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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar 2024 - 4:48

29 résultats trouvés pour medecine

Maylis de Kerangal

Réparer Les vivants

Tag medecine sur Des Choses à lire Talach12

Quel plaisir de retrouver une vraie écrivaine contemporaine (plutôt qu’auteure, je crois qu’il ne faut pas avoir peur de reconnaître la vanité de l’écriture) ! J’apprécie ses longues phrases denses, chargées d’information (c’est très documenté, avec un vocabulaire étendu, notamment technique – surf, médecine). Au-delà d’un grand art de la description, le lyrisme est contenu : mais le cœur n’est pas qu’un muscle dans l’humain.
J’avais une certaine réticence concernant le titre (dû à Tchekhov dans Platonov), ramentevance d’un médecin (ou d'un enseignant, voire d’un prêtre) qui critiquait l’emploi du verbe "réparer" à propos des humains (qui ne sont pas des machines), mais il peut se comprendre maintenant qu’on remplace un organe comme une pièce de véhicule (voir la remarque de Marie en 2017) – pourtant la dimension humaine est mise en évidence dans ce roman, de même que les prouesses techniques de la médecine (et de la logistique) contemporaine.
L’égale précision des descriptions, de ce qui a lieu, eut lieu ou aurait pu être, donne la même valeur aux éléments fictifs qu'à ce qui est à considérer comme vrai, présent.

« La recherche cristallise et Marthe avance son visage vers l’écran, ses yeux énormes et anamorphosés derrière les verres de ses lunettes. »

..] dénudant un buste splendide que composent différents cercles – seins, aréoles, mamelons, tétons, ventre, nombril, double amorce des globes fessiers –, que modèlent différents triangles pointés vers le sol – l’isocèle du sternum, le convexe du pubis et le concave des reins –, que creusent différentes lignes – la médiane dorsale qui souligne la division du corps en deux moitiés identiques, sillon qui rappelle en la femme la nervure de la feuille et l’axe de symétrie du papillon –, le tout ponctué d’un petit losange à l’endroit de la crête sternale – le bréchet sombre –, soit une recollection de formes parfaites dont il admire l’équilibre des proportions et l’agencement idéal [… »

Ces quelques remarques viennent en complément des excellents commentaires précédents.

\Mots-clés : #contemporain #medecine #mort
par Tristram
le Mer 12 Oct 2022 - 13:53
 
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Sujet: Maylis de Kerangal
Réponses: 112
Vues: 8174

John Irving

L'œuvre de Dieu, la Part du Diable

Tag medecine sur Des Choses à lire L_nuvr10


Dans un orphelinat reculé, fruit (ou reliquat) des rapports des bûcherons et prostituées d’un campement forestier du Maine :
« À Saint Cloud’s, printemps voulait dire : problèmes. C’était la saison des suicides. C’était au printemps que l’on plantait – et en abondance – la graine d’orphelinat. »

« Quand la vallée entourant Saint Cloud’s fut dénudée et que la repousse (conifères arbustifs et bois blancs nés du hasard et laissés à l’abandon) se répandit partout comme l’herbe folle des marais, quand il n’y eut plus de grumes à envoyer de Three Mile Falls, en amont de Saint Cloud’s – parce qu’il n’y avait plus d’arbres –, la Ramses Paper Company fit entrer le Maine dans le vingtième siècle en fermant la scierie et l’entreprise de débardage des bords de la rivière pour les transférer plus loin, en aval. »

Le fondateur, directeur de la section Garçons (et historiographe) en est le docteur Wilbur Larch (accoucheur ou avorteur selon le cas – l’œuvre de Dieu, et celle du Diable) ; il aide ses patientes, quel que soit leur choix.
« Ici à Saint Cloud’s, a écrit le Dr Larch, on m’a donné le choix entre jouer au bon Dieu ou bien abandonner à peu près tout au hasard. J’ai constaté que, la plupart du temps, à peu près tout est abandonné au hasard ; les hommes qui croient au bien et au mal, et qui estiment que le bien devrait triompher, feraient bien d’épier les moments où l’on peut jouer au bon Dieu – il faut les saisir au vol. Ils ne seront pas nombreux. »

Du fait d’expériences d’adoption pour le moins rebutantes, Homer Wells ne veut plus quitter son orphelinat ; il y grandit donc, s’y sentant chez lui, et n’existant « qu’en se rendant utile » (aussi la seule profession de foi du Dr Larch). Comme les autres personnages principaux, celui-ci est fort attachant. La touchante situation d’orphelin est consciencieusement étudiée et exposée.
« Un orphelin est davantage enfant que les autres enfants par son goût des choses qui surviennent chaque jour à heure fixe. De tout ce qui promet de durer, de demeurer, l’orphelin se montre avide. »

« Les adultes ne cherchent pas des présages dans les événements ordinaires, remarqua le Dr Wilbur Larch dans sa Brève Histoire de Saint Cloud’s, mais les orphelins sont toujours à l’affût de signes. »

« D’autres cherchent parfois à rompre la routine, mais un orphelin n’aspire qu’au quotidien. »

« Un orphelin apprend à garder les choses secrètes ; un orphelin renferme ses pensées. Ce qui sort d’un orphelin en sort toujours lentement. »

Le thème de ce roman, outre les orphelins, est la question de l’avortement.
« Dans l’intérêt de qui certains esprits tenaient-ils absolument à ce que des enfants – y compris ceux qui n’étaient désirés par personne – fussent mis au monde dans les cris et les larmes ? »

« Et quand d’autres esprits croyaient désirer des enfants mais ne pouvaient pas (ou ne voulaient pas) prendre soin d’eux ensuite ?… À quoi donc songeaient ces esprits ! »

Après la découverte de (et surtout par) la littérature – Les Grandes Espérances et David Copperfield de Dickens, Jane Eyre de Charlotte Brontë −, Homer subit adolescent une initiation sexuelle bancale avec Mélony (que son sort révolte jusqu’à la délinquance), jusqu’à ce que Wilbur Larch décide de lui enseigner les « œuvres » (chirurgie, obstétrique, y compris avortement). Puis, suite à l’autopsie d’un bébé, il décide de ne jamais avorter :
« On peut l’appeler fœtus, embryon ou produits de la conception, pensait Homer Wells, mais quel que soit le nom attribué à ce qu’on lui fait – on le tue. »

« Je crois que c’est mal, mais je crois aussi que chacun devrait avoir le droit de choisir, personnellement. Qu’y a-t-il de plus personnel que décider si l’on veut un enfant ou non ? »

Homer a l’opportunité de séjourner dans un verger de pommiers au bord de l’océan, et c’est dans un milieu accueillant qu’il poursuit son initiation au monde.
« Ce fut en regardant les mouettes qu’Homer Wells perçut pour la première fois qu’il était libre. »

Il découvre l’amitié, l’amour, la paternité, mais son destin le liera toujours à l’orphelinat.

Homer a l’habitude de préciser « D’accord », et de « répéter les fins de phrase ou les mots clés » ; quant à lui, le docteur Larch commence toutes les notes de ses annales, « son journal fourre-tout, son rapport quotidien sur les affaires de l’orphelinat » par « Ici à Saint Cloud’s… », ou exceptionnellement par « Dans d’autres parties du monde… » Il a aussi coutume de saluer les orphelins, le soir, en les appelant « princes du Maine, rois de Nouvelle-Angleterre ! » Des tics routiniers de même nature campent les autres personnages de façon plaisante.
Récurrent aussi, le terrible défilé des femmes enceintes qui montent à Saint Cloud’s le matin, les avortées redescendant le soir-même…
Le ton de John Irving est subtilement humoristique, rendant la lecture fort agréable, ce qui explique peut-être l’impact des images de détresse qui ne sont que suggérées ; son inspiration autobiographique transparaît sans doute aussi. À aucun moment il ne verse dans la sensiblerie ou le pathos, mais son style reste conventionnel. Le déploiement de son argumentation est peut-être un peu trop construit : on perçoit le regroupement dialectique des vues (sordides) d’avortements clandestins, etc. À ce propos, dans cet ouvrage fort documenté, les descriptions médicales sont parfois pesantes.
Si l’avortement fait encore débat, il est plus rarement fait mention des orphelins (de père et mère, ils constitueraient entre 5 et 10% des enfants de la planète) ; ils ont pourtant subi un traumatisme majeur.
« Un orphelinat n’est-il pas un endroit fait pour être quitté ? »


\Mots-clés : #adoption #conditionfeminine #enfance #medecine
par Tristram
le Sam 5 Juin 2021 - 21:43
 
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Sujet: John Irving
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Joyce Carol Oates

Un livre de martyrs américains

Tag medecine sur Des Choses à lire 97828410

Quatrième de couverture :

2 novembre 1999, Luther Dunphy prend la route du Centre des femmes d'une petite ville de l'Ohio et tire sur le Dr Augustus Voorhees, l'un des "médecins avorteurs" de l'hôpital. De façon remarquable, Joyce Carol Oates dévoile les mécanismes qui ont mené à cet acte meurtrier et offre le portrait acéré d'une société ébranlée dans ses valeurs profondes. Entre les foetus avortés, les médecins assassinés ou les "soldats de Dieu" condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs ?



Douloureux sujet que celui de l'avortement...qui se conjugue avec celui de la contraception chez ces chrétiens intégristes....(évidemment).

Un roman de plus de 800 pages, lu en deux jours...je dois dire que moi qui suis une inconditionnelle de J.C. Oates, je suis, une fois de plus, époustouflée par son talent !

Beau tour de force que de nous plonger dans la tête de ce chrétien pratiquant, Luther Dunphy, qui voulant lui-même être pasteur (recalé) avait ses failles ....remarquablement bien dressé ce portrait....tout comme celui du médecin gynécologue obstétricien....Gus Voorhees, idéaliste, et prêt à risquer sa vie pour accomplir ce qu'il estime être "son devoir".

Guy Voorhees

" Il avait sauvé des vies. La vie de jeunes filles et de femmes.

Des filles qui avaient essayé d'avorter elles-mêmes par honte. Des filles qui étaient arrivées à terme en semblant ne pas savoir qu'elles étaient enceintes et qui même en plein accouchement hurlaient leur déni. Des femmes enceintes qui n'étaient pas allées voir un médecin, bien que sachant, ou devinant, que le foetus était mort et qu'elles ne portaient pas la vie, mais la mort. Des filles qui cachaient leur grossesse sous des corsets, qui aplatissaient leurs seins gros de lait contre leur poitrine. On se serait cru en 1955 ou en 1935. On n'imaginerait pas que des situations aussi terribles existent encore. Par ignorance ? Par intolérance religieuse ? Par désir d'être bonnes. Et de paraître bonnes.

Certaines d'entre elles étaient pentecôtistes. Il y a eu deux ou trois Amish dans l'ouest rural du Michigan. Une poignée de catholiques dans la région de Détroit.

Certaines des très jeunes filles avaient été engrossées par....des beaux-pères ou des pères ? Des oncles ? Des frères ou des cousins plus âgés ? Elles étaient trop terrifiées pour le dire. Elles "ne savaient pas". Elles " ne se souvenaient pas ".

Dans leur religion (pour autant qu'il la comprenne) il importait peu qu'une grossesse résulte d'un viol ou d 'un inceste, l'avortement était contre la loi divine. L'avortement était un péché, un crime et une honte parce que c'était "le massacre d'innocents". En implorant l'aide du Dr Voorhees dans un murmure précipité, la mère ne l'avait pas prononcé une seule fois.


Luther Dunphy

"j'éprouvais une terrible angoisse ! J'avais souhaité être pasteur de l'église missionnaire de Jésus de Saint-Paul et transmettre la parole à tous ceux qui voulaient entendre. Mais l'église n'avait pas voulu de moi, et Dieu non plus n'avait pas voulu de moi pour répandre sa parole."

Une loi avait été votée dans l'Ohio quelques années auparavant, interdisant aux manifestants de s'approcher à moins de deux mètres des avorteurs et du personnel, de se rassembler dans l'allée ou de bloquer l'entrée du Centre ; mais cette loi n'était pas toujours observée. "

Cessez de vous mentir,
Aucun bébé ne choisit de mourir.


A cette heure-ci aucune mère n'arrivait, mais Voorhees arriverait bientôt. Cela, je le savais avec certitude.

Magistral ce roman....mais peut-on vraiment le qualifier de roman, il est presque construit sous la forme d'un reportage.

Les familles des deux principaux protagonistes, le malheureux médecin et son assassin, sont décortiquées, analysées....deux familles diamétralement opposées, les Voorhees, pur intellos de gauche d'un côté et les Dunphy de l'autre,  représentant l'Amérique rurale, profondément croyants.

Malgré tout, des familles brisées, dont les enfants n'en sortiront pas indemnes....ni les épouses d'ailleurs....

On suit leur évolution au fil du temps....

Le travail de documentation de cette auteure que je considère comme l'une des plus talentueuses de sa génération est impressionnant....tant sur les milieux (divers) chrétiens comme il en existe de nombreux  aux Etats-Unis, que sur celui du système judiciaire (si complexe) et même celui de la boxe ....

Deux choses m'ont néanmoins interpellée....les injections létales dans les Etats où la peine de mort sévit,  seraient administrées par le personnel carcéral et non par des médecins qui refusent de tuer un être humain....avec toutes les complications que cela peut créer évidemment....(j'ai vérifié sur le net, il y a eu des cas où le condamné a mis plus de deux heures à décéder et avec des souffrances évidentes)  et le sort des foetus jetés à la poubelle au lieu d'être incinérés (ça j'ai du mal à le croire)....

Un livre magnifique  Very Happy


\Mots-clés : #conditionfeminine #criminalite #medecine #religion #social
par simla
le Sam 9 Jan 2021 - 5:41
 
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Sujet: Joyce Carol Oates
Réponses: 115
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Olivier Maguet

Tag medecine sur Des Choses à lire Couv_s11

La santé hors de prix : l'affaire Sovaldi

Le Sovaldi est un médicament qui ouvre la voie à l’éradication mondiale de l’hépatite C, une maladie courante, et qui peut être mortelle sans traitement. Protégé par un brevet, il a été vendu à partir de 2014 à un prix exorbitant : alors que son coût de production représentait moins de 100 dollars par an et par personne, le laboratoire pharmaceutique qui le produit en demandait 84 000 dollars. En France, il fut introduit au prix de 41 000 euros la cure. C’est aussi la mesure de la puissance de l’industrie pharmaceutique et de ses lobbies.
Un tel prix, appliqué à l’ensemble des malades, venait mettre en péril le système de sécurité sociale français, et sa prescription a dû être restreinte aux cas les plus graves. L’impossibilité d’accès à certains médicaments, qui ne concernait jusqu’à présent que les « pays du Sud », touche aujourd’hui les pays dits « développés ».
À partir de documents accablants, ce livre retrace les logiques qui conduisent à une telle situation, dont tout laisse présager la généralisation, à moins d’une remise en cause radicale de la politique du brevet exclusif appliquée aux médicaments et de la reprise en main, par les États, de la régulation du marché du médicament qui est alimenté par la ressource publique.

raisonsdagir-editions.org


Le "prix du médicament" n'est pas forcément le sujet avec lequel je rentre en tête en rentrant dans une librairie mais si une couverture puis quatrième de couverture me saute aux yeux... Santé et sécurité sociale sont des sujets importants et "l'économie du médicament" n'est pas un sujet sur lequel j'appliquais spontanément mes grilles de lectures de l'actualité ou de la vie quotidienne. Et puis en "période pré-vaccin" autant se faire peur non ?

Petit livre revendicatif mais pas mal construit. Autour de ce médicament le Sovaldi il porte à notre connaissance  le cycle de vie d'un médicament aujourd'hui, de la trouvaille d'un labo public au tarif exorbitant en passant par la start up, la grosse boite, et les négociations (sociétés de courtage ?). C'est aussi un peu d'histoire économique pharmaceutique et sur les brevets. On y trouve également des touches de lobbying et on peut lire le tout avec des yeux tout ronds comme une bestiole dans les phares d'une voiture.

Très résumé on pourrait dire que (en plus) "on" paye au moins deux fois : une première par la R&D publique et une deuxième par la sécurité sociale. En toile de fond la question mais les lois et dirigeants n'y peuvent rien ? Pas très joyeux comme compte de Noël mais intéressant, au moins autant que ça fait peur.

Le mythe de l'invention revisité, le mythe de ce qui coûte à la société... la consternante captation de capital public... Et puis aussi, encore et toujours la violence des disparités nord-sud.

A noter enfin qu'une des plus grosses sources du livre est une enquête publique américaine, confrontés au même problème mais chez qui certains cherchent aussi des solutions ou au moins des explications. D'autres exemples états-uniens présentés sont pertinents.

C'est choquant et on se sent démuni à la lecture mais à lire si le sujet vous fait dresser l'oreille.

Bonus, la page de médecins du monde sur le bouquin : medecinsdumonde.org

Mots-clés : #actualité #economie #medecine #science
par animal
le Dim 20 Déc 2020 - 19:08
 
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Sujet: Olivier Maguet
Réponses: 5
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Isabelle Von Bueltzingsloewen

L’hécatombe des fous  
La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation


Tag medecine sur Des Choses à lire Extern65

Je croyais lire un livre sur l’extermination des patients psychiatriques pendant la Seconde Guerre Mondiale, par le biais de la famine. Ce livre avait fait beaucoup de bruit à l’époque à Lyon, la ville où je suis née et ai fait mes études de médecine, à l’Université Alexis Carrel à l’époque, et où ma mère avait été interne après guerre à l’hôpital psychiatrique du Vinatier…

En fait  Isabelle von Bueltzingsloewen nous propose un ouvrage très richement argumenté, s’appuyant sur d’énormes archives et une bibliographie prolifique, qui établit l’atrocité des 40 000 morts de faim des hôpitaux psychiatriques français pendant la guerre, mais réfute le génocide.

Dans un contexte de restrictions générales et d’affamement de toute la population, les « fous », les « aliénés » constituent une population particulièrement fragile, qui ne dispose que de la  quantité minimum de tickets d’approvisionnement, impropre à assurer la survie. Coupés d’une famille ou d’un environnement social lui-même en grande précarité,  ils sont dans l’impossibilité de combler les carences par l’aide extérieure ou le marché noir. Le travail des patients valides dans les fermes rattachées à nombre de ces hôpitaux est insuffisant à pallier aux monstrueux manquements
L’auteure décrit sans concessions (photos à l’appui) les conditions d’enfermement et d’abandon de ces patients pour lesquels la médecine est alors sans ressource, et l’opinion publique dans un rejet généralisé. Elle situe cette état de fait dans l’évolution de la psychiatrie dans le siècle, de l’asile à la psychiatrie de secteur.
Elle décrit des médecins diversement démunis, mais pour la plupart concernés, face à l’impuissance de l’administration. Pour eux, l’émergence des premières thérapeutiques dites de choc avant-guerre et notamment de l’électro-convulsivothérapie – autrement dit électrochoc – constitue l’espoir extraordinaire de non seulement traiter ces patients, mais aussi de ce fait permettre qu’ils sortent de l’univers asilaire et aient ainsi une chance de ne pas mourir de faim.
Mais si  jusqu’à fin 42 leurs appels n’ont pas suffi à faire augmenter la ration des aliénés,  Isabelle von Bueltzingsloewen affirme, preuves à l’appui, qu’il n’y a pas eu de désir d’extermination sous Vichy, ou en tout cas qu’il n’y en a pas trace, donc, pour l’historienne, pas de trace = pas d’affirmation.  Pour elle, c’est faire offense au devoir de mémoire, mais aussi aux malades dizaine de milliers de malades psychiatriques génocidés en Allemagne que de ne pas reconnaître cela. Elle s’oppose ainsi à tout un courant qui a jusque-là affirmé ce génocide, qui l’a mis en lien avec l’eugéniste lyonnais Alexis Carrel, et dont elle considère qu’il ne répond pas à un travail historique de chercheur·se digne de ce nom.

C’est évidemment une parole contre une autre, car si l’auteure confronte abondamment la lectrice à sa documentation, à ses raisonnements et à ses preuves, je suis, inculte en histoire, incapable de savoir si ces preuves sont bien des preuves.
L’intérêt de ce livre, outre la connaissance de la famine des hôpitaux psychiatriques, de l’histoire générale de la psychiatrie, ainsi que de nombreuses histoires individuelles de patients internés chroniques particulièrement émouvantes, est bien de poser  la question de la responsabilité de l’historien.ne. Comment lire l’histoire ? A qui se fier ?


Mots-clés : #essai #historique #medecine #pathologie
par topocl
le Lun 2 Nov 2020 - 11:07
 
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Sujet: Isabelle Von Bueltzingsloewen
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Marguerite Yourcenar

L'Œuvre au noir

Tag medecine sur Des Choses à lire Yource10

Roman, 1968, 330 pages environ.  

(relecture)

Magnifique roman, ne cède en rien en altitude aux Mémoires d'Hadrien.

Fine, élégante écriture pseudo-classique, de haute volée.
Marguerite Yourcenar sollicite, à sa façon, le lecteur pour qu'il développe à partir de ses riches énoncés (et c'est régal).

Style remarquable:
On sort du "je" narratif (toujours en comparaison avec les Mémoires d'Hadrien). Une sorte d'impersonnalité narrative, qui peut passer, en trompe-l'œil, pour de la froideur, mais c'est pour mieux poser quelques écrins de tournures et mots rares ou se raréfiant à l'usage de nos jours, la froideur tempérant l'accusation de pédantisme ou d'excès de frivolité dans la recherche fouillée.

Classicisme de la syntaxe (merci, Mme Yourcenar, d'employer dans un roman francophone post Céline/Sartre, des temps de conjugaison peu usités de nos jours en langue française, au lieu de s'en tirer par des périphrases ou des découpes à un point tous les cinq mots !), sur laquelle se greffent des images qu'on dirait baroques, ou bien issues des tableaux des maîtres de la Renaissance.

La Renaissance, justement: Sa mystique, sa violence, ses espérances, ses grands anonymes, ses savants cachés, ses couvents, ses banquiers, ses autorités, ses bourgeois, ses peuples, ses soudards, ses guerres permanentes, ses juges... l'époque nous est brossée sans la moindre complaisance, et de façon très érudite: à ce propos, la note de l'auteur, qui clôt l'ouvrage, est précieuse et fort éclairante, on en regretterait presque que d'autres auteurs ne se plient pas au jeu de laisser sur un coin de table la genèse de leurs créations, leurs recherches...

Une certaine matière médiévale n'est point absente de ces pages, comme une vigueur crue, qui sûrement colle à un regard sagace sur l'époque de narration, la Renaissance n'est pas une rupture avec le monde tel qu'il existait précédemment effectuée en un jour.


Au commencement, deux cousins se rencontrent par hasard sur une route des Flandres: l'un est militaire et s'en va quérir gloire, honneurs et vie de camp, l'autre la science et la sapience, ainsi qu'une quête explorative du monde. On ne sait pas, durant tout le début, lequel d'entre Zénon le philosophe et Henri-Maximilien le soldat sera le héros principal, à supposer qu'il n'y en ait pas deux...

Les thèmes de la recherche, de l'intelligence opposée à la bêtise crue, le combat contre les dogmes et les vérités admises parce qu'assénées, la médecine, la singularité, la Foi et l'athéisme, l'alchimie non traitée de façon farfelue, grotesque ou romantique, la quête de savoir, la médecine et le soin apporté à autrui de façon plus générale, la rébellion, l'audace, la transgression, les erreurs aussi, les découvertes aux conséquences néfastes si ce n'est meurtrières, la solitude et la discrétion, tout ceci compose avec puissance dans le creuset de l'auteur.
Les dialogues sont, parfois, d'une dureté sans nom, bien que d'une grande sobriété.

Le travail d'auteur, L'Œuvre à l'Encre Noire est tellement ciselé qu'on ressent la perfection comme but à atteindre, pour un livre que Marguerite Yourcenar a porté pendant une quarantaine d'années avant de le publier, et qui prendra dix années de dur labeur à sa compagne et traductrice Grace Frick, dans leur maison du Maine, avant d'apposer le point final à la traduction anglais: dix années...

Maintenant, les deux branches de la parabole se rejoignaient; la mors philosophica s'était accomplie: l'opérateur brûlé par les acides de la recherche était à la fois sujet et objet, alambic fragile et, au fond du réceptacle, précipité noir.
L'expérience qu'on avait cru pouvoir confiner à l'officine s'était étendue à tout. S'en suivait-il que les phases subséquentes de l'aventure alchimique fussent autre chose que des songes, et qu'un jour il connaîtrait aussi la pureté ascétique de l'Œuvre au Blanc, puis le triomphe conjugué de l'esprit et des sens qui caractérise l'Œuvre au Rouge ?
Du fond de la lézarde naissait une Chimère.
Il disait Oui par audace, comme autrefois par audace il avait dit Non.  



Mots-clés : #culpabilité #exil #famille #historique #medecine #philosophique #renaissance #violence
par Aventin
le Lun 6 Juil 2020 - 19:36
 
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Sujet: Marguerite Yourcenar
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Marie Didier

Dans la nuit de Bicêtre

Tag medecine sur Des Choses à lire Cvt_da10

Jean-Baptiste Pussin a été une sorte de surveillant-chef à Bicêtre pendant la Révolution. Y étaient réunis des prisonniers (notamment politiques), des aliénés, des malades, des pauvres, unanimement réunis sous l’appellation de « fous », et tout ce qu’on voulait faire passer pour tel, dans des conditions que même l’imagination a du mal à concevoir.

C’est un homme qui a fui la misère de sa famille en Franche-Comté. Scrofuleux, il s’est retrouvé « hospitalisé » à Bicêtre, où son  intelligente humanité est remarquée, et jugée possiblement utile. Il se retrouve ainsi « promu » à ce poste. Il y  développe une empathie pour ces souffrants fort peu ordinaire déjà à  l’époque, qui nourrit une approche intuitivement curatrice. Les mots « soin » et « protection » ont pour lui leur vrai sens. Il fait interdire les mauvais traitements, et par une simple attention humaine, et une perspicacité « psychothérapeutique », guérit des internés qui n’attendaient qu’un peu de dignité pour s’en sortir.

Il finit par faire supprimer les fers à Bicêtre, exploit longtemps attribué à Pinel, médecin-chef du lieu, dont moulte rues portent le nom, aujourd’hui encore, et dont Marie Didier ébauche un portrait humaniste, qui justifie pleinement son titre de « père de la psychiatrie ».

Charles Louis Müller (28 déc. 1815 - 9 janv. 1892)
Pinel faisant tomber les fers des aliénés de Bicêtre en 1792

Tag medecine sur Des Choses à lire Extern45


Ceux et celles qui s’intéressent à la psychiatrie, ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire, surtout quand elle est revisitée et remise sur les bon rails, ceux et celles qui s’intéressent tout simplement à l’humain qui est en chacun de nous, et peut nous donner un peu d’espoir, ne manqueront pas d’être hantés par ce récit dérangeant, où voisinent l’inhumanité ordinaire et l’humanité singulière de cet homme qui sut infiniment toucher Marie Didier.

(pour tristram : histoire vraie)


Mots-clés : #historique #medecine #revolution
par topocl
le Mar 2 Juin 2020 - 14:42
 
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Sujet: Marie Didier
Réponses: 5
Vues: 536

Angélique Villeneuve

Grand Paradis

Tag medecine sur Des Choses à lire Grand_10


Dominique Lenoir travaille chez une fleuriste dans une petite station balnéaire, elle a toujours été passionnée par les plantes et la nature.
Un jour, sa soeur, Marie, la somme de reprendre les affaires qu'elle a laissées chez elle depuis le décès de leur mère. Au milieu des cahiers et de quelques livres, Dominique trouve une enveloppe portant l'inscription " Leontine L" et contenant trois photos d'une femme à trois âges différents de sa vie et la photo de l'adulte est "signée" Albert Londe, le photographe qui officiait aux cotés du Docteur Charcot à la Salpêtrière.
C'est le début d'une quête pour redonner vie à la femme photographiée, pour retracer l'enfance de Dominique et de sa soeur au milieu d'une famille brisée.
De l'évocation des consultations du Docteur Charcot  à celle des journées passée en pleine nature parce que la solitude est son refuge, Dominique essaye de recoller les souvenirs de son enfance et d'imaginer la vie des femmes soignées dans cet hôpital parisien.


C'est un roman sur la folie, l'"hystérie" étudiée par Charcot et ses confrères, un roman sur les choses tues, enfouies, cachées, sur la solitude, l'indifférence au sein d'une famille.
C'est une lecture parfois éprouvante mais qui dégage une grande émotion qui persiste une fois le livre refermé.
Un beau, mais triste, récit de la vie de plusieurs femmes.


Mots-clés : {#}conditionfeminine{/#} {#}enfance{/#} {#}famille{/#} {#}medecine{/#}
par Invité
le Dim 26 Avr 2020 - 22:39
 
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Sujet: Angélique Villeneuve
Réponses: 3
Vues: 473

Brigitte Giraud

Tag medecine sur Des Choses à lire 41wkhb10

Jour de courage

Originale : Français, 2019

CONTENU :

Lors d un exposé en cours d histoire sur les premiers autodafés nazis, Livio, 17 ans, retrace l’incroyable parcours de Magnus Hirschfeld, ce médecin juif-allemand qui lutta pour l'égalité hommes-femmes et les droits des homosexuels dès le début du XXe siècle. Homosexuel, c'est précisément le mot que n'arrive pas à prononcer Livio : ni devant son amie Camille, dont il voit bien qu'elle est amoureuse de lui, ni devant ses parents. Magnus Hirschfeld pourrait-il parler pour lui ? Sous le regard interdit des élèves de sa classe, Livio accomplit alors ce qui ressemble à un coming out. Deux histoires se mêlent et se répondent pour raconter ce qu'est le courage, celui d'un jeune homme prêt à se livrer, quitte à prendre feu, et celui d un médecin qui résiste jusqu'à ce que sa bibliothèque de recherche soit brûlée vive. À un siècle de distance, est-il possible que Magnus Hirschfeld et Livio se heurtent à la même condamnation ?


REMARQUES :
La première et plus longue partie du roman se joue lors d’un jour d’école, début 2019 à Lyon. Livio, d’origine italien, 17 ans, avait choisi comme sujet d’exposé lors du cours d’histoire les premiers autodafés sous le régime nazie. Comme exemple il prendra l’histoire de Magnus Hirschfeld et la place dans le contexte :

né le 14 mai 1868 à Kolberg et mort le 14 mai 1935 à Nice, il fut un médecin allemand juif. Premier à étudier la sexualité humaine sur des bases scientifiques et dans sa globalité (il a fondé l'Institut de sexologie à Berlin), il est l'un des pères fondateurs des mouvements de libération homosexuelle. Hirschfeld a lutté contre la persécution des homosexuels allemands soumis au paragraphe 175


(Source et plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Magnus_Hirschfeld  ). Son institut très en avance dans son temps, fut entièrement détruit, ainsi que la bibliothèque de grand valeur détruit lors des autodafés dès 1933…

Mais derrière cette histoire Livio fait comme son « coming out », s’exposant devant la classe comme il l’avait jamais fait. Dans des retours en arrière l’auteure nous le présente dans son devenir, toujours à moitié cachant son orientation, aussi bien devant ses parents un peu «absent», voir son père macho, que devant son amie Camille, amoureuse de lui, sans voir venir le coup.

Dans une sorte d ‘épilogue on nous présente les heures, les jours après cette exposé et les conséquences.

Je ne vais pas en dire tout, mais il est étonnant que dans un certain sens Giraud ne raconte pas l’histoire comme une sorte de thriller ou l’enjeu ne serait pas clair, ou où des choses se révéleront peu à peu. A vrai dire l’essentiel en soi est peut-être presque clair dès les premières pages, « prévisible ». Donc, en ce sens-là pas trop de suspense ou de divertissement. Non, c’est dans son ton distancié une forme de témoignage, une chronologie, de la difficulté de pouvoir dire, même dans notre société soi-disant si libérale, son alterité, le fait de vouloir vivre autrement.

Est-ce qu’on pourrait s’imaginer un autre accueil ? Est-ce qu’on a trouvé le moment donné la parole ou le geste nécessaire pour soutenir quelqu’un ?


Mots-clés : #identitesexuelle #medecine #XXSiecle
par tom léo
le Ven 13 Déc 2019 - 16:17
 
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Sujet: Brigitte Giraud
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Edith Sheffer

Les enfants d’Asperger Le dossier noir des origines de l’autisme

Tag medecine sur Des Choses à lire 41vtzc10

Asperger, connu pour avoir décrit le syndrome du même nom, est aussi réputé pour avoir été particulièrement attentif aux enfants qui en étaient atteints.

Seulement voilà, il était pédopsychiatre sous le troisième Reich, et ce livre décrit des faits qui devraient faire revoir à la baisse ce jugement positif.  Asperger après avoir sélectionné ces autistes « de haut niveau », n’avait que mépris pour ceux -  et d’une façon générale toutes les personnes considérés comme non récupérables pour servir les dessins du régime, ou asociaux - difficilement « adaptables », sans ce Gemut qui faisait de bons citoyens à la botte du régime. Il n’hésitait pas à adresser les moins bien lotis de sa petite sélection dans les pavillons asilaires dévolus à ce qui était nommé euthanasie mais était en fait des assassinats, aux expériences médicales, à la stérilisation… Des centaines d’enfants ont péri comme ça. Au-delà du « cas » Asperger ce livre est une description de l’effroyable milieu de la pédopsychiatrie viennoise et berlinoise  à l’époque des nazis.

Le quatrième de couverture dit  qu’aux Etats-Unis, le syndrome autistique a été débaptisé suite à ce livre.

Sujet primordial donc, très dur, dont l’indispensablilité-même m’a aidée à aller jusqu’au bout, alors que l’aspect  universitaire, à  mon avis n’a pas été suffisamment expurgé pour un public non-historien : le travail éditorial a été un peu léger et laisse un  côté un peu fouillis et redondant qui en rajoute à l’aspect perturbant de la lecture.

Mots-clés : #devoirdememoire #discrimination #medecine #xxesiecle
par topocl
le Mar 10 Sep 2019 - 11:46
 
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Sujet: Edith Sheffer
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François Bégaudeau

Le moindre mal

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Ce livre s’inscrit dans le cadre de la collection Raconter la vie, initiée par Pierre Rosanvallon et Pauline Peretz, pour donner la parole aux « invisibles », et, notamment, raconter le travail.

Ici, François Bégaudeau prête sa plume à Isabelle, une infirmière.
Après avoir situé la filiation qui l’a menée à ce choix, il quitte la petite histoire pour un récit très factuel, direct, s’effaçant derrière un style volontairement non travaillé, pour raconter les années et les jours de son « héroïne ».
Trois thèmes principaux : la formation, la politique hospitalière de non remplacement du personnel, puis, pour finir, minute par minute, heure apr heure, fait par fait, une journée de travail ordinaire dans le service de chirurgie générale.


Ce n’est pas Bégaudeau pour rien, il y a des pages militantes contre les politiques économiques drastiques en matière de santé, et des médecins forcément beaucoup moins sympas que les infirmières.


Mais globalement, cette course -poursuite de la journée infirmière m’a plutôt séduite. Cet enchaînement d’événements sans pathos, sans le temps de reprendre son souffle ou d’y mettre trop d’émotion, avec sa diversité technique donne parfaitement l’image de ce métier plus technique qu’il n’y paraît, où les exigences  de performance Imposent une efficacité qui malheureusement ne laisse guère place au doute, aux questionnements, aux épanchements.



mots-clés : #medecine #mondedutravail #temoignage
par topocl
le Ven 15 Mar 2019 - 20:38
 
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Sujet: François Bégaudeau
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Marie Chaix

Les silences ou la vie d’une femme

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Pendant six semaines, Maris Chaix visite sa mère dans le coma, lui souhaitant une mort douce alors que l’équipe hospitalière lutte pour la ramener coûte que coûte à la vie. Les souvenirs remontent, l’histoire de cette femme qui a été petite fille, jeune fille, jeune épouse brièvement comblée, femme au foyer amoureuse soumise aux dictats de cet homme impatient, collaborationiste puis emprisonné pour cela, cette mère comblée pleinement nourrie par sa descendance, cette femme encore jeune clouée au fauteuil par un accident vasculaire, et maintenant, cette douce forme vieillissante, inerte, qui respire encore.

C’est un très beau portrait de femme, de son rapport avec sa fille Marie, un portrait des attentes, souvent déçues, de la soumission où entre un certain choix, lesquelles n’empêchent pas une obstination à mener sa barque. Marie Chaix a un style très inspiré, elle est sensible aux ambiances, aux couleurs, aux odeurs, aux cocasseries. Elle nous livre ici un livre des plus touchants, plein d ‘une grande tendresse, qui lui permet de laisser tomber la colère. Un livre- hommage à cette mère qui a eu un parcours en contradiction totale avec les choix ultérieurs de sa fille , laquelle lui conserve pourtant son amour, sa fidélité  et son respect.

Il y a des pages très fortes sur la mémoire/présence des morts et les cimetières, Marie, j'ai pensé à toi.

Mots-clés : #amour #conditionfeminine #medecine #mort #portrait #relationenfantparent
par topocl
le Ven 8 Fév 2019 - 16:42
 
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Sujet: Marie Chaix
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Philippe Lançon

Le lambeau

Tag medecine sur Des Choses à lire Proxy103

Je ne vivais ni le temps perdu, ni le temps retrouvé ; je vivais le temps interrompu.


Le lambeau est la version de Philippe Lançon sur un événement qui a  bouleversé sa vie, après avoir bouleversé toute une nation. La part intime de cet événement après lequel rien n’a plus été pareil : l’attentat de Charlie Hebdo où, si la France et le monde y ont perdu une naïveté, une légèreté,  Philippe Lançon a perdu ses amis, son visage et ses dernières illusions : il s’est perdu lui-même, « un événement qui, dans ma propre vie, mettait le reste entre parenthèses »

C’est une année de reconstruction, entre humilité et obstination, par un homme qui n'a pas pu parler ni manger pendant des mois.  Il s'y réinvente dans une prose qui est très loin d’être journalistique, mais au contraire profonde, brillante, littéraire pour tout dire.  Philippe Lançon n'a aucun souci de de l’universel (il n’y entre même pas): pas de revanche, pas de haine, pas de réflexion convenu sur le fanatisme…. dans une attitude qu’il ne juge même pas utile de justifier:le propos n’est pas là.

Alors n’est-ce pas se regarder le nombril que de ne parler que de soi, de reconstituer au jour le jour, détail après détail, sans en lâcher aucun,  une lutte certes admirable mais ô combien personnelle ? Certains penseront cela. Pour ma part j’y ai surtout vu un partage dans une complète sincérité - qui n’empêche pas les jardins secrets. Voilà ce que c’est d'être un homme, cet homme-là, en lutte tel qu’il est, et est devenu, dans ses faiblesses et dans ses forces, tel qu’il nous le relate dans une impudique pudeur. Car ce livre à lui seul est un oxymore géant, une perpétuelle mise en confrontation de la nuance et de la subtilité, du sérieux et de l’humour, de l’homme et de l’enfant, de l’intellectuel virulent et du patient désarmé, du sachant et de l'ingénu.

C’est aussi un magnifique hommage à ceux qui l’ont aidé : les amis, la famille (dans une recomposition circonstancielle), bien sûr : les toujours-là et toujours-prêts. Mais aussi  les soignants, menés par Chloé, la chirurgienne charismatique, auprès desquels il a trouvé non seulement une technicité hors pair, mais aussi un nid protecteur et stimulant où se ressourcer, constituant pour lui une sorte de balai de dieux et de héros. Et les policiers qui l’ont sécurisé 24 heures sur 24, tout à la fois d’agresseurs potentiels que de ses visions de reviviscence terrorisantes (oui il le reconnaît lui-même un journaliste de Hara-kiri qui remercie ceux qu’il n’appelle plus des flics, c’est assez savoureux). Et puis, aussi Proust dont il lit et relit la mort de la grand-mère, Kafka écrivant à Milena, La Montagne magique de Mann et son enfermement cotonneux , Bach, et toutes ces lectures, ces films, ces musiques,  cette vie antérieure qu’il ne  reconnaît plus, dans ce grand chambardement de la personnalité, de la mémoire et de la cognition, mais qui fut nourrissante, affectivement culturellement, qui fait ce qu’il est quand même, et ce qu’il devient , et, alors même qu’il ne se connaît plus lui-même, lui donne un terreau comme tremplin.

« La réflexion sur ces choses n’apporte rien. C’est comme si l’on voulait s’efforcer de briser une seule des marmites de l’enfer, premièrement on échoue, et deuxièmement si on réussit, on es consumé par la masse embrasée qui s’en échappe, mais l’enfer reste intact dans sa magnificence. Il faut commencer autrement. En tout cas s’allonger dans un jardin et tirer de la maladie, surtout si elle n’en est pas vraiment une, le plus de douceurs possible. Il y a là beaucoup de douceurs. »Ces phrases [de Kafka] me servaient depuis lors de bréviaire, et même de viatique.


C’est un texte somptueux, par son humilité dans une démarche qui aurait vite pu être auto-promotionelle, auto-apitoyée, larmoyante, vainement égocentrique, et aussi par son écriture, sa richesse en humanité et en culture, son émotion et sa pensée.

Philippe Lançon apporte ici une réponse à cette question qui , peut-être, je ne sais pas, rôde parfois en vous : à quoi sert la littérature? N’est ce pas, entre autres, apporter une parole réfléchie, intense face à d’imbéciles agissements, à un monde qui se disloque, donner encore une petite foi en l’homme, fourmi agissante, pensante et créatrice face à l’obscurantisme obtus. Une preuve d'humanité résiliente, en quelque sorte.

j’ai senti de nouveau, mais avec une force inédite, qu’on mourrait un nombre incalculable de fois dans sa vie, des petites morts qui nous laissaient là, debout, pétrifiés, survivants, comme Robinson sur l’île qu’il n’a pas choisie, avec nos souvenirs pour bricoler la suite et nul Vendredi pour nous aider à la cultiver.



mots-clés : #autobiographie #identite #medecine #psychologique #terrorisme
par topocl
le Dim 6 Jan 2019 - 13:08
 
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Sujet: Philippe Lançon
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Camille Laurens

Philippe

Tag medecine sur Des Choses à lire 89477710

Philippe, le fils aîné de Camille Laurens est décédé quelque heures après sa naissance. Si la première partie « Souffrir » décrit les beaux moments de la grossesse et de l'attente, amères à la lueur du destin par nous connu, la suite « Comprendre » est surtout un pamphlet de récrimination contre l’accoucheur incompétent et négligent (copies du dossier médical et de l’expertise à l'appui) et l'entourage globalement maladroit à l'exception de quelques amis « courageux ». puis la troisième partie « Ecrire » , c'est l'écriture pour faire « survivre » l'enfant.

Je comprends tout à fait le besoin de Camille Laurens en tant qu'écrivain de jeter (car c’est plus souvent jeter qu'écrire) cette histoire sur le papier, et en tant que femme de hurler cette cruelle ignominie à la face du public. Il ressort bien évidemment de cette lecture une impression d'horreur, de révolte  et de malheur auxquels le lecteur, comme la lectrice ne sauraient échapper.
Dire que c’est un bon livre est sans doute autre chose, à laquelle je ne puis me résoudre, même si je n'aime pas tirer sur les ambulances. C'est  pour l'essentiel un acte de dénonciation, qu'on peut considérer comme salutaire (encore que...), peut-être même de vengeance, mais cela n' a qu'un lointain rapport avec la littérature.

Quant à la polémique Laurens-Darrieusecq à propos de Tom est mort elle ne peut être comprise par l'observateur non impliqué que comme l'expression de l'ampleur de la déchirure de Camille Laurens.

Et je ne parlelrai pas du ridicule achevé de la couverture du Folio...
Spoiler:



mots-clés : #autofiction #medecine #mort #relationenfantparent
par topocl
le Jeu 6 Déc 2018 - 18:19
 
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Sujet: Camille Laurens
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Anne Bert

Le tout dernier été

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Anne Bert apprend à 58 ans, qu'elle est atteinte de la maladie de Charcot. Elle sait ce qui l'attend, ce carcan qui va peu à peu enfermer son corps, supprimer son autonomie, réduire la communication. Elle décide de ne pas laisser la vie lui dicter sa mort.

Il ne faut pas s'attendre à un pamphlet, un réquisitoire, un plaidoyer, un descriptif détaillé.
C'est une accumulation, au jour le jour, de sensations, d'impressions , de petits bonheurs, de grandes meurtrissures.
C'est un récit qui n'a d'autre but que de dire, j'ai été là, j'ai ressenti ceci, j'ai vécu cela,mon choix fut tel.
Le suicide assisté est là, omniprésent, implicite le plus souvent, mais ce n’est finalement pas le thème central de ce récit tout en sensualité. C'est assez beau, et ça bouleverse, évidemment.


mots-clés : #autobiographie #medecine #mort #temoignage
par topocl
le Sam 17 Nov 2018 - 15:44
 
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Pierre Jourde

Winter is coming

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C'est l'un des livres les plus terribles, les plus noirs que j'aie lus. Quand on ouvre ce genre de livre, c 'est ce qu'on cherche, vous me direz.

Alors que la vie coulait pour Pierre Jourde un peu comme pour tout le monde, sans doute même un peu mieux que la moyenne,  on a diagnostiqué chez son fils de 19 ans un cancer du rein, d'une forme très rare, 12 cas au monde, et très virulente, pas de survie au-delà de 2 ans. Gabriel, dit Gazou, cet enfant pas encore homme, cet homme encore enfant,  aura droit à 11 mois.
Une histoire sans espoir aucun, racontée rétrospectivement, pas encore sorti de cette douleur dont il ne sait pas s'il en sortira jamais.

N'attendez pas une histoire de petits faits au jour le jour, de petits détails, de petites anecdotes qui permettent de reprendre souffle, de beaux détails sauvés dans ce marasme qui font quand même croire en la vie, C'est au contraire, malgré un vague souci chronologique, une grande déferlante sans répit faite de noirceur, de colère, de rage, d'impuissance et de fatalité. Cela reste sobre et contrôlé, parfois superbement écrit, avec parfois une note d’humour pour mieux cibler la naïveté  de l'équipe patiente (Gazou et sa famille), la vanité des espoirs et des dénis, mais il n'y a pas une seconde où souffler. C'est un homme qui se noie à voir son fils se noyer. Ce n'est pas un cri, mais une longue et déchirante vallée de larmes.

Si je comprends bien à quoi ça sert d’écrire cela, j'en suis toujours à me demander à quoi ça sert de le lire, et à y retourner, quand même. Un partage d'humanité, une oreille à ce qui se doit d'être dit ? Une façon de conjurer le sort? Une honnêteté à reconnaître que mes petits emmerdements, je ferai bien de ne pas trop m'en soucier ? Professionnellement une façon de comprendre ce qui se passe de l'autre côté de mon bureau ? Je ne sais pas. Mais mon cœur serré  doit bien y trouver quelque chose....


Mots-clés : #autobiographie #medecine #mort #psychologique #relationenfantparent #temoignage
par topocl
le Mer 7 Nov 2018 - 18:22
 
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Sujet: Pierre Jourde
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Mathias Enard

Remonter l’Orénoque

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Parallèlement au récit de la remontée de l’Orénoque par Joana, Ignacio écrit ce roman (plutôt une novella, environ 150 pages) en racontant comment Youri, son collègue chirurgien, s’est mis à sombrer dans l’alcool et la folie en poussant dans ses bras son amante, Joana justement, l’infirmière dont lui-même s’est épris.
La quête de sens, le désir et l’amour, surtout le thème du corps traversent Joana enceinte et les patients, mais ce n’est que l’un des fils qui s’entrelacent dans ces histoires, et l’Histoire, qui remontent vers les vagues sources originelles.
C’est encore une nouvelle voie parcourue par Enard, avec une nouvelle voix, un style adapté au propos (deuxième roman écrit par l’auteur, cinquième que je lis de lui).
Bien sûr la promesse de la remontée du fleuve équatorial n’est pas tenue, c’est d'ailleurs un rêve inatteignable par l’écriture (mais qui ne meurt pas même si on l’a vécu parfois), sauf peut-être dans l’Ecuador de Michaux, qui n’en dit pratiquement rien…
Enard fait référence à Jules Crevaux, explorateur des Guyanes, de l’Amazone et de l’Orénoque, dont les comptes-rendus de voyage sont passionnants ; le Noir Apatou qui apparaît dans le roman est une évocation du chef boni qui suivit Crevaux jusque Paris.
Pour qui l’Orénoque intéresse, je peux citer les ouvrages suivants parmi ceux que j’ai lus :

En radeau sur l'Orénoque : des Andes aux bouches du grand fleuve, Voyages dans l’Amérique du Sud, contenant notamment À travers la Nouvelle-Grenade et le Venezuela, et Le mendiant de l'Eldorado. De Cayenne aux Andes, de Jules Crevaux
Le Superbe Orénoque, Jules Verne.
Robinson Crusoé, Daniel Defoe (son île est située dans l'embouchure de l’Orénoque).
Le partage des eaux, d’Alejo Carpentier.
Moravagine, de Blaise Cendrars.
Les Mahuzier au Venezuela et dans l'enfer vert du delta de l'Orénoque, Albert Mahuzier.
L'Expédition Orénoque-Amazone, récit du voyage effectué entre 1948 et 1950 par Alain Gheerbrant et ses compagnons.
L'Expédition (Croisière) Eldorado, de Barrancas, au Venezuela, à Buenos Aires, du bassin de l'Orénoque à celui du Paraná en passant par l’Amazone, par son navigateur, Jean-Gérard Mathé.
Légendes indiennes du Venezuela, Raymond Zocchetti.

Enard fait allusion à
« …] une source inexistante, une toile d’araignée de cours d’eau sauvages, de rivières striant les forêts pour rejoindre au hasard les entrelacs amazoniens. Pas de seuil, pas de partage des eaux, aucune frontière à laquelle se raccrocher [… »

et donc au canal de Casiquiare, un défluent qui relie l'Orénoque à l'Amazone via le rio Negro, extraordinaire phénomène de communication interbassins avec renversements de sens du courant, truc qui me fascine (aussi pour l’avoir un peu expérimenté).
Mais Remonter l'Orénoque parle d'autre chose, qu'on peut difficilement commenter sans divulguer le dénouement, d'où mes méandreuses gloses...
Sinon, belle édition d’Actes Sud, c’est agréable à feuilleter, ça change de browser la liseuse…
A propos :
« …] ces livres étant, j’en suis convaincu, le meilleur de moi qui les avait lus à défaut de les avoir écrits, ils ont fait de moi ce que je suis plus sûrement que la mère elle-même, qui me les confiait pourtant déjà. […]
…] je me contentais de lui remettre les mots des autres, par paquets, ceux qui m’étaient les plus chers, ceux, au fond tout aussi intimes, qui la reflétaient pour moi le plus fidèlement. »






mots-clés : #amour #medecine #mort
par Tristram
le Mar 25 Sep 2018 - 0:13
 
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Sujet: Mathias Enard
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Irvin Yalom

Ca va un peu prolonger ce qu'écrivait Arturo dans le précédent post...

Comment je suis devenu moi-même ? (2018)

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Devenir soi-même, c’est toujours un peu con, si on le savait on irait droit dessus. Nonobstant, certains bouquins de développement personnel se mettent en tête l’idée de nous faire advenir à nous-mêmes à l’aide de petits trucs et de petites astuces qui permettent également, et assez insidieusement, d’augmenter notre aptitude à entrer dans le rang d’oignons sans faire pleurer les éplucheurs de légumes. La méthode de Yalom est un peu différente : devenir soi-même, c’est vieillir, tout simplement. Appréciez la subtilité de l’idée : chaque instant qui passe, au lieu de vous rapprocher de la mort, vous rapproche de l’essence même de votre être. Bravo à vous, bravo à nous, nous devenons plus authentiques à chaque seconde, même nos égarements finiront par le confirmer.


Le parcours n’est pas aisé pour autant, tout le monde le sait. Les premiers chapitres du livre sont laborieux voire rebutants. Ils présentent le schéma rigide suivant : évocation de la situation d’un patient sur un paragraphe, création d’un lien entre cette situation et celle de l’enfant Irvin, narration du souvenir, brève échappée non détruite par le temps sur le court filament chronologique d’une vie d’enfant. L’évocation du cas clinique semble n’être qu’un prétexte vite écorché, le souvenir peine à remonter à la surface, le vieil Irvin semblant avoir tout oublié du jeune Irvin un peu angoissé qu’il dit avoir été, sans doute parce que le reste de sa vie fut un triomphe relatif, sans doute aussi parce que la colère qu’il dit avoir ressenti dans sa jeunesse semble avoir désormais laissé place à la compréhension et au pardon.

Ce voyage était divin, pourtant je me sentais souvent impatient et agité, peut-être à cause du « choc des cultures » ou parce que je ne savais pas vivre sans bûcher. Ce sentiment de mal-être a empoisonné mes premières années d’âge adulte. Vu de l’extérieur, je réussissais formidablement : j’avais épousé la femme que j’aimais, j’avais été admis en fac de médecine où tout marchait bien ; mais, en réalité, je n’étais jamais à mon aise, doutant toujours de moi, sans arriver à saisir l’origine de cette anxiété, soupçonnant une blessure profonde remontant à mes jeunes années, et avec l’impression de ne pas être à ma place, de ne pas être aussi méritant que les autres.



Ce n’est qu’à partir de la page 100 que la biographie devient plus fluide et plus captivante lorsque Irvin, enfin marié et sûr de sa voie professionnelle, nous raconte les petits et grands événements sa vie de couple et de famille, ses découvertes psychothérapeutiques et ses relations professionnelles avec des personnes plus ou moins connues du lecteur. Même s’il se montre parfois un peu agaçant à vouloir nous faire comprendre à quel point sa vie a été merveilleuse, pleine d’amour, d’enfants, d’amis riches et célèbres, de best-sellers et de maisons à Hawaï, il reste aussi attendrissant et il n’hésite pas à mettre à l’œuvre dans son bouquin ce qu’il a toujours préconisé en tant que psychothérapeute : pour briser la cuirasse de méfiance de son patient, il faut savoir prendre des risques soi-même et ne pas hésiter à révéler sa vulnérabilité la plus profonde. Si la méthode a fait ses preuves en psychothérapie, elle fonctionne aussi en littérature, permettant de surmonter les moments d’ennui et d’agacement et procurant un plaisir de lecture simple sans être non plus transcendant.

Plus je vieillis, plus je ressens cet isolement. Je pense au monde de mon enfance – les réunions du samedi soir chez tante Luba, les odeurs s’échappant de la cuisine, la poitrine de bœuf, le ragoût et les carottes à la juive, les parties de Monopoly et les parties d’échec avec mon père, l’odeur du manteau de laine d’agneau bouclé de ma mère – et je frissonne en comprenant que tout cela n’existe plus que dans ma mémoire.


Cette profession, qui nous offre l'occasion de dépasser notre petite personne, fait de nous des explorateurs, plongés dans la plus grandiose des recherches - le développement et la préservation de l'esprit humain. Main dans la main avec les patients, nous savourons le plaisir de la découverte - le moment décisif où des fragments idéels disparates glissent brusquement l'un vers l'autre pour former un tout cohérent. Je me fais parfois l'effet d'un guide escortant des étrangers à travers les pièces de leur propre maison. Quel bonheur de les regarder ouvrir les portes de chambres où ils n'étaient jamais entrés, de découvrir dans des parties inexplorées des éléments de leur identité, beaux et novateurs.



mots-clés : #autobiographie #medecine #psychologique
par colimasson
le Lun 13 Aoû 2018 - 16:49
 
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Sujet: Irvin Yalom
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Matt Cohen

Matt Cohen
(1942 - 1999)


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Matt Cohen, romancier, nouvelliste, poète, auteur de livres pour enfants (né le 30 décembre 1942 à Kingston, en Ontario; décédé le 2 décembre 1999 à Toronto, en Ontario). Lauréat du Prix du Gouverneur général et membre fondateur de la Writers’ Union of Canada, Matt Cohen est un auteur prolifique et de renom et a écrit plus de 20 œuvres de fiction.

Formation et carrière
Élevé et éduqué à Ottawa, Matt Cohen obtient un baccalauréat ès arts (1964) et une maîtrise ès arts en sciences politiques (1965) à l'Université de Toronto.

En 1968, quoiqu’il n’ait rien publié encore, il devient écrivain résident au Rochdale College à Toronto et y rencontre Stan Bevington, un des fondateurs de la Coach House Press, et le poète Dennis Lee, un des fondateurs de la House of Anansi Press. Par son amitié avec le philosophe George Grant, Matt Cohen est embauché par l’Université MacMaster comme professeur de religion, poste qu’il quitte de façon prématurée pour se consacrer à l’écriture.


Oeuvres traduites en français


Le médecin de Tolède, 1986
Nadine, 1990
Freud à Paris, 1990
Les mémoires barbelées, 1993
Élizabeth et après, 2000


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Le médecin de Tolède

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J'ai lu sans déplaisir aucun ce roman, ces dernières semaines, un peu comme on regarde une série, avec enthousiasme mais sans certitude sur la qualité du scénario.

Car l'histoire, romanesque à souhait, nous entraine dans ses rebondissements terribles.
Mais dans le fond j'ai trouvé quelques maladresses au style de l'auteur, il y a quelques fois des râtés, des incohérences, des développements psychologiques qui font sentir l'écrivain derrière l'histoire.Des ruptures de ton qui semblent involontaires et où on sort de la fresque historique et humanitaire. Enfin je ne sais pas si c'est ça le problème ou si ce sont des traits de la psychologie des personnages qui ne m'ont parfois pas plu. Vous savez des fois faut se méfier avec ma subjectivité, elle a un côté très en forme quand elle veut !

Pour autant c'était une "lecture de vacances" sympa, comme on dit (surtout que je ne suis pas en vacances du tout et qu'il fallait ce genre de livre pour accompagner ma fatigue, justement, très enlevé même si imparfait parfois.)

Le thème du livre, lui, est loin d'être plaisant. Je l'ai choisis pour approfondir ma connaissance du XVeme siècle. On accompagne la vie tragique d'un homme , fils d'une juive violée lors d'un pogrom, qui devient médecin, brillant , mais toujours assujetti à son statut de juif, au coeur d'une Espagne profondément antisémite et juive. Ces aspects sont très bien développés ainsi que la pesée des pouvoirs en place dans l'Eglise catholique.


J'ai lu ce livre dans la volonté de prolonger la lecture du livre de Jacques Attali  appelé 1492 (ICI)

et elle illustrera aussi parfaitement , sur un plan romanesque, le  livre de Pierre Assouline, Retour à Séfarad. (Je fais un fil ce week end promis)

J'ai aussi appris pas mal sur le judaïsme à cette époque, au fil de ces trois lectures croisées, je n'y connaissais rien, et force est d'admettre que la notion d'hérésie a copieusement trouvé eau à son moulin en trucidant la communauté religieuse juive, je ne le savais pas mais ils ont copieusement morflé à l'époque .Comme je suis issue d'une culture catholique , je découvre comment le Christianisme a maintenu son monopole culturel et politique à cette époque. C'est coton-pas glop. Je sors de mes vagues notions ethnocentrées de l'Histoire, avant quand je pensais "heretiques" je pensais "courants protestants, sorcières etc" Tu parles, il y avait dans le collimateur aussi la religion juive et tous ses convertis. Je ne le savais tout bonnement pas. Depuis je lis beaucoup de choses par hasard qui le confirment, donc une grosse lacune chez moi est enfin comblée. #etre ignare mais se soigner



mots-clés : #antisémitisme #historique #medecine #moyenage #religion
par Nadine
le Sam 2 Juin 2018 - 11:02
 
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Sujet: Matt Cohen
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Jérome Garcin

Le syndrome de Garcin

Tag medecine sur Des Choses à lire Proxy_58

Jérôme Garcin poursuit son œuvre d’autoportrait sans en avoir l'air, à travers la recension de ses morts. Ici ses deux grands-pères (et plus particulièrement son grand père Garcin célèbre neurologue qui décrivit le signe de Garcin, le syndrome de Garcin et j'en passe) et à travers eux deux lignées médicales dans la plus belle tradition du mandarinat, du patriarcat, du népotisme, appelez ça comme vous voudrez.

Cela donne deux portraits attachants, et amusants car contrastés. L'un est rigide, austère, totalement absorbé par son travail, mais droit et accueillant,un chef d’œuvre d'humanisme avec ses patients (enfin il est décrit comme tel), l'autre, psychiatre renommé, est plus joyeux, plus souple, très ouvert avec ses vieux pantalons de velours côtelé.

C'est un hommage affectueux à ces grands père, à leur façon d'aborder la vie avec une dignité discrète, réservant l'étalage de leurs affects, pleinement investis de leur vocation médicale, tant dans son versant scientifique qu'humain. De grands hommes. C'est une réflexion sur la médecine, ses rapports avec la littérature, qui partagent une attention à l'humain. C'est une confession intime sur l'esprit Garcin, cette façon de raconter les tragédie sans y avoir l'air d'y toucher, ce qui  n'empêche pas de souffrir.

Comme souvent avec Jérôme Garcin, il y a de très beaux moments, du fait de son œil tout à la fois perçant et attentionné, d'autant qu'il a une belle écriture, presque trop par moments, un peu désuète par moments (et obligeant parfois à relire certaines phrases pour les comprendre).Mais ce "ne pas y toucher " me laisse aussi toujours un peu sur ma faim.

Et puis, il faut reconnaître que si se tartiner la généalogie de ces patrons-médecins a un réel sens sociologique, j'ai vu moins d’intérêt, même moi neurologue, à l'énumération des maladies rares, des titres de travaux...alors je me dis que pour les non-médecins, cela doit être par moments carrément indigeste.

Curieux mélange, donc. N'empêche, j’aime quand même bien Jérôme Garcin.


Mots-clés : #famille #medecine
par topocl
le Sam 2 Juin 2018 - 8:58
 
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Sujet: Jérome Garcin
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