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134 résultats trouvés pour guerre

Charles Lewinsky

Charles Lewinsky
Né en 1946

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Avt_ch12

Charles Lewinsky, né le 14 avril 1946 (72 ans) à Zurich, est un écrivain, dramaturge et metteur en scène. Il vit en Franche-Comté (France).

Il a étudié la littérature allemande et le théâtre. Dramaturge, scénariste et romancier, il a obtenu, pour son précédent roman Johannistag (2000), le prix de la Fondation Schiller. Melnitz, salué par la critique comme une prouesse littéraire, a été qualifié de Cent ans de solitude suisse.

Melnitz, c'est la saga des Meijer, une famille juive suisse, de 1871 à 1945 - de la guerre franco-prussienne à la fin de la deuxième guerre mondiale.


Publications

Melnitz, Grasset, 2008 (L'histoire d'une famille juive en Suisse de 1871 à 1939)
Un village sans histoire, Grasset, 2010
Un Juif tout à fait ordinaire. Monologue d'un règlement de comptes. Éditions du Tricorne, Genève, 2011.
Retour indésirable, Grasset, 2013



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Melnitz

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Melnit10

"Plus c’est absurde, plus ils s’en souviennent. Ils se souviennent qu’avant Pessah nous égorgeons des petits enfants et faisons cuire leur sang dans la pâte des "Matze". Cela n’est jamais arrivé, mais 500 ans plus tard, ils sont capables de raconter la scène comme s’ils l’avaient vue de leurs propres yeux. Comment nous avons attiré le petit garçon loin de ses parents en lui promettant des cadeaux ou bien du chocolat, bien longtemps avant l’existence du chocolat. Ils le savent dans les moindres détails."




Melnitz c'est une chronique de famille, une famille juive vivant en Suisse sur quatre générations de 1871 à 1945.

Ces dates ne sont jamais arbitraires. Elles correspondent à des faits historiques qui modifièrent la vie de chacun de ses membres.
Une famille qui, somme toute, ressemblerait à celle des autres citoyens du pays. Ambitions sociales, quête d'ascension logique pour les descendants.
Evidemment il y a les rites et coutumes juifs. Un héritage, des repères, des fêtes et des repas.
Pas de communautarisme. Au contraire. Aucun de ses membres n'est un fanatique religieux. Certains même vont jusqu'à renier cette tradition, cette religion, et embrasser le christianisme.
Et le succès d'abord semble donner raison aux plus ambitieux. Mais c' est sans  compter sans l'Histoire, les guerres, les bouleversements sociaux. A la fin, ils connaîtront tous le sort commun aux exclus. Et les juifs sont le symbole quasiment éternel de l' exclusion, des pogroms. Bref de l'antisémitisme dont ils sont les boucs émissaires.
Cette famille est ce qu'est tout famille. A cette exception près peut être, qu'on y trouve des personnalités extraordinaires et inoubliables. Et c'est un point fort de cette chronique.

Et Melnitz ?

C'est un inquiétant personnage, ce Melnitz, qui traîne derrière lui l'odeur et le froid du caveau. Mort depuis deux siècles au moins, il réapparaît dans la famille Meijer, à l'occasion d'un deuil, d'une bar-mitsva, d'une noce. Il entre sans s'annoncer, s'assied, écoute, et de temps à autre prend la parole pour un commentaire sarcastique. Ce qui le met en verve, c'est la confiance que les Meijer témoignent à leur pays - la si paisible Confédération helvétique -, à leurs voisins - tellement bien disposés à leur égard -, à leur propre réussite.

" Tu crois, dit-il à l'un de ces ingénus, qu' il ne peut plus rien t'arriver. Mais tu te trompes. Parfois, ils gardent le silence et nous pensons qu'ils nous ont oubliés. Crois-moi, ils ne nous oublient pas". Et de dérouler la pelote des persécutions depuis le jour lointain où lui- même, Melnitz, est né en Ukraine, d'une jeune juive violée par un cosaque."

Ainsi le définit Mona Ozouf. Melnitz raconte. Lui qui sait tout, rappelle à chacun qu' il est juif et qu' il subira éternellement la malédiction de son peuple. Comme le Juif errant.
Malheur à celui qui l'oublie !

A propos de son oeuvre, Lewinsky dit :

"Toutes les sagas juives pourraient avoir comme sous-titre "Le Chemin vers la tragédie". De ce point de vue, Melnitz n'est pas une saga juive, ne serait-ce que parce que la Suisse a été touchée mais pas dévastée par la Shoah. J'ai surtout écrit ce roman à l'intention des Suisses qui ne connaissent pas leurs voisins."




mots-clés : #antisémitisme #communautejuive #famille #guerre
par bix_229
le Jeu 29 Nov - 15:49
 
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Sujet: Charles Lewinsky
Réponses: 8
Vues: 643

Joseph Heller

Catch 22

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Catch_10

Histoire d'une escadrille d'aviateurs américains basée sur une petite île italienne pendant la Seconde Guerre mondiale, épopée burlesque dont le narrateur, le navigateur-bombardier Yossarian, tente essentiellement de sauver sa vie, cette visée égoïste n’étant finalement pas dépourvue de toute éthique.
« ‒ Ils essaient de me tuer, lui déclara calmement Yossarian.
‒ Personne n’essaie de te tuer, cria Clevinger.
‒ Alors pourquoi me tirent-ils dessus ? demanda Yossarian.
‒ Ils tirent sur tout le monde, riposta Clevinger. Ils essaient de tuer tout le monde.
‒ Et alors, qu’est-ce que ça change ? […]
…] Yossarian avait des preuves de ce qu’il avançait : des étrangers qu’il ne connaissait même pas le canardaient chaque fois qu’il s’élevait dans les airs pour les arroser de bombes, et ça n’était pas drôle du tout. »

« ‒ L’ennemi, rétorqua Yossarian en pesant ses mots, c’est quiconque t’envoie à la mort, de n’importe quel côté qu’il soit, colonel Cathcart inclus. »

Le titre signifie "Comprendre (l’Article) 22". Cet « Article » du règlement intérieur de la base aérienne stipule que « quiconque veut se faire dispenser de l’obligation d’aller au feu n’est pas réellement cinglé. » Sachant que seuls les malades, y compris mentaux, sont dispensés de missions aériennes s’ils en font la demande, on mesure tout ce qu’a d’inextricable cette aporie. C’est le cercle vicieux, le principe de "double contrainte", où deux injonctions s'opposant paradoxalement mènent à la schizoïdie. Pour faire bonne mesure, l’infirmerie est « fermée jusqu’à nouvel ordre », en prévision du « Grrrand Siège de Bologne »… D’autres situations existentielles semblablement paradoxales surgissent dans le récit.
« L’Article 22 dit qu’ils ont le droit de faire tout ce que nous ne pouvons pas les empêcher de faire. »

« L’Article 22 était une pure fiction, il en était certain, mais ça ne faisait pas la moindre différence. Le problème était que tout le monde croyait à son existence, ce qui était bien pire, car il n’y avait pas de texte susceptible d’être ridiculisé, réfuté, critiqué, attaqué, haï, injurié, maudit, déchiré, piétiné ou brûlé. »

Le roman tourne autour de la folie, celle de la société, mais aussi celle des combattants en état de choc, et celle que simulent les hommes pour la fuir ‒ le non-sens par le nonsense :
« Des hommes devenaient fous et recevaient des médailles en récompense. »

Cette satire n’est pas gratuite (qu’on songe au délire maccarthyste, évoqué dans le livre). L’armée est ici une vaste administration bureautique dont le fonctionnement absurde et vicieux broie les hommes. Ainsi, le quota de missions rempli, chaque membre de l’escadrille attend vainement son rapatriement jusqu’à ce que le quota soit augmenté, le renvoyant au combat. L’humour incessant élude mal le principal sentiment des militaires ‒ la peur de la mort inévitable ‒, et renforce le kafkaïen de la machinerie qui les écrase.
« "Les hommes râlent, le moral se détériore ; tout est de votre faute.
‒ Non, c’est de votre faute, riposta Yossarian. Vous n’aviez qu’à ne pas augmenter le nombre des missions.
‒ Permettez, répliqua le colonel Korn. C’est de votre faute, car c’est vous qui avez refusé de voler. Les hommes acceptaient tout à fait d’accomplir autant de missions que nous le demandions, tant qu’ils pensaient ne pas avoir d’alternative. »

Toute une escadrille de figures caractéristiques est décrite, en passant par Mudd, « l’homme mort dans la tente de Yossarian » (abattu en vol avant même d’être intégré dans le groupe), un « soldat inconnu » comme « le soldat en blanc », anonyme momie de plâtre à l’hôpital. Aventures amoureuses sensiblement rapportées, avec une belle Italienne, la femme du lieutenant Scheisskopf ("tête de merde", le passionné des concours de défilés…), l’infirmière Duckett.  
Voici un portrait exemplaire d’un des protagonistes, qui donne à évaluer le style :
« Tout le monde s’accordait à dire que Clevinger irait loin dans la carrière universitaire. En bref, il était de ces gens dotés d’une grande intelligence, mais dépourvus de jugeote – tout le monde le savait, sauf ceux qui n’allaient pas tarder à le découvrir.
En un mot, c’était un imbécile. Yossarian le comparait souvent à ces individus dont les portraits figurent dans les musées d’art moderne, avec les deux yeux d’un seul côté de la figure. Bien sûr, c’était une illusion, due à la tendance très nette de Clevinger à considérer uniquement un seul côté de chaque question et à laisser l’autre dans l’ombre. Politiquement, il était humanitariste, il savait distinguer la droite de la gauche et se trouvait toujours coincé entre les deux. Il prenait constamment la défense de ses amis communistes devant ses ennemis de droite, et celle de ses amis de droite devant ses ennemis communistes ; les deux groupes le détestaient cordialement et ne le défendaient jamais, parce qu’ils le considéraient comme un imbécile.
Mais c’était un imbécile très sérieux, très sincère et très consciencieux. Impossible d’aller au cinéma avec lui sans se faire entraîner dans une discussion sur l’empathie, Aristote, les Universaux, les messages et les devoirs du cinéma en tant que forme artistique dans une société matérialiste. Les filles qu’il invitait au théâtre devaient attendre le dernier entracte pour savoir si elles voyaient une bonne ou une mauvaise pièce – ce qui leur permettait de tomber immédiatement d’accord avec lui. C’était un idéaliste militant qui menait campagne contre le sectarisme racial en s’évanouissant devant ses adversaires. Il savait tout de la littérature, sauf y prendre plaisir. »

Le célèbre arbitraire égalitaire de l’armée :
« ‒ Popinjay, votre père est-il millionnaire ou membre du Sénat ?
‒ Non, sir.
‒ Tant mieux. Z’êtes dans la merde jusqu’au cou, Popinjay, et c’est pas fini. Au fait, il n’est pas non plus général ou haut fonctionnaire par hasard ?
‒ Non, sir.
‒ Tant mieux. Que fait votre père ?
‒ Il est mort, sir.
‒ De mieux en mieux. Vous êtes vraiment dans la mouise, Popinjay. »

La fameuse lettre type de l’administration, qui malgré sa polyvalence peut s’avérer inexacte (lorsqu’il s’agit d’une erreur ‒ administrative ‒ sur la personne) :
« "Chère Madame, Monsieur, Mademoiselle, ou Monsieur et Madame Daneeka, aucun mot ne saurait exprimer la profonde douleur que j’ai ressentie, quand votre mari, fils, père ou frère, a été tué, blessé ou porté disparu." »

Comment ça marche :
« Sans comprendre comment c’était arrivé, les hommes en service actif découvrirent qu’ils étaient à la merci des administratifs payés pour les aider. Ils étaient malmenés, insultés, harcelés, bousculés du matin au soir. Quand ils se fâchaient, le capitaine Black répliquait que des gens vraiment loyaux ne verraient pas d’inconvénient à signer tous les serments de fidélité qu’on exigeait d’eux. »

« "L’essentiel, c’est de pouvoir les faire signer sans arrêt, expliqua-t-il à ses amis. Peu importe qu’ils soient sincères ou non. C’est pour ça qu’on demande aux bambins de vouer allégeance au drapeau avant même de comprendre ce que signifie “vouer” et “allégeance”. »

Éblouissante démonstration de trading où « chacun a sa part » dans le syndicat grâce à son fondateur, Milo Minderbinder, l’officier de mess qui achète des œufs sept cents pièce et les revend cinq cents, l’allégorie du commerce planétaire : ce génie rentabilise la guerre au marché noir, réquisitionnant les avions pour faire tourner les marchandises, et va jusqu’à faire bombarder son propre groupe pour le compte de l’ennemi ‒ avec profit, ce qui l’absout :
« Milo secoua la tête avec lassitude et patience. "Les Allemands ne sont pas nos ennemis. Oh ! je sais bien ce que vous allez me répondre. Bien sûr, nous sommes en guerre avec eux. Mais les Allemands sont aussi d’honorables membres du syndicat, et c’est mon devoir de protéger leurs droits d’actionnaires. Peut-être ont-ils commencé cette guerre, peut-être sont-ils en train de tuer des millions de gens, mais n’empêche qu’ils payent leurs factures beaucoup plus rapidement que certains de nos alliés que je ne nommerai pas. Vous ne comprenez donc pas que je dois respecter le caractère sacré de mon contrat avec l’Allemagne ? Vous ne comprenez donc pas mon point de vue ?
‒ Non", répliqua sèchement Yossarian.
Milo fut blessé et ne fit aucun effort pour dissimuler sa peine. »

L’ouvrage n’est pas dénué de causticité, voire de cynisme :
« Un jour, il faudrait bien que quelqu’un fasse quelque chose. Chaque victime était coupable, chaque coupable une victime, mais un jour il faudrait que quelqu’un brise ce cercle vicieux d’habitudes héréditaires qui les détruisait tous. Dans certains pays d’Afrique, des marchands d’esclaves continuaient à voler des petits garçons pour les vendre à des hommes qui les éventraient et les mangeaient. Yossarian s’étonna que des enfants pussent supporter des sacrifices aussi barbares sans se plaindre ni hurler de terreur. Il y vit une preuve de stoïcisme. Autrement, se dit-il, cette coutume aurait disparu, car aucun être humain n’oserait sacrifier des enfants pour satisfaire sa soif de richesses ou d’immortalité. »

Le moteur qui régit toutes les actions des gradés semble annoncer le principe de Peter :
« ‒ Pourquoi veut-il être général ?
‒ Pourquoi ? Pour la raison qui me pousse à vouloir être colonel. Qu’avons-nous d’autre à faire ? Tout le monde nous enseigne à viser plus haut. Un général est plus haut placé qu’un colonel, et un colonel qu’un lieutenant-colonel. Nous essayons donc de monter en grade tous les deux. »

« Un colonel de plus dans son état-major lui permettait de commencer à réclamer deux majors supplémentaires, quatre capitaines supplémentaires, seize lieutenants supplémentaires et une quantité indéfinie de soldats supplémentaires, de machines à écrire, bureaux, classeurs, voitures et autres équipements et fournitures non négligeables, qui rehausseraient d’autant son prestige et augmenteraient la puissance de sa force de frappe dans la guerre qu’il [le général Peckem] avait déclarée au général Dreedle. »

Une recette stylistique récurrente de l’ouvrage, c’est celle de faire allusion à un épisode, mais de ne le narrer que plus tard. Comme il n’y a pas de temps mort, le lecteur est immergé dans un vaste tourbillon qui le ramène parfois dans le passé, quand le quota de missions à effectuer était moindre. Ces boucles induisent le ressenti d’un vortex fermé auquel les cadets n’échappent pas ‒ et expliquent pourquoi il est fait référence à un épisode avant qu’il soit relaté. C’est aussi la solution toute trouvée aux sensations de déjà-vu du pauvre aumônier. J’ai eu par moments l’impression d’une grande fraise qui entamerait un peu plus à chaque tour la réalité brute. Les répliques répétitives, les reprises de certaines scènes (comme Snowden blessé) participent du même procédé, qui progressivement se révèle particulièrement grinçant (surtout déployé sur environ 600 pages). Le tout forme un ensemble aussi original qu’efficace, une belle réussite.

Remarques :
Puisqu’il n’y a pas de note à son propos, je précise que l’Atabrine est un médicament préventif de la malaria dont la prise était obligatoire dans l'armée américaine (malgré ses effets secondaires) ; c’est la nivaquine, que l’armée française contraignait les soldats à consommer outremer, encore à la fin des années 70 (témoignage personnel).
Hungry Joe, qui hurle dans ses cauchemars de chaque nuit et aura une mort des plus hilarantes, m’a fait penser à G.I. Joe version verso.
Ce livre rappelle plusieurs séries ou films, qu’il a peut-être d’ailleurs inspiré, mais qui n’atteignent pas à sa complexe densité pour ceux que j’ai pu voir. Il n’y a pas que du loufoque dans le tragi-comique, mais aussi de l’horrible, comme la mort de Kid Sampson (et toujours de l’absurde).
Comme souvent avec un livre écrit dans une langue qu’on connaît un peu, j’ai deviné un peu de ce que je manquais à en lire une traduction, même bonne ‒ l’intraduisible, cet esprit spécifique qui infuse quand même.
Son antimilitarisme et l’approche baroque d’un sujet difficile mais personnellement vécu rappelle Abattoir 5 (Kurt Vonnegut).

« Nately prit immédiatement la mouche : "Il n’y a rien d’absurde à risquer sa vie pour son pays !
‒ Tiens donc ! Qu’est-ce qu’un pays ? Tout simplement un morceau de terre entouré de tous côtés par des frontières, artificielles en général. Les Anglais meurent pour l’Angleterre, les Américains meurent pour l’Amérique, les Allemands pour l’Allemagne et les Russes pour la Russie. Il y a maintenant cinquante ou soixante pays engagés dans cette guerre. Ces pays ne valent sûrement pas tous la peine qu’on meure pour eux.
‒ N’importe quelle raison de vivre, rétorqua dignement Nately, est aussi une raison de mourir.
‒ N’importe quelle raison de mourir, répondit le sacrilège, est aussi une excellente raison de vivre. »

« Dans un monde où le succès tenait lieu de vertu cardinale, il [l’aumônier] s’était résigné à l’échec. »

« La patrie était en danger, et Yossarian compromettait ses droits imprescriptibles à la liberté et à l’indépendance en ayant le culot de vouloir les exercer. »



Mots-clés : #absurde #deuxiemeguerre #guerre #humour
par Tristram
le Jeu 25 Oct - 0:49
 
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Sujet: Joseph Heller
Réponses: 3
Vues: 629

Jérôme Ferrari

A son image

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 A_son_12


Originale: Français, 2018

CONTENU :
Le point de départ est rapidemment raconté : Antonia a 38 ans, elle est photographe avec des expériences lors de la guerre en Ex-Yougoslavie. Après une dizaine d’années elle rencontre en Août 2003 à Calvi/Corse à nouveau Dragan, un soldat serbe, et prolonge son séjour court. Tôt le matin, fatigué, elle veit rentrer vers le Sud de l’île, chez ses parents, mais elle aura un accident mortel.

Das la forme d’un Requiem pour la morte des morceaux et images de la vie et du faire de la décédée viendront dans la tête du prêtre célébrant, son parrain. Et on se rappelle aussi du nationalisme corse, de la violence de guerres différentes et des relations au moins ambigues et multiples entre photographie, image, réalité et mort...

REMARQUES :
Ce nouveau roman de Ferrari est à nouveau à multiples couches et niveaux, agilement conçu. Mais derrière une apparente multitude de sujets et de lieux d’action on retrouve quelques fils conducteurs, quelques accents communs, liés entre eux d’une façon assez impressionnants.

Lieu et aussi cadre temporaire principaux de nombreux chapitres sont le jour de l’enterrement d’Antonia. Nous prenons en large partie la perspective du prêtre, son cousin et parrain de 17 ans plus âgé qu’elle. Il était depuis toujours proche d’Antonia, et ses pensées retournent à différents moments clés de la vie de sa cousine : comment elle recevait à travers lui sa première caméra, dirigeant à la suite sa vie comme d’abord journaliste locale, pis reporter de guerre en Bosnie. Y sont intercalés par exemple deux chpitres historiques sur des photographes de guerre du Xxème siècle, avec leurs questionnement autour de la reconstitution de la « vérité/réalité », un service imposé par les autorités ET aussi la mise à nu des violences, des absurdités qui resulte en accusation et refus. Et toujours, par rapport à la photographie, et au-délà, la question de la relation entre réalité et image, peut-être aussi : entre vie en mouvement et instant gelé (=mort), entre exigence et réalité.

Autre sujet fort du livre (on admire quand même le culot de Ferrari…) les relations complexes d’Antonia avec le nationalisme corse, montré dans ses contradictions, voir sa ridiculité...

Et mine de rien, en prenant le Réquiem comme guide extérieur de l’assemblage des chapitres, et les pensées du prêtre célébrant comme point de vue, nous approchons une autre vie complexe dans sa lutte avec l’absurdité, le non-sens de la mort innocente d’Antonia : face à la foi, il ne trouve pas de réponses, mais un immense lassitude. La description de la vie intérieure de ce prêtre est – à mon avis – encore un signe de la complexité des questionnements de Ferrari, et aussi d’une forme de « spiritualité » qu’il faudrait pas trop vite nommer et vouloir coincer dans des définitions. Très fort ! Dans ce contexte on pourrait peut-être comprendre le titre aussi comme un rappel discret à l’énoncé sur la création « à son image »…

Il est probablement impossible de rendre toute la complexité et richesse du roman dont je fus conquis ! Bravo !

mots-clés : #guerre #spiritualité
par tom léo
le Mar 23 Oct - 18:58
 
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Sujet: Jérôme Ferrari
Réponses: 13
Vues: 1264

Mathias Enard

La Perfection du tir

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 La_per10

La guerre civile banalisée, le « travail » de combattant du narrateur ‒ particulièrement sordide, parce qu’en tant que sniper il abat quotidiennement le maximum possible de civils du quartier d’à côté, une routine où il s’applique et excelle. Le pragmatisme de ce jeune narrateur n’empêche pas qu’il sombre dans un univers où seule la force fait loi.
On reconnaît le Liban, et j’ai encore fortement pensé à La confession négative de Richard Millet (2009). Son côté insensible m’a aussi rappelé L’Etranger, de Camus. Evidemment cette amoralité ne facilite pas les rapports humains lorsqu’il n’y a plus la distance de tir entre lui et ses semblables… Mais cette guerre à la petite semaine lui est cathartique (autant que peut l’être une fuite en avant), elle lui donne un statut social, un rempart, même précaire, contre le sentiment, elle canalise l’émotion, le rassérène… un temps. Ce qui est particulièrement dérangeant dans cette lecture, c’est qu’elle permet de percevoir comme la guerre "structure" les intervenants ainsi qu’une évidence (on pense surtout aux enfants soldats).
Le narrateur s’exprime en phrases courtes, scandées par son souffle et le déroulement de l’action, qui saisit le lecteur.
On notera qu’il n’y a aucune référence à quelque religion, ce qui confirmerait que la guerre (même dite de religion) s’en passe très bien…
« Une fois qu’on comprend que c’est la guerre, il faut s’organiser. »

« Lorsque nous sommes arrivés devant chez la tante, je lui ai dit d’attendre en bas et de ne monter que si je l’appelais. J’ai pris une arme, je l’ai mise en bandoulière et je suis monté. J’étais entièrement en treillis, pour les impressionner encore plus. Qu’ils voient bien que les combattants étaient la Loi, et qu’on les avait condamnés. Qu’ils avaient fait une grave erreur et que s’ils ne laissaient pas Myrna repartir ils auraient affaire à moi, à mon camarade et à la crosse de son fusil. J’avais préparé cent dollars pour eux afin qu’ils quittent la ville quelque temps. La carotte et le bâton, c’est comme ça qu’on convainc les faibles. »

« Elle s’est arrêtée de marcher et m’a regardé dans les yeux.
— Cette guerre ce sont les gens comme toi qui la fabriquent. »





mots-clés : #guerre #social
par Tristram
le Jeu 13 Sep - 10:43
 
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Sujet: Mathias Enard
Réponses: 94
Vues: 7560

Sebastian Barry

Des jours sans fin

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Cvt_de11

Thomas McNulty a fui la famine de son Irlande natale tout juste adolescent. Avec la terre nouvelle de l'Amérique, incarnation de son espoir de renouveau,   il va découvrir, en compagnie de John Cole, son "galant", un mode de vie qu'il va servir avec une constante loyauté -qui n'empêche pas les remises en question. Ce monde naissant, où il s'engage en tant que Tunique Bleue,  s'appuie sur la conquête de la frontière, l'extermination des bisons et des Indiens, mais aussi  la guerre de Sécession au nom de la liberté de tous. Au fil des années, des épreuves et des moments de bonheur, il cerne mieux cette Amérique, en perpétuelle évolution, ses combats ignobles ou généreux, ses habitants contrastés et ambivalents. il apprend aussi à se connaître lui-même, à prendre soin de la part féminine qui est en lui, qui ne l'empêche en aucun cas de se montrer "viril" au combat.

Thomas McNulty, dans sa naïveté, est un homme sensible et résolu, il raconte avec délicatesse les atermoiements de son âme, les interrogations de son esprit, les battements de son cœur, mais il se montre aussi, quand il est soumis à l'autorité,  dans une cruauté sans ambages, partie prenante  des massacres, des atrocités physiques et morales d'un monde en construction.

C'est un très beau western, avec ce que le western implique de nobles sentiments et de droiture. Mais il est aussi source de réflexion et plein de compassion. Contrairement aux westerns classiques, les femmes n'y sont pas que des potiches et il réfléchit sur l’identité sexuelle dans un monde pas vraiment ouvert sur ce sujet. Il ne réserve pas le beau rôle aux blancs, il dénonce implacablement la cruauté et le génocide. Il s'épanouit dans  la douceur et de la bienveillance de son personnage, plein de l'amour qui le lie à ses attachements, contraint par l'époque et le lieu à une vie de violence, qu'il s'efforce de décrypter.

Les soldats échangent quelques coups d'oeil. Personne aime voir les nombreuses armes étincelantes des Indiens. Des dagues, des pistolets. On a l'impression de rencontrer des bandits. Des types pas honnête. Leurs pères possédaient tout, et ils avaient jamais entendu parler de nous. Maintenant, cent mille Irlandais parcourent cette terre avec des Chinois qui fuient de cruels empereurs, des Hollandais et des Allemands, ainsi que des hommes de l'Est. Qui se déversent sur les chemins en hordes interminables. Chaque visage indien donne l'impression d'avoir été giflé. Plusieurs fois. Et ces têtes sombres nous observent  sous leurs mauvais chapeaux. Des vagabonds. Des hommes défaits. C'est ce que je pense.          

                                                                                                                                   

Je  suis une fois de plus extrêmement touchée par cet auteur, Sebastian Barry, sa pudeur mêlée de lyrisme, son amour de la nature et des hommes, de la part d'humanité qui est en eux, cachée derrière la violence, son respect pour la souffrance de chacun quel qu'il soit. Comment il arrive  à décrypter une certaine bonté derrière le déchaînement. Cet homme est miséricordieux, comme son héros, il parle "avec plus de chagrin que de colère". Il réussit le tour de force de  reconnaître sa valeur et sa dignité au plus obscur des personnages, se nourrissant des ambiguïtés et des ambivalences, sans pour autant pardonner l'impardonnable ou renoncer  à la dénonciation d'une extermination sauvage.

Merci Tom Léo Very Happy !                                    




mots-clés : #aventure #genocide #guerre #historique #identitesexuelle #immigration #xixesiecle
par topocl
le Mar 4 Sep - 14:46
 
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Sujet: Sebastian Barry
Réponses: 19
Vues: 1604

Kurt Vonnegut, jr

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 51nees10

Abattoir 5

Plus un conte éclaté qu'un roman de SF, baigné d'un humour désabusé. Quelque part aujourd'hui nous aurions l'idée d'une histoire terminée, un temps en quelque sorte figé. Claude Simon l'a dilaté, a dilaté le temps du souvenir qui habite le présent, Vonnegut l'étale, simultanéité du passé, du présent et d'un possible futur.

Ce qui se fait marquant à part que penser à La route des Flandres qui tient de l'épreuve en lisant ce livre "facile" c'est que leur point de départ est le traumatisme de la guerre. Billy Pilgrim (le pèlerin) fait office de bouffon malgré lui pour (re)traverser l'épreuve (autobiographique) de la guerre et du bombardement de Dresde. Malgré lui, comme ça vient, pour ce gars pas dégourdi mais pas méchant. Le même qui un peu de la même façon retrouvera une Amérique parfaite et une vie prospère qui ne saura pas l'intéresser. Les Trafalmadoriens sont plus intéressants ?

Amérique parfaite ou images qui habitent encore notre quotidien, il y a de quoi faire entre maison, argent et autres images d'une vie attendue, normalisée et gavée de morts et d'attitudes aveugles et préfabriquées.

C'est assez poignant et l'humour nécessaire ne fait que rendre l'ensemble plus touchant. C'est un beau bouquin pacifiste, un vrai qui parle de guerre et d'imagerie populaire, assez brut finalement dont l'apparente spontanéité ne fait pas oublier la difficulté et la peine du geste.

La tendresse pour ce bonhomme qui décroche, se sauve, n'est pas que pour lui même et ça fait du bien.

Encore mieux que pas déçu par ma lecture...

mots-clés : #autobiographie #autofiction #guerre #sciencefiction
par animal
le Dim 19 Aoû - 20:41
 
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Sujet: Kurt Vonnegut, jr
Réponses: 106
Vues: 6129

Sylvie Germain

A la table des hommes

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 S_germ10

Son obscure naissance au coeur d'une forêt en pleine guerre civile a fait de lui un enfant sauvage qui ne connaît rien des conduites humaines. S'il découvre peu à peu leur complexité, à commencer par celle du langage, il garde toujours en lui un lien intime et pénétrant avec la nature et l'espèce animale, dont une corneille qui l'accompagne depuis l'origine. A la table des hommes tient autant du fabuleux que du réalisme le plus contemporain. Comme Magnus, c'est un roman hanté par la violence prédatrice des hommes, et illuminé par la présence bienveillante d'un être qui échappe à toute assignation, et de ce fait à toute soumission.

Quatrième de couverture


Ma première lecture de Sylvie Germain a été Magnus que j'avais adoré et qui m'avait beaucoup émue.
Depuis, mes lectures de cet écrivain ont toujours été des "cadeaux": des lectures perturbantes, déstabilisantes mais dont je suis ressortie pleine de questions et d'envie de découvertes et surtout avec le désir de revenir vers cette narratrice...


Ce roman ne fait pas exception : je le place en parallèle de Magnus car il dénonce la folie des hommes et leur énergie destructrice.
C'est un conte, plein de rêves, et aussi plein de cruauté,  que vous n'arriverez pas à ancrer dans une période de l'Histoire, car il rappelle le passé comme le présent ...et sans doute décrit-il l'avenir.

La relation de l'homme à l'animal y est fortement évoquée et j'ai beaucoup aimé ces passages...Les corbeaux vénérés par les indiens le sont aussi par Sylvie Germain qui en fait le protecteur du personnage principal du livre - BAbel - et ce n'est pas si souvent que ces noirs oiseaux ont une place respectée.
L'acceptation des cultures différentes, des coutumes propres à chaque ethnie, jusqu'à la langue et l'usage des mots est au coeur de ce récit.

On ressort de ce livre, curieux des autres et de leurs richesses si on ne l'était pas avant. L'exclusion est une absurdité.



A lire ...


mots-clés : {#}contemporain{/#} {#}contemythe{/#} {#}guerre{/#} {#}initiatique{/#}
par Invité
le Jeu 9 Aoû - 18:26
 
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Sujet: Sylvie Germain
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Larry Brown

Sale boulot

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Sale-b10

Braiden est là, dans ce lit d’hôpital, sans bras ni jambes depuis la guerre du Viet-Nam il y a 22 ans. Il tient le coup grâce à ses rêveries qui le mènent en compagnie de ses ancêtres africains, ses bavardages avec Jésus, et l'aide complice d'une infirmière noire comme lui, qui le livre en bière et en canabis.
Il voit débarquer un jour Walter, un petit blanc élevé dans la misère, défiguré depuis la même guerre, en proie à de bizarres "crises", qui ne sait pas trop pourquoi il est là, et traîne avec lui une histoire d'amour mi-glauque mi-pure avec une jeune femme dont le corps a été défiguré par des morsures de chien.

Ils vont peu à peu s'apprivoiser, se confier jusqu'à un épilogue où tout s'explique plutôt tragiquement, et qui témoigne de la compassion qu'ils ont partagée.

C'est plutôt aigu dans la critique de la guerre : qu'est ce qui y a mené ces deux jeunes gars qui n'ont vraiment aucune raison de vouloir se battre pour une patrie qui n'a pas été tendre avec eux, et les conséquences dramatiques de cet engagement qui a gâché leur vie au-delà du descriptible. C'est présenté en courts chapitres où ils parlent alternativement, dans un style oral réaliste,  très frustre et inélégant, qui m'a beaucoup gênée.


mots-clés : #guerre #huisclos #mort #solitude
par topocl
le Jeu 9 Aoû - 18:13
 
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Robert Olen Butler

merci topocl ce sera une prochaine lecture, le livre est dans ma pal

#guerre du viet-nam en modération
par Bédoulène
le Dim 5 Aoû - 11:34
 
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Robert Olen Butler

L'appel du fleuve.
traduit par jean-Luc Piningre

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 51mbdk10

Cela aurait pu s'appeler aussi l'Appel de la guerre. Sur 5 générations, c'est une histoire du genre "Tu seras un homme mon fils!", mais ça ne marche pas.

Robert 70 ans est marié à Darna dans une relation toute de silences, de non dits, de  respect, de partage intellectuel, de courtes phrase qui se suffisent à elles-même. Pendant les quelques jours qui entourent la mort de son père, les vieux démons qu'il a ramenés de la guerre du Vietnam et gardés secrets au fil des décennies l'envahissent. Le grand-père a fait la Grande Guerre, le père a combattu Hitler. Lui a voulu gagner l'amour de son père (bel échec) en s'engageant, alors que son frère a fui au Canada, tranchant définitivement dans l'amour des siens. Ceux qui sont partis ont ramené des secrets terribles que leur femmes ont respectés, les soutenant chacune à sa manière. Un SDF  psychotique traîne par là, son père vétéran du Viet-Nam lui soufflant sa conduite dans son cerveau malade.

C'est donc un thème qu'on a déjà vu et revu, la guerre, le Vietnam, les traumatismes, les secrets, les enfants , les femmes, tout l’entourage qui en souffre.

J'ai assez aimé la façon de faire de Robert (tiens, il s'appelle Robert et je n'ai pas trouvé de biographie qui dise s'il a fait le Viet Nam) Olen Butler. D'abord j'aime bien les enterrements et tout ce qui tourne autour, en littérature du moins : c’est le moment de réunir tout le monde, de catalyser les sentiments, de dire les choses inavouées etc... Et là il s'en sort plutôt bien, c'est puissamment mené, sans débordements, dans cette réserve sentimentale qui semble affecter 'presque) tous les membres de la famille, cachant leur détresse derrière un mot, un geste, un silence.

Robert, cet homme vieillissant qui devient du jour au lendemain l’aîné de cette  famille déchirée, n’est pas la brute qu'ont pu donner les guerres aux générations précédentes; c'est un homme éduqué, intelligent, brillant même , attachant,  qui cache, tout enfoui,  un tout jeune garçon traumatisé et est autant déchiré par le traumatisme que par le secret. J'ai beaucoup aimé ce couple qu'il forme avec sa femme (et d'une façon générale la place des femmes dans ce roman), ce que l'amour est devenu en 50 ans, qui n'a plus besoin des mêmes enthousiasmes et artifices, qui trouve une certaine paix, laquelle peut sembler terne, mais cache en fait une énergie et une tendresse qui n'a même plus besoin de se dire.

Et puis, si au début les réminiscences et autres ramentevances m'ont un peu irritée, comme des flashbacks hollywoodiens, elles  se sont peu à peu mêlées au quotidien, aux espoirs, aux pensées, aux rêves, aux délires, elles ont pris leur place et tout le récit  fonctionne  sur cela, le passé, toujours présent, c'est assez prenant.



mots-clés : #amour #famille #guerre #mort #psychologique #relationenfantparent #vieillesse
par topocl
le Dim 5 Aoû - 11:05
 
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Sujet: Robert Olen Butler
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Jayne Anne Phillips

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Lark_e10

Lark et Termite

Quatrième de couverture.
Entre la Corée du Sud et la Virginie-Occidentale, quelques dizaines de milliers de kilomètres et neuf ans séparent les deux temps de ce roman à quatre voix. Au centre du récit : Lark, une adolescente rayonnante, qui s'est donné pour mission de protéger son demi-frère handicapé, Termite, à la sensibilité hors du commun. En écho, la voix du caporal Leavitt, le père de Termite, pris dans le chaos de la guerre de Corée. Au fil de leurs pensées surgissent et s'évaporent les mystères familiaux, marqués par les secrets des solitudes aliénées et l'amour de Lola, la mère défunte des deux enfants. Une polyphonie envoûtante sur les liens invisibles.



Si vous n'aimez pas les romans à quatre voix, ceux qui mêlent l'Histoire et les histoires, ceux qui parlent de l'Amérique des années 60, ceux qui parlent de familles éclatées, brisées mais cependant aimantes et pleine d'humanité, si vous n'avez aucune disposition pour les perceptions sensorielles que la science n'explique pas, alors passez votre chemin et vous aurez perdu une merveilleuse rencontre...

Mais si vous pensez au contraire que la vie n'est pas seulement ce que seuls les yeux perçoivent, alors ce livre vous comblera. Et l'amour partagé de Lark et Termite vous habitera longtemps.
La vie est parfois si terrible mais ce roman est plein d'une humanité si précieuse.

mots-clés : {#}famille{/#} {#}guerre{/#}
par Invité
le Dim 27 Mai - 11:41
 
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Justine Augier

De l'ardeur

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Proxy_54

Justine Augier s'attache au personnage de Razan Zaitouneh, avocate dissidente, élément clé de la résistance syrienne, qui a été enlevée avec trois "comparses"en décembre 2013, on ne sait pas par qui, même si on a des doutes, et dont on est sans nouvelles. C'est l'occasion d'un portrait de ce qui se passe en Syrie, la très large répartition des exactions entre pouvoir en place, activistes, et islamistes.

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Proxy_55

Justine Augier le dit elle-même, elle n'a jamais été en Syrie, mais elle s'attache à cette icône de la liberté, ayant elle-même travaillé dans l'humanitaire, partageant ses idées à défaut de ses actions.

Elle livre un récit  sans doute volontairement éclaté, sans chronologie vraie, prenant ses distances avec les faits. il ne faut donc pas compter sur ce livre pour satisfaire l'espoir d'y comprendre enfin quelque chose sur la situation en Syrie, qui est présupposée comme acquise .  Il ne faut pas non plus attendre un portrait psychologique fin, on y trouvera plutôt une Razan Zaitouneh reconstituée par Justine Augier. Mais là encore, frustration, si l'auteur s’implique tout au fil du récit, on ne comprend guère  ce lien qu'elle revendique. C'est surtout l'importance du témoignage, plus que l’œuvre littéraire en elle-même, le devoir de mémoire immédiate, qui pousse à terminer le livre.

Un peu foireux donc, fouillis (brouillon?), plein d'enseignement malgré ses lacunes c'était évidemment une bonne idée, même si cela reste inabouti,  d'attirer notre attention sur cette femme emportée par un devoir qui n'admet aucune concession et sur le drame humanitaire de la Syrie.

Mots-clés : #actualité #biographie #captivite #guerre #insurrection #regimeautoritaire #violence
par topocl
le Ven 25 Mai - 11:21
 
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Sujet: Justine Augier
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Ernesto Sábato

Alejandra

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 97820210


Le livre commence sur l'annonce d'un fait divers : l'assassinat par Alejandra de son père Fernando dans la chambre de la tour de la famille suivi du  suicide de la jeune femme par le feu puisqu'elle provoque un incendie. Le "rapport sur les aveugles" découvert dans les restes de la chambre peut-il expliquer ce drame, celui d'une grande famille de Buenos Aires ?

1ère partie : Martin le jeune homme amoureux d'Alejandra conte sa rencontre avec la jeune femme insaisissable, mystérieuse, laquelle dit avoir besoin de lui mais cèdera néanmoins avec réticence à l'amour physique.

2ème partie : le rapport sur les aveugles établi par le père d'Alejandra, Fernando, visiblement paranoïaque révèle sa peur obsessionnelle des aveugles, depuis l'enfance

3ème partie : la voix de Bruno ami de la famille qui en connait le passé et qui a aimé Georgina la femme de Fernando et à travers elle Alejandra.


Ce que j'ai trouvé intéressant  :  

- la partie du rapport sur les aveugles bien maîtrisé dans les hallucinations, les élucubrations, repoussant,  construit par  Fernando ;

-  la fuite des soldats qui accompagnent Lavalle, qui est en fond de l'histoire de la famille et de l'Histoire de l'Argentine ; cette suite qui scande le récit adroitement.

Je me suis un peu lassée des états d'âme du jeune homme, des sautes d'humeur d' Alejandra.


L'atmosphère du livre est trouble, dérangeante, par moment je ressentais le besoin de  "prendre l'air". La dernière page tournée je ne sais toujours pas pourquoi Alejandra a tué son père, pourquoi elle s'est suicidée par le feu (même si elle "voyait souvent un incendie" dans ses rêves) donc je suis frustrée.  Alejandra garde sa part d'ombres, de ses rapports avec ses parents nous ne savons pas grand chose, mais ils semblent également malaisés et maléfiques.

Il est vrai que le destin des membres de cette branche de la famille a subi les soubresauts de l'Histoire de l'Argentine, plus que toute autre et qu' ils sont tous "plus ou moins" atteint de folie.


c'était une bonne lecture tout de même et le lien avec le précédent Tunnel est visible.


mots-clés : #amour #criminalite #famille #guerre #historique #pathologie
par Bédoulène
le Jeu 17 Mai - 8:57
 
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Sujet: Ernesto Sábato
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Carsten Jensen

La première pierre

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Cvt_la10

Dans la Zone Noire, la panique vous envahira, et quand la plupart d'entre vous crieront qu'ils n'en peuvent plus, ils n'auront encore rien vu. Vous serez  sur le point de vous écrouler. C'est comme ça, c'est dur. Et quand vous aurez le goût du sang dans la bouche et que votre coeur cognera dans vos oreilles -, ce sera le signe que, maintenant, tout est sur le point de commencer.


Cela commence comme un classique (bon) roman de guerre, . Basés à à Camp Price, dans le désert d'Afghanistan, paysage aussi splendide qu'inhospitalier, les soldats danois de la troisième section sont gonflés à bloc, sûrs de leur probité. Ils traînent les histoires personnelles qui les ont amenés ici. ils s'ennuient souvent, sont envoyés en patrouille, se livrent à des attaques protégées par la force  aérienne. Il croient fraterniser avec la population. Ils sont convaincus de leur mission, même si parfois des loupés et des "dommages collatéraux"  génèrent des états d'âme.

Maintenant, c'est pour de vrai, pensent-t-ils. Et, plein d'espoir, ils cils comptent les battements de leur cœur.


Et puis, il y a l'ignoble trahison, et la troisième section pète un câble, se soustrait à l'autorité, est prête à tout pour livrer sa vengeance. Et là, il s'avère que la guerre, c'est beaucoup plus compliqué. Les ennemis sont complexes : ces humains qui ont vécu toute leur existence entière dans un pays en guerre, cruel et imprévisible. Ils défient toute compréhension avec leurs croyances, leurs divergences et leurs fidélités; les relations des populations locales avec les talibans, le rôle des chefs de guerre sont insaisissables pour l'observateur occidental naïf. Et s'en mêlent l'armée américaine, les soldats britanniques, les milices, les sociétés mercenaires, les renseignements danois, les technologies de pointe … Cela devient une sacrée débandade, une marche forcée obsessionnelle où il faut sauver sa peau coûte que coûte.

Et justement, cela coûte très cher. Il n'y a plus aucun repère, plus de bien ni de mal, plus de vrai ni de faux, plus de civilisation ni de barbarie, plus d'amis ou d'ennemis reconnaissables. Ils n'ont plus aucune certitude, le monde n'est plus que questions et danger.Ils n'ont d'autre option que d'avancer dans cette vertigineuse descente aux enfers, guidés par le radar de la survie, ballottés dans une cascade de choix de Sophie. On assiste à une effroyable escalade de la violence (Jensen ne lésine pas, il faut bien le savoir), de non-sens, une absolue perte de contrôle. La guerre n'est plus une stratégie sérieuse qui répond à des lois, c'est  une immense manipulation, un jeu vidéo géant,   dont nul ne connaît plus les limites.

- Tu as vu tous ces murs en Afghanistan ? - ce n'est pas une question, il continue : ils tiennent depuis deux mille ans et ils seront toujours debout dans deux mille ans. Nous nous vantons d'avoir inventé les armes avec lesquelles ils nous tirent dessus. Les mines, les mortiers, tout cela vient de chez nous. Les télécommandes qui permettent de déclencher les bombes à distance. Leurs communications par radio. Oui, nous sommes supérieurs par notre technologie et notre savoir. Nous le pensons, en tout cas. Mais ne serait-ce pas l'inverse ? Notre science ne serait-elle pas une preuve de notre bêtise ? Quel est le résultat de tous nos efforts, de toutes nos actions ? Un bouleversement climatique qui va nous emporter tous. Mais pas les Afghans. Ils survivent depuis 2deux mille ans. Ils survivront deux mille ans de plus. Le désert partout, des températures astronomiques, pas de pluie. Depuis longtemps ils ont appris à vivre avec. Dans le futur ils n'auront pas besoin de nos armes, de nos roquettes  ou de nos mines. Nous  nous trainerons comme des lépreux au pied de leurs murs et nous jetterons sur leur poubelle comme des chacals. À la fin, les Afghans seront vainqueurs.



Ce roman est terrible car il est parfaitement maîtrisé, contrôlé, s'appuyant sur  quarante ans d'expérience de l'auteur en Afghanistan. C'est un triller parfait sans relâche, sans temps mort, sans concession au politiquement correct, avec une écriture, dense, implacable, chirurgicale (âmes sensibles s'abstenir). Chaque personnage se déploie, dans l'enchevêtrement de ses contradictions, et je me suis curieusement  totalement  identifiée à ces personnages pourtant si différents de moi, aux aspirations et à la vie si étrangères à  la mienne qui voient s'écrouler leur monde fantasmatique au profit de la réalité de la guerre dans cette espèce de tourbillon de folie et de violence où les circonstances les entraînent. Ils sont médusés, annihilés. Ils n’abandonnent pas leurs illusions , ce sont leurs illusions qui les abandonnent. Il est ridicule de dire qu'ils ne rentreront pas indemnes : en fait ils ne rentreront pas, ils abandonneront derrière eux leur peau originelle. Ce monde est si terrible qu'il n'existe que peu de mots pour le décrire - cependant Carsten Jensen a réussi  à en faire ce roman  impitoyable dont on sort un peu dévasté par sa propre ignorance, son impuissance et le caractère dérisoire de ses propres petits problèmes.

(et on ajoute trahison  Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 1384701150 ?)

mots-clés : #aventure #culpabilité #guerre #psychologique #vengeance #violence
par topocl
le Ven 11 Mai - 19:51
 
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Sujet: Carsten Jensen
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Joude Jassouma

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Je-vie10

Je viens d'Alep

Joude Jassouma a grandi dans une famille où il n'était pas envisageable que les enfants fassent des d'études. Mais Joude rêvait d'un autre avenir ; avec une ténacité proprement incroyable, il est parvenu à mener de front des études d’électronique et littéraires, tout en tenant une petite boutique de réparation de magnétoscopes pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Amoureux de Saint-Exupéry, de Vercors ou de François Villon, il était près de toucher du doigt son rêve de devenir professeur de français à l’université lorsque la guerre en Syrie a éclaté.
La famille s’est alors trouvée obligée de déménager sans cesse, fuyant l’avancée des bombardements, chaque fois un peu plus démunie. Tous entassés dans quelques mètres carrés, rationnant eau et électricité, à la merci des bombes…  

Un jour, de sa fenêtre, Joude vit un chien jouer avec une tête fraîchement décapitée… Ce fut le déclic : vivre en Syrie n’était plus possible, et ce d’autant plus que sa situation était de plus en plus précaire. En effet, ayant refusé de s’inscrire au « service militaire supplémentaire » décrété par le régime pour les hommes de moins de 42 ans, il était considéré par celui-ci comme un déserteur. Mais il était tout aussi impensable pour lui de combattre auprès des forces d’opposition ayant désormais fait alliance avec les groupes islamistes...
Joude est d’abord parti en éclaireur, traversant illégalement la frontière avec la Turquie, bientôt rejoint par sa femme et leur bébé. Ensemble, ils ont décidé de tenter la  périlleuse traversée vers l'Europe, entassés à 40 dans un canot de 6 mètres, avec la mort constamment à l’esprit… Une fois  arrivés en Grèce, c’est le hasard (et surtout de belles rencontres) qui les ont conduits sur le chemin de la France, pays qu’ils n’imaginaient pas une seconde intégrer malgré leur amour pour sa littérature, tant les images de Calais et les rumeurs les avaient convaincus qu'ils seraient rejeté par une population tout entière. Mais l’accueil chaleureux reçu à Martigné–Ferchaud, en Bretagne, leur a heureusement montré un tout autre visage de notre pays.

Ce livre, écrit en collaboration avec la journaliste Françoise de Cambronne, est rédigé dans un style très simple, qui ne s’embarrasse pas de fioritures. On ne peut qu’être touché par l’évidente sincérité de cet homme déchiré et profondément nostalgique de sa ville d’Alep. Tout au long du livre, il évoque avec émotion les merveilles  aujourd'hui en ruine d’une ville qui fut parmi les plus belles d'Orient, et le souvenir de la cohabitation pacifique d'êtres humains de toutes les confessions. (à l’exception notable des juifs, déclarés ennemis publics par Hafez al-Assad)
Hélas, cette Alep-là, gangrenée par la guerre et l’islamisme, détruite par la folie des hommes, n’existe plus… Et le retour tant espéré semble bien illusoire.

Aujourd’hui, Joude sa femme poursuivent tous deux des études à l’université de Rennes, leur petite Zaine va à la crèche, et ils ont obtenu le statut de réfugiés. De quoi envisager un peu plus sereinement un avenir en France. On ne peut que leur souhaiter de tout cœur qu’il soit le meilleur possible.





Vous pouvez lire le premier chapitre de ce livre sur le site de l’éditeur : clic


mots-clés : #autobiographie #guerre #immigration
par Armor
le Dim 18 Mar - 23:37
 
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Sujet: Joude Jassouma
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Arundhati ROY

topocl, j'ai mis le temps, mais voilà mon avis...

Le ministère du bonheur suprême

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 61javi10
Au début, lorsqu’elle était venue s’y installer, elle avait enduré des mois de cruauté insouciante comme l’aurait fait un arbre, sans broncher. Elle ne se retournait pas pour voir quel mouflet lui avait jeté une pierre, ne se dévissait pas le cou pour lire les insultes gravées dans son écorce. Quand les gens l’invectivaient - clown sans cirque, reine sans palais - , elle laissait la blessure traverser ses branches comme une brise, et de la musique de ses feuilles bruissantes elle tirait un baume pour apaiser la douleur.


Ce livre commence comme un tourbillon qui vous happe et ne vous lâche plus. Inspiré, enlevé et foisonnant, le style de l’auteur, qui n’est pas sans rappeler un certain Salman Rushdie, multiplie les trouvailles. Les quelques 200 pages consacrées au personnage follement romanesque d’Anjum sont un enchantement. Dans ce roman parfois très cru sur la réalité indienne, Arundhati Roy semble avoir voulu laisser en partie de côté ce que le quotidien des hijras peut avoir de sordide pour créer une figure flamboyante, rebelle et insondable, agréant autour d’elle, dans le cimetière dont elle a fait son domaine, une petite communauté hétéroclite et attachante. Une sorte d’idéal bancal de syncrétisme et de tolérance. L’Inde (presque) rêvée d’Arundhati Roy ?

Mais le rêve n’a qu’un temps, et le reste du roman délaisse Anjum pour se consacrer à des pages autrement plus politiques, multipliant les allusions à l'actualité indienne qu'un lecteur un minimum averti sera probablement plus à même d'apprécier. Toutefois, cette seconde partie est surtout consacrée au conflit au Cachemire, qui perdure depuis 70 ans, avec des horreurs perpétrées de tous côtés, et au milieu, une population équilibriste qui jongle pour sa survie. Les personnages de Tilo, Naga et Musa, sont là pour nous rappeler toute l’âpreté de cette existence en sursis.
Malheureusement, si Arundhati Roy retrouve régulièrement sa verve et son talent dans des pages particulièrement poignantes, celles-ci sont noyées dans de longues digressions qui saturent le lecteur. L'auteur a voulu mettre dans son roman toute la démesure et la folie d’une situation bouchée, mais aussi les doutes et les indignations de la militante qu’elle est depuis tant d’années, perdant parfois de vue qu’elle n’écrivait pas un nouvel essai... Inévitablement, ses héros en pâtissent, et font souvent figure d’alibis. J’aurais dû trembler pour eux, j’aurais voulu trembler pour eux, mais pour cela, il aurait fallu pouvoir s’attacher…

Arundhati Roy semble avoir eu pour projet d'écrire une sorte de roman total sur l'Inde, ou plutôt sur « son » Inde. Le pari n’est qu’en partie réussi. Une fois passé un premier tiers enchanteur dont la grâce n’est jamais revenue, le récit se fait quelque peu poussif. A vouloir absolument multiplier les péripéties pour évoquer tous les grands maux de l’Inde contemporaine, l’auteur s’est parfois perdue. Pourtant, quelque chose m’a retenue, malgré tout. Car c’est là un roman peu banal, qui agace, qui remue, qui veut crier au monde ce que l’Inde tient tant à cacher, qui émeut dans sa volonté farouche de rétablir l’humain dans les espaces où il est nié.
Je regrette évidemment le livre extraordinaire qu’Arundhati Roy aurait pu écrire si tout avait été à l’avenant du premier tiers, si les quelques fulgurances de la partie cachemirie n’avaient pas été engluées dans tant de redites... Mais rien que pour son début magnifique, ce roman vaut la peine. Rien que pour le style et l’évidente sincérité d’un auteur sans concession, il vaut la peine. Rien que pour la lutte obstinée contre la haine et l'obscurantisme, il vaut la peine. Et si le bonheur semble chaque jour plus illusoire, ce n’est pas une raison pour ne pas essayer d’y croire... un peu.

Il n’y avait pas de guide touristique à sa disposition pour lui expliquer qu’au Cachemire les cauchemars étaient volages. Infidèles à leurs propriétaires, ils s’invitaient dans les rêves des autres pour y folâtrer en toute impudeur. Des génies de l’embuscade qu’aucune fortification, aucune clôture ne pouvait tenir à distance. Au Cachemire, la seule chose à faire avec eux, c’était de les étreindre comme de vieux amis et de les manoeuvrer comme de vieux ennemis. Elle allait apprendre, bien sûr, bientôt.



mots-clés : #amitié #guerre #identitesexuelle #politique
par Armor
le Dim 11 Mar - 23:50
 
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Sujet: Arundhati ROY
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Emmanuel Carrère

Limonov

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Limono10

Biographie d’un personnage peu sympathique, surtout fasciné par la célébrité, envieux, narcissique, amoral, une sorte de quintessence de loser qui "réussit" ; il m’a paru déplaisant, même si on pense ou fait référence à Henry Miller, Bukowski ou Lou Reed. C’est un petit prolo, voyou, zonard, paumé et patriote, doublé d’une sorte de fier aventurier bourré d’énergie et prenant des risques à l’instinct pour échapper « à la misère et à l’anonymat. » (IV, 3) Il classe froidement les gens (y compris les femmes) ; l’échelle des valeurs va du misérable (qu’on méprise d’autant plus qu’on l’est soi-même) au succès social.

« Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends sur ce point mon jugement. » (Prologue, 4)


Cynique au pays des cyniques, Édouard Limonov est un brun-rouge, c'est-à-dire qu’il va du côté des forts, que ce soit la dictature fasciste ou le totalitarisme rouge. Il est devenu un va-t-en-guerre fasciné par l’héroïsme guerrier, en route pour rejoindre l’Histoire, et fonder le parti national-bolchevique (ou la rencontre des deux extrêmes, la contre-culture des parias) :

« Qui, des deux [Limonov et Douguine], a trouvé le nom du Parti national-bolchevik ? Plus tard, quand ils se sépareront, chacun le revendiquera. Encore plus tard, quand ils essayeront de devenir respectables, chacun en rejettera l’idée sur l’autre. En attendant, ils en sont enchantés tous les deux. Ils sont enchantés du titre qu’Édouard, nul ne le conteste, a trouvé pour leur futur journal : Limonka, la grenade. Pas celle qui se mange, bien sûr : celle qui explose. Ils sont enchantés, enfin, du drapeau qu’a dessiné sur une table de cuisine un peintre de leurs amis doux comme un agneau, spécialisé dans les paysages d’Ombrie et de Toscane. Ce drapeau, un cercle blanc sur fond rouge, évoque le drapeau nazi, sauf qu’en noir dans le cercle blanc, au lieu de la croix gammée, il y a la faucille et le marteau. » (VII, 3)


Un zek rescapé du Goulag comme Soljenitsyne ne mérite que mépris selon notre provocateur. À son sujet, on aimerait pouvoir croire Carrère lorsqu’il écrit :

« …] dès l’instant où un homme a le courage de la dire, personne ne peut plus rien contre la vérité. Peu de livres ont eu un tel retentissement, dans leur pays et dans le monde entier. Aucun, hormis dix ans plus tard L’Archipel du Goulag, n’a à ce point, et réellement, changé le cours de l’histoire. » (I, huit)


La vie de Limonov, beau spécimen d’adaptabilité, passe par toutes sortes d’expériences et de péripéties aux USA, en France et bien sûr en Eurasie, sans manquer la case "prison" (puis le bagne), où il trouve sa place, intégré comme chef de gang (son parti politique) et reconnaissant ses pairs les bandits, déployant enfin une certaine empathie, et s’accomplissant par la méditation.
Autrement, ce livre vaut, de mon point de vue, pour l’éclairage qu’il porte sur l’Histoire récente de l’Europe de l’Est, sur le choc de la disparation du parti communiste soviétique et de l’ouverture subséquente au marché (des oligarques). Aperçus du (des) peuple(s) laminé(s) par Staline :

« Ils [les démocrates] menaient un combat perdu d’avance dans un pays où l’on se soucie peu des libertés formelles pourvu que chacun ait le droit de s’enrichir. » (Prologue, 1)

« …] ça ne les empêchera pas de voter pour le parti au pouvoir parce qu’en Russie on vote, quand on a le droit de voter, pour le parti au pouvoir : c’est comme ça. » (VII, 6)

« Il est loin de chez lui, c’est la règle plutôt que l’exception en Union soviétique : déportations, exils, transferts massifs de populations, on ne cesse de déplacer les gens, les chances sont presque nulles de vivre et de mourir là où on est né. » (I, 1)

« Zapoï, c’est rester plusieurs jours sans dessoûler, errer d’un lieu à l’autre, monter dans des trains sans savoir où ils vont, confier ses secrets les plus intimes à des rencontres de hasard, oublier tout ce qu’on a dit et fait : une sorte de voyage. […]
…] ils ont dépassé les pentes ascendante et descendante typiques de la première journée d’ivresse, atteint cette plénitude sombre et têtue qui permet au zapoï de prendre son rythme de croisière. » (I, 4)


Aussi d’intéressantes réflexions sur le totalitarisme :

« Le privilège que saint Thomas d'Aquin déniait à Dieu, faire que n'ait pas eu lieu ce qui a eu lieu, le pouvoir soviétique se l'est arrogé, et ce n'est pas à Georges Orwell mais à un compagnon de Lénine, Piatakov, qu'on doit cette phrase extraordinaire : "Un vrai bolchevik, si le Parti l'exige, est prêt à croire que le noir est blanc et le blanc noir."
Le totalitarisme, que sur ce point décisif l'Union soviétique a poussé beaucoup plus loin que l'Allemagne national-socialiste, consiste, là où les gens voient noir, à leur dire que c'est blanc et à les obliger, non seulement à le répéter mais, à la longue, à le croire bel et bien. C'est de cet aspect-là que l'expérience soviétique tire cette qualité fantastique, à la fois monstrueuse et monstrueusement comique, que met en lumière toute la littérature souterraine, du Nous autres de Zamiatine aux Hauteurs béantes de Zinoviev en passant par Tchevengour de Platonov. C'est cet aspect-là qui fascine tous les écrivains capables, comme Philip K. Dick, comme Martin Amis ou comme moi, d'absorber des bibliothèques entières sur ce qui est arrivé à l'humanité en Russie au siècle dernier, et que résume ainsi un de mes préférés parmi les historiens, Martin Malia : "Le socialisme intégral n'est pas une attaque contre des abus spécifiques du capitalisme mais contre la réalité. C'est une tentative pour abroger le monde réel, tentative condamnée à long terme mais qui sur une certaine période réussit à créer un monde surréel défini par ce paradoxe : l'inefficacité, la pénurie et la violence y sont présentées comme le souverain bien."
L'abrogation du réel passe par celle de la mémoire. La collectivisation des terres et les millions de koulaks tués ou déportés, la famine organisée par Staline en Ukraine, les purges des années trente et les millions encore de tués ou de déportés de façon purement arbitraire : tout cela ne s'était jamais passé." » (IV, 4)


Pour faire bonne mesure, regard porté sur les fascistes :

« Douguine, sans complexe, se déclare fasciste, mais c’est un fasciste comme Édouard n’en a jamais rencontré. Ce qu’il connaissait sous cette enseigne, c’était soit des dandys parisiens qui, ayant un peu lu Drieu La Rochelle, trouvaient qu’être fasciste c’est chic et décadent, soit des brutes comme leur hôte du banquet, le général Prokhanov, dont il faut vraiment se forcer pour suivre la conversation, faite de paranoïa et de blagues antisémites. Il ignorait qu’entre petits cons poseurs et gros cons porcins il existe une troisième obédience, une variété de fascistes dont j’ai dans ma jeunesse connu quelques exemplaires : les fascistes intellectuels, garçons en général fiévreux, blafards, mal dans leur peau, réellement cultivés, fréquentant avec leurs gros cartables de petites librairies ésotéristes et développant des théories fumeuses sur les Templiers, l’Eurasie ou les Rose-Croix. Souvent, ils finissent par se convertir à l’islam. » (VII, 3)


Mais revenons à notre séduisant héros, avant que finalement l’auteur fasse un parallèle entre son destin avec celui de Poutine (mais qui, lui, a réussi) ‒ ce qui n’aide pas à le rendre fort sympathique :

« Est-ce qu’il ne vaut pas mieux mourir vivant que vivre mort ? » (I, 6)

« Édouard lui avoue un jour qu’il n’est pas certain d’en être capable [tuer un homme]. "Mais si, dit Porphyre, rassurant. Une fois au pied du mur, tu le feras comme tout le monde, ne t’inquiète pas." » (III, 2)

« Tuer un homme au corps-à-corps, dans sa philosophie, je pense que c’est comme se faire enculer : un truc à essayer au moins une fois. » (VII, 7)

« Écrire n’avait jamais été pour lui un but en soi mais le seul moyen à sa portée d’atteindre son vrai but, devenir riche et célèbre, surtout célèbre [… » (IV, 3)


D’une manière générale, je trouve que cette tendance contemporaine à se pencher sur la biographie de personnalités dérangeantes (et je pense à Javier Cercas et Juan Gabriel Vásquez, actuellement débattus sur le forum), cette mise en lumière discutable et déplaisante au premier abord, est en fait justifiée et même utile, dans la mesure où elle amorce la compréhension de l’autre, évite les jugements hâtifs, les discriminations et l’ostracisme. Il est judicieux d’étudier ce qui est masqué sous l’étiquette "infréquentable", de s’interroger sur ce qui est politiquement incorrect, de sortir de sa zone de confort pour avoir un regard plus ouvert.
Voici un (long) extrait sur ce questionnement et cette remise en question, ainsi que sur les tentatives de simplification par "camps" et autres qualificatifs ‒ où d’ailleurs l’auteur ne se présente pas à son avantage :

« Rétrospectivement, je me demande pourquoi je me suis privé d'un truc aussi romanesque et valorisant [la visite "organisée" de Sarajevo assiégée]. Un peu par trouille : j'y serais sans doute allé si je n'avais appris, au moment où on me le proposait, que Jean Hatzfeld venait d'être amputé d'une jambe après avoir reçu là-bas une rafale de kalachnikov. Mais je ne veux pas m'accabler : c'était aussi par circonspection. Je me méfiais, je me méfie toujours des unions sacrées ‒ même réduites au petit cercle qui m'entoure. Autant je me crois sincèrement incapable de violence gratuite, autant je m'imagine volontiers, peut-être trop, les raisons ou concours de circonstances qui auraient pu en d'autres temps me pousser vers la collaboration, le stalinisme ou la révolution culturelle. J'ai peut-être trop tendance aussi à me demander si, parmi les valeurs qui vont de soi dans mon milieu, celles que les gens de mon époque, de mon pays, de ma classe sociale, croient indépassables, éternelles et universelles, il ne s'en trouverait pas qui paraîtront un jour grotesques, scandaleuses ou tout simplement erronées. Quand des gens peu recommandables comme Limonov ou ses pareils disent que l'idéologie des droits de l'homme et de la démocratie, c'est exactement aujourd'hui l'équivalent du colonialisme catholique ‒ les mêmes bonnes intentions, la même bonne foi, la même certitude absolue d'apporter aux sauvages le vrai, le beau, le bien ‒, cet argument relativiste ne m'enchante pas, mais je n'ai rien de bien solide à lui opposer. Et comme je suis facilement, sur les questions politiques, de l'avis du dernier qui a parlé, je prêtais une oreille attentive aux esprits subtils expliquant qu'Izetbegović, présenté comme un apôtre de la tolérance, était en réalité un Musulman fondamentaliste, entouré de moudjahidines, résolu à instaurer à Sarajevo une république islamique et fortement intéressé, contrairement à Milošević, à ce que le siège et la guerre durent le plus longtemps possible. Que les Serbes, dans leur histoire, avaient assez subi le joug ottoman pour qu'on comprenne qu'ils n'aient pas envie d'y repiquer. Enfin, que sur toutes les photos publiées par la presse et montrant des victimes des Serbes, une sur deux si on regardait bien était une victime serbe. Je hochais la tête : oui, c'était plus compliqué que ça.
Là-dessus j’écoutais Bernard-Henri Lévy s’élever précisément contre cette formule et dire qu’elle justifiait toutes les lâchetés diplomatiques, toutes les démissions, tous les atermoiements. Répondre par ces mots : "C’est plus compliqué que ça", à ceux qui dénoncent le nettoyage ethnique de Milošević et sa clique, c’est exactement comme dire que oui, sans doute, les nazis ont exterminé les Juifs d’Europe, mais si on y regarde de plus près c’est plus compliqué que ça. Non, tempêtait BHL, ce n’est pas plus compliqué que ça, c’est au contraire tragiquement simple – et je hochais la tête aussi. » (VI, 3)


« Seulement, j’ai du mal à choisir entre deux versions de ce romantisme : le terrorisme et le réseau de résistance, Carlos et Jean Moulin ‒ il est vrai que tant que les jeux ne sont pas faits, la version officielle de l’histoire arrêtée, ça se ressemble. » (Prologue, 3)


Sur les motivations et l’éthique de reporters :

« Ni l’un ni l’autre [« les deux Jean : Rolin et Hatzfeld »], je pense, n’aimerait tenir dans ces pages le rôle de héros positif. Tant pis. J’admire leur courage, leur talent, et surtout que, comme leur modèle George Orwell, ils préfèrent la vérité à ce qu’ils aimeraient qu’elle soit. Pas plus que Limonov ils ne feignent d’ignorer que la guerre est quelque chose d’excitant et qu’on n’y va pas, quand on a le choix, par vertu mais par goût. Ils aiment l’adrénaline et le ramassis de cinglés qu’on rencontre sur toutes les lignes de front. Les souffrances des victimes les touchent quel que soit leur camp, et même les raisons qui animent les bourreaux, ils peuvent jusqu’à un certain point les comprendre. Curieux de la complexité du monde, s’ils observent un fait qui plaide contre leur opinion, au lieu de le cacher ils le monteront en épingle. Ainsi Jean Hatzfeld, qui croyait par réflexe manichéen avoir été pris en embuscade par des snipers serbes décidés à se payer un journaliste, est revenu après un an d’hôpital enquêter à Sarajevo, et la conclusion de cette enquête, c’est que les tirs qui lui ont coûté sa jambe provenaient, manque de pot, de miliciens bosniaques. Cette honnêteté m’impressionne d’autant plus qu’elle ne débouche pas sur le "tout-se-vaut" qui est la tentation des esprits subtils. Car un moment arrive où il faut choisir son camp, et en tout cas la place d’où on observera les événements. Lors du siège de Sarajevo, passé les premiers temps où, d’un coup d’accélérateur et au prix de grosses frayeurs, on pouvait tirer des bords d’un front à l’autre, le choix était de le suivre de la ville assiégée ou des positions assiégeantes. Même pour des hommes aussi réticents que les deux Jean à rallier le troupeau des belles âmes, ce choix s’imposait naturellement : quand il y a un plus faible et un plus fort, on met peut-être son point d’honneur à noter que le plus faible n’est pas tout blanc et le plus fort pas tout noir, mais on se place du côté du plus faible. On va là où tombent les obus, pas là d’où on les tire. Quand la situation se retourne, il y a certes un instant où on se surprend à éprouver, comme Jean Rolin, "une indéniable satisfaction à l’idée que pour une fois les Serbes étaient ceux qui prenaient tout cela sur la gueule." Mais cet instant ne dure pas, la roue tourne et, si on est ce genre d’homme, on se retrouve à dénoncer la partialité du Tribunal international de La Haye qui poursuit sans mollir les criminels de guerre serbes alors qu’il abandonne leurs homologues croates ou bosniaques à la prévisible mansuétude de leurs propres tribunaux. Ou encore on fait des reportages sur la condition horrible qui est aujourd’hui celle des Serbes vaincus dans leurs enclaves du Kosovo. C’est une règle sinistre mais rarement démentie que les rôles s’échangent entre bourreaux et victimes. Il faut s’adapter vite, et n’être pas facilement dégoûté, pour se tenir toujours du côté des secondes. » (VI, 3)


En conclusion :

« "L’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité" ‒ est le sommet de la sagesse et qu’une vie ne suffit pas à s’en imprégner, à la digérer, à se l’incorporer, en sorte qu’elle cesse d’être une idée pour informer le regard et l’action en toutes circonstances. Faire de livre, pour moi, est une façon bizarre d’y travailler. » (Sutra bouddhique, IV, 2)



mots-clés : #actualité #biographie #contemporain #guerre #politique #regimeautoritaire #revolution
par Tristram
le Dim 25 Fév - 13:06
 
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Sujet: Emmanuel Carrère
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Andreï Makine

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Le pays du lieutenant Schreiber


Le roman d'une vie

Originale : Français, 2014

CONTENU:
Andreï Makine a écrit: Je n’aurais jamais imaginé un destin aussi ouvert sur le sens de la vie. Une existence où se sont incarnés le courage et l’instinct de la mort, l’intense volupté d’être et la douleur, la révolte et le détachement. J’ai découvert un homme qui avait vécu à l’encontre de la haine, aimé au milieu de la pire sauvagerie des guerres, un soldat qui avait su pardonner mais n’avait rien oublié. Son combat rendait leur vraie densité aux mots qu’on n’osait plus prononcer : héroïsme, sacrifice, honneur, patrie… J’ai appris aussi à quel point, dans le monde d’aujourd’hui, cette voix française pouvait être censurée, étouffée. Ce livre n’a d’autre but que d’aider la parole du lieutenant Schreiber à vaincre l’oubli.


REMARQUES :
Il est bien probable que beaucoup de Français, écoutant le nom de(s) « Servan-Schreiber » y associent naturellement l' histoire assez illustre de toute une famille, d'origine juive-prussienne. Il est vrai que c'est impressionnant de voir à quel point différents membres de cette famille ont été présents dans le journalisme, la politique, les médias... (voir aussi : http://fr.wikipedia.org/w/index.php?search=servan+schreiber&title=Sp%C3%A9cial%3ARecherche ). Mais - on le voit déjà dans ces paroles de préface de l'auteur français d'origine russe - qu'est-ce qui a poussé Makine a donner parole à travers son livre à Jean-Claude Servan-Schreiber (voir aussi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Servan-Schreiber )? Donner de l'espace à quelqu'un qui a passé sa jeunesse sur les champs de bataille dans un bravour exceptionnel, mais aussi dans un apprentissage de ce qui reste, ne reste pas. Après avoir été témoin de tant d'horreurs : qui veut encore écouter un vrai témoignage de tout cela à son retour ? L'insouciance et l'oubli, voir même l'indifférence suivront – très rapidement après la libération, et aujourd'hui encore plus ?! Comme signe : dans l'article de wikipedia cette période de la guerre dans la vie de ce personnage est mentionnée avec une phrase lapidaire. Pourtant cela semble avoir été une expérience clé et un temps charnier. Donc, il s'agit pas tellement d'autres aspects de sa vie tumultueuse.

Cet homme là qui a dû assumer ses origines israélites tout en étant de tout cœur français, est, pour des camarades morts aujourd'hui (ou déjà lors des combats) celui qui conserve la mémoire. Qui garde, peut-être comme le dernier, une trace de leur existence : une parole, un geste... Nécessaire, important,. Quand il lira en 2006 ce livre d'Andreï Makine «Cette France qu'on oublie d'aimer »,  sera touché par l'amour porté par un "étranger" à l'histoire de la France et l'accusation de ses manquements. Et il y trouvera même mentionné deux de ses camarades ! Donc, il fera signe à l'auteur, et depuis ce temps-là, ils sont pas seulement entrés en contact superficiel, mais Makine, avec toute l'amitié qu'il est capable d'investir dans une telle relation, écoute, fait parler ce lieutenant d'une période que « personne n'intéresse plus ». Il le poussera à (faire) écrire ces souvenir, ces bribes de gestes, de rencontres, de paroles qui feront remonter à la mémoire la vie de tant de soldats, disparus. Makine pensera (ce n'était pas d'abord l'idée de Servan-Schreiber) à contacter un éditeur, est convaincu que cette histoire d'un jeune si engagé, frôlant la mort à plusieurs reprises, participant au débâcle de la France en 1940, fuyant vers l'Espagne, s'engageant dans le combat en Nord de l'Afrique, participant au débarquement en Provence, remontant avec les troupes la vallée de la Rhône et conquérant l'Allemagne sous d'immenses pertes, doit passionner les éditeurs, et les lecteurs.

Mais ce sera compter mal avec les idées courantes, la recherche de légèreté... Trouvé un éditeur sera une longue affaire, et puis le lancement sur « le marché » une entreprise de grande déception : personne s'y intéresse, à ces souvenirs. Et après les trois mois obligatoires et coutumières de lancement – hop!- le tirage à la poubelle. Quel destin, quelle réaction sur une vie...

Avec ce livre donc, Makine entreprend à donner une parole à cet homme, et à travers lui, à ces soldats. On trouvera une structuration plus poussée : 6 parties avec 2 à 8 sous-chapitres de 4-15 pages. Le tout toujours avec des titres.

Certes, vous l'avez compris, ce livre s'approche donc d'un vécu concret. On peut y déceler des invitations assez directes, des dénonciations, des indignations, voir aussi des accusations, des constatations tristes d'un certain état des choses. Et pourtant, on retrouvera dans la description de ces bribes de l'histoire de guerre de J-C SS pas seulement ou juste une énumération de soit disant « faits d'armes » (le lieutenant est beaucoup trop peu intéressé à se mettre en évidence), mais aussi des petites réflexions, gestes, paroles qui sont signes d'autres choses. Dans ces allusions on trouvera des éléments de ce qui passionne l'écrivain et l'homme Makine, ce qui a marqué tant de ses romans : certes, la présence d'une violence, d'une dureté, mais aussi le don de soi, l'oubli, l'amour, le pardon. Comment ne pas perdre la raison, l'amour au milieu de l'enfer des combats ? Et après ? Quel part de solitude est inéchappable, pour ainsi dire, et partagé avec tous ?

Puis ce constat, face aux simplifications d'idées (inclus la Résistance, l'ennemi, l'héroïsme, les démarcations etc) : « La vie, la vraie, est toujours plus complexe que tous nos schémas idéologiques. » Il y a plein de passages très forts, même si à la Makine, l'auteur reprend des éléments clés, les répète comme pour les (faire) comprendre et partager.

Intéressant (entre autre) : ses idées et le ressenti de J-C SS sur l'existentialisme, trouvé comme un mode en vogue en ce retour de guerre. Désillusions..., démontage d’idoles ?!

« Chacun de nous possède quelques humbles reliques dont le sens est inconnu aux autres. Oui, des pièces de notre arcéologie personnelle, des infimes fragments d'existence que même nos proches, si nous disparaissions, ne sauaient ni dater, ni rattacher à un souvenir précis. Les personnages de nos photos deviendraient anonymes, un galet ramassé jadis sur uhn littoral aimé – un simple petit caillou... »

Et pour ceux qui aiment Makine déjà à travers différents livres de son œuvre, il y a des bribes d'infos sur sa personne qui... pourraient aider à le situer un petit peu mieux : il se déclare clairement ancien combattant en Afghanistan. Peut-être, et le vétéran en face le lui rappelle, ce sont ces expériences communes face à la mort des camarades qui les unissent et le rend grave. Et en recherche d'autre chose.

Pour moi une grande invitation de faire mémoire, de ne pas oublier, de garder présent dans son esprit, son cœur. Peut-être aussi très bien-venu l'année du centenaire du déclenchement de la première guerre ? Mais pas juste pour un date ponctuel.

J'avais, à plusieurs reprises, des larmes aux yeux.


mots-clés : #amitié #guerre #biographie
par tom léo
le Mar 20 Fév - 7:21
 
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Sujet: Andreï Makine
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Jérôme Ferrari

A fendre le cœur le plus dur
avec Oliver Rohe
Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Fendre10

Ce texte est paru, initialement aux Editons Inculte dont Olivier Rohe est l'un des créateurs,   dans le cadre de l'exposition éponyme qui exploite des archives mêlant  photographies et textes d'un écrivain-reporter de guerre, Gaston Chérau, envoyé en Libye lors de la guerre italo-turque en 1911. Quelques photos reproduites donnent un reflet de ce terrible corpus de plus de 200 clichés.

Tag guerre sur Des Choses à lire - Page 4 Chyrau10

Passée la sidération de la découverte de clichés reproduisant la pendaison de 14 rebelles dans une mise en scène soigneusement organisée, les auteurs les mettent en perspective avec le reste du corpus, et  réfléchissent  à la propagande photographique en temps de guerre, et au sens à décrypter à travers ces cliches, à la question de la représentation de la  violence dont l'obscénité même justifie, ici, la nécessité.

Ce texte est constitué de petits chapitres qui lui donnent un côté un peu disparate. Il laisse un petit goût de superficialité cachée derrière une rhétorique pompeuse, qui le mène parfois à la limite de l'obscur. On regrette que la seule réflexion soit mise en avant, au détriment d'une connaissance du photographe, Gaston Chérau, dont la position face à ces clichés n'est que vaguement ébauchée (à tel point qu'on ne peut savoir si elle s'appuie sur l'analyse des documents écrits, ou s'il s'agit d'une interprétation des auteurs). Il n'en demeure pas moins qu'il pose de bonnes questions, fait émerger des documents jusque là oubliés quoique primordiaux, et qu'on y trouve quelques idées à glaner. L'exposition devait être passionnante!

mots-clés : #colonisation #essai #guerre #violence
par topocl
le Jeu 15 Fév - 13:33
 
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Sujet: Jérôme Ferrari
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Oliver Rohe

A fendre le cœur le plus dur
avec  Jérôme Ferrari
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Ce texte est paru, initialement aux Editons Inculte dont Olivier Rohe est l'un des créateurs,   dans le cadre de l'exposition éponyme qui exploite des archives mêlant  photographies et textes d'un écrivain-reporter de guerre, Gaston Chérau, envoyé en Libye lors de la guerre italo-turque en 1911. Quelques photos reproduites donnent un reflet de ce terrible corpus de plus de 200 clichés.

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Passée la sidération de la découverte de clichés reproduisant la pendaison de 14 rebelles dans une mise en scène soigneusement organisée, les auteurs les mettent en perspective avec le reste du corpus, et  réfléchissent  à la propagande photographique en temps de guerre, et au sens à décrypter à travers ces cliches, à la question de la représentation de la  violence dont l'obscénité même justifie, ici, la nécessité.

Ce texte est constitué de petits chapitres qui lui donnent un côté un peu disparate. Il laisse un petit goût de superficialité cachée derrière une rhétorique pompeuse, qui le mène parfois à la limite de l'obscur. On regrette que la seule réflexion soit mise en avant, au détriment d'une connaissance du photographe, Gaston Chérau, dont la position face à ces clichés n'est que vaguement ébauchée (à tel point qu'on ne peut savoir si elle s'appuie sur l'analyse des documents écrits, ou s'il s'agit d'une interprétation des auteurs). Il n'en demeure pas moins qu'il pose de bonnes questions, fait émerger des documents jusque là oubliés quoique primordiaux, et qu'on y trouve quelques idées à glaner. L'exposition devait être passionnante!

mots-clés : #colonisation #essai #guerre #violence
par topocl
le Jeu 15 Fév - 13:32
 
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Sujet: Oliver Rohe
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