Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

La date/heure actuelle est Ven 19 Avr - 7:45

25 résultats trouvés pour intimiste

Akiyuki Nosaka

Nosaka aime les chats

Tag intimiste sur Des Choses à lire Nosaka10

Nosaka, devenu vieux, parle des chats et du husky qu’il héberge. Ce qui m’a le plus étonné, c’est que lui et les siens lavent les chats dans la baignoire (alors que Nosaka reconnaît ne guère se laver). Entre les cloisons mises en lambeaux et le matou qui marque de son urine tout objet nouveau, cette confession ne pas vraiment enthousiasmé.
« Il se peut qu’en face, on se dise que sans les humains on ne pourrait pas vivre, mais pour ce qui nous concerne nous autres humains, je suis d’avis qu’il vaut mieux vivre en compagnie des souris, des cafards, des mouches, des moustiques, des puces, des poux et autres acariens. Je sais bien que le typhus exanthématique que nous avons connu à la sortie de la guerre était transmis par les poux ; j’ai aussi entendu dire que les tiques sont une des causes de l’atopie. Mais le typhus exanthématique, autrement dit, la prolifération brutale des poux, a sa source dans la guerre ; l’atopie, elle, est signe que le corps humain actuel manque de résistance. Une alimentation saine doit y remédier. Même chose pour les parasites. Pour quelle raison l’homme est-il le seul à rouler des mécaniques en se prétendant roi de la Création ? Je vis dans une maison dévastée par un chien et des chats. Eh bien, je crois que c’est encore du luxe. Elle est envahie de puces, sans parler des poux. Pour autant, personne ici n’est malade. »

Cette chronique est plus un carnet de notes erratiques qu’un essai ; autobiographique également, elle a cependant un tout autre ton que ses romans précédents.
« Les chats qui vivent en compagnie d’amoureux des chats ont chacun leur personnalité, leur distinction, leur allure. La façon dont ils vivent est tantôt empreinte de noblesse, tantôt enfantine, et qu’on veuille bien me pardonner si je dis qu’ils sont plus intelligents que leurs maîtres, car ils me paraissent davantage connaître le monde ; dans mon idée, ils s’en tiennent continûment, et inébranlablement, à l’existence qu’ils se sont choisie, en marge des humains. »


\Mots-clés : #autobiographie #intimiste #journal #viequotidienne
par Tristram
le Lun 25 Mar - 11:33
 
Rechercher dans: Écrivains d'Asie
Sujet: Akiyuki Nosaka
Réponses: 28
Vues: 1865

Philip Roth

Tromperie

Tag intimiste sur Des Choses à lire Trompe10

C’est le film du même titre, d’Arnaud Desplechin avec Léa Seydoux et Denis Podalydès, qui m’a amené à cette lecture. Il s’agit de dialogues (qu’on retrouve dans le film) entre « Philip » et sa maîtresse, mais aussi son épouse et quelques autres femmes (notamment de Mitteleuropa). Lors des rencontres entre les deux amants dans son studio d’écrivain à Londres, confidences, questionnements, conversations (portant notamment sur leurs couples respectifs, leur sexualité, les juifs, l’Angleterre), placent cette liaison qui semble être inscrite dans la durée au centre du roman.
Réponse à un biographe après sa mort :
« – “Il n'a pas écrit un seul de ses livres. Ils ont été écrits par toute une série de maîtresses. J'ai écrit les deux derniers et demi. Et même ces notes qu'il a ajoutées de sa main l'ont été sous ma dictée.” »

Le regard de l'amante (anglaise) sur le narrateur est prépondérant :
« – Certains hommes écoutent patiemment, cela fait partie de la séduction qui mène à la baise. C'est pourquoi en général les hommes parlent aux femmes – pour les fourrer dans leur lit. Toi tu les fourres au lit pour leur parler. Certains hommes les laissent commencer leur histoire, puis quand ils pensent leur avoir prêté suffisamment d'attention, ils plaquent doucement la bouche en mouvement sur l'érection. Olina m'a tout raconté sur toi. Elle me l'a répété une ou deux fois. Elle a dit : “Pourquoi s'obstine-t-il à poser toutes ces questions irritantes ? Du point de vue affectif, il est déplacé de poser tant de questions ? Tous les Américains font-ils ainsi ?” »

« Tu ne participes à la vie que pour entretenir la conversation. Même le sexe est en réalité marginal. Tu n'es pas poussé par ta libido – tu n'es poussé par rien. Sinon par cette curiosité puérile. Sinon par cette désarmante naïveté. Voici des gens – des femmes – qui ne vivent pas la vie comme quelque chose de matériel, mais la vivent sur le plan de l'émotion. Et pour toi, plus c'est émotif mieux ça vaut. Ce qui te plaît le plus, c'est quand, encore dans un état de choc post-traumatique, elles s'efforcent de récupérer leurs vies, comme Olina à son arrivée de Prague. Ce qui te plaît le plus, c'est quand ces femmes émotives ne parviennent pas réellement à se raconter mais luttent pour intégrer leur histoire. C'est ça que toi, tu trouves érotique. Exotique aussi. Chaque femme est une baiseuse, chaque baiseuse une Schéhérazade. Elles n'ont pas été capables d'intégrer leur histoire et, dans le fait de raconter leur histoire, il y a comme une incitation à parfaire la vie – ce qui implique beaucoup de pathétique. Bien sûr c'est émouvant : le simple flux et reflux de leur voix, ce timbre de conversation intime, pour toi c'est émouvant. Ce qui est émouvant n'est pas nécessairement dans les histoires, mais dans leur désir ardent de fabriquer les histoires. L'inachevé, le spontané, ce qui est simplement latent, voilà la réalité, tu as raison. La vie avant que le récit ne prenne le relais est la vie. Elles essaient de combler par leurs mots l'énorme gouffre entre l'acte lui-même et la “narrativisation” de l'acte. Et toi tu écoutes et te précipites pour tout mettre par écrit, puis tu le détruis par ta maudite “fictionalisation”. »

À propos du personnage et alter ego de Roth, Nathan Zuckerman, lui aussi avec son biographe :
« Ce qui l'intéresse, c'est l'affreuse ambiguïté du “je”, la façon dont un écrivain fait un mythe de sa propre personne et, notamment, pourquoi. »

Vient cette fameuse scène où il répond devant la justice de cette accusation : « Pouvez-vous expliquer à la cour pourquoi vous haïssez les femmes ? » Dans un livre paru en 1990, c’est assez prémonitoire :
« Vous êtes accusé de sexisme, de misogynie, d'insultes aux femmes, de calomnie à l'encontre des femmes, de dénigrement des femmes, de diffamation des femmes, et de séduction cruelle, délits qui tous font l'objet de peines extrêmement sévères. »

Il est notamment accusé d’avoir, professeur d'université, eu des rapports sexuels avec trois étudiantes (dont celle qu’il retrouve à l’asile, atteinte d’un cancer).
À propos de Kafka :
« Le temps qu'un romancier de talent atteigne trente-six ans, il a renoncé à traduire l'expérience en fiction – il impose sa fiction à l'expérience. »

Bribes de dialogues notées dans un carnet de notes – qui tomberait sous les yeux de sa femme, à laquelle il mentirait.
« L'une est une silhouette esquissée dans un carnet au fil de conversations, l'autre est un personnage très important empêtré dans l'intrigue d'un livre complexe. Je me suis imaginé, extérieur à mon roman, en train de vivre une aventure avec un personnage à l'intérieur de mon roman. »

« J'écris de la fiction, on me dit que c'est de l'autobiographie, j'écris de l'autobiographie, on me dit que c'est de la fiction, aussi puisque je suis tellement crétin et qu'ils sont tellement intelligents, qu'ils décident donc eux ce que c'est ou n'est pas. »

« – Écoute, je ne peux pas vivre et je ne vis pas dans un monde de retenue, pas en tant qu'écrivain, en tout cas. Je préférerais, je t'assure – la vie en serait plus facile. Mais la retenue, malheureusement, n'est pas faite pour les romanciers. Pas plus que la honte. Éprouver de la honte est automatique en moi, inéluctable, peut-être est-ce bon ; le crime grave, c'est de céder à la honte. »

« J'écris ce que j'écris de la façon dont je l'écris, et si cela devait jamais arriver, je publierais ce que je publie comme j'entends le publier, et il n'est pas question qu'à ce stade avancé je commence à me demander ce que les gens comprennent de travers ou ne comprennent pas.
– Ou comprennent bien.
– Nous parlons d'un carnet, d'une épure, d'un diagramme, et non d'êtres humains !
– Mais tu es un être humain, que cela te plaise ou non ! Et moi aussi ! Et elle aussi !
– Pas elle, non, elle n'est que des mots – j'ai beau essayer, je ne suis pas capable de baiser des mots ! »

« – Mais tu ne peux pas... Tu ne peux pas avoir ainsi simultanément une vie imaginaire et une vie réelle. Et c'était probablement la vie imaginaire que tu avais avec moi et la vie réelle que tu avais avec elle. Écoute, il est impossible de noter de cette façon tout ce que dit quelqu'un.
– Mais je le faisais. Je le fais. »

J'ai trouvé fort intéressant ce roman (et film) retors, qui ramentoit L’Homme qui aimait les femmes de François Truffaut. Provocant, malicieux, jouant avec le politiquement correct et la morale, cette sorte d’antiroman brouille un peu plus encore les rapports entre confidence autobiographique et fiction dans un éblouissant, fallacieux jeu de miroirs.

\Mots-clés : #autobiographie #autofiction #ecriture #entretiens #intimiste #relationdecouple #sexualité
par Tristram
le Mer 28 Fév - 10:22
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Philip Roth
Réponses: 111
Vues: 11782

Jean-Jacques Rousseau

Les Rêveries du promeneur solitaire

Tag intimiste sur Des Choses à lire Les_rz11

J’ai retrouvé après un demi-siècle ces lamentations autocentrées, déjà romantiques dans leur hypersensibilité et leur solitude élitiste, larmoiements égotistes et même paranos qui m’avaient agacé, comme dans ce suffisant jugement :
« Je fais la même entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il n'écrivait ses Essais que pour les autres, et je n'écris mes rêveries que pour moi. »

Mais il est vrai que ce n’est pas Rousseau lui-même qui a publié ce recueil (inachevé) de dix promenades, conçu dans la prolongation des Confessions. J’ai donc fait l’effort d’en reprendre la lecture, et d’ailleurs la prose est belle et sensible.
« Mon imagination déjà moins vive ne s'enflamme plus comme autrefois à la contemplation de l'objet qui l'anime, je m'enivre moins du délire de la rêverie ; il y a plus de réminiscence que de création dans ce qu'elle produit désormais, un tiède alanguissement énerve toutes mes facultés, l'esprit de vie s'éteint en moi par degrés ; mon âme ne s'élance plus qu'avec peine hors de sa caduque enveloppe, et sans l'espérance de l'état auquel j'aspire parce que je m'y sens avoir droit, je n'existerais plus que par des souvenirs. »

Il n’en reste pas moins que demeurent en travers de la gorge des propos tels que :
« Après les recherches les plus ardentes et les plus sincères qui jamais peut-être aient été faites par aucun mortel, je [… »

« Je me refuse ainsi à toutes nouvelles idées comme à des erreurs funestes qui n'ont qu'une fausse apparence et ne sont bonnes qu'à troubler mon repos. »

« …] car j'ai très peu fait de bien, je l'avoue, mais pour du mal, il n'en est entré dans ma volonté de ma vie, et je doute qu'il y ait aucun homme au monde qui en ait réellement moins fait que moi. »

La Quatrième promenade présente des arguties captieuses sur ses mensonges, au nom de la morale qui lui serait naturelle ; mieux, il ne tolère que la fiction qui a une finalité morale.
« Il suit de toutes ces réflexions que la profession de véracité que je me suis faite a plus son fondement sur des sentiments de droiture et d'équité que sur la réalité des choses, et que j'ai plus suivi dans la pratique les directions morales de ma conscience que les notions abstraites du vrai et du faux. »

Dans la Cinquième promenade, Rousseau avoue qu’il serait demeuré avec plaisir dans « l'île de Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne », seul (avec du personnel), herborisant et se promenant oisivement.
Quelque chose qui semble participer de la misanthropie et de la mise à distance dédaigneuse teinte souvent cette autocritique un peu partisane.
« Le résultat que je puis tirer de toutes ces réflexions est que je n'ai jamais été vraiment propre à la société civile où tout est gêne, obligation, devoir, et que mon naturel indépendant me rendit toujours incapable des assujettissements nécessaires à qui veut vivre avec les hommes. »

Dans le Septième promenade, après la société des hommes, ce sont la géologie, la zoologie, l’astronomie qu’il dénigre, et ne lui reste que la botanique pour jouir de la nature où il fuit la société humaine : encore une autojustification oiseuse.
« Je sens des extases, des ravissements inexprimables à me fondre pour ainsi dire dans le système des êtres, à m'identifier avec la nature entière. Tant que les hommes furent mes frères, je me faisais des projets de félicité terrestre ; ces projets étant toujours relatifs au tout, je ne pouvais être heureux que de la félicité publique, et jamais l'idée d'un bonheur particulier n'a touché mon cœur que quand j'ai vu mes frères ne chercher le leur que dans ma misère. Alors pour ne les pas haïr il a bien fallu les fuir ; alors me réfugiant chez la mère commune j'ai cherché dans ses bras à me soustraire aux atteintes de ses enfants, je suis devenu solitaire, ou, comme ils disent, insociable et misanthrope, parce que la plus sauvage solitude me paraît préférable à la société des méchants, qui ne se nourrit que de trahisons et de haine. »

Dans la Huitième promenade, le dépressif et autosatisfait Rousseau se révèle aussi précurseur du complotisme.
« Moi qui me sentais digne d'amour et d'estime, moi qui me croyais honoré, chéri comme je méritais de l'être, je me vis travesti tout d'un coup en un monstre affreux tel qu'il n'en exista jamais. Je vois toute une génération se précipiter tout entière dans cette étrange opinion, sans explication, sans doute, sans honte, et sans que je puisse au moins parvenir à savoir jamais la cause de cette étrange révolution. Je me débattis avec violence et ne fis que mieux m'enlacer. Je voulus forcer mes persécuteurs à s'expliquer avec moi ; ils n'avaient garde. Après m'être longtemps tourmenté sans succès, il fallut bien prendre haleine. Cependant j'espérais toujours ; je me disais : un aveuglement si stupide, une si absurde prévention, ne saurait gagner tout le genre humain. Il y a des hommes de sens qui ne partagent pas ce délire ; il y a des âmes justes qui détestent la fourberie et les traîtres. Cherchons, je trouverai peut-être enfin un homme ; si je le trouve, ils sont confondus. J'ai cherché vainement, je ne l'ai point trouvé. La ligue est universelle, sans exception, sans retour, et je suis sûr d'achever mes jours dans cette affreuse proscription, sans jamais en pénétrer le mystère. »

La parade psychique est soigneusement décrite : il se tourne alors vers l’« amour de moi-même » (et non plus l’amour-propre) : sa propre estime, inaltérable, contre l’opinion des autres. Il vit dans le présent, dans l’oubli, dans "son" monde.

Neuvième promenade : Rousseau est persécuté ; en voici la cause bénigne :
« Je comprends que le reproche d'avoir mis mes enfants aux Enfants-Trouvés a facilement dégénéré, avec un peu de tournure, en celui d'être un père dénaturé et de haïr les enfants. Cependant il est sûr que c'est la crainte d'une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par toute autre voie, qui m'a le plus déterminé dans cette démarche. »

Dans cette introspection d'un individualisme novateur en littérature, je n'ai pas su démêler tout l'apport philosophique, d'ailleurs gêné par une religiosité foncière.

\Mots-clés : #autobiographie #intimiste #philosophique #psychologique #solitude #vieillesse
par Tristram
le Lun 22 Jan - 11:12
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Jean-Jacques Rousseau
Réponses: 47
Vues: 2092

Annie Ernaux

Les armoires vides

Tag intimiste sur Des Choses à lire Les_ar10

Denise, « Ninise » Lesur, jeune étudiante, subit un avortement clandestin, et évoque son enfance. Une enfance dans un milieu méprisé (a posteriori), en fait assez heureux (parents faisant « tout » pour elle, chère abondante – c’est l’après-guerre), modeste mais relativement privilégié (commerçants) : la misère est en réalité autour (avec notamment l’alcoolisme), même si on baigne dedans (d’autant plus avec la promiscuité).
« Malheurs lointains qui ne m'arriveront jamais parce qu'il y a des gens qui sont faits pour, à qui il vient des maladies, qui achètent pour cinquante francs de pâté seulement, et ma mère en retire, elle a forcé, des vieux qui ont, a, b, c, d, la chandelle au bout du nez en hiver et des croquenots mal fermés. Ce n'est pas leur faute. La nôtre non plus. C'est comme ça, j'étais heureuse. »

Puis l’autre monde, celui de l’école (libre) ; humiliation sociale, et culpabilité (le péché) insinuée par l’aumônier à la « vicieuse » avec son « quat'sous » (son sexe, avec connotation de peu de valeur) ; puis revanche de première de la classe. Et la lecture.
« Ces mots me fascinent, je veux les attraper, les mettre sur moi, dans mon écriture. Je me les appropriais et en même temps, c'était comme si je m'appropriais toutes les choses dont parlaient les livres. Mes rédactions inventaient une Denise Lesur qui voyageait dans toute la France – je n'avais pas été plus loin que Rouen et Le Havre –, qui portait des robes d'organdi, des gants de filoselle, des écharpes mousseuses, parce que j'avais lu tous ces mots. Ce n'était plus pour fermer la gueule des filles que je racontais ces histoires, c'était pour vivre dans un monde plus beau, plus pur, plus riche que le mien. Tout entier en mots. Je les aime les mots des livres, je les apprends tous. »

« Pour moi, l'auteur n'existait pas, il ne faisait que transcrire la vie de personnages réels. J'avais la tête remplie d'une foule de gens libres, riches et heureux ou bien d'une misère noire, superbe, pas de parents, des haillons, des croûtes de pain, pas de milieu. Le rêve, être une autre fille. »

Rejet du moche, du sale, du café-épicerie de la rue Clopart, honte haineuse d’une inculture (pourtant compréhensible), envie aussi de la vie des autres jeunes, de la liberté : l’adolescente veut "s’en sortir".
Premières menstrues, « chasse aux garçons », découverte du plaisir ; avec quand même la crainte confuse de mal tourner, comme redoutent les parents (qui triment pour lui permettre de poursuivre ses études).
« Dans l'ordre, si tout y avait été, une maison accueillante, de la propreté, si je m'étais plu avec eux, chez eux, oui, ce serait peut-être rentré dans l'ordre. »

Dix-sept ans, l’Algérie et mai 68 en toile de fond, et ce besoin (à la fois légitime et choquant) d’être supérieur à sa condition d’origine.
« J'inscris des passages sur un petit carnet réservé, secret. Découvrir que je pense comme ces écrivains, que je sens comme eux, et voir en même temps que les propos de mes parents, c'est de la moralité de vendeuse à l'ardoise, des vieilles conneries séchées. »

« Mais la fête de l'esprit, pour moi, ce n'est pas de découvrir, c'est de sentir que je grimpe encore, que je suis supérieure aux autres, aux paumés, aux connasses des villas sur les hauteurs qui apprennent le cours et ne savent que le dégueuler. »

Étudiante enfin, puis c’est la « dé-fête », elle est enceinte, et avorte clandestinement.
« J'ai été coupée en deux, c'est ça, mes parents, ma famille d'ouvriers agricoles, de manœuvres, et l'école, les bouquins, les Bornin. Le cul entre deux chaises, ça pousse à la haine, il fallait bien choisir. »

Contrairement à ce qui est parfois prétendu, Ernaux a "un style".
« Ça me fait un peu peur, ça saignera, un petit fût de sang, lie bleue, c'est mon père qui purge les barriques et en sort de grandes peaux molles au bout de l'immense rince-bouteilles chevelu. Que je sois récurée de fond en comble, décrochée de tout ce qui m'empêche d'avancer, l'écrabouillage enfin. Malheureuse tout de même, qui est-il, qui est-il... Mou, infiniment mou et lisse. Pas de sang, une très fine brûlure, une saccade qui s'enfonce, ce cercle, ce cerceau d'enfant, ronds de plaisir, tout au fond... Traversée pour la première fois, écartelée entre les sièges de la bagnole. Le cerceau roule, s'élargit, trop tendu, trop sec. La mouillure enfin, à hurler de délivrance, et macérer doucement, crevée, du sang, de l'eau. »

« Le goût de viande crue m'imbibe, les têtes autour de moi se décomposent, tout ce que je vois se transforme en mangeaille, le palais de dame Tartine à l'envers, tout faisande, et moi je suis une poche d'eau de vaisselle, ça sort, ça brouille tout. Le restau en pleine canicule, les filles sont vertes, je mange des choses immondes et molles, mon triomphe est en train de tourner. Et je croyais qu'il s'agissait d'une crise de foie. Couchée sur mon lit, à la Cité, je m'enfilais de grands verres d'hépatoum tout miroitants, une mare sous des ombrages, à peine au bord des lèvres, ça se changeait en égout saumâtre. La bière se dénature, je rêve de saucisson moelleux, de fraises écarlates. Quand j'ai fini d'engloutir le cervelas à l'ail dont j'avais une envie douloureuse, l'eau sale remonte aussitôt, même pas trois secondes de plaisir. J'ai fini par faire un rapprochement avec les serviettes blanches. Une sorte d'empoisonnement. »

Et pour une écriture "blanche" (certes peu métaphorique), j’ai découvert plusieurs mots nouveaux pour moi : décarpillage, cocoler, polard, pouque et mucre (il est vrai cauchois), etc. ; curieusement (pourtant dans l’œuvre d’une écrivaine nobelisée !), je n’ai pas trouvé en ligne la définition de "creback", apparemment une pâtisserie, ni « troume » (peur vraisemblablement).
Dès ce premier roman, Ernaux parvient, avec l'originalité de son écriture, à nous transmettre une expérience commune. C'est peut-être ça qui explique l'oppression ressentie à cette lecture, comme signalée par Chrysta : Ernaux n'est pas une auteure d'évasion, c'est tout le contraire, on est sans cesse durement ramené à la triste réalité.

\Mots-clés : #autobiographie #conditionfeminine #contemporain #enfance #identite #intimiste #Jeunesse #Misère #relationenfantparent #sexualité #social #temoignage #xxesiecle
par Tristram
le Ven 28 Oct - 11:23
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Annie Ernaux
Réponses: 136
Vues: 12206

Paul Léautaud

Le petit ami

Tag intimiste sur Des Choses à lire Le_pet10

Léautaud se propose, dès le commencement de son premier roman et en référence aux Souvenirs d’égotisme de Stendhal (dont il était féru), d’évoquer ses souvenirs d’enfance et de sa mère disparue, qu’il retrouve un peu chez ses petites amies dans son Paris natal.
« Moi qui pourtant me regarde sans cesse agir et rêver, jamais je n’avais encore autant pensé à moi. »

« Presque chaque soir je partais pour aller retrouver mes amies et me préparer auprès d’elles à écrire ce livre. »

Très tôt, il est attiré par les femmes, notamment les prostituées, et le voilà, vers la trentaine, passant ses soirées à la Belle Époque (celle notamment de Toulouse-Lautrec), surtout aux Folies-Bergère, avec lesdites lorettes ou cocottes − femmes légères, de plaisir, complaisantes, frivoles et/ou volages, s’il est possible de faire abstraction de la connotation péjorative de ces expressions, à prendre à la lettre en admettant qu’une femme puisse être libre de disposer de son corps.
« Pas besoin, avec elles, de faire des phrases. Un coup d’œil significatif, un court colloque, et l’on va s’aimer. »

« Il lui suffit de se prêter, de créer du bonheur, de laisser jouir de sa beauté, de ses gestes bienfaisants apportant à plaire et à satisfaire des soins toujours neufs et, ce qui est inestimable, une impudeur à peine obscène. »

« Ce n’était pas de l’amour que je venais demander à ces femmes. Mes projets de littérature me fatiguaient bien assez. C’était de la grâce, de la douceur, quelque chose qui relevât la fadeur de mes journées, passées à des besognes, parmi des gens sans tendresse. »

Il se présente lui-même comme un personnage otieux, nonchalant et sensible (voire romanesque), las de la littérature où il besogne peu à ses ambitions ; mais surtout il peint ce milieu à la fois brillant, languide et frénétique, et plus encore ses amies, avec tendresse et sincérité, et même un ton trompeusement badin, une ironie à peine perceptible (cf. la mort de la Perruche à l’hôpital). Puis Léautaud narre son ardente passion, assez équivoque, pour sa mère qu’il retrouve momentanément.
« Avoir grandi seul, élevé par des mains étrangères… M’être tant promis de la séduire, pendant tant d’années, si jamais je la retrouvais… »

Léautaud termine en résumant sa méthode d’écriture.
« Je parle de ce travail, le seul vrai, qui consiste à ne rien faire, à penser seulement à ce que l’on veut faire, à le distribuer en soi, à le voir en soi, par fragments et en entier, etc. »


\Mots-clés : #autobiographie #creationartistique #intimiste #jeunesse #nostalgie #temoignage #xxesiecle
par Tristram
le Ven 29 Juil - 12:04
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Paul Léautaud
Réponses: 9
Vues: 425

Gunnar Gunnarsson

Merci Bix ! Tu as si joliment présenté cet ouvrage, qu'ajouter ?

À noter une singularité, qui est qu'avec Gunnarsson on arrive à...plusieurs "titres originaux".
En effet, il a composé toute son œuvre en Danois, étant parti à dix-huit ans, petit paysan de l'Est de l'Islande, étudier "à la capitale", Copenhague (l'Islande faisait alors partie du Royaume du Danemark), avec, déjà, la volonté de devenir écrivain, mais devant se coltiner avec une langue qu'il maîtrisait mal: il sait lire le Danois, très peu le parler, encore moins l'écrire.
Ça changea ensuite, puisque dès les années 1920 il devint un des écrivains-phares de la littérature en langue danoise.

Puis, sur ses vieux jours, Gunnarsson a entrepris de traduire lui-même en Islandais son œuvre (laquelle avait déjà été presque en totalité traduite déjà, y compris par des "pointures", tel le futur Nobel de littérature Halldór Laxness).

Cas particulier, Le Berger de l'Avent résultait d'une commande venue d'Allemagne (pays de première publication, en langue allemande donc) après une première nouvelle, inspirée de faits réels qui se sont déroulés en 1925: un berger, Benedikt Sigurjónsson, a la tête d'un groupe d'hommes, a affronté l'hiver islandais pour aller chercher des bêtes égarées, et en est revenu vivant...  

Ces précisions, parmi tant d'autres, dans la riche postface de Jón Kalman Stefánsson.
__________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________



Le Berger de l'Avent

Tag intimiste sur Des Choses à lire Le_ber10
Nouvelle, 1936 en allemand. Titre original danois (1937): Advent. Titre original islandais (1939): Aðventa.


Beaucoup de profondeur dans une limpide sobriété !
C'est magnifique, pour tous âges et vite lu, lumineux de simplicité bien qu'aux antipodes de la mièvrerie.

Donc un trio, à la tête l'homme, Benedikt, et deux animaux, qui ne sont pas seulement des aides. Il s'agit d'un couplage de forces en trident, en quelque sorte. Par facétie, Gunnarsson le nomme "la sainte Trinité".
Un bien beau bref passage, à l'économie de mots:
Depuis des années, tous les trois étaient inséparables. Et cette connaissance profonde qui ne s'établit qu'entre espèces éloignées, ils l'avaient acquise les uns des autres. Jamais ils ne se portaient ombrage. Aucune envie, aucun désir ne venait s'immiscer entre eux.


Benedikt, "homme simple, homme de peine", 54 ans, 27ème voyage, comme un anniversaire...qui ne se fâche pas quand d'autres (la fermière de Botn, Sigridur) lui exposent qu'en fait d'autres guettent sa venue, pour qu'il se mette, lui, à prendre tous les risques pour retrouver leur bétail égaré dans la montagne hivernale en furie.
Oui, mais il y a ces bêtes en perdition, alors... ce berger, c'est la bonté auto-missionnée, qui trace droit au-dessus des petitesses et de la mesquinerie des intérêts.

Benedikt parle peu et juste, ne boit pas d'alcool, ne joue pas aux cartes.

Quant aux descriptions d'ordre météorologique et montagnard, elles sont remarquables, sonnent singulièrement réalistes et fouillées: souvenirs d'enfance du petit Gunnar, histoires de veillées dans l'Est islandais ?

Comme il y a union quasi fusionnelle entre l'homme, le bélier et le chien, il y a, dans le rapport au terrain enneigé et montagneux et les éléments (déchaînés, parfois), quand même pas une osmose, mais pas une lutte, en tous cas.
Du savoir et de la volonté, ceux d'un berger et de deux animaux, naît une compréhension/appréhension de la réalité, laquelle est inhumaine ou surhumaine, et une adaption à ce contexte-ci avec ces moyens-là, dérisoires à ce qu'il nous paraît, alors que quasi tout le monde périrait.
Benedikt et ses compagnons à quatre pattes, eux, avancent.
Vont de trous en refuges.
Ont le flair, ou l'expérience, pour savoir où le bétail a pu se remiser.
Benedikt est le berger de l'Aventure, au sens étymologique "ce qui doit arriver, se produire" autrement dit ad-venir.

Parmi les rares personnages secondaires, il y a un Benedikt, un jeune. On imagine un flambeau qui se transmet...

\Mots-clés : #aventure #intimiste #ruralité #solidarite #solitude #voyage
par Aventin
le Jeu 17 Déc - 17:57
 
Rechercher dans: Écrivains de Scandinavie
Sujet: Gunnar Gunnarsson
Réponses: 15
Vues: 3653

Francis Jammes

Clara d'Ellébeuse


Tag intimiste sur Des Choses à lire Clara_12
Nouvelle, 1899.

Un charme distingué, suranné, coule de ces pages, peut-être déjà volontairement désuètes à la date de parution - je m'avance sans doute un peu - mais, comme Jammes avait choisi que l'action se déroulât un demi-siècle plus tôt, en toute subjectivité j'y vois un indice: il ne voulait pas faire du "1900".

Beaucoup de charme donc dans cette tragique nouvelle.
Son déroulé s'effectue dans une campagne béarnaise paradisiaque, à l'intérieur d'un milieu haut-du-pavé, bourgeois aisé ou bien noble.
Quitte à me fourvoyer j'y vois aussi un clin d'œil de Jammes à l'un des grands maîtres de la peinture provinciale de ce milieu-là, ces années-là: Balzac.

Comment une jeune fille éclatante, seize ans, belle, fortunée, douce, aimable, pure, remarquable en bien des points arrive à sombrer pour avoir découvert des bribes d'un secret de famille, pas nécessairement hautement honteux, du reste, loin de là.

Avec en contrepoint les carcans - les conventions, l'entre-soi ne favorisant pas l'ouverture au monde, l'ignorance dans laquelle on tenait sciemment les jeunes filles, aussi la mésinterprétation des Évangiles et des commandements bibliques en général (là aussi, avec une part orientée, voulue, qui accuse le Siècle).

Jammes nous délivre une bien belle peinture légère, enlevée, s'en donne à cœur-joie dès qu'une occasion d'évoquer les jardins, les intérieurs, les animaux, les tenues vestimentaires se présente - jusqu'à la mièvrerie, quand il la suggère, est équivoque et raffinée.
Bref ça me transporte à chaque fois, j'ai beau m'y attendre !

Allez, vous prendrez bien un petit échantillon:
Chapitre IV a écrit:Dans l’ombre fraîche et grise de l’aube, les contours sont durs et noirs. On découple bientôt les chiens qui reniflent et rampent sur un chaume. L’un d’eux s’attarde. Un autre tourne sur lui-même. Tous épandent une odeur caséeuse. Quelques-uns trottent vite, bassets torses, griffons moustachus et braques dégingandés.

Tout à coup un long appel jaillit d’une gorge. Immobile, le cou tendu, le corps raidi, les yeux vagues, un chien hurle puis se tait une seconde. Et, de nouveau, il sonne. C’est un gémissement long qui tremble dans l’air matinal, l’ébranle de la plaine aux coteaux. Ses compagnons accourent à lui. Il crie toujours, le mufle haut et froncé, remuant la queue, les oreilles dressées et ridées. Puis tous, presque en même temps, se mettent à donner. Un jappe. Ceux-ci ont deux notes prolongées : haute puis basse, et ceux-là jouent du tambour de leur gosier. Et là-bas, pendant les silences, répond la meute de l’écho.


Et même un petit deuxième, vous allez voir, c'est tout léger, un zéphyr d'encre sur page, ça ne pèse pas !
Chapitre II a écrit:Clara attend que le jardinier ait fini de bâter le petit âne. C’est fait. Elle cueille une gaule verte et, d’un banc de pierre, saute sur la bête qu’elle dirige vers la grille. Elle prend le sentier des bois de Noarrieu. Les gouttes glacées des néfliers pleuvent sur elle. L’âne trotte. Elle est toute secouée et, de temps en temps, retient son large chapeau de paille prêt à tomber. La voici sur la lisière moussue où veillent les colchiques. Dans les haies brillent des toiles d’araignées. On entend le gloussement des ruisseaux encore gorgés de l’orage nocturne. Des pies jacassent, un geai crie.

Mais, au milieu des bois, c’est un silence que rien ne trouble, à peine le bruissement des hautes fougères froissées par les flancs du petit âne ; c’est un recueillement de fraîcheur qui va durer là jusqu’au soir, même aux heures torrides où les maïs crépitent. Au pied d’un châtaignier, sur une éclaircie de lumière et d’émeraude, il y a des gentianes. Leurs cloches sombrement bleues tentent Clara d’Ellébeuse qui arrête sa monture, en descend, et les cueille pour les allier aux reines-marguerites et aux narcisses de son chapeau des champs, orné de rubans blancs à filets paille.
 
Elle s’assied auprès de l’arbre et, tressant les fleurs, songe avec tristesse à la fin des vacances, à la rentrée, à la grande cour des récréations d’octobre où les feuilles dures des platanes sont agitées par le vent aigre et froid.


Mots-clés : #culpabilité #intimiste #jeunesse #mort #ruralité #solitude #xixesiecle
par Aventin
le Ven 10 Avr - 17:02
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Francis Jammes
Réponses: 22
Vues: 2509

Pierre Jourde

Pays perdu

Tag intimiste sur Des Choses à lire Jourde10



Vous le savez peut-être, l'homme Pierre Jourde m'est assez antipathique. Mais je ne m'interdis jamais de lire ni d'aimer l'œuvre d'un écrivain dont la personnalité me rebute. Je ne profite donc pas de ce compte-rendu pour faire son procès, car son livre m'a déplu pour des raisons extérieures à ce qui me déplaît habituellement chez lui et dans ses articles de blog. Par ailleurs, je me suis forcé de ne pas lire ton commentaire, @Nadine. Je le lirai dès que j'aurai terminé le mien (et j'ai hâte !)

***
                                                                                         
Dans le village déshérité où vit encore une partie de la famille du narrateur, un enterrement a lieu. Cet enterrement est le fil rouge du roman, autour duquel s'entrecroisent les portraits des habitants de ce "pays perdu". Le narrateur, à travers et par-delà ces portraits, engage une réflexion sur la mémoire, sur le deuil et sur l'impermanence des choses.

Dans l'incipit, le narrateur retrace l'itinéraire de la ville jusqu'au "pays perdu", qu'il suivait avec son père lorsqu'ils allaient visiter leur famille. Cet itinéraire du cœur du monde à ses confins, paradoxalement brouillé par la précision des explications géographiques, nous fait mesurer l'isolement de ce "pays". Ceci entendu, cette énumération nécessairement longue et répétitive des routes, des villages, des crevasses, des montagnes, des rocs, des steppes brûlées, du ciel "comme une mer", matérialisant le gouffre spatial et temporel entre le "pays perdu" et le monde civilisé, à cause de sa longueur même, se devrait d'être sinon un manifeste esthétique, du moins une démonstration de style, sous peine d'être pur excédent et véritable pensum.

Or, d'entrée de jeu et tout le long du roman, c'est précisément le style qui pèche.

Sa phrase est encombrée de détails terre-à-terre censés produire un effet de réel, mais qui ne font guère illusion : ces détails, simples notations dépourvues de tout traitement littéraire et qui me semblent par ailleurs tout à fait accidentelles, se résument à un vain remplissage. Entre plusieurs artifices, Jourde a fréquemment recours à un vocabulaire excessif et tonitruant, qu'il semble confondre avec l'éloquence et la force d'évocation; afin de donner vigueur et mouvement à ses descriptions, il prête vie aux paysages et aux objets d'une façon maladroite et inefficace. Enfin, son texte juxtapose bien souvent un vocabulaire vulgaire jugé celui d'un campagnard et le lexique choisi d'un spécialiste (manifestations qu'on peut également observer à l'échelle de la syntaxe) : je suppose qu'il s'agit d'un choix conscient, non entièrement dénué d'humour, mais qui n'en est pas moins agaçant.
Je trouve par exemple cette phrase assez drôle, mais ça ne vient pas sans un léger malaise : quel regard du narrateur est-ce que cela traduit, au-delà de l'effet comique ?
Il est arrivé que Gustave, la bouche pleine de potage, puant la vinasse et la sueur, projette dans mon assiette, scories d'une éruption spasmodique de mots, quelques fragments de vermicelle.

Sans développer outre-mesure, je suis encore stupéfié par le passage consacré à la typologie des bouses de vache, dont topocl a déjà parlé. Je pense ne jamais avoir rien lu de plus vulgaire, mais j'avoue que je me suis bien amusé.

En somme, l'écriture de Jourde est une écriture inopérante : ce n'est pas le roman qui se regarde fonctionner, c'est l'auteur qui se regarde écrire. Et c'est regrettable, car ses portraits auraient pu m'intéresser. À leur tonalité on sent qu'ils se voudraient intimes, empathiques, et cependant sans concessions. Je les trouve sans chaleur car Jourde ne parvient jamais à faire oublier sa présence : c'est à peine si je vois rien d'autre que la page du livre que je suis en train de lire. Trop souvent, il sacrifie à la belle formulation et au trait d'esprit la justesse de ses peintures.
Avec sa casquette, sa veste de grosse toile bleue et ses moustaches, c'est l'effigie du paysan en visite. Le travail de soixante années tombe sur cette silhouette neutralisée et la rive au sol.

Dans la robe blanche qui peine à faire le tour de sa carrure puissante, la couronne des épousées sur le crâne, elle figurerait aussi bien, avec le même naturel, sur la photographie d'un mariage à Oulan-Bator dans les années quarante.


On trouve tout de même, çà et là, de courtes réflexions sur la douleur et sur le deuil qui m'ont paru plutôt justes.
À présent je ne viens plus toucher la tombe pour sentir sa peau, mais pour tenter de me remémorer une sensation morte. C'est à la sensation que je songe, et non à lui. Alors je me reproche ce geste vide. Je m'en veux de cette sentimentalité sans contenu, qui blasphème une piété disparue, réduite à des rites. Mais peut-on s'en vouloir d'accomplir les rites sans recevoir la visite du dieu ? Qu'il faille avoir honte de son absence signifierait que la douleur est honorable. La douleur n'a rien d'honorable. L'idée même est déplaisante, comme si l'on pouvait tirer quelque rétribution de cela. Ni la souffrance, ni l'absence de souffrance ne peuvent se vivre sans culpabilité. Il faudrait apprendre à ne plus s'en vouloir.


Quant à l'agression qu'il a subie après la parution de ce texte, je n'en vois pas le motif. Ce livre n'a pourtant rien d'une insulte…


Mots-clés : #intimiste #mort #nature #ruralité #social #solitude
par Quasimodo
le Jeu 31 Oct - 20:11
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Pierre Jourde
Réponses: 161
Vues: 10137

Christine Montalbetti

Trouville Casino  

Tag intimiste sur Des Choses à lire 41r6x210

Un fait divers à Trouville en 2011 : un septuagénaire ordinaire braque le casino et s’enfuit dans une folle cavale, bravant les flics pendant plus de trois heures.

Christine Montalbetti s’empare de ce fait divers à sa façon. An, non ! Elle ne va pas fouiller et décortiquer les archives judiciaires et la presse ! Elle le fait à sa façon bien à elle, vagabonde, malicieuse et débonnaire à la fois. Guidée par les lieux et les paysages, par son imaginaire buissonnier et bienveillant. En s’immisçant comme toujours, écrivaine écrivant dans le récit, s’adressant tant à son héros qu’au lecteur lisant.

Et si les faits minutés semblent guider la trame, ce sont les  digressions (parties d’une situation, d’un souvenir, d’un mot)  qui mènent la promenade, singularisent cet homme  qui chamboule d’un coup de tête  sa vie confortablement ennuyeuse, pour un roman qui n’appartient qu’à elle, plein de surprises, d’humour et de douceur.


Mots-clés : #faitdivers #intimiste
par topocl
le Sam 17 Aoû - 16:31
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Christine Montalbetti
Réponses: 37
Vues: 1816

André Hardellet

Le parc des archers
Suivi de Lady Long Solo

Tag intimiste sur Des Choses à lire Parc_d10

- Le parc des archers: roman, 1962, 215 pages environ.
- Lady Long Solo: nouvelle, 1971, 35 pages environ.
__________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Le parc des archers













Roman écrit au "je", et ce "je" se prénomme André et est écrivain de profession, donc le héros-narrateur n'est pas même masqué !
Idem, au reste, en ce qui concerne les noms propres utilisés (Vincerennes pour Vincennes, Saint-Macloud pour Saint-Cloud, etc...- seul Cortezzo, sur la riviera italienne à ce qu'il semble, m'échappe et semble une contraction de Cortina d'Ampezzo, qui n'a...rien à voir).


Au retour "d'un long voyage à l'étranger" André Miller, écrivain, se fait alpaguer dans le bois de Vincerennes par des membres des forces de l'ordre au bord d'un étang où il souhaitait retrouver un moment de son enfance. S'ensuit une plongée critique dans un monde en devenir ("La Gale") à la fois déshumanisé, policier, et attentant au moindre petit plaisir de l'existence.

Une soirée mondaine permet la rencontre avec deux personnages principaux, Frank Blake et Florence van Acker; caractères très fouillés qu'Hardellet dévoile peu à peu au fur et à mesure du déroulement du livre.  

Le peintre "Stève" Masson, personnage qui semble un peu fil-rouge chez Hardellet (il est le héros principal du Seuil du jardin, et c'est sous ce pseudo qu'Hardellet fit paraître Lourdes, lentes), fait quelques apparitions dans ce roman (il est devenu aliéné, sous camisole chimique et traitements).


Du mélange couple - insurrection - amitié - combats de rue - monde totalitaire sortent bien des péripéties, qu'on évitera de narrer ici. Roman attrayant, fort bien mené, même si c'est presque dans les séquences un peu digressives que je trouve que le bonheur de lire Hardellet atteint son summum.

Je regrette, certes avec mon regard d'occidental de 2019, le traitement de l'homosexualité - même si bien sûr les propos tenus par André Miller doivent être ramenés à l'époque d'écriture, etc... Et puis cela permet de se remémorer le chemin parcouru depuis ce temps-là, quand même pas si éloigné.

Jeter un coup d'œil aux actualités de 1962 et années précédentes pour essayer de trouver des correspondances entre cette fiction et ce temps-là n'a rien donné (peut-être n'ai-je pas bien cherché ?) - je pense qu'il est impossible de voir dans ces lignes-là une évocation ou une allégorie des guerres d'Indochine et d'Algérie, par exemple. De même une référence à l'occupation nazie ne fonctionne pas: je pense qu'Hardellet a vraiment tenté de signifier un avertissement au générations futures, dont la nôtre.

Chapitre XII La Section psychologique a écrit:"Vous êtes un petit joueur de banlieue, et c'est pour vous le démontrer que nous vous avons prié de venir faire un tour à la D.S. Vos amis politiques, eux, ont un programme et des buts définis, une organisation qui les soutient, vous, vous enfourchez des nuages. Ils vous utilisent provisoirement à cause de votre talent. Le romantisme est mort depuis pas mal d'années, monsieur Miller.
- Est-ce pour m'en faire part que vous m'avez prié de vous rendre visite ?"
Il haussa les épaules; il suait un mépris écrasant dans toute sa personne.  
"Vous ne vous nommez pas André Miller mais Durand et vous exercez l'emploi de comptable dans une compagnie d'assurances. Vous sortez d'une clinique psychiatrique où l'on vous a traité pendant six mois pour troubles mentaux. Votre état civil, votre profession, votre passé, c'est nous qui en disposons, qui vous les attribuons comme il nous plaît. Des témoignages, nous en produirons autant qu'il le faudra. [...]"  
 


La séquence du Parc des Archers proprement dite (c'est le titre de l'un des chapitres en plus d'être le titre de l'ouvrage), très chargée en onirisme, en symbolique, est un pur régal "hors tout". En prime, un érotisme léger, suggéré, flotte sur l'ensemble du livre.

  

Mots-clés : #erotisme #insurrection #intimiste #jalousie #politique

__________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Lady Long Solo







En voici l'entame:
Je revenais d'une banlieue spongieuse où Fulcanelli m'avait donné rendez-vous.
À la station, j'attendis en vain le car qui devait me ramener à Paris et que j'avais pris plusieurs fois auparavant; je voulus me renseigner dans un café distant de quelques centaines de mètres, mais il était fermé.
Plus d'une heure s'écoula ainsi, puis survint un très vieux taxi, semblable à ceux de la Marne, et je fis signe au chauffeur dont l'aspect s'accordait à l'antique guimbarde "À Paris, lui dis-je, Place de la Concorde. - Je sais", me répondit-il.  


Nouvelle un peu fantastique, un peu libidineuse, assez onirique. Hardellet semble y reprendre le pseudonyme de "Stève" (Masson). Il y a un autre rappel aux thématiques du Seuil du jardin (voir plus haut): les images emmagasinées, donnant la possibilité à des scènes de se revivre, ou de se vivre fictivement. Et qui se couple à la fuite du temps...



Fats Waller, avec, évoqué comme "titre préféré" I've got to write myself a letter - bon, c'est I'm gonna sit right down and write myself a letter le vrai titre, on ne va pas chipoter !




Mots-clés : #contemythe #erotisme #intimiste #reve
par Aventin
le Mer 3 Juil - 15:29
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: André Hardellet
Réponses: 23
Vues: 3192

Isabelle Desesquelles

Les hommes meurent, les femmes vieillissent :

Tag intimiste sur Des Choses à lire Les_ho10

Pour raconter l'histoire d'une existence, la vie qui s'étire, on peut choisir de parler d'une rencontre, d'un couple qui se forme, de la famille qui se crée, du temps qui passe...Ou alors, on fait parler des femmes, membres d'une même famille qui sont toutes liées par une esthéticienne qui s'occupe d'eux, un peu différemment de ce qu'on imaginerait : pour les écouter et leur donner le droit d'être à l'écoute d'eux mêmes.

Les mains d'Alice donnent l'oubli à ceux qu'elles touchent.


Se dessinent alors des portraits de tous les âges : de la petite Judith qui vient de naître à Jeanne la mamie que tout le monde aime. Toutes ont dans leurs pensées Eve qui s'est suicidée et dont l'absence , finalement, crée un besoin de présence.

On meurt mais on continue à tenir les rênes de la mémoire de ceux qui nous ont aimées.

Ces femmes nous racontent leurs vies, leurs sentiments, le temps qui passe, et une intimité que jamais l'écriture ne rend déplacée.

C'est parfois drôle, souvent mélancolique, et les secrets de chacune ne sont pas toujours faciles à porter.


Et la poésie de l'écriture est toujours là, des références cinématographiques, littéraires et musicales viennent animer le récit.

Une bien belle lecture qui nous fait nous questionne longtemps, un fois le livre reposé.


Mots-clés : {#}conditionfeminine{/#} {#}intimiste{/#} {#}nostalgie{/#} {#}romanchoral{/#}
par Invité
le Jeu 27 Juin - 21:33
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Isabelle Desesquelles
Réponses: 6
Vues: 602

Paul Auster

Excursions dans la zone intérieure

Tag intimiste sur Des Choses à lire 510gif10

À 67 ans, Paul Auster continue dans la veine autobiographique entamée avec Chronique d’hiver : C’est aux années de formation qu’il s’adresse, entre 6 et 22 ans. C’est donc Paul Auster, écrivain mondialement reconnu, qui se penche  sur Paul Auster l’enfant et le jeune homme qu’il a été, qui ne sait pas encore qu’il va devenir Paul Auster. Il trouve en ce(s)  garçon(s) un sentiment de familiarité, mais aussi une distance, qu’il exprime en s’adressant à eux par le tutoiement.

La première partie, avant l’adolescence, c’est tout ce que j’aime retrouver chez Paul Auster : l’intelligence élégante, la précision attentive, l’émotion mise à distance. Il rapporte des épisodes formateurs, qui soit seront de la matière sur laquelle nourrir ses fictions, soit seront à la source de sa personnalité ultérieure, de son destin d’écrivain. Il analyse, rationalise, plus qu’il ne s’attendrit, Paul Auster reste le brillant intellectuel qu’il est , et malgré cela, offre un portrait tout à fait touchant.

Les deux parties suivantes, je les ai trouvées assez paresseuses.
Dans la deuxième partie, il décrit par le menu les scénarii de deux films qui l’ont particulièrement marqué, l’homme qui rétrécit et Je suis un évadé. Certes, il ne se perd pas complètement de vue, il explique au passage en quoi les péripéties des films ré»pondent aux interrogations, attentes et émotions du jeune garçon qu’il était,  on continue à progresser dans notre connaissance de ce jeune homme intranquille et consciencieux. C’est quand même un peu longuet.
Dans la  troisième partie, le voilà jeune homme. Paul Auster nous retranscrit des pages et des pages de lettres qu’il a adressées à celle qui devait devenir sa première femme, Lydia Davis. On  fréquente toujours ce jeune homme inquiet, souvent mélancolique, encore plus souvent dépressif, le jeune écrivain se dessine mais ne sait pas encore qu’il va réussir, c’est une période difficile de sa vie. Le moins qu’on puisse dire est que Paul Auster ne se laisse pas aller à des débordements amoureux (A-t’il coupé certains passages ? Ou ne serait-il pas un peu égocentrique?). Il s’avère cependant une fois de plus que les correspondances intimes  sont vite lassantes pour  le grand public.

Une quatrième partie est constituée par tout un stock de photos qui illustrent ses propos précédents, les photos ont été recherchées par Laura Wyss. Il ne faut pas attendre des photos personnelles de l’enfance de Paul Auster (il explique qu'il ne lui reste pas grand chose), mais  des faits culturels et politiques illustratifs. Toujours cette distance, on ne se refait pas.

Bref la manière ne m’a pas emballée. Il y a un certain plaisir à retrouver ce jeune homme torturé qui n’a pas encore éclos, à y trouver un portrait d’une certaine Amérique assez sagement contestataire, et aussi des vécus que j’ai pu avoir enfant ou adolescente, n’étant finalement qu’un petit peu plus jeune que l’auteur. Mais il faut dire aussi que beaucoup des anecdotes rapportées l’ont déjà été  ailleurs soit précédemment dans ses écrits autobiographiques, soit dans 4.3.2.1 que Paul Auster va publier quelques années plus tard et que j’ai pour ma part lu avant.



mots-clés : #autobiographie #intimiste #jeunesse
par topocl
le Jeu 21 Mar - 13:11
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Paul Auster
Réponses: 127
Vues: 12693

Kate Tempest

Tag intimiste sur Des Choses à lire 97827410

Ecoute la ville tomber

Kate Tempest évoque dans ce roman la fuite en avant d'une jeunesse plongée dans une solitude urbaine à Londres...confrontée aux doutes, à l'échec et à une absence apparente de promesses, de perspectives. Le contexte peut sembler familier voire prévisible, mais l'écriture se révèle avant tout dans sa tonalité expressive et poétique, symbole d'une révolte intérieure et d'une recherche intime.

Le fait que Kate Tempest soit également musicienne et rappeuse renforce ainsi la singularité de ce livre parfois inégal dans ses développements, mais souvent poignant dans sa perception d'une détresse, d'une tristesse, d'une tentative d'affirmation. Les mots deviennent alors le reflet d'un mouvement, d'une parole, d'un rythme...A découvrir.


mots-clés : #intimiste #jeunesse #solitude
par Avadoro
le Lun 24 Déc - 11:49
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Kate Tempest
Réponses: 2
Vues: 641

Fred Chappell

Ça ne m’étonne pas que ça t'ait plu, bix.

Ma famille inoubliable


Tag intimiste sur Des Choses à lire 41258w10

C'est l'histoire de l’enfance de l'auteur dans une ferme  de Caroline du Nord, protégé par une famille aimante. De sa tendre complicité avec son père, resté un éternel adolescent et Johnson, le garçon de ferme orphelin qui va mourir avant même de partir à la guerre tuer Hitler. Les oncles et les tantes sont autant de figures cocasses et bienveillantes ; les femmes, mère et grand-mère ont une place sécurisante mais effacée dans ce paysage enfantin.

Ce livre, qui ressemble par moments à  un recueil de nouvelles, offre toute sa place à la naïveté de l'enfance, et m'a fait penser au James Agee de Un mort dans la famille, ou à Kent Haruf, par la tendresse calme d'un quotidien paisible. Mais il se teinte parfois d'une pointe malicieuse de réalisme magique, quand 'l’imagination emporte l’enfant dans des visons pleines de fantaisie.


Mots-clés : #autofiction #enfance #intimiste #relationenfantparent #ruralité
par topocl
le Dim 25 Nov - 17:13
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Fred Chappell
Réponses: 2
Vues: 625

Aki SHIMAZAKI

Tag intimiste sur Des Choses à lire Pds1_210 Tag intimiste sur Des Choses à lire Pds2_210 Tag intimiste sur Des Choses à lire Pds3_210 Tag intimiste sur Des Choses à lire Pds4_210 Tag intimiste sur Des Choses à lire Pds5_210

Le poids des secrets

Le poids des secrets : cinq livres pour autant de visions d'une même histoire. Cinq livres pour cerner au mieux la personnalité de chacun, les raisons des silences, des faux-semblants, et des secrets soigneusement enfouis parce qu'il serait trop douloureux de les dévoiler. L'histoire ? Mieux vaut ne pas en parler, tant le charme de cette série réside dans le fait d'en découvrir peu à peu toutes les facettes. Tout au plus puis-je vous dire qu'elle se déroule principalement dans les années 30-40,  et qu'il y est question des deux enfants d'un même homme, l'un légitime et l'autre non, qui se rencontreront et s'aimeront... Il est aussi beaucoup question de la seconde guerre mondiale, et des aberrations d'un régime autoritaire alors en pleine rhétorique guerrière, avant que ne survienne le désastre de Nagasaki...

L'écriture d'Aki Shimazaki est précise, concise, épurée à l'extrême. D'ordinaire, j'affectionne plus de rondeur, et ce minimalisme assumé m'a de prime abord déroutée. Mais c'était sans compter sur le charme qui en émane et qui vous accroche tout en douceur avant de vous happer... J'ai lu les cinq volumes d'une traite.

De cette lecture, je ne garderais volontiers que le positif. Mais je ne serais pas tout à fait honnête si je n'évoquais pas mes quelques bémols... Pour commencer, je regrette tout de même que, de livre en livre, le style reste strictement identique. Chaque récit émanant d'un être différent j'aurais aimé que, sans renoncer à sa singularité, Aki Shimazaki use d'un «petit quelque chose » qui différencie chaque narrateur. J'ai également moins adhéré au dernier volume de la série, le procédé choisi pour distiller quelques clés de compréhension cruciales me paraissant quelque peu factice et forcé dans sa volonté didactique.

Mais je ne voudrais pas que ces quelques bémols vous donnent une fausse idée de ma lecture ; car sans être aussi conquise que d'aucuns ont peu l'être avant moi, j'ai beaucoup apprécié cette découverte. Je garde en tête le charme évanescent de l'écriture, et la sensible évocation des tourments intimes d'hommes et de femmes englués dans le carcan des convenances d'une époque sans concession. Les visions multiples se cherchent et se répondent, les secrets se dévoilent et pourtant, une fois le dernier volume refermé tout n'est pas explicité, tout n'est pas décortiqué. A chacun sa part d'inconnu et d'irrationnel. Et c'est, je le crois, très bien ainsi.



mots-clés : #amour #deuxiemeguerre #famille #identite #intimiste
par Armor
le Sam 13 Oct - 19:12
 
Rechercher dans: Écrivains d'Asie
Sujet: Aki SHIMAZAKI
Réponses: 13
Vues: 1455

Ludmila Oulitskaïa

Les pauvres parents

Tag intimiste sur Des Choses à lire Proxy_26

Malgré ma réserve habituelle face aux nouvelles, j'ai bien aimé ce recueil où coexistent neuf destins de  femmes, dans les appartements communautaires de la fin de l'Union soviétique. Cette unité de lieu donne comme une communauté générale au récit, où l'on retrouve occasionnellement un personnage commun. Chaque histoire s'attache au portrait, tout en tendresse teintée d'humour, d'une femme, frustrée dans son quotidien par cette perte d'intimité, cette promiscuité, cette mesquinerie induites par le régime, mais qui a droit aussi à ses fragilités, et à son originalité.
Églantine, toi qui a été saturée par la profusion de Le Chapiteau vert, pourquoi cela ne te plairait-il pas ?


mots-clés : #intimiste #lieu #nouvelle #solitude #viequotidienne
par topocl
le Ven 6 Juil - 15:18
 
Rechercher dans: Écrivains Russes
Sujet: Ludmila Oulitskaïa
Réponses: 17
Vues: 2226

Isabelle Monnin

Mistral perdu ou les événements

Tag intimiste sur Des Choses à lire Proxy_10

Isabelle Monnin enfant, adolescente, adulte. Des chapitres.

Vu comme ça, ça fait penser à des récits déjà 100 fois lus sur les années soixante dix, la cour d'école terrorisante, les premiers baisers, les premières boums, le départ pour les études... Et au début j'ai vraiment eu peur de ça. Mais l'approche si touchante d'Isabelle Monnin s'est vite précisée, et c'est devenu un texte personnel arrachant,  avec ses deux versants intime et universel.

Isabelle Monnin décrit la bulle qu'elles ont formée avec sa sœur, et,  scandé par ce "Nous sommes deux" récurrent, qui résume une évidence, il y a   là quelque chose de quasi magique. De très ordinaire aussi, car toutes les enfances se ressemblent. Tout cela se joue sur un fond de Mistral gagnant (et oui, comme Isabelle Monnin, Renaud a sans doute été pour moi tout à la fois l'expression de ma première rébellion , comme de ma première appartenance.), dans cette petite bourgeoisie provinciale de gauche, sûre de ses idées généreuses et de son bonheur, gagné à la génération précédente sur les barricades. Tous les espoirs sont permis et cette sororité en est le carrosse.

Nous sommes deux, nous sommes des enfants et le monde est facile.


Mais assez vite, implicitement, sans qu'un mot soit dit, on sent la fracture qui rôde. On sait que cette jeune sœur rieuse et pas insouciante, un moment, ne sera plus  là.

Et oui, à 26 ans, cette sœur meurt, dans un chapitre d'une brièveté déroutante, car des pourquois et des comments, dans ces cas-là, il n'y en a pas. Il faut vivre avec cela, c'est impossible mais on n'a pas le choix. Plus rien n'est partagé. Et en plus, rien ne vient comme on l'avait prévu : le monde aussi la lâche en route.

Dans l'intime, « notre troisième fils, un grand prématuré, meurt." Dans la sphère publique, la belle conscience de gauche s'effrite, la gauche n'est plus, la haine surprend de tous côtés, empaquette ignominieusement le quotidien,  D'événement en événement, le monde jadis prometteur est en faillite. Le collectif n'est même plus là pour panser les plaies intérieurs. Est-ce la fin de l' histoire ? Même Renaud, vieillli, ventripotent , on n'y croit plus (il n'y croit sans doute plus beaucoup lui non plus). Que faire d'autre dans cette douleur transfixiante, que laisser ses enfants, joyeux, jouer parmi les tombes ?

Quelque part elle explique qu'elle est  une maison, les briques sont les événements familiaux, le ciment les événements publics. Elle s'y sentait bien. Et maintenant, on la voit faire tout ce qu'elle peut pour que la maison ne devienne pas une ruine.

C'est terriblement beau, l'écriture d'Isabelle Monnin est d'une poésie trouble, battante, inventive. Elle empaquette cette histoire tellement intime, tellement commune pour en faire un texte douloureux, fragile, un cuisant constat d'échec commun.



mots-clés : #autobiographie #enfance #fratrie #intimiste #jeunesse #mort #viequotidienne
par topocl
le Sam 26 Mai - 10:52
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Isabelle Monnin
Réponses: 10
Vues: 1476

Vergilio Ferreira

Tag intimiste sur Des Choses à lire Vergil10

Jusqu'à la fin

Un homme veille le corps de son fils mort dans des circonstances dramatiques, à l'intérieur d'une chapelle proche de la mer. Un dialogue tente de s'installer, au-delà des silences, de la séparation, de l'abrupte frontière de la vie. Mais une incompréhension qui s'enracine dans le passé semble figer définitivement une rupture, une colère, un vide.

L'écriture de Vergilio Ferreira est particulièrement intense, d'une grande force évocatrice, à la fois poétique et brutale, limpide et tranchante. Un périple intime se heurte à une absence, à un aveuglement tant le lien familial dans son essence devient le reflet tourmenté d'une distance, d'un détachement. Jusqu'à la fin laisse alors résonner une forme d'impuissance des mots tout en distillant fébrile, qui enrichit une réflexion incessante, construite autour de questions qui ne peuvent trouver de réponses.


mots-clés : #mort #relationenfantparent #intimiste
par Avadoro
le Lun 16 Avr - 23:08
 
Rechercher dans: Écrivains de la péninsule Ibérique
Sujet: Vergilio Ferreira
Réponses: 11
Vues: 1363

Siegfried Lenz

Une minute de silence

Tag intimiste sur Des Choses à lire Erfesr10

Deuxième livre que je lis de cet auteur et deuxième fois que j'ai des larmes....
Si le but est d'émouvoir c'est réussi. L'histoire est pourtant complexe, celle d'un deuil mais également d'une histoire d'amour peu avouable. Quand il y a autant d'émotion la morale, j'ai personnellement tendance à m'en ficher prodigieusement et ce fut précisément le cas ici. La seule injustice ressentie est sur le devenir de chacun et non sur ce à quoi ils aspirent.
Magnifique style, toujours mélancolique, on est transporté dans cet univers de petit port du nord de l'Europe.
Lenz fait désormais partie de mon panthéon aux côtés de Hrabal.

*****

mots-clés : #amour #mort #intimiste
par Hanta
le Mar 23 Jan - 10:13
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langue allemande
Sujet: Siegfried Lenz
Réponses: 18
Vues: 1186

Kent Haruf

Nos âmes la nuit

Tag intimiste sur Des Choses à lire 51woqp10

Comme elle se sentait trop seule, Annie, 70 ans est venue demander à son vieux  voisin Louis de venir la nuit chez elle pour discuter. De cette décision fort inhabituelle va naître une relation toute en délicatesse, en pudeur et en sincérité. Celle-ci amène de beaux moments de bonheur simple, comme on croyait qu'il n'y en aurait plus,  et résistera, à sa façon, au qu'en dira-t'on et à l’opprobre filiale.

Il en ressort un petit bouquin court, au style d'une platitude exaltante, que j'ai lu émerveillée par sa simplicité, sa douceur, sa sincérité. Son originalité aussi, loin des grandes péripéties romanesques, mais plein d'une authenticité qui m' a bouleversée. Un merveilleux doudou, qui se paye le luxe de ne pas manquer d'humour.


mots-clés : #amour #intimiste #solitude #vieillesse #viequotidienne
par topocl
le Lun 22 Jan - 17:45
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Kent Haruf
Réponses: 10
Vues: 919

Revenir en haut

Page 1 sur 2 1, 2  Suivant

Sauter vers: