépeuplées dont personne ne veut. Mais quand on y découvre des gisements pétroliers, les prospecteurs affluent, les Indiens leur louent chèrement le droit d'exploitation et les voila riches à millions...Seulement  les Blancs ne sont pas si bêtes: ils ont déjà déclaré les Indiens inaptes à gérer leurs biens, leur ont imposé des curateurs, et l'argent est largement détourné. Mais cela ne suffit pas, une épidémie de morts violentes  terrorise la population, pour récupérer cet argent par arnaque à l'assurance ou héritages impliquant des couples mixtes.

En ces débuts du XXème siècle, la police locale était quasi inexistante, incompétente et corrompue, et il a donc fallu l'intervention des instances fédérales, en l’occurrence le Bureau of Investigations (futur FBI tout récemment repris en main par Hoover et dont c'est la première "grande enquête") pour vaincre les obstacles scrupuleusement échafaudés par les assassins, et mener à bien - au moins partiellement - l'enquête et les condamnations.

C'est sur cette histoire qu’enquête David Grann, un épisode fort peu glorieux de l'histoire américaine très largement occulté. Il rappelle les faits à notre mémoire et par certaines découvertes dans les archives, fait bouger le regard qu'on peut porter sur les faits, transformant un fait divers sordide en responsabilité collective impunie. Ce n'est pas génialement écrit, mais extrêmement documenté, illustré de photos magnifiques (un peu gâchées par le rendu d’impression) et  très intéressant,  tant sur ces fameux (un temps) richissimes Indiens Osages que  sur l’organisation policière et judiciaire de cette époque.

Mots-clés : #corruption #criminalite #discrimination #historique #justice #minoriteethnique
par topocl
le Mer 21 Mar - 20:26
 
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Sujet: David Grann
Réponses: 15
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Juan de Recacoechea

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American visa

Mario Alvarez est, de son propre aveu, « un faible, un amoureux de l’impossible, un rêveur qui n’arrive pas à se décider, un homme incomplet. »  Ancien professeur d’anglais, il vivote aujourd’hui de petits trafics. Sa femme l’a quitté, et plus rien ne le retient vraiment en Bolivie ; il décide donc de tenter l’aventure américaine pour rejoindre son fils. Direction La Paz.
Malheureusement, une fois arrivé dans la capitale bolivienne, il apprend que le consulat américain paye des détectives pour vérifier l'authenticité des justificatifs fournis par les demandeurs de visa. Dès lors, c'est tout l’édifice soigneusement érigé par Mario à grand renfort de prêts et de fausses attestations qui s’effondre. Et s'il apprend rapidement l'existence de chemins détournés pour obtenir le précieux sésame, les moyens d’y parvenir sont pour le moins risqués...

Réfugié dans un hôtel minable de La Paz, Mario traîne son spleen dans les rues et les troquets de la ville, ne sachant plus trop ce qu’il doit décider, ni même ce qu’il attend de la vie… Un temps, il se prend presque à rêver, lorsque son amour de la littérature américaine l’amène à rencontrer une jeune (et sublime) héritière. Par ennui, par curiosité aussi, elle l’intègre quelques jours à sa vie, avant que les clivages sociaux indépassables ne le rendent à son destin, à son errance, à ses amis de bric et de broc.

Avec un héros aussi indécis, l’intrigue n’est évidemment pas l’intérêt majeur de ce livre, même si l’auteur arrive parfois à instiller le doute dans l’esprit du lecteur. Selon moi, tout le charme réside dans l’évocation des petites gens de La Paz : vieillards excentriques, prostituées au grand cœur, patrons de bars miteux…  Pour eux, le rêve américain a depuis longtemps perdu de sa superbe, et ils survivent au jour le jour dans une société bolivienne cadenassée. Toutes illusions perdues, mais sans jamais oublier d’en rire…

Je l’avoue, j’ai été embarquée par ce livre. J'ai vraiment eu l’impression d’y être, dans cette ville de La Paz dont l’altitude vous coupe le souffle. (Et les ailes ?)  A grands traits, l’auteur a su créer des personnages attachants jusque dans leurs failles. Je regretterai tout de même quelques métaphores inutilement appuyées, et, surtout, le traitement de la fin. Cinquante dernière pages à mon sens inabouties, dont le goût doux-amer n’est toutefois pas parvenu à dissiper la jolie impression laissée par tout ce qui avait précédé...


mots-clés : #corruption #social
par Armor
le Sam 16 Sep - 4:08
 
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Sujet: Juan de Recacoechea
Réponses: 2
Vues: 657

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