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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Ven 29 Mar - 6:00

58 résultats trouvés pour sciencefiction

Ken Liu

L'Homme qui mit fin à l'histoire : un documentaire

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire L_homm21

« Evan Wei, un jeune spécialiste sino-américain du Japon de l’époque de Heian, et Akemi Kirino, une physicienne expérimentale nippo-américaine », mettent au point une exploration du passé en s’y rendant par un voyage dans le temps, mais avec la condition intrinsèque au processus de la destruction des preuves ramenées dudit passé.
« Un des paradoxes cruciaux de l’archéologie, c’est que, pour fouiller un site afin de l’étudier, il faut le détruire. Au sein de la profession, on débat à chaque site pour savoir s’il vaut mieux le fouiller ou le préserver in situ jusqu’à la mise au point de nouvelles techniques moins invasives. Mais sans des fouilles destructrices, comment mettra-t-on au point ces nouvelles techniques ?
Evan aurait sans doute dû lui aussi attendre qu’on invente un moyen d’enregistrer le passé sans l’effacer par la même occasion. Seulement, il aurait peut-être été trop tard pour les familles des victimes qui allaient bénéficier le plus de ces souvenirs. Il se débattait sans cesse entre les revendications antagonistes du passé et du présent. »

Le second propos est l’exposé des atrocités commises par les Japonais dans l’Unité 731 lors de la Seconde Guerre sino-japonaise (vivisections sans anesthésie, etc.).
« Ce même jour en 1931, près de Shenyang, ici en Mandchourie, éclatait la Seconde Guerre sino-japonaise. Pour les Chinois, il s’agissait du début de la Seconde Guerre mondiale, plus d’une décennie avant l’implication des États-Unis.
Nous sommes à la périphérie de Harbin, dans le district de Pingfang. Même si ce nom n’évoque rien à la plupart des Occidentaux, certains n’hésitent pas à surnommer ce lieu l’« Auschwitz d’Asie ». L’Unité 731 de l’Armée impériale japonaise y a mené durant la guerre d’atroces expériences sur des milliers de Chinois et Alliés captifs pour permettre au Japon de créer des armes biologiques et de conduire des recherches sur les limites de l’endurance humaine.
Dans ces locaux, des médecins militaires japonais ont tué des milliers de Chinois et d’Alliés par le biais d’expériences médicales, essais d’armements, vivisections, amputations et autres tortures systématiques. À la fin de la guerre, l’armée nippone qui battait en retraite a supprimé les derniers prisonniers et brûlé le complexe, ne laissant derrière elle que la carcasse du bâtiment administratif et les fosses utilisées pour élever des rats porteurs de maladies. Il n’y a eu aucun survivant.
Les historiens estiment qu’entre deux et cinq cent mille Chinois, presque tous des civils, ont été tués par les armes bactériologiques et chimiques mises au point ici et dans des laboratoires annexes : anthrax, choléra, peste bubonique. À l’issue de la guerre, le général MacArthur, commandant en chef des forces Alliées, a préservé les membres de l’Unité 731 de toute poursuite judiciaire pour crimes de guerre afin de récupérer les résultats de leurs expériences et de soustraire lesdites données à l’Union Soviétique. »

« Le 15 août 1945, nous avons appris que l’Empereur avait capitulé devant l’Amérique. Comme bien d’autres Japonais en Chine alors, mon unité a estimé qu’il serait plus facile de se rendre aux nationalistes chinois. On l’a incorporée dans une unité de l’armée nationaliste sous les ordres de Chiang Kaïchek, et j’ai continué de travailler en tant que médecin militaire pour aider les nationalistes contre les communistes dans la guerre civile. »

Est présentée ensuite l’attitude vis-à-vis de ces faits (de part et d’autre) : silence, oubli élusif, négationnisme, déni de responsabilité historique, opportunisme politique, etc. La question de leur validité en tant que documents historiques est aussi posée, ainsi que le problème du contrôle, de la maîtrise du passé.
« Aux premiers temps de la République populaire, de 1945 à 1956, l’approche idéologique des communistes consistait à tenir l’invasion pour une étape historique parmi d’autres de l’avancée irrésistible de l’humanité vers le socialisme. Tout en condamnant le militarisme japonais et en célébrant la résistance, ils essayaient de pardonner individuellement les Japonais si ces derniers montraient des signes de contrition – une attitude surprenante par son caractère confucéen et chrétien de la part d’un régime athée. Malgré l’atmosphère de zèle révolutionnaire, les prisonniers nippons étaient, pour la plupart, traités avec humanité. On leur donnait des cours de marxisme et on leur disait d’avouer leurs crimes par écrit (du fait de ces cours, le public japonais a pu croire que tout homme qui confessait des crimes horribles commis pendant la Guerre avait subi un lavage de cerveau de la part des communistes). Une fois qu’on les estimait repentis grâce à cette « rééducation », on les rendait au Japon. »

« Voisins sur le plan géographique, les deux pays l’ont été aussi dans leur réponse à la barbarie de la Seconde Guerre mondiale : l’oubli, au nom d’idéaux universels tels que « la paix » et « le socialisme », l’appariement des souvenirs de la Guerre au patriotisme, la déréalisation des victimes comme des bourreaux opérée pour les ramener pareillement à des symboles afin de servir l’État. Sous cet angle, la mémoire abstraite, partielle, fragmentaire en Chine et le silence au Japon ne sont plus que les deux faces de la même pièce. »

Cette novella très dense constitue un bel exemple de réflexion amenée par le biais de la science-fiction. Un assemblage de témoignages, interviews et autres déclarations parcourt les questions éthiques, juridiques, philosophiques portant sur un évènement historique difficile à assumer. Les dimensions personnelle et collective sont discutées.
« Tenter de rajouter l’empathie et l’émotion aux recherches historiques lui a valu l’opprobre de l’élite universitaire. Or, mêler à l’histoire la subjectivité du récit personnel renforce la vérité au lieu d’en détourner. Accepter notre fragilité et notre subjectivité n’est pas renoncer à notre responsabilité morale de dire la vérité, même, et surtout, si « la vérité », loin d’être unique, devient pluralité d’expériences partagées qui, ensemble, composent notre humanité. »


\Mots-clés : #campsconcentration #deuxiemeguerre #devoirdememoire #historique #sciencefiction #xxesiecle
par Tristram
le Mar 13 Fév - 11:27
 
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Sujet: Ken Liu
Réponses: 2
Vues: 166

Salman Rushdie

Quichotte

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Quicho10

M. Ismail Smile, vieil États-unien originaire de Bombay et voyageur de commerce, est si addict aux « programmes télévisés ineptes » qu’il a glissé dans cette « réalité irréelle », suite à un mystérieux « Événement Intérieur ».
« Des acteurs qui jouaient des rôles de président pouvaient devenir présidents. L’eau pouvait venir à manquer. Une femme pouvait être enceinte d’un enfant qui se révélait être un dieu revenant sur terre. Des mots pouvaient perdre leur sens et en acquérir de nouveaux. »

« À l’ère du Tout-Peut-Arriver », sous le pseudonyme de Quichotte il se lance dans la quête amoureuse d’une vedette de télé, Miss Salma R., elle aussi d'origine indienne.
Quichotte se crée un « petit Sancho », un fils né de Salma dans le futur, inspiré du garçon rondouillard qu’il fut avant de devenir un adulte grand et mince
Ce premier chapitre a été écrit par l’écrivain Sam DuChamp, dit Brother, auteur de romans d’espionnage aux tendances paranoïaques, qui trouve en Quichotte une grande similitude avec sa propre situation.
« Ils étaient à peu près du même âge, l’âge auquel pratiquement tout un chacun est orphelin et leur génération qui avait fait de la planète un formidable chaos était sur le point de tirer sa révérence. »

Situation des immigrants indiens :
« Puis, en 1965, un nouvel Immigration and Nationality Act ouvrit les frontières. Après quoi, retournement inattendu, il s’avéra que les Indiens n’allaient pas, après tout, devenir une cible majeure du racisme américain. Cet honneur continua à être réservé à la communauté afro-américaine et les immigrants indiens, dont beaucoup étaient habitués au racisme des Blancs britanniques en Afrique du Sud et en Afrique de l’Est tout comme en Inde et en Grande-Bretagne, se sentaient presque embarrassés de se retrouver exonérés de la violence et des attaques raciales, et embarqués dans un devenir de citoyens modèles. »

Dans ce roman, Rushdie met en scène (de nouveau) l’état du monde, politique, culturel, en faisant des allers-retours des sociétés d’Asie du Sud à celles d’Occident.
« Une remarque, au passage, cher lecteur, si vous le permettez : on pourrait défendre l’idée que les récits ne devraient pas s’étaler de la sorte, qu’ils devraient s’enraciner dans un endroit ou dans un autre, y enfoncer leurs racines et fleurir sur ce terreau particulier, mais beaucoup de récits contemporains sont, et doivent être, pluriels, à la manière des plantes vivaces rampantes, en raison d’une espèce de fission nucléaire qui s’est produite dans la vie et les relations humaines et qui a séparé les familles, fait voyager des millions et des millions d’entre nous aux quatre coins du globe (dont tout le monde admet qu’il est sphérique et n’a donc pas de coins), soit par nécessité soit par choix. De telles familles brisées pourraient bien être les meilleures lunettes pour observer notre monde brisé. Et, au sein de ces familles brisées, il y a des êtres brisés, par la défaite, la pauvreté, les mauvais traitements, les échecs, l’âge, la maladie, la souffrance et la haine, et qui s’efforcent pourtant, envers et contre tout, de se raccrocher à l’espoir et à l’amour, et il se pourrait bien que ces gens brisés – nous, le peuple brisé ! – soient les plus fidèles miroirs de notre époque, brillants éclats reflétant la vérité, quel que soit l’endroit où nous voyageons, échouons, vivons. Car nous autres, les immigrants, nous sommes devenus telles les spores emportées dans les airs et regardez, la brise nous entraîne où elle veut jusqu’à ce que nous nous installions sur un sol étranger où, très souvent, comme c’est le cas par exemple à présent en Angleterre avec sa violente nostalgie d’un âge d’or imaginaire où toutes les attitudes étaient anglo-saxonnes et où tous les Anglais avaient la peau blanche, on nous fait sentir que nous ne sommes pas les bienvenus, quelle que soit la beauté des fruits que portent les branches des vergers de fruitiers que nous sommes devenus. »

À Londres, Sister (sœur de… Brother avec qui elle est brouillée), est une coléreuse « avocate réputée, s’intéressant tout particulièrement aux questions des droits civiques et aux droits de l’homme ».
« Sister était idéaliste. Elle pensait que l’État de droit était l’un des deux fondements d’une société libre, au même titre que la liberté d’expression. »

Le Dr R. K. Smile, riche industriel pharmaceutique cousin et employeur d’Ismail, se révèle être un escroc, distribuant fort largement ses produits opiacés.
Sancho Smile est une créature au second degré (imaginé par Quichotte imaginé par Brother) qui s’interroge sur son identité.
« Il y a un nom pour cela. Pour la personne qui est derrière l’histoire. Le vieux bonhomme, papa, dispose de plein d’éléments sur cette question. Il n’a pas l’air de croire en une telle entité, n’a pas l’air de sentir sa présence comme moi mais sa tête est tout de même remplie de pensées sur cette entité. Sa tête et par conséquent la mienne aussi. Il faut que je réfléchisse à cela dès maintenant. Je vais le dire ouvertement : Dieu. Peut-être lui et moi, Dieu et moi, pouvons-nous nous comprendre ? Peut-être pourrions-nous avoir une bonne discussion ensemble, puisque, vous savez, nous sommes tous deux imaginaires. »

« C’est simplement lui, papa, qui se dédouble en un écho de lui-même. C’est tout. Je vais me contenter de cela. Au-delà, on ne peut que sombrer dans la folie, autrement dit devenir croyant. »

« Il y a trois crimes que l’on peut commettre dans un pensionnat anglais. Être étranger, c’est le premier. Être intelligent, c’est le deuxième. Être mauvais en sports, c’est le troisième coup, vous êtes éliminé. On peut s’en sortir avec deux des trois défauts mais pas avec les trois à la fois. »

« Il y a des gens qui ont besoin de donner par la force une forme au caractère informe de la vie. Pour eux, l’histoire d’une quête est toujours très attirante. Elle les empêche de souffrir les affres de la sensation, comment dit-on, d’incohérence. »

Sancho est aussi un personnage (fictif) qui rêve d’émancipation, ombre de Quichotte et qui ne veut plus en être esclave. Tout ce chapitre 6 où il parle forme un morceau d’anthologie sur le sens de l’existence et de la littérature, via l’intertextualité. Ainsi, en référence à Pinocchio :
« “Grillo Parlante, à ton service, dit le criquet. C’est vrai, je suis d’origine italienne. Mais tu peux m’appeler Jiminy si tu veux. […]
Je suis une projection de ton esprit, exactement comme tu as commencé toi-même par être une projection du sien. Il semble que tu devrais bientôt avoir une insula. »

Salma, bipolaire issue d’une lignée féminine de belles vedettes devenues folles, est dorénavant superstar dans son talk-show (en référence assumée à Oprah Winfrey) ; elle s’adonne à « l’automédication » avec des « opiacés récréatifs ».
« Elle était une femme privilégiée qui se plaignait de soucis mineurs. Une femme dont la vie se déroulait à la surface des choses et qui, ayant choisi le superficiel, n’avait pas le droit de se plaindre de l’absence de profondeur. »

Road-trip où le confiant, souriant et bavard Quichotte emmène Sancho, qui découvre la réalité, les USA, la télé :
« Nous sommes sous-éduqués et suralimentés. Nous sommes très fiers de qui vous savez. Nous fonçons aux urgences et nous envoyons Grand-Mère nous chercher des armes et des cigarettes. Nous n’avons besoin d’aucun allié pourri parce que nous sommes stupides et vous pouvez bien nous sucer la bite. Nous sommes Beavis et Butt-Head sous stéroïdes. Nous buvons le Roundup directement à la canette. Notre président a l’air d’un jambon de Noël et il parle comme Chucky. C’est nous l’Amérique, bordel. Zap. Les immigrants violent nos femmes tous les jours. Nous avons besoin d’une force spatiale à cause de Daech. Zap. […]
“Le normal ne me paraît pas très normal, lui dis-je.
– C’est normal de penser cela”, répond-il. […]
Chaque émission sur chaque chaîne dit la même chose : d’après une histoire vraie. Mais cela non plus ce n’est pas vrai. La vérité, c’est qu’il n’y a plus d’histoires vraies. Il n’existe plus de vérité sur laquelle tout le monde peut s’accorder. »

… et la vie en motels, qui nous vaut cette belle énumération d’images :
« Ce qu’il y a, surtout, ce sont des ronflements. La musique des narines américaines a de quoi vous impressionner. La mitrailleuse, le pivert, le lion de la MGM, le solo de batterie, l’aboiement du chien, le jappement du chien, le sifflet, le moteur de voiture au ralenti, le turbo d’une voiture de course, le hoquet, les grognements en forme de SOS, trois courts, trois longs, trois courts, le long grondement de la vague, le fracas plus menaçant des roulements de tonnerre, la brève explosion d’un éternuement en plein sommeil, le grognement sur deux tons du joueur de tennis, la simple inspiration/expiration ordinaire ou ronflement classique, le ronflement irrégulier, toujours surprenant, avec, de temps en temps, des pauses imprévisibles, la moto, la tondeuse à gazon, le marteau-piqueur, la poêle grésillante, le feu de bois, le stand de tir, la zone de guerre, le coq matinal, le rossignol, le feu d’artifice, le tunnel à l’heure de pointe, l’embouteillage, Alban Berg, Schoenberg, Webern, Philip Glass, Steve Reich, le retour en boucle de l’écho, le bruit d’une radio mal réglée, le serpent à sonnette, le râle d’agonie, les castagnettes, la planche à laver musicale, le bourdonnement. »

« En fait, voilà : quand je m’éveille le matin et que j’ouvre la porte de la chambre, je ne sais pas quelle ville je vais découvrir dehors, ni quel jour de la semaine, du mois ou de l’année on sera. Je ne sais même pas dans quel État nous allons nous trouver, même si cela me met dans tous mes états, merci bien. C’est comme si nous demeurions immobiles et que le monde nous dépassait. À moins que le monde ne soit une sorte de télévision, mais je ne sais pas qui détient la télécommande. Et s’il y avait un Dieu ? Serait-ce la troisième personne présente ? Un Dieu qui, au demeurant, nous baise, moi, les autres, en changeant arbitrairement les règles ? Et moi qui croyais qu’il y avait des règles pour changer les règles. Je pensais, même si j’accepte l’idée que quelqu’un virgule quelque chose a créé tout ceci, ce quelque chose virgule ce quelqu’un n’est-il, virgule ou n’est-elle, pas lié.e par les lois de la création une fois qu’il, ou elle, l’a achevée ? Ou peut-il virgule, peut-elle hausser les épaules et déclarer finie la gravité, et adieu, et nous voici flottant tous dans le vide ? Et si cette entité, appelons-la Dieu, pourquoi pas, c’est la tradition, peut réellement changer les règles tout simplement parce qu’elle est d’humeur à le faire, essayons de comprendre précisément quelle est la règle qui est changée en l’occurrence. »

Ils arrivent à New-York.
« Il y a deux villes, dit Quichotte. Celle que tu vois, les trottoirs défoncés de la ville ancienne et les squelettes d’acier de la nouvelle, des lumières dans le ciel, des ordures dans les caniveaux, la musique des sirènes et des marteaux-piqueurs, un vieil homme qui fait la manche en dansant des claquettes, dont les pieds disent, j’ai été quelqu’un, dans le temps, mais dont les yeux disent, c’est fini, mon gars, bien fini. La circulation sur les avenues et les rues embouteillées. Une souris qui fait de la voile sur une mare dans le parc. Un type avec une crête d’Iroquois qui hurle en direction d’un taxi jaune. Des mafieux affranchis avec une serviette coincée sous le menton dans une gargote italienne de Harlem. Des gars de Wall Street qui ont tombé la veste et se commandent des bouteilles d’alcool dans des night-clubs ou se prennent des shots de tequila et se jettent sur les femmes comme sur des billets de banque. De grandes femmes et de petits gars chauves, des restaurants à steaks et des boîtes de strip-tease. Des vitrines vides, des soldes définitifs, tout-doit-disparaître, un sourire auquel manquent quelques-unes de ses meilleures dents. Des travaux partout mais les conduites de vapeur continuent à exploser. Des hommes qui portent des anglaises avec un million de dollars en diamants dans la poche de leur long manteau noir. Ferronnerie. Grès rouge. Musique. Nourriture. Drogues. Sans-abris. Chasse-neige, baseball, véhicules de police labellisés CPR – courtoisie, professionnalisme, respect –, que-voulez-vous-que-je-vous-dise, ils-ne-manquent-pas-d’humour. Toutes les langues de la Terre, le russe, le panjabi, le taishanais, le créole, le yiddish, le kru. Et sans oublier le cœur battant de l’industrie de la télévision, Colbert au Ed Sullivan Theater, Noah dans Hell’s Kitchen, The View, The Chew, Seth Meyers, Fallon, tout le monde. Des avocats souriants sur les chaînes du câble qui promettent de vous faire gagner une fortune s’il vous arrive un accident. Rock Center, CNN, Fox. L’entrepôt du centre-ville où est tourné le show Salma. Les rues où elle marche, la voiture qu’elle prend pour rentrer chez elle, l’ascenseur vers son appartement en terrasse, les restaurants d’où elle fait venir ses repas, les endroits qu’elle connaît, ceux qu’elle fréquente, les gens qui ont son numéro de téléphone, les choses qu’elle aime. La ville tout entière belle et laide, belle dans sa laideur, jolie-laide, c’est français, comme la statue dans le port. Tout ce qu’on peut voir ici.
– Et l’autre ville ? demanda Sancho, sourcils froncés. Parce que ça fait déjà pas mal, tout ça.
– L’autre ville est invisible, répondit Quichotte, c’est la cité interdite, avec ses hauts murs menaçants bâtis de richesse et de pouvoir, et c’est là que se trouve la réalité. Ils sont très peu à détenir la clef qui permet d’accéder à cet espace sacré. »

Après avoir « renoncé à la croyance, à l’incroyance, à la raison et à la connaissance », ils doivent parvenir dans la « quatrième vallée » au détachement, là où « ce qu’on appelle communément « la réalité », qui est en réalité l’irréel, comme nous le montre la télévision, cessera d’exister. »
Quichotte envoie des lettres à Salma, puis sa photo, qui rappelle à celle-ci Babajan, son « grand-père pédophile ».
« Ma chère Miss Salma,

Dans une histoire que j’ai lue, enfant, et que, par une chance inespérée, vous pouvez voir aujourd’hui portée à l’écran sur Amazon Prime, un monastère tibétain fait l’acquisition du super-ordinateur le plus puissant du monde parce que les moines sont convaincus que la mission de leur ordre est de dresser la liste des neuf milliards de noms de Dieu et que l’ordinateur pourrait les aider à y parvenir rapidement et avec précision. Mais apparemment, il ne relevait pas de la seule mission de leur ordre d’accomplir cet acte héroïque d’énumération. La mission relevait également de l’univers lui-même, si bien que, lorsque l’ordinateur eut accompli sa tâche, les étoiles, tout doucement et sans tapage aucun, se mirent à disparaître. Mes sentiments à votre égard sont tels que je suis persuadé que tout l’objectif de l’univers jusqu’à présent a été de faire advenir cet instant où nous serons, vous et moi, réunis dans les délices éternelles et que, quand nous y serons parvenus, le cosmos, ayant atteint son but, cessera paisiblement d’exister et que, ensemble, nous entamerons alors notre ascension au-delà de l’annihilation pour pénétrer dans la sphère de l’Intemporel
. »

« Autrefois, les gens croyaient vivre dans de petites boîtes, des boîtes qui contenaient la totalité de leur histoire et ils jugeaient inutile de se préoccuper de ce que faisaient les autres dans leurs autres petites boîtes, qu’elles soient proches ou lointaines. Les histoires des autres n’avaient rien à voir avec les leurs. Mais le monde a rétréci et toutes les boîtes se sont trouvées bousculées les unes contre les autres et elles se sont ouvertes et à présent que toutes les boîtes sont reliées les unes aux autres il nous faut admettre que nous devons comprendre ce qui se passe dans les boîtes où nous ne sommes pas, faute de quoi nous ne comprenons plus la raison de ce qui se passe dans nos propres boîtes. Tout est connecté. »

Quichotte a (comme Brother) une demi-sœur, « Trampoline », avec qui il s’est brouillé en l’accusant de détournement de leur héritage, devenue une défenderesse des démunis, et dont il voudrait maintenant se faire pardonner.
« Il n’accordait guère de temps aux chaînes d’actualités et d’informations, mais quand il les regardait distraitement il voyait bien qu’elles aussi imposaient un sens au tourbillon des événements et cela le réconfortait. »

Son, le fils de Brother, s’est aussi éloigné de ce dernier depuis des années, « passant tout son temps, jour et nuit, perdu quelque part dans son ordinateur, à s’immerger dans des vidéos musicales, jouer aux échecs en ligne ou mater du porno, ou Dieu sait quoi. »
Un agent secret (nippo-américain) apprend à Brother que son fils serait le mystérieux Marcel DuChamp, cyberterroriste qui porte le masque de L’Homme de la Manche, et l’engage à le convertir à servir les USA dans cette « Troisième Guerre mondiale ».
« Je ne suis pas critique littéraire mais je pense que vous expliquez au lecteur que le surréel, voire l’absurde, sont potentiellement devenus la meilleure façon de décrire la vraie vie. Le message est intéressant même s’il exige parfois, pour y adhérer, un considérable renoncement à l’incrédulité. »

Le destin d’Ignatius Sancho, esclave devenu abolitionniste, écrivain et compositeur en Grande-Bretagne, est évoqué à propos.
« Les réseaux sociaux n’ont pas de mémoire. Aujourd’hui, le scandale se suffisait à lui-même. L’engagement de Sister, toute une vie durant, contre le racisme, c’était comme s’il n’avait jamais existé. Différentes personnes qui se posaient en chefs de la communauté étaient prêtes à la dénoncer, comme si faire de la musique à fond tard le soir était une caractéristique indéniable de la culture afro-caribéenne et que toute critique à son égard ne pouvait relever que du préjugé, comme si personne n’avait pris la peine de remarquer que la grande majorité des jeunes buveurs nocturnes, ceux qui faisaient du scandale ou déclenchaient des bagarres, étaient blancs et aisés. »

« Mais aujourd’hui c’était le règne de la discontinuité. Hier ne signifiait plus rien et ne pouvait pas nous aider à comprendre demain. La vie était devenue une suite de clichés disparaissant les uns après les autres, un nouveau posté chaque jour et remplaçant le précédent. On n’avait plus d’histoire. Les personnages, le récit, l’histoire, tout cela avait disparu. Seule demeurait la plate caricature de l’instant et c’est là-dessus qu’on était jugé. Avoir vécu assez longtemps pour assister au remplacement, par sa simple surface, de la profonde culture du monde qu’elle s’était choisi était une bien triste chose. »

Trampoline est passée par un cancer qui lui a valu une double mastectomie, et elle recouvrit confiance en elle grâce à Evel Cent (Evil Scent, « mauvaise odeur » – Elon Musk !), un techno-milliardaire qui prétend sauver l’humanité en lui faisant quitter notre planète dans un monde en voie de désintégration ; Quichotte la brouilla avec lui, actuellement invité de Salma dans son talk-show. Trampoline révèle à Sancho que son « Événement Intérieur » fut une attaque cérébrale, et Quichotte obtient le pardon de ses offenses envers elle, rétablissant ainsi l’harmonie, prêt pour la sixième vallée, celle de l’Émerveillement.
« La mort de Don Quichotte ressemblait à l’extinction, en chacun d’entre nous, d’une forme particulière de folie magnifique, une grandeur innocente, une chose qui n’a plus sa place ici-bas, mais qu’on pourrait appeler l’humanité. Le marginal, l’homme dont on ridiculise la déconnexion d’avec la réalité, le décalage radical et l’incontestable démence, se révèle, au moment de sa mort, être l’homme le plus précieux d’entre tous et celui dont il faut déplorer la perte le plus profondément. Retenez bien cela. Gardez-le à l’esprit plus que tout. »

Brother retrouve Sister à Londres, qui se meurt d’un cancer (elle aussi), pour présenter ses excuses alors qu’il n’a pas souvenir de ses torts. Elle lui apprend que leur père avait abusé d’elle.
« C’était déconcertant à un âge aussi avancé de découvrir que votre récit familial, celui que vous aviez porté en vous, celui dans lequel, dans un sens, vous aviez vécu, était faux, ou, à tout le moins, que vous en aviez ignoré la vérité la plus essentielle, qu’elle vous avait été cachée. Si l’on ne vous dit pas toute la vérité, et Sister avec son expérience de la justice le savait parfaitement bien, c’est comme si on vous racontait un mensonge. Ce mensonge avait constitué sa vérité à lui. C’était peut-être cela la condition humaine : vivre dans des fictions créées par des contre-vérités ou par la dissimulation des vérités réelles. Peut-être la vie humaine était-elle dans ce sens véritablement fictive, car ceux qui la vivaient ne savaient pas qu’elle était irréelle.
Et puis il avait écrit sur une gamine imaginaire dans une famille imaginaire et il l’avait dotée d’un destin très proche de celui de sa sœur, sans même savoir à quel point il s’était approché de la vérité. Avait-il, quand il était enfant, soupçonné quelque chose, puis, effrayé de ce qu’il avait deviné, avait-il enfoui cette intuition si profondément qu’il n’en gardait aucun souvenir ? Et est-ce que les livres, certains livres, pouvaient accéder à ces chambres secrètes et faire usage de ce qu’ils y trouvaient ? Il était assis au chevet de Sister rendu sourd par l’écho entre la fiction qu’il avait inventée et celle dans laquelle on l’avait fait vivre. »

Sister et son mari (un juge qui aime s’habiller en robe de soirée) se suicident ensemble avec le « spray InSmileTM » qu’il a apporté à sa demande. Le Dr R. K. Smile charge Quichotte d’une livraison du même produit pour… Salma !
« …] elle passait à la télévision, sur le mode agressif, son monologue introductif portant le titre de “Errorisme en Amérique” ce qui lui permettait à elle et à son équipe de scénaristes de s’en prendre à tous les ennemis de la réalité contemporaine : les adversaires de la vaccination, les fondus du changement climatique, les nouveaux paranoïaques, les spécialistes des soucoupes volantes, le président, les fanatiques religieux, ceux qui affirment que Barack Obama n’est pas né en Amérique, ceux qui soutiennent que la Terre est plate, les jeunes prêts à tout censurer, les vieux cupides, les trolls, les clochards bouddhistes, les négationnistes, les fumeurs d’herbe, les amoureux des chiens (elle détestait qu’on domestique les animaux) et la chaîne Fox. “La vérité, déclamait-elle, est toujours là, elle respire encore, ensevelie sous les gravats des bombes de la bêtise. »

Des troubles visuels et d’autres signes rappellent la théorie de l’effilochement de la réalité dans un cosmos en amorce de désagrégation.
Le nouveau Galaad rencontre Salma pour lui remettre cette « potion » qui devait la rendre amoureuse de lui ; son message d’amour ne passe pas, et Salma fait une overdose avec le produit du Dr R. K. Smile, qui est arrêté pour trafic de stupéfiants (bizarrement, se greffe un chef d’inculpation portant sur son comportement incorrect avec les femmes…).
Maintenant, la télévision s’adresse directement à Quichotte, et son pistolet lui conseille de tuer Salma, sortie de l’hôpital mais dorénavant inatteignable. Sancho, qui lui aussi s’est trouvé une dulcinée et s’émancipe de plus en plus, agresse sa tante pour la voler ; il a changé depuis qu’il a été victime d’une agression raciste.
« Depuis qu’il avait été passé à tabac dans le parc, Sancho avait eu l’impression que quelque chose n’allait pas en lui, rien de physique, plutôt un trouble d’ordre existentiel. Quand vous avez été sévèrement battu, la part essentielle de vous-même, celle qui fait de vous un être humain, peut se détacher du monde comme si le moi était un petit bateau et que l’amarre le rattachant au quai avait glissé de son taquet laissant le canot dériver inéluctablement vers le milieu du plan d’eau, ou comme si un grand bateau, un navire marchand, par exemple, se mettait, sous l’effet d’un courant puissant, à chasser sur son ancre et courait le risque d’entrer en collision avec d’autres navires ou de s’échouer de manière désastreuse. Il comprenait à présent que ce relâchement n’était peut-être pas seulement d’ordre physique mais aussi éthique, que, lorsqu’on soumettait quelqu’un à la violence, la violence entrait dans la catégorie de ce que cette personne, jusque-là pacifique et respectueuse des lois, allait inclure ensuite dans l’éventail des possibilités. La violence devenait une option. »

Des « ruptures dans le réel » et autres « trous dans l’espace-temps » signalent de plus en plus l’imminente fin du monde.
Dans des propos tenus à son fils Son, « l’Auteur » met en abyme dans la fiction le projet de l’auteur.
« “Tant de grands écrivains m’ont guidé dans cette voie”, dit-il ; et il cita aussi Cervantès et Arthur C. Clarke. “C’est normal de faire ça ? demanda Son, ce genre d’emprunt ?” Il avait répondu en citant Newton, lequel avait déclaré que s’il avait été capable de voir plus loin c’était parce qu’il s’était tenu sur les épaules de géants. »

« Il essaya de lui expliquer la tradition picaresque, son fonctionnement par épisodes, et comment les épisodes d’une œuvre de ce genre pouvaient adopter des styles divers, relevé ou ordinaire, imaginatif ou banal, comment elle pouvait être à la fois parodique et originale et ainsi, au moyen de ses métamorphoses impertinentes, mettre en évidence et englober la diversité de la vie humaine. »

« Je pense qu’il est légitime pour une œuvre d’art contemporaine de dire que nous sommes paralysés par la culture que nous avons produite, surtout par ses éléments les plus populaires, répondit-il. Et par la stupidité, l’ignorance et le sectarisme, oui. »

Dans la septième vallée, celle de l’annihilation d’un monde apocalyptique livré aux vides, Quichotte (et son pistolet) convainc Salma d’aller avec lui au portail d’Evel Cent en Californie pour fuir dans la Terre voisine : celle de l’Auteur.

C’est excellemment conté, plutôt foutraque et avec humour, mais en jouant de tous les registres de la poésie au polar en passant par le picaresque ; relativement facile à suivre, quoique les références, notamment au show business, soient parfois difficiles à saisir pour un lecteur français. Beaucoup de personnages et d’imbroglios dans cette illustration de la complexité du monde. De nombreuses mises en abîme farfelues, comme l’histoire des mastodontes (dont certains se tenant sur les pattes arrière et portant un costume vert), perturbent chacun des deux fils parallèles en miroir (celui de Quichotte et celui de Brother), tout en les enrichissant. Récurrences (jeu d’échec, etc.), intertextualité (le « flétan », qui rappelle Günter Grass, etc.). J’ai aussi pensé à Umberto Eco, Philip K. Dick.

\Mots-clés : #Contemporain #ecriture #famille #Identite #immigration #initiatique #Mondialisation  #racisme #sciencefiction #XXeSiecle
par Tristram
le Sam 4 Mar - 12:51
 
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Hugh Howey

Outresable

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Outres10

C’est l’immersion dans l'univers dystopique, post-apocalyptique, de notre monde enseveli sous le sable, un aride désert de dunes livré au vent qui souffle constamment d’est en ouest (on se déplace en « sarfer », une sorte de char à voile), où subsistent de misérables et violentes communautés de survivants avec pour rares ressources les vestiges que des « plongeurs » vont récupérer à grand risque dans ce sable omniprésent qu’ils maîtrisent suffisamment pour s’y mouvoir.
Une des premières scènes, lorsque Palmer est abandonné par son "ami" Hap dans la poche d’air d’un gratte-sol (sorte d’équivalent de nos gratte-ciel vu de dessus) de Danvar, la légendaire ville enfouie sous des centaines de mètres de sable qu’ils ont découverte, cette frappante péripétie donne le ton du roman, fort captivant, très inventif et convaincant. C’est bien vu, comme l’interprétation mythique des constellations, où Orion est devenu « Colorado », ou encore l’étude de vieilles cartes.
« Les vieilles cartes avaient été redessinées. »

On suit les aventures de la famille : est disparu le père de Victoria (Vic), Palmer, Conner et Rob, mari de leur mère Rose (qui tient un bordel pour survivre – et en est venue à se prostituer elle-même pour assurer les besoins de ses enfants, qui se détachent d’elle). Ce fameux plongeur des sables et Seigneur de Springston (autres localités proches, Low-Pub, plus récente et en conflit avec elle, et Bidonville, où l’on puise de l’eau en profondeur) les a quittés pour s’enfoncer dans le No Man’s Land, contrée dont nul n’est revenu et d’où proviennent des grondements aussi mystérieux qu’inquiétants. Ce tonnerre de tambours se révèle être celui des explosions de mines esclavagistes lorsque Violette, leur demi-sœur, parvient à s’en échapper.
La suite m’a paru moins intéressante, méchants de western et bons sentiments.
On pense inévitablement au fameux Cycle de Dune de Frank Herbert, où cependant (de mémoire) le thème de la plongée dans le sable n’était pas exploité.

\Mots-clés : #fratrie #sciencefiction
par Tristram
le Sam 11 Fév - 10:33
 
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Sujet: Hugh Howey
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Ray Bradbury

Fahrenheit 451

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Farenh10

Le pompier Guy Montag revient du feu : il vient de brûler des livres. Dans ce monde futur surpeuplé, où les personnes ne sont guère plus que des kleenex, sa femme Mildred (Millie) vient de se suicider par abus de somnifères ; le lavage d’estomac standard la rétablit dans l’heure. C’est un univers totalement nouveau : votre porte reconnait votre main, on écoute de la musique grâce à des radio-dés enfoncés dans les oreilles, il y a des menaces de guerre, on circule en « coccinelles », on est abruti par la publicité. Les pompiers fument la pipe, et s’emploient à incendier les livres – et parfois leurs propriétaires avec eux.
« Vous connaissez la loi, énonça Beatty. Qu'avez-vous fait de votre bon sens ? Il n'y a pas deux de ces livres qui soient d'accord entre eux. Vous êtes restée des années enfermée ici en compagnie d'une fichue tour de Babel. Secouez-vous donc ! Les gens qui sont dans ces bouquins n'ont jamais existé. »

Montag sympathise avec Clarisse, une voisine de dix-sept ans, dite insociable ; elle est curieuse de tout, et craint la violence omniprésente dans cette société. Avant de disparaître mystérieusement, elle lui dit :
« Vous riez quand je n'ai rien dit de drôle et vous répondez tout de suite. Vous ne prenez jamais le temps de réfléchir à la question que je vous ai posée. »

Lui redoute le Limier, robot chien de garde de la caserne qu’on peut programmer sur une proie particulière grâce à son odeur.
Le capitaine Beatty lui raconte comment la société a évolué, et comment les pompiers, devenus inutiles puisque les maisons étaient toutes ignifugées, se sont reconvertis en gardiens du bonheur sans réflexion.
« Autrefois les livres n'intéressaient que quelques personnes ici et là, un peu partout. Ils pouvaient se permettre d'être différents. Le monde était vaste. Mais le voilà qui se remplit d'yeux, de coudes, de bouches. Et la population de doubler, tripler, quadrupler. Le cinéma et la radio, les magazines, les livres se sont nivelés par le bas, normalisés en une vaste soupe. »

« On doit tous être pareils. Nous ne naissons pas libres et égaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend égaux. »

« Les Noirs n'aiment pas Little Black Sambo. Brûlons-le. La Case de l'Oncle Tom met les Blancs mal à l'aise. Brûlons-le. Quelqu'un a écrit un livre sur le tabac et le cancer des poumons ? Les fumeurs pleurnichent ? Brûlons le livre. La sérénité, Montag. La paix, Montag. À la porte, les querelles. Ou mieux encore, dans l'incinérateur. »

(Sambo le petit noir est un livre écrit en 1899 par Helen Bannerman, autrice écossaise de littérature jeunesse ; à cause de ses clichés d’un racisme paternaliste, des éducateurs noirs et leaders des droits civiques états-uniens ont demandé dans les années trente le retrait des bibliothèques publiques de ce best-seller.)
Mais Montag n’est pas heureux ; il a récupéré secrètement quelques livres, car dans un élan incertain il veut comprendre. Sa femme le dénonce, et Beatty (personnage ambigu qui curieusement accumule les citations littéraires) le force à incendier sa maison ; il brûle ensuite Beatty et le Limier, et s’enfuit chez son seul interlocuteur, Faber, un enseignant à la retraite, passionné de littérature. Puis il quitte la ville, et la nature remplit le vide qu’il ressentait.
« Un daim. Il sentit le lourd parfum musqué auquel se mêlaient une pointe de sang et les effluves poisseux du souffle de l'animal, odeur de cardamome, de mousse et d'herbe de Saint-Jacques dans cette nuit immense où les arbres se précipitaient sur lui, reculaient, se précipitaient, reculaient, au rythme du battement de son cœur derrière ses yeux.
Des milliards de feuilles devaient joncher le sol ; il se mit à patauger dans cette rivière sèche qui sentait le clou de girofle et la poussière chaude. Et les autres odeurs ! De partout s'élevait un arôme de pomme de terre coupée, cru, froid, tout blanc d'avoir passé la plus grande partie de la nuit sous la lune. Il y avait une odeur de cornichons sortis de leur bocal, de persil en bouquet sur la table. Un parfum jaune pâle de moutarde en pot. Une odeur d'œillets venue du jardin d'à côté. Il abaissa la main et sentit une herbe l'effleurer d'une caresse d'enfant. Ses doigts sentaient la réglisse. »

Il rencontre des dissidents qui errent, « clochards au-dehors, bibliothèques au-dedans » : chacun a appris un livre, et ils sauvegardent le savoir en attendant la fin de la guerre qui vient de se déclarer. Lui a mémorisé « une partie de l'Ecclésiaste et de l'Apocalypse », que Faber lui lisait la nuit dans son « coquillage » (oreillette).
« Nous ne sommes que des couvre-livres, rien d'autre. »

« Qu'as-tu donné à la cité, Montag ?
Des cendres.
Qu'est-ce que les autres se sont donné ?
Le néant. »

La ville disparaît dans un bombardement.
« Il y avait autrefois, bien avant le Christ, une espèce d'oiseau stupide appelé le phénix. Tous les cent ans, il dressait un bûcher et s'y immolait. Ce devait être le premier cousin de l'homme. Mais chaque fois qu'il se brûlait, il resurgissait de ses cendres, renaissait à la vie. Et on dirait que nous sommes en train d'en faire autant, sans arrêt, mais avec un méchant avantage sur le phénix. Nous avons conscience de l'énorme bêtise que nous venons de faire. Conscience de toutes les bêtises que nous avons faites durant un millier d'années, et tant que nous en aurons conscience et qu'il y aura autour de nous de quoi nous les rappeler, nous cesserons un jour de dresser ces maudits bûchers funéraires pour nous jeter dedans. À chaque génération, nous trouvons un peu plus de monde qui se souvient. »

Je me souvenais surtout du film, revu plus récemment, et bien sûr des images fortes des autodafés et des hommes-bibliothèques. Mais en dehors de cela, la façon dont l’histoire est narrée m’a assez déçu, même si cet apologue annonce l’actuelle fascination creuse des écrans (livre paru en 1953, en plein maccarthisme et guerre froide), « les grands murs chatoyants tout couleurs et mouvements ».

\Mots-clés : #regimeautoritaire #romananticipation #sciencefiction
par Tristram
le Mer 18 Jan - 11:54
 
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H.G. Wells

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Image44

L'Homme invisible (1898)

Lecture ou relecture improvisée sur de vagues souvenirs du bonhomme en costume et lunettes noires par dessus son visage bandé. Un peu déçu par la forme (et la traduction ?) pas vraiment intense. Bien qu'on se prenne presque d'affection pour cet étrange personnage au mauvais caractère et malgré les péripéties, j'ai trouvé l'ensemble un peu terne.

Reste le dépaysement et cette vision "à l'envers" du scientifique poussé par des motivations qui ne sont pas toutes les meilleures que ce soit avant ou après sa terrible expérience... c'est le moins que l'on puisse dire.

Moralité et regard critique donc mais des trucs vieillots (dont un personnage de juif).


Mots-clés : #sciencefiction #xixesiecle
par animal
le Mar 1 Nov - 17:41
 
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Marlen Haushofer

Le Mur invisible

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Le_mur10

Une femme écrit comment elle se retrouva seule dans un chalet de montagne en forêt autrichienne, soudainement isolée du reste du monde par un mur invisible. Avec pour toute compagnie un chien, puis une vache, et enfin une chatte (puis des chatons, puis un veau), elle raconte au jour le jour sa survie à l’écart du monde (mort ou plutôt pétrifié, peut-être par une guerre), avec comme ressources les équipements et vivres stockés là par le propriétaire de la maison forestière, un hypocondriaque. Elle plante pommes de terre et haricots, chasse (à contrecœur), explore un peu les limites de la réserve close par le mur invisible ; elle travaille dur, aussi pour ne pas se laisser aller à ses pensées.
« Ce n’est pas que je redoute de devenir un animal, cela ne serait pas si terrible, ce qui est terrible c’est qu’un homme ne peut jamais devenir un animal, il passe à côté de l’animalité pour sombrer dans l’abîme. »

Elle se conforme à l’esprit paysan, laborieux, opiniâtre et prévoyant, dépendant des saisons ; son rapport au temps évolue.
« Au moment où je revenais de la vallée, je n’avais pas encore compris que ma vie passée venait brusquement de prendre fin, ou plutôt ma tête seule le savait et c’est pourquoi je n’y croyais pas. Ce n’est que lorsque la connaissance d’une chose se répand lentement à travers le corps qu’on la sait vraiment. C’est ainsi que je n’ignore pas, comme tout un chacun, que je vais mourir, mais mes pieds, mes mains, mes entrailles l’ignorent encore et c’est pourquoi la mort me semble tellement irréelle. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis ce jour de juin et je commence peu à peu à prendre conscience que je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. »

« Je me demande où est passée l’heure exacte, depuis qu’il n’y a plus d’hommes. »

« Déjà, je ne suis plus qu’une fine pellicule recouvrant un amoncellement de souvenirs. »

« C’est depuis que j’ai ralenti mes mouvements que la forêt pour moi est devenue vivante. »

Son récit témoigne à un moment d’une certaine réserve vis-à-vis des hommes (ou de ses semblables) ; elle garde un bon souvenir de son défunt mari ; il me paraît excessif de considérer cet ouvrage comme "féministe" (si ce n’est qu’elle s’en sort au moins aussi bien qu’un homme).
« Je n’ai jamais eu peur la nuit dans la forêt alors qu’en ville je ne me suis jamais sentie tranquille. Pourquoi en est-il ainsi, je l’ignore, sans doute parce que dans la forêt je n’avais pas peur de rencontrer des hommes. »

« La possibilité de se décharger du travail doit être la grande tentation de tous les hommes. Et pourquoi un homme qui n’aurait plus à redouter la réprobation continuerait-il à travailler ? Non, il vaut mieux être seule. »

Elle est mentalement soutenue par la compagnie de ses bêtes, et son récit les évoque essentiellement, rapportant de fines observations.
« Quand je repense à ce premier été, il m’apparaît bien plus marqué par le souci que je me faisais pour mes bêtes que par la conscience du caractère désespéré de ma propre situation. La catastrophe ne m’avait déchargée d’une grande responsabilité que pour, sans que je le remarque, m’accabler d’un autre fardeau. Quand je pus enfin comprendre ce qui se passait, je n’étais plus en mesure d’y rien changer. Je ne crois pas qu’on puisse attribuer mon comportement à de la faiblesse ou de la sentimentalité, je ne faisais que suivre un penchant qui m’était inné et que je n’aurais pu combattre sans me détruire moi-même. C’est bien triste pour notre liberté. Il est vraisemblable qu’elle n’a jamais existé que sur le papier. Déjà on ne peut pas parler de liberté extérieure, mais je n’ai pas non plus rencontré d’homme qui ait été libre intérieurement. Et je n’ai pas éprouvé ce fait comme honteux. Je ne vois pas en quoi ce serait déshonorant de porter le fardeau imposé, comme n’importe quel animal, ni en fin de compte de mourir comme n’importe quel animal. »

Au bout d’un an, estivage à l’alpage, tandis que le monde extérieur est livré aux orties ; au-dessus de la vallée et sa forêt, elle éprouve le vaste espace, le silence et les étoiles.
« Le passé et le futur baignaient la petite île de l’ici et du maintenant. Je savais que ça ne pouvait pas durer, mais je ne me faisais aucun souci. Dans mon souvenir, l’été est assombri par des événements qui n’ont eu lieu que plus tard. Je ne sens plus combien tout a été beau, je le sais seulement. C’est une terrible différence. Pour cela, je ne parviens plus à retracer l’image de l’alpage. Mes sens se souviennent plus difficilement que mon cerveau et peut-être un jour cesseront-ils complètement de se souvenir. Avant que cela n’arrive, il faut que j’aie tout écrit. »

« Le temps passé à l’alpage avait été beau, plus beau qu’il ne le serait jamais ici, mais c’est le chalet de chasse qui était mon vrai foyer. »

Son évolution psychique est finement rendue, notamment sa confrontation directe à la réalité, ainsi hors de la société.
« Mon imagination n’était plus alimentée de l’extérieur et les désirs s’apaisaient lentement. J’étais déjà bien contente quand nous étions rassasiées, moi et mes bêtes, et quand nous n’avions pas à souffrir de la faim. »

« Depuis mon enfance, j’avais désappris à voir les choses avec mes propres yeux et j’avais oublié qu’un jour le monde avait été jeune, intact, très beau et terrible. »

(Le personnage de) Marlen Haushofer propose une intéressante définition de la littérature comme parole adressée non plus à l’autre, mais à soi-même.
« Ce qui importe c’est d’écrire et puisqu’il n’y a plus de conversation possible, je dois m’efforcer de continuer ce monologue sans fin. »

Puis c’est de nouveau l’hiver, toujours les corvées (bois, etc.), de nouvelles souffrances (fatigue, maladie), de nouvelles pertes d’animaux familiers. De nouveau alpage et fenaison. Puis un drame, la mort de son chien étant annoncée depuis longtemps, juste avant que le papier ne manque pour poursuivre le récit ; on ne saura donc rien de la suite de cette aventure.
On pense évidemment au thème de départ et fil directeur de Robinson Crusoé : un individu se retrouve seul, confronté à la nature où il doit s’organiser pour survivre.
Quoique étant le seul élément irréel du livre, l’énigmatique mur invisible en fait un roman de science-fiction à part entière, même si on a trop tendance à écarter du genre les livres de valeur. Il me semble cependant que cette frontière aberrante a surtout pour fonction de délimiter de façon plus ou moins plausible la mise à l’écart du monde de la narratrice (même si elle joue de la menace atomique hantant les années soixante) ; mais elle peut aussi être vue comme une allégorie de la finitude individuelle.
L’approfondissement des rapports avec les animaux (surtout domestiques) et la "nature" d’une part, l’introspection psychologique dans cet isolement d’autre part, constituent les deux principaux intérêts de ce roman.
Si je m’avisais de conseiller, ce livre le serait…

\Mots-clés : #nature #psychologique #sciencefiction
par Tristram
le Mer 19 Oct - 12:45
 
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Sujet: Marlen Haushofer
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John Brunner

Sur l'onde de choc

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Sur_l_10

Tome 4 de la tétralogie Noire :
Wikipédia a écrit:Un monde où règnent la surpopulation, l'eugénisme et le terrorisme dans Tous à Zanzibar (1968), la violence, la haine raciale et le complexe militaro-industriel dans L'Orbite déchiquetée (1969), la pollution, l'activisme écologique et les toutes-puissantes corporations dans Le Troupeau aveugle (1972), les réseaux informatiques, les virus et la manipulation de l'information dans Sur l'onde de choc (1974).

J’ai déjà lu le très recommandable Tous à Zanzibar :
« Pour être moderne, il ne suffit plus d’acheter aujourd’hui et de jeter demain.
Il faut acheter aujourd’hui et jeter aujourd’hui. »

« Le monde réel n’existait plus. Il s’éloignait de Donald comme les images fugitives d’un rêve : expression suprême du principe d’incertitude, déchirées par l’effort même tenté pour les saisir. »

« Nous sommes au courant de tout ce qui se passe à l’échelle de la planète, et nous n’acceptons plus que notre horizon limité circonscrive la réalité. Ce que nous retransmet la télé est bien plus réel. »

Nick Haflinger est un des surdoués pupilles de Randémont, « institut du génie », organisation fédérale des USA au XXIe qui forme l’élite intellectuelle propre à servir le pays, ou plutôt son gouvernement. Ce dernier promeut le « style-de-vie banane », hyper-informatisé et contrôlé par l’État, et Nickie échappe au système afin de ne pas devenir son instrument, ayant trouvé le moyen de changer d’identités, y compris pour les ordinateurs tous connectés.
« Créateur d’utopies, conseil en style-de-vie, spéculateur delphique, expert-saboteur en informatique, rationalisateur système et Dieu sait quoi encore. »

Avec une imagination éblouissante, Brunner narre ses mésaventures (il rencontre Kate, une étudiante fort intuitive, et surtout « sage », c'est-à-dire sensée ; il sera repris) tout en peignant dans cette dystopie un monde qui ressemble curieusement à ce qu’il tend vraiment à devenir de nos jours : un récit qui n’a pas pris une ride, malgré des inventions fort originales (d’un jeu, celui des tringles, et d’une danse, dite de « coley », aux cités marginales où les rescapés du grand tremblement de terre californien organisent des communautés « écotarciques » à l’écart du système global et liberticide – en passant par le Pavillon d’Eustache, service téléphonique de défoulement cathartique à l’abri du gouvernement, pour lequel Nick installe une « couleuvre » protectrice, genre de virus-firewall). C’est une brillante anticipation des hackers et lanceurs d’alerte (à une époque où Internet balbutiait).
« Les rumeurs étaient destinées à faire plaisir aux gens en leur faisant croire que le monde se portait vraiment aussi mal qu’ils en avaient l’impression. »

« Tout se passe comme si le paradoxe suivant était démontré : chacun ignore de quoi il retourne, mais tout le monde sait de quoi il s’agit. »

« Avec une certaine nostalgie, il racontait quelques anecdotes comiques sur les erreurs commises de son temps. La plupart provenaient du préjugé alors en vigueur selon lequel une certaine dose d’émulation est nécessaire pour obtenir des gens un maximum d’efficacité. Alors qu’au contraire, ce qui caractérise une personne douée de sagesse, c’est qu’elle voit tout de suite que l’émulation est une source de gaspillage de temps et d’énergie. »

« La possibilité de devenir qui vous vouliez au lieu d’être ce que vous étiez dans la mémoire des ordinateurs. »

« Autant vouloir prétendre que le mouvement de la mer qui polit les galets sur la grève leur rend un grand service parce qu’il est préférable pour un galet d’avoir des contours lisses plutôt que rugueux. Le galet ne se soucie pas de la forme qu’il a. Mais pour une personne, c’est une chose très importante. Et chaque vague que vous produisez réduit la variété de formes qu’un être humain peut revêtir. »

« En théorie, n’importe lequel d’entre nous a accès à plus d’informations que dans toute l’histoire du monde, et cela grâce à une simple cabine de viphone. […]
Malgré tout ce qu’on raconte sur le pouvoir "libérateur" du réseau informatique, la vérité est qu’il afflige la plupart d’entre nous d’une nouvelle raison de se précipiter dans la paranoïa. »

« Washington : hier. L’exercice du pouvoir personnel. Le privilège de la fonction. La réduction du consensus populaire à un unique porte-parole, écho d’une période où les gens d’une même communauté arrivaient à s’accorder parce qu’ils n’étaient pas assaillis par cent versions incompatibles des événements. »

« S’il existe un phénomène tel que le mal absolu, il consiste à traiter un autre être humain comme un objet. »

« UN : Notre planète est riche. Par suite, la pauvreté et la faim en sont indignes, et puisque nous avons les moyens de les supprimer, nous le devons.
DEUX : Nous appartenons à une espèce civilisée. Par suite, nul ne pourra désormais tirer de profit illicite du fait que, tous ensemble, nous savons plus de choses qu’un seul d’entre nous n’en peut connaître.
»


\Mots-clés : #politique #romananticipation #sciencefiction #social
par Tristram
le Lun 8 Aoû - 12:12
 
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Sujet: John Brunner
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Nevil Shute

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Image27

Le dernier rivage

Aaaaaaah, l'Australie, le post apocalyptique nucléaire et les pénuries d'essence.... ça sent la sauvagerie !

... Ou pas. Dans la vision de Nevil Shute quand l'hémishpère nord virtuellement n'existe plus et que les jours de l'hémisphère sud sont comptés on fait plutôt comme on peut. C'est à dire que l'on soit commandant de sous-marin, jeune couple avec enfant, ingénieur ou jeune célibataire on fait un peu comme tous les jours d'avant mais avec un indicible et un gros point d'interrogation sur la conscience en plus.

La vie de tous les jours en pas pareil avec pourquoi ? en fond et des choses très simples au fond dans ce livre un peu simple mais étrangement parlant. Pas besoin de meurtres à tout va dans la SF, la question de l'identité de notre vie au milieu des grands chamboulements imaginables suffit ?

Ici ça suffit, un rien suranné mais une trame positive ça fait plutôt du bien tant ça peut résonner avec une grande peur réactualisée...


Mots-clés : #sciencefiction
par animal
le Mar 17 Mai - 21:37
 
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Sujet: Nevil Shute
Réponses: 3
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Theodore Sturgeon

Les Plus qu'humains

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L’Idiot est un jeune vagabond vivant au gré de ses instincts.
Évelyne est élevée recluse avec sa sœur ainée Alice par leur père, M. Kew, dans une atmosphère puritaine défiante du corps-mal.
L’Idiot ressent l’appel d’Évelyne, parvient à la rejoindre ; Kew les rosse à coups de fouet, sa fille en meurt, et il se tue ; Alice survit traumatisée.
Janie, cinq ans, a le pouvoir de déplacer les objets par sa seule volonté, et rencontre Bonnie et Beany, les petites jumelles qui elles savent se déplacer instantanément en tout lieu (on n’apprendra qu’elles sont noires qu’au travers du regard des adultes, ce qui est finement observé).
L’Idiot (dont le regard possède un étrange pouvoir) a été recueilli par de pauvres paysans, les Prodd, en attendant d’avoir leur propre enfant, un nourrisson qui se révèlera mongoloïde. Devenu Tousseul, il emporte ce dernier dans sa tanière, où ils vivront avec Janie, Bonnie et Beany.
« On ne peut vraiment pas dire qu’on appartient à une société quand cette société contient un élément disposé à vous exclure. »

Bébé est une sorte d’ordinateur vivant qui répond à toutes les questions. Janie traduit pour Tousseul :
« Il dit qu’il est une sorte de cerveau et moi le corps, et les jumelles sont les bras et les jambes et toi, toi, tu es la tête. Et que le tout, c’est Je. »

Ensemble, les enfants « mixollent » (« un mélange de mixte et de coller »).
Gerry, six ans, qui ne connait que la faim, le froid, la crainte à l’orphelinat, et ne ressent que haine et colère, s’enfuit et est recueilli par Tousseul.
« A six ans, Gerry était véritablement un homme. Ou, du moins, il possédait au plus haut point cette capacité d’adulte qui consiste à apprécier le plaisir grisâtre de simplement ne pas souffrir. »

Il se présente à Stern, un psychanalyste, pour se connaître lui-même, car il a tué Alice qui voulait les séparer, et parce qu’il doit remplacer Tousseul, mort par accident ; lui aussi est télépathe, mais a régressé dans un infantilisme pervers.
« Nous ne croyons jamais rien sans le vouloir. »

« Ce que nous pensons nous fait accomplir des choses curieuses. Certaines nous semblent tout à fait sans motifs, stupides, folles. Et, pourtant, il y a un fondement : dans tout ce que nous faisons, il existe une chaîne solide, inattaquable, une logique. Creusez à une profondeur suffisante et vous trouverez la cause et l’effet aussi clairement dans ce domaine que dans tous les autres. Attention : je dis logique, je n’ai pas dit justesse, justice ou rien de la sorte. Logique et vérité sont deux choses très différentes. Mais elles se confondent pour l’esprit qui est le créateur de cette logique… »

Retour en arrière : Alice recueillit les enfants, non sans réticence ; elle se souvient comme Tousseul l’utilisa pour explorer les livres, ce qui permet de mettre des noms sur les notions de télékinésie, téléportation, télépathie, symbiose, gestalt :
« Un groupe. Comme si c’était un traitement unique pour plusieurs maladies différentes. Comme plusieurs pensées exprimées en une phrase. L’ensemble est plus grand que la somme des parties. »

« Une partie qui va chercher. Une partie qui pense. Une partie qui trouve. Et une partie qui parle. »

Tousseul :
« Vous avez des gens qui peuvent bouger des choses avec leur tête. Vous avez des gens qui peuvent se faire bouger par l’esprit. Vous avez des gens qui peuvent calculer n’importe quoi si on le leur demande ; si on pense à leur demander. Ce que vous n’avez pas, c’est l’espèce de personne qui peut les mettre ensemble. Comme un cerveau réunit les parties qui poussent et les parties qui tirent et celles qui sentent la chaleur, et qui marchent, et pensent, et toutes les autres choses... Moi j’en suis un, dit-il pour finir. »

« Tout ce que je sais, c’est que je dois faire ce que je suis en train de faire exactement comme un oiseau doit faire son nid quand la saison vient. »

« Ce que je suis ?... Je vais vous le dire : le ganglion central d’un organisme complexe qui se compose, primo : de Bébé, cerveau électronique ; secundo et tertio : Bonnie et Beany : téléportation ; Janie, télékinésie, et moi-même, télépathie et contrôle central. »

Suit l’histoire de Hip Barrows, « enfant prodige », ingénieur contrarié devenu lieutenant, qui découvrit la première machine basée sur l’antigravitation (conçue par Bébé pour désembourber le camion de Prodd). Gerry le broie (ayant notamment pris l’apparence du docteur Thompson), mais Alice lui vient en aide, qui en quelque sorte se révolte contre la tête de l’organisme auquel elle appartient. Hip participera à ce nouveau stade de l’évolution de l’humanité, passage de l’Homo Sapiens à l’Homo Gestalt.
« Il doit exister un nom pour ce code, pour ce jeu de règles qui prévoient que, par sa manière de vivre, l’individu aide l’espèce à vivre. Quelque chose de distinct, de supérieur à la morale. Convenons d’appeler cela l’ethos ou si l’on préfère, l’éthique. C’est bien ce dont l’Homo Gestalt a besoin : non pas la morale, mais une éthique. »

Le rendu de la solitude intrinsèque de Tousseul (notamment), c'est-à-dire de l’innocent, du différent, du surdoué, m’a frappé au point que je recommande vivement cette lecture, de même que celle de Cristal qui songe, comme introduction ou complément à l’empathie pour l’autre, notamment l’enfant, prodige ou pas.
Malgré les références datées sur les pouvoirs paranormaux (et en psychologie ?), qui d’ailleurs peuvent se concevoir comme une parabole, c’est un chef-d’œuvre d’humanité et de sensibilité – sensitivité ! − (qui demanderait une nouvelle traduction ? Relu dans la même version, 1956, que ma première lecture).
Sinon, curieuse coïncidence, j’ai savouré de retrouver dans ce roman de science-fiction les mêmes thèmes que dans ma précédente lecture, Le rêve de d’Alembert, de Diderot (comme l’évolution des espèces, et jusqu’à la gestalt de l’essaim) !

\Mots-clés : #psychologique #sciencefiction
par Tristram
le Sam 14 Mai - 14:23
 
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Sujet: Theodore Sturgeon
Réponses: 9
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Richard Matheson

L’Homme qui rétrécit

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire L_homm13

Le récit commence comme Scott, l’homme qui rétrécit « d'un septième de pouce chaque jour » n’est plus haut que d’un centimètre et demi, et affronte l’araignée qui le pourchasse dans sa cave.
« Depuis le début, il n'avait cessé de fuir. Physiquement, devant les hommes, les enfants, le chat, l'oiseau et l'araignée, et − pire encore − mentalement. Devant la vie, devant ses problèmes et ses peurs ; reculer, battre en retraite, ne jamais faire front, céder, renoncer, se rendre, voilà tout ce dont il avait été capable. »

Son histoire retrace sa survie terrible d’une façon impressionnante, en alternance avec l’évolution progressive de son état dû à une origine mystérieuse (« dérèglement de son catabolisme », « une toxine inconnue » ou « un insecticide affreusement transformé par des radiations »). Pris pour un gamin par sa femme qu’il désire vainement (comme l’adolescente qui prend soin de sa fille), confronté à la pitié et à l’ignoble perspective de se produire dans les médias pour monnayer son cas (et on mesure les limites de la couverture sociale états-unienne), voyant inexorablement le monde grandir − de moins en moins à sa taille, de plus en plus périlleux (même les sons deviennent plus agressifs) −, croît sa solitude tandis que se poursuit le décompte des jours qu’il lui reste avant de disparaître tout à fait.
« C'était d'avoir à l'assumer qui la rendait si pénible. Il rétrécissait de jour en jour, sans que cela se remarque, inéluctablement, perdant chaque semaine deux centimètres et demi avec la régularité de quelque affreuse horloge. Et les journées s'écoulaient, routinières, monotones.
Jusqu'à ce que la colère, tapie en lui comme un animal acculé, se déchaîne. Le motif importait peu. Le moindre prétexte était bon. »

Passages marquants et finement rendus, la rencontre de la naine du champ de foire, le changement du rapport avec sa femme et sa petite fille.
La lutte opiniâtre de Scott dans l'attente de sa fin décuple le suspense du récit qui la détaille (et même le dénouement est original). Malgré l'improbabilité du scénario, la projection tant matérielle que psychologique force l'attention du lecteur.

\Mots-clés : #sciencefiction
par Tristram
le Dim 1 Mai - 13:09
 
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Sujet: Richard Matheson
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Stanislas Lem

Solaris

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Solari10

L’océan plasmatique et pensant de la planète Solaris génère des succubes à partir de la mémoire des explorateurs. Kris Kelvin est visité par Harey, sa compagne dont le suicide fut partiellement de sa faute ; il s’en débarrasse en l’envoyant en orbite, mais la créature réapparaît ; créée à partir des souvenirs de Kelvin et pratiquement indestructible, elle s’interroge peu à peu sur son identité comme lui s’habitue au statu quo et l’aime pour elle-même : le drame psychologique du simulacre et de qui y est confronté est rendu avec profondeur.
De la SF pure et dure (astronomie, etc.), qui tranche avec des particularités datées (initialement publié en 1961) : dans une station spatiale, on en est encore à manipuler de lourds et gros livres de papier…
Bien écrit, le récit est palpitant, un vrai thriller ; il déploie aussi d’extraordinaires envolées fictionnelles, telles les descriptions des phénomènes comme les longus et mimoïdes, évoqués dans un style scientifique parodique (la « solaristique »). Ainsi, les simétriades sont longuement présentées comme de grandioses symphonies mathématiques où « même les lois physiques sont abolies », de gigantesques créations d’« architectonique évolutive » :
« On n’a pas manqué d’essayer de transposer la symétriade, de l’"illustrer". La démonstration d’Awerian a connu un succès non négligeable. Imaginons, disait-il, un édifice datant de la splendeur de Babylone, mais construit dans une substance vivante, sensible et capable d’évoluer ; l’architectonique de cet édifice passe par une série de phases et prend sous nos yeux les formes d’une construction grecque, puis romaine ; les colonnes, telles des tiges végétales, deviennent ensuite plus minces, la voûte s’allège, s’élève, s’incurve, l’arceau décrit une parabole abrupte et se rompt en flèche. Le gothique est né, il atteint sa maturité, le temps fuit et de nouvelles formes se dessinent ; l’austérité de la ligne disparaît sous les explosions d’une exubérance orgiaque, le baroque s’épanouit sans retenue ; si la progression se poursuit, étant toujours entendu que nous considérons les mutations successives comme les étapes d’une vie évolutive, nous arrivons enfin à l’architecture de l’époque cosmique, et nous parvenons peut-être à comprendre ce qu’est une symétriade. »

D’une manière générale, les paysages mercure et sang de la planète aux deux soleils sont rendus avec pittoresque, et même poésie.
Lem présente une épistémologie de la solaristique, qui s’apparente parfois, au cours de son histoire, à l’alchimie ou à une religion, à une foi mythique, et se révèle moins intéressante à propos de son objet, l’océan de Solaris, qu’au sujet de l’humanité qui se passionne pour ce dernier, cherchant le « Contact ».

\Mots-clés : #sciencefiction
par Tristram
le Sam 26 Mar - 12:38
 
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Sujet: Stanislas Lem
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Richard Matheson

Je suis une légende

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Je_sui10

Cela fait cinq mois qu’ils assiègent Robert Neville dans sa maison barricadée dès que la nuit vient.
« Tout ce qui les concernait, décidément, était étrange : le fait qu’ils se cachaient le jour, que l’ail les tenait à l’écart, qu’il fallait les exterminer avec des pieux de bois, qu’ils étaient censés redouter les croix et les miroirs... Oui, justement, les miroirs : suivant la légende, leur image ne s’y reflétait pas. Or il savait que ce n’était pas vrai – pas plus qu’ils ne se transformaient en chauves-souris. C’étaient là des superstitions que la logique et l’observation démentaient. Il n’était pas moins ridicule de leur prêter le pouvoir de se changer en loups. »

Tous les soirs, les vampires l’invitent à sortir, jettent des pierres sur sa maison, et il le supporte de moins en moins dans sa grande solitude (les femmes, et son ancien ami et voisin, Ben Cortman, l’insupportent particulièrement). Je pense que, grâce au cinéma, tout le monde a en tête l’image de ce survivant parcourant au volant de sa voiture une cité déserte, récupérant des vivres et détruisant des zombies endormis. Sa femme est morte, puis est revenue (boire son sang), et il l’a définitivement tuée (en leur plantant un pieu dans le cœur). Car il y a deux sortes de vampires : des vivants, et des sortes de morts ambulants.
Robert tente de découvrir scientifiquement l’origine de cette épidémie, d’abord connue de manière légendaire. Puis il découvre et adopte un chien : il n’est pas le seul à être immunisé contre ce bacille. Robert trouve également une explication psychologique concernant la peur des croix (ou des torahs !) et miroirs.
Divulgâchage :

C’est sans doute une des premières (et emblématique) visions d’une telle pandémie, thème qui sera souvent repris − une lecture appropriée en période de confinement…

\Mots-clés : #sciencefiction #thriller
par Tristram
le Mar 1 Mar - 11:35
 
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Sujet: Richard Matheson
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Charles Daubas

Cherbourg

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire 00978810

J’ai particulièrement apprécié le côté pointu, avec une impression de rigueur scientifique, de l’exposé minutieux des faits (malheureusement parfois laborieux et peu clair) : les débris de béton d’une cité démolie qui flottent, une digue qui s’effondre, dans l’environnement militaro-nucléaire de l’arsenal.
La description de Cherbourg et de sa rade est précise, y compris du point de vue de la géographie humaine (avec la sorte de déni de la population).
Pitch : Frédérique Pierre, inspecteur à la sûreté départementale, refuse de lâcher son enquête malgré le secret défense.

\Mots-clés : #sciencefiction #thriller
par Tristram
le Mer 9 Fév - 11:43
 
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Sujet: Charles Daubas
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Andy Weir

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire M0235210

La SF ça ne fait pas forcément du mal et laisser sa curiosité se fait appâter par l'enthousiasme d'un collègue non plus, j'ai donc tenter l'aventure de se journal de bord essentiellement martien. La forme d'un journal écrit assez simplement par un astronaute qui, suite à un accident fâcheux, se retrouve abandonné "seul sur Mars" par ses collègues.

Précision qui a son importance ou non, je n'en sais rien, je n'avais et n'ai toujours pas vu le film... Mais revenons en à notre cosmonaute tout seul avec une antenne déglinguée et le matériel d'une mission avortée pour survivre. En effet notre "ingénieur et botaniste" ne compte pas se laisser abattre tout de suite et un problème, une victoire, une catastrophe à la fois il va se démener pour tenir un peu plus longtemps que prévu.

Je ne veux pas trop en dire mais il y a des patates et pas d'extraterrestres, le casse tête scientifique de cette survie est riche en suspense (et en petites blagues) et p*** ça fait du bien un bouquin où personne ne veut tuer personne, personne n'est en compétition avec personne, personne n'en veut à personne, rien n'est diabolique pas même la démesure humaine et tout ça même pas parce qu'il est tout seul au beau milieu d'un désert extra-terrestre.

Indépendamment de son suspense efficace je crois que c'est ça qui le place en classique de la SF, une SF au sens noble qui regarde notre monde un peu en biais, l'interroge et nous dépayse dans le même mouvement.

Ce n'est vraiment pas un pied pour l'écriture mais pour le reste j'ai passé un excellent moment à n'avoir pour seule envie que de tourner les pages...


Mots-clés : #aventure #sciencefiction
par animal
le Dim 16 Jan - 21:12
 
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Sujet: Andy Weir
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Theodore Sturgeon

Cristal qui songe

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Crista10

Horty (Horton) Bluett est un enfant trouvé de huit ans. Mal aimé à l’école (qui l’a renvoyé pour avoir mangé des fourmis) comme dans sa famille d’accueil, son seul ami est Junky, un cube de bois bariolé contenant un diablotin à ressort, jouet qu’il possède depuis l’orphelinat. Armand, son père adoptif, lui ayant écrasé trois doigts (ainsi que la tête de Junky), Horty fugue. Il est recueilli par des nains qui vivent en forains, travaillant pour le directeur de la troupe, le Cannibale, un médecin surdoué devenu un haineux misanthrope.
Ce dernier a découvert le « cristal », être vivant totalement étranger à notre perception du monde ; ils peuvent « copier les êtres vivants qui les entourent », mais involontairement, un peu comme une chanson est le sous-produit de l’amour qui fait chanter l’amoureuse :
« Leurs rêves ne sont pas des pensées, des ombres, des images, des sons, comme les nôtres. Ils sont faits de chair, de sève, de bois, d’os, de sang. »

Le Cannibale parvient à les contrôler, les contraignant par de torturantes ondes psychiques à créer des êtres vivants, parfois inachevés – des monstres.
Horty, devenu Hortense (ou Kiddo), s’épanouit dans la communauté du cirque, où sa maternelle amie Zena le chaperonne, déguisé en fillette ; guidé par cette dernière, il lit beaucoup, se souvenant de tout grâce à sa mémoire prodigieuse ; et sa main coupée repousse…
« Horty apprenait vite mais pensait lentement ; la mémoire eidétique est l’ennemie de la pensée logique. »

(Eidétique au sens d’une mémoire vive, détaillée, d'une netteté hallucinatoire, qui représente le réel tel qu'il se donne, d’après Le Robert.)
Bien qu’il lui soit difficile de prendre seul une décision, Horty devra s’enfuir pour échapper à la dangereuse curiosité du Cannibale.
« Fais les choses toi-même, ou passe-t’en. »

Une douzaine d’années plus tard, Kay, la seule camarade de classe d’Horty à lui avoir témoigné de la sympathie, est draguée par Armand, devenu veuf et juge, qui la fait chanter pour parvenir à ses fins…
Horty affrontera le Cannibale − cette histoire est un peu son roman d’apprentissage −, et il comprendra les cristaux mieux que lui.
« …] les cristaux ont un art à eux. Lorsqu’ils sont jeunes, lorsqu’ils se développent encore, ils s’exercent d’abord en copiant des modèles. Mais quand ils sont en âge de s’accoupler, si c’est vraiment là un accouplement, ils créent du neuf. Au lieu de copier, ils s’attachent à un être vivant et, cellule par cellule, ils le transforment en une image de la beauté, telle qu’ils se la représentent. »

Considéré comme un classique de l’étrange, ce roman humaniste a pour thème la différence, physique ou de capacités psychiques particulières, thème qui sera développé dans Les plus qu'humains.
« Les lois, les châtiments font souffrir : la puissance n’est, en fin de compte, que la capacité d’infliger de la souffrance à autrui. »

« Tout au cours de son histoire, ça a été le malheur de l’humanité de vouloir à tout prix que ce qu’elle savait déjà fût vrai et que ce qui différait des idées reçues fût faux. »

En cette époque où le souci de l’Autre devient peut-être de plus en plus important, cet auteur un peu oublié m’émeut toujours par son empathie pour l’enfant et le différent.

\Mots-clés : #enfance #fantastique #identite #initiatique #philosophique #psychologique #sciencefiction #solidarite
par Tristram
le Jeu 9 Déc - 11:58
 
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Sujet: Theodore Sturgeon
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Evgueni Zamiatine

Nous

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Nous10

J’ai commencé dans la version Gallimard, Nous autres, et suis passé à celle d’Actes Sud quand j’ai réalisé que la première aurait été traduite du russe… à partir d'une traduction anglaise !
Il s’agit d’un roman de science-fiction, et même d’une dystopie, description d’un État totalitaire, et satire du régime soviétique. Il annonce Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, 1984 de George Orwell et Un bonheur insoutenable d'Ira Levin.
Quarante notes rédigées par D-503, qui ne pense qu’en mathématicien rationaliste, dans un futur éloigné ; il se présente comme le Constructeur de l’Intégrale, un vaisseau spatial destiné à imposer dans le monde extraterrestre les valeurs de sa société de contrôle des personnes – une colonisation rhétorique dans un premier temps de propagande.
« Vous êtes destinés à soumettre au joug bienfaisant de la raison des êtres inconnus qui habitent d’autres planètes et sont peut-être encore en état de liberté primitive. S’ils refusent de comprendre que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact, notre devoir sera de les obliger à être heureux. Mais avant de recourir aux armes, nous essayons la parole.
Au nom du Bienfaiteur, à tous les Numéros de l’État Unitaire nous déclarons :
Que tous ceux qui s’en sentent capables composent des traités, des poèmes, des manifestes, des odes ou autres œuvres célébrant la beauté et la grandeur de l’État Unitaire. »

Les personnes sont devenues des numéros, désignées par un nombre matricule (une lettre et deux à quatre chiffres) marqués sur la plaque dorée qu’ils portent sur leur Tenue bleue ; ces dénominations chiffrées auraient été inspirées à Zamiatine par les numéros des pièces détachées du brise-glace Alexandre Nevski, dont il avait assuré le suivi du chantier lors de sa construction dans un chantier naval anglais pour le compte de la Russie. Et effectivement, les personnages sont les composants d’une grande machine au « rythme d’acier », « la victoire de “nous” sur “je”, du TOUT sur le UN… »
« Cela donne du courage : se voir comme la partie d’un tout énorme, puissant, unitaire. »

« Nous avançons – un seul corps à un million de têtes, et en chacun d’entre nous règne cette humble joie qui sans doute est celle des molécules, des atomes, des globules. Dans le monde ancien, seuls les chrétiens – nos seuls prédécesseurs (bien que fort imparfaits) – l’avaient compris : l’humilité est la vertu – l’orgueil est le mal ; “NOUS” vient de Dieu, “MOI” – du diable. »

À partie de l’image des « machines-outils : yeux fermés, oublieuses de tout, tournaient les boules des régulateurs », la métaphore des « boules rondes et lisses des têtes » court tout au long du roman.
Les Numéros vivent dans de transparentes cités de verre cernées par la Muraille verte de la nature sauvage, dont ne parviennent que les pollens sucrés du désir.
« L’homme a quitté l’état de bête sauvage quand il a construit le premier mur. »

Depuis longtemps toute propriété privée leur est interdite, y compris leur identité, et même l’organisation de leurs activités, régies dans les « Tables du Temps » d’un taylorisme généralisé : leur liberté est ouvertement supprimée, au profit d’un prétendu bonheur. Ainsi D-503 dispose d’un peu d’intimité prévue par ce planning avec O-90, sa partenaire sexuelle, « rose et ronde », qu’il partage (triangle) avec R-13, le poète aux « lèvres épaisses, africaines » (lui a des mains velues, « simiesques », dont il a honte) ; contrairement à lui, R aime plaisanter.
« Les plaisanteries ont toujours comme ressort secret le mensonge. »

Le régime est autoritaire, dans la main de pierre du Bienfaiteur secondé par la cohorte des Gardiens : les criminels sont éliminés lors de fêtes liturgiques, sous le verdict des « Poètes officiels ». Le « Jour de l’Unanimité », c’est celui des élections, ou plutôt celui de la réélection ! Les « membranes de rue » enregistrent les conversations pour le Bureau des Gardiens…
« Le seul moyen de libérer l’homme du crime, c’est de le priver de liberté. »

D-503 rencontre une inconnue (donc marquée d’un X !) : l’inquiétante I-330, qui le séduit, et se révèle être dissidente.
Et D-503, cette belle mécanique de logique euclidienne obéissant aux règles arithmétiques, dysfonctionne ; lui qui affiche un idéal de clarté se croit malade, anormal, a même un rêve, il commence à avoir de l’imagination, voire une âme − et son style est de plus en plus éclaté, décousu, embrouillé, délirant, riche en images et métaphores.
Les portraits sont caricaturaux et comiques, comme celui de S-4711 le Gardien, caractérisé par des yeux comme des forets, « des ailes-oreilles roses déployées », et « la courbe d’une nuque fléchie – un dos voûté – arc double – la lettre S. »
C’est une belle découverte que celle de ce livre, peut-être plus encore pour l’écriture, la construction de Zamiatine que pour son regard sur l’URSS obscurantiste et rigide, "fonctionnaire", en construction sous Lénine (parution en 1920). Zamiatine s’attache aux personnages, joue avec les mots et les couleurs : il m’a aussi ramentu Boulgakov.
« L’homme – c’est un roman : avant d’avoir lu la dernière page, on ne sait pas comment cela finira… Sinon à quoi bon lire… »


\Mots-clés : #regimeautoritaire #revolution #satirique #sciencefiction
par Tristram
le Lun 6 Déc - 12:25
 
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Sujet: Evgueni Zamiatine
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Arthur C. Clarke

Les Enfants d'Icare

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Les_en13

Les Suzerains sont des extraterrestres qui se sont imposés à la terre, y apportant la paix, la sécurité et la prospérité. Leur Superviseur, Karellen, est le seul à communiquer avec la planète, par l’intermédiaire de Stormgren, secrétaire général des Nations Unies. Wainwright est le leader de la Ligue de la Liberté, une organisation plus ou moins religieuse regrettant l’indépendance humaine, qui s’oppose aux Suzerains en grande partie parce que leur projet de constitution mondiale rend caducs les États souverains, et parce qu’ils ne se montrent pas. L’idée maîtresse est l’interrogation sur les projets à long terme des extraterrestres (qu’ils soient effectivement bien attentionnés ou pas), et sur le risque de perte d’âme de l’humanité sous cette tutelle (on constate rapidement une stagnation des arts).
D’une fête dans une villa futuriste tournant autour du surnaturel et du paranormal à une colonie qui tente une expérience de vie communautaire indépendante et démocratique, le roman est riche en péripéties et révélations où je n'entrerai pas, préférant donner une brève sélection d’extraits qui m’ont paru significatifs de sa grande densité d’idées originales, de vision tant de l’avenir que du passé et du présent.
« La production était automatisée dans une large mesure ; les usines robots déversaient un flot ininterrompu d’articles de consommation, de telle sorte que les objets de première nécessité étaient virtuellement gratuits. On travaillait pour acquérir le superflu si on le désirait ou on ne travaillait pas. »

« L’homme occidental avait réappris – ce que le reste du monde n’avait jamais oublié – que l’oisiveté n’est pas un péché du moment qu’elle ne dégénère pas en vulgaire fainéantise. »

« L’Homme était donc toujours prisonnier de sa planète. Une planète beaucoup plus belle, mais aussi beaucoup plus petite un siècle auparavant. En abolissant la guerre, la faim et la maladie, les Suzerains avaient aboli du même coup l’aventure. »

« Le mysticisme est peut-être l’aberration maîtresse de l’intelligence humaine. »

« Disons qu’il y a au-dessus de nous un Maître Esprit qui se sert de nous comme un potier de son tour. Et votre race est l’argile à laquelle ce tour confère sa forme. »

Une fois encore, il me semble percevoir l’influence de Theodore Sturgeon (Cristal qui songe, Les Plus qu'humains).
Ce roman, publié en 1954 (le spectre du nucléaire est prégnant), atteste de la puissance de prévision que peut développer la science-fiction en tant qu’expérience de pensée (il est par exemple amusant de remplacer « Suzerains » par "numérique"…) Et l’inquiétude à propos de l’avenir de l’humanité est (de plus en plus) légitime.
La SF dans toute sa force, avec imagination fertile et spéculations métaphysiques – de plus, ce qui est trop rare dans le genre, c’est bien écrit/ traduit (par Michel Deutsch).

\Mots-clés : #sciencefiction
par Tristram
le Mar 19 Oct - 13:54
 
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Vinciane Despret

Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Autobi10

Dans une désopilante parodie de publication scientifique jargonnant dans notre avenir, Vinciane Despret expose les résultats futurs des recherches en éthologie.
Un glossaire préalable définit :
« Géolinguistique (n. f.) : la géolinguistique est une branche tardive de la linguistique. Elle a émergé au moment où les linguistes se sont rendu compte que les humains n’étaient pas les seuls à avoir forgé des langues dotées de structures originales, qui évoluent avec le temps et qui permettent aux locuteurs de différents règnes de communiquer. La géolinguistique étudie les langues de communautés vivantes, et parfois même non vivantes – quoique les dernières découvertes plaidant en faveur de l’existence de langages chez les non-vivants continuent de faire l’objet de controverses. La géolinguistique donnera ultérieurement naissance à la thérolinguistique, qui s’est spécialisée dans l’étude des formes littéraires chez les animaux et les plantes.
Thérolinguistique (n. f.) : le terme “thérolinguistique” a été forgé à partir du grec thèr (θήρ), “bête sauvage”. Il désigne la branche de la linguistique qui s’est attachée à étudier et à traduire les productions écrites par des animaux (et ultérieurement par des plantes), que ce soit sous la forme littéraire du roman, celle de la poésie, de l’épopée, du pamphlet, ou encore de l’archive… Apparaîtront, au fur et à mesure que cette science explorera le monde dit sauvage, d’autres formes expressives qui débordent des catégories littéraires humaines (et qui relèveront alors d’un autre domaine de spécialisation, celui des sciences cosmophoniques et paralinguistiques). On trouve la première occurrence du terme “thérolinguiste” en 1974, dans une nouvelle d’anticipation d’Ursula K. Le Guin “The Author of the Acacia Seeds. And Other Extracts from the Journal of the Association of Therolinguistics”. »

Suit une sorte de table des matières baroque :
« – l’habitat narratif tissé (avec une étude comparative des toiles de l’araignée Argiope aurantia et des nids des oiseaux tisserins) ;
– les monuments funéraires (l’orientation des tombes chez les surmulots et les sculptures éphémères de liturgie de deuil chez les corneilles d’Hawaï) ;
– les chaussées et les routes (poétiques d’influence des fourmis Cataglyphis velox ; poétiques pavées des termites Odontotermes magdalenae ; poétiques des créations souterraines – ce qu’on appelle aujourd’hui communément les tunnels littéraires : étude comparative chez le rat-taupe, le blaireau et le termite Reticulitermes urbis) ;
– les constructions sympoïétiques multispécifiques (les demeures en carton des fourmis noires des bois Lasius fuliginosus et des champignons) ;
– les musées du réemploi – les habitats-musées des objets catastrophés (tels le village-musée de poteries des poulpes communs de la baie de Porquerolles et les nids-musées des objets volés des pies Pica pica dans la région de Chicago). »

On se propose donc d’aborder…
« …] la thérolinguistique classique, que ce soit l’écriture kinétique chorale chez le manchot Adélie ou, pour évoquer les plus récentes, l’archive historique chez l’araignée, la poésie initiatique chez la luciole, le roman souterrain chez la marmotte et l’épopée labyrinthique chez le surmulot. »

… et on ne se limite pas à l’animal :
« Ce courant put également élargir le champ des recherches au végétal et permit d’étudier, entre autres, l’épopée lyrique du lichen, la poésie passive de l’aubergine et le roman tropique du tournesol – sans oublier ce genre, toutefois considéré comme mineur, qu’est le roman policier historique du coquelicot aux prises avec les produits phytosanitaires. »

Dans le premier chapitre est relatée la prise de conscience de la tentative de communication des araignées avec nous au moyen de vibrations.
Dans le second, on apprend que les wombats produisent des fèces cubiques leur permettent de construire des murs territoriaux ; on parle de « géopolitique scatologique du wombat », et même de « scatologie spéculative » et de « cosmopolitique fécale » !
L’anthropomorphisme n’est peut-être pas assez évité (mais comment faire autrement ?), et Vinciane Despret semble ne pas tenir compte des travaux de Richard Dawkins : « …] les anciennes conceptions néodarwiniennes de l’évolution faisait peser sur les comportements des animaux une exigence lourde : il fallait que chacun de ces comportements soit immédiatement lié à des bénéfices en termes de survie ou de reproduction [… » paraît faire référence aux individus (ou aux espèces), pas aux gènes.
La revue chronologique de cette démarche scientifique permet à Vinciane Despret de présenter les travaux antérieurs − qui nous sont contemporains, mais pas forcément connus −, notamment en primatologie, révélant une sorte de « sens du sacré » ritualisé chez des « autres qu’humains » (notion renvoyant aux non-humains de Descola).
Troisième chapitre, le poulpe, surprenant animal furtif, utilise "historiquement" son encre pour projeter un écran, puis un leurre devant ses prédateurs, et enfin un phylactère pour communiquer des contenus : pour… écrire, c'est-à-dire passer de l’adaptation à l’expression créatrice !
Des enfants symbiotes, ou « symenfants » partagent le monde des poulpes, comme d’autres celui des papillons monarques, et constituent un passage d’une grande poésie, éclairant aussi l’autisme ; j’ai évidemment songé à Les Plus qu'humains de Theodore Sturgeon (qui curieusement n’est pas référencé, alors que plusieurs autres œuvres de SF le sont, comme des livres d’Ursula Le Guin ou Alain Damasio).
Des approches fort originales de la création artistique, notamment littéraire, révolutionnent notre regard :
« Nous l’avons évoqué, les thérolinguistes soutiennent l’hypothèse que l’écriture, et donc les diverses formes littéraires ou poétiques de nombre d’animaux, a pu émerger du jeu. Par un nouveau détournement des puissances de la fiction qui se sont épanouies dans le jeu, le geste ludique se serait, à un moment de l’évolution, mis au service de l’art du récit. Ce qui était en œuvre dans l’art de jouer a été rendu disponible pour un art de fabuler, de raconter, d’inventer des possibles – les “on n’aurait qu’à dire que” que connaissent si bien les enfants –, puis pour l’art (ou la nécessité, ou la joie) d’écrire ce que l’on racontait. »

« Il faut que les mots nous rappellent ce qui est et ce qui a été, même si cela nous fait souffrir. »

D’une intelligence inventive époustouflante, ce petit livre est fort recommandable (et on aura grand intérêt à suivre les suggestions données en notes, textes, vidéos et autres).

\Mots-clés : #nature #sciencefiction #science
par Tristram
le Jeu 14 Oct - 0:09
 
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Sujet: Vinciane Despret
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Jules Verne

Hector Servadac

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Le capitaine Hector Servadac et son « brosseur » (ordonnance), Ben-Zouf de la butte Montmartre (comme son surnom ne l’indique pas), servent en Algérie, près de l'embouchure du Chéliff. Suite à un cataclysme catastrophique, un nouveau système cosmographique remplace celui que nous connaissons : le soleil se lève à l’ouest et se couche à l’est, « la durée du jour n'est plus que de six heures », « l'intensité de la pesanteur a diminué » ; leur région se résume dorénavant à une île, qu’ils baptisent Gourbi. Embarqués sur la goélette du comte Timascheff, commandée par le lieutenant Procope, ils partent à la recherche de l’Afrique disparue. Lors d’une circumnavigation sur que ce qui reste de la Méditerranée, ils découvrent Gibraltar à la place de Corfou, et réalisent que le sphéroïde terrestre qui les porte est beaucoup plus réduit que la terre, s’étendant sur 29 degrés de longitude au lieu de 360 : ils sont sur un astéroïde :
« − C'est, reprit Procope, d'admettre qu'un fragment s'est détaché de la terre, emportant une portion de l'atmosphère avec lui, et qu'il parcourt le monde solaire en suivant une orbite qui n'est plus l'orbite terrestre. »

« Il est incontestable que nous venons de faire le tour de ce qui reste du monde ! »

Cette mer est limitée par une étrange falaise d’aspect métallique.
« De l'ancienne terre, il ne restait que l'île Gourbi, plus quatre îlots : Gibraltar, occupé par les Anglais, Ceuta, abandonné par les Espagnols, Madalena, où la petite Italienne avait été recueillie, et le tombeau de saint Louis, sur la rive tunisienne. Autour de ces points respectés, s'étendait la mer Gallienne, comprenant environ la moitié de l'ancienne Méditerranée, et à laquelle des falaises rocheuses, de substance et d'origine inconnues, faisaient un cadre infranchissable. »

L'île Gourbi étant la seule terre d’envergure, et partant le seul territoire de subsistance pour les oiseaux, ceux-ci le ravagent, ce qui occasionne une de ces listes dont Verne use avec bonheur :
« Chemin faisant, le capitaine Servadac et ses compagnons dirigèrent une mousquetade nourrie contre le nuage d'oiseaux qui se développait au-dessus de leur tête. Il y avait là plusieurs milliers de canards sauvages, de pilets, de bécassines, d'alouettes, de corbeaux, d'hirondelles, etc., auxquels se mêlaient des oiseaux de mer, macreuses, mauves et goélands, et du gibier de plume, cailles, perdrix, bécasses, etc. Chaque coup de fusil portait, et les volatiles tombaient par douzaines. Ce n'était pas une chasse, mais une extermination de bandes pillardes. »

Leur astre s’éloignant du soleil, la température chute rapidement, et les rescapés s’installent dans le réseau caverneux d’un volcan où, canalisée, la lave pourvoit à leurs besoins en chauffage.
La grande question demeure : l’orbite du corps céleste qui les porte est-elle hyperbolique, parabolique ou elliptique (dans ce dernier cas, ils retourneront vers la terre). Palmyrin Rosette, astronome ayant également survécu, leur révèle qu’ils sont emportés par une comète, qu’il a nommée Gallia, et qui devrait rejoindre la terre au bout de deux ans (terrestres) : cours de cométographie qui m’a paru encore valable, et on mesure comme Verne s’adresse à un jeune lectorat (d’élèves ayant déjà un bon niveau scientifique).
Après maintes péripéties, la comète revient à son périhélie, et nos héros vont « se glisser avec l'atmosphère gallienne dans l'atmosphère terrestre »… en montgolfière !

Malgré un côté cocardier très daté (guerres et colonies), j’ai retrouvé cet esprit qui peut-être m’a plus formé que je ne l’aurais cru lors de mes lectures enfantines.
« Le caractère aventureux du capitaine Servadac étant donné, on accordera sans peine qu'il ne se montrât point définitivement abasourdi de tant d'événements extraordinaires. Seulement, moins indifférent que Ben-Zouf, il aimait assez à savoir le pourquoi des choses. L'effet lui importait peu, mais à cette condition que la cause lui fût connue. À l'entendre, être tué par un boulet de canon n'était rien, du moment que l'on savait en vertu de quelles lois de balistique et par quelle trajectoire il vous arrivait en pleine poitrine. Telle était sa manière d'envisager les faits de ce monde. Aussi, après s'être préoccupé, autant que le comportait son tempérament, des conséquences du phénomène qui s'était produit, il ne songeait plus guère qu'à en découvrir la cause. »

Cet aspect patriotique et martial est curieusement mis en abyme et moqué dans le personnage de Ben-Zouf – et l’humour aussi a vieilli…
Les stéréotypes, notamment racistes, sont systématiques quant aux nationalités et « races » :
« Petit, malingre, les yeux vifs mais faux, le nez busqué, la barbiche jaunâtre, la chevelure inculte, les pieds grands, les mains longues et crochues, il offrait ce type si connu du juif allemand, reconnaissable entre tous. C'était l'usurier souple d'échine, plat de cœur, rogneur d'écus et tondeur d'œufs. L'argent devait attirer un pareil être comme l'aimant attire le fer, et, si ce Schylock fût parvenu à se faire payer de son débiteur, il en eût certainement revendu la chair au détail. D'ailleurs, quoiqu'il fût juif d'origine, il se faisait mahométan dans les provinces mahométanes, lorsque son profit l'exigeait, chrétien au besoin en face d'un catholique, et il se fût fait païen pour gagner davantage. »

De même que sa phraséologie, le roman de Verne constitue d’ailleurs un document sur le XIXe ; livre paru en 1877, il commence par une provocation en duel (Servadak et Timascheff à propos d’une veuve convoitée), coutume fréquente à l'époque.
Évidemment, une certaine culture scientifique, surtout astronomique et physique, est recommandée chez le lecteur. C’est un trésor de géographie, d’histoire, de géologie, de botanique, etc., de techniques comme la marine, la géométrie, météorologie, etc. − et de vocabulaire ; il y a un côté didactique, mais attrayant pour certains : c’est extraordinaire, mais pas incompréhensible ; exemples :
« En un mot, dans la "bobine Rosette", la "nervosité", – que l'on accepte pour un instant ce mot barbare, – était emmagasinée à une très haute tension, comme l'électricité l'est dans la bobine Rhumkorff. »

(Belle métaphore du tempérament du professeur Palmyrin Rosette, comparé à un générateur de haute fréquence par induction, à une époque où « nervosité » est un néologisme récent…)
« À peine d'étroites criques s'ouvraient-elles çà et là. Pas une aiguade ne se voyait, à laquelle un navire pût faire sa provision d'eau. Partout se développaient ces larges rades foraines qui sont découvertes sur trois points du compas. »

(Une rade foraine est ouverte aux vents et aux vagues du large, d’après Le Grand Robert.)
Je ne connaissais pas la « mer saharienne », un projet que Verne développera dans son roman L'Invasion de la mer, voir aussi https://sciencepost.fr/au-xixe-siecle-il-y-eut-un-projet-de-creation-dune-mer-dans-le-desert-du-sahara/.
Verne use même du latin ; ainsi, « Orbe fracto, spes illoesa » se traduirait par « Même si tout est perdu, je garde espoir ».
Moins célèbre que d’autres, ce roman présente une grande fantaisie tout en étant exemplaire du regard scientifique qui caractérise Verne : parti de l’hypothèse possible d’un arrachement d’écorce terrestre suite à la collision avec une comète, il élabore un scénario mêlant effets plausibles et peu vraisemblables.
J’ai repensé à Cyrano de Bergerac, à son L'autre monde qui aurait pu inspirer Verne s’il l’a lu.

\Mots-clés : #aventure #catastrophenaturelle #sciencefiction #science #xixesiecle
par Tristram
le Mer 28 Juil - 22:47
 
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Sujet: Jules Verne
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Mary Shelley

Mary Shelley
(1797-1851)

Tag sciencefiction sur Des Choses à lire Marysh10


Fille du rationaliste William Godwin et de la féministe Mary Wollstonecraft, elle est enlevée à 17 ans par Shelley, dont elle partagera l'exil et qu'elle épousera en 1818. Presque par hasard, à la faveur d'un jeu littéraire en compagnie de Byron et de Shelley, cette jeune fille devient l'auteur d'un roman philosophique et de terreur, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), alliance du fantastique et du scientifique qui permet un traitement original du thème du monstre, incarnation de l'orgueil et de la folie de son créateur. Cette double condamnation de la démesure du savant (qui veut rivaliser avec Dieu) et d'une image composite de la personne humaine (le monstre n'est pas né d'un couple, mais de débris de cadavres) est aussi une critique acerbe d'une société nourrie de rousseauisme et qui se fonde sur les apparences : le « monstre », bon à sa naissance, devient criminel dès lors qu'il est rejeté de tous. Sa révolte contre son créateur, qu'il finit par tuer, trahit l'angoisse existentielle de l'homme sans Dieu, dans un univers où seul le mal assure la puissance. L'œuvre de Mary Shelley, plus connue que le nom de sa créatrice, connaîtra une immense postérité. Les adaptations cinématographiques (Frankenstein, 1931, et la Fiancée de Frankenstein, 1935, réalisés par James Whale, qui a donné au monstre son « visage »), comme les innombrables suites, adaptations, font de cette figure l'un des rares mythes modernes. Mary Shelley écrit également des nouvelles, des récits de voyages (Histoire d'un voyage de six semaines, 1817), des romans (le Dernier Homme, 1826 ; Perkin Warbeck, 1830) et publie après la mort de Shelley ses Poèmes posthumes (1824), ses Œuvres poétiques (1839) ainsi que ses œuvres en prose (1840). Son Journal comme sa correspondance apportent des renseignements précieux sur le poète.

larousse.fr

Plus : wikipedia.org



Bibliographie des ouvrages traduits en français : (wikipedia)

Romans
- Frankenstein ou le Prométhée moderne, 1818
- Mathilda, 1819
- Valperga, ou La Vie et les aventures de Castruccio, prince de Lucques, 1823
- Le Dernier Homme, 1826

Récits de voyages
- Histoire d’une randonnée de six semaines à travers une partie de la France, de l'Allemagne et de la Hollande, avec des lettres décrivant un tour sur le lac de Genève et des glaciers de Chamonix, 1817
- Errances en Allemagne et en Italie en 1840, 1842 et 1843, 1844

Histoire pour enfants
- Maurice ou le cabanon du pêcheur, 1820

Poèmes dramatiques
- Proserpine et Midas, 1820

Nouvelles
- Une histoire de passions, 1822
- L'Endeuillée, 1829
- Le Rêve (The Dream, A Tale), 1831
- Transformation, 1831
- La Jeune Fille invisible, 1832
- L'Immortel Mortel (The Mortal Immortal: A Tale), 1833

Édition
- Poèmes posthumes de Percy Bysshe Shelley, 1824
- Œuvres poétiques de Percy Bysshe Shelley, 1839

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Tag sciencefiction sur Des Choses à lire S-l64010

Le dernier homme

On pense inutile de présenter la créatrice de Frankenstein, et pourtant l'admirable livre : LE DERNIER HOMME, qu'elle a écrit aux alentours de 1826, nous fait approcher cette femme de lettres dans son intimité d'épouse et de mère meurtrie par les deuils successifs qui l'ont terrassée.

On a dit que c'était un livre autobiographique. Et de l'anticipation. Certes.

Mais ô combien plus !

Je ne m'étendrai pas sur l'intrigue futuriste : l'action se déroule entre 2073 et 2100. La monarchie britannique est détrônée et surtout, la peste ravage l'Europe. La peste est vraiment un des personnages principaux. Le symbole de notre fragile condition.

Le narrateur, Lionel, est un proche de la famille royale déchue et nous conte la course contre la montre à travers l'Angleterre, puis la France pour fuir la maladie meurtrière.

La plume romantique - au sens littéraire du terme - transporte le lecteur dans un avenir brumeux, sombre où les sentiments humains sont exaltés et paroxystiques. Plusieurs histoires d'amour se croisent. Elles sont puissantes et fusionnelles. C'est écrit avec une force émotionnelle !

Malheureusement, les divers protagonistes sont amenés à mourir un à un. Lionel restera le seul et dernier homme.

C'est l'occasion pour MS d'écrire de somptueuses pages sur la mort, oui, j'ai bien dit la mort. J'ai rarement ressenti un lyrisme pareil sur ce qui est horrible : la séparation, le vide, le néant.

Faire de l'art avec la morbidesse ! Et elle brille, Mary, par ses envolées tellement authentiques, tellement personnelles. Elle fait jaillir une matière langagière lumineuse avec la noirceur du trépas.

Seule avec ses mots, face à l'éternité. C'est glaçant et pourtant sublime.

En filigrane, elle déroule ses tragédies. La mort de Percy, le poète, son amour. De ses enfants. Souffrance insondable. De ses amis, Byron ou Polidori. Tous ces talents, qui formèrent une sorte de "club" autour d'elle.

Pourquoi lire LE DERNIER HOMME ?

Parce que l'écriture est souveraine. Parce que c'est de la vraie littérature, une oeuvre rare, atypique, qui se conquiert.

Une expérience métaphysique.


sunny


Mots-clés : #sciencefiction #xixesiecle
par Tatie
le Ven 19 Fév - 19:18
 
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Sujet: Mary Shelley
Réponses: 3
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