Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Ven 19 Avr - 12:32

39 résultats trouvés pour ecologie

QIU Xiaolong

Chine retiens ton souffle

Tag ecologie sur Des Choses à lire Chine_10

Shanghai, « la Perle de l’Orient », la cité de la réussite économique, et son smog. Chen, qui est placardisé, doit enquêter en tant que « conseiller » sur un meurtrier en série avec Yu (et sa femme Peiqin) ; de plus, il doit se renseigner (à l’instigation de Zhao, son vieux protecteur du Parti à Pékin) sur « un groupe d’activistes [qui] doit se réunir secrètement à Shanghai afin de mettre en place un plan d’action », et auquel appartient Shanshan, sa liaison dans Les Courants fourbes du lac Tai, devenue une influente militante écologiste. Pour être « l’inspecteur solitaire qui manœuvre dans l’ombre », Chen compte s’inspirer de « l’ouvrage classique intitulé Les 36 Stratagèmes ».
On retrouve nombre de personnages des romans précédents, en plus d’allusions à ceux-ci, et les mêmes ingrédients (de cuisine, mais aussi les références littéraires classiques).
« Le présent est, quand on y pense/ déjà le passé… »

Une piste de masques antipollution remonte jusqu’à un veuf qui accomplit le rituel des sept-sept, un repas fastueux offert hebdomadairement pendant les sept semaines qui suivent son décès à un être cher, tandis que Shanshan, qui va sortir un documentaire accablant pour les industries pétrolières, est visée par une sextape : croissance économique à tout prix versus préservation de l’écosystème.
Il y a effectivement une sorte d’épuisement de la veine de Xiaolong, mais je trouve toujours de l’intérêt – et du plaisir – à sa lecture.

\Mots-clés : #ecologie #polar #politique #regimeautoritaire
par Tristram
le Sam 3 Fév - 11:11
 
Rechercher dans: Écrivains d'Asie
Sujet: QIU Xiaolong
Réponses: 25
Vues: 2795

Rachel Carson

Printemps silencieux

Tag ecologie sur Des Choses à lire Printe10

Un essai historique, ou comment un problème écologique grave et méconnu a été révélé et (partiellement) résolu grâce à un livre ; il reste d’une actualité intense et dramatique de nos jours (paru en 1962).
« Je prétends encore que nous avons laissé employer ces produits chimiques sans s’interroger outre mesure sur leurs effets sur le sol, sur l’eau, les animaux et plantes sauvages, sur l’homme lui-même. Les générations à venir nous reprocheront probablement de ne pas nous être souciés davantage du sort futur du monde naturel, duquel dépend toute vie. »

Ces produits chimiques détruisent la vie, l’équilibre naturel : pesticides, mais aussi herbicides.
« L’eau, le sol et le manteau végétal forment le monde qui soutient la vie animale de la Terre. Qu’il s’en souvienne ou pas, l’homme moderne ne pourrait exister sans les plantes qui captent l’énergie solaire et produisent les aliments de base nécessaires à sa subsistance. »

Carson explique comme un toxique se concentre dans la chaîne alimentaire. Tout est lié dans l’environnement. Elle souligne aussi les effets cumulatifs dans le temps des agents de pollution, et les risques induits par leurs interactions.
Des campagnes de pulvérisation illogiques (notamment pour tenter de sauver les ormes ; Carson parle essentiellement de l’Amérique du Nord) détruisent les insectes, et donc les oiseaux qui s’en nourrissent, ainsi que des mammifères. De plus, les facultés génésiques de cette faune sont détériorées par les insecticides. C’est valable également pour les poissons, les crustacés, etc. ; ces poisons se retrouvent jusque dans le lait des vaches.
« Lorsque les insectes réapparaissent – ce qui arrive presque toujours – les oiseaux ne sont plus là pour enrayer l’invasion. »

« Autrefois, ces substances étaient conservées dans des boîtes couvertes de têtes de morts et de tibias croisés, et lorsqu’on les employait – chose évidemment rare – on prenait grand soin de les appliquer où il convenait, et nulle part ailleurs. Mais l’apparition des insecticides organiques, jointe à l’abondance des avions en surplus de la Seconde Guerre mondiale, ont changé tout cela. Les poisons modernes ont beau être beaucoup plus dangereux que leurs prédécesseurs, on trouve normal de les jeter indistinctement du ciel. Les insectes ou les plantes visés, mais également tous les êtres du secteur – humains ou non humains – pourront entrer en contact avec le poison. On arrose les forêts et les champs, mais aussi bien les villes et les bourgs. »

« Nous sommes à l’âge du poison ; le premier venu peut acheter sans explications à tous les coins de rue des substances beaucoup plus dangereuses que les produits pour lesquels le pharmacien exige une ordonnance médicale. »

« En bref, admettre une tolérance, c’est autoriser la contamination des denrées alimentaires destinées au public dans le but d’accorder aux producteurs et aux industries de transformation le bénéfice d’un moindre prix de revient ; c’est aussi pénaliser le consommateur, en lui faisant payer l’entretien d’une police économique chargée de veiller à ce qu’on ne lui administre pas de doses mortelles de poison. Mais étant donné le volume et la toxicité des ingrédients agricoles actuels, ce travail de contrôle demanderait, pour être bien fait, des crédits que nulle assemblée n’osera jamais voter. En conséquence la police est médiocre, et le consommateur est à la fois pénalisé et empoisonné. »

« Notre grand sujet d’inquiétude est l’effet différé produit sur l’ensemble de la population par les absorptions répétées de petites quantités de ces pesticides invisibles qui contaminent notre globe. »

Les produits dénoncés sont surtout les hydrocarbures chlorurés et les phosphates organiques. Ils sont souvent carcinogènes. Et ils induisent une résistance chez les insectes ciblés qui s’y adaptent rapidement, d’autant plus que leurs prédateurs naturels sont également atteints par les pulvérisations. Les dégâts sont aussi économiques.
« Les pulvérisations d’insecticide dérangent les lois qui régissent la dynamique des populations chez les insectes. C’est pour cela qu’à chaque traitement les agriculteurs voient un mauvais insecte remplacé par un pire. »

« Nous voici maintenant à la croisée des chemins. Deux routes s’offrent à nous, mais elles ne sont pas également belles, comme dans le poème classique de Robert Frost. Celle qui prolonge la voie que nous avons déjà trop longtemps suivie est facile, trompeusement aisée ; c’est une autoroute, où toutes les vitesses sont permises, mais qui mène droit au désastre. L’autre, « le chemin moins battu », nous offre notre dernière, notre unique chance d’atteindre une destination qui garantit la préservation de notre terre. »

L’alternative est biologique, et non chimique : outre l’introduction de leurs prédateurs naturels lorsqu’ils manquent, sont proposés le lâchage d’insectes stérilisés, les leurres sélectifs (olfactifs ou acoustiques), insecticides bactériens et viraux.
La situation a certainement beaucoup évolué depuis, mais les principes demeurent.

\Mots-clés : #contemporain #ecologie #economie #essai #nature #pathologie #ruralité #xxesiecle
par Tristram
le Lun 29 Jan - 11:09
 
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Sujet: Rachel Carson
Réponses: 12
Vues: 515

Jean-Henri Fabre

Souvenirs entomologiques (Livre I du tome 1)

Tag ecologie sur Des Choses à lire Souven11

Fabre commence par observer (avec ses élèves) le Scarabée sacré, avec autant d’humour que de rigueur et de patience. Puis vient l’observation (avec expérimentations) des adroits prédateurs qui paralysent leur proie afin de les préserver vivantes pour leur progéniture.
« Je viens de dire que l'aiguillon est dardé à plusieurs reprises dans le corps du patient : d'abord sous le cou, puis en arrière du prothorax, puis enfin vers la naissance de l'abdomen. C'est dans ce triple coup de poignard que se montrent, dans toute leur magnificence, l'infaillibilité, la science infuse de l'instinct. […]
Mais ouvrons un Grillon. Qu'y trouvons-nous pour animer les trois paires de pattes ? On y trouve ce que le Sphex savait fort bien avant les anatomistes : trois centres nerveux largement distants l'un de l'autre. De là, la sublime logique de ces coups d'aiguillon réitérés à trois reprises. »

Le temps long de l’évolution pour parvenir à une telle maîtrise de la connaissance des centres nerveux des proies est vertigineux !
« On prend un insecte, on le transperce d'une longue épingle, on le fixe dans la boîte à fond de liège, on lui met sous les pattes une étiquette avec un nom latin, et tout est dit sur son compte. Cette manière de comprendre l'histoire entomologique ne me satisfait pas. Vainement on me dira que telle espèce a tant d'articles aux antennes, tant de nervures aux ailes, tant de poils en une région du ventre ou du thorax ; je ne connaîtrai réellement la bête que lorsque je saurai sa manière de vivre, ses instincts, ses mœurs. »

« Pour l'instinct rien n'est difficile, tant que l'acte ne sort pas de l'immuable cycle dévolu à l'animal ; pour l'instinct aussi, rien n'est facile si l'acte doit s'écarter des voies habituellement suivies. »

« L'Hyménoptère agit avec une précision que jalouserait la science ; il sait ce que l'homme presque toujours ignore ; il connaît l'appareil nerveux complexe de sa victime, et pour les ganglions répétés de sa Chenille réserve ses coups de poignard répétés. Je dis : il sait et connaît ; je devrais dire : il se comporte comme s'il savait et connaissait. Son acte est tout d'inspiration. L'animal, sans se rendre nullement compte de ce qu'il fait, obéit à l'instinct qui le pousse. Mais cette inspiration sublime, d'où vient-elle ? Les théories de l'atavisme, de la sélection, du combat pour l'existence, sont-elles en mesure de l'interpréter raisonnablement ? »

« En vain, des centaines de fois, j'ai assisté au retour du Bembex dans son domicile ; c'est toujours avec un étonnement nouveau que je vois le clairvoyant insecte retrouver sans hésitation une porte que rien n'indique. Cette porte, en effet, est dissimulée avec un soin jaloux, non maintenant après l'entrée du Bembex, car le sable, plus ou moins bien éboulé ne se nivelle pas par sa propre chute et laisse tantôt une légère dépression, tantôt un porche incomplètement obstrué ; mais bien après la sortie de l'Hyménoptère, car celui-ci, partant pour une expédition, ne néglige jamais de retoucher le résultat de l'éboulement naturel. Attendons son départ, et nous le verrons, avant de s'éloigner, balayer les devants de sa porte et les niveler avec une scrupuleuse attention. La bête partie, je défierais l’œil le plus perspicace de retrouver l'entrée. Pour la retrouver, lorsque la nappe sablonneuse était de quelque étendue, il me fallait recourir à une sorte de triangulation ; et, que de fois encore, après quelques heures d'absence, mes combinaisons de triangles et mes efforts de mémoire se sont trouvés en défaut ! Il me restait le jalon, le fétu de graminée implanté sur le seuil de la porte, moyen non toujours efficace, car l'insecte, en ses continuelles retouches à l'extérieur du nid, trop souvent faisait disparaître le bout de paille. »

Puis sont observées les Abeilles maçonnes – non sans expérimentation.
« Pour étudier avec quelque fruit les facultés psychiques de la bête, il ne suffit pas de savoir profiter des circonstances qu'un heureux hasard présente à l'observation ; il faut savoir en faire naître d'autres, les varier autant que possible, et les soumettre à un contrôle mutuel ; il faut enfin expérimenter pour donner à la science une base solide de faits. »

Fabre ajoute un second obstacle, de papier, à l’insecte émergeant de sa cellule de mortier :
« Autour du nid une autre barrière se présente, la paroi du cornet ; mais pour la percer il faudrait renouveler l'acte qui vient d'être accompli, cet acte auquel l'insecte ne doit se livrer qu'une fois en sa vie ; il faudrait enfin doubler ce qui de sa nature est un, et l'animal ne le peut, uniquement parce qu'il n'en a pas le vouloir. L'Abeille maçonne périt faute de la moindre lueur d'intelligence. Et, dans ce singulier intellect, il est de mode aujourd'hui de voir un rudiment de la raison humaine ! La mode passera, et les faits resteront, nous ramenant aux bonnes vieilleries de l'âme et de ses immortelles destinées. »

À la fin du livre, Fabre décrit trois nouveaux insectes qu’il a découverts.
« Je désire que ces trois Hyménoptères portent le nom de mon fils Jules, à qui je les dédie.
« Cher enfant, ravi si jeune à ton amour passionné des fleurs et des insectes, tu étais mon collaborateur, rien n'échappait à ton regard clairvoyant ; pour toi, je devais écrire ce livre, dont les récits faisaient ta joie ; et tu devais toi-même le continuer un jour. Hélas ! tu es parti pour une meilleure demeure, ne connaissant encore du livre que les premières lignes ! Que ton nom du moins y figure, porté par quelques-uns de ces industrieux et beaux Hyménoptères que tu aimais tant. »

Inspiré par La Fontaine, riche en anecdotes autobiographiques (des démêlés avec les gardes champêtres à un égarement dans la brume du mont Ventoux), cette prose amène engage à poursuivre la lecture, qui éveille sans cesse l’attention sur les merveilles de l’instinct et de l’évolution.

\Mots-clés : #ecologie #nature
par Tristram
le Mar 9 Jan - 12:11
 
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Sujet: Jean-Henri Fabre
Réponses: 3
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Jean Giono

Solitude de la pitié

Tag ecologie sur Des Choses à lire Solitu10

Vingt nouvelles souvent assez brèves :

Solitude de la pitié
Prélude de Pan
Champs
Ivan Ivanovitch Kossiakoff
La main
Annette ou une affaire de famille
Au bord des routes
Jofroi de la Maussan
Philemon
Joselet
Sylvie
Babeau
Le mouton
Au pays des coupeurs d'arbres
La grande barrière
Destruction de Paris
Magnétisme
Peur de la terre
Radeaux perdus
Le chant du monde


La première et l’éponyme me choque toujours malgré les relectures : un curé de village et sa servante profitent de manière particulièrement sordide du dénuement de nécessiteux, sans songer dans leurs calculs à en soulager la misère.
La seconde, Prélude de Pan, déjà présentée par Aventin ICI, demeure extraordinaire : après de menaçants signes météorologiques de la nature, l’homme avec « sa face de chèvre avec ses deux grands yeux tristes allumés », révolté par un assassin d’arbres (un bûcheron) qui a brisé l’aile d’une colombe des bois pour l’assujettir…
« De quel droit toi, tu l'as prise, et tu l'as tordue ? De quel droit, toi, le fort, le solide, tu as écrasé la bête grise ? Dis-moi ! Ça a du sang, ça, comme toi ; ça a le sang de la même couleur et ça a le droit au soleil et au vent, comme toi. Tu n'as pas plus de droit que la bête. On t'a donné la même chose à elle et à toi. T'en prends assez avec ton nez, t'en prends assez avec tes yeux. T'as dû en écraser des choses pour être si gros que ça... au milieu de la vie. T'as pas compris que, jusqu'à présent, c'était miracle que tu aies pu tuer et meurtrir et puis vivre, toi, quand même, avec la bouche pleine de sang, avec ce ventre plein de sang ? T'as pas compris que c'était miracle que tu aies pu digérer tout ce sang et toute cette douleur que tu as bus ? Et alors, pourquoi ? »

…Pan déchaîne une bacchanale orgiaque en manière de leçon aux hommes.
« Et ça entrait dans la pâte que l'homme pétrissait par la seule puissance de ses yeux, et ça entrait dans la pâte du grand pain de malheur qu'il était en train de pétrir. »

Ivan Ivanovitch Kossiakoff est une histoire apparemment autobiographique : agent de liaison avec les Russes dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, il lie une amitié sans parole avec un colosse.
L’auteur est d’ailleurs mis en scène dans la plupart des textes, où « Monsieur Jean » converse avec paysans, vieillards et bergères ; il collecte ainsi les paroles, l’enseignement du monde.
Il s’intéresse notamment aux arbres :
« On voit que vous ne le connaissez pas. Si on n'y était pas, ça ferait tout à sa fantaisie. L'arbre, c'est tout en fantaisie. C'est intelligent, je dis pas ; ça comprend des choses... mais c'est comme des bêtes, ça passe son temps à l'amusement. »

(Le mouton)
« Donc, pour nous remplacer la fontaine on plantait un cyprès au bord de la ferme, et comme ça, à la place de la fontaine de l'eau, on avait la fontaine de l'air avec autant de compagnie, autant de plaisir. Le cyprès, c'était comme cette canette qu'on enfonce dans le talus humide pour avoir un fil d'eau. On enfonçait le cyprès dans l'air et on avait un fil d'air. »

Le dernier extrait provient d’Au pays des coupeurs d'arbres où Giono, déjà écologiste, déplore les coupes rases :
« On a passé toute notre terre à la tondeuse double zéro : le pays vient d'être condamné aux travaux forcés à perpétuité. »

Ce recueil est une pépinière d’images, mais aussi de romans, comme avec le thème de la réaction cataclysmale de la nature ; c’est notamment le cas du dernier texte, Le chant du monde, qui annonce le roman du même nom et revendique l’égalité de traitement (sensoriel, littéraire, voire juridique) des éléments de la nature comme de l’homme, jusque dans leur violence.
« Il faut, je crois, voir, aimer, comprendre, haïr l'entourage des hommes, le monde d'autour, comme on est obligé de regarder, d'aimer, de détester profondément les hommes pour les peindre. Il ne faut plus isoler le personnage-homme, l'ensemencer de simples graines habituelles, mais le montrer tel qu'il est, c'est-à-dire traversé, imbibé, lourd et lumineux des effluves, des influences, du chant du monde. »

Ce qui m’a cette fois encore marqué dans ce recueil, c’est la « lutte entre l'homme et la garrigue » (Champs), combat désespéré qui trouve souvent son issue dans le suicide « Des hommes perdus sur des radeaux, en pleine terre » (Radeaux perdus), faibles dans le dur monde : pas la moindre notion de liberté évoquée à propos de l’humanité.

\Mots-clés : #amitié #contemythe #ecologie #nature #nouvelle #ruralité #spiritualité
par Tristram
le Ven 17 Nov - 11:09
 
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Sujet: Jean Giono
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Joe Wilkins

Tag ecologie sur Des Choses à lire 97823510

La vie dans le Montana, et particulièrement dans les Bulls Mountains. A travers le "journal" de l'assassin d'un garde Forestier nous découvrons le drame qui s'est déroulé il y a plusieurs années et qui a des répercussions sur les descendants des deux familles impliquées dans ce drame. D'autant que l'homme qui s'est enfuit, caché et a disparu dans les montagnes devient pour les séparatistes un héros.
La vie est dure dans ce territoire de sècheresse et de montagnes, les terres données aux aIeux, les pionniers, ne nourissent pas, les gens sont pauvres, pas instruits, les fermes sont perdues (pour diverses causes sociales) et les gens pour laplupart vivent dans des mobil-home, c'est le cas de Wendell le fils de l'assassin, qui travaille dur chez un éleveur. Il va recueillir son petit cousin, le fils de sa cousine Lacy emprisonnée pour drogue et négligence parentale ; le gamin est autiste et difficile à élever mais Wendell le fera de tout son coeur, il s'attache rapidement à Rowdy et le considère comme son fils. Il donnera d'ailleurs sa vie pour le sauver.

Evidemment les circonstances font que la femme du forestier tué et sa fille Maddy rencontreront Wendell et par delà le temps, la souffrance ces deux femmes s'occuperont de Rowdy à la disparition de Wendell que Maddy a eu le temps d'apprécier.

Les milices  ignorent les lois et notamment celles de l'agence de protection de l'environnement : ils veulent tuer le loup et tout ce qui se trouve sur "leur terre", dans "leurs montagnes".

Wendell
"Il  comprit à cet instant ce qui le séparait des autres – ils croyaient qu’on leur devait quelque chose. Freddie, Toby, Daniel. Betts. Son paternel. Quelqu’un leur avait dit qu’on leur devait quelque chose. Il ne savait pas qui, exactement, il n’avait pas eu le temps d’y réfléchir davantage, mais c’était ce qu’ils pensaient, que c’était injuste. Wendell écrasa la peau de serpent dans son poing. On ne nous doit que dalle, rien du tout. Il l’avait toujours su, il l’avait su si profondément dans ses os qu’il n’y avait jamais vraiment pensé avant, et maintenant qu’il y réfléchissait, il comprit que Maddy avait eu raison. "

"Ce n’était pas l’Agence de Protection de l’Environnement ni le BLM qui avaient soudain compliqué les choses. Ç’avait toujours été difficile. C’est pour ça que les loups revenaient. Ils étaient bâtis pour ces contrées. Ils ne se préoccupaient pas de ce qui leur était dû. Ils vivaient selon les exigences de la terre. Wendell le comprenait désormais. La terre elle-même avait pris son père, l’avait laissé avec cette pauvre histoire en forme de devinette, une histoire que ces types lisaient complètement à l’envers."


Une excellente lecture, pour moi,  de superbes descriptions, une atmosphère prégnante et des personnages qui ne laissent pas indifférents.

autres extraits

"Betts renifla et croisa les bras devant son torse.
— Mon père s’est tiré une balle, continua-t-il. C’est ce qu’a fait mon paternel après avoir été viré, puis réembauché, puis viré à nouveau, après qu’on lui a confisqué son camion, et qu’on lui a globalement volé toute sa putain de vie. Qu’on lui a volée, au nom de cette putain de chouette tachetée. Mais ton paternel a pas courbé le dos. Non, il a refusé d’être une victime. Il s’est pas collé le canon sous le menton. Il a épaulé et il a riposté, il a tiré sur ce putain de garde-chasse qui aurait dû savoir qu’il fallait se méfier. Ton père est un héros, voilà ce qu’il est. On l’admire franchement pour tout ce qu’il a fait, et on espère que le fils de Verl Newman saura à son tour prendre le chemin vers le bon droit. Qu’il nous rejoindra."

"Un délégué de comté intentait un procès au gouvernement Obama, à propos de régulations écologiques"

" Écoute-moi fiston. Je disais une chose avec ma bouche et une autre avec mes deux mains. J’encaissais les chèques d’incapacité de travail de ta mère et j’achetais du fourrage et de l’essence et je sais pas quoi d’autre encore. Je touchais l’argent du Programme de conservation écologique sur le vieux pâturage en bordure de rivière. Je prenais de l’herbe qui n’était pas à moi. Je me mentais à moi-même. C’est si facile à faire. Un conseil fiston. Quand les choses sont faciles c’est souvent qu’elles sont mauvaises. Souvent malhonnêtes et lâches. C’est pour ça que je suis ici dehors. Parce que j’ai refusé de mentir davantage. J’ai refusé d’être un lâche. J’ai refusé de respecter les règles des lâches et des enculés quelle bande d’enculés"



\Mots-clés : #criminalite #ecologie #famille #social #viequotidienne
par Bédoulène
le Dim 14 Mai - 19:05
 
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Sujet: Joe Wilkins
Réponses: 9
Vues: 451

Philippe Descola

La Composition des mondes

Tag ecologie sur Des Choses à lire La_com10

Philippe Descola est pour le moins un digne continuateur de l’œuvre de Lévi-Strauss, et même si je connais peu son travail à ce jour, j’ai apprécié notamment Les lances du crépuscule (je peux vous baller un monceau de citations sur simple demande). Ces entretiens avec Pierre Charbonnier permettent d’aborder l’œuvre et l’homme de biais, aussi introduire à l’ethnographie (cet intérêt pour l’autre) contemporaine. (Dans le même esprit, on peut écouter actuellement https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/le-gout-des-autres-4725026, 5 x 28').
Étudiant engagé, Descola se tourne vers la philosophie, puis l’ethnologie.
« Au contraire du mythe populiste qui fait de la « génération 68 » des jouisseurs épris de facilité, beaucoup d’entre nous étions stimulés par la nécessité un peu grandiloquente de manifester une intelligence à la hauteur des circonstances. »

Choix de l’Amazonie comme terrain d’étude, avec Claude Lévi-Strauss comme directeur de thèse.
« C’est bien là que résidait le mystère à percer : ces tribus en apparence totalement anomiques, sans cesse traversées par des conflits sanglants, continuaient pourtant à manifester une très grande résilience malgré quatre siècles de massacres, de spoliations territoriales et d’effondrement démographique provoqué par les maladies infectieuses. Où était leur ressort ? Comment définir ce qui, chez elles, faisait société ? »

Aussi une conscience écologique, c'est-à-dire du rapport à la nature, qui n’était pas courante dans les années 70. Évidemment marqué par le creuset de l’ethnologie américaniste,
« …] prendre les sociétés indigènes d’Amérique du Sud comme une totalité à multiples facettes et non comme réparties entre des blocs géographiques et culturels intrinsèquement différents. »

… et le structuralisme anthropologique,
« …] l’idée d’une combinatoire rendant compte de tous les états d’un ensemble par les différences systématiques qui opposent ses éléments. »

Rôle majeur du Laboratoire d’anthropologie sociale,
« Le choix même du terme « laboratoire », inusité à l’époque dans les sciences sociales, signalait déjà la volonté de placer la recherche en anthropologie sur un pied d’égalité avec les sciences expérimentales, en mettant l’accent autant sur l’enquête de terrain que sur ce qui vaut expérimentation dans notre discipline, à savoir l’élaboration de modèles susceptibles être comparés. Si l’ethnographie est une démarche nécessairement individuelle, l’ethnologie et l’anthropologie supposent en revanche non pas tant un travail collectif que l’existence d’un collectif de chercheurs, réunis avec leurs diverses compétences ethnographiques dans un lieu où ils peuvent échanger jour après jour informations, hypothèses et appréciations critiques, et disposant en outre de l’ample documentation et des systèmes modernes de traitement des données indispensables à leur entreprise. »

… création de Lévi-Strauss.
« Il a toujours encouragé l’originalité chez ceux qui le côtoyaient et découragé les tentatives de faire la même chose que lui. De ce point de vue, la seule exigence qui comptait était celle que l’on s’imposait à soi-même afin d’être digne de celle qu’il s’imposait à lui-même. Pour ma part, et cela depuis ce premier exposé dans son séminaire qui a été publié par la suite dans L’Homme, j’ai toujours écrit pour Lévi-Strauss. On écrit souvent en ayant un lecteur à l’esprit, et le lecteur que je me suis choisi dès l’origine, c’est lui. En effet, outre ses compétences et son savoir d’anthropologue, outre son imagination théorique et son jugement acéré, outre sa familiarité avec les problèmes philosophiques et son talent d’écrivain, Lévi-Strauss avait une grande connaissance de la nature – de la botanique, de la zoologie, de l’écologie – et il avait prêté une attention toute particulière à la façon dont l’esprit exploite les qualités qu’il perçoit dans les objets naturels pour en faire la matière de constructions symboliques complexes et parfois très poétiques. J’éprouvais ainsi une affinité profonde avec sa pensée, et c’est l’une des raisons qui expliquent ce choix de le considérer comme un lecteur idéal de mon travail. »

Rôle important également de Françoise Héritier qui lui fait briguer le Collège de France.
« Au fond, je poursuis l’entreprise que j’avais amorcée à l’École des hautes études, qui est d’explorer des domaines nouveaux, et donc de ne jamais enseigner les choses que je sais déjà, mais plutôt des choses que je suis en train de découvrir ou d’apprendre à connaître. »

À propos de son approche dans sa monographie sur les Achuars :
« Pourtant, en proscrivant toute référence ouverte à sa subjectivité, l’ethnologue se condamne à laisser dans l’ombre ce qui fait la particularité de sa démarche au sein des sciences humaines, un savoir fondé sur la relation personnelle et continue d’un individu singulier avec d’autres individus singuliers, savoir issu d’un concours de circonstances à chaque fois différent, et qui n’est donc strictement comparable à aucun autre, pas même à celui forgé par ses prédécesseurs au contact de la même population. »

Un résumé de son ouvrage anthropologique, Par-delà nature et culture :
« Peut-être faut-il rappeler le point de départ de cet exercice d’ontologie structurale. C’est l’expérience de pensée d’un sujet : je ne peux détecter des qualités dans un autre indéterminé, humain ou non humain, qu’à la condition de pouvoir y reconnaître celles au moyen desquelles je m’appréhende moi-même. Or, celles-ci relèvent à la fois du plan de l’intériorité – états mentaux, intentionnalité, réflexivité… – et du plan de la physicalité – états et processus physiques, schèmes sensori-moteurs, sentiment interne du corps… Le noyau originaire est donc un invariant hypothétique, le rapport entre intériorité et physicalité, dont j’étudie les combinaisons possibles. Elles sont au nombre de quatre : ou bien les non-humains ont une intériorité de même type que la mienne, mais se distinguent de moi, et entre eux, par leurs capacités physiques, c’est ce que j’appelle l’animisme ; ou bien au contraire ils subissent le même genre de déterminations physiques que celles dont je fais l’expérience, mais ils n’ont pas d’intériorité, et c’est le naturalisme ; ou bien encore des humains et des non-humains partagent le même groupe de qualités physiques et morales, tout en se différenciant ainsi par paquets d’autres ensembles d’humains et de non-humains qui ont d’autres qualités physiques et morales en commun, et cela correspond au totémisme ; ou bien enfin chaque existant se démarque du reste par la combinaison propre de ses qualités physiques et morales qu’il faut alors pouvoir relier à celles des autres par des rapports de correspondance, et j’ai baptisé cela du nom d’analogisme. »

Du terrain à la théorie :
« Si l’on n’est pas soi-même passé par l’expérience ethnographique, si l’on ne sait pas de quoi sont faites les briques constitutives que l’on va chercher dans la littérature ethnographique afin de bricoler des modèles anthropologiques, l’on aura toute chance de ne pas prendre les bonnes briques ou de ne pas prendre ces premiers éléments pour ce qu’ils sont. Et c’est aussi en ce sens que le terrain est fondamental, parce qu’il nous donne une appréhension plus juste des conditions sous lesquelles est produit le savoir ethnographique que nous utilisons pour construire nos théories anthropologiques. »

Les plantes cultivées sont considérées comme de même filiation que les Achuars, et le gibier comme des parents par alliance. Dans La Nature domestique, l’ambition de Descola « était de mettre sur le même plan les systèmes techniques de construction et d’usage du milieu et les systèmes d’idées qui informaient ces pratiques. » C’est « l’étude d’un système d’interaction localisé dans lequel dimensions matérielles et dimensions idéelles sont étroitement mêlées » qui constate « l’usage de catégories sociales – en l’occurrence, la consanguinité et l’affinité – pour penser le rapport aux objets naturels. » Descola reprend le terme d’animisme pour désigner ce schème.
Le retour du terrain :
« Ainsi, lorsque l’on a passé plusieurs années avec très peu de biens matériels et que l’on s’est aperçu que, au fond, on n’en avait pas réellement besoin, on se trouve tout à fait décalé vis-à-vis de la surabondance d’artefacts et la valeur centrale accordée à la richesse. Manger au moins une fois par jour, dormir à l’abri de la pluie, une rivière à l’eau claire pour se laver deviennent le maximum auquel on aspire, de sorte que l’on se trouve sans repères lorsque l’on revient au sein d’un monde englué dans les objets. […] Et l’on ne peut manquer, dans ce genre de situations, d’être frappé par la pertinence des analyses que Marx consacre à ce qu’il appelle le « fétichisme de la marchandise » : pour lui, le capitalisme se caractérise par le fait que les relations entre les êtres sont médiatisées par des marchandises, et que l’on finit par leur accorder plus de réalité qu’au monde social et moral. »

Puis Descola explique comment il a pu généraliser ses découvertes sur l’animisme sur la base des données recueillies avant et ailleurs, et les opposer au totémisme tel que vu par Lévi-Strauss tout en le modifiant en intégrant les données australiennes :
« …] dans le totémisme, la nature permet de penser la société, dans l’animisme c’est la société qui permet de penser la nature. »

Puis il articule le naturalisme (notre propre culture occidentale) avec ces deux concepts « ontologiques » « dans le jeu de continuité et de discontinuité des physicalités et des intériorités » entre humains et non-humains, tout en s’inspirant de nombreux travaux de ses pairs et relevant des inversions dans les schèmes différents qu’il contraste en dialectique des pôles du continu et du discret. Alors il discerne logiquement (en combinatoire selon la psychologie cognitive) la quatrième formule ou mode d’identification au(x) monde(s), l’analogisme qui existe en Mésoamérique, système de correspondances qu’il retrouve dans la Renaissance vue par Foucault, la Chine vue par Grenet… parachevant ainsi la matrice analytique qu’il propose.
Évidemment basé sur le structuralisme :
« Mais, comme je l’ai déjà dit, pour nous, l’objet de l’anthropologie [française] ce n’est pas ces agrégats de cultures dont on cherche à tirer des leçons généralisables, ce sont les modèles que l’on construit pour rendre compte d’une totalité constituée de l’ensemble des variantes observables d’un même type de phénomène et afin d’élucider les principes de leurs transformations. »

En dépassant la théorie du déterminisme technique et environnemental, et celle de l’évolutionnisme historique qui nous considère comme un modèle à atteindre en partant du "sauvage" (et l’impérialisme, voire le néocolonialisme) :
« La question principale que pose l’exercice critique de refocalisation auquel je me suis livré est la suivante : comment élaborer des instruments d’analyse qui ne soient ni fondés sur un universalisme issu du développement de la pensée occidentale, ni complètement segmentés selon les types d’ontologie auxquels on a affaire ? »

« L’exigence d’universalisme passe par la recherche d’une articulation entre l’ensemble des modes d’être-au-monde, par l’interopérabilité des concepts, c’est-à-dire par le fait de pouvoir nous voir nous-mêmes comme nous voyons les autres sociétés, de façon à ce que la singularité de notre point de vue ne soit plus un biais dans l’analyse, mais un objet parmi d’autres de cette analyse.
Plutôt qu’à un universalisme militant, ce à quoi j’aspire c’est à une forme de symétrisation qui mette sur un plan d’égalité conceptuelle les anthropologues et ceux dont ils s’occupent. »

« Lévi-Strauss avait employé l’analogie de la table de Mendeleïev, qui illustre bien ce qu’est à mon sens le travail de l’anthropologie : mettre en évidence les composants élémentaires de la syntaxe des mondes et les règles de leur combinaison. »

Exemple pratique : « le passage de l’analogisme au naturalisme entre le XVe et le XVIIe siècle en Europe », en considérant que « les deux pivots d’un mode d’identification naturaliste sont l’intériorité distinctive de chaque humain et la continuité physique des êtres et des choses dans un espace homogène ».
La quatrième et dernière partie confronte le monde contemporain à cette nouvelle grille de lecture. Sont présentés les divergences et échanges avec Bruno Latour, les implications en écologie, et les conséquences de l’économie humaine sur l’environnement.
« La difficulté principale de cette hypothèse est que les raisons du sous-développement volontaire des Achuar sont multiples. Il est vrai que traiter les animaux chassés comme des partenaires sociaux n’incite pas à faire des massacres inutiles, d’autant que les esprits maîtres du gibier sont toujours prompts à punir les excès, en envoyant des maladies, par exemple, ou en causant des « accidents ». Mais il y a aussi et surtout que les Achuar se sont maintenus dans un état d’équilibre environnemental pour des raisons qui sont en grande partie démographiques. Ils ont très longtemps souffert d’une forte mortalité infantile, laquelle, conjuguée aux effets de la guerre, maintenait la population à un taux de densité extrêmement faible sur un territoire assez grand. Cette « capacité de charge » confortable explique aussi pourquoi ils pouvaient se donner le « luxe » d’avoir des excédents potentiels de production considérables. Par ailleurs, comme je l’ai déjà évoqué, le temps qu’ils consacrent à la production de subsistance est très faible et inélastique ; ou plus exactement, ils ne sont pas prêts à renoncer aux mille choses qu’ils font quand ils ne travaillent pas, c’est-à-dire le plus clair du temps. »

« Il me semble, plus généralement, qu’il y a un abîme entre l’importance des questions écologiques dans le destin actuel de l’humanité et le faible développement de l’écologie comme science, en particulier en France. »

De même pour l’anthropologie, qui pourrait être plus politique.
« Je ne crois pas que l’on puisse s’inspirer directement des pensées non modernes, animistes ou autres, car il n’y a pas d’expérience historique qui soit transposable telle quelle dans des circonstances différentes de celles où elle a eu lieu. Quelle que soit l’admiration que l’on éprouve pour ce que l’on considère un peu confusément comme la sagesse des modes de vie ancestraux, et même si les Achuar, les aborigènes d’Australie ou les Inuit peuvent nous en apprendre beaucoup sur l’usage de la nature, notre situation présente est très différente de celles auxquelles ils ont fait face. La fascination pour ces peuples donne lieu à un commerce assez lucratif, en particulier dans le domaine éditorial, mais il faut se garder d’une recherche de modèles. Et la raison principale est que toutes ces sociétés ont résolu des problèmes à une échelle locale, alors que les enjeux qui sont ceux des sociétés urbaines modernes sont globaux. »

« Les milliers de façons de vivre la condition humaine sont en effet autant de preuves vivantes de ce que notre expérience présente n’est pas la seule envisageable. L’anthropologie ne nous fournit pas des idéaux de vie alternatifs, elle nous apporte la preuve que d’autres voies sont possibles puisque certaines d’entre elles, aussi improbables qu’elles puissent paraître, ont été explorées ailleurs ou jadis. Elle nous montre que l’avenir n’est pas un simple prolongement linéaire du présent, qu’il est gros de potentialités inouïes dont nous devons imaginer la réalisation afin de réaliser au plus tôt, sinon peut-être une véritable maison commune, à tout le moins des mondes compatibles, plus accueillants et plus fraternels. »

« La représentation que les Modernes se sont donnée de leur forme d’agrégation politique a ainsi été longtemps transposée à l’analyse des sociétés non modernes, en même temps qu’une kyrielle de spécificités, comme le partage entre nature et culture ou notre propre régime d’historicité ; et c’est avec cela que je voudrais rompre. »

« Notre acception traditionnelle de ce qui est politique, ainsi que notre prise intellectuelle sur ce genre de phénomènes, me paraît ainsi dépassée. Le politique, ici, consiste à maintenir des conditions d’interaction qui peuvent prendre la forme de l’échange, mais aussi de la prédation ou du partage, avec des voisins conçus comme étant autonomes. Et les conséquences que cela peut avoir en retour sur notre conceptualisation du politique sont aussi importantes, puisque nous sommes incités à moduler l’anthropologie politique, non plus, comme jadis, sous la forme d’une typologie des formes d’organisation marquée par un évolutionnisme larvé – horde, tribu, chefferie, État –, mais selon les modalités réelles que prend l’exercice du vivre-ensemble dans des collectifs dont les formes ne sont plus prédéterminées par celles auxquelles nous sommes habitués. C’est un nouveau domaine sur lequel l’exigence de décolonisation de la pensée s’exerce, et qui nous permet de nous défaire des modèles au moyen desquels nous avons été accoutumés à penser sous l’influence d’une riche tradition qui remonte à la philosophie grecque, à la réflexion médiévale sur la cité, au jus gentium, aux théories contractualistes, etc. Ce qui est en jeu, au fond, c’est notre capacité à prendre au sérieux ce que ces modèles politiques nous imposent, en termes de catégories d’analyse, et nous proposent, en termes d’imagination politique. »

« La défense de ces dispositifs de protection des hommes et de la nature m’a conduit à militer contre un certain fondamentalisme écologiste porté par de nombreuses organisations internationales. Pour beaucoup, les populations humaines, et notamment les populations tribales, sont nécessairement des perturbateurs environnementaux, et pour protéger un écosystème, il faut les en expulser. L’idée fondamentale de cette écologie est que les milieux et les paysages naturels doivent être le plus possible déconnectés de l’influence humaine, et maintenus dans un fonctionnement hermétiquement clos. J’ai beaucoup protesté contre cela, car l’exemple de l’Amazonie montre à l’évidence qu’il est absurde d’expulser de zones de forêt que l’on cherche à protéger des populations qui ont contribué à ce que la forêt présente la physionomie qu’elle a actuellement. Cela revient à déplacer les agriculteurs normands pour protéger le bocage ! »

Autre chose, l’avis de Descola sur la muséographie (et le quai Branly, où il a dirigé l’exposition « La fabrique des images ») sont aussi fort intéressantes, comme la question des restitutions.
Conclusion sur l’éloge de la diversité.
« Un monde monotone et monochrome, sans imprévu ni rencontres improbables, sans rien de nouveau pour accrocher l’œil, l’oreille ou la curiosité, un monde sans diversité est un cauchemar. Je ne peux m’empêcher de penser que la diminution de la diversité dans les manières de produire dont la standardisation industrielle du début du XXe siècle est responsable a constitué l’un des ferments des régimes totalitaires, modèles par excellence du rejet de la diversité et de l’uniformisation des consciences et des modes d’être. Chaplin l’avait compris lorsqu’il enchaîna Le Dictateur après Les Temps modernes ! »

Le mot de la fin :
« Car exister, pour un humain, c’est différer. »

J’ai retrouvé à cette lecture une large part de l’éblouissement ressenti à celle de Lévi-Strauss (y compris au sens de perception troublée).

\Mots-clés : #amérindiens #autobiographie #contemythe #ecologie #entretiens #historique #politique #science #social #traditions #voyage
par Tristram
le Mer 26 Avr - 16:09
 
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Sujet: Philippe Descola
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Colin Niel

Entre fauves

Tag ecologie sur Des Choses à lire Entre_10

Trois narrateurs, aux récits croisés comme leurs destins : Martin, garde du parc national des Pyrénées (où le dernier ours, Cannellito, semble disparu) est aussi un ardent militant antichasseurs qui expose les chasseurs de trophées sur les réseaux sociaux. Apolline est une chasseuse à l’arc que son père emmène en Namibie. Kondjima est un jeune pasteur himba, dont Charles, un lion du désert solitaire, a massacré le cheptel de chèvres dans le bush en proie à la sécheresse. Le gouvernement a donné à un chasseur professionnel la mission de prélever cet « animal problématique » du Kaokoland, trophée destiné à Apolline, sur laquelle enquête Martin.
Ce thriller, avec ses rebondissements à la limite du vraisemblable, vise moins les excès de la chasse que ceux des « escrolos », et met en lumière notre atavisme de violence.
« Cet instinct qui, des millénaires après, continue de nous hanter, jamais vraiment éteint. »

Les titres des chapitres sont les dates où ont eu lieu les évènements rapportés, leur chronologie étant légèrement modifiée par l’ordre de lecture ; l’ouvrage est divisé en cinq parties, Identifier sa proie, L’approche, La traque, La mise à mort et Le rituel.
Apprécié le vocabulaire issu de l’occitan, comme cagner, ronquer, mouner (bouder ?), tute (grotte ?), arrèc, encore plus que le namibien.
Dans le même ordre d’idées, anti- et pro-chasse, je renvoie à Le Trophée de Gaea Schoeters, et surtout L'animal et la mort – Chasses, modernité et crise du sauvage de Charles Stépanoff (dont un commentaire est disponible sur votre forum préféré).

\Mots-clés : #ecologie #nature #thriller #violence
par Tristram
le Sam 25 Mar - 11:28
 
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Sujet: Colin Niel
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Nick Hunt

Un palmier en Arctique – Voyages imaginaires à travers l’Europe

Tag ecologie sur Des Choses à lire Un_pal10

Quatre voyages en Europe donc, mais transportant Hunt dans d’autres espaces comme dans le passé plus ou moins lointain : dans la toundra arctique résiduelle en Écosse, dans la Białowieża de Pologne et Biélorussie, dernière forêt « vierge » européenne, dans « Tabernas, l’unique désert de notre continent », en Andalousie, et dans la steppe hongroise venue d’Eurasie.
Les balades sont étoffées de considérations géographiques et historiques qui confinent à la vulgarisation scientifique, généralement très intéressantes, mais dont on pourrait questionner la validité (j’ai repéré quelques erreurs, dues à la traduction peut-être).
Rennes, bisons, bouquetins, chevaux, les totems des quatre biomes périphériques d’Europe, rappellent les migrations dans l’espace et le temps des eaux, plantes, animaux et êtres humains, ces vastes changements toujours en cours – avec l'accélération anthropique actuelle qui rend le proche avenir incertain.
On trouve dans ce livre nombre de mots et de noms, qui participent à l’étrangeté des lieux visités.
« Est-il possible de ressentir de la solastalgie – cette douleur existentielle causée par les changements environnementaux – pour une ère glaciaire que personne n’a jamais connue et située à une distance temporelle inimaginable ? Le romancier Gregory Norminton a inventé un autre mot : l’archaïostalgie, « une nostalgie douloureuse du passé », ou encore l’antéanthropostalgie, « une nostalgie de l’époque précédant l’existence de l’homme ». Le climatologue Mark Goldthorpe suggère la télestalgie, « nostalgie de ce qui est éloigné dans le temps et dans l’espace », ainsi que la terrancholie ou « mélancolie terrestre ». Le Dictionary of Obscure Sorrows, un recueil en ligne de « termes nouvellement créés pour désigner des émotions étrangement fortes », contient anemoia, la « nostalgie d’un temps que vous n’avez jamais connu ». Quant au mot allemand Fernweh, il signifie un désir douloureux pour le lointain, tandis que Sehnsucht remplit les interstices entre l’envie et la nostalgie. »

Après les ramblas (wadis, oueds), les bad-lands :
« Des murs de boue s’élèvent de part et d’autre, renvoyant la chaleur réfractée ; leur texture est semblable à de la chair craquelée ou aux voies métaboliques d’un cerveau desséché. Il y a différentes gammes de formes répétitives qui ressemblent à des coquilles de patelles, des éventails alluviaux créés par des sédiments rejetés par le haut, puis déposés en formant des angles pyramidaux identiques de repos. L’effet combiné est fractal, presque psychédélique. »

« Tabernas n’est pas uniquement le seul désert d’Europe, mais aussi sa plus grande zone de mal país (les autres sont les calanchi d’Italie et les calanques du sud de la France). Le désert est le climat et les bad-lands la topographie. Le terme est à la fois culturel – synonyme de hors-la-loi, d’esclaves en fuite et de tribus récalcitrantes – et géologique : « une région marquée par une sculpture érosive complexe, une végétation clairsemée et des collines aux formes fantastiques », selon la définition du dictionnaire. Avec leurs étranges répliques et leurs silhouettes tordues et torturées en forme de buttes et de tourelles, de champignons à l’équilibre précaire et de phallus contorsionnés, ces bad-lands évoquent un sentiment de profonde bizarrerie ; une telle architecture doit certainement être l’œuvre non pas d’un dieu amoureux de l’ordre, mais d’une main diabolique, voire démente. Ces paysages se caractérisent par des flèches irrégulières et effilées appelées cheminées des fées ou hoodoos, que l’on trouve dans les régions érodées de l’Utah à la Cappadoce. De manière révélatrice, le mot hoodoo dériverait de « vaudou », une association (dans l’esprit des chrétiens, du moins) avec des forces surnaturelles malveillantes et la malchance. C’est une version topographique de « Là résident des monstres ». »

« Les graminées sont, à certains égards, les colons les plus efficients au monde, et certainement les végétaux colonisateurs les plus efficaces. […]
Environ douze mille espèces d’herbes couvrent plus d’un tiers de la surface terrestre de la planète. […]
Le blé, l’avoine, le seigle, le riz, le millet, le maïs, le teff, le sorgho et la canne à sucre sont tous des herbes domestiquées ; une douzaine de souches de Poaceae nourrissent aujourd’hui plus des neuf dixièmes de la population mondiale. »


\Mots-clés : #ecologie #nature #voyage
par Tristram
le Jeu 23 Fév - 9:42
 
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Sujet: Nick Hunt
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Marc Giraud

Darwin, c’est tout bête - Mille et une histoires d’animaux pour comprendre l’évolution

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« En tant que naturaliste de terrain (ce qui veut dire "amateur d’observations in situ"), je vous propose une approche de l’illustre Darwin qui n’est ni celle de la génétique, ni celle de la philosophie, ni celle de l’histoire, mais plutôt le point de vue du zoologiste ou de l’éthologiste, voire de l’écologiste. »

Tout l’intérêt de ce livre est dans la vulgarisation claire, voire plaisante, de la fameuse « transmutation des espèces » élaborée par ce biologiste majeur – rien moins que l’histoire de la vie. En effet, cette théorie est aussi délicate à manipuler que sujette à mésinterprétation ; les œuvres écrites de Darwin sont difficiles à apprécier par le néophyte, en dehors du plaisir littéraire : on accède malaisément à son exégèse, qui par ailleurs n’est pas achevée, ou au moins ne fait pas entièrement consensus.
De plus l’ouvrage est très bien structuré :
Sommaire a écrit:Avant-propos de l’auteur

I La vie originale d'un naturaliste
Darwin, un drôle d'oiseau
- Quelques dates clés
- La nature est son école
- Darwin part en bateau
- Le Darwin nouveau est arrivé
- Des vers de terre chez les Darwin

II La théorie de l'évolution
Et les animaux apparurent
- La vérité vint des asticots
- Les idées bougent, les animaux s'animent
- Les fossiles, archives de l'évolution
Les animaux évoluent
- Rendez-vous manqué avec les pinsons
- Sélection artificielle chez les pigeons
- La " lutte " pour la vie
- Publication de L'Origine des espèces
- Un oiseau surgi du sol
Les animaux succèdent aux animaux
- L'évolution des organes
- Les ancêtres du cheval et de la baleine
- Au fait, qu'est-ce qu'une espèce ?
- Les vacheries de la classification
L'évolution en marche
- L'apparition des espèces en direct
- L'énigme ornithorynque
- Les animaux évoluent ensemble

III L'évolution de la théorie
Les animaux d'adaptent, la théorie aussi
- Des petits pois et des petites mouches
- Du nouveau dans la théorie
- Le sexe des crocodiles
Bêtes de sexe
- La sélection sexuelle
- Quand il y a des gènes, il y a du plaisir
- La loi « du plus fort » n’est pas toujours la meilleure
Les animaux s'entraident
- La sélection familiale
- Associations de bienfaiteurs
Les animaux s'expriment
- L'évolution des comportements
- Les primates nous épatent
Les animaux nous posent question
- Les mammifères marrants
- Les animaux vont nous manquer

IV – Conclusion
Y a-t-il un naturaliste dans la salle ? (Coupés de la nature)

Postface de Claude Sastre (Paroles de botaniste)
Annexes
- Le divin scarabée péteur
- Interro surprise
Bonnes adresses (Des sites à citer)
Bibliographie
Remerciements
Index des noms propres
Index des noms d’espèces

(Merci aux éditions Laffont de penser à mon petit cadeau pour avoir corrigé et complété le sommaire disponible sur leur site internet.)
D’abord, l’homme est admirable : doué d’empathie comme de curiosité pour tout ce qui est vivant, Darwin est aussi d’une ouverture d’esprit et d’une rigueur exemplaires.
« Dans ses écrits, il ne prétend pas expliquer tout, il ne dissimule pas ses questions, et c’est là sa force. Il fonde sa démarche sur d’innombrables exemples, mais, quand il repère une faille dans sa théorie, il l’expose, désireux de stricte vérité. »

(Il est frappant de constater que Darwin part, dans sa progression scientifique, de la découverte du "temps long" de la géologie, et de l’évolution géologique de la planète, apport peut-être plus déterminant que l’existence des fossiles.)
D’abord, la notion principale (et on notera que notre espèce ne tient toujours pas compte du fait que notre planète est un espace limité) :
« La limitation des ressources, et le partage de l’espace entre les espèces a toujours existé dans la nature. Cette notion de limite fut l’épine dorsale de la théorie de Darwin. […]
Les éléphants nous montrent que seuls les individus les mieux adaptés aux contraintes du milieu survivent. »

« Pour Charles Darwin, l’évolution est une lente succession de petites variations progressives. »

Mais des bonds à ces gradations progressives il semble bien que soient également retenus par la sélection naturelle de grands sauts évolutifs par mutation.
« L’hypothèse de la Reine Rouge », qui explique comme il faut toujours avancer pour garder un équilibre dans la concurrence des espèces (notamment entre prédateurs et proies) en une sorte de « course aux armements » perpétuelle, est particulièrement bien présentée.
De même est rendu de manière captivante le handicap séducteur des caractères sexuels secondaires (bois des cerfs, queue des paons, etc.) – et quelle diversité dans les stratégies pour assurer sa descendance individuelle !
À propos de l’éthologie et de nos rapports aux animaux qui ont parfois une intelligente plus différente qu’inférieure à la nôtre :
« Par un effet de miroir étonnant, considérer l’intelligence animale nous rend plus intelligents. Nous sommes en train de redécouvrir la mètis, une forme de pensée oubliée des Grecs anciens. Mélange de flair, d’inventivité, de souplesse d’esprit, d’attente vigilante, de sens de la prévision, de ruse et d’intelligence, la mètis s’apprend au contact intime des animaux. Utile au chasseur qui doit deviner le comportement de sa proie, elle consiste à se mettre dans la peau de l’autre et à adopter sa vision du monde. Cette stratégie de rapport à l’altérité et à la nature, s’applique aussi bien aux hommes qu’aux bêtes. »

Les perspectives de l’espèce humaine (livre publié en 2009) sont à peine esquissées, mais…
« Selon Robert Barbault, la sélection économique a en partie pris la place de la sélection naturelle en suivant des mécanismes semblables. Sous cet angle, on peut considérer l’humain de demain comme une créature destinée à multiplier des euros ou des dollars, manipulé non pas par un gène égoïste, mais par un "argent égoïste" amoral et inhumain. Nous en constatons déjà les effets, notamment avec la politique froidement commerçante des multinationales. Quels que soient les progrès espérés des manipulations génétiques, nous pouvons aussi en craindre les dérives mercantiles. L’expansion imposée des cultures OGM dans le monde, la traque des cultivateurs canadiens, les suicides en masse des paysans indiens face à cette dictature économique n’indiquent pas une évolution vers un mieux-être de l’humanité.
L’être humain est à ce point dominant sur la planète que le seul animal capable de lui nuire, c’est lui-même ! D’où cette deuxième réversibilité de l’évolution, ou plutôt cet effet boomerang : les sélections culturelle et économique, dégagées des contraintes naturelles, se heurtent désormais aux conséquences mêmes de leur action sur l’environnement. »

J’ai aussi beaucoup apprécié l’attention attirée sur de mauvaises interprétations, trop littérales, des termes comme « la lutte pour la vie » :
« Le mot "adaptation" implique à tort une idée de réponse à l’environnement, comme si un animal donné se transformait spontanément selon ses besoins. "Exaptation" est plus exact, car il montre que c’est ce que possède déjà l’animal qui peut être sélectionné. L’hérédité n’est pas modifiée par l’usage ou le non-usage mais seulement triée. »

Une excellente introduction à cette découverte essentielle, et un complément approprié aux lectures des biologistes, éthologistes et écologistes, notamment Stephen Jay Gould, Richard Dawkins et Pascal Picq.

\Mots-clés : #biographie #ecologie #nature #science
par Tristram
le Jeu 5 Mai - 12:50
 
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Sujet: Marc Giraud
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Doug Peacock

Une guerre dans la tête

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Doug Peacock évoque sans relâche son « vieil ami, l’écrivain anarchiste Edward Abbey », mentor paternel qu’il fréquenta vingt ans, jusqu’à sa mort comprise, et auteur de Le Gang de la Clef à Molette où Doug apparaît sous les traits de Hayduke.
Voilà un texte assez décousu qui mêle marches souvent solitaires dans différents paysages, évidemment les zones arides états-uniennes, mais aussi, en alternance, le Dhaulagiri au Thibet (sur les traces de la panthère des neiges, où il a une hémorragie dans la gorge, comme Abbey mortellement malade). Revient également de façon récurrente le souvenir traumatique du Vietnam, le vécu de son syndrome du vétéran, l’impression laissée par le massacre de My Lai. Toujours partagé entre son foyer et ses « moyens primitifs d’introspection – la marche, la solitude, le contact avec la nature − », Peacock se reconnaît (et est officiellement reconnu comme) asocial.
« Cela me convenait parfaitement : un paysage désert est un antidote au désespoir. »

« J’avais toujours vu dans la chasse la clef de voûte de l’évolution humaine. »

« Je crois que pour moi, les hélicoptères représentent le Mal en personne. Au Vietnam, ils semaient la mort à tout vent dans le ciel, en toute impunité. »

« D’avoir lâché prise, d’avoir chuté, m’avait calmé. La mort n’est pas l’adversaire de la vie, me dis-je, l’ennemie, c’est la peur d’appréhender la vérité, la crainte d’une véritable introspection. Ed m’avait appris cela, et ce soir-là j’éprouvai avec humilité la vérité de ses paroles. En fin de compte, il fallait lâcher prise, laisser aller la colère, le désir de possession et les attachements, laisser aller jusqu’au désir. »

« Je frôlai un genévrier et m’arrêtai soudain ; je sentais une odeur âcre de sécrétions félines, trop puissante pour provenir d’un simple chat sauvage. Je le savais d’expérience, car j’étais depuis longtemps familier de l’odeur des lynx, et j’avais un jour eu la bonne fortune de pouvoir sentir l’odeur fraîche d’un jaguar dans la Sierra Madré et, chose encore plus rare, celle d’un tigre de Sibérie, sur la rive d’un fleuve de l’Extrême-Orient russe. Cette région n’était pas une zone de jaguars, l’odeur provenait donc d’un couguar. La piste était toute fraîche. »

« La guerre est elle aussi un voyage initiatique. »

Considérations sur les vestiges indiens : les kivas (chambres cérémonielles des Indiens Pueblos, généralement de forme circulaire), les peintures rupestres avec Kokopelli, le joueur de flûte mythique ; évidemment rencontres avec des grizzlis ; fantasmes de félins.
On perçoit le désarroi de Peacock, où sourd aussi, parmi de déchirantes contradictions, une sorte d’élan mystique, ou plutôt un sens du sacré.

\Mots-clés : #amérindiens #ecologie #guerre #guerreduvietnam #initiatique #mort #nature
par Tristram
le Jeu 21 Avr - 12:31
 
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Bruno Latour

Où atterrir − Comment s’orienter en politique

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Incipit de cet ouvrage de 2017 :
« Cet essai n’a pas d’autre but que de saisir l’occasion de l’élection de Donald Trump, le 11 novembre 2016, pour relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien − et par conséquent dont ils ne voient pas l’immense énergie politique qu’on pourrait tirer de leur rapprochement.
Au début des années 1990, juste après la "victoire contre le communisme" symbolisée par la chute du mur de Berlin, à l’instant même où certains croient que l’histoire a terminé son cours, une autre histoire commence subrepticement.
Elle est d’abord marquée par ce qu’on appelle la "dérégulation" et qui va donner au mot de "globalisation" un sens de plus en plus péjoratif ; mais elle est aussi, dans tous les pays à la fois, le début d’une explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités ; enfin, ce qui est moins souvent souligné, débute à cette époque l’entreprise systématique pour nier l’existence de la mutation climatique. ("Climat" est pris ici au sens très général des rapports des humains à leurs conditions matérielles d’existence.)
Cet essai propose de prendre ces trois phénomènes comme les symptômes d’une même situation historique : tout se passe comme si une partie importante des classes dirigeantes (ce qu’on appelle aujourd’hui de façon trop vague les "élites") était arrivée à la conclusion qu’il n’y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants.
Par conséquent, elles ont décidé qu’il était devenu inutile de faire comme si l’histoire allait continuer de mener vers un horizon commun où "tous les hommes" pourraient également prospérer. Depuis les années 1980, les classes dirigeantes ne prétendent plus diriger mais se mettre à l’abri hors du monde. De cette fuite, dont Donald Trump n’est que le symbole parmi d’autres, nous subissons tous les conséquences, rendus fous par l’absence d’un monde commun à partager. »

« Aux migrants venus de l’extérieur qui doivent traverser des frontières au prix d’immenses tragédies pour quitter leur pays, il faut dorénavant ajouter ces migrants de l’intérieur qui subissent, en restant sur place, le drame de se voir quittés par leur pays. Ce qui rend la crise migratoire si difficile à penser, c’est qu’elle est le symptôme, à des degrés plus ou moins déchirants, d’une épreuve commune à tous : l’épreuve de se retrouver privés de terre. »

« Si l’hypothèse est juste, tout cela participe du même phénomène : les élites ont été si bien convaincues qu’il n’y aurait pas de vie future pour tout le monde qu’elles ont décidé de se débarrasser au plus vite de tous les fardeaux de la solidarité − c’est la dérégulation ; qu’il fallait construire une sorte de forteresse dorée pour les quelques pour-cent qui allaient pouvoir s’en tirer − c’est l’explosion des inégalités ; et que pour, dissimuler l’égoïsme crasse d’une telle fuite hors du monde commun, il fallait absolument rejeter la menace à l’origine de cette fuite éperdue − c’est la dénégation de la mutation climatique.
Pour reprendre la métaphore éculée du Titanic : les classes dirigeantes comprennent que le naufrage est assuré ; s’approprient les canots de sauvetage ; demandent à l’orchestre de jouer assez longtemps des berceuses, afin qu’ils profitent de la nuit noire pour se carapater avant que la gîte excessive alerte les autres classes ! »

La parade des « élites obscurcissantes » est l’expression « réalité alternative ».
Cet essai constitue là une approche salutaire des problèmes actuels d’identité et de migration – dans la société globale : l’illusion des frontières étanches, tant pour les tenants de la mondialisation que pour ceux du local, les progressistes et les réactionnaires.
Le vecteur qui allait de l’ancien au nouveau, du Local au Global, n’est plus le sens de l’histoire (de même la différence Gauche-Droite). Un troisième attracteur se dégage, « Terrestre » (ou écologique, et opposé au Hors-Sol) : c’est le fameux « pas de côté ». À l’aune de la lutte des classes se substituent les conflits géo-sociaux.
L’erreur épistémologique à propos de la notion de nature, confusion entre nature-univers et nature-processus :
« On va se mettre à associer le subjectif avec l’archaïque et le dépassé ; l’objectif avec le moderne et le progressiste. Voir les choses de l’intérieur ne va plus avoir d’autre vertu que de renvoyer à la tradition, à l’intime, à l’archaïque. Voir les choses de l’extérieur, au contraire, va devenir le seul moyen de saisir la réalité qui compte et, surtout, de s’orienter vers le futur. »

L’hypothèse Gaïa :
« Si la composition de l’air que nous respirons dépend des vivants, l’air n’est plus l’environnement dans lequel les vivants se situent et où ils évolueraient, mais, en partie, le résultat de leur action. Autrement dit, il n’y a pas d’un côté des organismes et de l’autre un environnement, mais une superposition d’agencements mutuels. L’action est redistribuée. »

« La simplification introduite par Lovelock dans la compréhension des phénomènes terrestres n’est pas du tout d’avoir ajouté de la "vie" à la Terre, ni d’avoir fait de celle-ci un "organisme vivant", mais, tout au contraire, d’avoir cessé de nier que les vivants soient des participants actifs à l’ensemble des phénomènes bio- et géochimiques. Son argument réductionniste est l’exact contraire d’un vitalisme. »

« Dire : "Nous sommes des terrestres au milieu des terrestres", n’introduit pas du tout à la même politique que : "Nous sommes des humains dans la nature." »

La nécessaire cohabitation sur un territoire renvoie à Vinciane Despret et Baptiste Morizot, comme les notions d’économie à Piketty, la notion de nature à Descola, l’apport des pratiques d’autres cultures à Nastassja Martin… qui ont leur fil sur le forum, prêt à être tissé avec d’autres.

\Mots-clés : #actualité #ecologie #essai #historique #immigration #mondialisation #nature #politique #science #social
par Tristram
le Sam 12 Mar - 13:02
 
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Sujet: Bruno Latour
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Charles Stépanoff

L'animal et la mort – Chasses, modernité et crise du sauvage

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Essai anthropologique (et historique) portant sur les rapports à la nature dans la société occidentale actuelle.
Dans l’introduction :
« L’Occident moderne a inventé un mode d’exercice de la violence anthropique caractérisé par l’articulation de deux formes originales de relation au vivant : l’une s’est appelée l’amour de la nature, qui condamne et rejette la violence, et l’autre l’exploitation de la nature, qui fait de la violence conquérante un but et une valeur en tant que condition de l’abondance et du progrès. »

« Deux formes originales de traitement des animaux se sont ainsi généralisées à une époque récente. D’un côté, l’animal de rente, éloigné des habitations humaines, désocialisé dans des bâtiments industriels, est réduit à une fonction productive : tel est l’animal-matière. De l’autre, l’animal de compagnie est nourri, intégré à la famille humaine, toiletté, médicalisé, privé de vie sociale et sexuelle avec ses congénères, rendu éternellement immature par une castration généralisée : il est l’animal-enfant. »

« La sensibilité protectrice anime nos idéaux, tandis que l’exploitation productiviste nous nourrit : indissociables, elles sont l’âme et le corps de notre modernité. L’exploitation-protection – appelons-la exploitection – est le pendant écologique du binôme métaphysique nature-culture. »

« Ancré dans son propre monde, l’animal-gibier n’est ni sacralisé comme un animal-enfant ni transformé en animal-matière. »

« Conceptuellement, la chasse implique nécessairement une altérité qui résiste. Dans un monde totalement domestiqué et artificialisé, il n’y a plus de place pour la chasse. »

Abondamment documentée, l’étude repose sur « une enquête d’immersion menée entre 2018 et 2020 aux confins du Perche, de la Beauce et des Yvelines auprès d’habitants locaux pratiquant des modes de chasse qu’ils présentent eux-mêmes comme "paysans" ou appartenant à des équipages de chasse à courre, mais aussi auprès de militants hostiles à la chasse. »
« Aujourd’hui, les perceptions des chasseurs ruraux qui imprègnent de colorations affectives contrastées l’hirondelle, la perdrix, le coucou ou la buse restent marquées par une cosmologie prénaturaliste, ce qui permet de mieux comprendre leur antagonisme avec la sensibilité des militants écologistes. »

La disparition de la perdrix dans le bocage est prise en exemple, peut-être plus due à la dégradation du biotope qu’aux prélèvements des chasseurs, et aggravée par une politique gouvernementale qui a essayé de « faire mieux que la nature » en promouvant la réinsertion d’animaux domestiqués. La destruction des haies par le remembrement a considérablement accéléré cette tendance et appauvri la biodiversité.
« La haie est une immense lisière écologique et cosmologique entre les mondes. »

« Au total, on estime que la France a perdu 70 % de ses haies et 90 % de ses mares au cours du XXe siècle. »

Simultanément, la surface de forêt a augmenté, ainsi que le nombre de sangliers : la chasse paysanne au petit gibier disparaît, la chasse au gros gibier, géré et agrainé dans les bois, est économiquement rentable (sauf pour les agriculteurs à cause des dégâts), et réservée aux actionnaires. Pour ces derniers la chasse est un sport, et le gibier est marchandisé : il y a industrialisation rationnelle de la production de gibier.
Le gibier de la chasse populaire est cuisiné, partagé ; cela favorise aussi une autolimitation, et participe à une relative autonomie alimentaire, comme à la socialité.
« Manger ce que l’on tue est un principe fortement revendiqué, non seulement pour des raisons éthiques mais comme affirmation d’une identité collective [… »

« La chasse au petit gibier est une relation socio-écologique de réciprocité avec des espèces qui se sont adaptées aux biotopes agraires, qui se nourrissent de l’activité humaine et dont les humains se nourrissent à leur tour. »

« Dans les collectifs indigènes, le rapport à l’animal sauvage ne se résume jamais à l’acte de prédation. »

Stépanoff évoque le partage d’un territoire entre hommes et animaux sauvages, les rapports familiers avec le gibier, (dont des apprivoisements), et les (nouveaux) rituels.
« Ces apprivoisements ont été interprétés par l’anthropologue Philippe Descola comme une forme d’absorption sociale de l’altérité faisant pendant à l’absorption physique que représentent la chasse et la consommation. »

« On peut voir dans ces innovations rituelles une forme de réponse sans langage mais par les gestes aux stigmatisations des élites, la revendication collective d’un rapport à l’animal et au sauvage qui n’est fondé ni sur la production gestionnaire (l’exploitation de la nature) ni sur la protection dominatrice (l’amour de la nature), mais sur la circulation de la chair et du sang. Il s’agit d’exhiber avec une démesure scandaleuse ce que l’éthique et la pudeur modernes cherchent à dissimuler : la violence, la mort et la part sauvage d’une humanité qui, loin d’être autonome et fermée sur le sentiment de sa dignité et de son exceptionnalité, se nourrit, par incorporation physique, d’une altérité non humaine. »

On retrouve souvent l’opposition rural-citadin (et néorural), populaire-noble/ bourgeois, entre bien communautaire et chasse commerciale privée, de la « mosaïque de relations » à l’univocité du rejet.
La chasse à courre s’est en fait démocratisée au XXe siècle, surtout la petite vénerie à petite meute (lièvre), la plus répandue ; elle n’est plus élitiste. Là encore, ne connaissant pas personnellement ce dont il est question, je mesure comme la perception "hors-sol" est défectueuse :
« De façon pour le moins paradoxale, les statistiques indiquent que les cerfs survivent plus facilement à une chasse à courre qu’à un sauvetage. »

Les militants anti-chasse, souvent animalistes, généralement issus de la classe moyenne, sont dans l’émotion, à la base d’une (nouvelle) culture de l’empathie. Les affrontements ont lieu avec les suiveurs, qui forment une communauté populaire festive.
« Comment expliquer ces incidents à répétition ? Le conflit de valeurs s’incarne dans un conflit d’éthos [us et coutumes d’un groupe] qui crée une mécanique de l’incident. »

« Les militants s’introduisent avec leurs caméras dans ce monde d’habitués en se soustrayant au cérémoniel des salutations et en s’abstenant généralement de tout échange verbal avec les participants. »

Les lieux de passage séculaires des cervidés sont maintenant situés en milieu périurbain.
Je suis allé de découverte en découverte (rejoignant cependant des lectures, comme celles de Genevoix), tels les rituels et la dimension éthique de cette pratique.
« Pour les veneurs, quand le cerf se tient aux abois, immobile face aux chiens et aux hommes, et qu’il cesse définitivement de fuir, ce n’est pas qu’il est physiquement épuisé comme on le croit généralement. Si le cerf cesse de fuir, c’est qu’il admet que la partie est perdue et que, plutôt que de se traîner lamentablement, il préfère affronter la mort. »

« Selon les veneurs, les cerfs auraient les qualités nécessaires pour faire face à la poursuite de la meute puisqu’ils en réchappent dans la majorité des cas et qu’un même animal peut être chassé sans succès quatre ou cinq fois de suite. »

Conclusion :
« Au cours de cette enquête, il nous est apparu que l’enjeu véritable du conflit entre les veneurs et leurs détracteurs n’est pas tant la défense des cerfs ou de la forêt que l’affrontement de mises en scène différentes du rôle de l’homme dans la nature. La sensibilité animaliste promeut une attitude empathique fondée sur l’attention à la souffrance de chaque animal, individu unique et irremplaçable. De ce point de vue, la mort de tout animal revêt une dimension tragique qui interdit à l’humain, seul être de la nature conscient de cette tragédie, de la provoquer volontairement. L’homme se distingue du reste du vivant par cet impératif moral de protection et de sauvetage auquel ne sont pas tenues les autres espèces.
La sensibilité des adeptes de la vénerie met l’accent non sur l’individu, mais sur les relations éco-éthologiques entre les espèces vivantes, invoquant la réalité de la prédation et de la mort dans la nature. Ils envisagent l’humain comme un prédateur parmi d’autres, intégré à un grand cycle de vie et de mort. Ils s’opposent à une vision de la nature dont l’humain serait exclu, une menace pour le mode de vie rural selon eux. Militants et veneurs partagent bien plus qu’ils ne le croient : l’amour de la forêt et l’admiration pour la grande faune sauvage, mais ils sont séparés par des conceptions différentes des continuités et des discontinuités entre humanité et nature. La vénerie se heurte frontalement à la cosmologie moderne de deux manières : en introduisant au cœur du monde sauvage une tradition culturelle avec costumes, fanfares et cérémonies, elle contrevient à la séparation entre nature et culture. D’autre part en associant protection, identification morale et confrontation sanglante avec le cerf, elle entretient une zone trouble de relation à l’animal qui résiste à la séparation des êtres, des lieux et des attitudes entre les deux grands schèmes relationnels de l’amour protecteur et de l’exploitation extractive. »

Le veneur communique avec ses chiens par un « pidgin trans-espèces », et comprend leur « musique » ; Zoé, interrogée, confie : « Qu’attendre d’un maître qui vous appelle "chien d’imbécile" quand ce n’est pas "Belle-de-dos" ? Plus récemment, c’est devenu "Palafox", mais ch’sais pas c’que ça veut dire. »
« Le chien est le seul animal domestique présent dans toutes les sociétés humaines, sur tous les continents. En conséquence, aucune société ne peut être considérée comme composée exclusivement d’humains ; toutes sont hybrides, intégrant le chien dans leurs habitats, leur vie économique, religieuse et émotionnelle. »

« Une étude comportementale récente est pourtant venue souligner que la faculté d’accomplir librement des choix et d’utiliser ses capacités olfactives dans des tâches sont des dimensions essentielles de l’épanouissement mental et émotionnel du chien. Or l’étude observe que ces conditions trouvent difficilement satisfaction dans le mode de vie captif associé au statut d’animal de compagnie. »

Rien qu’un bref chapitre comme Vies de chiens à travers le monde est passionnant.
« L’intimité des liens entre les Inuit et leurs chiens se manifestait dans le fait qu’on leur donnait à manger le corps des défunts et à travers une relative tolérance pour les unions sexuelles d’hommes ou de femmes avec des chiens. »

Paradoxalement, le chasseur serait un « prédateur empathique » se mettant à la place de sa proie pour deviner ses ruses :
« Les chasses rurales impliquent une projection mentale dans l’espace et dans l’esprit des animaux chassés. »

… et Stépanoff y débusque des aptitudes remontant à notre préhistoire, depuis les chasseurs-collecteurs du paléolithique.
« Le scénario du divorce néolithique est la projection dans l’évolution sociale d’une division conceptuelle entre nature et culture : si le Paléolithique est l’âge de l’état de nature, l’homme aurait franchi le seuil de l’âge de la culture avec le Néolithique. Or cette division nature-culture n’est pas une réalité de la vie des paysans néolithiques, ni des éleveurs sibériens, ni des horticulteurs amazoniens, ni des paysans-chasseurs percherons, c’est une fiction mythique. »

« Le Néolithique est au contraire cet âge où, dans les économies, l’alimentation, l’habillement, les figurations artistiques, les paysages, se tisse un réseau inextricable d’hybridations entre ce qui est spontané et naturel et ce qui est artificiel et domestique. »

Chasses royales et privilèges régaliens depuis Assurbanipal (et jusque Giscard ?) :
« Dans les sociétés anciennes, la chasse relève également de la souveraineté en tant qu’expression d’un monopole sur la violence, au même titre que la guerre et la justice. »

« Entre le Néolithique et notre époque, une innovation majeure a lieu : la naissance de la ville et de l’État. »

Le loup, de conflits "individuels" à une guerre d’extermination :
« C’est bien la modernité et non l’ancienne société rurale qui voit dans le loup une sauvagerie à éradiquer de la face de la terre. »

« Le système d’indemnisation des pertes parmi les troupeaux attaqués, calqué sur le modèle des dégâts de sangliers dont nous avons vu l’invention dans les années 1960, tend à faire des éleveurs ovins des nourrisseurs de loups rémunérés par l’État, comme les cultivateurs sont devenus des éleveurs passifs de sangliers. Paradoxalement, le mythe du prédateur sauvage est peut-être en train de transformer le loup en animal domestique, protégé et nourri par la puissance publique. »

La part du corbeau dans le partage de la dépouille du gibier :
« De nombreux observateurs ont en effet constaté que les corbeaux peuvent indiquer aux prédateurs, qu’ils soient loups ou chasseurs, la présence de gibier en vue de prendre part au festin. »

Stépanoff voit des reliquats de pensée animiste dans les rituels des chasseurs français, leur confronte des observations qu’il a faites en Sibérie ; il dégage une convaincante « communion dans le sang sauvage qui fait un pendant forestier au sacrifice de la messe », une « mystique de l’incorporation physique de l’altérité » et même un mythe de régénération.
« À l’issue d’une curée, un vieux veneur m’approcha et me dit : "La curée, c’est très beau, c’est le triomphe de la vie sur la mort, une forme de résurrection. Eh bien, moi, quand je serai mort, je ne veux pas être incinéré ou enterré, je souhaite être mangé par mes chiens, comme le cerf." »

Le point de vue est souvent politique, reflétant une lutte des classes.
« Il est frappant de constater que, contrairement à la légende tenace qui veut que la Révolution ait accordé à tous le droit de chasser en tout lieu, la nouvelle législation transfère le privilège cynégétique des seigneurs suzerains aux propriétaires fonciers. La paysannerie pauvre perd en réalité des droits puisque sont rendues illégales les coutumes provinciales de chasse banale qui faisaient du gibier un bien communautaire. »

Avec Montaigne, chasseur plein de compassion pour les larmes du cerf, et la place des femmes dans la chasse, on (ré)apprend beaucoup de choses.
« Le fonds de protection de la faune WWF est l’œuvre de princes chasseurs [… »

L’historique du sentiment anti-chasse est particulièrement intéressant.
« …] alors que les animalistes défendent les animaux en tant qu’individus, les écologistes entendent préserver des espèces et des communautés. »

« L’historien Rémi Luglia a récemment noté à juste titre que, chez ces défenseurs de la nature, "seules les causes directes et surtout illégales de destruction sont envisagées, en négligeant les transformations des “milieux” (biotopes) et des pratiques culturales". »

Avec le cas exemplaire de la vache sacrée en Inde (« l’un des premiers producteurs mondiaux de viande bovine »), on mesure toute la posture d’évacuation des contacts directs avec la mort sur les « impurs » Intouchables.
« L’enjeu profond n’est pas dans l’existence de catégories telles que sauvage et domestique, nature et culture, car tous les collectifs humains produisent des catégories ; il est dans la nature des limites entre catégories : interfaces poreuses permettant de troubles circulations chez les non-modernes ; frontières à protéger des incursions étrangères pour les modernes. »

« La valorisation de l’idéal moral de bienveillance religieuse envers la vache en Inde n’a pas impliqué sa soustraction à l’exploitation et à la mort, mais a entraîné un déplacement de la violence : désocialisée et stigmatisée, elle se brutalise et s’amplifie, tout en réifiant les inégalités sociales dans une hiérarchie morale. »

Ce sujet qui nous divise (et sur lequel je m’interroge depuis longtemps sans parvenir à un avis tranché) apporte beaucoup d’éclairage sur nos relations avec l’animal, nos rapports actuels à la nature et à la mort – à la chasse comme mort socialisée. Il y une grande diversité de chasses et, une fois encore, toute généralisation est impossible, même si on peut distinguer par exemple les viandards et les chasseurs traditionnels. Ce livre permet de dépasser la fracture "culture identitaire" et "passéisme barbare" : il semble bien qu’il y ait quelque chose d’"atavique" dans la chasse, malheureusement trop souvent vue de loin, sans vraie connaissance de ses réalités et de ses "ressorts secrets".
Peut-être eut-il mieux valu étudier le savoir-faire de l’agriculteur retraité de 76 ans récemment condamné à de la prison ferme pour avoir braconné à la glu des petits oiseaux protégés ?
Toutefois, j’aimerais trouver confirmation (ou contestation) de certaines interprétations données dans ce livre.
L’ethnologie démontre une fois encore sa capacité à expliciter nos goûts et dégoûts dans un cadre social.
Un aperçu, en 23 minutes :
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-vendredi-19-novembre-2021

\Mots-clés : #actualité #ecologie #essai #historique #mort #nature #ruralité #social #traditions #violence
par Tristram
le Jeu 3 Mar - 14:48
 
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Sujet: Charles Stépanoff
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John Muir

Préserver les solitudes − Parcs et forêts de l’Ouest sauvage

Tag ecologie sur Des Choses à lire Przose11

Premier chapitre de Our National Parks, 1901, lui-même un recueil d’articles de John Muir, qui promeut avec un lyrisme enthousiaste la préservation des espaces naturels, comme la réserve de la Sierra.
Extrait :
« Relativement à son poids une fois sec, le bois du Douglas est peut-être plus costaud que celui de tout autre grand conifère du pays. Sa robustesse, sa durabilité, son élasticité le rendent parfaitement adapté pour les bateaux, les piles, et comme bois d’œuvre massif en général, mais sa dureté et sa tendance à se déformer, une fois débité en planches, le rendent impropre à l’ouvrage délicat. Il est connu sous le nom de pin d’Oregon dans les marchés aux bois de Californie. Lors de son abatage dans les meilleures forêts autour de Puget Sound, nombre de longs et minces fûts sont mis de côté comme mats ; ils sont d’une qualité tellement supérieure qu’ils sont réclamés par quasiment tous les chantiers navals du monde. Il est intéressant de suivre leur destin : abattus, écorcés et traînés jusqu’à la mer, ils sont dressés à nouveau comme mât et vergue sur les navires, équipés de racines de fer et de feuillage de toile, décorés de drapeaux et envoyés en mer, où dans un mouvement satisfait ils traversent gaiement toutes les latitudes et longitudes de la prairie-océan, chantant et oscillant, sensibles à ces mêmes vents qui les agitaient dans leur forêt. Après s’être tenus à un endroit pendant des siècles, ils vont autour du monde comme des touristes, croisant de nombreux amis de leur vieille forêt natale ; certains voyagent comme eux, d’autres se retrouvent la tête en bas dans des ports boueux soutenant les plateformes des quais, les derniers remplissent toutes sortes de rôles visibles et invisibles dévolus aux bois durs. »

Accompagné d’une présentation de Thierry Paquot, qui étudie le concept de « solitudes » (sauvages), de « la solitude (wilderness) la moins perturbée possible par les agissements, souvent malveillants, des humains. » La notion de « sauvageté » est évoquée, qui selon le Wiktionnaire signifie en écologie le « caractère d’un espace naturel que l’homme laisse évoluer sans intervenir », et par extension « un espace que l’homme laisse évoluer sans intervenir ».

\Mots-clés : #ecologie #nature
par Tristram
le Lun 14 Fév - 10:49
 
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Sujet: John Muir
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Le One-shot des paresseux

Nicolas Bourcier, Les Amazoniens, en sursis

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D’abord une petite déception, les témoignages et reportages datent du début du siècle, au moins au début.
Des interviews documentent le sort des Indiens (mais aussi des caboclos et quilombolas), abandonnés par l’État, qui poursuit une politique d’exploitation productiviste de la forêt (quel que soit le régime politique), aux exactions des garimpeiros et de leurs pistoleros, des trafiquants, des fazendeiros et autre agrobusiness qui suivent. La pression des Blancs tend à les sédentariser pour les réduire (gouvernement, congrégations religieuses) : c’est aussi l’histoire de nomades malvenus dans notre société. En plus de la pression économique, il y a également les maladies contagieuses, la pollution au mercure, l’exclusion et la discrimination, la bureaucratie, l’exode et l’acculturation, etc. Mais, dorénavant, la population indienne augmente, ainsi que la réaffirmation de l’identité ethnique traditionnelle.
« Les besoins en matière de santé et d’éducation restent considérables. »

Malgré la reconnaissance des droits des Indiens par la constitution, le gouvernement de Lula a déçu les espoirs, et afin de favoriser le développement les forces politiques se coordonnent pour saper toute cohésion des réclamations sociales et foncières.
« Juridiquement, l’Amazonie a connu la reconnaissance des droits des indigènes en 1988, la reconnaissance de la démarcation des terres trois ans plus tard et une succession de grignotages de ces droits par la suite… »

Face à l’extinction des derniers Indiens isolés, les sertanistes (qui protègent leurs terres), ont fait passer le paradigme de l’intégration (ou de l’éradication) à la suppression quasi intégrale des contacts. L’un d’eux, Sydney Possuelo :
« Darcy Ribeiro, qui contribua à la classification légale de l’Indien, comptait trois types : l’Indien isolé, l’Indien en contact mais de façon intermittente (comme les Yanomami et tous ces groupes vivant entre deux mondes), et l’Indien intégré. De ces trois groupes, je n’en vois que deux : l’isolé et l’intermittent. L’intégré n’existe pas. Il n’y a pas d’ethnie qui vive harmonieusement avec la société brésilienne. L’Indien respecté et intégré dans notre société est une invention. »

« Pour résumer, si on ne fait rien, les fronts pionniers tuent les Indiens isolés ; si on entre en contact, voilà qu’ils disparaissent sous l’effet des maladies. La seule option possible est donc de savoir où ils se trouvent et de délimiter leur territoire. C’est ensuite qu’il faut mettre en place des équipes autour de ce territoire pour en bloquer les accès. Pourquoi ne pouvons-nous pas délimiter une zone où vivent des personnes depuis des temps immémoriaux et empêcher qu’elle ne soit envahie ? »

Qu’on soit intéressé de près ou de loin par le sujet, une lecture qui interpelle.

\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #contemporain #discrimination #documentaire #ecologie #genocide #identite #minoriteethnique #nature #racisme #ruralité #temoignage #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Mer 22 Déc - 12:14
 
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Sujet: Le One-shot des paresseux
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Baptiste Morizot

Manières d'être vivant. Enquêtes sur la vie à travers nous

Tag ecologie sur Des Choses à lire Extern48

Cinq « novellas philosophiques » voulant renouveler notre regard sur le monde.
L’introduction annonce clairement comment ces cinq textes s’articulent ; au final, ce qui les rattache est moins évident. J’ai surtout apprécié les premier et dernier textes, parlant de l’observation des loups par pistage et caméra thermique.
Sur recommandation de l’auteur :



Il y est donc question d’éthologie, d’écologie, voire d’anthropologie, mais peut-être plus de l’ordre de la réflexion hors cadre (scientifique) d’un naturaliste (amateur ?) sur le terrain. Il s’agit en tout cas de considérations intellectuellement stimulantes, parfois un peu creuses et, m’a-t-il semblé, pas dénuées de contresens ou de biais en matière d’évolutionnisme ; ainsi de la longue explication de ce que les nez ne sont pas faits que pour porter des lunettes, m’a paru enfoncer une porte ouverte : évidemment un organe n’a pas qu’une fonction, univoque et figée pour un seul usage.
Mais c’est toujours enrichissant lorsqu’on sort de son domaine de compétence (comme quand, de manière inverse, Pascal Picq se hasarde à philosopher dans La marche), mais rapidement se pose la question de la légitimité de certaines conclusions…
Le cœur du message déclaré, c’est l’interaction de tous les êtres vivants et la nécessité de leur cohabitation harmonieuse, comme en l’occurrence avec les loups, ces « aliens familiers », et ce en cherchant des modus vivendi dans une « diplomatie interespèces des interdépendances » par de multiples « égards ajustés » en permanence.
« C’est notre manière d’habiter qui est en crise. Et notamment par son aveuglement constitutif au fait qu’habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres formes de vie, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants. »

« Énigme parmi les énigmes, la manière humaine d’être vivant ne prend sens que si elle est tissée aux milliers d’autres manières d’être vivant que les animaux, végétaux, bactéries, écosystèmes, revendiquent autour de nous. »

Le constat est fait du fourvoiement de notre représentation du monde.
« Si nous ne voyons rien dans la “nature”, ce n’est pas seulement par ignorance de savoirs écologiques, éthologiques et évolutionnaires, mais parce que nous vivons dans une cosmologie dans laquelle il n’y aurait supposément rien à voir, c’est-à-dire ici rien à traduire : pas de sens à interpréter. »

D’où un point de vue original sur un des apex de notre philosophie moderne :
« Le sujet humain seul dans un univers absurde, entouré de pure matière à portée de main comme stock de ressources, ou sanctuaire pour se ressourcer spirituellement, est une invention fantasmatique de la modernité. De ce point de vue, les grands penseurs de l’émancipation qu’ont pu être Sartre ou Camus, et qui ont probablement infusé leurs idées en profondeur dans la tradition française, sont des alliés objectifs de l’extractivisme et de la crise écologique. »

… Et la préconisation d’une déconstruction de notre façon de penser.
« Les dualismes prétendent chaque fois cartographier la totalité des possibles, alors qu’ils ne sont jamais que l’avers et le revers d’une même pièce, dont le dehors est occulté, nié, interdit à la pensée elle-même.
Ce que cela exige de nous est assez vertigineux. Le dehors de chaque terme d’un dualisme, ce n’est jamais son terme opposé, c’est le dehors du dualisme lui-même. Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux. Faire effraction du monde pensé comme leur règne binaire et sans partage. C’est entrer dans un monde qui n’est pas organisé, structuré, tout entier rendu intelligible, à partir de ces catégories. »

Est avancée une mystérieuse survivance immémoriale − du type archétypes jungiens ?
« Dans l’approche inséparée du vivant défendue ici, la dynamique évolutive prend un autre visage que la seule “théorie de l’évolution” par variation-sélection. Elle devient la sédimentation de dispositifs dans le corps, produits par une histoire : des ascendances. »

Sont invoqués Descola, Despret, Barbara Cassin, Bruno Latour, Aldo Leopold, mais aussi Nietzsche, Foucault, Deleuze, et même Damasio (qui a écrit la postface), très proche de Morizot tant sur le fond que sur la forme ; j’ai aussi pensé à un Tout-monde glissantien à l’échelle cosmique. Encore une fois ce recueil constitue un excellent remue-méninge, bourré d’aperçus originaux.
« Je reprends ici l’approche deleuzienne suivant laquelle l’activité philosophique par excellence revient à créer des concepts. »

Morizot s’exprime à grand renfort de néologismes évocateurs (« panimal », « cosmopolitesse », etc.), d’expressions paradoxales et de métaphores hardies. Cela m’a paru bien écrit, brillant, trop peut-être même par moments (d’un lyrisme un peu soûlant, comme parfois Cyrulnik), en tout cas compréhensible pour un essai tout public (moins cependant que Pascal Picq, qu’il semble contredire quelquefois) ; bien sûr, cet essai demande une certaine assiduité, un minimum d’application de la part de son lecteur. Les éditeurs devraient peut-être apposer un Topocloscore, avec dans ce cas un Topoclo- ou Topoclo0, lecture à ne pas mettre dans les mains d’un enfant de moins de cinq ans.

\Mots-clés : #ecologie #essai #nature #philosophique
par Tristram
le Jeu 4 Nov - 12:06
 
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Sujet: Baptiste Morizot
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Aldo Leopold

L'éthique de la terre

Tag ecologie sur Des Choses à lire L_zoth10

Huit textes relativement brefs sont édités avec cet essai d’abord publié en 1949.
Les explications scientifiques exprimées dans ces textes peuvent dater, et doivent être prises avec précaution – mais c’est aussi vrai de ce qui se publie de tout temps.
Dans le débat, qui a toujours cours, concernant l’intéressement économique (y compris de loisir) lié à l’écologie, Leopold n’y croyait pas :
« En résumé : un système de protection de la nature purement fondé sur l’intérêt économique est totalement déséquilibré. Il tend à ignorer, donc in fine à éliminer, de nombreux éléments de la communauté de la terre sans valeur commerciale, mais qui sont (à notre connaissance) indispensables à son fonctionnement sain. »

« Le sophisme que les tenants du déterminisme économique ont lié autour du cou de l’humanité, et dont elle doit maintenant se dégager, est la certitude que l’économie détermine tous les usages de la terre. »

Il m’a paru que ses points de vue demeurent globalement corrects.
« La science nous a donné une kyrielle de doutes, mais aussi au moins une certitude : l’évolution tend à élaborer et à diversifier le biote. »

« Les changements d’origine humaine sont d’une autre nature que ceux liés à l’évolution, et leurs effets dépassent nos intentions ou nos prévisions. »

L’effet presque automatique de la régulation des espèces l’une par l’autre me semble être vu d’une façon plus complexe aujourd’hui (amusants retours de bâton dans Boomerangs, moins drôles dans Penser comme une montagne :
« À présent, je soupçonne que, tout comme les cerfs vivent dans la peur mortelle des loups, une montagne vit dans la crainte mortelle des cerfs. Et peut-être à plus juste titre, car si un cerf tué par des loups peut être remplacé en deux ou trois ans, une chaîne ravagée par d’innombrables cerfs mettra des décennies à renaître. »

Un bon chêne, c’est celui, centenaire et foudroyé, que Leopold débite pour se chauffer, occasion d’évoquer les faits marquants dans la nature tout au long de son existence – ce qui permet de relativiser l’importance des catastrophes naturelles à l’aune de celles du passé, et de mesurer tout ce que nous ne verrons jamais, parce que cela a disparu.
Esthétique d’une protection de la nature reprend le sujet de l’exploitation de cette dernière.
« Le chasseur de canards, dans son aveuglement, et le chanteur d’opéra sur une scène font la même chose malgré la disparité de leur accoutrement. Chacun revit, dans le jeu, un drame jadis inhérent à la vie quotidienne. Tous pratiquent, en dernière analyse, un exercice esthétique. »

« Stimuler la perception des processus naturels est le seul aspect vraiment créatif de la conception des loisirs de plein air. »


\Mots-clés : #ecologie #essai
par Tristram
le Jeu 14 Oct - 16:27
 
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Sujet: Aldo Leopold
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Nastassja Martin

Les âmes sauvages : Face à l'Occident, la résistance d'un peuple d'Alaska

Tag ecologie sur Des Choses à lire Les_ze10

Le premier contact de l’ethnologue est plutôt social, et sombre :
« De fait, les habitants du subarctique paraissent à première vue se dégrader de l’intérieur – physiquement et psychiquement – au même rythme que le monde s’altère autour d’eux. »

« Les conflits qui opposent les Occidentaux et les Gwich’in sont tous, sans exception, liés à la question environnementale qui se déploie sous des formes variées. »

« Les deux versions de la "catastrophe qui vient" auxquelles j’ai été confrontée sont également dramatiques : la première et la plus courante, à laquelle les vieilles personnes souscrivent plus facilement, consiste à dire que les périodes sombres feront retour et que le monde moderne, ne pouvant continuer à soutenir sa croissance effrénée et son incroyable démesure, va irrémédiablement s’écraser sur lui-même, artisan qu’il est de sa propre fin. […]
La seconde version, plus courante chez certains jeunes, consiste à dire que le milieu subarctique alaskien et les Gwich’in disparaîtront sous peu puisque le réchauffement climatique est irréversible et va bientôt modifier durablement toutes les routes migratoires des animaux du Grand Nord, empêchant les Gwich’in d’entrer en relation avec eux et donc de les chasser pour continuer à vivre à leur manière dans les villages de la taïga. Dans cette version, les Gwich’in ne sont plus considérés comme les seuls survivants de la forêt, puisque c’est la forêt elle-même et ses habitants qui sont menacés d’extinction. Sans eux, pas de futur possible, même pour les chasseurs gwich’in les plus aguerris. Entre les prophètes d’un "retour à la forêt" définitif et les adeptes de la chronique d’une mort annoncée, on voit à quel point certains entretiennent de réjouissantes perspectives pour l’avenir. »

« Telle est bien l’une des plus grandes ironies de ce territoire : il est unanimement reconnu comme l’un des derniers environnements véritablement sauvages sur la planète, mais il doit néanmoins être développé pour soutenir la culture matérialiste moderne, à laquelle aspirent toujours plus d’habitants dans le monde comme à un droit légitime et nécessaire. »

Ayant constaté la déstabilisation (jugée « irréversible ») du territoire par la pollution globale, Martin en retrace l’historique.
L’Alaska est une relativement récente colonie américaine gérée pour exploiter ses matières premières/ ressources naturelles.
« Chaque "élément naturel" se vit traité en membre indépendant, isolable et extractible. La forêt, loin d’être considérée comme un entrelacs de relations complexes entre des existants humains et non humains qui, par leurs interactions quotidiennes, créent un monde aux dynamiques qui lui sont propres, devint une simple ressource. »

Les indigènes sont déchirés entre « exploiter et protéger : le pendule alaskien », l’économie et l’écologie, la productivité pétrolifère et le sacré de la wilderness ; il y a aussi une opposition entre Indiens des villes et ceux qui vivent sur place.
Les missionnaires ont apporté à la fois les épidémies et le traitement pour les guérir, supplantant ainsi les chamanes, et atteint à l’identité indigène en imposant le changement de nom des personnes.
« D’une foule de qualificatifs, d’adjectifs mouvants sans cesse en transformation, d’associations inventives empruntant tant au registre des animaux qu’à celui des hommes ou du milieu en général, on passe à l’attribution définitive de prénoms bibliques qui ne peuvent pas être en mesure d’évoquer un mode relationnel incarné dans un environnement spécifique, puisqu’ils ont été inventés ailleurs et qu’ils ont une manière totalement différente d’exprimer, de résumer les personnes qui les portent. Il semble que le projet des missionnaires tendait bien à humaniser les Gwich’in – avec l’aide des saints patrons chrétiens – en les détachant durablement de tous les êtres non humains qui contribuaient à la formation de leur identité ou auxquels ils s’identifiaient parfois complètement lorsqu’ils empruntaient le nom d’une espèce entière. »

« Le baptême en Alaska constitua bien, comme partout ailleurs, l’élément le plus important de la conversion chrétienne : il fallait détourner les hommes du monde vécu pour leur donner l’occasion de se tourner vers un arrière-monde invisible ayant davantage de valeur. »

Après les missionnaires et les chercheurs d’or, vinrent les écologistes et les gestionnaires de l’environnement, autres (ou mêmes) « pasteurs » d’une nature relativement vierge, où humains et non-humains établissent des relations subtiles.
« Autrement dit, l’Alaska représentait, à l’époque de sa conquête mais encore aujourd’hui, un support parfait pour les rêves occidentaux les plus insensés [… »

« La dynamique de gestion des animaux sauvages apparaît ainsi sous un jour nouveau, et devient étrangement assimilable à une relation de berger à son bétail. »

Parvenus à moitié de son livre, Martin présente le pays gwich’in, territoire le plus à l’écart dans la taïga d’Alaska, celui de ces chasseurs-cueilleurs animistes, nomades sédentarisés dans des villages qui traquent un gibier lui-même migrateur, comme la grande harde de caribous. La chasse est assimilée à une guerre, une affaire de désir de la proie (littéralement de « rêve »), de fascination (au sens donné par Quignard), de séduction chez le chasseur et de don chez l’animal chassé.
« Tous s’évitent, se cherchent, se poursuivent, se fuient. Tous doivent se positionner judicieusement pour échapper à l’autre ou l’attraper, élaborer des tactiques, des manœuvres, des ruses, et toujours avancer masqués. Cette invisibilité des animaux est en elle-même le signe de ce qui existe, là sous le paysage. La dissimulation des animaux est donc la première clé pour recontacter un univers où ces derniers ne sont justement pas construits à l’image de ce que les hommes attendent d’eux, puisqu’ils les fuient, puisqu’ils sont maîtres de leur propre trajectoire, puisque les hommes n’ont de cesse de tenter de les intercepter. L’invisibilité, la dissimulation, le fait que tous se dérobent au regard et, in fine, leur absence sont les prémisses absolument nécessaires à toute relation incarnée dans le subarctique alaskien, à la possibilité de la chasse, à sa valeur. C’est cette incertitude au sujet du positionnement de l’autre dans l’espace qui reproduit le désir, chaque fois, de partir en chasse, puisque, justement, les animaux "ne se donnent pas" immédiatement aux hommes, mais se dérobent. C’est bien parce qu’ils se dérobent qu’on les traque ; parce qu’ils ne sont pas là qu’on les cherche. »

M’a frappé le rapprochement de deux incidents, la mort d’un jeune chasseur gwich’in parti seul sur la rivière, et le secours par hélicoptère d’un bateau de chasseurs américains en panne d’essence, équipés d’un téléphone satellite ; ils ont d’ailleurs été verbalisés pour avoir dépassé leur quota de caribous, et on apprend qu’ils n’ont gardé que les trophées, abandonnant la viande au lieu de la partager. Au-delà de la répulsion pour le meurtre gratuit et le gaspillage qui révoltent les Gwich’in, ce fait-divers entre en résonnance avec mon attitude personnelle à l’égard de la nature : j’ai toujours refusé d’emporter un téléphone, de dire où j’allais et quand je comptais revenir. Cette attitude est profondément ancrée en moi : il est hors de question d’appeler à l’aide lorsqu’on s’est engagé loin de la société (et de mettre en danger des secours). J’ai toujours vivement ressenti cette vérité de la nature sauvage lorsqu’on y est immergé : on ne peut pas dire « stop, j’arrête l’expérience ».
« S’extraire du lieu lorsqu’il devient par trop inhospitalier – sauvage ? – et qu’on perd le contrôle revient à nier tous les liens fragiles tissés entre les existants et à glisser sur un paysage dès lors neutralisé. Je fais ici référence à un phénomène occidental particulier tenant de l’exception culturelle et pourtant largement répandu dans toutes les sociétés sécuritaires : être en mesure de dire "je sors". C’est-à-dire, pouvoir quitter rapidement le lieu dans lequel on s’est pourtant engouffré volontairement, ceci moyennant quelques dollars parfois mais la plupart du temps gratuitement si le geste se "justifie". Le joker dont disposent les Occidentaux lorsqu’ils parcourent le subarctique est non seulement inaccessible aux indigènes mais, surtout, il est considéré comme une offense au milieu en général. Il est pour les Gwich’in immérité, facile et opportuniste. Il relativise tous les lieux, les dépouillant de leur puissance et perpétuant l’idée que l’homme possède un pouvoir qui supplante tout le reste. »

Pour les Gwich’in, la chasse est faite d’occasions à saisir, sans aucune notion de gestion des ressources.
« Ainsi, pour résumer, l’explication que nous prodiguent les ethnologues pour expliquer la non-gestion dont font preuve les indigènes est la suivante : l’imprévoyance et le refus de stocker des vivres sont les corollaires directs de cette notion d’abondance et de retour circulaire des animaux, qui préserve les hommes de l’angoisse du lendemain. »

Les contes gwich’in témoignent d’un « humour tranchant », d’ironie narquoise, de « dérision sérieuse ».
« En effet, seule une personne peut être ridicule. »

« Ainsi, il existe bien un lien inattendu entre la table de jeu et la forêt : les enjeux sont inlassablement dramatiques et toujours pris à la légère. Malgré les différences de contexte et d’échelle, à la chasse comme au jeu tous avancent masqués, se dupent les uns les autres, se piègent et risquent à tout instant de "tout" perdre. »

Je ne m’étends pas sur la partie proprement anthropologique du travail de Martin (encore moins sur sa valeur, que je ne peux mesurer), mais signale qu’il est fortement influencé par Descola, qui a dirigé sa thèse (d'où est tiré cet essai) ; l’important pour moi est qu’il permette une différente approche de l’altérité.
Je n’ai pas trouvé l’information, mais j’aurais aimé savoir combien de temps Martin a séjourné sur le terrain.

\Mots-clés : #ecologie #essai #nature
par Tristram
le Mer 24 Mar - 23:35
 
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Sujet: Nastassja Martin
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Ernest Callenbach

Tag ecologie sur Des Choses à lire 51xara10

Ecotopia

Trois états de l’ouest de Etats-Unis ont fait sécession il y a 20 ans pour créer une république écologique, qui a rompu tous les ponts diplomatiques avec les USA. William Weston est chargé de produire des reportages sur cette initiative tous à la fois méprisée et fascinante, avec ses nombreuses qualités et ses défauts et de lancer une première tentative de réconciliation.

Si on lit avec les yeux d’une lectrice de la fin des années 70 ont est émerveillée par les idées renversantes et séduisantes de société proposées par Callenbach. Une société sans entrave, sans voitures, mais transports gratuits, où les plastiques sont d’origine végétale et tout est recyclé, une semaine de 20 heures, un revenu universel. Les arbres sont des vrais vivants, la famille a éclaté et les codes sexuels ne sont plus les mêmes. Il n’y a que les ordinateurs personnels et le téléphone portable auxquels l’auteur n’a pas pensé.

Si on lit avec les yeux d’une lectrice de 2021, on se dit que tout était bien là en  1975,  et qu’on a  perdu pas mal de temps à ne pas faire grand-chose de neuf. C’est assez déprimant.

En dehors de cet aspect, la lecture n’est pas folichonne (ce qui peut s’exprimer chez les topocl par « pas fou-fou ») car le style est vraiment journalistique (et journalistique qui ne s’est pas foulé) l’intrigue prévisible et les sentiments assez niaiseux.


\Mots-clés : #ecologie #romananticipation
par topocl
le Dim 21 Fév - 10:13
 
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Henry David Thoreau

bix_229 a écrit: - À quoi bon avoir une maison si l'on n'a pas de planète acceptable où la mettre  ?

La descendance de Thoreau est immense, combien d'écologistes, de survivalistes, de néosurvivalistes...?

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Les pommes sauvages

Tag ecologie sur Des Choses à lire Thorea11
Mai 1862. Titre original: Wild apples.

Ouvrage composé quelques semaines avant son décès, première publication, posthume, par The Atlantic Monthly en novembre 1862. Soixante pages environ.

Pas de quoi affoler le fil Thoreau avec ce petit ouvrage, proche de la plaquette, pas exactement une nouvelle.
Mais il exhale son humilité terrienne et fleure si bon le libre wild !

Il se découpe en huit chapitres, brefs et ainsi intitulés::
L'histoire du pommier, la pomme sauvage, le pommier odorant, comment pousse la pomme sauvage, le fruit et sa saveur, leur beauté, les noms qu'on leur donne, le dernier glanage.

On entre dans le propos par de savantes considérations, teintées d'objectivisme et de références antiques. Cela s'arrête juste à temps, à mon goût du moins, pour éviter le roboratif.
Le lecteur, que l'on peut pousser à prendre la peine de continuer jusque là, tombe alors sur une joyeuse ode très dans la veine de l'auteur, avec sublimation du sauvage littéralement intact, par rapport au domestiqué, ou créé, ou contraint par l'homme, qui a moins de saveur et de valeur (valeur s'entendant dans un sens gustatif et spirituel), aspects bien connus de la philosophie de Thoreau.

Un bol d'air (ou une bouchée de pomme) bien rafraîchissant(e).

N'hésitez pas à y jeter un œil si vous croisez ce petit livre (la version dont je dispose, parue chez Finitude -voir photo-, est, de surcroît, très abondamment annotée).

chapitre le fruit et sa saveur a écrit:Ceux qui travaillent au grand air n'ont pas froid. Grelotter est le lot de qui reste assis dans sa maison. Telles les températures, telles les saveurs. Tels le chaud et le froid, tels le doux et l'acide. Les acides et les amers, que le palais débile repousse, sont les véritables condiments de cette vivacité naturelle.
Que les condiments soient à la mesure de vos sens. Apprécier le bouquet de ces pommes sauvages requiert des sens vigoureux et en pleine santé; et, sur la langue et le palais, des papilles fermes et droites qui ne soient pas facilement flattées et domptées.
De mon expérience des pommes non domestiquées, je retire que l'homme sauvage a probablement des raisons de préférer certaines catégories de nourriture que l'homme civilisé rejette. Le premier a le palais d'un homme de plein air. Il faut le goût d'un homme des bois pour apprécier un fruit sauvage.
En vérité, il faut un appétit "hors les murs" pour savourer la pomme de la vie, la pomme du monde !  


Marcotté d'un message sur Parfum du 7 février 2014


Mots-clés : #ecologie #nature #xixesiecle
par Aventin
le Sam 20 Fév - 6:32
 
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Ernest Callenbach

Ecotopia : Notes personnelles et articles de William Weston

Tag ecologie sur Des Choses à lire Ecotop10


Le journaliste new-yorkais William Weston, envoyé spécial du Times-Post et premier visiteur américain officiel en Écotopia vingt ans après la sécession des États de la côte Ouest (nord de la Californie, Oregon et Washington), tient son journal personnel et produit ses articles.
« Ils étaient malades à cause de la pollution de l’air, de la nourriture chimique, de la publicité délirante. Ils se sont tournés vers la politique, car en fin de compte c’était la seule voie possible pour assurer leur survie. »

Il découvre un pays demeuré secret, dont le mode de vie, pour étonnant qu’il soit à ses yeux d’États-Unien, est viable, généreux même.
Une révolution a bouleversé la région, économique comme sociétale, à commencer par la semaine de vingt heures jusqu'à une démocratie assez directe, décentralisée.  
« Aussi incroyable que cela puisse paraître, les Écotopiens aiment travailler. »

Le principe écologique essentiel est le recyclage, dans la recherche du maintien d’un équilibre :
« L’homme est fait pour s’insérer modestement dans un réseau continu et stable d’organismes vivants, en modifiant le moins possible les équilibres de ce biotope. Cette approche impliquait de mettre un terme à la société de consommation tout en assurant la survie de l’humanité, ce qui devint un objectif presque religieux, peut-être assez proche des premières doctrines du "salut" chrétien. »

« Mais l’essentiel est que notre agriculture a atteint un état d’équilibre presque parfait, où quatre-vingt-dix-neuf pour cent de nos déchets sont recyclés. Bref, nous avons créé un système alimentaire pouvant durer indéfiniment. »

« Nous n’essayons pas d’être parfaits, simplement d’atteindre un équilibre général – en additionnant tous les hauts et les bas. – Mais ça revient à renoncer à toute notion de progrès. Vous désirez seulement trouver ce point de stabilité et y rester, comme une masse inerte. – C’est peut-être ton impression, mais dans la pratique il n’y a pas de point stable. Nous essayons sans cesse d’y parvenir, sans jamais l’atteindre. »

D’abord insupporté par le silence et l’obscurité nocturne, les déplacements à pied ou en vélo, ce qui frappe le plus William sont les rapports sociaux, notamment caractérisés par de plus grandes solidarité et stabilité qu’aux États-Unis, ainsi que par un certain laisser-aller et surtout laisser-faire ; c’est la culture de la « famille élargie », les gens sont plus francs, ouverts aux « festivités improvisées »...
« Le goût du contact physique est ici une caractéristique frappante de la sociabilité. »

« Les relations humaines sont beaucoup plus libres et détendues dans ce pays que dans le nôtre, et l’on accepte comme normales les manifestations d’hostilité les plus extrêmes. »

Le grand souci de Will, ce sont les femmes, indépendantes, très engagées et influentes en politique, « fortes, assurées, prêtes au plaisir, très honnêtes et directes » :
« J’ai l’impression d’être soudain débarrassé de tout le sempiternel psychodrame américain des soupçons réciproques entre les sexes, des demandes et des contre-demandes sexuelles, de nos efforts désespérés afin de résoudre ce que nous prenons pour le problème inextricable de la sexualité. »

« À mon avis, mon héritage puritain explique que je n’aie jamais fait l’amour avec deux femmes en même temps, bien que j’aie souvent regretté de ne pas avoir eu l’audace d’essayer. »

En Écotopia l’exercice physique, notamment en plein air, donne une bonne santé aux gens, qui vont beaucoup dans la nature, apprendre la survie, pratiquer la chasse (à l’arc) et la pêche.
« …] la scène sportive existe seulement pour ceux qui les pratiquent. »

Le sport spectacle de masse télévisé n’a pas cours, mais d’étranges jeux de guerre rituels servent à compenser le besoin de compétition physique…
Le démarquage des sociétés autochtones est patent :
« Compte tenu du relâchement des habitudes de travail dans ce pays, l’abattage des arbres y est mené avec une efficacité surprenante. Les gens passent le plus clair de leur temps à ne rien faire dans les camps forestiers ; mais lorsqu’une équipe part en mission, leur rapidité et leur esprit de coopération sont impressionnants. Ils coupent les arbres et les élaguent avec un respect étrange, presque religieux, en manifestant toute l’intensité émotionnelle et le soin que certains d’entre nous mettent, par exemple, à répéter un ballet classique. »

À une certaine pénurie (énergie, métaux) répond une vraie abondance biologique.
Le bois constitue le matériau d’élection ; il a aussi été développé une nouvelle industrie de plastiques biodégradables fabriqués à partir de produits naturels. La recherche scientifique et l’innovation sont encouragées.
« Les gens trouvent normal que les produits manufacturés soient costauds, durables et réparables – moyennant quoi ils sont aussi frustes, comparés aux nôtres. »

De curieuses références récurrentes à la France :
« Néanmoins, les Écotopiens sont restés très américains pour certaines choses, tout en trahissant un curieux héritage français : les horaires des trains et les listes de prix par exemple sont d’une précision impitoyable. Cette rigueur intellectuelle est peut-être nécessaire pour compenser la frivolité et la décontraction de la vie personnelle. »

Ce modèle socio-économique est bien sûr en franche opposition avec celui des États-Unis :
« …] le capitalisme souffre d’un défaut peu remarqué mais fondamental : on ne peut pas imposer justement ses propriétaires, car sous un gouvernement capitaliste la richesse trouve invariablement une niche où se cacher. »

Santé :
« Le système de sécurité sociale est étonnamment réduit, car les Écotopiens jouissent d’une "garantie" à vie leur assurant logement, nourriture et soins médicaux. »

« Aucun Écotopien n’hésite à avoir recours aux soins médicaux à cause de leur coût ou des difficultés d’accès aux services concernés. »

« Après l’Indépendance, le corps médical écotopien passa la pharmacopée au peigne fin et en élimina sans pitié de nombreux tranquillisants, énergisants, somnifères et d’autres médicaments tels que les remèdes contre le rhume. Aujourd’hui, il n’autorise la vente d’aucun médicament susceptible de modifier le comportement des gens. »

Par contre, la marijuana est légalisée…
Savoureux épisode où, après l’Indépendance d’Écotopia, le camp des faucons états-unien déclencha la guerre des hélicoptères, une tentative d’invasion qui tourna au fiasco et demeura cachée aux États-uniens…
Ce qui m’épate toujours dans ces utopies et anticipations, c’est ce qui s’avère depuis ‒ ce qu’on savait arriver… Les catastrophes, mais aussi les innovations, comme celle de l’impression à la demande, ou des MOOC :
« …] chaque citoyen peut s’inscrire à des cours par vidéo pour apprendre la biologie, l’engineering, la musicologie ou des centaines d’autres disciplines. »

Mais ce qu’on retrouve surtout, ce sont les éléments fondamentaux du mouvement écologiste, y compris la sensibilité pour l’arbre !
« Semi-utopie » selon Callenbach, cette histoire postule qu’une politique écologiste aurait également de profondes et salutaires incidences sociétales, concernant notamment la condition féminine et la décroissance (économique, mais aussi démographique).

Mots-clés : #ecologie #romananticipation
par Tristram
le Mer 5 Aoû - 12:26
 
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Sujet: Ernest Callenbach
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