Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

La date/heure actuelle est Ven 29 Mar - 1:58

207 résultats trouvés pour poesie

Sergueï Essénine

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 00492710

La ravine

Comment ne pas trop se planter. L'écriture a quelque chose de très morcelé en nous faisant passer de personnages à d'autres qui voisinent avant de revenir aux précédents. La nature succède aux regroupements et aux isolements, les âges aussi.

Une poésie en prose directe quoique elliptique, avec des accents crépusculaires mais une grande force lumineuse. Des tourments sourds et des souffrances très concrètes dans la vie de ces gens denses qui vivent dans cette "ravine", ces bois et ces champs. Des vies simples, élémentaires baignées de l'étrange douceur de ce texte très particulier à la puissance évocatrice rare.

Quand vous lisez ce livre vous n'êtes pas ailleurs que dedans !

mots-clés : #amour #nature #poésie #ruralité #social
par animal
le Dim 1 Juil - 21:57
 
Rechercher dans: Écrivains Russes
Sujet: Sergueï Essénine
Réponses: 10
Vues: 1353

Jacques Prévert

Me revoilà dans une phase poétique consacrée presque essentiellement à Jacques Prévert, dont la simplicité de style, son oralité et sa sincérité me touchent beaucoup.
N'ayant pas vu de sujet qui lui soit consacré ici, j'ai décidé de me lancer afin de faire honneur à cet artiste de plus en plus connu.

Jusqu'à maintenant, je n'ai lu que Paroles, un après-midi à la bibliothèque, oubliant totalement l'heure d'un rendez-vous.
Si jamais vous le connaissez mieux que moi, n'hésitez pas à venir me faire part de vos expériences de lecture. Il s'agit, à priori, d'une personne si simple à aborder et à aimer qu'on a l'impression de le connaître comme un ami après la lecture d'un seul de ses recueils.

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Cvt_pa10

Pour faire le portrait d'un oiseau

Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

Jacques Prévert - Paroles
mots-clés : #poésie
par Ana
le Ven 1 Juin - 9:38
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Jacques Prévert
Réponses: 44
Vues: 3014

Alejandra Pizarnik

Celle des yeux ouverts

la vie joue dans le jardin
avec l'être que je ne fus jamais
et je suis là
danse pensée
sur la corde de mon sourire
et tous disent ça s'est passé et se passe
ça va passer
ça va passer
mon cœur
ouvre la fenêtre
vie
je suis là
ma vie
mon sang seul et transi
percute contre le monde
mais je veux me savoir vivante
mais je ne veux pas parler
de la mort
ni de ses mains étranges





L'amoureuse

cette lugubre manie de vivre
cette obscure extravagance de vivre
t'entraîne alejandra ne le nie pas.
aujourd'hui tu t'es regardée dans la glace
et ce fut triste tu étais seule
la lumière hurlait l'air chantant
mais ton aimé n'est pas revenu
tu enverras des messages tu souriras
tu agiteras tes mains ainsi il reviendra
ton aimé tant aimé
entends-tu la démente sirène qui l'enleva
le bateau aux barbes d'écume
où moururent les rires
te souviens-tu de l'ultime étreinte
ô pas d'angoisses
ris dans le mouchoir pleure aux éclats
mais ferme les portes de ton visage
pour qu'après on ne dise pas
que cette femme amoureuse c'était toi
les jours te rongent
les nuits t'accusent
la vie te fait tant tant de mal
désespérée, où vas-tu ?
désespérée, c'est tout !





Chant

le temps a peur
la peur a du temps
la peur
se promène dans mon sang
arrache mes meilleurs fruits
dévaste ma pitoyable muraille
destruction de destruction
rien que destruction
et peur
beaucoup de peur
peur





Cendres

La nuit se fendilla d’étoiles
en me fixant hallucinée
l’air lance de la haine
son visage embelli
de musique.
Bientôt nous partirons
Rêve secret
ancêtre de mon sourire
le monde est décharné
et il y a un cadenas mais pas de clefs
et il y a la frayeur mais pas de larmes.
Que ferai-je de moi-même ?
Parce qu’à Toi je te dois ce que je suis
Mais je n’ai pas de lendemain
Parce qu’à Toi je te…
La nuit souffre
.


mots-clés : #poésie
par bix_229
le Mer 30 Mai - 22:16
 
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Sujet: Alejandra Pizarnik
Réponses: 17
Vues: 1569

Raymond Radiguet

Du même recueil ce Déplacements et villégiatures, étonnant et atypique, on peut l'inscrire, je crois, dans une mouvance dada/futur surréalisme.  





Déplacements et villégiatures


I



Au sein des villes qui ont dès longtemps atteint l’âge de la stérilité, ah si l’encre pouvait se tarir !
Dans un magasin où je cueillais des Giroflées de Suède, nous frôlâmes Gertrude que l’on voit une seule fois pendant son séjour sur la terre ou la mer. Enseigne des gantiers : une attrayante image de la mort. Cette main de fer au-dessus de ma tête, n’est-ce pas aussi ma main que ne savent éviter les mouches ?

II


En robe du soir, l’infante de la dune frileuse m’offre son lait. Elle m’apprend à marcher sur le sable sans y laisser de traces. Nous nous exprimons dans des langues plus ou moins mortes. Cependant, le cavalier, à qui la mer va comme un gant, le futur noyé, l’oreille contre les vagues, les écoute décider de son sort, sans comprendre.


mots-clés : #poésie
par Aventin
le Dim 22 Avr - 18:26
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Raymond Radiguet
Réponses: 3
Vues: 1129

Raymond Radiguet

Soufflé pour une dizaine d'€, chez un bouquiniste pourtant réputé vorace en matière tarifaire, une édition du recueil "Les joues en feu" de 1925 (Grasset), en excellent état, comprenant une préface éthérée et maniérée de Max Jacob, et ce portrait de l'auteur par son ami Pablo Picasso:
Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Radigu11


Poèmes de jeunesse, écrits entre 14 et 18 ans, toutefois recueil à ne pas négliger, ni à prendre avec condescendance.

On voit tout le travail se mettre en place, des sixains en particuliers de belle facture, la déprise partielle de la rime, et, aussi, toute la désinvolture et la naïveté peut-être propre à l'âge, mais qui assurent une belle fraîcheur à ces vers, comme par exemple ce L'Ange, virevoltant exercice sans rime sauf cas fortuits, ni souci du nombre de pieds:






L'ANGE

Au front de bon élève, l’ange
Lauré de fleurs surnaturelles.

Pour ne pas manquer ses calculs,
Appliqué, il tire la langue,
Tentant de suivre à cloche-pied,
Au verger des quatre saisons,
Le pointillé de leurs frontières.

La neige, est-ce bon à manger ?
L’ange pillard en a tant mis
Dans sa poche, à jamais il reste
Parmi nous les forçats terrestres
Que cette boule rive au sol,
Faite en neige qu’on croit légère.

Sans cesse empêché dans son vol,
Comme nous dans notre délire,
Cet ange enchaîné bat des ailes,
De ses amis implorant l’aide ;
Aussitôt qu’il s’élève un peu,

Retombe dans les marronniers,
Où la gomme de leurs bourgeons
S’accrochant à ses cheveux d’ange
L’empêche à jamais de nier.

Croyez-vous que ce soit pour rien,
Qu’au poirier le pépiniériste
Laisse blettir ses belles poires ?
C’est qu’on reconnaît le voleur,
À la molle empreinte du doigt.

Mais Dieu examine les mains
Des anges voleurs de framboises,
Des assassins, chaque dimanche,
Et dans les mains les plus sanglantes,
Met des livres dorés sur tranches.

Dites ce que sont vos prisons,
Demande l’ange par trop niais,
Aux deux gendarmes l’emmenant
Avec pièce à conviction,
Dans le char des quatre saisons.


mots-clés : #poésie
par Aventin
le Sam 21 Avr - 18:15
 
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Sujet: Raymond Radiguet
Réponses: 3
Vues: 1129

Hector de Saint-Denys Garneau

Je suis en train de lire les poésies de Saint-Denys Garneau, et je te remercie Jack pour le partage sur ce fil.

J'aime bien ses élans romantiques, notamment dans les poèmes sur la nature :

Saules

Les saules au bord de l’onde
La tête penchée
Le vent peigne leurs chevelures longues
Les agite au-dessus de l’eau
Pendant qu’ils songent
Et se plaisent indéfiniment
Aux jeux du soleil dans leur feuillage froid
Ou quand la nuit emmêle ses ruissellements.


Ou cette souffrance dans la solitude et la sensibilité.


Monde irrémédiable désert

Dans ma main
Le bout cassé de tous les chemins
Quand est-ce qu’on a laissé tomber les amarres
Comment est-ce qu’on a perdu tous les chemins

La distance infranchissable
Ponts rompus
Chemins perdus

Dans le bas du ciel, cent visages
Impossibles à voir
La lumière interrompue d’ici là
Un grand couteau d’ombre
Passe au milieu de mes regards

De ce lieu délié
Quel appel de bras tendus
Se perd dans l’air infranchissable

La mémoire qu’on interroge
A de lourds rideaux aux fenêtres
Pourquoi lui demander rien?
L’ombre des absents est sans voix
Et se confond maintenant avec les murs
De la chambre vide.

Où sont les ponts les chemins les portes
Les paroles ne portent pas
La voix ne porte pas

Vais-je m’élancer sur ce fil incertain
Sur un fil imaginaire tendu sur l’ombre
Trouver peut-être les visages tournés
Et me heurter d’un grand coup sourd
Contre l’absence

Les ponts rompus
Chemins coupés
Le commencement de toutes présences
Le premier pas de toute compagnie
Gît cassé dans ma main.


Ma solitude n’a pas été bonne

Ma solitude au bord de la nuit
N’a pas été bonne
Ma solitude n’a pas été tendre
À la fin de la journée au bord de la nuit
Comme une âme qu’on a suivie
          sans plus attendre
L’ayant reconnue pour soeur
Ma solitude n’a pas été bonne
Comme celle qu’on a suivie
Sans plus attendre choisie
Pour une épouse inébranlable

Pour la maison de notre vie
Et le cercueil de notre mort
Gardien de nos os silencieux
Dont notre âme se détacha.

Ma solitude au bord de la nuit
N’a pas été cette amie
L’accompagnement de cette gardienne

La profondeur claire de ce puits
Le lieu de retrait de notre amour
Où notre coeur se noue et se dénoue
Au centre de notre attente

Elle est venue comme une folie par surprise
Comme une eau qui monte
Et s’infiltre au-dedans
Par les fissures de notre carcasse
Par tous les trous de notre architecture
Mal recouverte de chair
Et que laissent ouverte
Les vers de notre putréfaction.

Elle est venue une infidélité
Une fille de mauvaise vie
Qu’on a suivie
Pour s’en aller
Elle est venue pour nous ravir
Dans le cercle de notre lâcheté
Et nous laisser désemparés
Elle est venue pour nous séparer.

Alors l’âme en peine là-bas
C’est nous qu’on ne rejoint pas
C’est moi que j’ai déserté
C’est mon âme qui fait cette promenade cruelle
Toute nue au froid désert
Durant que je me livre à cet arrêt tout seul
À l’immobilité de ce refus
Penché mais sans prendre part au terrible jeu
À l’exigence de toutes ces peines
Secondes irremplaçables.



mots-clés : {#}poésie{/#}
par Invité
le Mer 11 Avr - 13:13
 
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Sujet: Hector de Saint-Denys Garneau
Réponses: 13
Vues: 2581

Jean Grosjean

Merci aux petites mains de la modération (Armor ?) qui ont amendé (au sens du paysan qui amende le sol, qui enrichit) mon message précédent, en particulier par l'adjonction de l'image du recueil dont est tiré le poème  !

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Du recueil Apocalypse:



Les clés de l'Hadès

  La foudre sur la grange (et les gerbes tordent leur
flamme dans un vent de pluie) est-il une clémence pour
sa cécité ?

  ou les grandes eaux grises qui emportent au
petit jour pêle-mêle escabeaux et nouveaux-nés dans
l'embrassement froid des remous ?

  Ni le givre férial des écoles buissonnières où le
merle est en conciliabule, ni la pluie qui tombe raide
comme un croisé d'un créneau de Saint Jean d'Acre,

  ce soudain vent dans sa course qui renverse par
mégarde le vieux prunier dont le pic-vert tenait pitance,
ni tant d'hirondelles inventées qu'on ne savait pas,

  une maison dans les pêchers roses, une moisson
dont le mari a jusqu'au ventre, rien dont ne se crispe le
sourire.

  L'arbre d'automne agite son rougeoiement sur de
basses meules, puis le char de novembre geint le long
de l'égouttement des ramures.

  Alors se déploie, nocturne entre les sémaphores
sous des avenues de lumignons, sous le tressautement
vert des feux de Sirius, la neige,

  le linge où s'imprime la sainte face du souffre-
douleur. Et le peintre lui-même immobile dans le cercueil
de son portrait.

  Je ne suis ceci ni cela, aucune histoire. Je ne puis
souffrir sur ma face, ta face qui me suscite une âme
dans le corps.

  Le devoir de l'esclave est de trahir son maître tant
qu'il peut et sans raison, mais n'être en proie qu'à soi
n'est pas échapper aux tyrans, c'est subir les empreintes
que laisse leur morgue en notre nuit.

  Que me sont en effet tes dons sauf la soif d'une issue ?
Tu me dispenses de bravoure. Ma liberté est de n'avoir pas le choix.



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Titre chtonien pour un poème aux apparences claires, peu encodées, qui se lit -et c'est volontaire- comme de la prose, on note par exemple l'emploi des majuscules en tête de strophes uniquement sur la première strophe et sur le vers qui suit immédiatement un point, tout comme en prose.

Dès lors le découpage en strophes -le contournement en blanc- est destiné à harmoniser l'ensemble (en effet les strophes sont à peu près de taille similaire tout au long de ce recueil-là), les vers sont bel et bien liés par le jeu de la ponctuation, et doivent être lus et entendus dans ce rythme-là (encore une fois, comme en prose, donc).

Apparences claires, disais-je ? Mais non...  
Dès la première strophe on risque s'égarer en conjonctures et fausses pistes, avec l'emploi du il, au lieu de elle, qui qualifierait la foudre, du coup on ne sait trop de qui ou de quoi il est le pronom - un présupposé héros tiers, ou Hadès lui-même, bien que le l' du titre ne paraît pas le désigner lui-même en tant que dieu mais s'appliquerait plutôt au royaume des morts ?

Va pour la cécité du royaume souterrain d'Hadès, la foudre étant l'attribut de son frère Zeus, comme une manière de tenir le domaine d'Hadès à distance; domaine d'Hadès auquel la seconde strophe se rapporte clairement.

Après les deux strophes de questionnement-étonnement (achevées chacune par un point d'interrogation), trois strophes composant une phrase, rythmées par trois "ni" qui donnent un tempo en faux-rythme.

Les éléments...le feu avec la foudre, l'eau des grandes eaux grises, celle de l'embrassement froid des remous, à présent l'eau encore, d'abord sous sa forme sublimée et indiquant la vie, la Vacatio des Anciens, qui est le givre "férial".
Et, à nouveau, sous une forme suggestive de mort, telles les grandes eaux grises, celle qui tombe raide comme un croisé d'un créneau de Saint Jean d'Acre. Une pluie-mort-foudroyante, en somme, en négatif de la foudre de Zeus, la manière de foudroyer d'Hadès.

Puis l'élément vent, dévastateur et semant la ruine de l'arbre nourricier, du vieux prunier, suivi de cet emploi dont je ne me lasse pas des hirondelles inventées (in-vent-ées), et autres ravages en cascade, la maison [du bonheur] dans les pêchers roses, l'homme fécond suggéré par une représentation poétique qui m'émeut beaucoup, une moisson dont le mari a jusqu'au ventre...

Du vent tombons vers l'automne, avec l'arbre en braise qui agite son rougeoiement, avec le char de novembre. Puis chutons du jour à la nuit, et à l'hiver. La neige, linge et une première évocation christique, celle du suaire, couplé à l'artiste, saisi dans sa mort par son propre art (en l'occurrence le peintre).

Entre, tardivement dans le poème, en scène le poète, au "je".
La mort, l'Hadès et la souffrance sont balayés comme d'un revers de main.
Moins qu'une non-inscription dans l'histoire, ou une négation nihiliste de celle-ci, par extrapolation si l'on s'en tient à ce seul poème-ci, mais c'est plus évident si on ne le sépare pas du contexte du reste du recueil, il s'agit bien de l'inscription en Christ, entendu comme salvifique et rédempteur, venu pour sauver, libérer [entre autres, ici, de l'Hadès].

L'avant-dernière strophe est une des plus fréquemment citée de Jean Grosjean, enfin, je parle à l'échelle de ce que Jean Grosjean est cité, elle émaillera avec succès vos conversations:
On la dirait très dans le style La Boétie, et à première lecture on peut se dire qu'elle fonctionnera à coup sûr pour tout échange avec des libertaires, libertariens, trotskistes, nihilistes, éco-warriors, zadistes, révolutionnaires de tout poil, etc...

Mais non...
L'esclave qui trahit son maître et s'en fait une ligne de conduite est renvoyé à ses affres solitaires, autres tyrannies, l'esquive du maître par la trahison ne vaut pas affranchissement de l'esclave.
Ainsi nous éclaire la dernière strophe, où le poète s'adresse à un Tu familier [à Dieu] - seule issue - et, par cet anti-choix que constitue le fait de ne pas choisir mais de rallier, dispense de bravoure suprême, permet de triompher de l'Hadès.


mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mer 11 Avr - 10:30
 
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Sujet: Jean Grosjean
Réponses: 12
Vues: 1424

Jean Grosjean

C'est la date anniversaire de son décès, va pour l'ouverture du fil Jean Grosjean.
On trouve un site dédié ici.

C'est un auteur avec lequel j'ai toujours eu des difficultés, je me suis mis à le lire comme on se met aux prises avec quelque chose qui oppose de la résistance, quelque chose qu'on ne comprend pas.

Voici ce qu'en disait Le Clézio, avec lequel il a collaboré (voir bio):
Il est le passant, le passeur de notre siècle. Il le traverse tranquillement, sans faire de bruit, mais à grandes enjambées, d'une marche ferme et sûre, et non pas à la hâte, comme quelqu'un qui sait où il va, le regard aux aguets, les mains libres de bagages. [...] Et ce qu'il disait était aussi clair et aussi simple que les mots de ses poèmes. Aucun homme ne donne un tel accord entre ce qu'il est et ce qu'il écrit, aucun homme ne sait regarder le monde aujourd'hui avec un tel détachement et pourtant un tel empoignement amoureux. Aucun homme ne sait mieux que lui opposer le rire léger et le haussement d'épaules aux questions et aux jugements rendus sur la place publique.

Il est un solitaire, et c'est la solitude qui lui donne cette assurance. Ce qu'il sait, il le dit, il ne le répète pas. À nous de le comprendre, de le rejoindre, mais pour cela nous devons passer par le creuset de la poésie, et non par la cuve où macère la prétendue culture. La poésie est la source pure, elle est l'eau de la vérité, et c'est cette eau que nous donne Jean Grosjean. »

J. M. G. Le Clézio, « Hommage à Jean Grosjean »,
La NRF n° 479, décembre 1992


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Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Produc11

Du court recueil Élégies, qu'on trouve dans la collection Nrf Poésie/Gallimard compilé avec La Gloire, Apocalypse et Hiver, ce poème non intitulé:


Mieux vaudrait ta rancune que ton silence si tu me laisses à ce semblant de vie qu’allument, le soir, les hommes au bord des routes.

Que j’ai souffert des étoiles moqueuses quand jamais aube avec ses regards verts n’allait rien voir de toi dans les buissons !

Longtemps ton nom n’a été qu’un murmure de brise qui rôde à travers les feuillages mais mon cœur n’écoutait rien d’autre.

Puisque ta face est le lieu de mon âme, j’aimerais mieux ta haine que ton mépris mais puisses-tu ne pas trop m’entendre.

J’avoue souhaiter plutôt ton mépris même que d’errer dans la brume sur les étangs sans savoir si de grands roseaux te cachent.

Comment retraverser les jours déserts dont tu n’étais ni le soleil ni l’ombre, après que tu m’as regardé ?

Je t’ai juré que tu n’aurais pas honte de mon chemin qui descend vers la nuit mais, si je suis parjure, ne t’effraie pas.

Tant de feuilles mortes pourrissent dans les mares, en l’honneur du printemps, que j’accroîtrai ta gloire de mes défaites.

Le ciel du soir ou de l’aurore est blanc dans l’arbre clair de novembre ou d’avril mais c’est toujours le temps de t’apporter ma première et ma dernière âme.



mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mar 10 Avr - 17:32
 
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Sujet: Jean Grosjean
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MAYUZUMI Madoka

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Haikus11



Haikus du temps présent - Printemps a écrit:Amplifié,
par le son de la cloche
ce crépuscule de printemps.




mots-clés : #poésie
par Ana
le Jeu 5 Avr - 18:28
 
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Sujet: MAYUZUMI Madoka
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Vues: 3270

Ivan Diviš

Thanatéa :

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Cvt_th10

Poème en trois parties inégales qui un en réalité un long cri où se mêlent colère, angoisse et rancoeur. Thanatéa est un personnage symbolique tantôt une femme tantôt un homme, des fois "je" des fois "tu", en conclusion tout un village et finalement le monde entier.
Style riche fait de jeu de mots, de champs lexicaux répétés et dominants ainsi que d'allitérations nombreuses, les néologismes pleuvent comme des coups et l'absurde se révèle d'une logique implacable.
Ce fut écrit d'un trait, ce fut prophétique, c'est enseigné dans les écoles tchèques et c'est tout bonnement stupéfiant.

****

mots-clés : #poésie
par Hanta
le Sam 31 Mar - 20:14
 
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Sujet: Ivan Diviš
Réponses: 2
Vues: 669

Dan Fante

Comme c'est expliqué dans sa bio wikipédiesque, Dan Fante s'est mis sur le tard à écrire. Vers la quarantaine. Il a mis du temps à accepter "le don" transmis par son père, le brillantissime John Fante !
Dan Fante a un parcours très similaire à celui de Bukowski, et son écriture est aussi très proche. Mais le fils Fante m'apparaît bien plus amer et dur. Là où Bukowski parvient au détachement, à la lumière surgie de la crasse, Dan Fante laisse un sentiment doux-amer.

Son oeuvre en prose se lit bien, et vite. Ce sont des ouvrages assez courts. Quand on n'a plus de Bukowski à découvrir, ou de Fante père, ça dépanne !

Je parcours son recueil de poésie : Bons baisers de la grosse barmaid, et c'est assez jouissif. Dans la veine de Buk (donc un auteur qui pourrait te convenir, chère {@=121}colimasson{/@}).

Allez je copie un poème qui règle son compte au padre Fante (et écorche le mythe) :

[mention]Dan Fante[/mention] a écrit:En ouvrant le message de mon frangin Jim
j'apprends qu'il m'en veut à mort
de ce récent article du L.A. Times
sur le vieux et moi
alléguant que John Fante
non content de picoler
était un con dépressif - un taré
un enragé

On dirait que pour changer
"T'as flingué sa réputation"

Jim est nettement plus jeune que moi
il était pas dans les parages
à l'époque d'avant le diabète et le sevrage
quand le paternel faisait péter ses feux d'artifice vers
le ciel

Il ne s'est jamais rendu compte des dommages
collatéraux
il a jamais vu p'pa pisser sur le tapis du salon
ou se bananer dans la table basse
ni se viander contre un arbre

Pour le frangin Jim
John Fante était un papa gâteau de sitcom
un entraîneur de base-ball catégorie minimes
un golfeur de première bourre
un prince
un mec vraiment réglo

Ben ouais c'est ça t'as raison

Et moi
je suis
le putain
de roi
de Siam



mots-clés : {#}poésie{/#}
par Invité
le Sam 17 Mar - 12:23
 
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Sujet: Dan Fante
Réponses: 6
Vues: 1105

Aloysius Bertrand

Gaspard de la Nuit
Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Gaspar10
(Six "livres", et des pièces détachées et appendices ajoutés, une préface, 240 pages environ)


Curriculum vitæ parfait de poète maudit, à mon avis, il est impossible de faire mieux:
Rien, ou si peu, publié de son vivant, maladie, dèche noire, mort jeune, adoubé chez Hugo, chez Nodier, chez Sainte-Beuve, habilité par rien moins que Baudelaire et Mallarmé, puis les surréalistes, jusqu'à son nom de plume qui n'est pas vraiment de lui, mais attribué par la postérité, etc...

Dans les Lettres francophones, il reste à jamais, pour cet ouvrage, considéré comme l'inventeur de la poésie en prose.

L'inventeur ?
Je vous vois venir, comme au reste le recense la préface, Fénelon, Senancour, Chateaubriand dans Attala, d'autres encore s'y étaient risqué, mais sous couvert de pseudo-traductions de chansons ou de poèmes.

Au reste des poètes étaient traduits (Byron, Jean de la Croix, etc...) sans respecter le formalisme du vers français, et l'on s'apercevait bien que les traductions "passaient" en langue française.
Et puis il y avait autrement plus notoire, flagrant et ancien, les traductions des Psaumes (de l'hébreu vers le latin, puis vers le français), entonnés ou chantés dans chaque paroisse, sans que la langue utilisée ne semble souffrir de cet accommodement...

Mais est-ce bien là ce qui distingue ce livre (un intérêt d'histoire littéraire) ?
Je ne crois pas. Le projet est original, l'auteur publie ce qu'il nomme des bambochades, terme droit venu de la peinture de Pieter Jacobsz Van Laer, alias Il Bamboccio, connu pour la puissance évocatrice de ses scènes, comme par exemple celle-ci:

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Il_bam10

Au surplus l'ouvrage est sous-titré "Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot" (NB; Jacques Callot, connu pour ses gravures aux mille détails comme L'Impruneta). D'autres artistes sont évoqués, Van Eyk, Lucas de Eyde, Peeter Neef, Bruegel de Velours, Van Ostade, Gérard Dow, Slavator Rosa, Murillo, Füssli...

Bertrand va même jusqu'à indiquer avec précision, dans des Notes sur l'illustration de Gaspard de la Nuit, ce qu'il conviendrait de faire dans ce domaine.
idem, "Instructions pour le metteur en pages" donne les impératifs de mise en page, commençant par celle-ci: Blanchir comme si le texte était de la poésie.

C'est, à mon humble avis, ceci en particulier, cette espèce d'innovation consistant à ce qu'une prosodie non versifiée fût à ce point enchâssée de blanc, qui lui valut d'abord l'intérêt, puis, à la lecture soutenue du riche contenu, toute l'estime, enfin toute l'admiration de Baudelaire et de Mallarmé.

Tandis qu'au XXème, d'Eluard, Reverdy, Max Jacob, André Breton (dont c'était prétendûment l'auteur préféré, difficile de ne pas y voir une coquetterie ???), etc... célèbrent plutôt le surréalisme inversé, tourné vers le passé.
Sainte-Beuve, avec une absence de recul tout à fait normale et compréhensible, rencontre le jeune homme de vingt et un ans au cénacle de Victor Hugo, se voit remettre le manuscrit de Gaspard, signe une longue préface pour une édition post-mortem, mais, au vu des thèmes (la matière médiévale) et des auteurs du temps, le classe dans une...voie inclassable du romantisme.

En fait tout le monde s'accorde sur un point: l'extrême originalité, la singularité d'Aloysius Bertrand.

Pour ma part, c'est sans doute ce que j'ai lu de plus frais, de plus enthousiasmant, en 2018.

La désarmante simplicité, mais couplée à un raffinement exceptionnel, le fait qu'il puisse manquer des points majeurs pour une lecture linéaire des bambochades, et, à la manière d'un tableau, en entrant dedans, dans un second plan, ou même beaucoup plus tard, même plus devant la toile mais y repensant, on complète par des éléments sous-jacents à l'aide de notre intuition, de notre imagination; tout ceci est hors du commun.
En cela, le lien à Rembrandt du sous-titre est pleinement justifié.


Mots-clés : #poésie #xixesiecle
par Aventin
le Sam 10 Mar - 21:00
 
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Sujet: Aloysius Bertrand
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Petr Král

Ce qui s'est passé

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 Cvt_ce10

Court récit poétique sur des souvenirs de vie à Pris et lors de voyages, anecdotes sur des rencontres avec des femmes et métaphores sur des sentiments ressentis au cours de périodes de vie.
Joli ouvrage avec d'élégantes formulations, j'ai beau ne pas être sensible particulièrement à la poésie, ce livre m'a fait voyager et oublier mon quotidien.
Peut être un peu court et la'absence de structure particulière peut gêner, cette absence de structure m'a plu personnellement car l'ouvrage peut dès lors se picorer petit passage par petit passage.

Pas un chef d'oeuvre mais un livre intéressant.

mots-clés : #poésie
par Hanta
le Jeu 11 Jan - 10:44
 
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Sujet: Petr Král
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Giacomo Leopardi

L'infini :

Toujours elle me fut chère cette colline solitaire
et cette haie qui dérobe au regard
tant de pans de l'extrême horizon.
Mais demeurant assis et contemplant,
au-delà d'elle, dans ma pensée j'invente
des espaces illimités, des silences surhumains
et une quiétude profonde ; où peu s'en faut
que le cœur ne s'épouvante.
Et comme j'entends le vent
bruire dans ces feuillages, je vais comparant
ce silence infini à cette voix :
en moi reviennent l'éternel,
et les saisons mortes et la présente
qui vit, et sa sonorité. Ainsi,
dans cette immensité, se noie ma pensée :
et le naufrage m'est doux dans cette mer.


1819.


mots-clés : {#}poésie{/#}
par Invité
le Dim 3 Déc - 16:18
 
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Sujet: Giacomo Leopardi
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Eugenio Montale

«Au jardin»

Je ne sais, messagère
qui descends, bien-aimée
de mon Dieu, (du tien peut-être), si dans l’enclos,
d’azeroliers où gémissent
les roitelets au nid, qui angoissent, le soir,
je ne sais si au jardin
où pleuvent les glands, où derrière le mur
s’effilochent, aériennes, les guirlandes
des charmes qui soulignent
le moutonnement écumeux des lames, une voile
entre des couronnes d’écueils
noyés, très sombres, ou plus brillants
que la première étoile qui pointe -

je ne sais pas si ton pas
étouffé, fantôme aveugle par qui je croîs
vers la mort, du jour où je t’ai vue,
je ne sais pas si ton pas qui fait battre les veines
s’il approche de ce fouillis
est le même qui m’a surpris, un autre été,
avant qu’une rafale
rasant le cap hérissé du Mesco
n’eût brisé mon miroir;
je ne sais si la main qui m’effleure l’épaule
est celle qui jadis
sur le célesta répondait aux plaintes
d’autres nids, d’un fourré désormais brûlé.

L’heue de tortures et de lamentations
qui fondit sur le monde,
l’heure qu’évidente tu lisais comme sur un livre,
ton dur regard de cristal
jusqu’au fond planté, là où d’acres rideaux
de suie montant sur les éclairs
des forges cachaient aux regards
l’œuvre de Vulcain,
ce jour d’Ire que plusieurs fois le coq
annonça aux parjures
ne put te séparer, âme inséparable,
du supplice inhumain, ni te fondre
dans le creuset, cœur d’améthyste.

O lèvres muettes, desséchées du long
voyage sur l’aérien sentier
qui vous a portées, membres que je distingue
des miens avec peine, doigts qu’apaisent
la soif des mourants, enflamment les vivants,
dessein qui as créé hors de ta mesure
les aiguilles du cadran et qui t’épanches
en temps humain, en espace humain, en fureurs
de démons de chair, en fronts angéliques
de celles que leur vol a précipitées… Si la force
qui guide le disque d’ores et déjà gravé
était autre, ton destin, certes, uni
au mien ne montrerait qu’un sillon seul.



mots-clés : #poésie
par Jack-Hubert Bukowski
le Sam 25 Nov - 13:50
 
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Sujet: Eugenio Montale
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Eugenio Montale

La tourmente et autres poèmes :

Je trouve particulier de parler d’Eugenio Montale. J’imagine qu’il y a quelque chose qui me rapproche de plus en plus de l’univers des poètes. Il est décédé à un moment précis, un moment que je considérerais significatif de mon propre parcours. Outre ces considérations, pour avoir lu Ungaretti et Montale, je dois admettre que je suis sensible à la plume de Montale.

Le recueil en soi est très métaphorique. Il recourt à des objets, à la nature, la vie quotidienne comme l’amour… j’ai quand même tendance à y voir un regard d’homme. Qu’importe, je pense qu’il est important de connaître sa poésie. J’avais lu d’autres choses de lui et ça ne m’avait pas aussi marqué que dans ce recueil. Je passerai quand même aux extraits :

«Lettre jamais écrite»

Pour un fourmillement d’aubes, pour quelques
fils auxquels se prenne
le flocon de la vie et s’enfile
en collier d’ans et d’heures, aujourd’hui les dauphins deux à deux
cabriolent avec leurs petits? Puissé-je n’entendre
rien de toi, fuir l’éclat
de tes cils. Bien autre chose est sur la terre.

M’effacer je ne sais, ni paraître à nouveau; paresse
la forge rougeoyante
de la nuit, la soirée se prolonge,
la prière est supplice, et en vain
entre les roches qui émergent doit te venir
de la mer la bouteille. Le flot, vide,
sur la pointe se brise, au Finisterre.


Ce n’est rien, mais il y a quand même quelque chose…

«L’éventail»

Ut pictura… Les lèvres qui confondent,
les regards, les signes, les jours tombés,
j’essaie de les fixer comme dans un rond
de téléscope renversé, muets
et immobiles mais plus vivants. C’était un carrousel
d’hommes, d’engins en fuite dans la fumée
que fouettait Eurus; déjà l’aube l’empourpre
avec un tressaillement, dissipe ces brumes.
La nacre brille, la calanque
vertigineuse avale encore des victimes,
mais sur tes joues les plumes pâlissent
et le jour, peut-être, est sauf. Que de détonations
quand tu paraîs, d’éclairs blessants, d’averses
sur les hordes! (Doit-il mourir celui qui t’aperçoit?)


De cette vision particulière…

«D’une tour»

J’ai vu le merle d’eau
s’envoler du paratonnerre;
à son vol orgueilleux, au trille
de flûte je l’ai reconnu.

J’ai vu le joyeux Piquillo,
tout oreilles, jaillir de la tombe
et, par à-coups, d’une humide trompe
d’escalier rejoindre le toit.

J’ai vu, aux carreaux de couleur,
filtrer un paysage de squelettes,
des fleurs d’une ogive - et une lèvre
de sang se faire muette.


En tant que Sourd, je suis sensible à cette dernière poésie.


mots-clés : #poésie
par Jack-Hubert Bukowski
le Sam 25 Nov - 13:48
 
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Sujet: Eugenio Montale
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Gaston Miron

L'homme agonique


Jamais je n'ai fermé les yeux
malgré les vertiges sucrés des euphories
même quand mes yeux sentaient le roussi
ou en butte aux rafales montantes des chagrins

Car je trempe jusqu'à la moelle des os
jusqu'aux états d'osmose incandescents
dans la plus noire transparence de nos sommeils

Tapi au fond de moi tel le fin renard
alors je me résorbe en jeux, je mime et parade
ma vérité, le mal d'amour, et douleurs et joies

Et je m'écris sous la loi d'émeute
je veux saigner sur vous par toute l'affection
j'écris, j'écris, à faire un fou de moi
à me faire le fou du roi de chacun
volontaire aux enchères de la dérision
mon rire en volées de grelots par vos têtes
en chavirées de pluie dans vos jambes

Mais je ne peux me déprendre du conglomérat
je suis le rouge-gorge de la forge
le mégot de survie, l'homme agonique

Un jour de grande détresse à son comble
je franchirai les tonnerres des désespoirs
je déposerai ma tête exsangue sur un meuble
ma tête grenade et déflagration
sans plus de vue je continuerai, j'irai
vers ma mort peuplée de rumeurs et d'éboulis
je retrouverai ma nue propriété


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par Invité
le Mer 22 Nov - 18:45
 
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Hector de Saint-Denys Garneau

Si vous voulez imaginer ce que ça donne un Saint-Denys Garneau en prose, voici l'extrait qui est à mon sens l'un des plus emblématiques de la profondeur de sa démarche :

«Le mauvais pauvre va parmi vous» (extrait)

Il rôde autour de vos richesses et s’introduit dans vos bonheurs par effraction. Il voudrait se rassasier par ses yeux de votre joie.  Est-ce qu’à la savoir il va l’avoir? C’est un pauvre irrémédiable.  Il a beau s’épuiser par des escaliers de service pour entrevoir de plus près vos trésors, il y a un trou en lui par où tout s’échappe, tous ses souvenirs, tout ce qu’il aurait pu retenir.  C’est comme un mendiant aux yeux mauvais qui interrogent, qui demandent servilement, sans fierté; vous lui offrez quelque chose et son regard s’allume de convoitise, mais sa besace est percée. Peut-être qu’avec tout cela il aurait pu se faire une espèce de festin; mais dès qu’il s’arrête pour un repas, il n’a plus rien.  Il le sait bien à l’heure qu’il est, mais que voulez-vous qu’il fasse?  Il a envie, c’est tout ce qu’il a, peut avoir : c’est sa vie.

C’est un pauvre et c’est un étranger, c’est-à-dire qu’il n’a rien, rien à échanger : un étranger. Mais il ne joue pas franc jeu, il veut prendre part.  Prendre part à votre vie, joie ou douleur.  C’est un imposteur.  De quels habits ne se revêt-il pas; habit d’ami, de collaborateur, de correspondant, etc.  Il vole quelque chose ici pour le porter là, mais c’est un commerce épuisant, d’autant plus qu’il en perd la moitié en chemin, qu’il est toujours à moitié vide, au moins.  Il ne peut rien retenir, on le sait : c’est un pauvre irréparable.

À l’heure qu’il est chacun sait qu’il est un imposteur, tous les habits sont usés, toutes les contenances.  Comme on dit : il a perdu contenance.  Il suffit de le regarder, il perd contenance, sa forme de toutes parts cède comme un sac de papier gonflé d’air, il devient tout flasque et son regard épouvanté cherche dans tous les coins de la chambre un trou de rat par où se glisser et fuir à toutes jambes jusqu’à dormir d’épuisement.  Ça se comprend: il est pris en flagrant délit de pauvreté dans un habit volé en guise de cuirasse pour tenir debout.

Alors, qu’est-ce qu’on va faire de lui? C’est la question, c’est le problème.  Vous, les riches, qu’allez-vous en faire, de ce pauvre irréparable, qui,  par en plus, est étranger et,  par en plus, est imposteur? Et lui-même se le demande, qu’est-ce qu’on peut faire à son sujet?  Impossible de le garder avec vous bien longtemps, même avec la meilleure volonté.  Quand on l’a vu se dégonfler une fois, cela devient un malaise insupportable de l’avoir parmi vous.  On se met à parler un peu plus fort et plus distinctement que ne voudrait le naturel; les regards sont trop indifférents; on sent une contrainte.  Chacun au fond, appréhende : «Est-ce qu’il va se dégonfler?» Et lui-même est dans la pire angoisse, le souffle oppressé, tout tendu à garder sa contenance, à ne pas perdre contenance.  Dans ces conditions, l’existence est impossible pour tout le monde.

Pourquoi lui-même, qui souffre bien le plus dans toute cette machine mal arrangée, pourquoi ne s’en va-t-il pas? Il passe ici bien des étrangers, pourquoi celui-ci demeure-t-il? Il est vrai que les étrangers qui passent s’en vont à leur affaire alors que celui-ci, étant pauvre, n’a pas d’affaire où aller.



mots-clés : #poésie
par Jack-Hubert Bukowski
le Ven 27 Oct - 7:48
 
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Sujet: Hector de Saint-Denys Garneau
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Hector de Saint-Denys Garneau

Tag poesie sur Des Choses à lire - Page 6 518vqv10

Regards et jeux dans l'espace :

Hector de Saint-Denys Garneau est l'un de ces poètes dont on remarque l'étendue de son oeuvre, lecture après lecture. Je viens de découvrir le site de la Fondation de Saint-Denys Garneau qui est intéressant à plus d'un titre. Nous y retrouvons une sélection de textes assez impressionnante. Ce n'est rien, en revanche, pour rendre compte du poème à l'oeuvre. Hector de Saint-Denys Garneau avait un père qui a connu des déconvenues au niveau professionnel car il a perdu le sens de l'ouïe, ce qui l'a obligé à occuper des postes moins prestigieux que ce lui aurait permis son rang et sa situation dans les grandes familles du Québec. Nous pouvons retrouver cette métaphore dans certains de ses poèmes. Saint-Denys Garneau était très conscient de la condition de son père. Ça l'a amené à esquisser la figure du mauvais pauvre notamment.

Je vous livre quelques extraits. J'ai tenté de faire un peu différent, de vous offrir un autre aperçu de l'oeuvre garnélienne. Saint-Denys Garneau et Marie Uguay sont les deux poètes envers qui j'exprime un critère de fidélité quant aux lectures et relectures que je programme au fil du temps.

«Figures à nos yeux»

Figures à nos yeux
Figures surgies
À peine
Et qui ne quittez pas encore l’ombre
Quel désir vous attire
À percer l’ombre
Et quelle ombre vous retire
Évanescentes à nos yeux

Figures balancées
Aux confins du visible et qui surgissez
En un jeu de vous voiler et dévoiler
Vous venez mourir ici sur le bord
          d’un sourire imaginaire
Et nous envelopper dans la chaleur de votre gravité
Balancement entre l’apparence et l’adieu
Vous nous quittez et vos yeux n’auront pas regardé
Mais nous serons tombés dedans comme dans la nuit.



«Le silence des maisons vides»

Le silence des maisons vides
Est plus noir que celui qui dort dans les tombeaux,
Le lourd silence sans repos
Où passent les heures livides.

On dirait que, comme le vent
Qui siffle à travers les décombres
Des vieux moulins tout remplis d’ombre
Passe, toujours se poursuivant,

L’heure, passant par ce silence
Comme si le pendule lent
Qu’une antique horloge balance
La comptait à pas lourds et lents,

Passe sans rien changer aux choses
Dans un présent cristallisé
Où l’avenir et le passé
Seraient comme deux portes closes

Et dans ce silence béant
On dirait, tant le temps est lisse
Que c’est l’éternité qui glisse
À travers l’ombre du néant.



mots-clés : #poésie
par Jack-Hubert Bukowski
le Ven 27 Oct - 7:39
 
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Sujet: Hector de Saint-Denys Garneau
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Jacques Brault

L’en dessous l’admirable (1975) :

Pour le moment, c’est le recueil qui me raccroche le plus à l’œuvre de Jacques Brault. Tout autant j’ai gardé l’exemple de son éthique en tant que poète-essayiste en mémoire pendant le Printemps étudiant de 2012, ce recueil m’a accompagné au gré de mes préoccupations depuis la démarche d’atelier des flâneries montréalaises en compagnie des poésies de Marie Uguay. J’étais donc dû pour y revenir : je prends pour preuve que les extraits retenus cette fois-ci diffèrent de ce que j’avais déjà publié sur l’autre forum.

Mettons ceci sur le compte de son titre énigmatique ou non, le recueil est prompt à explorer les profondeurs de l’âme :
«L’ombre est basse   pauvre amour   si basse
Qu’elle rampe à ras de jour et ronge ta joue
côté nuit celle qui suinte sous terre et fait une pâte
d’os à peine poussiérée encore à la peine de vivre

tu n’es plus qu’ombre d’une ombre mal portée loin de
moi   pauvre amour   égarement d’un cri qui se crut
extase   soleil déchiré d’un croissant d’oiseau sombre
et qui sombre dégrée vers l’ombre si basse

plus rien
               un vide blanc au cœur de l’ombre
                                                                            plus basse
que l’en dessous
                             de tout»

(p. 225)


Il y a quelque chose de désespérant dans la démarche, qui rappelle la posture singulière des Saint-Denys Garneau et Henri Michaux :

«Cette fois je serai clair
                                         j’ai vu l’aveugle voyante
ma trace quand je n’étais plus à l’arrivage
passée déjà   disparue vanité de naissance vite perdue

voilà c’est cela oui et je touche celui que je fus
il n’est pas sauvé de l’absurde mise en demeure il
ne comprend pas davantage yeux fermés dents brisantes
et quoi encore sait-on arrière ce qu’il espérait

choses simples et fidèles un craquement de porte
un mur de briques plus tendres frottées de pluie
le chien avec des prunelles de fille inaimée
le soleil attardé dans la rue pour un arbre un seul
tout l’avenir du monde suspendu aux branches tracassées
le geste là-bas de rire peut-être l’erreur
      des paupières plissées
qui donc m’a suivi par pitié m’a aimé jusqu’ici»

(p. 234)


Il y a un versant du recueil qui s’inscrit en prose. Nous pouvons lire un extrait ici :

«Quelques sons nés en dessous du prévisible m’occupèrent une
saison ou deux, histoire de me dévoiler par fragments successifs
un visage si méconnu qu’il en avait l’air inconnu.

L’admirable ne surgit pas au coin de l’éclair. Par pénombres
il se rend manifeste, sans gêne aucune, et sans parade - mais
pudique, le cœur aux lèvres sous apparence d’un sourire né
de douleur. Et il nous aime. Avec le temps qu’il faut, le
temps qu’il fait. Et puis il meurt. Comme l’instant. Pour
renaître ailleurs.

Alors, on se souvient.

On s’emploie, chaque jour, à bâtir une patrie, une vraie,
une école de libertés buissonnières.
»

(p. 244)


Puis surgit cette apothéose :

«C’était passerose et ras de ruines j’allais vers toi
remonter    l’en haut tirait doucement d’abord
             par les yeux
tout cet enfer de tranquillité   saoûlerie de solitude
pour un arbre   je ne sais pas   quelque chose comme

bourgeon avant terme éclaté
                                                   branche fourrée de fourmis
             feuille
méprisée lors de la cassure du froid
                                                                un ressuiement
de terre tôt dégelée
                                   un arbre juste un arbre
inqualifiable
                      lacis noir gris sur fond de pluie
et toi innommée inaperçue ma vieille usure
ma peau de petitesse
                                     l’extase de vivre
malade minable rouillé roulé par les rues
comme une boîte de conserve à la bouche ébrechée
de vivre un peu à peine ce petit reste   croûton de pain
séché   blêmi fade ton visage de laideur qu’un arbre là
aimait sans rien dire
                                   et je viens les yeux fermés
            où tu étais venue»

(p. 255)


Ce dernier poème me parle beaucoup en tant qu’adepte des flâneries. Du début à la fin, ses thématiques me sont familières. Nous pourrions même dire qu’il s’agit d’une poésie humble, à ras de terre, qui nous rappelle la fragilité de l’existence.


mots-clés : #poésie
par Jack-Hubert Bukowski
le Dim 1 Oct - 10:49
 
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Sujet: Jacques Brault
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