Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 11:49

38 résultats trouvés pour Devoirdemémoire

Antoine Choplin

Partiellement nuageux


Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 31xgh011

Originale: Français, 2019

Ernesto est astronome dans le modeste observatoire de Quidico, au Chili, en plein territoire mapuche. Il vit seul avec son chat, Le Crabe, et Walter, un vieux télescope peu performant. Lors d'un séjour à Santiago, il rencontre Ema à l'occasion d'une visite au musée de la Mémoire. Très vite, les fantômes de la dictature resurgissent. Ernesto et Ema devront surmonter ce passé douloureux.


REMARQUES :
On devine une sorte de solitaire derrière Ernesto. Venant à Santiago pour négocier le remplacement d’une pièce défectueux de son telescope (« Walter »), il revisite le musée de la mémoire et fixe la photo sur le mur des disparus de la dictature de sa … fiancée Paulina. Et une histoire qui date presque de 40 ans reste douloureusement présente. Mais il rencontre, observe une femme, Ema, qui semble fréquenter ces lieux pour, elle aussi, surmonter une blessure de cette époque. C’est comme dans une danse (motif qui revient) qu’ils se contournent, prennent rendez-vous, commencent délicatement d’espérer...

Alors c’est à nouveau dans un contexte historique concret plutôt sombre : la mort d’Allende, le putch de Pinochet, que Choplin place son histoire entre souvenir, douleur, mais aussi une forme d’espoir, d’une renaissance. Symboles du souvenir sur la terre des Mapuche sont aussi ces totems, regardant l’île des morts : faire face, se souvenir… Et puis ?

La langue simple, sans prétention, épurée me laisse jubiler : quelle délicatesse et… tendresse, on dirait. Néanmoins une histoire lourde, presque sans issue humaine, car les deux histoires d’Ema et d’Ernesto sont pas si simple à concilier. Effort de surmonter, de regarder en avant ?! Le sombre et le lumineux sont ici proche. A coté de tendences de « mort » (dans un sens large) ou ténébreux, il y a aussi ces dons artistiques, étincelles de vie : la danse, la poèsie, le dessein… Qu’est-ce qui nous fait vivre, resister, donner de l’espoir ?

Recommandation !


mots-clés : #devoirdememoire #mort #regimeautoritaire
par tom léo
le Sam 2 Fév - 8:11
 
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Sujet: Antoine Choplin
Réponses: 32
Vues: 2598

Philippe Apeloig

Enfants de Paris 1939-1945

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Proxy109

Souvenez-vous d’eux, votre mémoire est leur seule sépulture.


Philippe  Apeloig s’est donné pour tâche  de répertorier, photographier et transmettre dans un cadrage rigoureux plus de 1000 plaques commémoratives de la période 1939-1945 à Paris, classées par arrondissement, dans un souci d’exhaustivité dont il savait d’avance qu’elle ne serait jamais parfaite.

Des enfants, des hommes, des femmes, arrêtés, déportés, fusillés, décapités, torturés par ceux qui sont nommés selon les plaques les boches, les Allemands, les nazis, l’ennemi, les hitlériens. Des juifs, des résistants, des soldats, des anonymes ou des hommes célèbres réduits à rien par le destin, humblement et fermement commémorés par des plaques éparpillées sur les murs de la capitale, dans les rues, sur les façades, dans des lieux publics ou privés.

Dans un texte très émouvant, il raconte comment son grand-père, émigré de Pologne à Paris, a caché sa famille en zone libre à Châteaumeillant où elle fut sauvée grâce à la constante complicité de la population. Le grand-père, lui, a rejoint le maquis. La mère de Philippe Apeloig n’a eu de cesse de commémorer, à travers cet événement, les habitants salvateurs. Cette démarche s’est confrontée à l’expérience de Philippe Apeloig, son expérience de graphiste et de typographe, sa visite au mur des vétérans de Washington érigé par Maya Lin, son vécu du 11 septembre à travers les milliers de petits mots laissés par les habitants autour du désastre. Tout cela l’a amené à la construction progressive de ce livre, longuement mûri, de cette collection de fourmi obsessionnelle.

Nous avions repéré, Monsieur topocl il y  a quelques mois, l’annonce de ce livre dans divers journaux. Nous  en avions discuté, admiratifs d’une démarche que certains pourraient qualifier de vaine, mais qui nous avait semblé cruciale. De là à acheter le livre… nous ne nous étions pas lancés. Topocl Junior nous avait gentiment moqué, rappelant que, si nous avions toujours fréquenté les cimetières militaires, y traînant notre marmaille, si nous continuons à e faire encore aujourd’hui, nous ne nous étions jamais « amusés » à en lire successivement chaque pierre tombale.

Mais un  ange silencieux et bienveillant a bien vu, lui, que ce livre était pour moi.

C’est d’abord un splendide objet, dont la forme, très rectangulaire,  la couleur et la typographie de couverture évoquent évidemment les plaques qu’il enserre. Présentation très soignée, les feuilles de garde, bleu pour la première, rouge pour la dernière enserrant la tranche blanche dans un bel hommage patriotique, que complète des signets tissés également bleus et rouges.

Contemplant tout d’abord songeusement l’ouvrage, témoin de quelque chose qui peut-être considéré comme une performance artistique, je me demandais comment me l’approprier. Une plaque par jour ? J’en avais de plus de trois ans. Je m’étais finalement décidée pour un arrondissement par jour.

Et puis, il faut bien le dire, entrée là-dedans, il m’a semblé impossible d’en sortir, captivée, aimantée, très soigneusement préparée par l’introduction de l’auteur qui parle de mis en page, de typographie, de police, de choix des mots… J’ai avancé, j’ai continué, je n’ai rien pu lâcher jusqu’à la dernière page. C’était une belle promenade, pleine d’émotions et de sérieux, l’impression de quelque chose de bien, quand bien même je ne faisais finalement que quelque chose de très égoïste.
Qui étaient-ils ? Que seraient ils devenus ? Qu’on-t’ils pensé dans leurs derniers moment ? Qui les a pleurés ? Qui pense encore à eux ?



mots-clés : #campsconcentration #communautejuive #deuxiemeguerre #devoirdememoire #temoignage
par topocl
le Jeu 24 Jan - 17:58
 
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Sujet: Philippe Apeloig
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Gila Lustiger

Nous sommes

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 G10

Mon père a toujours voulu nous protéger de lui-même ; pas des Allemands, de lui-même. Pas de l’homme, bien sûr, qu’il était venu après tant d’années vouées à la rigueur et à la discipline de son travail de refoulement; mais de son pire ennemi, qu’il a combattu pendant cinquante nous ans et qu’il croit à présent avoir vaincu, lui, l’homme d’affaires et l’essayiste en vue : le garçon exténué du camp de concentration. Mon père a toujours voulu nous protéger de ce jeune homme et ne nous a jamais laissé voir son visage d’enfant parce qu’il n’était ni innocent, ni tendre, ni joufflu, ni pur. Mais c’est justement ce visage que ma sœur et moi avons cherché toute notre vie. En vain.


Dans ce texte tardivement autobiographique, Gila Lustiger raconte sa famille Ses parents, ses grands-parents. Son grand-père maternel, le jeune sioniste, communiste convaincu, qui embarque de Pologne sa bourgeoise de fiancée, pour de ses mains  participer à la création de l’État d’Israël. Son père réchappé d’Auschwitz, enfermé dans son silence, ses journaux, ses livres et qui a nommé ses filles l’une Bonheur, l’autre Joie.

Au-delà des portrait émouvants, et souvent savoureux, elle raconte aussi ce livre en train de se faire, ce que cela coutes d’être écrivain et romancière dans une famille  vouée au silence, et qui  peut considérer la fiction comme une insulte à ce qu’elle a vécu.

Gila Lustiger est prise entre une fougueuse admiration, une compassion bouleversée, mais aussi une détestation déterminée : le poids du silence, le devoir d’assumer ce fardeau, censé déterminer la conduite de tous les descendants, un devoir de courage et de bonheur par respect pour ceux qui sont revenus.

Pas facile de grandir, puis d’être une adulte libre là au milieu

C’est assez disparate,  La traduction joue peut-être son rôle. Mais Gila Lustiger gagne son lecteur par son humour décapant, son ironie, qui peut parfois aller jusqu’à la hargne, sa capacité à briser les tabous et à s’autoriser la subversion.

Eh oui, c’est la vérité, même si elle est inavouable : ce n’est pas aux assassins que j’en voulais, ni aux collaborateurs, aux lâches, aux voleurs, aux tortionnaires et aux traîtres, mais à ma famille qui avait été anéantie pendant la guerre à cause des Allemands. Je pensais : Il fallait que ça tombe sur toi. Être justement ce qui te déprime, le rejeton d’une famille anéantie.



En tout cas, merci à bix pour cette lecture qui, derrière l’émotion, marque son originalité par un côté pas toujours politiquement correcte, pas du tout.


mots-clés : #autofiction #campsconcentration #communautejuive #conflitisraelopalestinien #devoirdememoire #famille
par topocl
le Jeu 17 Jan - 20:35
 
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Sujet: Gila Lustiger
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Ngugi wa Thiong'o

Pour une Afrique libre :

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 41cnu310

Recueils de différents essais de l'écrivain, remaniés ou extraits de ses diverses interventions. Et donc pour thème commun l'avenir de l'Afrique. Sa propre prise en mains.
Il est à noter que Ngugi wa Thiong'o s'est d'abord fait remarquer en écrivant en anglais, puis il a décidé de renoncer à cette langue pour écrire kikuyu, sa langue "d'origine".
La question de la réappropriation de la langue est centrale chez lui, c'est uniquement ainsi qu'il voit un avenir libéré du poids du colonialisme pour le continent africain. Réinstaurer les langues locales et détrôner les langues des anciens dominants, il propose de les conserver pour communiquer entre différentes nations, mais dans son idéal elles n'ont plus leur place à l'échelon national. Ça semble logique, tant le passé est douloureux. Il préconise également un travail de mémoire sur la question de l'esclavage, et souhaite que les anciens colonisateurs assument cette part de l'Histoire. Sans travail de mémoire, point de deuil possible.

Vous l'avez compris, il s'agit d'un écrivain engagé, qui lutte contre l'impérialisme occidental, le néocolonialisme capitaliste. Avec sous le coude des réflexions de Frantz Fanon et Cheikh Anta Diop, notamment. Des réflexions également sur la question nucléaire, sur la question carcérale...

Il convient de préciser que "tribu", "tribalisme" et "guerres tribales", ces termes si souvent employés pour expliquer les conflits en Afrique, sont des inventions coloniales. La plupart des langues africaines ne possèdent pas l'équivalent du mot anglais "tribe", "tribu", avec ses connotations péjoratives dues à l'évolution du vocabulaire anthropologique de l'aventurisme européen aux XVIIIème et XIXème siècles. Ces mots sont liés à d'autres conceptions coloniales telles que "primitifs", "continent noir", "traces arriérées" ou "clans guerriers".


Un jour, j'ai visité le fort aux esclaves de Cape Coast, au Ghana. L'architecture m'a laissé une impression durable. Le bâtiment comptait trois niveaux. Les niveaux supérieurs abritaient le palais du gouverneur et la chapelle. Il y avait suffisamment de place pour une salle de bal et des réceptions de mariage. Les niveaux inférieurs de la même forteresse étaient l'endroit où les esclaves captifs attendaient d'être embarqués vers l'Amérique. Le palais et l'église étaient bâtis sur les tombes des esclaves. Ainsi, tandis qu'ils esclavageaient, les riches chantaient leur gratitude au Tout-Puissant, puis, tandis qu'ils gémissaient de la joie de l'amour charnel au lit, les esclaves gémissaient en attendant la délivrance. Les cris de plaisir en haut contrastaient avec les cris de douleur en bas, mais les deux n'étaient pas sans rapport. La splendeur d'en haut était bâtie sur la misère d'en bas. Aujourd'hui, le palais mondial est bâti sur une prison mondiale. La splendeur dans la misère - voilà la base de l'instabilité mondiale.



mots-clés : {#}colonisation{/#} {#}devoirdememoire{/#} {#}esclavage{/#} {#}essai{/#}
par Invité
le Dim 6 Jan - 14:34
 
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Sujet: Ngugi wa Thiong'o
Réponses: 5
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Vincent Hein

Kwai

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Kwai_010

Vincent Hein, grand voyageur asiatique, fait escale en Thaïlande, pour retrouver les traces du pont de la Rivière Kwai. Il ne reste pas grand chose du fameux pont, et rien des camps de prisonniers en dehors d‘un musée et un cimetière. La nature sauvage a repris ses droits. Mais ce voyage, comme tout voyage, est bien loin d’être stérile. Vincent Hein hume les paysages, écoute les gens du pays, savoure sa présence en ces lieux. Remontent à la surface l’attachement de l’auteur à ce vieux film, et aux peplums et autres westerns de sa jeunesse, les moments partagés avec son père , et une vieille tante, devant l’écran de télévision, les premières promenades en forêt qui lui donnèrent le goût du voyage, les hommes référents de sa formation, qu’ils soient botanistes, cinéastes, écrivains-voyageurs, les hommes de sa famille qui soldats, blessés, prisonniers participèrent à ce grand bazar mondial des guerres, des hommes qu’on força à être des  vainqueurs ou des vaincus. Il donne passage un bon coup de tatane à Pierre Boule, l’auteur du roman éponyme.

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 18770910



Il y a un réel charme  à ce récit, tout à la fois cohérent et disparate, relevant du principe des associations d’idées (Vincent Hein ne s’est pas formé à la psychanalyse pour rien), des humeurs, des ressentis, mais qui n’échappe pas pour autant à la main mise  de l’Histoire. C’est un vagabondage élégant, poétique, délicieux au sein duquel j’ai relevé les quatre plus belles pages que j’ai pu lire sur la pluie (qui, en fait, sont les pluies).

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Proxy_96


mots-clés : #autofiction #deuxiemeguerre #devoirdememoire #voyage
par topocl
le Lun 31 Déc - 11:11
 
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Sujet: Vincent Hein
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Martín Caparrós

A qui de droit

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Fullsi10

Dans la passion de sa jeunesse,, Carlos a participé à la lutte armée contre les militaires. Sa femme, enceinte,  a été capturée sous ses yeux, et nul ne sait ce qui lui est advenu. Il a passé ces trente ans dans une fidelité morbide à ressasser cela, imaginer des destins possibles à Estela. Il regarde avec amertume l'Argentine d’aujourd’hui, témoin de leur échec, du désastre, de la débâcle : un pays où posséder un écran plat est plus important qu'une société égalitaire et juste, Il voit souvent Juanja, ancien du mouvement, aujourd'hui au gouvernement, avec qui il se livre à quelques joutes verbales, et tous les  jeudis une jeune femme, incarnation de la   nouvelle génération pour qui lutter n’est plus une option. Elle lui donne du plaisir et le pousse dans ses retranchements.

Je l'ai toujours dit, Estela, la conséquence la plus grave de la dictature militaire n’est pas qu'ils vous aient tués, ce n’est pas vous, les morts, les disparus ; c’est ce pays, l'Argentine d'aujourd'hui.


La soixantaine dépassée, une maladie appelée Le Mal le rattrape, se manifestant curieusement par une simpe odeur nauséabonde, les questionnements  s'enrichissent, l'imaginaire ne suffit plus, il recherche des faits, la question de la vengeance se pose. Mais quel sens a-t'elle encore, quarante ans après ?

Peut-être aussi parce que ce serait ma dernière fin d'année et que je m'abandonnais à la triste jouissance des dernières fois. Quand elles deviennent les dernières, les choses retrouvent un sens, des significations dont la répétition les avait privé depuis longtemps.


Très beau roman introspectif et politique, à la prose parfois un peu lourde. Plein de nuances et de vérités regardées en face, il met en scène les bourreaux et les victimes, montre leur place dans al société d'aujourd'hui. Carlos, plein d'amertume, ne vit que de son passé, Est-ce parce que ce passé était glorieux, ou est-ce qu'il n'a simplement pas pu le dépasser, devenu un homme finalement geignard et procrastinateur ? Est-on un héros à vie ? Les comptes sont loin d'être soldés,  et si la société détourne le regard, ce n'est pas le cas de notre héros.




mots-clés : #devoirdememoire #insurrection #regimeautoritaire #vengeance
par topocl
le Dim 11 Nov - 11:26
 
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Sujet: Martín Caparrós
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Patrick Chamoiseau

La matière de l’absence

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 La_mat10


Dans le prolongement des récits autobiographiques sur son enfance, et d’un essai comme Écrire en pays dominé, Chamoiseau reprend une fois encore cet héritage du passé fatidique, « le manque fondateur, l’effacé structurant », la Traite impossible à oublier, avec des mots et une verve renouvelés en variations lyriques.
Roman ? participe plus de l’essai, dans un va-et-vient des souvenirs à l’approfondissement des réflexions.
Sous forme de dialogues avec la Baronne sa sœur à propos de Man Ninotte, leur mère décédée, évocation de la mort dans le monde créole, superstitions, rituels, vide/ en-dehors/ mystère/ disparition :
« Il ne se passait pas un jour sans qu’on ne les remplisse, leur amenant des personnes décrochées des dernières espérances, à croire qu’à la manière de pêcheurs clandestins les cimetières envoyaient vers la vie des lignes chargées d’hameçons, et en ramenaient des trâlées de victimes. »

« Sauf circonstances extraordinaires, et même si les sépultures seront en certains lieux réservées aux personnages marquants, nulle part sur cette planète (sauf durant la Traite des nègres, l’esclavage américain ou dans les camps nazis) un mort ne se verra abandonné sans un bout d’enchantement, et sans qu’il ne serve à étayer une quelconque autorité. »
(Impact, Légendaire du retour)

…théorie de la « grappe » comme groupe de Sapiens ; les Traces, concept venu de Glissant, ce à quoi se résume la culture perdue des esclaves déportés (en parallèle avec la narration de Man Ninotte proie d’Alzheimer après avoir vaillamment combattu la déveine ‒ stratégie de survie dans la misère) ; le jazz, notamment celui de Miles Davis ; un beau passage à propos des plantes, « mémoires végétales » connues des « marchandes-sorcières », les herboristes (pp 187-188) ; dissertation sur les origines de la beauté, de la poésie (et Césaire sera à son tour rappelé) :
« Parlons du sentiment de la beauté.
Imagine cette conscience humaine balbutiante qui s’ouvre sur trois immensités : sur la menace de l’inconscient humain chargé de toutes les animalités ; sur l’omnipuissance de la nature et du vivant ; sur l’infinie désolation de la mort…
Imagine ce qui lui arrive…
Elle commence à se détacher de l’inconscient et d’une indistinction avec le monde. […]
Il faut appeler "présence" le rayonnement indéfinissable de la chose vivante ou minérale à son plus bel éclat. […]
La conscience archaïque percevra tout présence comme vivante : les éléments, les grottes, les pierres, la nuit, le vent, le soleil… Elle y soupçonnera un être imprévisible, secret, obscur, invisible et puissant ‒ je veux dire : une beauté. L’éclat du beau est dans l’intensité de la chose existante lorsque celle-ci inspire la sensation d’une présence. […]
La sacralisation qui donne du sens à l’existant est l’énergie première de la beauté.

Le sentiment du beau ouvre à l'état poétique : cette partie de la vie qui échappe aux obligations des survies immédiates. »
(Éjectats, Légendaire du langage)

Il y a d’ailleurs une réelle poétique chez Chamoiseau, quoiqu’il en dise ; ici, à un lever de jour :
« La ville perdait ses immobilités dans une marée d’éveils. »
(Impact, Légendaire de l’annonce)

Expérience déterminante du gouffre, la cale du navire négrier, d’où l’on doit se refonder, individu séparé du collectif vers la Relation au Tout-monde (notions de Glissant) ; puis le cimetière.

« Les nuits sont toujours enceintes, nous disent les Arabes, elles sont les seules qui, dans un même mouvement, peuvent dissiper les certitudes du jour et recharger le monde pour la splendeur d’une aube. C’est ce genre de nuits qui se vivait dans mes antans d’enfance. »
(Impact, Légendaire du retour)





mots-clés : #devoirdememoire #esclavage #fratrie #identite #insularite #lieu #mort
par Tristram
le Sam 20 Oct - 19:56
 
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Sujet: Patrick Chamoiseau
Réponses: 39
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Elena Lappin

L'homme qui avait deux têtes

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 41bj7h10

Bref texte qui relate l'enquête d'Elena Lappin à propos de Fragments, une enfance (1939-1948) où Binjamin Wilkomirski relate ses souvenirs d’enfance à Riga, puis dans divers camps nazis, accusant la Suisse d'avoir effacé son passé, falsifié son identité et de l'avoir fait adopter comme petit Suisse abandonné par sa mère.
Après que ce récit ait été  adulé comme bouleversant, il est ensuite accusé de n'être qu'une invention de l'auteur.

Alors: réalité ou fiction, souvenirs ou mensonge, délire ou arnaque?
Elena Lappin rencontre l’auteur, des éditeurs de ce succès mondial, des survivants, des historiens... S'il semble avéré que Binjamin Wilkomski n'a pas pu exister, que le vrai enfant était bien Bruno Grosjean, il parait plus difficile de trancher entre traumatisme et mensonge ?
Le livre d'Elena Lappin, quoique très documenté, est   intéressant mais incomplètement abouti.

mots-clés : #autofiction #campsconcentration #devoirdememoire #identite
par topocl
le Lun 28 Mai - 10:15
 
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Sujet: Elena Lappin
Réponses: 2
Vues: 831

Alice Zeniter

L'art de perdre

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 51izds10

Il y a Ali, le maître incontesté du clan, un kabyle qui a trouvé un certaine richesse. Il a donné deux ans de sa vie pour la France, pendant la guerre. il n'en a jamais parlé. Au moment de la guerre d 'Algérie, il a choisi le "mauvais" côté (choisi? le "choix" d'être "protégé d'assassins qu'il déteste par d'autres assassins qu'il déteste") et il a du fuir la vengeance du FLN en 62, avec sa famille et guère de bagages.
La France l'a "accueilli" dans un camp, sous une tente, puis dans des baraquements , et des années après, quand on lui a attribué un appartement, c'était à des centaines de kilomètres de là. Il a continué à se taire.

Son aîné Hamid a grandi dans cette misère et ce renoncement, puis  s'est peu à peu détaché, "émancipé" dit-on, il a mis une distance, a construit autre chose, l'islam se perd en route.. Mais lui aussi s'est toujours tu sur son passé et ses blessures. "Il a confondu l'intégration avec la technique de la terre brûlée".

Sa fille ainée Naïma, qui a été nourrie à ce silence, a longtemps fait comme si de rien n'était. mais c'était là, évidement, l'histoire était là, incrustée d'Histoire,  les haines autour d'elle persistaient, et il a bien fallu une espèce de retour, même si

-Ce qu'on ne transmet pas, ça se perd, c'est tout. Tu viens d'ici mais ce n’est pas chez toi.


Il s'agit donc du récit de ces pertes diverses mais semblables, auxquelles  chaque génération donne sa problématique propre. Ces pertes chacun  les mène  avec son art propre, silence ou parole, avec ou sans bonheur, mais vaille que vaille, chacun à sa façon.

Tout cela donne un beau roman, quoique un peu appliqué dans le style, sans doute un peu trop sage dans la forme, mais dont l'intelligence humaine et géopolitique portant sur tout un siècle font que je lui "pardonne". Il y a pas mal de maladresses, surtout dans la première partie où, comme églantine, j'ai du mal à entrer et sentir les personnages incarnés. Dans ce début,  Alice Zeniter ne sait pas trop jouer de l’œil de Naima sur l'histoire de ses ascendants (soit trop soit pas assez présent) , adopte par moments un discours plus documentaire que romanesque. Et puis,, quand la révolte de Hamid se construit, la sauce a fini par prendre pour moi, et je me suis attachée à ces hommes et ces femme que je ne connaîtrai jamais (même si je les ai parfois ne face de moi), mais que l'auteur m'apprend à connaître au delà de mes  (nos)idées toutes faites.

Il y a beaucoup à apprendre, bien au delà des seuls faits dans l'art de perdre.
Car  l'extrême talent  d'Aiice Zeniter est  de faire de cette histoire que d'aucuns pourraient trouver simple (les harkis, l'immigration maghrébine, et les générations suivantes) ou en tout cas plus simple qu'elle n'est, tout un nœud de complexités,  de contradictions, de nuances, un nœud inextricable mais qui permet de voir l'autre aussi différent qu'il soit, comme un possible - et un possible souffrant.  C'est un appel vivant à une compréhension mutuelle.

mots-clés : #colonisation #devoirdememoire #exil #guerredalgérie #historique #identite #relationenfantparent
par topocl
le Jeu 17 Mai - 10:38
 
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Sujet: Alice Zeniter
Réponses: 35
Vues: 2884

Jorge Semprun

L’écriture ou la vie

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Leyycr10

Dans ce récit, Semprun raconte son expérience de la déportation en commençant par la libération ‒ en évoquant les regards de ceux qui n’ont que la mort, « s’en aller par la cheminée » (partir en cette fumée omniprésente, nauséabonde, qui a fait fuir tous les oiseaux), le regard haineux du nazi, le regard horrifié des libérateurs. Jeune étudiant en philosophie, communiste et germanisant, capturé comme résistant, la fonction de Semprun dans l’administration de Buchenwald est d’effacer et d’inscrire les noms sur des fiches.
D’une « rayonnante vitalité » après avoir « traversé la mort », il est revenant de la mémoire de la mort et veut "témoigner", ce qui ne peut passer que par une certaine forme d’artifice, d’art ‒ mais le renvoie immanquablement à la mort : il garde le silence pour oublier, et renoncera à l’écriture pendant des années. Près de vingt ans plus tard, il écrira Le grand voyage, qui ramènera la mort dans son présent, jusqu’à ce que le suicide de Primo Levi, vingt-cinq ans encore plus tard, la ramène devant lui, le poussant à écrire ce livre sur l’angoisse mortifère qui revient toujours.
« …] l’ombre mortelle où s’enracine, quoi que j’y fasse, quelque ruse ou raison que j’y consacre pour m’en détourner, mon désir de vivre. Et mon incapacité permanente à y réussir pleinement. »

« "È un sogno entro un altro sogno, vario nei particolari, unico nella sostanza…"
Un rêve à l'intérieur d'un autre rêve, sans doute. Le rêve de la mort à l'intérieur du rêve de la vie. Ou plutôt : le rêve de la mort, seule réalité d'une vie qui n'est elle-même qu'un rêve. Primo Levi formulait [dans La Trêve] cette angoisse qui nous était commune avec une concision inégalable. Rien n'était vrai que le camp, voilà. »

Tout le propos du livre est là : c’est la difficulté, le combat de l’auteur pour témoigner de Buchenwald dès qu’il en sort, cette approche constituant une forme de ce témoignage d’un « passé peu crédible, positivement inimaginable », « l’horreur et le courage ».
« Il y aura des survivants, certes. Moi, par exemple. Me voici survivant de service, opportunément apparu devant ces trois officiers d'une mission alliée pour leur raconter la fumée du crématoire, la chair brûlée sur l'Ettersberg, les appels sous la neige, les corvées meurtrières, l'épuisement de la vie, l'espoir inépuisable, la sauvagerie de l'animal humain, la grandeur de l'homme, la nudité fraternelle et dévastée du regard des copains.
Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ?
Le doute me vient dès ce premier instant.
Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L'histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d'un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d'une documentation digne de foi, vérifiée. C'est encore au présent, la mort. Ça se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines, les affamés du Petit Camp, les Juifs rescapés d'Auschwitz.
Il n'y a qu'à se laisser aller. La réalité est là, disponible. La parole aussi.
Pourtant un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l'expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d'un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n'a rien d'exceptionnel : il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques. »

« Le bonheur de l’écriture, je commençais à le savoir, n’effaçait jamais ce malheur de la mémoire. Bien au contraire : il l’aiguisait, le creusait, le ravivait. Il le rendait insupportable. »

« Tel un cancer lumineux, le récit que je m’arrachais de la mémoire, bribe par bribe, phrase après phrase, dévorait ma vie. Mon goût de vivre, du moins, mon envie de persévérer dans cette joie misérable. J’avais la certitude d’en arriver à un point ultime, où il me faudrait prendre acte de mon échec. Non pas parce que je ne parvenais pas à écrire : parce que je ne parvenais pas à survivre à l’écriture, plutôt. Seul un suicide pourrait signer, mettre fin volontairement à ce travail de deuil inachevé : interminable. Ou alors l’inachèvement même y mettrait fin, arbitrairement, par l’abandon du livre en cours. »

« À Ascona, sous le soleil de l'hiver tessinois, à la fin de ces mois du retour dont j’ai déjà fait un récit plutôt elliptique, j'avais pris la décision d'abandonner le livre que j'essayais en vain d'écrire. En vain ne veut pas dire que je n'y parvenais pas : ça veut dire que je n'y parvenais qu'à un prix exagéré. Au prix de ma propre survie en quelque sorte, l'écriture me ramenant sans cesse dans l'aridité d'une expérience mortifère.
J’avais présumé de mes forces. J’avais pensé que je pourrais revenir dans la vie, oublier dans le quotidien de la vie les années de Buchenwald, n’en plus tenir compte dans mes conversations, mes amitiés, et mener à bien, cependant, le projet d’écriture qui me tenait à cœur. J’avais été assez orgueilleux pour penser que je pourrais gérer cette schizophrénie concertée. Mais il s’avérait qu’écrire, d'une certaine façon, c'était refuser de vivre.
À Ascona, donc, sous le soleil de l'hiver, j'ai décidé de choisir le silence bruissant de la vie contre le langage meurtrier de l'écriture. »

« …] la réalité a souvent besoin d’invention, pour devenir vraie. C'est-à-dire vraisemblable. Pour emporter la conviction, l’émotion du lecteur. »

Le récit est construit en une remémoration chronologique, un fil linéaire avec des dates, mais avec aussi de brefs retours en arrière, l’évocation d’épisodes autobiographiques mettant en situation ses pensées et actes d’alors, et même quelques reprises conjoncturelles, donnant l’impression d’un texte écrit d’une seule traite (en fait en trois parties), clairement, presque sur le ton de la conversation par endroits. A un moment, il évoque le projet d’un livre architecturé sur les musiques de Mozart et Armstrong. A un autre, il entrelace savamment deux fils de récit, d'une part la séance où douze éditeurs d’autant de pays lui remettent chacun son premier roman, Le grand voyage, traduit dans leur langue, et d'autre part ses souvenirs (Prague, Kafka, Milena et son éviction du parti communiste) remémorés simultanément.
La visite à Weimar, avec sa présence goethienne, tout à côté de Buchenwald juste libéré, en compagnie d’un officier états-unien, Juif allemand exilé ‒ « ville de culture et de camp de concentration » ‒, répond à celle qu’il y fait cinquante ans plus tard, cinq ans après la mort de Primo Levi, et qui lui permet d’achever le présent récit.
Quelques leitmotiv (la fumée, la neige d’antan), des images récurrentes (le soldat allemand abattu, les agonisants dans ses bras), donnent un rythme à la narration.
Je me suis souvent ramentu les textes de Kertész, pour plusieurs motifs ; lui et Semprun ont œuvré sur la même tentative de nous faire appréhender les camps nazis.
Anecdotes troublantes qui m’ont incidemment interpellé : le vieux communiste bibliothécaire, qui réclame les livres parce qu’à ses yeux le camp et sa bibliothèque ne vont pas disparaître, mais être réutilisés pour réprimer les nazis (et les bolcheviks vont réutiliser Buchenwald pour cinq ans) ; le jeune kapo russe, trafiquant profiteur, qui n’envisage pas de rentrer en Union soviétique mais de poursuivre son destin opportuniste à l’Ouest, tout en aidant à la réalisation d’un gigantesque portrait de Staline dans la nuit qui suit la libération.
Semprun note que le communisme ajoute « l'accroissement du rôle de l'État, providence ou garde-chiourme ‒ le communisme, donc, aura ajouté la violence froide, éclairée, raisonneuse : totalitaire, en un mot, d’un Esprit-de-Parti persuadé d’agir dans le sens de l’Histoire, comme le Weltgeist hégélien. » (II, 6, page 233 de l’édition Folio, pour qui veut approfondir ce point de vue.)
« Une sorte de malaise un peu dégoûté me saisit aujourd’hui à évoquer ce passé. Les voyages clandestins, l’illusion d’un avenir, l’engagement politique, la vraie fraternité des militants communistes, la fausse monnaie de notre discours idéologique : tout cela, qui fut ma vie, qui aura été aussi l’horizon tragique de ce siècle, tout cela semble aujourd’hui poussiéreux : vétuste et dérisoire. » 

« L’histoire de ce siècle aura donc été marquée à feu et à sang par l’illusion meurtrière de l’aventure communiste, qui aura suscité les sentiments les plus purs, les engagements les plus désintéressés, les élans les plus fraternels, pour aboutir au plus sanglant échec, à l’injustice sociale la plus abjecte et opaque de l’Histoire. »

De très belles pages, comme sa reprise de conscience après une chute d’un train (peut-être une tentative de suicide) ‒ pour se retrouver sur le quai de Buchenwald ‒ lorsque « cette mort ancienne reprenait ses droits imprescriptibles ».

Un des rares ouvrages que je vais conserver pour relecture ultérieure, qui constitue entr’autres une leçon de courage de la part de ce polyglotte portant toute une bibliothèque humaniste dans sa mémoire, et une réponse explicite à la question du pourquoi de la littérature.
« Il [son ancien professeur, Maurice Halbwachs, mourant] ne pouvait plus que m'écouter, et seulement au prix d'un effort inhumain. Ce qui est par ailleurs le propre de l'homme. »

« Il m’a semblé alors, dans le silence qui a suivi le récit du survivant d’Auschwitz, dont l’horreur gluante nous empêchait encore de respirer aisément, qu’une étrange continuité, une cohérence mystérieuse mais rayonnante gouvernait le cours des choses. De nos discussions sur les romans de Malraux et l’essai de Kant, où s’élabore la théorie du Mal radical, das radikal Böse, jusqu’au récit du Juif polonais du Sonderkommando d’Auschwitz – en passant par les conversations dominicales du block 56 du Petit Camp, autour de mon maître Maurice Halbwachs – c’était une même méditation qui s’articulait impérieusement. Une méditation, pour le dire avec les mots qu’André Malraux écrirait seulement trente ans plus tard, sur “la région cruciale de l’âme où le Mal absolu s’oppose à la fraternité”. »



mots-clés : #campsconcentration #devoirdememoire #historique #mort #philosophique
par Tristram
le Lun 16 Avr - 0:07
 
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Sujet: Jorge Semprun
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Géraldine Schwartz

Les Amnésiques

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 97820810

Géraldine Schwartz, journaliste franco-allemande écrit ce livre sur le travail de mémoire effectué en Allemagne et en France (et dans une moindre mesure dans d' autres pays européens) après la deuxième guerre mondiale, en rapport avec les faits de guerre et surtout  la discrimination des juifs , leur spoliation et leur assassinat. Elle sépare l'attitude de la RFA et celle de la RDA qui a attendu la destruction du mur, et avait alors aussi les enjeux de la dictature soviétique à gérer.  Elle en étudie les freins et les mécanismes d’accélération au fil des décennies et de trois génération successives, et les conséquences sur l'histoire des différents pays, jusqu'à aujourd'hui..
Il s'agissait de comprendre, de reconnaître,  de punir ou amnistier.  Cela s'adressait aux acteurs des fautes , mais aussi à l'ensemble des populations, ceux qui ont simplement suivi, enchaîné le pas, pas fait de vagues, les mittlaufer.

La partie objective de son étude  se nourrit de l'histoire de sa famille (son grand-père qui a racheté une entreprise juive  à bas prix, sa grand-mère qui adorait Hitler, son père qui dans le silence ambiant a fait partie de la génération qui a demandé des comptes et a épousé une française; et sa mère fille d'un gendarme français dont nul ne sait s'il a participé à des rafles ou fermé les yeux sur des personnes passant clandestinement la frontière entre zone occupée et zone libre ). Elle trouve un très judicieux équilibre entre cette histoire familiale et l'histoire des peuples.

Au final, elle questionne notre attitude vis-à-vis des réfugiés et constate que le travail de mémoire plus performant en Allemagne n’est sans doute pas étranger à l’attitude d'ouverture d'Angela Merkel.

C'est très intéressant et instructif, et en outre facile à lire.


mots-clés : #deuxiemeguerre #devoirdememoire #essai #genocide
par topocl
le Mar 2 Jan - 11:29
 
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Olivier Rolin

Baïkal- Amour

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Images16

Et nous voila partis pour un nouveau voyage en train rolinesque à travers la Russie orientale, ses bouleaux sans fin, ses villes dévastées, ses entrepôts abandonnés. On fréquente des rêveuses revêches, et des voyageurs hospitaliers, on habite des chambres d’hôtel glauques qu'on a l'impression de déjà connaître. Au début ça a des petits relans de déjà vu, de paresseuse soirée-photos entre amis avec quelques anecdotes rigolotes, des descriptions sympas, une petite transmission de connaissance qui sera vite oubliée. Puis insensiblement le charme opère, la pression des milliers de déportés, célèbres ou anonymes,  qui on hanté ces régions, vite oubliés, se glisse peu à peu entre les mots et confère un poids, un sens à cette écriture sobre, sombre, pleine de retenue et d'humour, une mélancolie enveloppante.


mots-clés : #campsconcentration #devoirdememoire #voyage
par topocl
le Sam 16 Déc - 9:50
 
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Antonio Muñoz Molina

Antonio Muñoz Molina Séfarade

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Syfara10


Il s’agit en fait d’une sorte de recueil de "nouvelles" avec un fil directeur très homogène : le souvenir d’un passé plus ou moins lourd, vécu dans différents endroits de la planète par des personnages extraordinaires ou non, historiques ou pas, des étrangers, des immigrés, des émigrés, des exilés, des disparus ‒ autant de romans, empreints des dictatures du XXe siècle.

« Il n'y a pas de limite aux histoires inimaginables qu'on peut entendre à condition de faire un peu attention, aux romans qu'on découvre soudain dans la vie de n'importe qui. »
Antonio Muñoz Molina, « Cerbère », in « Séfarade »

« Comment s’aventurer à la vaine frivolité d’inventer alors qu’il y a tant de vies qui mériteraient d’être racontées, chacune d’elles comme un roman, un réseau de ramifications qui mènent à d’autres romans, à d’autres vies. »
Antonio Muñoz Molina, « Séfarade », in « Séfarade »


Parmi les leitmotive qui se recoupent, les camps de concentration et d’extermination allemands et russes, les Séfarades et autres Juifs, d’Espagne ou d’ailleurs, Milena Jesenska et Franz Kafka (d’un certain point de vue un annonciateur du totalitarisme), les morts vivants dans la rue (drogués et autres égarés) ‒ en quelque sorte l’héritage du siècle ‒, et les obsessions et angoisses de l’auteur et/ ou narrateur (alternance de je/ il qui entrelace le texte, comme aussi des épisodes ou des personnages, tel le cordonnier) : départ/ voyage/ fuite, culpabilité, persécution, amours perdues.

« ...] Franz Kafka a inventé par anticipation le coupable parfait, l’accusé d’Hitler et de Staline, Joseph K., l’homme qui n’est pas condamné parce qu’il a fait quelque chose ou parce que se serait fait remarquer d’une quelconque manière, mais parce qu’il a été désigné comme coupable, qui ne peut pas se défendre parce qu’il ne sait pas ce dont on l’accuse et qui, au moment d’être exécuté, au lieu de se révolter, se soumet avec respect à la volonté des bourreaux, ayant en plus honte de lui-même. »
Antonio Muñoz Molina, « Tu es », in « Séfarade »


Désinformation, "agit-prop" de l’Internationale communiste :
« Willi Münzenberg a inventé l’art politique de flatter les intellectuels établis, la manipulation convenable de leur égolâtrie, de leur peu d’intérêt pour le monde réel. Il parlait d’eux avec un certain mépris et les appelait le "Club des Innocents". Il était à la recherche de gens pondérés, avec des tendances humanistes, une certaine solidité bourgeoise, si possible l’éclat de l’argent et du cosmopolitisme : André Gide, H. G. Welles, Romain Rolland, Hemingway, Albert Einstein. Lénine aurait fusillé sans délai cette espèce d’intellectuels, ou bien il les aurait expédiés dans un sous-sol de la Loubianka ou en Sibérie. Münzenberg a découvert l’immense utilité qu’ils pouvaient avoir pour rendre attrayant un système que lui, dans le fond incorruptible de son intelligence, devait trouver atterrant d’incompétence et de cruauté, même pendant les années où il le considérait comme légitime. »

« Il y a aussi dans cette histoire un traître possible, une ombre à côté de Münzenberg, le subordonné rancunier et docile, cultivé et polyglotte ‒ Münzenberg ne parlait que l’allemand, et avec un fort accent de classe populaire ‒, physiquement son contraire, Otto Katz, appelé aussi André Simon, mince, fuyant, vieil ami de Franz Kafka, organisateur du Congrès des intellectuels antifascistes de Valencia, émissaire de Münzenberg et du Komintern parmi les intellectuels de New York et les acteurs et les scénaristes d’Hollywood, étoiles de la gauche caviar, et du radical chic, toujours espionnant, adulateur assidu d’Hemingway, Dashiell Hammett, Lillian Hellman, staliniens fervents et cyniques. »
Antonio Muñoz Molina, « Münzenberg », in « Séfarade »


Personnellement, j’ai ressenti ces ressassements comme pesants, peut-être entrés en résonnance avec trop de trop récentes lectures apparentées. Idem, le fil Littérature des camps semble déserté (saturation ?)

mots-clés : #campsconcentration #communautejuive #devoirdememoire #exil #genocide #regimeautoritaire
par Tristram
le Mer 1 Nov - 0:37
 
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José Carlos Llop

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Le_mas10

Le Messager d' Alger. - J. Chambon

Le Messager d'Alger est un livre morbide où la mort et le danger sont constamment présents.
Le passé aussi, non parce qu'il serait meilleur quele présent (le passé en question, c'est le franquisme, la "collaboration",
le fascisme), mais parce qu'il est le seul repère stable.

D'ailleurs passé et présent se télescopent constamment. Et les zones d'ombre subsistent sans s'éclairer, comme une sorte de cauchemar permanent.
Les zones d'ombre concernent aussi nombre de personnages du passé qui ont dépassé la simple duplicité pour afficher une
complicité dangereuse avec les pouvoirs d'alors.

José Carlos Llop dit à ce sujet dans une interview à propos de son roman :

"Cest le monde en crise de la fin des idéologies et de la disparition de la mémoire.
"Le monde civilisé a été capable de tout cela -l'holocauste, le franquisme...-. Et la génération de nos parents et de nos grands parents
savait jusqu'où l'homme pouvait aller avec ses semblables. Et de toute évidence, ils se sont tus. Déchiffrer ce silence est un des roles des romans de la mémoire..
."


mots-clés : #devoirdememoire #guerre
par bix_229
le Mer 25 Oct - 20:54
 
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Georges Hyvernaud

Le wagon à vaches.

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Wagon_10

Un peu plus tard, la guerre finit, et on érigea un monument aux morts.


Le narrateur,  revenu de la guerre rapporte quelques souvenirs de ses premiers jours de mobilisation, avant l'assaut, et de sa captivité où il a été emmené dans des Wagons à vaches. Il en garde "cette amertume sommaire, cette passivité ".

Bonne vieille race obstinée des hommes : toujours prête à tout recommencer, à remettre ça. Se raser, cirer ses souliers, payer ses impôts, faire son lit, faire la vaisselle, faire la guerre. Et c'est toujours à refaire. Ça repousse toujours, la faim, les poils, la crasse, la guerre.


Il parle surtout de sa vie terne d'employé de bureau, pour laquelle ses parents, des gens ternes et convenus, l'ont fait étudier afin qu'il dépasse leur condition. Il essaie d'écrire le soir chez lui, il raconte le quotidien nauséeux de cet après-guerre , et s’attache à portraiturer un petit monde étriqué et vaniteux. Pas un pour rattraper l'autre. Les personnages sont des médiocres, des petits bourgeois compassés dont il fustige la capacité à s'habituer, à faire comme si, alors que la guerre colle encore à la peau de chacun. Il y met une ironie mordante, qu'il épice d'un peu de scatologie sarcastique.

Des médiocres vivants, incapables de donner du relief à leur vie. Impuissants à imposer au malheur la richesse et l'intensité d'une aventure - au hasard, la figure d'un destin.


Un projet de monument aux morts se dessine et révèle les petites mesquineries, les grandes récupérations, les jalousies et les ambitions sordides, avant de sombrer devant la faiblesse des contributions.

L'auteur-narrateur a une  plume talentueuse et croque ce petit monde provincial et ordinaire  avec une certaine vivacité , mais trop est peut-être trop:  que fait-il de mieux, pour s'autoriser cette causticité morne, cette supériorité fustigeante? La guerre, il  n'est pas le seul à l'avoir traversée. Chacun s'en remet et s'en défend comme il peut, et un soupçon d'indulgence n'aurait pas forcément gâché la sauce.


mots-clés : #captivite #devoirdememoire #guerre #viequotidienne
par topocl
le Lun 16 Oct - 20:52
 
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Doan Bui

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Images51

Le silence de mon père

Les mots sont comme les oiseaux gracieux que mon père admirait sur les estampes chinoises. Les mots se sont envolés de son esprit : oiseaux migrateurs, ils sont partis vers des horizons plus chauds et mon père est resté dans son éternel hiver de silence.

Suite à un AVC, le père de Doan Bui a perdu la parole. L’occasion pour l’auteur d’un triste constat : elle ne connait pas son père, cet homme qui, une fois rentré de sa journée de travail, s’installait en silence face à la télévision. Et qui n'a rien dit, sur son enfance au Vietnam, sur l’exil, sur l'impossible retour. Venu en France faire des études de médecine, n’en est jamais reparti. Il a épousé une vietnamienne, elle aussi réfugiée. Ensemble ils ont eu des enfants « banane ». Jaunes à l’extérieur, blancs à l’intérieur. Tous nés en France. De purs produits de la République française. Ne parlant pas la langue de leurs parents.
C’est d’ailleurs tout le paradoxe de Doan Bui, qui raconte à merveille le dilemme des immigrés de la seconde génération. Car Française, elle ne l'est pas vraiment aux yeux de tous. Régulièrement, on la complimente pour sa remarquable maîtrise de la langue, ou on la salue d'un retentissant : "Ni Hao !"...   Accentuant le sentiment d’imposture d’une femme qui ne sait plus très bien, en somme, qui elle est vraiment.

Je voulais tellement être Française, qu’il m’était  –m'est ? insupportable d’être confondue avec d’autres immigrés, ceux qui parlaient mal la langue de Voltaire, les Fresh of the boat, arrivés plus récemment, les blédards, les niakoués. L’affront suprême était d’être assimilée aux immigrés chinois, ceux dont on parlait avec méfiance à la télévision (clandestins, mafieux, etc., etc.).
J’avais habité un temps chez une tante dans une des tours du 13e et j’en étais venu à haïr l’odeur du nuoc-mâm imprégnée dans les murs, les sacs plastiques Tang Frères, les enseignes bariolées (...). Ah non, moi, jamais je n’habiterai là, chez les chinetoques, merci bien, plutôt mourir, c’est moche, mais c’est moche là-bas, inimaginable, je rêvais d’appartements haussmanniens moulurés, de boulangeries tradition, de fromagers, de caves à vin…
Et pourtant, aimantée, j’ai finalement posé mes valises dans une tour, en plein cœur de Chinatown, avec plein de Chinois qui me prennent pour une Chinoise, des épiceries chinoises tous les deux mètres, des coiffeuses chinoises qui s’appellent Jenny Coiffure, avec des photos de stars hongkongaises permanentées sur la devanture et une forêt d’enseignes criardes en chinois qui clignotent comme dans un casino de Las Vegas.
Ma mère en fut très contrariée. Avant mon déménagement, elle s’y est rendue et croisant un voisin blanc, elle l’a interpellé :  « Y a vraiment beaucoup de Chinois ici, non ? » Et l’autre, perplexe : « Ne vous inquiétez pas madame, ils sont très gentils.»


Ce livre, c'est donc le témoignage d'une fille partie à la recherche de son père, mais aussi d'elle-même. Paradoxalement, Doan Bui, grand reporter à l'Obs et spécialiste des sujets sur l'immigration, n’avait jamais osé franchir le mur de silence familial. Enfin, elle retrouve ses réflexes de journaliste : elle fouille, elle ose questionner, quitte à dévoiler au grand jour les secrets de famille... Croyant bien faire, nos parents se sont interdits de transmettre leur culture, ils sont restés muets sur leur histoire. Je retrouve tant de secrets dans toutes les familles asiatiques, imbriqués dans les parcours d’exil.

Au-delà de l'immigration, ce livre pose la question de la relation parent-enfant, de la parole, et de la transmission. C'est avant tout une réflexion prenante sur l'identité, d'autant plus difficile à aborder quand l'exil est de la partie... J'ai ainsi été marquée par l'aspect paradoxal d'une culture vietnamienne à la fois omniprésente et occultée. Bien qu'elle les constitue intrinsèquement, les parents Bui poussent leurs enfants à la renier. Une dualité qui, forcément, a des conséquences. Sur les parents, qui taisent leurs renoncements, leurs peurs, leur nostalgie. Sur les enfants qui, tout en étant résolument français, ressentent sans se l'avouer un sentiment d'incomplétude.
Mais cette fois, Doan Bui a décidé de tout dire. Car il n’y a aucune honte à avoir. Rien à cacher. Personne ne perdra la face.
Un témoignage dont l'impudeur se pare d'élégance, et qui, tout en retenue, dit la difficulté d'être français...


mots-clés : #autobiographie #exil #famille #immigration #devoirdememoire
par Armor
le Jeu 5 Oct - 22:53
 
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Sujet: Doan Bui
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Héctor Abad Faciolince

Trahisons de la mémoire

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Image119

Le livre se comporte de 3 parties

-Dans Un poème dans la poche, Héctor Abad rapporte ses obsessionnelles recherches, 20 ans après, pour authentifier le poème L'oubli que nous serons, qui se trouvait dans la poche de son père assassiné,  attribué à Borges. Petite tempête dans le monde de la recherche littéraire internationale : les experts sont formels pour récuser cette paternité. Mais l'intuition émotionnelle d' Héctor Abad le pousse à  poursuivre sa recherche, à voyager à la rencontre des témoins, et finalement, ça y est, oui : le poème est de Borges. Cela peut paraître un pinaillage épouvantable, mais au moins pour l'auteur, pour la mémoire de son père, c'est quelque chose de crucial, cela a sans doute été un pas de plus dans son deuil.
Il me semble que tous les participants du fil Qui l'a écrit pourraient lire cette partie, illustrée de photos des preuves, en se délectant.

-Dans Une fausse route, il raconte sa situation quand, ayant fui la Colombie après cet assassinat, il s'est installé à Turin avec sa famille. Longue hésitation pour savoir s'il va vendre la montre de son arrière-grand-oncle : assurer la subsistance de la famille, ou conserver le lien avec les ancêtres ? Il raconte ensuite comment Amnesty International l'a aidé et soutenu, mais au prix d' une espèce de marchandage dont il  devait s'acquitter en racontant les misères et horreurs de la Colombie, chose qu'il détestait et qui l'a amené à laisser l'organisation. Il parle du besoin qu'il a eu de cacher son origine colombienne et de faire croire qu'il était espagnol, parlant un espagnol européen, pour mieux s'assimiler, et d'une femme, Lorenza, avec laquelle il a trahi son épouse le temps de quelques cours d'espagnols.

-Les ex-futurs est un très plaisant  petit essai sur les moi que nous ne sommes pas devenus, et en quoi ils nourrissent la création littéraire.

Nous, les humains, sommes insatiables : nous voulons des présences et encore des présences, nous cherchons à nous évader à notre  solitude définitive, nous ne faisons rien d'autre que de lutter pour ne pas être seul, et comme les vivants ne nous suffisent pas, alors nous vivons en commerce perpétuel avec les fantômes, avec cet enfant que nous avons été et même avec l'homme que nous ne serons plus. À cause de ce goût pour converser avec ce qui n'existe pas - ou qui existe dans une autre dimension - nous lisons des romans et pour cela nous regardons des films et des feuilletons télé.


Il s'agit donc de trois récits ou essais qui ont pour thème commun la mémoire, l'appartenance et le renoncement, dans un hommage à Borges, à la littérature, à l'oubli et la supercherie. Hector Abad insiste sur le fait que la mémoire trahit la réalité, et organise ainsi une nouvelle vérité. Ce sont ces réflexions qui constituent les plus belles parties du livre, qui, en effet, peut se lire indépendamment, mais gagne émotionnellement si l'on a lu avant l’extraordinaire L'oubli que nous serons.



Mots-clés : #creationartistique #devoirdememoire #exil
par topocl
le Sam 16 Sep - 9:40
 
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Sujet: Héctor Abad Faciolince
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Javier Cercas

Les soldats de Salamine

Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 41umks10

Au début, on croit qu’on va lire une biographie romancée de Rafael Sànchez Mazas.  .

( …)comme quelqu'un qui aurait pu faire de grandes choses, mais n'en avait quasiment fait aucune.


Tag devoirdemémoire sur Des Choses à lire - Page 2 Index52
Mais on y découvre aussi le travail de l'écrivain-journaliste (miroir de Javier Cercas) qui s'attache à ses pas, dans un making off en 3 étapes. Le narrateur découvre par hasard une anecdote romanesque rattachée à Sànchez Mazas, grandiose, mais aussi dérisoire puisqu’on on ne saura pas si elle est réelle ou si elle constitue un embellissement personnel de sa propre biographie par Sànchez Mazas. Il s'intéresse, se documente puis se passionne pour ce  fondateur de la phalange espagnole, écrivain assez largement oublié, personnage pour le moins ambigu. Il en tire ensuite un livre, interrogeant les archives, rapprochant les témoignages, construisant dans les blancs pour une interprétation cohérente de l’homme, et de la guerre d’Espagne d’une façon plus générale. Finalement insatisfait de sa production, il est encouragé à persévérer et élargir son champ par sa maîtresse bécasse – celle-là même qui l'énervait en s'insurgeant qu’il écrive sur ce « sale fasciste ». Et sa rencontre avec le grand écrivain chilien Roberto Bolaño, son maître en écriture, le fait avancer dans ses interrogations sur l'écrit et le récit, rendre son propos plus universel, y incluant l'autre bord, celui des combattants anonymes, au travers d'un soldat républicain obscur mais au destin extraordinaire. Enrichir son propos en acceptant de rester l’humble serviteur de son texte et non son maître intransigeant.



La biographie de Sànchez Mazas met en lueur les rapports de la phalange et du franquisme, et c'est très éclairant sur les mécanismes contradictoires mais synergiques de ces 2 mouvements, qui aboutirent à la guerre fratricide que l'on sait.

(…) bien loin de regretter d'avoir contribué de son mieux à enflammer la guerre qui lamina une république légitime et d'avoir établi non pas le terrifiant régime de poètes et de condotierres renaissants dont il rêvait, mais un vulgaire gouvernement d'aigrefins, de balourds et de culs-bénits.


Javier Cercas, au-delà de cet homme qui fut l'un des moteurs déterminants de l'entrée en guerre, fait revivre des petits, des sans-grades, dont le nom n'est pas retenu par l'histoire, mais dont l'auteur considère qu'ils furent les vrais héros, les vrais moteurs de l’Histoire et dont il entend transmettre et l'histoire, et le nom, afin qu'ils ne se perdent pas.

À côté de cette réflexion historique, ce livre est une réelle interrogation sur l'écriture, et le rapport à la fiction. L'auteur narrateur veut écrire un « récit réel », mais comprend vite que son interprétation et son imagination sont un des moteurs de son récit. Exposant ses interrogations personnelles, il lui donne sa vraie dimension. Dans le roman Les soldats de Salamine de Javier Cercas, comme dans celui que son héros écrit, on ne sait jamais ce qui est vrai, ce qui est transformé par le souvenir, ce qui est magnifié par le récit, ce qui est inventé par les protagonistes ou l'auteur. C'est une interrogation éclairée sur la vérité, sur le sens de l'écrit et de la mémoire.

J'espère que ce ne sera pas un roman.
-Non, dis-je très confiant. C'est un récit réel.
-Et c'est quoi ça ?
Je le lui expliquais et je crois qu’elle  comprit.
-Ce sera comme un roman, résumai-je. Sauf qu'au lieu que tout soit faux tout sera vrai.



L’Histoire a un sens et le rôle de la littérature est de nous le restituer à travers les hommes qui la construisent, grands ou petits. Javier Cercas nous le raconte avec une  intelligence malicieuse.

(commentaire rapatrié)


mots-clés : #biographie #devoirdememoire #guerredespagne
par topocl
le Mar 6 Déc - 13:03
 
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Sujet: Javier Cercas
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