Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 21:43

58 résultats trouvés pour communautejuive

Anouk Markovits

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 51wtlq11

Je suis interdite

Le roman nous décrit, sur quatre générations, la vie de la famille du charismatique rabbin Zalman. L'occasion pour l'auteur de nous faire pénétrer les arcanes de la très fermée communauté Satmar, dont elle est elle-même issue.
Le sujet peut sembler ardu, certes. Mais le traitement, lui, ne l'est pas du tout. Anouk Markovits parvient à merveille à nous faire ressentir la vie des juifs hassidiques, et le carcan incroyable qui pèse en permanence sur eux. Une rigidité extrême, qui, si elle n'exclut pas les moments de joie, les rend extrêmement rares, et toujours contenus. Comment, en effet, laisser place à la spontanéité, à l'amour, à l'insouciance, lorsque le moindre geste est codifié, jusqu'aux pensées et aux positions qu'un couple se doit d'adopter dans les actes les plus intimes ? Comment songer au bonheur quand les interdits sont innombrables, et parfois absurdes ?

Les hommes se plongent dans l'étude des textes, jusqu'à obsession, jusqu'à se fustiger pour la moindre broutille qui ne répond pas à la Loi. En effet, pour les juifs hassidiques, le manquement d'un seul homme rejaillit sur toute la communauté. Et alors, Dieu punit...
Les femmes sont mariées très jeunes, rabaissées, ravalées au rang d'épouses et de mères, les seuls rôles qui leur soient permis. Même l'étude des textes leur était interdite jusqu'à il y a peu, les plus sacrés d'entre eux demeurant encore prohibés...
Dans cette communauté régie par tant de règles, toute velléité d'indépendance est bannie. Surtout, le doute n'est pas permis. Il faut obéir, aveuglément. Accepter des explications culpabilisantes, sur la Shoah, notamment. Ahurissantes théories qui rendent les juifs responsables de ce qui arriva…
Pour tenir le doute à l'écart, l'on est prêt à façonner des légendes ; tout, plutôt que de voir remises en cause les croyances établies. Attitude dangereuse qui, parfois, peut même s'apparenter à du négationnisme...

L'auteur a un véritable talent pour nous décrire cette existence, et nous amener à la comprendre, un peu. Derrière la façade rigoriste, domine le sentiment d'une terrible fragilité. Bien peu solide en effet, le groupe qui bannit celui qui ose faire un pas de côté, de peur que tout l'édifice ne vacille...
Anouk Markovits évoque ces sujets complexes sans que cela soit jamais pesant. La volonté didactique ne nuit jamais au romanesque, au souffle qui vous emporte, qui vous fait vous attacher ou au contraire haïr ces personnages si éloignés de nous. Elle nous fait partager leurs doutes, leurs déchirements intimes, leur révolte parfois, toujours contenus derrière le masque des convenances. Et c'est un tour de force, vraiment, que de parvenir à nous faire entrer dans ce monde tellement rigide et hermétique sans négliger pour autant ce que ces hommes ont de terriblement, d'irrémédiablement humain.

Une lecture passionnante, marquante. Encore un grand merci à topocl qui avait attiré mon attention sur ce livre !

Extrait d'un cours sur la Shoah…

Atara a lu le texte en hébreu et traduit : "Mesure pour mesure, le Seigneur punit, le Seigneur est juste…"
_ Merci. Le saint Hazon Isch, paix à son âme, explique : avant la guerre, des parents juifs  envoyaient leurs enfants dans des écoles laïques ; ils gardaient en vie le corps de leurs enfants tout en sacrifiant leur âme. Mesure pour mesure, le Seigneur a frappé ces parents ; Il a détruit le corps de leurs enfants. » Le rabbin Braunsdorfer parlait haut d'une voix nasillarde : « Et ce fut un acte de pitié ! Dans un acte de pitié HaShem a délivré ces communautés polonaises du lire-arbitre, avant qu'elles ne s'avilissent entièrement.
 Parmi les enfants assassinés, certains provenaient de familles qui craignaient Dieu ? Alors leur souffrance doit être imputée au Bitul Torah : au manque de Torah. Et si la Torah était présente dans leur vie, alors leur souffrance doit être imputée aux tourments de l'amour : Dieu tourmente ceux qui ne pêchent pas pour leur permettre d'accéder à une position encore plus favorable dans l'autre monde. »
Atara avait cessé de prendre des notes. Elle n'a pas attendu que le rabbin lui donne la parole.
« Le Seigneur assiste-t-il au martyre des enfants qui brûlent ? »


(ancien commentaire remanié)


mots-clés : #religion  #conditionfeminine  #communautejuive
par Armor
le Ven 10 Fév - 13:57
 
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Sujet: Anouk Markovits
Réponses: 6
Vues: 656

Edgar Hilsenrath

Le nazi et le barbier

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 Tylych21

Max Schultz a les cheveux noirs, des yeux de grenouille, le nez crochu, les lèvres épaisses et les dents gâtées. Tout le monde le prend pour un Juif. Enfant bâtard, mais « aryen pur souche », battu, violé et humilié durant son enfance, il grandit avec Itzig Finkelstein, le fils du coiffeur juif Chaim Finkelstein ; ils sont les meilleurs amis du monde.
En 1932, max assiste à un discours de Hitler, en compagnie de tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont pris un coup sur la tête, « que ce soit de Dieu ou des hommes ». Il s’enrôle alors dans les SA, puis dans les SS, où il connaît une promotion foudroyante. Durant la guerre, il est responsable d’un camp de concentration en Pologne... où disparaissent son ami et toute la famille Finkelstein.
Recherché, après la guerre, comme criminel de guerre, il tente de se faire passer pour juif... et y parvient. Endossant l’identité de son ami Itzig, il devient un sioniste prosélyte, traversant l’Europe à pied pour rejoindre la Palestine, où il commence à enseigner les textes sacrés.
Max Schulz n’est pas un cliché, ni un archétype du nazi : il s’inscrit chez les nazis par mimétisme et opportunisme ; c’est un homme qui devient à un moment de l’Histoire « un monstre ordinaire » et qui, après la guerre, est capable de reprendre une vie en apparence normale et « honorable »…


Lu et relu il y a maintenant quelques temps , mais impossible de passer à côté quand on évoque Edgar Hilsenrath.
Oeuvre culte à mon sens , Le nazi et le barbier fait partie des lectures inoubliables en vue d'une telle audace.
On vacille ligne après ligne en lisant toute la monstruosité d'un personnage d'un formidable charisme , d'une telle plume qui se veut parfois choquante , acerbe et humoristique.
Après "les bienveillantes" l'auteur a pris le parti de traiter la Shoah version allemande d'une manière des plus insolites , des plus singulières.
Hilsenrath est un maître , un  chef d'orchestre alliant émotions et rhétorique avec brio , donnant au lecteur les sensations multiples sur un sujet pourtant difficile et tellement évoqué.
Je le conseille plutôt deux fois qu'une , un ovni de ce genre est incontournable.


mots-clés : #communautejuive #deuxiemeguerre #humour
par Ouliposuccion
le Mer 1 Fév - 7:51
 
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Sujet: Edgar Hilsenrath
Réponses: 15
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Anna Bikont

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 Produc33

Le crime et le silence


C’est un article dans la presse qui m’a conduit à la lecture de ce livre.

« L'auteur polonais Jan GROSS s'est vu retirer sa médaille d'Ordre du mérite reçue en 1996 pour avoir publié “Les Voisins, un massacre de Juifs en Pologne”, dans lequel il décrit la complicité des Polonais dans les crimes nazis en 1941. » (le président élu en 2015 a mis la barre à droite)

J’ai choisi de lire le livre d’Anna Bikont car elle s’intéressait à l’ambiance de la ville de Jedwabne 60 ans après le crime ;  qu’elle a pendant 4 ans dressé un journal, interrogé les derniers témoins encore vivants (victimes et assassins y compris) et les descendants de ceux disparus.

Pogroms du mois de Juillet 1941
Le 5 à Wasosz
Le 7 à Radzilow
Le 10 à Jedwabne

Mais il y a eu d’autres progroms et des assassinats après la fin de la guerre.

Son journal commence en 2000. L’antisémistisme est aussi virulent, entretenu par le curé, comme à l’époque, et par le Parti Nationaliste. La journaliste est insultée car elle est d’origine Juive. Les témoins ont peur, même lorsqu’ils livrent leur vérité ils demandent l’anonymat. L’approche de la commémoration du 10 Juillet 2001 pour les 60 ans soulèvent des rejets, la participation du Maire et du Président de la Pologne sont critiqués et le conseil municipal refuse les travaux conduisant au monument pour les Juifs. Le Maire se retrouve seul à gérer et à porter les critiques.

Anna Bikont rencontrera les Juifs rescapés et/ou leurs descendants en Israël, aux USA et en Pologne et recueillera leurs souvenirs, leurs témoignages. Très rares sont les descendants qui reconnaissent les actes commis par leurs parents et un seul de Jedwabne finira par dire son regret à la journaliste.

Parallèlement à son enquête, il y aura une instruction sur cette terrible journée du 10 juillet 1941, les procès qui se sont déroulés en 1949 seront revus, exploités ainsi que de nombreux documents et le procureur donnera ses conclusions préliminaires :

« Les Allemands, a-t-il dit, doivent être considérés comme les auteurs du crime au sens large. Les exécutants ont été des habitants polonais de Jedwabne et des environs, des hommes, quarante au moins. »

Le procureur est critiqué dans ses conclusions, notamment par le très populaire hebdomadaire catholique Niedziela.

Dans son post-critum daté de 2010 Anna Bikont dit que

Si le pays a évolué,
Si le Président a donné importance aux commémorations du 10 juillet,
Si les évêques ont demandé le pardon,
Si le président de l’Institut de la mémoire nationale a exprimé sa compassion pour les citoyens polonais d’origine juive assassinés

A Jedwabne et dans de nombreux endroits l’antisémitisme est toujours aussi présent, sur la place du marché a été édifié un contre-monument pour commémorer les Polonais déportés en Sibérie (dont les Juifs ont été rendus responsables) pendant la guerre, aucun habitant ne participe à la modeste commémoration , le panneau qui indiquait le lieu du martyre a été enlevé.

Pourquoi tant de haine des Polonais chrétiens envers les Juifs ? il semble que les Polonais enviaient la situation des Juifs, plus riches, ils voulaient leurs maisons, leurs biens. Les Juifs étaient installés en Pologne depuis environ 800 ans mais comme les Polonais les traitaient en « visiteurs » ils ont trouvé que la visite était un peu longue.

Les Polonais ont du se sentir humiliés des services rendus par les Juifs ; de leur côté les Juifs n’appréciaient guerre les goyims parce qu’ils étaient pour la plupart analphabètes, ivrognes…. (les Juifs travaillaient dur)

« La graine de la haine est tombée sur un terrain bien fertilisé, soigneusement préparé pendant de longues années par le clergé. Et l’envie de s’approprier les grains et les richesses des Juifs a encore aiguisé les appétits. »

Anna Bikont a honnêtement cités les personnages qui se sont comportaient correctement avec les Juifs, voire les ont aidés ou soutenus ; elle a d’ailleurs interviewé  deux Justes parmi les Nations.

C’était une lecture éprouvante mais la démarche de la journaliste m’intéressait.


mots-clés : #antisemitisme #communautejuive #historique
par Bédoulène
le Mar 31 Jan - 23:06
 
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Sujet: Anna Bikont
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Jakob Wassermann

Les Juifs de Zirndorf

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 Jakob210

Le roman est divisé en deux parties. La première comporte 70 pages, considérée comme un prologue par l'auteur, elle est en quelque sorte un récit fondateur, mythique, qui raconte la création du village de Zirndorf.
Vers 1648 apparait à Smyrne, Sabbatai Tsevi qui va rapidement être reconnu par les Juifs de toute l'Europe comme le Messie, celui qui va les ramener en Terre Sainte, la terre de Canaan. Cette Révélation va bouleverser la vie de milliers de juifs et les précipiter sur les routes, abandonnant leurs masures et leur terre de misère. Hélas, dès 1666 Sabbatai se convertit à la foi musulmane ruinant ainsi les grands espoirs de tout un peuple.

Là où les Juifs partis de Fürth apprennent la conversion de leur Messie, ils s'arrêtent et fondent le village de Zirndorf. Cette première étape est assez agréable à lire (malgré les nombreuses diversions et les nombreux personnages qui investissent ses lignes). L'hystérie collective est palpable, ainsi que le violent désir de croire à un Sauveur, quel qu'il soit. La communauté juive est prête à toutes les compromissions, tous les mensonges et toutes les orgies pour accueillir enfin le Messie tant attendu. Cette première partie, qui retrace avec humour, dérision et amour les errances et les emportements des juifs est à mon avis la plus réussie de l'ensemble du roman.

La seconde partie se situe deux cents ans après la création de Zirndorf. La communauté juive est scindée en deux grands groupes, les très riches (usuriers) et les extrêmement pauvres et vivent avec les chrétiens qui ne cachent pas leur haine mortelle contre les uns et les autres. Agathon, le héros de notre roman, appartient à la communauté pauvre et son père fortement endetté auprès de l'aubergiste (antisémite notoire) ne peut que souhaiter la mort de son créditeur. Jusqu'au jour, où après une altercation entre le jeune Agathon et l'aubergiste, ce dernier est retrouvé mort.

On dira qu'après cette mort, la vie d'Agathon qui se croit responsable, va être transformée. Il s'élève contre son père, se fait renvoyé de l'école chrétienne qu'il fréquente pour avoir écrit que ses professeurs étaient de mauvais pédagogues, il va guérir sa mère d'une mort certaine, devenir une sorte de prophète qui rejette la religion juive sans parvenir à s'en détacher complètement. Il finira errant, croisant en une ronde finale les nombreux personnages qui peuplent se foisonnant roman. Toute ressemblance avec l'auteur est bien sûre évidente...

Ce roman a les défauts (mais aussi les qualités) d'un premier roman : liberté totale de l'imagination, mystère par-ci énigme par-là, abondance des personnages et des évènements sans liens avec l'intrigue principale, digressions, hystérie de l'amour adolescent, passage du coq à l'âne et libération d'une parole qui condamne tout autant la condition des femmes, des orphelins, des pauvres juifs, des bons pédagogues et des riches qui ne prêtent qu'à leur semblable.

Il est parfois difficile de trouver une lumière dans l'immense propos de Wassermann. Les évènements s'enchainent les uns aux autres sans rimes ni raison et certains personnages nous demeurent bien obscurs. Formant une sorte de triptyque avec Agathon en pierre de touche, le jeune poète Gudstikker et le professeur Bojesen semblent former les deux angles opposés d'un triangle isocèle qui symboliserait peut-être la Foi, la Création et le Savoir. Le poète est un séducteur sans scrupule, le professeur un amoureux déchu et Agathon trône de toute sa séduction au milieu d'eux comme un trésor (qui raflera d'ailleurs tous les cœurs). De la même manière, le triangle formé par le trio Jeannette, Monique et Agathon révèle toute l'ambiguïté d'un âge (Agathon a 17 ans) où la chair et la sainteté se batte cruellement et souvent finissent par triompher tout à tour.
Et puis en additionnant deux triangles isocèles on obtient l'étoile de David me direz-vous...

Il n'en reste pas moins une certaine confusion, à la fois dans le propos et dans l'intrigue. A force de vouloir jouer du mystère, de la prophétie et de l'effervescence adolescente, il arrive bien souvent que le lecteur ne puisse plus suivre le fol voyage d'Agathon à travers la fièvre humaine. Malgré tout j'ai pris un certain plaisir à lire ce roman, ce premier roman, qui laisse présager de belles réussites, d'inquiétantes visions (en particulier en ce qui concerne la religion juive) et une écriture dont la traduction doit être bien loin de rendre justice.


Emmêlant onirisme échevelé, fantastique mystique et réalisme prophétique, l'auteur tente sans doute de glisser dans le creuset alchimique de son œuvre la totalité de son univers intellectuel, spirituel et social. Cela donne d'incroyables moments d'élévation et d'autres plus déroutants.


mots-clés : #communautejuive #initiatique #religion
par shanidar
le Lun 23 Jan - 17:13
 
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Sujet: Jakob Wassermann
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Gyula Krúdy

L'affaire Eszter Solymosi

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 Krudy10

J'avais envie d'un livre long, d'un livre lourd, d'un livre qui prenne le temps de me raconter des choses que je sais (un peu) et d'autres que je ne sais pas (du tout). Ce livre s'est incarné grâce à Gyula Krúdy. Je suis passée au large de certaines références historiques et littéraires (en me promettant d'y revenir) mais j'ai complètement cédé au charme incroyable d'un conteur déroutant et lucide, poétique et politique, dense et dansant. C'est en 1931 que Gyula Krúdy s'empare de L'affaire Eszter Solymosi (prononcer choyemochi) qui défraya la chronique hongroise des années 1880. Et le lecteur ne peut que se réjouir d'avoir entre les mains ce que Krúdy appelle des notes (qu'il fera publier en feuilleton dans un journal et ne seront éditées en livre que quarante ans après sa mort en 1970) et qui se compose de pas moins de 640 pages fort adroitement hypnotiques ! Une somme ! Un roman passionnant parce qu'il nous raconte le temps d'avant : avant la Shoah, quand être antisémite était l'apanage des riches propriétaires, nationalistes et érudits et d'avant la mondialisation, quand les nouvelles ne parvenaient que par l'intermédiaire des journaux, quand on voyageait encore à cheval, quand la Hongrie était plus vaste et parlait bien des langues : le hongrois, certes, mais aussi le yiddish, le ruthène, le slovaque, le souabe ou bien l'allemand…

Terre de métissage, aux élites effrayées par l'arrivée massive de juifs issus de la diaspora russe (les premiers pogroms ont alors lieu là-bas), la Hongrie est alors un pays qui se remet à peine de la Révolution de 1848. La Hongrie où les pauvres sont aussi pauvres que ceux de la Bible, où les flotteurs de bois descendent aux beaux jours sur leur radeau le bois qu'ils ont coupé l'hiver, une Hongrie à la fois pleine d'un charme désuet et dangereux que se plaît à nous décrire Krúdy. Car il faut bien reconnaitre que les deux cents premières pages de ce gros roman fabuleux mélangent pêle-mêle cette société hétéroclite, passant allègrement des juifs nécessiteux aux chrétiens qui ne le sont pas moins, d'un commissaire en suspension disciplinaire, à un dirigeant violemment antisémite (mais qui bien sûr adore ses amis juifs), d'un couple d'aristocrates où madame porte la culotte, jusqu'à ces Ruthènes taiseux qui font flotter le bois sur le fleuve Tisza. Fleuve qui est sans doute le personnage le plus inattendu de ce roman.

Mais quid d'Eszter Solymosi qui donne son nom au roman ? Eszter est une jeune fille de quatorze ans, chrétienne, servant dans la maison de la mère Huray (qui n'est pas commode). Un samedi matin, sa maitresse l'envoie acheter de la peinture. La gamine ne réapparaitra jamais. Au même moment, ce samedi-là, le bedeau a réuni dans la synagogue un groupe de juifs parmi lesquels il doit trouver un nouveau sacrificateur pour sa communauté (en effet pour que la viande soit kasher, l'animal doit être tué selon un rituel précis, il ne doit pas souffrir et doit être vidé de son sang). De l'un à l'autre de ces deux évènements, l'amalgame se fait tout naturellement entre voisins qui s'ignorent ou parfois se haïssent et voilà les juifs accusés (par un des leurs, ce qui est bien le comble), de crime rituel. Les juifs auraient attiré la jeune fille dans la synagogue, l'auraient maintenue au sol, lui auraient coupé la gorge, auraient récupéré son sang dans des bassines et ce sang aurait servi pour fabriquer le pain azyme de la Pâque. Vous n'y croyez pas ? Pourtant en 1882, à Tiszaeszlár tout le monde y croit, une furieuse vague antisémite gagne le village, puis la région et enfin la Hongrie toute entière ! Qui sont ces juifs qui viennent tuer nos enfants chrétiens ? Du plus pauvre au plus riche, on s'indigne, on fouille, on observe, on se méfie. Et les autorités appuient. Fort. Du juge d'instruction au commissaire en passant par les médecins tout le monde accepte la version de Moric (le fils du bedeau). Las ! Le seul moyen pour réhabiliter les juifs d'Eszlár est de retrouver le corps d'Eszter… Les grandes familles juives d'Europe (oui, l'affaire en est arrivé à mobiliser -un peu- l'ensemble des riches juifs d'Europe) promettent cinq mille florins (une somme formidable) à celui qui retrouvera le corps d'Eszter. Et on le retrouve ! Ce sont les flotteurs de bois qui la font surgir miraculeusement de l'eau ! Mais ! Non ! Ce n'est pas elle ! Ce n'est pas le corps de la petite Eszter ! Sa mère est formelle, sans même jeter un regard à la dépouille elle le sait ! Une mère sait cela ! Surtout le corps repêché dans les eaux boueuses de la Tisza n'a pas été égorgé. Ce n'est donc pas Eszter ! CQFD !

Alors commence en juin 1883, en pleine canicule, le procès le plus retentissant de l'époque et c'est à nouveau toute une cohorte de juifs s'arrachant les poils de la barbe, de bourgeois fondamentalement antisémites, de juges taciturnes, d'avocats belliqueux, de journalistes fiévreux qui viennent user leurs fonds de culotte sur les bancs du tribunal. La société décrite par Krúdy est formidablement bien rendue, l'enquête et le jugement (même s'ils sont racontés 50 ans plus tard) valent largement le récit de Capote et son Sang froid de légende, le procès est également à peu près aussi fou, fort, formidable que celui de Kafka. On nage en pleine fournaise, dans le halètement des hommes qui comme des bêtes appellent le sang. Vous l'avez compris, j'ai adoré ce livre. Il m'a totalement emporté. A la fois pour ce qu'il dit de la condition juive à l'époque (mais sans tomber non plus dans une démagogie débilitante, les juifs d'Eszlár sont sales, bêtes et méchants et ceux de Hongrie ne connaissent déjà plus la solidarité), les bourgeois sont pour la plupart antisémites par tradition comme ils sont nationalistes à un moment de l'histoire où la Hongrie est sous le joug autrichien… Le récit de Krúdy est incroyablement riche, coloré, parfois farfelu dans sa chronologie et ses choix narratifs, tendu vers la vérité, rendant hommage à l'intelligence et au courage de ceux qui ne crurent pas à l'histoire racontée, voulue, martelée par les autorités d'un crime rituel dont tout le monde s'accorde à accuser les Juifs.

Mais au final… qu'en est-il du corps d'Eszter Solymosi ? Et bien trouvez ce livre, lisez-le, dévorez-le et vous saurez peut-être un bout de la vérité, en tout cas vous apprendrez que :

Ce monde est la maison des êtres sans nom, où chacun doit travailler, jour après jour, pour conserver sa place dans l'existence.


N.B. : j'ai bien conscience que ce roman de Krúdy est très particulier au sein de sa production littéraire, écrit tardivement alors qu'il avait besoin d'argent, il n'est sans doute pas très représentatif de son Art, il n'en reste pas moins un roman dans lequel on retrouve les préoccupations et la construction/circonvolutions de l'auteur, un roman qui me donne furieusement envie de découvrir toute l'œuvre de Krúdy !


mots-clés : #antisemitisme #communautejuive #social
par shanidar
le Lun 23 Jan - 16:57
 
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Sujet: Gyula Krúdy
Réponses: 9
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Bernard Malamud

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 Commis10

Le commis

Histoire : La famille Bober  de confession Juive tient une épicerie qui périclite. Il semble que le destin s’acharne contre eux (à cause d’erreurs de choix, de malchance…) et voilà qu’un jeune délinquant, Frank,  vient y porter  ses  soucis. Quelle cohabitation espérer entre eux ? entre des Juifs et un goy ?  Il s’avèrera que Frank s’acharnera à sauver la famille, à évoluer, à se racheter mais arrivera-t-il à convaincre et se découvrira t-il ?  

On ne peut pas s’appeler Morris Bober et être riche. Un nom pareil est inconciliable avec la notion de propriété ; comme si c’était dans votre sang et votre histoire de n’avoir rien. Et si, par miracle, il vous arrive de gagner quelque chose, ce ne peut être que pour le reperdre. Finalement à soixante ans, vous vous retrouvez plus pauvre qu’à trente. C’était, pensa Helen, une forme de talent.

Cette phrase m’a interpelée et j’ai cherché ce que pouvait signifier « bober » puisque ce mot paraissait négatif. L’une des significations : se tromper  (ce qui ma foi prend du sens dans ce cas) autre sens : castor (bobr en Tchèque) construction, destruction par les éléments ?

Spoiler:


Frank :

Quel genre d’homme fallait-il être  pour s’enterrer du matin au soir dans ce cercueil géant sans jamais sortir pour respirer une bouffée d’air, à part pour acheter un journal Yiddish ? C’est bien simple , il fallait être juif. Ils sont nés prisonniers.

Les arrangements de Morris avec la religion juive suite aux remarques de Frank

Personne ne pourra dire que je ne suis pas un bon juif parce que, si j’ai une petite faim, je grignote de temps en temps un bout de jambon. Par contre, je n’aurai qu’à me taire si on peut me reprocher  d’avoir failli à la Loi qui commande de faire ce que l’on doit, d’être bon et honnête vis-à-vis de son prochain. C’est ce qui compte : la vie est trop dure sans qu’on aille encore faire du mal. Nous ne sommes pas des animaux c’est pourquoi nous avons besoin de la Loi. Voilà ce en quoi les juifs croient.

Morris Bober :

Malgré la bise de mars la température n’était pas désagréable, mais où était le temps où il s’attendrissait sur la nature ? Qu’ avait-elle donné en échange au pauvre Juif ? Le vent le poussait aux épaules ; il se laissa aller inerte, sans volonté, sans poids, victime offerte à tous les coups du sort : vent, angoisses, dettes, Karp, hold up, faillite. Il n’avait plus la force de parler.

Amer, acculé et envieux malgré tout alors que le magasin de son voisin brûle :

Cet incendie qui aurait pu le sauver, lui Morris, c’était Karp qui l’avait eu et gratuitement par-dessus le marché. La chance ne sourit qu’aux riches.

Frank :

C’est drôle, se dit-il, pour les Juifs la souffrance est une pièce de tissu ; ils s’en drapent comme dans un vêtement. Et d’où sortent tous ces gens qui sont venus pour l’enterrement et que personne ne connaît ?

Helen à propos de Frank  qu’elle aimait mais qu’elle a rejeté  quand quelque peu enivré et amoureux  a tenté de la forcer :

Je l’ai méprisé pour le mal qu’il a fait sans chercher à comprendre ses raisons, sans vouloir reconnaître qu’il peut y avoir une limite au mal et un commencement au bien.


Rêve de Frank :

St-François s’arrêta devant l’épicerie, plongea la main dans la poubelle, en sortit une rose en bois sculpté qu’il lança en l’air et elle se transforma en une vraie fleur. L’ ayant attrapée au vol, il s’inclina et la remit à Helen qui venait de sortir de la maison en lui disant : « Petite sœur voici votre petite sœur la rose. » Et Helen l’accepta des mains de Saint-François bien qu’elle exprima l’amour et les meilleurs vœux de Frank Alpine.

Peut-être est-ce une critique de l’auteur sur le regard que les Juifs (de NY  et du quartier dans ce cas) portent sur les autres, les Goys, des étrangers  avec lesquels ils ne peuvent s’unir, et  ce sentiment qu’ ils exploitent de se draper de leurs souffrances, de se plaindre oubliant leur responsabilité.  
Cependant les arrangements de Morris avec la religion et les désirs d’Helen  montrent également une intelligence à l’adaptation devant une situation difficile. Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’une famille pauvre et le sentiment d’ échec, les sacrifices  sont les mêmes que ceux de tous les pauvres du monde. Frank, sur les conseils d’Helen, lit mais c’est de la lecture de la Bible que naîtra son désir de se convertir à la religion Juive. Une façon pour l'auteur de rappeler son attachement à sa judéité. Frank apprécie la vie de Saint-François d’Assise et on peut dire qu’il l’inspire, car il donnera plus qui lui a été donné. Sa conversion ouvre un espoir, sur le futur et l’amour. Et pour tous la lutte du Bien contre le Mal inhérent à l'Homme

C'était donc une lecture d'émotions et pour avoir lu précédemment une nouvelle de l'auteur (la culotte de cheval) celle-ci confirme le salut dans le don, voire le sacrifice et la difficulté à vivre, à s'accomplir.


mots-clés : #religion #communautejuive
par Bédoulène
le Mar 17 Jan - 15:47
 
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Sujet: Bernard Malamud
Réponses: 46
Vues: 3278

Chaïm Potok

J'ai lu aussi bien L'élu que La promesse, et j'ai beaucoup aimé. On peut choisir de voir les «murs infranchissables». Cette réalité est transposable à beaucoup de couches des réalités sociales... Pensons à nos «classes» encore existantes avec leurs clivages, ou les débats politiques, même à l'intérieur d'une partie. Nous attendrions à juste titre autre chose des formes de la foi. Mais néanmoins c'est à mettre en balance avec le fait qu'il y a du bon, du mauvais là comme ailleurs. Donc aussi des tensions, des désirs de vérité etc...Néanmoins se dessinent dans L'Elu déjà une proposition de surmonter les clivages qui est plus qu'intéressante. Dans la figure des deux garçons qui deviennent amis, nous découvrons que le respect et l'amitié à la base, on arrivera à communique un peu mieux. De là je ne voudrais pas parler d'infranchissables. La promesse reprend les deux personnages du premier livre:

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 41np5j10

La promesse

Original : The promise (Anglais, 1969)
Traduction : Nicole Tisserand

CONTENU :

Reuven/Ruben Malter vit à Brooklyn et fait des études en vue de devenir Rabbin. Au début de l'histoire nous le trouvons proche, voir amoureux, de Rachel. Il est en conflit avec les interprétations strictes surtout d'un professeur, et se demande jusqu'à quel point il faut rester soi-même et fidèle à ses vérités, ou s'il faut se retenir pour pouvoir terminer les études. Son vieil ami Danny Saunders a abandonné la vie prévue dans la tradition familiale hassidique et étudie avec beaucoup de succès la psychologie. Chacun, à sa façon, va entrer en contact avec le jeune malheureux et déboussolé cousin de Rachel, Michael. Reuven le prend pour un tour en bateau, le fait parler un peu pour la première fois. Il l'introduira chez Danny pour que celui puisse l'aider après quelques thérapies échouées.

(Source : Amazon.com : ma traduction et raccourcissement)

STRUCTURE :

Une introduction et un épilogue cadrent trois « livres » avec 4,8 et puis encore une fois 4 chapitres. En eux on trouver parfois des paragraphes structurantes.

REMARQUES :

A nouveau on rencontre alors Reuven Malters et Danny Saunders dont on a fait connaissance dans le livre L'élu (The chosen). Maintenant, quelques années ont passé et nous nous retrouvons à peu près vers l'an 1950 : l'arrivée des réfugiés juifs, survivants de la Shoah, l'ère de McCarthy et le conflit naissant en Corée sont discrètement dans l'arrière-fond historique. Tout d'abord on trouve le narrateur Reuven en contact avec Rachel et son cousin Michael. Dans une situation remarquablement racontée, lors d'un jeu de fortune au cours d'une foire, la tension monte et on trouve le jeune cousin perdant le contrôle de soi-même. Reuven va s'occuper dans la suite un peu de lui, il arrivera à le faire parler un peu. Puis, pour une aide plus professionnelle, il va mettre la famille en lien avec Danny, son ami, en train de devenir un psychologue remarquable. L'un et l'autre seront (ré-)unis dans le souci pour le garçon.

Dans l'autre grande partie du roman, Reuven est au milieu des études talmudiques poussées pour se préparer à l'ordination comme Rabbin. Venant avec son père adorable d'un milieu ouvert, l'affrontation avec un professeur très stricte devient un vrai défi. Celui-ci, Rabbi Kalmann, venu de l'Europe comme survivant de la Shoah pousse Reuven vers des questions : Est-ce qu'il faut se taire en vue d'obtenir un résultat nécessaire finale ? Est-ce qu'il y a de la place pour des nouvelles approches dans l'interprétation des écritures saintes ?

À nouveau, ce roman joue aussi quasi uniquement à l'intérieur d'un milieu juif. Cela influence tout le contenu et peut pourrait paraître réducteur ou petit. Mais qui sait transposer des exemples ne retrouvera pas ici seulement des informations intéressantes, voire passionnantes sur le judaïsme et ses divers courants, mais au-delà trouvera des problèmes fondamentaux à tellement de groupes, voir religions, différents : Quelle énergie est gaspillée si souvent dans des combats de tranchées ! Quand est-ce que la fidélité à une parole (une loi) devient infidélité à un esprit ? Où le respect de la tradition, d'une règle devient rétrécissant, exagéré ? Quand est-ce qu'une Loi (ici la Torah et son interprétation) mène vers des situations absurdes, vers une réligiosité qui détruit ? Et d'autre part : quand est-ce qu'une critique, une mise en question des fondements, même justifiées, mènent vers le non-sens et le grand vide, où rien ne reste ? Comment dois-je faire des choix, prendre une décision ?

Très finement Potok écrit des relations entre parents et enfants, spécialement père et fils. Dans ces relations nous vivons dans l'attirance, le respect, l'amour ET le refus, voir la haine. À nouveau, il s'agit d'un livre admirable. Pour celui qui avait aimé L'élu, ce livre devrait plaire aussi. Pour moi, c'est un univers fascinant. Certaines choses semblent si lointaines, mais c'est au lecteur, de faire connaissance de ce monde et de transposer éventuellement certaines réalités dans sa façon de voir. Quelques scènes me semblent de signification profondément universelle !J'ai lu en langue originale anglaise, donc je ne peux pas me prononcer sur la traduction française…


mots-clés : #religion #famille #communautejuive
par tom léo
le Sam 14 Jan - 22:55
 
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Sujet: Chaïm Potok
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Chaïm Potok

Je me souviens très bien du sentiment de déception que j'avais éprouvé à la lecture de L'Elu qui semble pourtant être très apprécié.

L'Elu

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 Potok10

un livre extrêmement intéressant sur le fond et terriblement décevant sur la forme. Un livre passionnant pour ce qu'il dit du judaïsme, des milieux orthodoxes, des frontières insurmontables au sein d'une même communauté, d'une même religion, la quasi haine qui découle de deux formes de pensées opposées et si ce n'est de la haine au moins de l'incompréhension et une certaine envie de condamner. Tous ces sentiments, très forts, qui s'affrontent (entre hassidisme et sionisme) forment un ensemble très cohérent et passionnant. Hélas, triple hélas, le style répétitif, lassant, redondant, rend la lecture ânonnante, fatigante et un peu buissonnière. Quel dommage !


mots-clés : #religion #communautejuive
par shanidar
le Sam 14 Jan - 17:49
 
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Sujet: Chaïm Potok
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Mario Levi

Istanbul était un conte

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L'éditeur a écrit:
   Istanbul était un conte. Saga familiale, livre-fleuve, déambulation intime et roman-monde, Istanbul était un conte est tout cela à la fois. Issu d'une famille juive séfarade arrivée à Istanbul au moment de la Reconquista, l'écrivain plonge dans la mémoire de sa ville natale comme s'il ouvrait une malle aux trésors. Les objets, les tableaux et les photographies sépia s'animent, et c'est la vie quotidienne de trois générations de Juifs stambouliotes au cours du XXe siècle qui prend forme. II faut accepter de se perdre dans les ruelles étroites de la ville, sur les rives du Bosphore et dans les méandres des histoires familiales : au gré des errances du narrateur, dévoilant à travers mille récits et anecdotes les secrets de chacun de ses quarante-sept personnages (qu'il inventorie dans un lexique en début d'ouvrage), le charme agit. Istanbul est un conte, comme le sont les aventures, réelles ou rêvées, de ses habitants. D'une histoire à l'autre, se dessine le portrait d'une ville-monde, mais aussi son évolution vers la modernité. La ville cosmopolite et accueillante pour les communautés étrangères change au fil des ans, tandis que retentissent jusque dans le coeur des foyers les tragédies du siècle. Puissamment nostalgique, le livre de Mario Levi tente, et ce n'est pas son moindre attrait, de sauver un monde englouti, un monde de commerçants parlant encore le yiddish et le ladino, un monde où cohabitaient toutes les traditions et toutes les religions. Istanbul était un conte est le chant d'amour de l'écrivain à sa ville, en même temps qu'une formidable invitation au voyage.


Du début de cette lecture, j’ai pensé à un collier.. chaque personnage de ce livre est une part de cette chaîne et parfois on ne les rencontre qu’une fois.. parfois ils reviennent.. mais il y a toujours un lien entre eux.

D’ailleurs le livre s’ouvre sur 47 petits paragraphes qui décrivent différents personnages qui vont faire leur apparition au cours du livre. Je conseille de les laisser de côté jusqu’à la fin.. au début, on n’arrive pas à stocker toutes ces informations et on les oublie aussi vite qu’on les lit.. mais à partir du moment qu’on est dans le livre et qu’on a lu plusieurs pages sur le destin de telle et telle personne, on arrive à comprendre le ‘concentré’ que Mario Levi donne au début.

Après ces petites esquisses sur les personnages figurant dans le livre, il y a une page avec Des contes et des souvenirs.. et c’est en effet cela..

Il est conteur qui puise dans tous ces souvenirs de multiples personnages pour faire le portrait d’une ville, mais plus que cela, il donne de la vie aux murs.. des voix aux maisons et de la magie au fleuve..

Enchantée et enthousiasmée j’étais par cette lecture.

(commentaire récupéré)


mots-clés : #historique #communautejuive
par topocl
le Dim 18 Déc - 16:44
 
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Sujet: Mario Levi
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Philip Roth

L'un de mes préférés : malin drôle, intelligent. du Philp Roth, quoi, c'est :

Opération Shylock une confession

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Puisque Philip Roth ne vient plus à nous, j'ai décidé de revenir à Philip Roth. Et j'ai retrouvé avec jubilation ce roman brillantissime, drôlissime, intelligentissime :

«Le roman  fournit à celui qui l’invente un mensonge par lequel il exprime son indicible vérité.»


Phillip Roth sait que l’humour , « cette force antitragique qui dédramatise les autres » est l’une des meilleures façons d’aborder les sujets graves. Il sait qu’interroger l’homme, c’est interroger le monde, et vice versa. Et ne pas forcément donner de réponses. Il sait qu'une fois que le doute  est semé, l'incertitude règne. Et que de l’incertitude au chaos il n'y a qu'un pas. Dans tous ses romans, il a semé et trafiqué des éléments de sa biographie, et on ne sait jamais s'il est lui-même ou ses personnages (et vice versa). Rédigé à la première personne, Opération Shylock, une confession est un des sommets de cette autobiographie déguisée au long cours. Ce roman est un piège sans fin, complètement implanté dans la réalité du siècle (on croise Aharon Apelfeld et Woody Allen), à la fois incroyable et totalement crédible, où Philip Roth, non content de se mettre en scène, se paye le luxe de s'inventer un double. Il pose ainsi la question de sa propre identité, de sa place dans le monde, du rôle de l'écrivain. 

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 H10

Pour prolonger cette idée de dualité, il situe son action en Israël, ce pays revendiqué par deux peuples, qui lui aussi, cherche son identité et sa place dans le monde. Ce pays qui, comme l’auteur,  ne sait plus qui il est. Ce pays, aussi,  où rôde la police politique qui oblige à jouer des rôles. Et où  se tient le procès de Demjanjuk, un Américain moyen, bon époux et bon père, accusé d'être Ivan le terrible, l’ancien tortionnaire nazi. Là encore, double identité, vérité ou mensonge ? Et le narrateur croise des fanatiques de tous bords, chacun hurlant son propre délire, son propre désespoir, sa propre vérité, l’unique, la seule :

«Je dis la vérité et tu ne me crois pas, je te raconte des  mensonges, et là, tu me crois.»


Voilà, ce sont les fils directeurs, les grandes pistes, mais il y a de multiples ramifications, un époustouflant maillage de l’histoire et de l’Histoire, les doubles sont partout, camouflés ou révélés. Jusqu’à l’épilogue, qui est une dernière entourloupe au sein de laquelle on découvre encore pas mal de fausses pistes et chausses-trappes.
C'est un chassé-croisé d'une loufoquerie incroyable, qui raconte avec une faconde jouissive (parfois logorrhéique, je vous l'accorde) la souffrance du peuple juif dans l'histoire, mais aussi dans notre monde actuel, (où son identité est désormais double, en Israël et en diaspora). Et aussi la souffrance des Palestiniens : Philip Roth , une fois de plus, n'a pas du se faire que des amis parmi ses coreligionnaires.

Sa grande force, c'est l'autodérision, un recul fondamental par rapport à lui-même. Dans cet absurde chaos mental, dans cette fiction ubuesque, de rebondissement en rebondissement, il affirme et répète que toute certitude a disparu : rien n'est sûr, rien n'est vrai. C'est le paradoxe du narrateur, pris dans un épouvantable imbroglio , manipulé par l’auteur, manipulant en retour celui-ci qui n’est autre que lui-même.  Entre canular et conte philosophique, Philipp Roth nous emmène en compagnie de personnages qui n'ont que leur désarroi et le rire pour accompagner leur recherche désespérée d’un sens, d’une justification qui leur permettrait d'oublier – enfin - leur culpabilité, entre bonne et mauvaise conscience. C’est un magistral roman autobiographique où l’auteur se cherche et se construit, en tant qu’homme, en tant que Juif, en tant qu’écrivain. Et un hymne à la puissance du Verbe :

«L'alphabet est  la seule chose capable de me protéger ; c’est cela que l'on m'a donné en guise de revolver»


Entre canular et conte philosophique, Philip Roth nous emmène en compagnie de personnages qui n'ont que leur désarroi et le rire pour accompagner leur recherche désespérée d’un sens, d’une justification qui leur permettrait d'oublier – enfin - leur culpabilité, entre bonne et mauvaise conscience . C’est une magistrale autobiographie où l’auteur se cherche et se construit, en tant qu’homme, en tant que Juif, en tant qu’écrivain. Et un hymne à la puissance du Verbe.

(commentaire récupéré)


mots-clés : #humour #communautejuive
par topocl
le Dim 18 Déc - 11:02
 
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Sujet: Philip Roth
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Israel Joshua Singer

La famille Karnovski

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C'est à l'aube du XXe siècle que David Karnovski quitte l'obscurantisme de son shetl polonais pour rejoindre les lumières de la Haskala à Berlin. Il s'y épanouit au contact de brillants intellectuels éclairés alors que son épouse s'étiole loin de sa famille et de la chaleur du pays natal. Leur fils Georg après avoir participé aux combats de la Grande Guerre, s'intègre brillamment, devient un médecin éminent et épouse une goy. Leur fils Jegor va subir dans la souffrance sa double culture, en même temps qu'on assiste à la montée du nazisme et des discriminations. Ils émigrent aux États-Unis dans les années 30 où ils vont peiner à s'intégrer, entre l'hostilité du pays et la difficulté à s'identifier aux juifs américains.

C'est surtout à l'étude passionnante et pleine de nuances de la  communauté juive européenne et américaine dans toutes ses diversités, que s'attache IJ Singer. Car cette identité commune n'est  pas à tout coup  source d'alliance, mais aussi de mépris et de jalousies : orthodoxes ou assimilés, croyants ou convertis, riches ou  pauvres, intellectuels ou bons-vivants, installés de longue date en Allemagne ou originaires de l'Est, toutes ces disparités contribuent à compliquer les relations.

IJ Singer s'attache aussi à disséquer les relations filiales, l'émancipation des plus jeunes se heurtant aux valeurs chèrement acquises par les générations précédentes.

On se laisse bien embarquer par cette belle saga familiale, même si elle s'essouffle un peu lors de son arrivée en Amérique.


mots-clés : #communautejuive #famille #immigration
par topocl
le Sam 17 Déc - 18:05
 
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Bernard Malamud

L'homme de Kiev

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Comme on dit au cinéma aujourd'hui, ce livre est tiré de faits réels. En 1923, après la découverte du cadavre d'un jeune garçon chrétien de 12 ans, un pauvre juif est accusé  de meurtre rituel. C'est le parfait bouc émissaire, et malgré l'absence de  preuves, il est incarcéré, dans des conditions de plus en plus dramatiques, coupé du monde, traité avec une arrogance et une cruauté infamantes... Il reste cependant droit jusqu'au bout, frisant la folie mais clamant son innocence jusqu'au bout, en refusant d'accuser la communauté juive comme on le lui propose contre une remise de peine. Affaibli, avili, il n'en continue pas moins à chercher son propre chemin. Terrible sujet que cet enfermement kafkaïen dans les geôles atrocement antisémites de Nicolas II. Bernard Malamud mêle désespoir face à l'inhumaine humanité et espoir en l'homme, même écrasé par l'adversité, seul contre tous. Il mène un récit prenant, d'une tension croissante, que j'aurais voulu par moments moins bavard.


mots-clés : #antisémitisme #captivite #communautejuive #segregation
par topocl
le Jeu 15 Déc - 11:38
 
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Philip Roth

Défenseur de la foi suivie de L'habit ne fait pas le moine

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Le sergent Marx, de retour d'Europe en 1945, est affecté dans une compagnie d'instruction où il a sous ses ordres un jeune soldat juif, Sheldon Grossbart. À sa demande, Marx intervient pour que les juifs de la Compagnie puissent se rendre à la synagogue le vendredi soir. Peu à peu, il se rend compte que le jeune soldat le manipule... Dans la banlieue de New York, un jeune garçon en première année de «high school» se lie d'amitié avec deux fils d'immigrants italiens, Albie Pelagutti et Duke Scarpa, promis à un brillant avenir de gangsters. Quinze ans plus tard, il se souvient... Deux nouvelles pétillantes d'intelligence et d'humour qui démontent les rapports ambigus de la société américaine et du monde juif.  

Deux nouvelles savoureuses, au style pourtant très différent. La première possède un style assez soutenu, très rythmé avec des dialogues présentes et qui apportent une dynamique intéressante, car c'est par ceux-ci que l'histoire évolue, ce qui permet de comparer cette nouvelle à un pièce de théâtre, même si la structure demeure romancée. Au début je me suis demandé ce qui m'intéressait car ce contexte de l'armée est très américain, très connoté culturellement, mais les personnages sont si complexes, et ambivalents, le style est si plaisant qu'on est transportés dans le récit et qu'on se sent spectateur de l'histoire.

La deuxième nouvelle possède une organisation plus classique, avec un style laconique, nostalgique, ce sont les descriptions qui prévalent et l'intensité des pensées du personnage principal. J'ai beaucoup aimé cette nouvelle également. Pour la richesse des détails, la méticulosité de chaque mot et de chaque personnalité. C'est précis on ressent un travail minutieux pour chaque phrase et cela fait du bien. Un très bon moment de lecture et je conseille ces deux nouvelles comme introduction à l'oeuvre de Roth, c'est court et assez représentatif il me semble de son style.



mots-clés : #nouvelle #communautejuive
par Hanta
le Jeu 8 Déc - 22:56
 
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Sholem Aleikhem

Guitel Pourishkevitch et autres héros dépités

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Ouvrage recueillant plusieurs nouvelles. Deux premières puis une plus importante qui comprend elle-même trois chapitres. La première narre le combat d'une maman qui ne veut pas laisser son fils rejoindre l'armée et partir en guerre. La seconde, raconte les péripéties d'un homme à qui tout réussit mais à qui une seule femme résiste. La dernière nouvelle est la somme de trois témoignages fictifs de veuves confrontées à la solitude.
Des personnages juifs, dont la tradition et le folklore ponctuent le récit, des personnages baignant dans l'univers linguistique yiddish si cher à l'auteur, auteur lui-même qui ne serait que le messager de ces quelques acteurs au parcours sinueux et difficile. Récits existentialistes, questionnant la place au sein des hommes et au milieu du monde, ou finalement à la marge de ce monde qui marche sur la tête. C'est toute l'absurdité et la vacuité des situations difficiles à surmonter qui nous sont décrites avec un humour triste, une véhémence à demie résignée, et une révolte sonnant déjà la capitulation. On sourit, on est gênés de sourire. On est émus, on se demande pourquoi, mais l'on ne peut être indifférents à ces récits qui sont pourtant légers dans le style, et lourds dans le message.
Ce n'est pas son meilleur ouvrage mais c'est une bonne introduction à son oeuvre pour se faire une idée de sa façon d'écrire et de l'ambiance qui y règne. je conseille donc.


mots-clés : #communautejuive #nouvelle
par Hanta
le Mar 6 Déc - 23:12
 
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Howard Jacobson

Kalooki nights

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Je connaissais un dénommé Otto Kahn, qui était très riche et qui donnait beaucoup d'argent au Metropolitan Opera à une époque. Il était très ami avec Marshall P. Wilder, qui était bossu. Alors qu'ils descendaient la Cinquième Avenue, ils sont arrivés devant une synagogue, et Kahn s'est tourné vers Wilder et lui a dit : « Tu sais, avant j'étais juif. - Ah bon ? a répondu Wilder. Et moi avant j'étais bossu. »



Si vous aimez cette blague juive qui figure en exergue, vous adorerez Kalooki nights
Ce livre raconte le cheminement d’un Juif anglais né dans une famille qui se veut assimilée, mais est loin d’avoir réglé tous ses comptes avec la tradition qu’elle a reçue en héritage. Un garçon devenu dessinateur humoristique , qui cherche à « contenir le monde dans la case d'une BD »….avec son envie de tout comprendre, analyser et décortiquer : comment être juif au XXIème siècle, rejeter une religion-carcan, une histoire stigmatisante, mais sans trahir, comment aimer les siens à la folie, mais entrer dans le monde des non-juifs, et bien sûr des shiksas blondes, comment décharger de ses épaules la Shoah sans courir le danger de l’oublier, comment vivre l'antisémitisme larvé ou assumé des goys  sans reconstituer le ghetto…

Quand je vous le raconte c‘est sans doute assez rasoir mais quand c‘est Howard Jacobson, c’est d’une drôlerie désespérée plutôt ébouriffante. C’est dévorant d’humour, brillantissime d’intelligence, de remise en question sans fin, de paradoxes, d’enculage de mouche stimulant. Ce livre est une quintessence de l’esprit et de l’humour juif , du Woody Allen à la puissance Philippe Roth, avec tout ce que cela sous-entend d’autodérision , de contradictions innombrables, ce mélange d’humilité et d’arrogance, d’archaïsme et d ‘ouverture, cette capacité à poser et reposer les questions en biaisant et tournant en rond, sans jamais trouver une solution, de pleurer et rire tout à la fois sur son sort. Quant aux personnages,  dont chacun saura surprendre au fil du roman par ses côtés noirs et ses coups de génie,  ils sont tout à la fois touchants et déchirants dans leur capacité à interroger eux-mêmes et le monde, entre doute et certitude.

Sous la plume du Sunday Telegraph, le 4e de couverture annonce : « Déchaîné, polémique, hilarant, sacré, déicide, déchirant… ». J'ajouterai : pathétique, interpelant, iconoclaste, désopilant. En un mot : jubilatoire


Rendons à César ce qui lui appartient : nous sommes un peuple qui se mortifie, se dégoûte et se martyrise, mais nous n'aurions pas pu y arriver sans une aide extérieure.


(commentaire rapatrié)


mots-clés : #humour #communautejuive
par topocl
le Mar 6 Déc - 16:59
 
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Ivan Jablonka

Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus - Une enquête

Tag communautejuive sur Des Choses à lire - Page 3 C1010

Tout est dans le détail.

Par son travail obsessionnel mais passionnant de fourmi déterminée, Jablonka accumule les faits, donne sens aux détails les plus insignifiants, pour recréer  l'histoire d'une décennie, à travers un homme et une femme qui l'ont traversé valeureusement et en ont été honteusement éliminés. Dans le fin maillage de ce tissu informatif persistent des failles, déchirante pour le petit-fils qu'il est, mais qui créent autant d'ouvertures pour l'historien qu'il est devenu, à écrire des biographies subjectives ancrées dans le réel.

Pendant plusieurs années, Ivan Jablonka, enfant gentiment laissé à l'écart du drame de ses grands-parents communistes polonais juifs émigrés à Paris, abominablement assassinés comme des millions d’autres au camp d’Auschwitz II Birkenau, devenu historien « pour réparer le monde », a compilé les indices, témoignages, récits, archives qui lui permettent ici de reconstituer au mieux l’histoire de Matès et Idesa, ses grands-parents.

Matès est né au shetl de Parczew de parents juifs religieux dans une fratrie de 5 enfants, qui, tous, rejettent le joug d'une religion qui les étouffe et embrassent la cause communiste, dans l'idée de construire un monde meilleur, quitte à perdre leur liberté et leur vie. Lui et son épouse Idesa, emprisonnés, persécutés, fuient la Pologne et arrivent en 1936 à Paris, sans argent, sans amis, sans papiers. L'accueil est basée sur la tracasserie administrative, le rejet et les menaces d'expulsion. Tout ceci n'est qu'un avant-goût qui va trouver son apogée dans l'antisémitisme avoué et glorifié qui mènera dès la victoire allemande vers les rafles et les camps d’ extermination.

Ivan Jablonka ne laisse rien au hasard. Il compulse les récits des survivants et de leurs descendants, les lieux d'archives, les ouvrages historiques ou littéraires pour réunir une documentation qui traque la moindre trace objective ou émotionnelle que ses grands-parents ont pu laisser, et qui permettrait d'écrire leur histoire, de connaître leur vie. Il confronte cette multiplicité de pistes, de traces, à celles laissées par d'innombrables autres juifs polonais qu'ils ont croisés le temps d'une minute ou de plusieurs mois, à celles de frères et sœurs exilés à Bakou ou en Argentine, à celles d'autres, connus ou anonymes, qui pour une raison ou une autre, eurent un destin similaire.

Il réunit une impressionnante somme de documentation qu’il nous restitue avec une précision quasi obsessionnelle et dont le maillage serré laisse subsister bien sûr des zones d'ombre et d'interrogations. Dans ces trous du récit, Jablonka insinue des hypothèses, mais toujours étayées sur des faits, non pas des délires fictionnels mais des options possibles qu’il prend soin de toujours signaler - on sait toujours parfaitement si on est dans un élément irréfutable ou des péripéties possibles, voire probables. Et ce maillage même, n’est que l'image de celui, machiavéliquement constitué par l'autorité policière ou politique pour mieux traquer et condamner les deux émigrés. L'auteur, par cette accumulation de détails, par son attachement à la moindre précision véridique, qu’un non historien aurait considérée comme non signifiante, reste le plus souvent dans une objectivité non compassionnelle, mais d'autant plus efficace, et c'est sur ce fond quasi professionnel que certaines pages, jamais pathétiques, prennent une ampleur d'une beauté bouleversante, une émotion d'autant plus marquante qu’elle est totalement maîtrisée..

Après Les disparus de Mendelssohn  et Une histoire familiale de la peur d’Agata Tuszynska, voici un nouveau récit familial où l'histoire de la recherche,  le caractère tout à fait fascinant des personnages (ces grands-parents qui, ayant voulu créer un monde meilleur, finirent leur vie dans un enfer que nul n'aurait su imaginer), la tragédie aussi intime qu'universelle qu'ils connaissent, s'entrecroisent pour amener Ivan Jablonka, homme courageux quoique découragé, à construire un récit de bout en bout passionnant, offert à ses 2 filles qu’il conduit à l'école maternelle dans le quartier-même où Matès et Idesa se cachèrent plusieurs mois avec leurs 2 enfants. Au-delà de leurs destins individuels, il brosse un portrait tragique du XXe siècle et du sort que celui-ci réserva à des hommes et des femmes à qui l'idéologie arracha leurs amours, leurs enfants et leur vie.

Histoire intime, histoire collective s'entremêlent étroitement, et la quête du détail, le souci d'objectivité rigoureuse ne sont que le terreau qui fertilise ce travail de mémoire dont émerge une émotion d'autant plus forte qu’elle est maîtrisée.



(commentaire rapatrié)


mots-clés : #biographie #communautejuive #deuxiemeguerre #documentaire #famille
par topocl
le Mar 6 Déc - 16:51
 
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Sujet: Ivan Jablonka
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Oser Warszawski

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La grande fauchaison (2ème livre de la trilogie)

Le récit se déroule dans un bourg Polonais sous l’occupation Russe et pendant la Grande Guerre, du départ des réservistes,  Polonais et Juifs, jusqu’à la débacle des armées Russes qui traversent le bourg de Gouranè.

Situation : « La Légion Pulawski aussi appelée 1ère Légion, a été crée en août 1914 à l'initiative du Grand duc Nicolas Nicolaïevitch, qui souhaitait une réunification de la Pologne sous le sceptre russe mais aussi rallier les polonais des territoires autrichiens et allemands pour combattre aux côtés du Tsar contre les troupes du Kaiser et de l'empereur d'Autriche. » (wikipedia)

Les caractères des habitants de ce bourg, qu’ils soient Juifs, Russes ou Polonais sont traduits sans aucune aménité. Les haines entre chrétiens et juifs, entre riches et pauvres sont vivaces tout au long du récit.
L’auteur nous montre des mendiants, des paysans, des commerçants, sur lesquels  on a du mal à s’apitoyer,  mais à regretter leur obscurantisme qu’entretient la religion.

Dans la naissance d’un enfant anormal que sa mère reconnait comme « l’enfant de la guerre » l’auteur montre certainement son aversion pour  la guerre.

Dès le départ des réservistes, les « bergers » le Rabbin et le Curé se sauvent par le train, la nuit, abandonnant leur « troupeau d'âmes ». Lesquelles âmes continuent à prodiguer « longue vie à lui » pour l’un, « béni soit-il » pour l’autre.

L’ambiance est délétère, il faut au chef de la police trouver les espions,  ce sont eux qui font perdre des batailles, car qui oserait penser que les soldats du Tsar sont mal vêtus, mal équipés…. ?
La débacle déverse dans les rues du bourg les armées défaites, les habitants effrayés courent se cacher  dans leur maison. La garde arrière, celle des Cosaques abandonne le bourg à l’ennemi.

Encore une fois j’ai trouvé une belle écriture imagée et poétique malgré le contexte.

Extraits

« Pan Ludwig, le négociant, brûlait d’une sainte colère contre Chaïé Weintraub, son voisin d’en face ; il ne se calmait jamais. Après son père, bénie soit sa mémoire, doté de champs et de forêts, de propriétés foncières innombrables, après ses aïeux, bénie soit leur mémoire, jusqu’ à la plus reculée et la plus obscure des générations, tous portaient cette haine de la famille maudite de Chaïé Weintraub. »

A propos de l’indic : « Au moment où l’on remua la terre, on trouva – outre des serpents gras et peut-être vénimeux – beaucoup de squelettes pourris d’hommes avec des croix rouillées à l’endroit du cou. Petits et grands coururent avec la peur au ventre et une curiosité à peine dissimulée voir les serpents et les hommes. Au heder, Graine de potence surpassa alors tous les bandits-à-cent-têtes de plusieurs dizaines de crânes. »

« Il n’y a pas de fin au nombre de tonneaux. La fosse se transforme en rivière qui déborde sur les pavés, s’écoule dans les caniveaux. Des hommes se jettent à plat ventre, tirent la langue pour lamper le précieux liquide. Paysans, Juifs, tous accourent avec des récipients. »

« Et ce don de Dieu est sa jalousie forcenée à l’égard de Moïshé-Yankev et de Zilberbauguer qu’il cultive depuis des années, depuis qu’ils sont devenus l’un premier et l’autre deuxième conseiller communautaire. Et chaque fois que s’allume en lui le brasier rouge de cette jalousie qui commence, pareille à un ver aveugle, à lui grignoter les entrailles, il verrouille ses portes, ouvre les armoires et commence à compter les liasses accumulées dans ses tiroirs. »

« Les voyant passer, se tenant par le bras, les femmes des réservistes rappelés et celles qui étaient debout derrière leurs tristes étals se les montraient du doigt et crachaient à leur passage. Les Grinberg passaient, chapeautés et dignes, faisant semblant de ne rien voir. »

« Hum, hum, c’est ce que disent tous les juifs – mais tu sais bien Heniek que personne ne te compte parmi eux… Monsieur le curé a même dit que…oui…on savait tous… que ton père était presque un chrétien, presque. C’est pour ça que tu n’es pas obligé de faire ce que tout le monde va faire ; imiter les Juifs, ces usuriers, ces traîtres de toujours ? Moi…moi je vais… »


(message rapatrié)
mots-clés : #communautejuive #premiereguerre
par Bédoulène
le Sam 3 Déc - 17:07
 
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Oser Warszawski

Oser Warszawski (1898-1944)

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Oser Warszawski (ou Oyzer Varshavski; Warszawski ), né le 15 avril 1898 à Sochaczew en Pologne et décédé 10 octobre 1944 au camp de concentration d'Auschwitz, est un écrivain et critique d'art juif de langue yiddish, qui vécut les dernières années de sa vie à Paris.

(source wikipedia)

Oeuvres traduites en français :

Les Contrebandiers : Page 1
On ne peut pas se plaindre ou Résidences : Page 1
La grande fauchaison : Page 1
L'uniforme : Page 1
L'arrière-Montparnasse; gouaches, aquarelles et dessins de l'auteur
Marc Chagall - le shtetl et le magicien

màj le 6/11/2017






Les contrebandiers (ce livre fait partie d’une trilogie mais peut-être facilement lu indépendamment car les personnages ne sont pas les mêmes)

Le récit se déroule au cours de la Première guerre mondiale dans une petite ville de Pologne où vit notamment une communauté Juive, leur quartier :  le » shtetl ».

Les Allemands occupent le pays et les gens modestes  vivent de plus en plus difficilement sous les astreintes et restrictions drastiques imposées. Comment s’en sortir ? A l’initiative de Pantl, charretier de métier, les hommes de la communauté décident de faire de la contrebande. Ils deviendront habiles, ingénieux  à tromper les postes de surveillance placés sur le chemin de Varsovie où ils vendent leurs produits (farine le plus souvent mais aussi viande, alcool..). C’est de nuit que les « voitures » se déplacent au rythme des sabots des chevaux, par tout temps.

Ces voyages pour être périlleux (notamment les cruels frères Gurtchisky véritables truands) n’en sont pas moins cocasses.  Pour passer plus facilement les hommes se font accompagner des «  shiskés » (prostituées non-juives) qui jouent de leurs charmes auprès des allemands et dont  les femmes légitimes  voient bien sur l’arrivée au shetetl  d’un mauvais œil.

Tous s’étaient réjouis du départ du précédent commandant allemand « Aman » (en réf. A Haman) :

« Le shtetl, un beau jour, souffla un peu. Les boulangers, les fabricants d’eau-de-vie, de savon, les marchands de cigarettes, les taverniers, les sans-travail et en outre toute la gamme possible des divers contrebandiers, tout le monde rendit grâce à l’Eternel à qui rien n’échappe, même pas le moindre vemisseau : la fin d’Haman était venue, et ce n’était pas trop tôt. »

Pelté revient de russie où il était le fournisseur du Tsar Nicolas II, il raconte les « petits bonshommes rouges avec des drapeaux, avec des banderoles rouges comme eux et criant : « liberté ! liberté ! »
De retour de chaque expédition les jeunes se délassent dans leur association la  » Bilbothèque » mais ces jeux et rencontres ne sont pas du goût des religieux et des notables qui interviennent auprès du district allemand pour fermer l’association, s’en suit une révolte de ces pauvres gens qui vont contraindre le rabbin à intervenir auprès des allemands pour la réouverture du lieu.

L’ambiance délétère rend difficile les rapports entre les « modestes » et les nantis.  Les contrôles se resserent,  la méfiance s’installe ; mais un évènement en Allemagne va bouleverser le quotidien du shtetl : l’abdication de Guillaume II. Les allemands quittent le village.

L’un des « shaïguets » Yanek, lequel a déjà fait son armée,  prend le contrôle de la situation, il récupère les armes des allemands  et les distribue. Puis sur la place du marché il déploye un drapeau portant le sigle « OMP ».

Le shtetl apprit plus tard que cela signifiait "Organisation militaire Polonaise ». Mais des rumeurs arrivent d’autres villages, bien peu réjouissantes ; qu’allait-il se passer ? Yanek  « commandant en chef » ordonne : Dispersion générale ! Rentrez chez-vous, etc.
Cependant un évènement vient les réjouir ; le mariage de Faïfké avec Raithl est source de joie dans le shtetl. De plus avec l’annonce des fiancailles d’un de ses fils Pantl clame que la contrebande, la vraie va commencer !

«  Vous entendez ? Moi, Pantl, j’vous dis comme ça : la contrebande, ça fait que commencer…La vraie contrebande…Parce que, jusqu’à maintenant, c’était seulement un truc pour les gosses…C’était pas sorcier de faire de la contrebande…Mais maintenant, les gars…
«  Vous entendez ? Moi, Pantl, j’vous dis comme ça : c’est maintenant qu’on la commence, la vraie contrebande, oui la vraie… »


Une bonne lecture qui relate le quotidien d’ un quartier juif en Pologne pendant la Grande Guerre,  l’obligation de débrouillardise pour ces gens démunis, des personnages frustres, violents  et naïfs à la fois. Ils utilisent un langage généreux en images et en insultes. Ils sont bouleversés par une chanson, une danse, le clinquant. Il faut noter aussi l’incompréhension entre les jeunes qui ne respectent plus les lieux du culte ni les cérémonies et les anciens toujours attachés aux traditions et que le passé retient. Le récit se déroule  sur deux lieux : à Varsovie dans un quartier précis où vendre les marchandises et dans le shtetl, cela renvoi à un univers fermé. Le reste du monde n’est représenté que par la présence des allemands et le retour de Russie de l’un d’eux et il n’est intéressant que s’il influe sur leur vie.

"message rapatrié"


mots-clés : #communautejuive #premiereguerre #traditions
par Bédoulène
le Sam 3 Déc - 17:03
 
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