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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar 2024 - 16:47

51 résultats trouvés pour CampsConcentration

Elena Lappin

L'homme qui avait deux têtes

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 41bj7h10

Bref texte qui relate l'enquête d'Elena Lappin à propos de Fragments, une enfance (1939-1948) où Binjamin Wilkomirski relate ses souvenirs d’enfance à Riga, puis dans divers camps nazis, accusant la Suisse d'avoir effacé son passé, falsifié son identité et de l'avoir fait adopter comme petit Suisse abandonné par sa mère.
Après que ce récit ait été  adulé comme bouleversant, il est ensuite accusé de n'être qu'une invention de l'auteur.

Alors: réalité ou fiction, souvenirs ou mensonge, délire ou arnaque?
Elena Lappin rencontre l’auteur, des éditeurs de ce succès mondial, des survivants, des historiens... S'il semble avéré que Binjamin Wilkomski n'a pas pu exister, que le vrai enfant était bien Bruno Grosjean, il parait plus difficile de trancher entre traumatisme et mensonge ?
Le livre d'Elena Lappin, quoique très documenté, est   intéressant mais incomplètement abouti.

mots-clés : #autofiction #campsconcentration #devoirdememoire #identite
par topocl
le Lun 28 Mai 2018 - 10:15
 
Rechercher dans: Histoire et témoignages
Sujet: Elena Lappin
Réponses: 2
Vues: 831

Jorge Semprun

L’écriture ou la vie

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 Leyycr10

Dans ce récit, Semprun raconte son expérience de la déportation en commençant par la libération ‒ en évoquant les regards de ceux qui n’ont que la mort, « s’en aller par la cheminée » (partir en cette fumée omniprésente, nauséabonde, qui a fait fuir tous les oiseaux), le regard haineux du nazi, le regard horrifié des libérateurs. Jeune étudiant en philosophie, communiste et germanisant, capturé comme résistant, la fonction de Semprun dans l’administration de Buchenwald est d’effacer et d’inscrire les noms sur des fiches.
D’une « rayonnante vitalité » après avoir « traversé la mort », il est revenant de la mémoire de la mort et veut "témoigner", ce qui ne peut passer que par une certaine forme d’artifice, d’art ‒ mais le renvoie immanquablement à la mort : il garde le silence pour oublier, et renoncera à l’écriture pendant des années. Près de vingt ans plus tard, il écrira Le grand voyage, qui ramènera la mort dans son présent, jusqu’à ce que le suicide de Primo Levi, vingt-cinq ans encore plus tard, la ramène devant lui, le poussant à écrire ce livre sur l’angoisse mortifère qui revient toujours.
« …] l’ombre mortelle où s’enracine, quoi que j’y fasse, quelque ruse ou raison que j’y consacre pour m’en détourner, mon désir de vivre. Et mon incapacité permanente à y réussir pleinement. »

« "È un sogno entro un altro sogno, vario nei particolari, unico nella sostanza…"
Un rêve à l'intérieur d'un autre rêve, sans doute. Le rêve de la mort à l'intérieur du rêve de la vie. Ou plutôt : le rêve de la mort, seule réalité d'une vie qui n'est elle-même qu'un rêve. Primo Levi formulait [dans La Trêve] cette angoisse qui nous était commune avec une concision inégalable. Rien n'était vrai que le camp, voilà. »

Tout le propos du livre est là : c’est la difficulté, le combat de l’auteur pour témoigner de Buchenwald dès qu’il en sort, cette approche constituant une forme de ce témoignage d’un « passé peu crédible, positivement inimaginable », « l’horreur et le courage ».
« Il y aura des survivants, certes. Moi, par exemple. Me voici survivant de service, opportunément apparu devant ces trois officiers d'une mission alliée pour leur raconter la fumée du crématoire, la chair brûlée sur l'Ettersberg, les appels sous la neige, les corvées meurtrières, l'épuisement de la vie, l'espoir inépuisable, la sauvagerie de l'animal humain, la grandeur de l'homme, la nudité fraternelle et dévastée du regard des copains.
Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ?
Le doute me vient dès ce premier instant.
Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L'histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d'un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d'une documentation digne de foi, vérifiée. C'est encore au présent, la mort. Ça se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines, les affamés du Petit Camp, les Juifs rescapés d'Auschwitz.
Il n'y a qu'à se laisser aller. La réalité est là, disponible. La parole aussi.
Pourtant un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l'expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d'un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n'a rien d'exceptionnel : il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques. »

« Le bonheur de l’écriture, je commençais à le savoir, n’effaçait jamais ce malheur de la mémoire. Bien au contraire : il l’aiguisait, le creusait, le ravivait. Il le rendait insupportable. »

« Tel un cancer lumineux, le récit que je m’arrachais de la mémoire, bribe par bribe, phrase après phrase, dévorait ma vie. Mon goût de vivre, du moins, mon envie de persévérer dans cette joie misérable. J’avais la certitude d’en arriver à un point ultime, où il me faudrait prendre acte de mon échec. Non pas parce que je ne parvenais pas à écrire : parce que je ne parvenais pas à survivre à l’écriture, plutôt. Seul un suicide pourrait signer, mettre fin volontairement à ce travail de deuil inachevé : interminable. Ou alors l’inachèvement même y mettrait fin, arbitrairement, par l’abandon du livre en cours. »

« À Ascona, sous le soleil de l'hiver tessinois, à la fin de ces mois du retour dont j’ai déjà fait un récit plutôt elliptique, j'avais pris la décision d'abandonner le livre que j'essayais en vain d'écrire. En vain ne veut pas dire que je n'y parvenais pas : ça veut dire que je n'y parvenais qu'à un prix exagéré. Au prix de ma propre survie en quelque sorte, l'écriture me ramenant sans cesse dans l'aridité d'une expérience mortifère.
J’avais présumé de mes forces. J’avais pensé que je pourrais revenir dans la vie, oublier dans le quotidien de la vie les années de Buchenwald, n’en plus tenir compte dans mes conversations, mes amitiés, et mener à bien, cependant, le projet d’écriture qui me tenait à cœur. J’avais été assez orgueilleux pour penser que je pourrais gérer cette schizophrénie concertée. Mais il s’avérait qu’écrire, d'une certaine façon, c'était refuser de vivre.
À Ascona, donc, sous le soleil de l'hiver, j'ai décidé de choisir le silence bruissant de la vie contre le langage meurtrier de l'écriture. »

« …] la réalité a souvent besoin d’invention, pour devenir vraie. C'est-à-dire vraisemblable. Pour emporter la conviction, l’émotion du lecteur. »

Le récit est construit en une remémoration chronologique, un fil linéaire avec des dates, mais avec aussi de brefs retours en arrière, l’évocation d’épisodes autobiographiques mettant en situation ses pensées et actes d’alors, et même quelques reprises conjoncturelles, donnant l’impression d’un texte écrit d’une seule traite (en fait en trois parties), clairement, presque sur le ton de la conversation par endroits. A un moment, il évoque le projet d’un livre architecturé sur les musiques de Mozart et Armstrong. A un autre, il entrelace savamment deux fils de récit, d'une part la séance où douze éditeurs d’autant de pays lui remettent chacun son premier roman, Le grand voyage, traduit dans leur langue, et d'autre part ses souvenirs (Prague, Kafka, Milena et son éviction du parti communiste) remémorés simultanément.
La visite à Weimar, avec sa présence goethienne, tout à côté de Buchenwald juste libéré, en compagnie d’un officier états-unien, Juif allemand exilé ‒ « ville de culture et de camp de concentration » ‒, répond à celle qu’il y fait cinquante ans plus tard, cinq ans après la mort de Primo Levi, et qui lui permet d’achever le présent récit.
Quelques leitmotiv (la fumée, la neige d’antan), des images récurrentes (le soldat allemand abattu, les agonisants dans ses bras), donnent un rythme à la narration.
Je me suis souvent ramentu les textes de Kertész, pour plusieurs motifs ; lui et Semprun ont œuvré sur la même tentative de nous faire appréhender les camps nazis.
Anecdotes troublantes qui m’ont incidemment interpellé : le vieux communiste bibliothécaire, qui réclame les livres parce qu’à ses yeux le camp et sa bibliothèque ne vont pas disparaître, mais être réutilisés pour réprimer les nazis (et les bolcheviks vont réutiliser Buchenwald pour cinq ans) ; le jeune kapo russe, trafiquant profiteur, qui n’envisage pas de rentrer en Union soviétique mais de poursuivre son destin opportuniste à l’Ouest, tout en aidant à la réalisation d’un gigantesque portrait de Staline dans la nuit qui suit la libération.
Semprun note que le communisme ajoute « l'accroissement du rôle de l'État, providence ou garde-chiourme ‒ le communisme, donc, aura ajouté la violence froide, éclairée, raisonneuse : totalitaire, en un mot, d’un Esprit-de-Parti persuadé d’agir dans le sens de l’Histoire, comme le Weltgeist hégélien. » (II, 6, page 233 de l’édition Folio, pour qui veut approfondir ce point de vue.)
« Une sorte de malaise un peu dégoûté me saisit aujourd’hui à évoquer ce passé. Les voyages clandestins, l’illusion d’un avenir, l’engagement politique, la vraie fraternité des militants communistes, la fausse monnaie de notre discours idéologique : tout cela, qui fut ma vie, qui aura été aussi l’horizon tragique de ce siècle, tout cela semble aujourd’hui poussiéreux : vétuste et dérisoire. » 

« L’histoire de ce siècle aura donc été marquée à feu et à sang par l’illusion meurtrière de l’aventure communiste, qui aura suscité les sentiments les plus purs, les engagements les plus désintéressés, les élans les plus fraternels, pour aboutir au plus sanglant échec, à l’injustice sociale la plus abjecte et opaque de l’Histoire. »

De très belles pages, comme sa reprise de conscience après une chute d’un train (peut-être une tentative de suicide) ‒ pour se retrouver sur le quai de Buchenwald ‒ lorsque « cette mort ancienne reprenait ses droits imprescriptibles ».

Un des rares ouvrages que je vais conserver pour relecture ultérieure, qui constitue entr’autres une leçon de courage de la part de ce polyglotte portant toute une bibliothèque humaniste dans sa mémoire, et une réponse explicite à la question du pourquoi de la littérature.
« Il [son ancien professeur, Maurice Halbwachs, mourant] ne pouvait plus que m'écouter, et seulement au prix d'un effort inhumain. Ce qui est par ailleurs le propre de l'homme. »

« Il m’a semblé alors, dans le silence qui a suivi le récit du survivant d’Auschwitz, dont l’horreur gluante nous empêchait encore de respirer aisément, qu’une étrange continuité, une cohérence mystérieuse mais rayonnante gouvernait le cours des choses. De nos discussions sur les romans de Malraux et l’essai de Kant, où s’élabore la théorie du Mal radical, das radikal Böse, jusqu’au récit du Juif polonais du Sonderkommando d’Auschwitz – en passant par les conversations dominicales du block 56 du Petit Camp, autour de mon maître Maurice Halbwachs – c’était une même méditation qui s’articulait impérieusement. Une méditation, pour le dire avec les mots qu’André Malraux écrirait seulement trente ans plus tard, sur “la région cruciale de l’âme où le Mal absolu s’oppose à la fraternité”. »



mots-clés : #campsconcentration #devoirdememoire #historique #mort #philosophique
par Tristram
le Lun 16 Avr 2018 - 0:07
 
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Sujet: Jorge Semprun
Réponses: 30
Vues: 2620

Marguerite Duras

La Douleur

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 La_dou11

Sous ce titre a été publié en 1985 un ensemble de cinq textes qui ont pour point commun la fin de la dernière guerre mondiale et la Libération. Certains sont à caractère autobiographique, d’autres sont de pures fictions.

La Douleur raconte l’attente angoissée de Marguerite Duras du retour de déportation de son mari Robert Antelme. Le récit se présente comme un journal. C’est en fait un faux journal qui trouve ses origines dans les fameux « cahiers de guerre », ensemble de notes écrites par Marguerite Duras dans les années 1945-47. Ces textes ont été revus à différentes reprises par l’auteur, notamment pour leur publication en 1985. Comme bien souvent, Marguerite Duras revient sur son passé dont elle modifie sans cesse la teneur. C’est le travail d’une écrivaine et non d’une historienne.
La Douleur est un texte fort qui décrit le comportement à la limite de l’hystérie d’une femme qui attend son mari détenu. Est-il mort ? Est-il vivant ? Tout se passe comme si Marguerite voulait éprouver dans la chair une violence dévastatrice qui serait en sympathie profonde avec celle connue par Robert en captivité. S’y mêle également un arrière-plan de mauvaise conscience, Marguerite ayant une liaison depuis deux ans avec Dionys Mascolo, le meilleur ami de Robert ! Après avoir fréquenté les gares d’Orsay et l’hôtel Lutetia, lieux de rassemblement des déportés, recueilli nombre de témoignages, les informations viennent du colonel Morland, nom de guerre de François Mitterand et le sauvetage in-extrémis de Robert à Dachau. Suit le lent retour à la vie du détenu décrit par l’auteur en termes parfois très crus. La publication de ce texte entraîna une longue brouille entre Duras et son ex-mari.

Monsieur X dit Pierre Rabier est le récit de la rencontre et des relations ambiguës entre Marguerite Duras et un gestapiste, de son vrai nom Charles Delval. Ce texte a été écrit vers 1985 à partir de notes rédigées en 1946 lors du procès de Delval et en 1958 lors de l’élaboration du scénario du film « Hiroshima, mon amour ».
Pour résumer le sujet : après l’arrestation de Robert en juillet 1944, Marguerite se rend au siège de la Gestapo, rue des Saussaies, afin de faire parvenir un colis à son mari interné à Fresnes. Elle tombe sur Charles Delval qui a procédé à l’arrestation de Robert Antelme.
S’ensuit une étrange relation entre le gestapiste et la résistante, fait de séduction de la part de Charles (réciproque pour Marguerite ?) doublée d’un jeu dangereux du chat et de la souris. Ainsi Charles invite régulièrement Marguerite dans des cafés et des restaurants, sous le prétexte de pouvoir aider Robert. Nous ignorons jusqu’où ira leur relation. Un projet d’assassinat de Delval est monté par le groupe de Dionys Mascolo, mais n’aura pas lieu. Finalement Charles Delval sera condamné à mort et exécuté en 1946. Marguerite Duras a témoigné une première fois à charge au tribunal, puis une seconde fois à décharge.
Dans monsieur X, Marguerite Duras présente Charles Delval comme un personnage fasciné par l’Allemagne nazie et ne doutant pas une seconde de la victoire finale. Il interprète donc sa tâche comme une sorte de devoir moral. Nous sommes au cœur de l’ambivalence bourreau – victime, les frontières n’étant pas aussi imperméables que notre vision 70 ans plus tard pourrait le laisser penser.
Fait  étonnant et qui mérite d’être mentionné puisque ces récits ont une forte valeur autobiographique : Dionys Mascolo, amant de Marguerite, entretient une relation avec la femme de Charles Delval avec laquelle il a un enfant ! Compliqué tout cela.scratch

Dans Albert des Capitales Marguerite Duras renverse les rôles et se présente en tant que bourreau. En effet, il s’agit d’un interrogatoire mené par une certaine Thérèse (« Thérèse c’est moi » nous prévient MD) d’un mouchard accompagné d’un tabassage en règle. C’est un texte extrêmement violent, franchement très dur et qui m’a mis très mal à l’aise. M.D. a-t-elle cherché à faire un contrepoint à « L’Espèce humaine » de Robert Antelme ?

Ter le milicien est le portrait d’un jeune frimeur, flambeur, amoureux de la vie qui a été séduit par une collaboration active. On ne sait s’il continuera à vivre ou s’il sera exécuté.

Les deux derniers textes sont des fictions : L’Ortie brisée, fuite d’un collaborateur dans la banlieue parisienne ; Aurélia Paris, jeune juive recueillie dans un appartement parisien. Ce sont deux beaux textes.

Ma lecture de « La Douleur » suit celle de « L’Espèce humaine » de R. Antelme. Ce dernier livre est éprouvant, mais soutenu par une pensée ferme et élaborée. Au contraire « La Douleur »  avec ses textes disparates, ses ambiguïtés, ses non-dits, son caractère beaucoup plus ouvert vers les interprétations du lecteur, offre une autre vision, complémentaire ?, qui peut être dérangeante pour certains, mais n’est-ce pas le caractère des œuvres d’art ? Very Happy


Mots-clés : #autobiographie #campsconcentration #deuxiemeguerre #genocide
par ArenSor
le Lun 5 Fév 2018 - 12:15
 
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Sujet: Marguerite Duras
Réponses: 75
Vues: 5995

Robert Antelme

L'Espèce humaine

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 Espyce10


Robert Antelme est l’auteur de pratiquement un seul livre, mais un ouvrage d’une importance capitale.

Parmi les rares survivants de l’enfer des camps nazis, bien peu ont laissé un témoignage écrit  de ce qu’ils y avaient vécu. Dans l’introduction à son récit, Robert Antelme montre cette difficulté à dire :

Cette disproportion entre l’expérience que nous avions vécue et le récit qu’il était possible d’en faire ne fit que se confirmer par la suite. Nous avions donc bien affaire à l’une de ces réalités qui font dire qu’elles dépassent l’imagination. Il était clair désormais que c’était seulement par le choix, c’est-à-dire encore par l’imagination, que nous pouvions essayer d’en dire quelque chose.


L’Espèce humaine a été rédigé peu de temps après les faits et publié en 1947, peut-être par une sorte de devoir de mémoire, le livre étant dédié à la sœur de l’auteur, Marie-Louise, qui, elle, ne revint pas de la déportation.

Envoyé à Buchenwald en août 44 par le dernier train parti de Compiègne, Robert Antelme va être affecté à un Kommando de ville de Gandersheim, au sud de Hanovre, où se trouve une usine de fabrication de carlingues d’avions.
Il va y vivre – survivre est le terme le plus approprié - pendant les longs mois d’hiver, entassé avec ses compagnons dans l’église puis dans le camp que les détenus ont construit. Les conditions de vie, variable selon les kommandos, étaient particulièrement rudes à Gandersheim, le camp étant dirigé par les Kapos, prisonniers de droit commun, et non les politiques.

Au sommet de la hiérarchie se placent les SS :

Il n’y a plus que les SS. Ils sont calmes, ils ne gueulent pas. Ils marchent le long de la colonne. Les Dieux. Pas un bouton de leur veste, pas un ongle de leur doigt qui ne soit un morceau de soleil : le SS brûle. On est la peste du SS. On n’approche pas de lui, on ne pose pas les yeux sur lui. Il brûle, il aveugle, il pulvérise.


Au-dessous, toute une hiérarchie complexe de privilégiés et de kapos. On pourrait les rassembler sous le terme « ceux qui ont à manger ». Il s’agit souvent de droits communs qui ont l’avantage de parler la langue des « dieux » et de jouer le rôle d’interprètes. Ils sont impliqués dans de multiples trafics, le principal étant celui de l’or issu des dents ou de montures de lunettes, ils se divisent en plusieurs factions rivales. Le jeu peut être dangereux pour eux. Le SS n’aime pas les trahisons, ceux qui parlent trop. Parmi eux les kapos sont souvent des brutes épaisses qui passent le plus clair de leur temps à hurler sur les détenus et à les frapper à coups de schlague, à coups de poings. Il faut se faire bien voir du dieu SS. Portant le costume rayé comme les autres, les kapos finissent par le quitter et même sont dotés de fusils…

On l’avait entendue souvent, cette voix, dans le haut-parleur de la baraque. Elle s’étendait sur tout le camp : « Kapos… Kapos ! » avec un « a » grave. C’était le mot qui revenait le plus souvent. Au début, cela avait paru mystérieux. Cette voix et ce mot manifestaient en réalité toute l’organisation. Calme, la voix ordonnait tout. Entre la voix et le régime imposé par les SS, il était d’abord impossible de faire le rapprochement. C’était pourtant la même chose. La machine était au point, admirablement montée, et cette voix tranquille, d’une fermeté neutre, c’était la voix de la conscience SS absolument régnante sur le camp.


Il y a d’autres privilégiés :

Le toubib espagnol est devenu rapidement un type assez parfait de l’aristocratie du kommando. Le critère de cette démocratie – comme de toute d’ailleurs – c’est le mépris. Et nous l’avons vue sous nos yeux se constituer, avec la chaleur, le confort, la nourriture. Mépriser – puis haïr quand ils revendiquent – ceux qui sont maigres et traînent un corps au sang pourri, ceux que l’on a contraints à offrir de l’homme une image telle qu’elle soit une source inépuisable de dégoût et de haine.


Enfin, il y a les civils de l’usine qui eux aussi frappent à tour de bras, à quelques exceptions près, des travailleurs qui sabotent un peu le travail (une seule carlingue sera produite mais reviendra car défectueuse.)

Les coups, le froid, la faim, surtout la faim, affaiblissent peu à peu des corps exténués et sont sources de multiples maladies. Un engrenage fatal se trouve ainsi mis en place.

En réalité après la soupe la faim relayera le froid, puis le froid recommencera et enveloppera la faim ; plus tard les poux envelopperont le froid et la faim, puis la rage sous les coups enveloppera poux, froid et faim, puis la guerre qui ne finit pas enveloppera rage, poux, froid et faim, et il y aura le jour où la figure, dans le miroir, reviendra gueuler Je suis encore là ; et tous les moments où leur langage qui ne cesse jamais enfermera poux, mort, faim, figure, et toujours l’espace infranchissable aura tout enfermé dans le cirque des collines : l’église où nous dormons, l’usine, les chiottes, la place des pieds, et la place de la pierre que voici, lourde, glacée, qu’il faut décoller de ses mains insensibles, gonflées, soulever et aller jeter dans le tombereau.


Manger devient une obsession : le pain rationné que l’on découpe en petits morceaux et qu’on mâche longuement, rarement quelques patates ou épluchures, de la soupe qui n’est que de l’eau chaude :

Maintenant, on se presse pour toucher le pain et on lutte contre soi-même pour arriver à en garder une tranche pour le soir. En le touchant, et avant même de le toucher, on sait qu’il est périssable, on est accablé déjà d’avoir à le manger. Le pain ne vieillit pas comme la chair et la beauté, il ne dure pas, il n’est destiné qu’à être détruit. Il est condamné avant de naître. Je pourrais calculer quelles quantités il faudra que j’en aie à détruire pour vivre cinq ans, dix ans… Il y a des montagnes de pain, des années-pains entre la mort et nous.


Il savait qu’entre la vie d’un copain et la sienne propre, on choisirait la sienne et qu’on ne laisserait pas perdre le pain du copain mort. Il savait qu’on pourrait voir, sans bouger, assommer de coups un copain et qu’avec l’envie d’écraser sous ses pieds la figure, les dents, le nez du cogneur, on sentirait aussi, muette, profonde, la veine du corps :  « ce n’est pas moi qui prend ».


L’important bien sûr est de survivre :

La mort était de plein pied avec la vie, mais à toutes les secondes. La cheminée du crématoire fumait à côté de celle de la cuisine. Avant que nous soyons là, il y avait eu des os de morts dans la soupe des vivants, et l’or de la bouche des morts s’échangeait depuis longtemps contre le pain des vivants. La mort était formidablement entraînée dans le circuit de la vie quotidienne.


Ici, il n’y a pas de malades : il n’y a que des vivants et des morts.



Il ne faut pas mourir, c’est ici l’objectif véritable de la bataille. Parce que chaque mort est une victoire du SS.


Pour survivre, il faut garder sa dignité humaine. C’est là que la réflexion de Robert Antelme basée sur son vécu concentrationnaire dépasse ce cadre des camps pour toucher l’universel : il n’y a qu’une espèce humaine.
Il a bien compris que la machine de mort SS était basée sur une distanciation avec les détenus : les moches, les pourris, les squelettes ambulants, les porcs (schweine), ceux qui peuvent s’abaisser à ramper à terre pour manger quelques épluchures, ceux qui défèquent dans leur culotte où n’importe où parce qu’ils ont la diarrhée ; bref de la vermine, paresseuse, indisciplinée, des parasites de la société, tout juste bons à être utilisés comme esclaves.

Le geste de l’homme, agissant ou signifiant, ne cesse pas. Les SS ne peuvent pas muter notre espèce. Ils sont eux-mêmes enfermés dans la même espèce et dans la même histoire. Il ne faut pas que tu sois : une machine énorme a été montée sur cette dérisoire volonté de con. Ils ont brûlé des hommes et il y a des tonnes de cendres, ils peuvent peser par tonnes cette matière inerte. Il ne faut pas que tu sois, mais ils ne peuvent pas décider, à la place de celui qui sera cendre tout à l’heure, qu’il n’est pas. Ils doivent tenir compte de nous tant que nous vivons, et il dépend encore de nous, de notre acharnement à être, qu’au moment où ils viendront de nous faire mourir ils aient la certitude d’avoir été entièrement volés. Ils ne peuvent pas non plus enrayer l’histoire qui doit faire plus fécondes ces cendres sèches que le gras squelette du lagerführer.


Et ce passage fondamental :

Et si nous pensons alors cette chose qui, d’ici, est certainement la chose la plus considérable que l’on puisse penser : « Les SS ne sont que des hommes comme nous » ; si, entre les SS et nous – c’est-à-dire dans le moment le plus fort de la distance entre les êtres, dans le moment où la limite de l’asservissement des uns et la limite de la puissance des autres semblent devoir se figer dans un rapport surnaturel – nous ne pouvons apercevoir aucune différence substantielle en face de la nature et en face de la mort, nous sommes obligés de dire qu’il n’y a qu’une espèce humaine. Que tout ce qui masque cette unité dans le monde, tout ce qui place les êtres dans la situation d’exploités, d’asservis et impliquerait par là-même, l’existence de variétés d’espèces, est faux et fou ; et que nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, même dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être autre qu’une de celles de l’homme : la puissance de meurtre. Il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose.


De ce fait, la bassesse ne se trouve pas où le conquérant le pense mais dans le franchissement d’autres limites :

Plus on est contesté en tant qu’homme par le SS, plus on a de chances d’être confirmé comme tel. Le véritable risque que l’on court, c’est celui de se mettre à haïr le copain d’envie, d’être trahi par la concupiscence, d’abandonner les autres. Personne ne peut s’en faire relever. Dans ces conditions, il y a des déchéances formelles qui n’entament aucune intégrité et il y a aussi les faiblesses d’infiniment plus de portée. On peut se reconnaître à se revoir fouinant comme un chien dans les épluchures pourries. Le souvenir du moment où l’on n’a pas partagé avec un copain ce qui devait l’être, au contraire viendrait à faire douter même du premier acte. L’erreur de conscience n’est pas de « déchoir », mais de perdre de vue que la déchéance doit être de tous et pour tous.


Tout est bon pour garder cette dignité de l’espèce face à celui qui veut la nier :

Quand je suis près d’un Allemand, il m’arrive de parler le français avec plus d’attention, comme je ne le parle pas habituellement là-bas ; je construis mieux la phrase, j’use de toutes les liaisons, avec autant de soin, de volupté que si je fabriquais un chant. Auprès de l’Allemand, la langue sonne, je la vois se dessiner au fur et à mesure que je la fais. Je la fait cesser et je la fait rebondir en l’air à volonté, j’en dispose. A l’intérieur du barbelé, chez le SS, on parle comme là-bas et le SS qui ne comprend rien le supporte. Notre langue ne le fait pas rire. Elle ne fait que confirmer notre condition. A voix basse, à voix haute, dans le silence, elle est toujours la même inviolable. Ils peuvent beaucoup mais ils ne peuvent pas nous apprendre un autre langage qui serait celui du détenu. Au contraire, le nôtre est une justification de plus de la captivité.


Et Dieu dans tout cela ? Il n’est pas d’un grand secours pour Robert Antelme (mais il en soutient d’autres)

Belle histoire du surhomme, ensevelie sous les tonnes de cendres d’Auschwitz. On lui avait permis d’avoir une histoire. Il parlait d’amour, et on l’aimait. Les cheveux sur les pieds, les parfums, les disciples qu’il aimait, la face essuyée…
On ne donne pas les morts à leur mère ici, on tue la mère avec, on mange leur pain, on arrache l’or de leur bouche pour manger plus de pain, on fait du savon avec leur corps. Ou bien on met leur peau sur les abat-jour des femelles SS. Pas de traces de clous sur les abat-jour, seulement des tatouages artistiques
« Mon Père, pourquoi m’avez-vous… »
Hurlements des enfants que l’on étouffe. Silence des cendres épandues sur une plaine.



Soudain à Gandersheim dans une nuit du mois d’avril s’entend un roulement de bruits sourds. Pas de doute c’est de l’artillerie : les Russes sont proches du camp
Rapidement, c’est l’évacuation, le moment le plus périlleux pour les détenus. Les voilà sur les routes en longue colonne condamnée à la marche forcée. L’œil du SS, celui qui tue, les regarde à nouveau avec toute son acuité. Il faut surtout éviter ce regard, montrer qu’on est toujours en état de marcher. Car malheur aux autres, à l’arrière de la colonne crépitent les rafales de mitraillette qui éliminent ceux qui trop épuisés sont incapables de suivre. Suit une errance surréaliste de plusieurs jours dans un pays décomposé, en proie à la déroute. Mais où l’ordre SS continue à régner sur les détenus. D’ailleurs Robert Antelme note amèrement que plus les alliés approchent plus leur sort de prisonnier devient précaire. Finalement, ils sont enfermés dans un wagon pour un voyage de plusieurs jours. Là encore de nombreux morts d’épuisement. Enfin, ils se retrouvent dans le camp de Dachau où la faucheuse continue son ouvrage sur les corps ravagés. Robert Antelme sera sauvé mais de peu !

Coïncidence troublante, sort actuellement un film au cinéma sur la quête de Marguerite Duras pour sortir son époux Robert Antelme de l’enfer concentrationnaire.
Et il me restera à lire "La Douleur" de M. Duras Very Happy


mots-clés : #campsconcentration
par ArenSor
le Sam 27 Jan 2018 - 18:58
 
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Sujet: Robert Antelme
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Olivier Rolin

Baïkal- Amour

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Et nous voila partis pour un nouveau voyage en train rolinesque à travers la Russie orientale, ses bouleaux sans fin, ses villes dévastées, ses entrepôts abandonnés. On fréquente des rêveuses revêches, et des voyageurs hospitaliers, on habite des chambres d’hôtel glauques qu'on a l'impression de déjà connaître. Au début ça a des petits relans de déjà vu, de paresseuse soirée-photos entre amis avec quelques anecdotes rigolotes, des descriptions sympas, une petite transmission de connaissance qui sera vite oubliée. Puis insensiblement le charme opère, la pression des milliers de déportés, célèbres ou anonymes,  qui on hanté ces régions, vite oubliés, se glisse peu à peu entre les mots et confère un poids, un sens à cette écriture sobre, sombre, pleine de retenue et d'humour, une mélancolie enveloppante.


mots-clés : #campsconcentration #devoirdememoire #voyage
par topocl
le Sam 16 Déc 2017 - 9:50
 
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Sujet: Olivier Rolin
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Didier Zulli

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Varsovie, Varsovie

On croit souvent savoir, mais non, on apprend toujours,  et quand on sait,  se rappeler est "un devoir de mémoire" .

Yentl Perlmann rescapée du ghetto de Varsovie retourne en 2017 dans cette ville à la rencontre  des Lycéens du Lycée Goscinny pour raconter le combat magnifique des résistants de l'ombre ayant à leur tête Emanuel Ringelblum. Le combat dura 43 jours, peu survécurent. Mais les résistants avaient enfouis dans le sol leurs écrits sur la vie dans le ghetto afin que la mémoire perdure. Ces archives ont été retrouvées sous les décombres  d' un'immeuble de 4 étages.

Yentl posa une question essentielle aux lycéens : "Qui sera le témoin des témoins ?" Elle apprendra à son retour aux USA que des lycéens s'investissent auprès de leurs camarades pour connaître leur sentiment et ce qu'ils ont retenu ; ils récolteront les écrits avec l'idée de les mettre en forme. (journal ou autre)

Yentl arrive au Lycée

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Ce qui a touché les lycéens :

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Jonasz Heller sauve une enfant (Yentl)dont les parents résistants viennent d'être abattus par les allemands (Yentl ne retrouvera pas ses traces après la guerre)

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Shaïa le cousin de Jonasz décide d'intégrer la Judenrat, Avram Heller le Gd-Père de Jonasz essaye de l'en dissuader, mais l'appât d'un salaire alors qu 'il y a famine convainc le jeune homme, il rachètera son erreur en la payant de sa mort

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Les écrits pour les archives qui seront enfouies dans le sol ; David Gruber 19 ans : "Ce que nous n'avions pas pu crier au monde nous l'avons enfoui dans le sol" !

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Tous les jours la faim, la peur, les coups, la mort :

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Le président de la Jurendat Czerniakov est si abattu quand il reçoit l'ordre d'envoyer à l'Est (c-à-dire dans les camps) également les enfants, il se suicide

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L'Est ? qui y-a-t-il à l'Est où partent les trains ? La femme de Ringelblum le recontera au vieux Avram Heller, elle dira ce que sont les "chantiers" des allemands !Et Jonasz s'interroge ; que sont devenus ses parents ?

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Pendant ce temps les américains (Cordell Hull et Summer Welles) et les britanniques (Halifax et Strang) discutent du sort des Juifs :

"La proposition de sauver les Juifs ou de les faire sortir d'Europe doit être considérée avec la plus grande prudence et  non prioritaire. Hitler pourrait très bien nous prendre au mot et dire qu'il n' y a tout simplement pas assez de bateaux et de moyens de transport dans le monde pour les déplacer.

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Documentation Historique de Mr. Bensoussan

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C'est édifiant, émouvant,  les dessins, leurs couleurs créent l'ambiance. C'est une lecture "devoir de mémoire" que l'on doit faire et refaire. Cette BD est à proposer à la jeunesse quand les lectures des livres les rebutent parce que comme Yentl interpelle les lycéens de Varsovie : Qui sera le témoin des témoins ?


mots-clés : #bd #biographie #campsconcentration
par Bédoulène
le Dim 3 Déc 2017 - 20:44
 
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Sujet: Didier Zulli
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Varlam Chalamov

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Récits de la Kolyma

Editions Verdier, 1478 pages

Ce qui m’a intrigué en feuilletant cet énorme livre, c’était que la place importante que Chalamov donne à la littérature dans son livre saute aux yeux. A la Kolyma, nous dit Chalamov, où tout est déshumanisé, elle semble au contraire n’avoir aucune place. On est par ailleurs bien trop occupé à survivre au milieu des truands et du travail forcé, d’un froid qui descend jusqu’à -60° C, des maladies et du manque évident de nourriture. Mais j’avais aussi envie de lire ce livre pour ce qu’il revêt de la perception d’une certaine réalité, atroce. Je n’avais à ce moment-là pas d’autre envie. L’auteur prévient le lecteur que ce qu’il a vécu là-bas le dépasse, nous à plus forte raison encore.

Des petits morceaux sont reconstitués, dans un désordre chronologique et de répétitions. Le livre acquiert en quelque sorte une forme libre de mémoire aux limites humaines : quelques réflexions éparses ― il ne brille pas par sa dimension analytique malgré tout ― quelques épisodes. Notamment un, relaté dans un très beau récit intitulé "Marcel Proust"… Ce fantôme (dans le meilleur sens du terme, s’entend) a un éclat très particulier, très étrange et en tout cas lumineux au cœur de ce témoignage. Si justement la littérature n’a plus de place, ou presque plus, c’est au mieux en tant que souvenir.  Dans des pénibles tentatives de réminiscences de sa vie avant le goulag, ou bien quand on « édite des rômans » pour des truands oisifs. Mais « au mieux, un souvenir » n’est-ce-pas déjà beaucoup ? La littérature devient pour Chalamov un moyen de redevenir humain, qu’il partage avec son lecteur dans une avidité palpable. Mais on se sent comme étranger, peut-être que l’expérience est trop radicale, même si nombre de ces récits sont émouvants.

Varlam Chalamov a écrit:Les valeurs sont brouillées et chaque notion humaine, bien que désignée par un mot dont l’orthographe, les sonorités, l’assemblage familier de sons et de lettres restent les mêmes, renvoie à quelque chose qui n’a pas de nom sur le « continent » : ici, les critères sont différents, les us et les coutumes particuliers ; le sens de chaque mot est transformé.
Lorsqu’il est impossible d’exprimer un sentiment, un événement ou un concept nouveau dans le langage humain ordinaire, on voit naître un mot neuf, emprunté à la langue des truands qui sont les arbitres de la mode et du bon goût dans l’Extrême-nord.



mots-clés : #autobiographie #campsconcentration #captivite #creationartistique #regimeautoritaire
par Dreep
le Mer 1 Nov 2017 - 19:11
 
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Sujet: Varlam Chalamov
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Antonio Muñoz Molina

Antonio Muñoz Molina Séfarade

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Il s’agit en fait d’une sorte de recueil de "nouvelles" avec un fil directeur très homogène : le souvenir d’un passé plus ou moins lourd, vécu dans différents endroits de la planète par des personnages extraordinaires ou non, historiques ou pas, des étrangers, des immigrés, des émigrés, des exilés, des disparus ‒ autant de romans, empreints des dictatures du XXe siècle.

« Il n'y a pas de limite aux histoires inimaginables qu'on peut entendre à condition de faire un peu attention, aux romans qu'on découvre soudain dans la vie de n'importe qui. »
Antonio Muñoz Molina, « Cerbère », in « Séfarade »

« Comment s’aventurer à la vaine frivolité d’inventer alors qu’il y a tant de vies qui mériteraient d’être racontées, chacune d’elles comme un roman, un réseau de ramifications qui mènent à d’autres romans, à d’autres vies. »
Antonio Muñoz Molina, « Séfarade », in « Séfarade »


Parmi les leitmotive qui se recoupent, les camps de concentration et d’extermination allemands et russes, les Séfarades et autres Juifs, d’Espagne ou d’ailleurs, Milena Jesenska et Franz Kafka (d’un certain point de vue un annonciateur du totalitarisme), les morts vivants dans la rue (drogués et autres égarés) ‒ en quelque sorte l’héritage du siècle ‒, et les obsessions et angoisses de l’auteur et/ ou narrateur (alternance de je/ il qui entrelace le texte, comme aussi des épisodes ou des personnages, tel le cordonnier) : départ/ voyage/ fuite, culpabilité, persécution, amours perdues.

« ...] Franz Kafka a inventé par anticipation le coupable parfait, l’accusé d’Hitler et de Staline, Joseph K., l’homme qui n’est pas condamné parce qu’il a fait quelque chose ou parce que se serait fait remarquer d’une quelconque manière, mais parce qu’il a été désigné comme coupable, qui ne peut pas se défendre parce qu’il ne sait pas ce dont on l’accuse et qui, au moment d’être exécuté, au lieu de se révolter, se soumet avec respect à la volonté des bourreaux, ayant en plus honte de lui-même. »
Antonio Muñoz Molina, « Tu es », in « Séfarade »


Désinformation, "agit-prop" de l’Internationale communiste :
« Willi Münzenberg a inventé l’art politique de flatter les intellectuels établis, la manipulation convenable de leur égolâtrie, de leur peu d’intérêt pour le monde réel. Il parlait d’eux avec un certain mépris et les appelait le "Club des Innocents". Il était à la recherche de gens pondérés, avec des tendances humanistes, une certaine solidité bourgeoise, si possible l’éclat de l’argent et du cosmopolitisme : André Gide, H. G. Welles, Romain Rolland, Hemingway, Albert Einstein. Lénine aurait fusillé sans délai cette espèce d’intellectuels, ou bien il les aurait expédiés dans un sous-sol de la Loubianka ou en Sibérie. Münzenberg a découvert l’immense utilité qu’ils pouvaient avoir pour rendre attrayant un système que lui, dans le fond incorruptible de son intelligence, devait trouver atterrant d’incompétence et de cruauté, même pendant les années où il le considérait comme légitime. »

« Il y a aussi dans cette histoire un traître possible, une ombre à côté de Münzenberg, le subordonné rancunier et docile, cultivé et polyglotte ‒ Münzenberg ne parlait que l’allemand, et avec un fort accent de classe populaire ‒, physiquement son contraire, Otto Katz, appelé aussi André Simon, mince, fuyant, vieil ami de Franz Kafka, organisateur du Congrès des intellectuels antifascistes de Valencia, émissaire de Münzenberg et du Komintern parmi les intellectuels de New York et les acteurs et les scénaristes d’Hollywood, étoiles de la gauche caviar, et du radical chic, toujours espionnant, adulateur assidu d’Hemingway, Dashiell Hammett, Lillian Hellman, staliniens fervents et cyniques. »
Antonio Muñoz Molina, « Münzenberg », in « Séfarade »


Personnellement, j’ai ressenti ces ressassements comme pesants, peut-être entrés en résonnance avec trop de trop récentes lectures apparentées. Idem, le fil Littérature des camps semble déserté (saturation ?)

mots-clés : #campsconcentration #communautejuive #devoirdememoire #exil #genocide #regimeautoritaire
par Tristram
le Mer 1 Nov 2017 - 0:37
 
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Sujet: Antonio Muñoz Molina
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Joseph Kessel

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Les mains du miracle

La drôle d'histoire d'un des moments les moins drôles de l'histoire avec quelques uns des moins drôles des personnages possibles. Felix Kersten a été le médecin "personnel" de Heinrich Himmler, ministre de l'intérieur il est aussi chef des SS et de la Gestapo et dirige pour ainsi dire les camps de concentration.

Felix Kersten de son côté a un parcours atypique. Né en Estonie, devenu Finlandais après la première guerre, mettant fin à un parcours hésitant il se tourne vers le massage traditionnel avant d'aller se perfectionner à Berlin où il vit de petits boulots en parallèle de son apprentissage. Il fera ensuite la rencontre du Dr Kô qui lui a appris au Tibet et lui transmettra son savoir et sa clientèle...

La renommée venue et aidant il est sollicité par des personnalités influentes avant de tomber sur Himmler, ce qui ne l'enchante guère mais.

Et l'essentiel du livre est dans ce qui suit. Dans les terribles années de la deuxième guerre mondiale, années de déportation et de génocide le livre déroule la relation entre le malade qui souffre de terribles crampes d'estomac et son médecin qui négocie inlassablement des anomalies dans l'implacable machinerie. Une relation de confiance ambiguë qui repose sur la douleur et sur la peur et débouche sur des faits incroyables, absolument surréalistes.

J'ai été un peu frustré par le style "documentaire" (c'est ce qui est indiqué sur la couverture de toute façon) et il y a un phénomène de répétition au fur et à mesure de cette relation mais c'est dingue. La toute petitesse d'hommes aux pouvoirs effrayants et tant d'impensable qui tient à si peu de choses. Kersten a sauvé des amis, des amis d'amis avant de réussir à sauver des milliers de vie. Le tout en étant paradoxalement au cœur du secret et à distance, favorisé par les avantages accordés par son patient dévoué.

A la fois concret et schématique, déroutant, étonnant, très étonnant quand on n'a pas prêté plus qu'une oreille distante à cette petite partie de l'histoire, c'est un peu rapide, brusque mais dingue. Et très factuel, donc le voyage dans l'envers de l'histoire est perturbant.

Perturbant aussi de penser que cela représente peu d'années mais que tant de choses, de drames et de renversement ont pu s'y dérouler.

On peut aussi râler à propos de l'insistance sur l'opposition physique entre le gros docteur débonnaire et son malade chétif se rêvant athlète et quelques autres chimères de l'imaginaire nazi, sur les femmes reléguées à la toile de fond utilitaire qui consiste au mieux à tenir la maison avec attention mais l'essentiel du livre se situe malgré tout ailleurs. Dans l'inimaginable du fait anormal, du grain de sable fruit de la patience et de l'obstination, une détermination improvisée et réinventée constamment pour sauver des vies et dépasser un mensonge permanent.

En forme de lecture ce n'est pas le gros pied mais c'est tellement gros, et grand, que ça serait dommage de se priver de 300 petites pages comme ça.

(Récup').

mots-clés : #campsconcentration #deuxiemeguerre #documentaire #historique
par animal
le Sam 19 Aoû 2017 - 13:37
 
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Sujet: Joseph Kessel
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Mariusz Wilk

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Le journal d’un loup


Original : Wilczy Notes. Zapiski sołowieckie 1996-1998 (Polonais)

Né en 1955 à Wroclaw/Pologne, Mariusz Wilk était entre autre très tôt actif dans le mouvement de « Solidarnosc ». Puis il travaillait comme reporter à Moscou, Berlin, les Etats-Unis. Un jour il sentait le besoin d’une distance et atterrissait, un peu par hasard, sur les Îles très reculés des Solovki, dans la Mer blanche, dans l’Extrême Nord de la Russie. C’est de là il commença à écrire régulièrement des articles pour le journal polonais « Kultura ».

Les semaines se prolongent en années et il se laisse toucher non pas plus comme un pur étranger, mais comme de l’intérieur, comme par empathie par les réalités de la Russie dans ces contrées lointaines des centres virevoltantes comme St. Petersbourg ou Moscou. Malgré ses origines polonaises (qui connaît l’histoire…) il arrive de devenir tout proche des gens, si souvent abandonnés par un pouvoir trop occupé par d’autres soucis. C’est de l’optique de ces lieux –là, qu’il regarde, observe et commente les développements de ce pays. Mais jamais cela devient une exercice d’enseignement sec, même si il nous fait partager une quantité de pensées et réflexions sur la culture, la foi et l’histoire de ce pays. Il part de la réalité concrète sur ces Ïles de Solovki, lieu si fameux dans l’histoire de la Russie, et cela à double titre : Cette île est historiquement et spirituellement célèbre pour son monastère fondé au XVème siècle, lieu qui a bien rayonné au-delà des environs. De l’autre côté, ce même lieu est devenu le premier « GOULAG » de l’Union soviétique, au tout début des années 20. C’est par ailleurs de là que Soljenitsyne a pris le titre de son investigation sur les camps : « Archipel de Goulag », c’était d’abord cet archipel de quelques îles dans la Mer blanche.

Quelques fois ses visions, ses descriptions prendront une allure apocalyptique, comme par exemple quand il parle de ce fléau qu’est l’alcoolisme ou les désastres écologiques… D’un coup l’animal humain n’est pas loin, purement historique, mais tout proche. Et pourtant… Qui connaît la Russie comme Wilk s’y laissait prendre, y discerne une force d’attraction qui peut dérouter dans son étrangeté ; mais qui ne nous lâche plus.

C’est un livre très varié de par ses sujets, idées, analyses, impressions évoqués, qui pourra donner des nouveaux perspectives à chaque russophile ancien et nouveau sur ce pays fascinant. Ayant été moi-même infecté par ce virus de l’amour pour ce pays, et ayant visité avec bonheur et respect cet archipel proche du Cercle polaire, je trouve dans les pages de Wilk mes impressions confirmées et nourries. Dans CE genre précis, avec cette lucidité et cet amour pour la Russie, j’ai rien trouvé de comparable.

Entre-temps Wilk est en train de se confirmer comme un explorateur/voyageur dans la meilleure tradition…

Il faut dire que les éditions « Noir sur blanc » ont eu une main magnifique en nous présentant Mariusz Wilk !


mots-clés : #campsconcentration #voyage #insularite
par tom léo
le Mar 8 Aoû 2017 - 7:48
 
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Sujet: Mariusz Wilk
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Jorge Semprun

Le grand voyage

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Premier livre, roman autobiographique écrit seize ans après sa déportation à Buchenwald, d’un étudiant espagnol exilé en France.
À la distanciation d’intellectuel communiste du narrateur, sensible à rester digne (peut-être par orgueil), répond cette expérience en creux du camp de concentration : ne sont dits que le voyage de quatre jours et cinq nuits en train pour y parvenir, puis le retour à la Libération, avec des aperçus de la guerre civile espagnole et de la Résistance, de son arrestation par la Gestapo, de sa vie après-guerre en « amnésie volontaire ». Ce voyage également intérieur (dans la mémoire) inclus des images postérieures (des faits qu’il ne connaissait pas à l’époque, comme l’auxiliaire SS Else Kock qui fabriquait des abat-jours de peau tatouée) ou extérieures (comme le point de vue du village, de la maison avec vue sur le camp d’extermination et son crématoire fumant). Ce sont donc les contours de l’indicible, le voyage à cent-vingt personnes dans un wagon à bestiaux avec « le gars de Semur », un compagnon d’infortune qui meurt dans ses bras à l’arrivée, les survivants étant pressés debout, immobilisés.

« À ces moments-là, lorsque cette voix retentit, et toujours elle retentit, la simple agglomération d’êtres rassemblés par hasard, informe, révèle une structure cachée, des volontés disponibles, une étonnante plasticité s’organisant selon des lignes de force, des projets, en vue de fins peut-être irréalisables, mais qui confèrent un sens, une cohérence, aux actes humains même les plus dérisoires, même les plus désespérés. Et toujours cette voix se fait entendre.
"Les gars, il faut faire quelque chose", dit cette voix derrière nous. »

(Les prisonniers organisent une collecte d’urine pour humecter des mouchoirs et en rafraîchir ceux qui s’évanouissent.)

Il rapporte d’autres scènes vécues, telle celle du massacre des enfants juifs polonais rescapés de wagons amenant chacun deux cents Juifs, pour la plupart des cadavres gelés.
Pour ce jeune homme empreint de philosophie allemande, il n’est pas nécessaire de comprendre les nazis : il faut juste les détruire. Et il refuse la mentalité ancien combattant (le combat n’est pas fini pour lui). Ce livre expose en fait le positionnement de l’auteur contre le fascisme : la lutte.

Je n’ai pas recopié d’autre extrait témoignant de l’incommunicable détouré par Semprun ; voici d’abord un commentaire sur l’organisation de la Résistance, puis sur Hans, un autre personnage important, Juif allemand, lui aussi résistant, et disparu sans laisser de trace dans un combat (ce qu’il apprend lors de son « grand voyage ») :

« C’est effarant que la torture soit un problème pratique [pour les combattants clandestins], que la capacité de résister à la torture soit un problème pratique qu’il faille envisager pratiquement. […] Les choses étant ce qu’elles sont, la possibilité d’être homme est liée à la possibilité de la torture, à la possibilité de plier sous la torture. »
« …] "je ne veux pas mourir seulement parce que je suis Juif", il se refusait, en fait, à avoir son destin inscrit dans son corps. »


Juste une autre citation, accessoire, mais qui laisse dubitatif à maints égards :

« Il faudra que j’essaie un jour de penser sérieusement à cette manie qu’ont tant de Français de croire que leur pays est la seconde patrie de tout le monde. Il faudra que j’essaie de comprendre pourquoi tant de Français sont si contents de l’être, si raisonnablement satisfaits de l’être. »

Voici une courte interview lors de la parution du livre : url=http://www.ina.fr/video/I00018093

Autre chose : dans ce texte organisé en deux parties (la seconde très courte, juste la marche finale dans la monumentalité opératique, aux accents wagnériens, aux aigles hitlériennes, de leur destination), pas séquencé en chapitres mais d’une seule allée cadencée de paragraphes espacés, certains des alinéas qui le structurent manquent, du fait vraisemblablement du typographe, peut-être soucieux d’économiser du papier (alors autant supprimer les passages à la ligne), en tout cas peu respectueux du phrasé : les espaces sont primordiaux en littérature, et pas qu’en poésie, comme les intervalles et les périodes en musique, et la mise en page est trop souvent bâclée.
C’est d’autant plus dommage que ce texte constitue une superbe reconstruction mélodique des souvenirs de l’auteur, prouvant une fois de plus que le style est nécessaire à la signification de l’écrit.

J’ai commandé L'Écriture ou la Vie, et en parlerai sans doute après lecture.


mots-clés : #campsconcentration
par Tristram
le Dim 4 Juin 2017 - 21:42
 
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Sujet: Jorge Semprun
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Antoine Choplin

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Une forêt d'arbre creux

Histoire basée sur la vie de l'artiste Bedrich Fritta. Mort à Auswitch en 1944 après avoir vécu quelque temps, ainsi que sa femme et leur fils Tommy dans le ghetto de Térezin.

Après une marche dans un vent hivernal Bedrich, sa femme Johanna et leur fils Tomi arrivent à Terezin en décembre 1941.

C'est par quelques "plans" que  l'auteur montre le quotidien des familles juives au ghetto de Terezin. Mais à eux seuls les deux ormes sur la place du village sont une représentation métaphorique de cette vie.

"Les deux ormes, appelons les ainsi, de tailles sensiblement égales, jeunes encore sans doute, distants de quelques mètres à peine et confondant ainsi leurs cimes. Par contraste, la clarté laiteuse du jour perçant la ramure au coeur rend à chaque banche sa forme singulière. On voit ainsi combien la silhouette rondouillarde et équilibrée de l'arbre résulte de l'agrégat d'élancement brisés, de lignes rompues et poursuivant autrement leur course, de désordres. Dans ce chaos que ne tempère que cette tension partagée vers le haut, l'oeil a tôt fait d'imaginer des corps décharnés, souffrants, empruntant à une gestuelle de flamme ou de danse andalouse, implorant grâce ou criant au visage de leur bourreau la formule d'un ultime sortilège, résistant un instant encore à l'apel du gouffre que l'on croirait s'ouvrant à la base du tronc.
Juste derrière les deux ormes passe la clôture de fils de fer barbelés, et parallèles rythmées par les poteaux équidistants. Drôle de portée avec ses barres de mesure, vide de toute mélodie, et contre laquelle, à bien y regarder, semble se disloquer la promesse des choses.[........]S'y entrelacent, en lisière de cette désolation, l'élan et la contrainte, la vérité et l'illusion, le vivant et le mort. A eux seuls les barbelés ne disent rien, pas plus que les arbres ; ce sont les deux ensemble qui témoignent de l'impensable."



Placé comme "chef" du service de dessin technique Bedrich et d'autres peintres, dessinateurs se voient confier comme tâche : la construction du crématorium ! alors ces hommes et ces femmes doivent faire face à leur passion pour leur métier et au désarroi de leur conscience.

"Un contentement, c'est bien cela pour le moins, tenu en joue par une culpabilité impermanente."


Mais leur travail de nuit, en secret les dédommage, ils vont porter à la connaissance du monde la réalité de Térézin.

Leo Haas
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Bedrich Fritta
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Petr Kien  (portrait de Bedrich)
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Quelle manière sensible, humaine a l'auteur pour raconter au lecteur la vie et la mort après Terezin en le prenant à témoin.

"A l'oreille de chacun de ces hommes, on aimerait tant chuchoter ce qui, de ce que nous savons et qu'ils ignorent, devrait pouvoir être entendu d'eux, avec l'espoir que leur peine en soit un peu soulagée.
A Bedrich, il faudrait pouvoir dire un mot de son compagnon, celui dont il distingue à l'instant la nuque froissée juste devant, et qui un de ces jours, plus tard, ferait le chemin du retour jusque chez lui. Il faudrait aussi le convaincre des aurores à venir pour son fils Tomi, qui survivrait lui aussi.  [....] Léo Haas recueillant chez lui le petit Tomi et veillant sur sa santé et sur son éducation.

De tant de ses compagnons, on ne lui dirait rien. De Johanna non plus."



Une écriture à haute sensibilité physique, morale et esthétique.

Encore une fois je suis bouleversée par ce récit, par  la maîtrise de l'auteur



mots-clés : #campsconcentration
par Bédoulène
le Ven 21 Avr 2017 - 17:48
 
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Sujet: Antoine Choplin
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Jean Améry

Par delà le crime et le châtiment . ( Essai pour surmonter l'insurmontable )

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Les témoignages et récits , oeuvres en tous genres ,sur cette blessure de l'humanité, sont nombreux , et ne le seront jamais assez.
Cet essai de Jean Améry se distingue de la littérature sur les camps par une approche philosophique , dans une mise à distance de son vécu de détenu à Auschwitz , pour en faire ressortir l'insurmontable par une réflexion purement intellectuelle .
Je n'aurais pas la prétention d'en faire un résumé , ni une synthèse . Du reste rien n'est réductible de chaque mot cliniquement pesé pour tenter d'être au plus juste de son "expérience" de sa condition concentrationnaire derrière laquelle le désespoir et l'arrachement à la vie crient dans le silence du monde .
Alors oui , Jean AMERY , juif parmi les juifs à Auschwitz .
Mais pas que . Juif intellectuel sceptique .De là ,à réfléchir sur le pouvoir de la pensée comme force ou faiblesse dans ce monde déshumanisé . Il en conclut :

"Le détenu non entrainé à l'exercice de l'esprit acceptait toutes ces choses sans trop sourciller , avec la même égalité d'humeur que celles que trahisaient déjà avant des réflexions comme " "Il faut bien qu'il y ait des pauvres et des riches " ou bien : "Il y aura toujours des guerres " . Il en prenait connaissance , il s'y faisait et dans le meilleur des cas il en triomphait .Mais l'intellectuel se révoltait devant l'impuissance de la pensée , car au début il s'en remettait encore à cette sagesse folle et rebelle selon laquelle "Ce qui n'a pas le droit d'exister ne peut exister . Mais au début seulement . "



Alors oui Jean Amery juif intellectuel parmi les juifs.
Mais pas que . Juif intellectuel agnostique .
Contrairement à ces camarades de camps s'en remettant à une foi divine ou une idéologie , il est bien évident que sa solitude et son absence de perspective d'avenir en l'au-delà ou terrestre constitue une faiblesse supplémentaire .


"Je ne voulais pas être au nombre de mes camarades croyants , mais j'aurais aimé être comme eux : inébranlable , tranquille , fort .Ce que j'ai cru comprendre m'est apparu de plus en plus comme une certitude : l'homme croyant au sens le plus large du terme , que la foi qui l'anime soit métaphysique ou fondée sur une immanence , se dépasse lui-même . Il n'est pas prisonnier de son individualité , il fait partie d'un continuum spirituel que rien n'interrompt à Auschwitz .Il est à la fois plus éloigné et plus proche que l'incroyant .Plus éloigné puisque dans son attitude essentiellement finaliste il laisse à gauche les contenus donnés de cette réalité et fixe les yeux sur un avenir rapproché ou lointain ; plus proche de la réalité , il l'est parce qu'il ne se laisse jamais surmonter par les faits qui le concernent , ce qui lui laisse le loisir d'agir énergiquement sur eux .Pour le non croyant , la réalité est dans le pire des cas , une violence à laquelle il se rend , dans le meilleur des cas un sujet d'analyse . Pour le croyant elle est une argile qu'il modèle , un problème qu'il résout ."


Alors oui Jean Améry , juif intellectuel agnostique .
Mais pas que . De culture allemande .
Et de cette spécificité , imaginons ce que peut ressentir tel homme , de se sentir spolié de cette base identitaire pour , comble de l'ironie , s'afficher ostensiblement dans l'outrance du nazisme , se réclamant de celle-ci .
Alors oui Jean Améry , juif intellectuel agnostique de culture allemande .
Mais pas que . Exilé aussi .
Arraché à cette terre natale :

" Il faut avoir une terre à soi pour ne pas en avoir besoin , de la même manière que la pensée doit posséder les structures de la logique formelle pour en franchir les limites et accéder aux domaines plus fertiles de l'esprit ."


Et que dire de la condition de juif qui n'est juif que par le sang . Sans aucune connection avec la culture juive et qui se retrouve marqué dans sa chair par cette identité qu'il ne reconnait pas ! Voilà qui me rappelle Imre Kertesz qui affirmait être devenu juif à Auschwitz.. Jean Améry , lui , est devenu juif en 1935 découvrant dans un journal les lois de Nuremberg.

De là vivre le paradoxe de "la nécessité et l'impossibilité d'être juif

".

Jean Amery , juif parmi les juifs , sceptique , agnostique , juif par hasard .
Mais au delà : un homme .
Qu'est ce qui définit l'homme ?
Que se passe-t-il lorsque celui ci est soumis à la torture ?
Perte de dignité ? Il faudrait se mettre d'accord sur ce qu'on y met derrière .
Vivre l'insoutenable dans sa chair ...Mais qu'est ce que l'insoutenable ? Peut-on se le représenter sans l'expérience ? :
"Sa chair se réalise totalement dans son autonégation "
"c'est seulement dans la torture que la coincidence de l'homme et de sa chair devient totale" .


Il établira aussi une distinction très nette entre le martyr et le torturé .
De ce vécu il écrira 22 ans plus tard :


"c'était donc fini".Une bonne fois pour toutes . Mais ce n'est toujours pas fini .Je pendouille toujours , 22 ans après , suspendus au bout de mes bras disloqués , à un mètre du sol , le souffle court , et je m'accuse ".


Jean Améry , plaie béante , revendiquant son droit au ressentiment comme une forme de protestation intime , personnelle face à "l'oeuvre cicatrisante et immorale du temps .
Jean Améry accusant le peuple allemand pour la faute collective qui devrait , selon lui , être vécue , inscrite dans la descendance , culpabilité inhérente . Le pardon est pour lui inconcevable .

« Les ressentiments sont là pour que le crime devienne une réalité morale aux yeux du criminel lui-même, pour que le malfaiteur soit impliqué dans la vérité de son forfait. »

Que l'on ne prenne que ce qui fait honneur à sa culture , son peuple pour se construire et que l'on efface la crasse de celle-ci , c'est ce manque de probité que Jean Améry dénonce .

Jean Améry s'est donné la mort en 1978.

Qu'écrire de plus ...Sinon que  Par delà le crime et le châtiment me semble une oeuvre incontournable , essentielle , première pour qui s'intéresse à l'histoire , à aujourd'hui , à l'universel , à sa condition d'homme .
...............................




mots-clés : #essai #campsconcentration
par églantine
le Lun 27 Mar 2017 - 11:34
 
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Sujet: Jean Améry
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Aharon Appelfeld

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 Histoi10

Histoire d'une vie

C’est celle de l’auteur ; les années de la petite enfance où rode des parfums de confiture ; les vacances chez les grands-parents chez qui se parlait le yiddish et le foyer de la famille où l’on ne parlait pas de religion.

Après ce fut le ghetto (à l'âge de 7/8 ans), la mère assassinée, le père travaillant de longues heures et lui presque orphelin à se débrouiller avant le chemin du camp.

L’auteur fait une description de l’ambiance du ghetto et de l’attitude des gens , car il est souvent dans l’observation.

« L’hospice et l’hôpital avait été fermés, et les malades livrés à eux-mêmes, erraient dans les rues en souriant.
« Les policiers les attrapaient brutalement et les entassaient dans des camions. Personne n’implorait leur grâce. Il était entendu pour tout le monde que, si nous étions condamnés à la déportation, ils devaient être les premiers. Même leurs familles n’essayèrent pas de les sauver. »


L’auteur rappelle à plusieurs reprises dans son récit que la guerre est un révélateur, les bons en sont sortis élevés et les mauvais abaissés. Certains se sont conduits en héros et dans ce ghetto, c’était l’enseignant communiste qui s’occupait des enfants aveugles pour lesquels le chemin entre l’institut et la gare avec des stations tout au long m’a fait penser au chemin de croix, mais à chaque station leur chant s’élevait pur vers le ciel.

Après s’ être enfuit du camp (mais  comment ?) l’enfant a erré dans les terres d’Ukraine, les forêts surtout comme un petit animal apeuré, affamé mais prudent, se cachant ou parfois s’offrant à travailler auprès d’une personne vivant seule.

La mémoire est le fil d’Ariane du récit,  l’auteur dit que son corps en garde la vivance alors que l'esprit est dans l'oubli (protection ?)

« La mémoire, s’avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l’odeur de la paille pourrie ou du cri d’un oiseau pour me transporter loin et à l’intérieur. »

Il y a un élément intéressant dans ce récit c’est l’évocation des camps de réfugiés où transitent les rescapés. Des camps « cour des miracles » où se côtoient adultes et enfants, trafiquants, voleurs…..
Et la révélation d’un camp « particulier » Kaltchund et précisément « l’enclos Keffer ».

L’auteur parle aussi des mains tendues, au camp, à l’armée plus tard, une période où il était démuni.

« Nous n’avons pas vu Dieu dans les camps mais nous avons vu des Justes. »

A son arrivée en Israël l’auteur se sent perdu, pas de maison, pas de famille, ne connaissant que très peu l’hébreu, il travaillera dans les jardins, là il n’est pas obligé de parler, la parole lui est difficile.
L’auteur explique la confrontation entre le yiddish (langue de ses grands-parents) et la langue hébraïque. Lui a perdu sa langue maternelle l’Allemand  qui se trouve être bien sûr celle des assassins. Mais il lui faut apprendre l’hébreu : « mais à quel prix : celui de l’anéantissement de la mémoire et de l’aplatissement de l’âme. »

Deux chapitres sont consacrés à l’interaction entre écriture et religion, l’univers d’écrivains célèbres (Agnon, Ouri Grinberg) et sa position personnelle dans la littérature Juive. Je me souviens que l’auteur, dans un reportage, affirmait la « musique » des mots.

C’est au club de l’association « la vie nouvelle » fondée par les rescapés qu’il retrouvera « une maison ».

« Parfois il me semble que mon écriture ne m’est pas venue de la maison, ni de la guerre, mais des années de cafés et de cigarettes au club. La joie de sa fondation et la tristesse de son déclin vivent et bouillonnent en moi. »

Malgré le sujet je trouve l’écriture de l’auteur sereine ;  l’enfant aimait observer (hérité de sa mère), l’adulte aussi.
Encore une fois la passivité des juifs déportés est critiquée, dans ce livre par les juifs vivant dans d'autres pays, au USA notamment.(mais c'est bien eux les donateurs, ceux qui aident à construire)

C’est le 2ème livre que je lis de l’auteur (après Badenheim 1939) ce ne sera pas le dernier.


mots-clés : #autobiographie #campsconcentration
par Bédoulène
le Sam 25 Mar 2017 - 16:00
 
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Sujet: Aharon Appelfeld
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Anise Postel-Vinay

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 Vivre10

Vivre

Anise Postel-Vinay a vingt ans lorsque les nazis entrent dans Paris. Elle parvient à intégrer un réseau de résistance et elle est arrêtée par la Gestapo en août 1942. Elle est emprisonnée à la Santé en isolement (le moment le plus difficile de son parcours dit-elle), puis à la prison de Fresnes avant de prendre le train pour le camp de concentration de Ravensbrück. Elle devient l'amie de Germaine Tillion et parvient à sauver Geneviève de Gaulle, la nièce du général.

En commençant la lecture de Vivre, j'ai eu le sentiment d'être en terrain connu et de ne presque plus rien avoir à apprendre sur la déportation (d'autant plus que j'ai lu le livre quasiment ethnographique de Germaine Tillion sur Ravensbrück). Mais plus la lecture de ce témoignage avançait et plus l'émotion m'a submergée.

Car ce que raconte Mme Postel-Vinay dans un récit publié en 2015, c'est bien ce que Semprun appelle le Mal radical.
Je connaissais déjà l'histoire des "lapins", ces polonaises utilisées comme cobayes par un médecin du Reich mais je croyais que ses expériences devaient servir à soigner les soldats blessés sur le front russe. Mme Postel-Vinay contredit cette information et souligne que ces expériences sont le résultat de l'orgueil des médecins et d'une 'simple' concurrence entre deux visions, l'une chirurgicale (Gebhardt) et l'autre aux sulfamides (Morell). Pour départager les deux médecins, il fallait donc en passer par la mutilation et la mort de centaines de femmes…

Voilà ce que nous dit Mme Postel-Vinay. Elle nous dit la perversion dans l'ingéniosité, elle nous dit le raisonnement, le calcul, l'intelligence pour parvenir à l'anéantissement.

Tout était calculé pour nous épuiser, pour entretenir un manque dans chaque domaine : le sommeil, les soins, la nourriture, les vêtements -nous n'avions pas assez de tout cela, mais quand même un peu. Un peu de sommeil, un peu de nourriture, quelques vêtements, une infirmerie. Le calcul consistait à épuiser les détenus, pour qu'ils finissent pas disparaître d'eux-mêmes.

(…)

C'est ce qui était le plus impressionnant dans le nazisme : ce calcul de l'anti-homme. Tout était calculé pour qu'une large partie de la population, qu'elle quelle soit disparaisse -vite ou lentement.

Et si la forme très orale de ce récit de 120 pages, très lapidaire, voire frustrante, a au départ un peu gêné ma lecture, je dois dire que ce relâchement-là est sans doute le seul qui permette d'aller au bout de ce témoignage. Sans cette légèreté de vingt ans, sans cette fraîcheur de jeune femme encore presque jeune fille, ce récit serait illisible, inenvisageable, bien trop intolérable.

Mme Postel-Vinay explique que les mois de détention qu'elle a vécu à l'isolement à Paris ont été les plus durs à supporter et que la vie à Ravensbrück était possible parce qu'elle était avec d'autres femmes, d'autres femmes qu'il fallait soutenir, aider, sauver, cacher, protéger.

Grande et belle leçon à retenir que cette solidarité-là.


Elle dit aussi combien il a été dur à la Libération d'arriver à faire entendre la voix des déporté-e-s, reste aujourd'hui ce récit atroce et nécessaire.


mots-clés : #campsconcentration
par shanidar
le Ven 3 Mar 2017 - 16:22
 
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Sujet: Anise Postel-Vinay
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Jorge Semprun

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 Bm_62110

Résumé :
Déporté à Buchenwald, Jorge Semprun est libéré par les troupes de Patton, le 11 avril 1945. L'étudiant du lycée Henri lV, le lauréat du concours général de philosophie, le jeune poète qui connaît déjà tous les intellectuels parisiens découvre à Buchenwald ce qui n'est pas donné à ceux qui n'ont pas connu les camps : vivre sa mort. Un temps, il va croire qu'on peut exorciser la mort par l'écriture. Mais écrire renvoie à la mort. Pour s'arracher à ce cercle vicieux, il sera aidé par une femme, bien sûr, et peut-être par un objet très prosaïque : le parapluie de Bakounine, conservé à Locarno. Dans ce tourbillon de la mémoire, mille scènes, mille histoires rendent ce livre sur la mort extrêmement vivant. Semprun aurait pu se contenter d'écrire des souvenirs, ou un document. Mais il a composé une œuvre d'art, où l'on n'oublie jamais que Weimar, la petite ville de Goethe, n'est qu'à quelques pas de Buchenwald.


Mon avis :

J’ai d’emblée été séduite par ce roman, dès les premières pages quand l’auteur se trouve face aux soldats américains et s’interroge sur le regard qu’il perçoit chez eux, regard d’effroi, d’épouvante, affolé, rempli d’horreur, et conclut : « c’est l’horreur de mon regard que révèle le leur ».
D’emblée, la plume de Semprun m’a emportée, bercée presque, au fil des pages que j’ai avalées avec facilité, sans sentiment de lourdeur, grâce la fluidité de son écriture. Je redoutais me confronter de nouveau aux camps, et à certains écrits « exhibitionistes » de leur horreur, j’ai trouvé un récit qui ne s’y apesantit jamais, tout autant qu’il en parle et fait ressentir le décalage entre représentation de l’horreur des camps vu de l’extérieur et vécu des camps qui ne peut être réellement transmissible, tant l’expérience est personnelle et échappe en partie dès qu’elle passe en mots.

C’est l’incommunicable de l’expérience vécue que Semprun nous fait percevoir, et il y réussit. Il nous fait percevoir l’horreur banale, insolite, comment elle s’infiltre un peu partout dans le rythme des journées, les violences , le quotidien, les odeurs, l’environnement… Au-delà il nous permet d’entendre d’autres moments, ceux de jazz, de cinéma, entre les déportés, etc … petits moments insolites au milieu du Mal quotidien. Cela m’a fait penser à un autre livre que j’avais lu jeune, où l’auteur disait combien on ne se sent jamais autant en vie que quand la mort rôde autour de nous chaque jour. Semprun, d’ailleurs, nous dit bien comment son sentiment de vie s’est ancré là-bas, et comment il n’a eu depuis que l’impression de ne pas exister, de survivre.  La vie fraye avec la mort et il semble que l’un ne peut être réellement perceptible sans l’autre. Toutes les années qui ont suivi les camps, Semprun nous exprime comment il s’est confronté au choix de ne pas écrire car il lui était impossible d’écrire sur autre chose que les camps, mais qu’écrire à ce sujet  le renvoyait à la mort. Il nous fait ressentir au travers de ses lignes, comment il a choisi de vivre en s’éloignant de la mort, en n’écrivant pas, tout en même temps que cela l’éloignait de la vie.

Il lui aura fallu nombre d’années pour poser sur papier des bribes de cette partie de sa vie, celle qui a encombré par la suite toutes les années qui lui restaient. Mais, comme il le dit bien, ce travail de mémoire qu’il a engagé ramène juste à un impossible car ramener les camps au présent ne peut être réalisable.
Page après page, en nous amenant à traverser différents moments et époques de manière un peu éclatée mais en suivant le fil rouge de la poésie qui le ramène à différents moments et souvenirs, Semprun reconstruit quelque chose de son expérience des camps et de l’homme qu’elle a construit, qui en est sorti, imprégné de ce qu’il y a vécu. LA poésie, les livres, cela semble dans ce roman être un fil du souvenir tout autant qu’un pare feu contre la folie de l’horreur vécue ; comme si cette horreur était habillée, fil par fil, de mots, de souvenirs liés à des auteurs qui lui ont permis de reconstruire les coordonnées de son trauma en les habillant autrement, une reconstruction longue et progressive de sa mémoire, une acceptation de la regarder peu à peu en face. Longtemps dans ces pages, il dit comment dans la vie d’après, il n’a jamais été sûr d’être là, d’être revenu, et comment d’une certaine manière, il n’en est pas vraiment revenu. Il raconte comment il a évité cela jusque tard dans sa vie, comment de toute façon c’était incommunicable, comment de plus les gens ne voulaient pas entendre.
« Rien n’est vrai que le camps », dit-il, et toute sa vie semble avoir été tournée vers  comment y retourner, comment se confronter à cela de nouveau, autrement, tant dans la réalité que dans sa tête, pour enfin pouvoir vivre. Cela lui aura pris une bonne partie de sa vie.

Ce livre m’a vraiment touchée, émue, fait réfléchir à nombre de choses dont je ne pourrai pas rendre grand-chose ici, mais je crois que c’est une expérience à traverser avec Semprun de bout en bout pour entendre un peu quelque chose de ce cheminement qui a été le sien et, peut-être, nous permettre de cheminer aussi,  à ses côtés, dans une autre manière de percevoir certaines choses.



mots-clés : #autobiographie #campsconcentration
par chrysta
le Mer 1 Mar 2017 - 16:58
 
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Sujet: Jorge Semprun
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Fabrice Humbert

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 11478_10

Résumé: Lors d'un voyage scolaire en Allemagne, un jeune professeur découvre au camp de concentration de Buchenwald la photographie d'un détenu dont la ressemblance avec son propre père, Adrien, le stupéfie.
Rentré en France, il retrouve son père, sa famille, mais le souvenir de la photographie ne le quitte plus. Il décide alors de se lancer dans une recherche qui va bouleverser sa vie.
Ce détenu, nommé David Wagner, se révèle être son véritable grand-père. Peu à peu se met en place l'autre famille, la branche Wagner, la branche cachée, celle dont personne chez les Fabre n'évoque l'existence. Et c'est le destin croisé de ces deux familles, deux générations plus tôt, lorsque l'ambitieux David Wagner rencontra le riche Marcel Fabre et sa femme Virginie, qui éclate alors au grand jour, ainsi que les terribles conséquences que la liaison entre David et Virginie entraîna.
Au cours de sa quête à travers la France et l'Allemagne, dans la nouvelle vie qu'il tâche d'inventer avec une allemande qu'il vient de rencontrer, le jeune homme se rend compte qu'on ne se débarasse pas si facilement du passé - ni du sien ni de celui de sa famille. Lorsqu'on remonte à l'origine de la violence, c'est sa propre violence qu'on finit par rencontrer.


Terminé ce matin, ce roman me laisse dans un entre-deux, une sorte en même temps de perplexité qui me fait hésiter au moment où je dois dire si je l'ai apprécié.

Croisant au détour d'une visite à Weimar le regard d'un juif déporté sur une photo, ce jeune homme élevé dans la bourgeoisie normande, aujourd'hui professeur d'histoire en visite dans cet espace de mémoire avec sa classe, va être percuté par la ressemblance entre l'homme sur la photo et son propre père. Au retour de ce voyage, il est habité par le doute, et un sentiment qu'il y a quelque chose d'impalpable à découvrir autour de cette photo et de ses protagonistes. Il se lance alors dans une minutieuse enquête qui l'amène à croiser des survivants des camps ayant croisé le détenu qui l'intéresse, et ainsi, à reconstruire une histoire, celle de cet homme sur la photo dont il va peu à peu découvrir le parcours et le destin, tout en même temps qu'il entendra l'horrible réalité du quotidien du camp de Buchenwald où le Mal fraye avec une sorte de normalité, le rire avec la mort, cela autour de l'histoire racontée de David Wagner, l'homme de la photo, par un de ses "amis" de camp.

Toute la première partie du romane traite de David Wagner et de son quotidien, avec une incessante interrogation sur le Mal, le Mal ordinaire, admis, ou occulté, tel qu'il a pu l'être au sein des camps où le normal, insignifiant côtoie la mort, la torture et l'horreur.
Cette première partie, riche sur cette histoire terrible, me laisse avec un sentiment diffus de manque. Manque de quoi ? D'affects je dirai ... peut être parce que l'auteur en fait un récit comme une histoire racontée par un ancien, telle qu'il la narre, et qu'il ne laisse pas transpirer ses sentiments. Peut être aussi simplement parce que le lecteur se laisse aller à l'anesthésie émotionnelle pour tolérer la lecture de cet intolérable, la traverser. Je l'ai trouvé remarquable tout autant que pénible. Remarquable car, si j'y réfléchis, c'était comme me laisser raconter une histoire le soir au coin d'un feu, et que j'arrivais presque à entendre la voix du narrateur. Pénible dans sa monotonie, son aspect exposé parfois, la mise à distance de l'émotion qui me semble être là. Sont ici posés de faits et ils tombent comme un couperet amer.

La seconde partie de l'oeuvre relate plus la psychologie du personnage, et ses dernières quêtes et découvertes plus directement au sein de sa famille auprès de laquelle il va peu à peu remplir les blancs de l'histoire de David Wagner et de son entourage, du contexte de sa déportation, du contexte de sa vie, des gens pour qui il a compté que ce soit dans l'amour ou la haine, de ce que son absence a fait dans le quotidien et la vie de ces personnes, de comment cette absence a impacté l'histoire d'une famille complète.
J'ai trouvé cette partie intéressante mais assez longue tout de même

L'ensemble du livre me laisse avec l'idée que je ne pouvais pas ne pas le lire mais que sa lecture me laisse un sentiment indéfinissable, entre l'intérêt du récit, de l'histoire qu'il raconte et de comment l'histoire de cet homme a marqué les générations successives; tout en même temps j'ai eu le sentiment de lire un écrit assez linéaire.
Je me dis que cet effet est peut être aussi celui en miroir de cette banalité qu quotidien des camps où l'horreur fait partie du paysage sans même plus s'en rebeller ou émouvoir; comme une forme d'anesthésie émotionnelle que l'on connaît aux personnes ayant vécu des traumatismes qui, d'une certaine manière, se transpose dans ce récit, le plaçant d'une certaine manière dans la mémoire de ce trauma qui se dit mais dont ce qu'il fait ressentir reste intérieur, latent, indicible...
Peut être aussi que ces effets viennent rencontrer nos propres difficultés à entendre, voir et comprendre cela sans y mettre une distance qui rend les chose plus supportables même si inacceptables


mots-clés : #campsconcentration #deuxiemeguerre #famille
par chrysta
le Dim 12 Fév 2017 - 10:10
 
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Sujet: Fabrice Humbert
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Joseph Gourand

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 00429010

Les cendres mêlées

Dans la préface de Serge Klarsfeld : réflexion «  Le lecteur ne sort pas indemne de cette plongée dans un univers maudit,  … Jo sera son guide plutôt que Primo Levi.  Y aurait-il une victime plus méritante, plus juste qu’une autre ?  ou bien ai-je mal compris ?


C’est le récit par l’auteur de la déportation du jeune homme de 17 ans qu’il était au jour de son arrestation à Lyon par la gestapo ; passage à Drancy.

A l’’insouciance des années d’adolescence de ce « titi parisien » s’oppose  l’horreur des camps de concentration. Le lecteur suit Joseph sur  ce trajet en train qui conduit à la mort.  Ses parents, sa sœur Marie et son frère ainé André sont ses compagnons de « voyage » terminus Auschwitz. Il sera le seul à en revenir.

Pourquoi crois-je qu’après plusieurs lectures je sortirai de celle-ci moins touchée ? Impossible, les ressentis s’ils sont tous aussi terribles sont exprimés pour chacun de manière si personnelle  que j’apprends encore sur la déshumanisation, des bourreaux comme des victimes . C’est terrifiant pour une victime d’avoir conscience de sa déchéance.

Reste à survivre  et  Joseph a l’indéfectible soutien de son père car lui-même a la naïveté de l’ enfance.:  nous avions vite compris que le tabac était la monnaie d’échange.
Un trafic avec les vêtements soustraits aux déportés faisait l’objet d’une économie de survie.

Après que les anciens du camp ne leur aient pas caché la destination de la mère et de la soeur Joseph assistera à l’abandon de son frère André qui se suicide, à la sélection fatale pour son père.

Les allemands pris en tenaille entre les troupes russes à l’est et les autres pays  Alliés à l’ouest ne voulant pas reconnaître leur prévisible défaite poussent dans un sursaut de haine les déportés sur les routes.

Joseph sera l’un des squelettes fantomatiques qui se traînera dans la marche de la mort mais qui ne l’arrêtera pas ;  il a les paroles de son père pour le soutenir et la promesse faite de construire une famille, pour que vive le NOM et à travers lui les disparus.

C’ est une constante aussi dans les témoignages des déportés de s’interroger sur Dieu, sur sa présence ou son absence.
« Je ne crois pas que Dieu ait jamais séjourné dans aucun des camps de la mort, mais ce jour de Kippour, à Auschwitz, il fallait qu’Il fût sourd pour ne pas entendre. »

C’était une lecture qu’il me fallait faire. Dans ce livre le lecteur voit le bonheur dans l’ enfance, l’ horreur dans le camp puis le ré-apprentissage de la vie au retour en France.

Malgré la charge émotionnelle l’ auteur a épargné le lecteur : "Tout raconter était impossible et le serait à jamais. Ici, dans ces pages, je ne livre que des bribes. Reste l’intransmissible, l’incommunicable, ce que chacun des survivants porte enfoui en lui."
 


Extraits

Les enfants n’échappent pas aux épidémies. Il n’y avait donc aucune raison pour que le virus antisémite les épargnât davantage.

D’in côté la peur et l’angoisse, de l’autre des rires et des pâmoisons. Toute la pornographie d’une époque. Notre mort programmée leur tenait-elle lieu d’aphrodisiaque ?

Aujourd’ hui, lorsque je repense à ces heures, une seule question me hante : pourquoi les alliés n’ont-ils pas bombardé les lignes de chemin de fer menant aux camps de concentration ? Le risque militaire n’aurait pas été bien grand, et le geste Ô combien symbolique.

Eux qui avaient pour fonction et vocation de faire mourir des juifs ne supportaient pas qu’un seul se soit donné la mort. Ils assimilaient cela à une sorte d’évasion réussie. Une libération anticipée.

Je ne me suis jamais beaucoup interrogé sur la notion de culpabilité collective du peuple allemand. C’est l’Homme lui-même qui a failli durant la seconde guerre mondiale et révélé la bête humaine. Tout ce que j’ai vu et entendu depuis n’a fait que me conforter dans cette opinion.

Enfant les morts me faisaient peur, mais désormais c’étaient eux que je craignais le moins. Les morts n’ont ni religion ni nationalité. Ils étaient devenus mes amis.




mots-clés : #autobiographie #campsconcentration
par Bédoulène
le Jeu 9 Fév 2017 - 23:32
 
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Sujet: Joseph Gourand
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Josef Bor

Le requiem de Terezin

Tag campsconcentration sur Des Choses à lire - Page 2 Tylych16

Tirée d'une histoire vraie, à partir d'un vrai compositeur, cet ouvrage qui a été récompensé par le prix des lecteurs 2008 ne m'a attiré au départ ni pour son histoire qui ne me passionnait guère ni pour son auteur que je ne connaissais pas mais par chauvinisme. C'est Tchèque alors je lis, un peu bête mais cela ne m'a jamais trompé.

Et ce n'est toujours pas le cas.

Pourtant dés le début, j'eus un peu d'appréhension, pour cause l'avertissement avant le commencement du récit sur l'ignorance de l'auteur en terme de connaissances techniques sur la musique.

Finalement peu importe, on sent des approximations sur ce sujet mais il n'est pas le principal composant de l'histoire et je dirais même qu'il ajoute quelque chose : l'idée même que l'auteur n'est qu'un spectateur du travail du compositeur, qui entend sans comprendre, qui tente de savoir sans y parvenir et qui au final assiste à tout ce projet fou et désespéré mais tellement fascinant.

Cette histoire permet une réelle réflexion existentielle, face à la tyrannie et à l'inéluctabilité d'un avenir tragique. Que faire ? baisser les bras ? Continuer ce que l'on sait faire de mieux ? La réponse est évidente la mise en oeuvre beaucoup moins.

Cet éloge de ce que peuvent faire de mieux les hommes, l'art en coopération, en osmose, face à ce qu'ils peuvent faire de plus mal est la mise en exergue d'un combat binaire qui tiraille chaque société de façon plus ou moins nuancée mais qui à cette époque est paroxysmique. Dés le début on est emballé par le projet du compositeur on a envie d'y participer, d'aider, de défendre, on souhaite qu'ils y arrivent, on s'investit, on s'implique, on ressent, joie comme tristesse le choc des péripéties et du dénouement.

Le style, épuré comme beaucoup d'auteurs de ce pays, trouve toute sa richesse dans la description des lieux mais surtout dans les relations entre les personnages dévoilant toute une complexité qui donne du corps et du réalisme au récit.

Bien entendu je le conseille vivement car j'ai passé un très bon moment qui m'a fait aussi beaucoup réfléchir.


mots-clés : #biographie #campsconcentration
par Hanta
le Mer 8 Fév 2017 - 8:51
 
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Sujet: Josef Bor
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Willy Holt

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Femmes en deuil sur un camion


Rien ne diffère des autres livres lus des survivants des camps (Semprun, Levi, Klugër, Kerstez) ;  de la barbarie, de l’indicible, la faim, le froid, l’épuisement, l’humiliation, la mort.

 Willy Holt  a connu  les camps,  d’Auschwitz à Buna, Buchenwald, Dora jusqu’à Bergen-Belsen, les marches forcées à chaque évacuation de camp quand les Alliés talonnaient les Allemands.

Il a acquis la nationalité française en 1923 au retour de sa mère dans son pays, la France, mais lorsqu’il est arrêté dans un train fin  décembre 43 avec un  manuel de guerilla urbaine (qu’il devait résumer pour le réseau de résistance auquel il appartenait), donc potentiellement « terroriste » lors du bain javellisé qu’il subira les allemands s'aperçoivent qu’il est circoncis, donc Juif,  raison pour laquelle il portera une étoile rouge et jaune à son arrivée à Auschwitz.

Lui qui ne connait absolument rien des Juifs sera donc considéré tel pendant sa détention. (le médecin qui l’avait fait naître avait proposer la circoncision à sa mère pour éviter plus tard une maladie)

Willy a suivi les conseils du chef du premier  block où il échoue, un Polonais qui connait la langue française :

1) Se laver tous les jours
2) ne jamais échanger de nourriture
3) Ne jamais donner aux allemands l’impression qu’il a peur d’eux, ni de l’un d’eux

Willy reconnait qu’il doit en grande partie sa survie pour avoir suivi ces conseils.

Mais aussi parce qu’il s’est servi  de son aptitude au dessin et à la peinture.

Dans ces camps posséder la maîtrise d’un métier  utilisable était un atout. En tant que peintre il s’est vu confier des travaux durs à l’extérieur mais un kapo l’ayant vu dessiner  l’envoya dans une section de peintres  en lettres ; c’est là qu’il fit son premier tableau et qu’ il eut pour « clients » les chefs de l’administration allemande, lesquels payaient en nature (cigarettes, pain) Willy offrait les cigarettes car il ne fumait pas. Cela parait anodin une cigarette mais ceux, ils étaient nombreux, qui étaient en manque pouvaient être poussés à des extrémités.

Dans chaque camp où il est passé il se procurait ses outils de survie : crayon et papier. Son travail de peintre lui permettait d’être à l’abri, ce dont il se satisfaisait car ayant aussi travaillé à l’extérieur il avait pu se rendre compte de l’extrême rigueur du climat et du poids du travail.

Pendant les derniers mois de détention les déportés entendent alternativement les bombardements et les pauses qui génèrent tout à tour espoir et désillusion. C’est au camp de Bergen-Belsen qu' ils  apprennent la défaite des allemands et les français sont  les premiers rapatriés.


J’ ai apprécié ce qu’écrit Holt dans sa préface

Le tatouage du numéro : cette marque « antivol »

« Ma seule culpabilité serait l’oubli »

« sur la chemise de mon dossier, marqué en grosses lettres capitales « TERRORISTE »
J’allais donc savoir « pourquoi », à Auschwitz, j’étais en train de vivre la conséquence d’actes auxquels je pouvais, dans ma détresse, parfois me raccrocher. Je m’étais battu, je me battais encore, contre quelque chose de concret, pour quelque chose de concret.
Autour de moi, des centaines de milliers d’autres, désespérés, enduraient le même supplice, sans en admettre aucun « pourquoi ». Il leur fallait subir, et mourir, sans avoir ce recours de vivre la suite de leurs actes, puisque la raison de leur calvaire, en toute conscience, n’existait pas. »



C’est une belle écriture, un homme qui relate honnêtement ses ressentis, qui essayait  simplement de survivre du mieux possible  sans nuire aux autres.
Il s’explique aussi sur sa position lorsqu’ il se retrouve dans le magasin (vêtements et objets soustraits aux déportés) et qu’il se sert (pour des camarades et lui-même) car le lecteur a une distance que ni lui ni les autres déportés  n’avaient  et,  peut être indigné.

Cela me fait penser aussi  que généralement le regard que les gens portaient sur les survivants à leur retour était ressenti  par eux comme une suspicion, il l’exprime très bien dans sa préface.

De nos jours où plusieurs pays d’Europe sont tentés par les idées extrêmes  ces lectures  rappellent un passé pas si lointain


Extraits :

« Je suis terriblement, violemment tenté de garder pour moi ma part de saucisson, que j’ai dans la main. Il me faut lutter contre moi-même pour enfin tenir parole. «

Pendaisons : « Celle d’un jeune Juif français de seize ans condamné pour vol de pain et de confiture, trouvant à la dernière minute le courage d’entonner la Marseillaise, faisant passer sur nous tous un frisson de révolte et déclenchant chez les SS une réaction de ricanements haineux. »

« Dans un allemand impeccable, sans le moindre tremblement de voix, le supplicié aura ces mots superbes, criés de toutes ses dernières forces : « Gardez l’espoir, je suis le dernier »

« Au sein de ce malheur constant, de cette misère avilissante, de cette détresse, Dieu existe-t-il ?
Bien sûr, Dieu existe. La preuve ? Je le prie et l’injurie alternativement tous les jours. »

« Je suis venu tenter d’apporter du réconfort et c’est moi qui en reçois, par la grâce d’une voix toulousaine, merveilleuse, ensoleillée, et je ne suis pas au bout de mes surprises. »

« Le possesseur de cet accent méridional porte sur son pyjama l’étoile de David. Réflexe typiquement raciste, j’en rougis : sur le moment, cet amalgame judéo-occitan m’étonne. C’est idiot ! Pourquoi les familles juives installées en France, dès avant le Moyen-Age, en particulier justement dans le Midi, n’auraient-elles pas nos accents ? «

« Quatre femmes en grand deuil, quatre Allemandes, ignorant les armes braquées des gardes, nous distribuent, par-dessus les ridelles du camion, des pommes et du pain.
Les SS furieux hésitent. Ces femmes, ils le savent, n’ont plus rien à perdre. Elles tentent, par ce geste, d’absoudre, un peu, la faute de tout un peuple. Faute pour laquelle elles ont payé déjà le lourd tribut : leurs amours, maris et fils, probablement disparus dans la tuerie de la guerre.





mots-clés : #autobiographie #campsconcentration
par Bédoulène
le Dim 5 Fév 2017 - 20:28
 
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Sujet: Willy Holt
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