La date/heure actuelle est Lun 13 Jan - 14:35
262 résultats trouvés pour polar
James Ellroy
Le dalhia noir
Sujet : Ce roman noir est basé sur un fait divers : une jeune fille assassinée de manière atroce, coupée en deux, et marqué au visage par le sourire de "L'homme qui rit", d'une oreille à l'autre.
Tous les ingrédients du roman noir sont présents : le pouvoir, l'argent, la sexualité et les femmes.
C'est Los Angeles Police Department (LAPD) qui doit gérer ce crime, tous les agents sont retenus, chacun dans le domaine qui le concerne afin que le résultat soit rapides, ce que souhaite le procueur Ellis Loew lequel candidate pour les élections prochaines. Se dévoilent les connivences entre politique, police et truands.
Le racisme et l'anticommunisme sont visibles notamment parmi les policiers et la presse. Toutes les diverses individualités de la société américaine de la région (du pays ?) se retrouvent dans le LAPD ; les honnêtes gens, les corruptibles, les corrupteurs, bref un panel large de la population de LA.
L'histoire est bien amenée avec les rebondissements attendus et inattendus dans les enquêtes et la recherche du, des criminels. Tous les personnages, principaux comme secondaires sont bien typés dans leurs actions, leur vie, leur psychologie.
La ville reflète sa puissance et ses faiblesses, de jour et de nuit, exhale ses odeurs, son clinquant de lumières, bars, hôtels et offre refuge dans ses sombres rues. (sans oublier les nombreuses voitures)
Le crime d'Elisabeth Short est l'affaire n° 1 qui met en branle-bas le LAPD et notamment le duo formé par Lee Blanchard et Bucky Bleitchert le narrateur. Le procureur Loew et son équipe s'activent et n'hésitent à aucune compromission, crimes, chantage, mensonges etc... il lui faut l'opinion avec lui pour gagner les élections.
l'Un des personnages dira très justement : "les bons sont devenus les méchants".
Le, les meurtriers seront-ils découverts ? vous le saurez en suivant cette affaire aux enquêtes et recherches captivantes. J'ai apprécié l'habileté de l'auteur à construire l'histoire, à la narrer à travers son double (?) l'agent Bleitchert.
Je n'ai eu connaissance du passé de l'auteur que dans le postface, en fin de livre, où il se livre dans une confession (?) me semble-t-il honnête et lucide qui explique le caractère obsessionnel, voyeur, nécrophyle de Bucky. Et aussi l'ambiguité du personnage Blanchard.
L'ensemble n'est pas exempt d'amitié, d'amours et de solidarité, notamment parmi les policiers entre-eux, si l'image de la police est salie ils se serrent les coudes.
J'ai trouvé le passage sur le combat de boxe particulièrement réussi. D'ailleurs il me semble que ce sport est souvent partie prenante dans la police et l'armée, comme faire-valoir notamment.
Je lirai certainement plus tard, pour en connaître plus sur l'auteur un livre autobiographique "Ma part d'ombre".
Merci à mes "co-équipiers" de la LC, Chrysta (qui vous en dira plus sur la psychologie des personnages et de l'auteur) et Tristram qui repère le mot où la phrase "qui parle".
Extraits de la postface :
Elles m'ont changé. Elles sont entrées en conjontion et par la force de leur lumières, fait dérailler mon caractère obsessionnel. Elles m'ont appris à aimer d'un coeur plus léger. Elles m'ont convaincu d'extraire Jean de ma trajectoire existentielle, pour la laisser reposer dans mon coeur.
Il y a quelqu'un là dehors. C'est une Femme, je la sens bouger. J'ai besoin de résoudre ce crime, de défaire les noeuds de cette énigme et de faire mienne cette trame d'évènements - et ainsi elle m'aimera.
La raison pour laquelle j'ai écrit ce roman. La fureur misogyne rationnalisée.
Mots-clés : #faitdivers #polar #psychologique
- le Sam 29 Juin - 9:02
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: James Ellroy
- Réponses: 18
- Vues: 1368
Sylvain Kermici
Requiem pour MirandaTout d'abord je veux saluer le beau travail d'édition. L'esthétique des couvertures est très réussie et le livre est agréable en main.
Thriller et huis clos torturé, dur, et très bien écrit.
170 pages où l'on a peur, où l'on est pris d'émotions grâce à un style très communicatif mais également une structure intelligente avec de très courts chapitres et des réflexions ontologiques et psychologiques variées.
L'on passe d'un personnage à un autre progressivement et intelligemment, guidé par un auteur qui fait tout pour ne pas nous perdre.
On peut avec certitude crier cocorico d'avoir un auteur de polars nous proposant une telle qualité.
**** et demi.
Mots-clés : #polar
- le Sam 8 Juin - 9:13
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Sylvain Kermici
- Réponses: 2
- Vues: 499
Gérard Delteil
Les écœurés
Ou les tribulations d'un jeune stagiaire de la police qui se retrouve infiltré chez les gilets jaunes dans une petite ville portuaire de Bretagne. Enquête, histoire d'amour et beaucoup de personnages pour l'exercice de la radioscopie du "mouvement" et de ses tendances les plus marquées ainsi que du regard des autorités dessus. Pas l'ouvrage fracassant du siècle mais en évitant toute grandiloquence Delteil arrive à nous emmener et à ramasser des images médiatisées mais d'abord humaines avec des doutes, des élans, des habitudes et des choses qui vont trop vite. Une louchée d'opportunisme et de sincérité pour compléter le tout.
Vite lu mais plutôt sympathique !
Mots-clés : #actualité #polar
- le Mar 4 Juin - 21:51
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Gérard Delteil
- Réponses: 9
- Vues: 1202
Edith Pargeter (Ellis Peters)
La vierge dans la glace
Second essai chez Peters pour moi, même plaisir, né de la limpidité et modestie de son entreprise et de son style..
Cette fois c'est l'hiver et je découvre la palette purement expressive de l'auteure , qui sait habilement peindre les affres de cet élément et ses nuances. C'est presque un personnage, la tempête, la neige, le givre, les congères, la poudreuse, moi qui me tiens le plus éloignée possible de ces manifestations météorologiques, je dois reconnaitre qu'ils y sont traduits avec une aussi grande expressivité que mon apprehension envers elles. Elle utilise cette saison avec beaucoup d'esthetisme et de poésie.
Cet épisode de la série Cadfael nous fait rencontrer la famille directe de ce dernier, intéressant si l'on a déjà un peu de tendresse pour cette figure.Je ne divulgâche pas davantage.
Je note un récit encore une fois très enlevé d'une bataille, un beau morceau. Un siege , un assaut. L'ambiance est vraiment très bien transmise. Elle est douée.
Préférence pour le précédent peut-être, plus posé dans l'action narrative, car dans celui-ci les protagonistes ne cessent de se courir après, se trouver, se reperdre, c'est peut-être à peine un peu lassant finalement.
Les postures morales, déjà découvertes en premiere lecture de l'auteure, ne sont plus une surprise, ici elles sont équivalentes donc moins rafraichissantes : reste donc ce brio à raconter l'Histoire, le mouvement et sa magie du rythme.
Mais j'ai lu d'une traite et avec la même joie de l'oubli, dans la bulle du divertissement d'un autre temps.
Mots-clés : #historique #polar
- le Dim 2 Juin - 22:26
- Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
- Sujet: Edith Pargeter (Ellis Peters)
- Réponses: 18
- Vues: 1573
Andrea Camilleri
Le voleur de goûterCe Montalbano (troisième parution) est plus truculent, cocasse et bon vivant que celui de La mémoire de l’eau, aussi plus irascible, et même à la limite de l’abus de pouvoir.
L’essai du traducteur d’interpréter le sicilien via le provençal est maintenant poussé jusqu’à un sabir caricatural (mais la question reste posée, de la limite à respecter entre la traduction littérale et la transposition sans préservation de la saveur de l’idiome).
« Les pâtes au crabe avaient la grâce d’un danseur étoile de l’opéra mais le loup farci en sauce au safran le laissa souffle coupé, quasiment effrayé. »
Mots-clés : #polar
- le Lun 27 Mai - 23:54
- Rechercher dans: Écrivains Italiens et Grecs
- Sujet: Andrea Camilleri
- Réponses: 25
- Vues: 2773
Henning Mankell
Les morts de la Saint-JeanOù le lecteur retrouve Wallander (septième apparition), avec ses problèmes de manque de sommeil et d’amour, ou encore son père qui peint ou peignait des paysages ensoleillés avec ou sans coq de bruyère ; Wallander qui se demande toujours comment et pourquoi la Suède est entrée dans une époque de violence, dure et brutale.
« ‒ Oui, dit Wallander. C’est ça, la vraie question : dans quel monde vivons-nous ? Mais la réponse est trop insoutenable, on n’a pas la force de la penser jusqu’au bout. Ce que nous redoutons est peut-être déjà là : l’étape suivante, si on peut s’exprimer ainsi. Après l’effondrement de l’État de droit. Une société où de plus en plus de gens se sentent inutiles, voire rejetés. Dans ces conditions, nous pouvons nous attendre à une violence entièrement dénuée de logique. La violence comme aspect naturel du quotidien. Nous nous plaignons de cette évolution, mais parfois je me demande si nous ne sommes pas encore en dessous de la vérité. »
« De plus en plus de gens jugés superflus seraient réduits à des vies indignes dans les marges très dures de la société, où ils seraient condamnés à contempler les autres : ceux qui étaient du bon côté de la barrière, ceux qui avaient des raisons d’être contents. »
Et pourtant, sans vraie surprise, le lecteur retrouve avec plaisir ces marques ‒ ses marques, presque ses pénates. Il y a bien une intrigue un peu tordue de jeunes gens qui se réunissent secrètement déguisés de costumes anciens, et un mystérieux prédateur pour les massacrer, mais, comme d’habitude, c’est assez accessoire.
Peut-être pas le meilleur cru, un peu longuet aussi, mais à doses espacées je ne me lasse pas de Mankell.
Mots-clés : #polar
- le Ven 24 Mai - 0:40
- Rechercher dans: Écrivains de Scandinavie
- Sujet: Henning Mankell
- Réponses: 48
- Vues: 6068
Edith Pargeter (Ellis Peters)
Pris au piègePublié en 1951, c’est un regard sur l’après-guerre encore récent et ses problèmes (retour des soldats, sort des anciens prisonniers de guerre, des réfugiés), avec déjà celui de l’environnement (mines à ciel ouvert en pays de Galles).
« Pourtant, pendant qu’il y était, le vieux aurait pu faire les choses en grand. Et s’il était encore assez alerte dans les années vingt pour niveler sa propre chasse, pourquoi n’avait-il pas compris que le village méritait le même effort pour compenser le chaos que le grand-père avait provoqué, en s’enrichissant grâce aux exploitations faites à la va-vite ? Ah, c’était facile de se montrer sage et éclairé vingt ans après. L’ancienne génération n’était ni pire ni meilleure que celle-ci.
‒ Si on avait nivelé et replanté certains des villages dévastés, ils seraient peut-être encore riches. Pourquoi ne réfléchit-on jamais à temps ? »
Antisémitisme aussi en toile de fond de ce rompol, premier de la série « Inspecteur Felse », et où on est enquêteur de père en fils.
Gerd Hollins, juive qui a perdu toute sa famille dans les camps, décide d’embaucher dans sa ferme Helmut Schauffler, ex-prisonnier allemand qui n’a rien perdu de son éducation nazie :
« J’ai essayé de les repousser pendant des années, cela ne marche pas, Chris. Je n’arrive pas à oublier de cette façon. Il n’y a qu’un seul moyen, et c’est de tout admettre, de tout accepter, et de trouver un mode de vie sans être obligé d’enfermer ses rancœurs en priant pour que le couvercle de la marmite reste en place. Si je pouvais me faire à l’idée que les Allemands sont comme tout le monde, s’il y avait un garçon ordinaire, stupide, peut-être, difficile, peu importe, quelqu’un qui pourrait avoir quelque chose qui vaudrait la peine de pardonner…
[…]
‒ Je ne peux pas continuer à haïr toute ma vie, je ne suis pas faite pour ça. »
« ‒ Et vous croyez avoir changé quelque chose avec votre guerre ! Vous croyez les avoir anéantis ! Ils sont à peine refroidis. Attendez, attendez la première chaleur, et la glace cédera comme du papier, et de nouveau vous vous noierez pour essayer de sauver votre vie. Et nous aussi, dit-elle avec un calme bouleversant. »
Il y a un petit côté moral un peu daté mais, après tout, c’est peut-être un bon rappel :
« Que cela soit bien compris une fois pour toutes, il n’y a absolument aucune raison de se battre, tant qu’il ne s’agit pas d’une question de vie ou de mort, et je n’accepterai aucun autre prétexte. Cela ne prouve rien, cela ne résout rien, cela ne sert à rien, si ce n’est à savoir qui a le plus de muscles et le moins de cervelle. Il y a des moments où c’est le seul recours, mais il y a peu de chances que ce genre de situation se produise dans la cour de récréation… Et, de toute façon, cela manifeste toujours un échec, des deux côtés, quoi qu’il arrive. »
Le roman est desservi par un style (une traduction ?) parfois douteux :
« Officiellement, personne n’avait encore parlé de meurtre, mais tout le village le disait, et Dominic ne pouvait s’empêcher d’être imprégné de cette certitude. Charles, qui lui avait fait des confidences avant de mourir de manière surprenante, le mettait au défi d’exploiter ses connaissances. »
Mais c’est bien un polar :
« Car le meurtre, ce n’est pas seulement une affaire de mort et de coupable ; c’est une affaire qui affecte toute la communauté des innocents, qui envoie des courants perturbateurs sur les nerfs soudain à vif de tout le village ; et le seul remède, c’est la connaissance. L’ignorance, quand on y pense, hante d’autres forêts. »
Mots-clés : #polar
- le Sam 18 Mai - 20:57
- Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
- Sujet: Edith Pargeter (Ellis Peters)
- Réponses: 18
- Vues: 1573
Edith Pargeter (Ellis Peters)
(Merci aux petites mains qui ont mis en forme soin pseudonyme comme il le fallait !)Un cadavre de trop
Ce roman policier "soft", comprendre non sanguinaire, a été trouvé dans une boîte à livre, quel joli cadeau du hasard : j'ai beaucoup apprécié le lire.
L'intrigue :
(Wikipedia)
"Étienne de Blois et Mathilde l'Emperesse se disputent le trône d'Angleterre.
En août 1138 (du 22 au 27), Étienne, roi d'Angleterre de fait,
assiège Shrewsbury défendue par Guillaume Fitz-Alan,
qui tient la ville pour Mathilde, assisté de Arnulf de Hesdin,
présenté comme son oncle.
La place résiste une semaine, c'est trop et tous les membres de la garnison vaincue sont pendus.
Guillaume Fitz-Alan parvient toutefois à prendre la fuite.
Aux moines de l'abbaye de Shrewsbury, échoit le soin de s'occuper des morts. Frère Cadfael, Sherlock Holmes du Moyen Âge, constate alors, avec stupeur qu'il y a un cadavre de trop. Qui plus est, les traces que porte ce cadavre sont différentes de celles que laisse une exécution par pendaison où le supplicié a les mains liées. Frère Cadfael veut rendre justice à cet homme et à sa famille.
À noter qu'en lieu et place d'un classique tribunal, l'épilogue de cette enquête est un jugement de Dieu, combat à l'outrance. "
Combat très bien écrit d'ailleurs .
Je lis ici et là que cette auteure que je ne connaissais pas se documentait énormément et que la caractéristique de ses romans moyen-ageux est la précision à tous points de vue.
C'était tout à fait dépaysant, en effet,
le moine a une psychologie absolument réjouissante, humaniste et rusé, bonhomme et bourru, tous les ingredients pour séduire . Son adversaire est paré de toute subtilité ce qui rend leur pas de deux vraiment subtil et porteur de valeurs .
L'intrigue ne suspend pas l'haleine, dans le sens où nous n'errons pas dans d'affreuses spéculations : en cela c'est vraiment soft, en effet on découvre quasiment en même temps que les personnages les étapes, pour autant c'est toujours très bien amené et surtout l'occasion de dépeindre les protagonistes avec finesse.
Je recommande triplement pour ceux que l'époque et le genre attirent. J'ai adoré, ça a été un moment de détente merveilleux.
Le contexte de guerre civile est bien rendu, évidemment il est aussi l'occasion d'observer comment des troubles terribles malmènent les éthiques individuelles.
Mots-clés : #historique #moyenage #polar
- le Lun 13 Mai - 19:40
- Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
- Sujet: Edith Pargeter (Ellis Peters)
- Réponses: 18
- Vues: 1573
Andrea Camilleri
Je viens de terminer "la première enquête de Montalbano" dans lequel livre comme le note Arabella sont rassemblées 3 enquêtes.
La 1ère enquête porte sur l'assassinat d'animaux dont la grandeur augmente à chaque "crime", mais un écrit laissé par l'assassin dirige Montalbano vers une évidence : la prochaine victime sera humaine.
La deuxième enquête de Montalbano se déroule à Vigatà où il vient d'être muté. L'instinct du Commissaire lui fait suivre une jeune fille dont le regard absent et la présence dans l'enceinte du Tribunal l'intriguent. La jeune fille se confit finalement au Commissaire et il parviendra avec habileté à faire "tomber" des "mafiosi" pour leurs actions répréhensibles.
La dernière enquête concerne l'enlèvement d'une fillette de 3 ans et là aussi des "mafiosi" sont impliqués.
L'écriture m'a réjouie; de la truculence et verve. Les expressions du midi qui traduisent certains mots me sont familières et ne m'ont donc pas étonnées. Je pense que les Siciliens qui sont aussi du Sud ont peut-être la même façon imagée de s'exprimer même si les termes sont différents.
Les repas du Commissaire et son bonheur de manger sont de bons moments dans cette lecture.
Je ne pense pas qu'il eut fallu dramatiser les attitudes ou langage des membres du Commissariat par rapport aux actions mafieuses. C'est avec habileté et dans le souci de préserver, les témoins et les habitants de Vigatà que le Commissaire a choisi d'oeuvrer pour résoudre et mener à bien ses enquêtes.
(récupération de 2009)
Mots-clés : #polar
- le Sam 11 Mai - 10:52
- Rechercher dans: Écrivains Italiens et Grecs
- Sujet: Andrea Camilleri
- Réponses: 25
- Vues: 2773
Andrea Camilleri
La forme de l'eauPino et Saro, « jeunes géomètres dûment dépourvus d’emploi de géomètre », exercent le métier de « ramasse-poubelles » sur un terrain vague malfamé, le Bercail, qui sert de lieu des divers trafics de Vigatà, Sicile orientale. Ils découvrent un collier de valeur, puis le cadavre de l'Ingénieur Luparello, personnalité politique en vue…
« …] introduction des forces vierges et non souillées par la politique (comprenez : non encore mises en examen) [… »
C’est la première apparition du commissaire Montalbano ‒ un commissaire qui n’est pas à un manquement près, allant jusqu’à jouer le « dieu de quatrième ordre »…
À propos du titre :
« Un jour, je vis que mon ami avait mis sur le bord d’un puits une écuelle, une tasse, une théière, une boîte à lait carrée, toutes pleines d’eau à ras bord, et qu’il les observait attentivement. " Qu’est-ce que tu fais ? " je lui demandai. Et lui, à son tour, me posa une question : " Quelle est la forme de l’eau ? – Mais l’eau n’a pas de forme ! dis-je en riant. Elle prend la forme qu’on lui donne." »
C’est une sorte d’allégorie pour imager comme on peut faire interpréter l’apparence, et même les faits.
J’ai apprécié le style, abrupt, les brèves séquences qui se succèdent, les tours de phrases et le vocabulaire dialectal, l’ancrage sicilien du roman, une certaine érudition dans les références :
« …] avec le vieux questeur Burlando, qui était un ami, une dizaine de jours auparavant, ils avaient parlé d’un livre d’Ariès, Histoire de la mort en Occident, que tous deux avaient lu. Le questeur avait soutenu que chaque mort, même la plus abjecte, conservait toujours son caractère sacré. Montalbano avait rétorqué, et il était sincère, que dans chaque mort, fût-ce celle du pape, il ne réussissait à voir rien de sacré. »
(Au fait, j'ai aussi lu Histoire de la mort en Occident, essai d'Ariès, et comme je m'en souviens, je me permets de le recommander...)
Mots-clés : #polar
- le Sam 11 Mai - 0:23
- Rechercher dans: Écrivains Italiens et Grecs
- Sujet: Andrea Camilleri
- Réponses: 25
- Vues: 2773
James Crumley
La Danse de l'ours(Lu dans la première traduction, celle de François Lasquin)
Milodragovitch (Milo) est dans le rôle de l’enquêteur anti-héros ‒ poncif archétypal du détective privé (avec ici la coke en prime) qui fonctionne toujours parfaitement (le limier est d’ailleurs un des stéréotypes les plus puissants ‒ et des plus anciens ‒ dans la littérature).
Action donc : les péripéties rebondissent densément. Montana, environnement ? pas beaucoup plus qu’une toile de fond…
Assez primaire au départ, le personnage principal parvient cependant à une certaine aversion à la violence et aux abus en tous genres (peut-être tardivement, mais en tout cas en alternative bienvenue au manichéisme habituel).
Voici un extrait du conte benniwah liminaire (la seconde version est celle du traducteur Jacques Mailhos) :
« Toujours, les ours trouvaient avant les Indiens les arbres creux où les abeilles font leurs nids, les éventraient, dévoraient les rayons et dérobaient le miel avec leurs langues râpeuses et leurs griffes acérées. Et les abeilles étaient tout le temps en colère parce que ces pauvres ours ne connaissaient pas la fumée sacrée qui sert à les amadouer, parce qu’ils ne savaient pas qu’ils auraient dû chanter des chants de grâces afin de se faire pardonner d’elles et parce que, pis que tout, les ours étaient voraces et prenaient toujours tout le miel sans rien laisser pour les abeilles. Les ours savaient tout du miel, mais ils ne savaient rien des abeilles, et voilà pourquoi les Indiens n’avaient pas de douceur dans leurs tipis. »
« Les ours trouvaient toujours les arbres à abeilles avant les Indiens ; ils les éventraient, mangeaient les rayons de miel, et volaient le miel avec leurs griffes pointues et leurs langues râpeuses. Et les abeilles étaient toujours en colère, parce que les ours, ces pauvres âmes, ne connaissaient pas le secret de la fumée sacrée qui rend les abeilles amicales, et les ours ne connaissaient pas les chants d'action de grâce qui auraient pu pousser les abeilles à leur pardonner, mais pire que tout, les ours souffraient de cupidité et ils prenaient toujours tout le miel, sans rien laisser aux abeilles. Les ours connaissaient le miel mais ils ne connaissaient pas les abeilles, et voilà pourquoi les Indiens n'avaient plus aucune douceur dans leurs tipis. »
Par contre, la proximité avec Jim Harrison est lointaine…
« ‒ Le monde s’en va en couille, mon colonel…
‒ Je vous demande pardon ?
‒ … si le fait de payer cash est suspect a priori.
‒ Ce monde, ce n’est pas nous qui l’avons fait, Milo. Mais nous sommes bien forcés d’y vivre. »
Mots-clés : #polar
- le Sam 4 Mai - 0:20
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: James Crumley
- Réponses: 8
- Vues: 1005
Leonardo Sciascia
Le Jour de la chouetteLe capitaine des carabiniers Bellodi enquête habilement pour obtenir les noms derrière des meurtres, que tout le monde sait et tait.
Sous couvert de roman policier, c’est un pamphlet politique. Paru en 1961, ce livre est un des premiers à dénoncer la mafia, qui est comme consubstantielle à la Sicile… et le fascisme, que l’Italie ne parvient pas à rejeter.
« Mais la Sicile n’est qu’un espace imaginaire : comment y résider sans jamais faire jouer son imagination ? »
« "Il devient philosophe, parfois", pensait le jeune homme qui considérait la philosophie comme une sorte de jeu de miroirs dans lesquels de longs souvenirs et un bref avenir se renvoyaient une vague lueur crépusculaire d’idées, et aussi des images incertaines et déformées de la réalité. »
Mots-clés : #polar
- le Ven 26 Avr - 1:17
- Rechercher dans: Écrivains Italiens et Grecs
- Sujet: Leonardo Sciascia
- Réponses: 14
- Vues: 2503
Alain Robbe-Grillet
La repriseRoman assez court (2001 ‒ le dernier écrit par Robbe-Grillet ?), comprenant un prologue, cinq journées et un épilogue.
Incipit :
« Reprise et ressouvenir sont un même mouvement, mais dans des directions opposées ; car, ce dont on a ressouvenir, cela a été : il s’agit donc d’une répétition tournée vers l’arrière ; alors que la reprise proprement dite serait un ressouvenir tourné vers l’avant. »
Søren Kierkegaard, Gjentagelsen
« Et puis, qu’on ne vienne pas m’embêter avec les éternelles dénonciations de détails inexacts ou contradictoires. Il s’agit, dans ce rapport, du réel objectif, et non d’une quelconque soi-disant vérité historique. »
A. R.-G.
Début du prologue (c’est moi qui souligne) :
« Ici, donc, je reprends, et je résume. Au cours de l'interminable trajet en chemin de fer, qui, à partir d'Eisenach, me conduisait vers Berlin à travers la Thuringe et la Saxe en ruines, j'ai, pour la première fois depuis fort longtemps, aperçu cet homme que j'appelle mon double, pour simplifier, ou bien mon sosie, ou encore et d'une manière moins théâtrale : le voyageur. »
Références à Kafka, Kierkegaard, Sterne (qui sert de nom de plume à Pierre Garin…), aussi aux œuvres antérieures d’A. R.-G. (prégnance du canal et du pont à bascule, etc.) ?
Donc voyage en train dans l’Allemagne (contrée du Doppelgänger ‒ le mot n’apparaît pas dans le livre) dévastée d’après-guerre, de Henri Robin, pseudo-ingénieur en mission secrète en RDA, qui croise donc son double, ce qui lui était déjà arrivé enfant sur une grève de sa Bretagne natale, « pays des sorcières, des revenants et des fantômes en tout genre ». Il retrouve à Berlin-Est son contact, Pierre Garin, et doit observer de l’appartement d’une mystérieuse J. K. une énigmatique entrevue dans les ruines de la ville ; l’homme qui apparaît au pied d’un socle vacant est abattu, c’est Dany von Brücke, officier des services spéciaux de la Wehrmacht.
« Le visage ressemble à celui du vieillard de bronze, ce qui ne veut rien dire, puisque je l'avais moi-même inventé. »
Nombreux signes (soufre, miroir) en une profusion d’indices qui déroute le lecteur. Le narrateur poursuit la rédaction de son rapport, que commentent de mystérieuses notes de son "employeur", le Service Action Discrète. Le texte est rédigé dans une langue précise, châtiée, à la limite componctueuse (« la langue de Goethe », « la langue de Racine », et tutti quanti).
Première journée :
Surnommé Ascher, celui qui sera dorénavant appelé « le voyageur » (est-ce le même narrateur ?) change d’identité de couverture (désormais Boris Wallon, dit Wall) et rejoint la zone occidentale de Berlin où, victime d’une sensation de déjà-vu (un souvenir d’enfance en ce même lieu) et de « visions récurrentes, d'un passé enfoui qui resurgit en lambeaux », il est reconnu par un hôtelier dédoublé en jumeaux ‒ dont il ne se souvient pas avoir été l’hôte l’avant-veille…
Deuxième journée :
Après avoir reconnu l’immixtion d’une parenthèse onirique dans son réel, le narrateur passe temporairement au « je » de l’auteur lui-même :
« À gauche comme à droite de ce vaste bureau en acajou dont j'ai décrit ailleurs la pompeuse ornementation napoléonienne, de plus en plus envahi sur chaque côté par les piles sournoises des paperasses existentielles s'accumulant en strates, je laisse désormais clos toute la journée les volets des trois fenêtres qui donnent sur le parc, au sud, au nord et à l'ouest, pour ne plus apercevoir le désastre obscur où je vis depuis l'ouragan qui a ravagé la Normandie juste après Noël, marquant d'une manière certes inoubliable la fin du siècle et le mythique passage à l'an deux mille.
[…]
J'ai souvent parlé de la joyeuse énergie créatrice que l'homme doit sans cesse déployer pour reprendre le monde en ruine dans des constructions nouvelles. Et voilà que je me remets à ce manuscrit après une année entière de rédaction cinématographique entrecoupée de trop nombreux voyages, quelques jours à peine après la destruction d'une part notable de ma vie, me retrouvant donc à Berlin après un autre cataclysme, portant une fois de plus un autre nom, d'autres noms, faisant un métier d'emprunt muni de plusieurs faux passeports et d'une mission énigmatique toujours prête à se dissoudre, continuant néanmoins de me débattre avec obstination au milieu de dédoublements, d'apparitions insaisissables, d'images récurrentes dans des miroirs qui reviennent. »
Puis il rencontre les séduisantes jeune veuve et fille de l’officier allemand tué en prologue : Joëlle/ Jo/ la mythique I, l’ex-Madame von Brücke, née Kastanjevica dite Kast (soit J. K.), et « Gegenecke, vite transformé en Gege, c'est-à-dire Guégué selon la prononciation allemande, mais francisé en Gigi et devenu ensuite Djidji pour les Américains », GG ou 2 G en nom de code. C’était un second mariage :
« "Ça n'était qu'une répétition, m'assurait-il, avant la générale." J'ai ensuite compris peu à peu, au contraire, que je devais être seulement moi-même une doublure… ou, au mieux, la vedette de quelque reprise, éphémère, d'une pièce déjà ancienne… »
Dans cette villa pleine de poupées et pantins, il oscille entre exténuation et délire hallucinatoire, voire intoxication, et se réveille « Franck Matthieu (ou aussi bien Mathieu Frank, puisqu'il s'agit là en vérité de ses deux prénoms) », dans une chambre d’enfants où un tableau se réfléchit et s’inverse dans des miroirs (allusions à l’Alice au pays des merveilles de Carroll, « Alice Liddell en petite mendiante photographiée par le pasteur Dodgson avec sa chemisette aux lambeaux suggestifs ») :
« La scène immémoriale se déroule une fois de plus, dans son étrangeté familière. »
Troisième journée :
(Redevenu) HR dans la même situation découvre à son réveil l’effrontée Guégué qui le surveille. Une chaussure de bal à haut talon, dont l'empeigne est recouverte d'écailles bleu métallisé, apparaît dans les endroits les plus incongrus. Une fresque a été peinte en trompe-l’œil dans la fenêtre aveugle, scène de la récente guerre, œuvre de Walther, le demi-frère de Guégué mort depuis. Les références picturales se multiplient (Caspar David Friedrich, Klingsor, etc.), ainsi que les allusions mythologiques (Io, Gorgone, etc.) et psychanalytiques :
« Une rivalité féroce à caractère ouvertement œdipien. Cette famille maudite, c'est le royaume de Thèbes ! »
Les notes sont bizarrement décalées, et changent d’auteur : jusqu’à Walther, qui remplace HR dans la scène passée de sa découverte de la villa avec Guégué ainsi qu’en vitrine. Voici les deux versions :
« Wall lève alors les yeux vers la façade du coquet pavillon, dont la fenêtre centrale, au premier étage, est grande ouverte. Dans l'embrasure béante se tient un personnage féminin que le visiteur pense d'abord être un mannequin de vitrine, tant son immobilité vue d'un peu loin semble parfaite, l'hypothèse de son exposition en évidence face à la rue paraissant d'ailleurs tout à fait vraisemblable ici, étant donné la nature commerciale des lieux affichée sur le panonceau d'entrée. Mais, ayant soudain reçu un éclat vivant du regard qui le fixe, tandis qu'un impondérable sourire aurait légèrement disjoint les lèvres à l'ourlet boudeur, Wall doit reconnaître sa méprise : en dépit du froid qu'elle affronte dans une tenue outrageusement légère, il s'agit – Dieu me pardonne ! – d'une adolescente de chair et de sang qui le dévisage avec un aplomb ostentatoire. La jeune fille aux boucles blondes en désordre, peut-être sortant à peine du lit, est, il faut le dire, très mignonne, autant du moins que cet adjectif aux connotations mièvres puisse convenir à son éclatante beauté du diable, à sa posture immodeste, à ses airs conquérants qui laissent au contraire prévoir un caractère fort affirmé, aguerri, voire aventureux, dépourvu en tout cas de la fragilité dont son âge tendre (quelque treize ou quatorze ans) devrait normalement être l'augure. »
« Levant ensuite mes regards vers le toujours coquet pavillon familial, j'ai constaté avec surprise (comment ne pas l'avoir remarqué en arrivant ?) que, juste au-dessus de la porte d'entrée avec son haut judas rectangulaire dont la vitre est protégée par de massives arabesques en fonte, la fenêtre centrale du premier étage était grande ouverte, ce qui n'avait du reste rien d'anormal par cette chaude journée d'automne. Dans l'embrasure béante se tenait un personnage féminin que j'ai cru d'abord être un mannequin de vitrine, tant son immobilité vue de loin semblait parfaite, l'hypothèse d'une telle exposition, en évidence face à la rue, paraissant d'ailleurs tout à fait vraisemblable étant donné la nature commerciale des lieux affichée sur le panonceau servant d'enseigne. Quant au modèle de poupée grandeur nature choisi comme appât pour attirer le chaland (une grâcieuse adolescente aux boucles blondes en désordre suggestif, offerte dans une tenue outrageusement légère laissant plus que deviner l'attrait de ses charmes juvéniles, et prometteurs), il ne pouvait que renforcer le caractère équivoque – pour ne pas dire racoleur – de l'annonce calligraphiée, le trafic des petites catins mineures risquant d'être aujourd'hui, dans notre capitale à la dérive, beaucoup plus répandu que celui des jouets pour enfants ou des simulacres en cire pour magasins de mode. »
Changement de protagoniste, le passage à Walther constitue en fait un vrai basculement, puisque ce dernier enlève Guégué (maintenant Geneviève, diminutif Ginette ou Gigi, qui se révèle entraîneuse dans un cabaret louche, assez garce et fort menteuse) et la soumet à un interrogatoire sado-érotique, guère arrêté de découvrir qu’elle est sa demi-sœur, voire sa fille ‒ HR est tiré de cette rêverie phantasmagorique par le bruit d’une coupe de champagne brisée.
Quatrième journée :
Un bruit de vitre près de casser éveille HR, de nouveau dans sa chambre d’hôtel. Il apprend que son diminutif de Wall correspond à Walther.
Il reprend son rapport sur les faits récents : il s’est fait un poignard de cristal du plus grand éclat de la coupe à champagne brisée ; comme de coutume, il ne connaît pas l’heure, et n’est pas même sûr du jour ; Io lui fait l’amour, « maternelle » ; il découvre trois dessins pornographiques de Gigi par Walther :
« Les traits sensuels de l'adolescente expriment une sorte d'extase, qui pourrait être de souffrance mais évoque davantage la voluptueuse jouissance du martyre. »
Ensuite HR poignarde (au pubis) Violetta, une consœur de Gigi en s’enfuyant de la chambre d’enfants.
Cinquième journée :
« HR rêve qu'il se réveille en sursaut dans la chambre sans fenêtre des anciens enfants von Brücke ». « Malade », il reçoit la visite de Pierre Garin, cherche toujours une « vérité objective ». Le colonel von Brücke n’a été que blessé lors du premier attentat, mais vient de succomber à un second ; la police le soupçonne d’être l’assassin, HR se considère trahi dans un complot voué à sa perte et accuse Walther (WB ou Vébé), qui effectivement n’est pas mort, mais espion, comme beaucoup des personnages… et retrouve le voyageur qui a pris sa place dans sa chambre ; c’est son jumeau, Walther, et il est Markus, en plein drame œdipien, sur qui son frère tire :
« Le calme, le gris… Et sans doute, bientôt, l'innommable… De remous, certes, aucun. Mais ce ne sont pourtant pas les ténèbres annoncées. L'absence, l'oubli, l'attente baignent calmement dans une grisaille malgré tout assez lumineuse, comme les brumes translucides d'une prochaine aurore. Et la solitude, elle aussi serait trompeuse… Il y aurait en fait quelqu'un, à la fois le même et l'autre, le démolisseur et le gardien de l'ordre, la présence narratrice et le voyageur…, solution élégante au problème jamais résolu : qui parle ici, maintenant ? Les anciens mots toujours déjà prononcés se répètent, racontant toujours la même vieille histoire de siècle en siècle, reprise une fois de plus, et toujours nouvelle… »
Épilogue :
« Markus von Brücke, dit Marco, dit "Ascher" l'homme gris, couvert de cendres, qui émerge de son propre bûcher refroidi, se réveille dans la blancheur sans relief d'une cellule hospitalière moderne. »
A son chevet, la désinvolte Gigi l’appelle « Mister Faou-Bé », « la prononciation allemande pour V. B. » Le commissaire de police allemande l’accuse d’avoir violenté Violetta, et décrit avec complaisance et dans un style parodique les sévices autorisés des courtisanes mineures dans
« Berlin-Ouest, plaque tournante de tous les vices, trafics immoraux et marchés corrompus. »
« L'éros serait-il aussi le lieu privilégié du ressassement éternel et de la reprise insaisissable, toujours prête à resurgir ? »
Gigi empoisonne Walther, son demi-frère et amant (et peut-être même géniteur), Marco prend son identité pour commencer une nouvelle vie en se fiançant à Gigi dès sa sortie de l’hôpital américain.
Le lecteur est incessamment tenu en alerte par de menues reprises (deux occurrences de fauteuil crevé à la déchirure triangulaire, par exemple, alors qu’Angélica n’apparaît qu’une fois ‒ visage angélique de Gigi ?) qui se répondent dans diverses situations (sans nécessairement avoir un sens ?). Les plans des lieux (logement, ville) sont précisément indiqués.
Œuvre propre à nouer inextricablement les circonvolutions cérébrales, à recommander aux cervelles adeptes de labyrinthes méandriques.
Comme j’ai lu auparavant Littératures 1 de Nabokov, je me dis que la jubilation de ce dernier à décrypter ce roman n’aurait eu d’égale que celle d’Alain Robbe-Grillet à le fomenter… Il aurait sans doute savouré les transitions, d’un narrateur à l’autre, d’une séquence à la suivante, et dont les fondus enchaînés rappellent les procédés cinématographiques.
Polar (en fait espionnage)
Mots-clés : #polar
- le Ven 12 Avr - 1:06
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Alain Robbe-Grillet
- Réponses: 63
- Vues: 4962
Wajdi Mouawad
AnimaQuelque narrateur décrit un homme découvrant sa femme sauvagement assassinée : c’est le chat, et l’homme c’est Wahhch Debch. Puis ce sont des moineaux qui observent ce dernier, tétanisé par le traumatisme, dans sa chambre d’hôpital. À chaque chapitre, c’est une autre espèce qui le décrit ; comme elle est relativement individuée, le lecteur, s’il ne lit pas les titres en latin, peut deviner progressivement l’espèce en cause. Ce procédé est habilement, systématiquement déroulé. Pour mémoire, anima en latin signifie souffle, air, vie, âme, être animé, et a notamment donné animal, animisme… Les bêtes perçoivent nettement toutes les scènes qui permettent au lecteur de suivre l’histoire ‒ et parfois elles perçoivent un peu plus que ne le pourrait un homme ‒ intuition, pressentiment, innocence…
« Au-delà de sa parure humaine derrière laquelle il se camouflait, cet être était emmailloté au cœur d’une toile invisible tissée d’une soie née de sa propre chair, et la bête odieuse qui le tenait prisonnier, se nourrissant à même ses viscères, n’était nulle autre que lui-même. Il était sa propre proie et son propre piège. »
« Quelque chose d’humain est venu m’effleurer et les ténèbres m’ont envahie. Je me suis reculée et je me suis enfuie par une fissure du mur pour le sortir de ma vue et retrouver l’obscurité profonde des arachnées, bien plus lumineuse, bien plus rassurante que cette nuit effroyable que je venais d’entrevoir et qui est, je le sais à présent, le propre des humains. »
Ce regard des bêtes crée une distanciation, au sein des animaux, avec la sauvagerie monstrueuse des humains. Parfois cependant ils éprouvent de l’empathie pour ce spécimen distinct de leurs dangereux adversaires. Leurs jugements des hommes sont quelquefois l’occasion de considérations métaphysiques un peu creuses.
Wahhch poursuit donc le meurtrier dans une réserve mohawk du Québec, puis aux USA ; Angola, Lebanon, Thebes, Cairo, Oran, Carthage, Cabool…), étrange road movie sur l’atlas, de part et d’autre de la Mason-Dixon Line (à ce propos, on consultera avec grand intérêt Mason & Dixon, de Thomas Pynchon), aussi ligne de partition entre Nord et Sud lors de la guerre de Sécession.
Avec une curieuse récurrence, Wahhch s’imagine être l’assassin de sa femme,
« J’ai vu mon regard me voir »
et le drame lui fait se rappeler vaguement qu’enfant on l’avait enterré vivant sous terre, à Sabra et Chatila. Mouawad rapproche ce massacre de la manière de « régler la "question indienne" une fois pour toutes » au moyen des lois d’intégration canadiennes, qui consistent à exiler les jeunes enfants indiens loin de leurs familles et cultures.
Les rappels et renvois internes de ce thriller très travaillé sont efficaces ; outre les récits des animaux, j’ai apprécié les passages en anglais et même en arabe ("littéral", si j’ose dire) (pas certain cependant que ce soit agréable pour tous les lecteurs), mais l’aspect trash m’a au mieux paru inutile, et surtout je regrette que tout cela tourne un peu à vide, avec des considérations gratuites, voire sans signification.
J’ai pensé à Fred Vargas (peut-être le ton ?)
Mots-clés : #polar
- le Ven 5 Avr - 14:11
- Rechercher dans: Écrivains du Proche et Moyen Orient
- Sujet: Wajdi Mouawad
- Réponses: 25
- Vues: 4256
Chris Offutt
Originale : Country Dark (Anglais/E.-U., 2018)
Quatre chapitres titrés entre 1954 et 1971. Tucker rentre de la guerre de Corée, juste âgé de dix-dept ans. En train, à pieds et en stop il rentre au pays, le Kentucky des Appalaches, assez isolé, oublié par tous, comme cette guerre qu’il vien de quitter. En chemin il libère Rhonda, quinze ans, assez énergiquemment des griffes de son oncle qui voulait l’abuser. Coup de foudre ! Et ils se marient rapidemment. Dix ans après ils ont cinq enfants, dont quatre avec des signes de retardements… Ils habitent dans des conditions simples dans un « settlement » et se sont construit une vie pauvre, certes, mais aussi quelque part heureux. Tucker travaille chez un traffiquant d’alcool. Et les institutions s’intéressent aux conditions des enfants dans de « telles » conditions. Simples ? Ou déjà inacceptables ? Des nouveaux problèmes apparaissent et Tucker se voit dans l’obligation d’agir...
REMARQUES :
L’auteur lui-même est de ce milieu des Appalaches, de villages réculés, à la limite de l’abandon : sans vrai reseau de routes, sans accès simple à des hopitaux, sans eaux courants. Des endroits oubliés où des gens travaillent dur, proche de la nature dont ils font en quelque sorte partie. Celle-ci est parfois cruel, mais offre aussi à Tucker un cadre dans lequel il se meut avec une certaine aisance. Cet homme est capable d’une forme de romantisme, d’un savoir faire naturel, d’une intelligence pratique. Et aussi : comme ancien combattant il avait appris à tuer, à exprimer une violence, à maitriser un savoir faire guerrier qui peut s’apparenter à la maxime de Sunzi : « Penser lentement, agir rapidemment. » (L’art de la guerre).
Edité chez Gallmeister, ce livre est classé sous la série des « natural writing ». Mais l’auteur disait (lors d’une lecture) que cela lui est bien égale comment on veut prendre ses livres. Certains parlent même de « policier, de thriller, de roman tout simplement ». N’importe : le livre dépasse les limites, à mon avis, est pourrait parler à différents types de lecteurs. Il y a aussi cette grande tendresse vécué envers ses enfants handicappés et surtout la complicité avec Rhonda. Et cela coexistent – comme en nous tous – avec une violence possible, surtout quand il s’agit de défendre les siens.
« Il ne réflèchissait pas en termes d’innocence et de culpabilité, de bien et du mal, de justice ou de mérite. Il ne regrette rien et n’en voulait à personne. »
Peut-être on trouve des motifs « américains » de l’innocent persécuté par le destin qui doit se défendre car il ne trouve pas de justice ? Il y a là un « déjà vu » par d’autres films et livres américains.
« J’entends et j’observe », dit Tucker. Combien c’est vrai ! Et on le souhaite aussi pour tous. Bonne découverte d’un auteur jusqu’ici inconnu pour moi !
Mots-clés : #guerre #nature #polar #violence
- le Sam 30 Mar - 18:43
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: Chris Offutt
- Réponses: 14
- Vues: 1556
Robert Louis Stevenson
Nouvelles mille et une nuitsLe personnage de Pendragon, dans Histoire d’un carton à chapeau, premier texte de Le Diamant du Rajah (1878), m’a ramentu ce même nom dans La sagesse du père Brown (1914). Sur le fil de Chesterton, je notais :
Curiosité : le nom de Pendragon, dans Les naufragés des Pendragon, se retrouve dans L’étrange crime de John Boulnois ‒ mais aussi l’épée qui sort de la haie… En fait, c’est le contraire, puisque Les naufragés des Pendragon est paru dans la presse presque un an après L’étrange crime de John Boulnois !
On goûte le même bizarre plaisir un peu suranné qu’à la lecture de son contemporain Arthur Conan Doyle ‒ ou à celle de cet autre, Maurice Leblanc, qui répondit au Sir en créant le personnage d’Herlock Sholmès, ennemi juré de son Arsène Lupin ‒ ou encore à celle de Gaston Leroux, et de leur prédécesseur à tous, Émile Gaboriau…
Il paraît évident que Chesterton renvoie à Stevenson, et de toute manière ces récits sont de la même veine.
D’ailleurs :
« ‒Vous me mettez dans l'embarras, dit l'étranger ; j'avoue n'avoir pas grande idée de l'utilité des livres, sauf comme amusement pendant un voyage en chemin de fer. Il existe toutefois, je suppose, quelques traités très exacts sur l'astronomie, l'agriculture et l'art de faire des fleurs en papier. Sur les emplois secondaires de la vie, je crains que vous ne trouviez rien de véridique. Cependant, attendez, ajouta-t-il ; avez-vous lu Gaboriau ? »
Mots-clés : #nouvelle #polar
- le Sam 23 Mar - 21:29
- Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
- Sujet: Robert Louis Stevenson
- Réponses: 63
- Vues: 6905
Olga Tokarczuk
Sur les ossements des mortsDans ces paysages enfouis sous la neige où le soleil n’apparaît que quelques heures par jour, où les habitants sont de vieux originaux taiseux, sont commis des crimes curieux, sans vrai mobile, symboliques peut-être, qui terrorisent les habitants. L'histoire est racontée par une vieille « folle » solitaire qui court les montagnes, complice des animaux et de la nature, hantée (un peu trop) par l'astrologie et la poésie de William Blake. L'ambiance est assez curieuse, on ne sait trop si l'on est dans le fantastique, l’ésotérique, en fait on ne sait pas trop où l'on va.
Malgré la belle étrangeté de cette nature retirée et toute puissante, j'ai mis longtemps, très longtemps à m'attacher à ce faux polar philosophico-écologique. Seule, cette idée « où me mène -t'elle ? », m'a tenue, car je me disais bien que la fin serait décisive. Et en effet, malgré une lecture un peu poussive, j'ai trouvé le dénouement très réussi, il a fait pencher la balance dans le bon sens.
Récup 2015
mots-clés : #nature #polar
- le Dim 24 Fév - 10:16
- Rechercher dans: Écrivains d'Europe centrale et orientale
- Sujet: Olga Tokarczuk
- Réponses: 82
- Vues: 8669
Sheridan Le Fanu
La Maison près du cimetière« La Maison près du cimetière » est un gros roman de plus de 600 pages.
La lecture en est au départ très déstabilisante. Cela commence comme une enquête policière dans une atmosphère fantastique : découverte d’un crâne avec fracture dans le cimetière de Chapelizod, aujourd’hui banlieue de Dublin.
Puis, nous voilà introduit dans la vie de cette bourgade au bord de la Liffey, vers le milieu du 18e siècle, alors qu’elle conservait encore son caractère rural.
Peu à peu se dessinent des personnages, souvent hauts en couleur : docteurs, officiers du régiment royal d’artillerie, ecclésiastiques, aristocrates et notables, serviteurs etc. Tout ce petit monde vaque à ses occupations, se croise, s’évite, se rencontre dans des lieux qui dessinent une géographie imagée : « Les Ormes », « Les Moulins », « Sous les tuiles », « La Maison du roi », « Belmont », « Les Jaunets »…
Surtout, les deux auberges « La Saumonière », mais surtout « Le Phoenix» sont les lieux principaux de discussions, on y apprend les nouvelles, on papote, on y répand les cancans, on y médit. Là naissent des amitiés, se profilent des rancœurs, des rivalités, voire des haines. Le tout dans une atmosphère de tabac, de bière et de punch.
On aime bien les fêtes à Chapelizod : mariages, bals et défilés du régiment. On ripaille, on boit, on danse, chacun selon sa personnalité. A l’inverse, l’actualité est marquée par quelques duels.
Autrement dit, le rythme du livre est vraiment très lent. On ne sait pas trop où vous entraîne l’auteur et il faut plusieurs centaines de pages avant que l’intrigue se dessine. Mais ensuite, elle ne vous lâche plus. Sheridan le Fanu est un maître dans l’art du suspens ! Et les dernières centaines de pages se dévorent avec avidité.
En résumé, je dirai que l’intérêt principal du roman réside dans ce tableau d’un microcosme dont les personnages et les histoires se croisent et s’entrecroisent. Shéridan Le Fanu l’examine avec acuité et tendresse. Bien sûr, il y a cette enquête policière et cette atmosphère fantastique qui sous-tendent le récit. Mais là n’est pas l’essentiel.
« La Maison près du cimetière » était un des livres favoris de Joyce et je comprends pourquoi ! Pour ma part, j’ai été marri de quitter ce petit monde de Chapelizod qui m’a accompagné pendant un mois et auquel je m’étais attaché.
mots-clés : #fantastique #polar
- le Ven 22 Fév - 16:06
- Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
- Sujet: Sheridan Le Fanu
- Réponses: 12
- Vues: 789
François Bégaudeau
MoléculesVous croyez commencer à lire un polar : Ben oui puisqu’il y a un meurtre, une victime, une policière, un adjoint, des indices, une concierge portugaise pour mettre sur la voie. Ah oui, Bégaudeau, il fait ça aussi ? Rassurez-vous, il fait ça à sa façon bien singulière : la victime travaille dans un service de psychiatrie, la policière ne manque pas de répartie, chacun a ses petites obsessions, l’adjoint est le roi de la statistique, la concierge juge Dieu supérieur à la justice humaine, la fille de la victime s’incarne dans une science revendiquée. Apparaissent ensuite un assassin, une juge d’instruction, des avocats, des jurés . Et là, mais oui, tout est résolu, mais la vie continue. Ils sont encore là « les survivants » , leur histoire se poursuit, il ne suffit pas d’élucider.
C’est donc bien plus qu’un polar, c’est un attachant roman qui s’intéresse à ses personnages jusqu’au bout, et les aime tous à sa façon marrante, attentive, quasi affectueuse, qui donne la parole à un autiste, c’est vous dire. Et jusqu’à Bégaudeau encore étudiant qui vient tenir un petit rôle épatant pour faire avancer son intrigue.
Au-delà de cette histoire perpétuellement malicieuse, Bégaudeau (l’auteur, pas le personnage), traque le sens des choses et des mots, et tout ce que leur non-sens implique aussi, le poids des stéréotypes verbaux et comportementaux. Il instille de l’humour à chaque page, un truc discret, pince sans rire, dévastateur. La légèreté est ici un atout, le sérieux se cache sous le gracieux. J’ai adoré.
mots-clés : #humour #polar #vengeance
- le Sam 16 Fév - 9:32
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: François Bégaudeau
- Réponses: 81
- Vues: 4904
Louis Owens
Même la vue la plus perçante
(en exergue : Invisibles, les flèches de la mort volent en plein midi ; même la vue la plus perçante ne peut les discerner. Jonathan Edwards)
(en exergue : Invisibles, les flèches de la mort volent en plein midi ; même la vue la plus perçante ne peut les discerner. Jonathan Edwards)
Une histoire qui débute par la recherche d’un corps, la victime et de l’assassin. Mais en fait deux des personnages, le shérif-adjoint Mundo Morales et le frère de la victime, Cole Mc Curtain découvriront leur « identité » dans leurs recherches.
Savoir d’où l’on vient, quelles sont nos origines, notre culture : c’est ce qui changera à jamais la vie de ces deux hommes.
Quelle part colore la peau d’un être ? signe distinctif dans ce pays et ces régions où la couleur de peau est incriminée, rejetée.
Quelle part de nos ancêtres dans notre âme ?
La spiritualité des Choctaws est particulièrement complexe, vivante alors que paradoxalement les morts semblent réclamer mais aussi offrir plus.
C’est une histoire empreinte de spiritualité, celle des Choctaws et de tous ceux, métis notamment de cette ethnie indienne ou autres, dont les racines s' y retrouvent.
Les morts s’invitent dans la vie des vivants auxquels ils apportent leur sagesse, car « même la vue la plus perçante » ne peut voir si le cœur et l’âme ne voient pas ; savoir vivre c’est avant tout savoir regarder et voir.
Je vois aussi dans ce livre une critique sur la guerre, là particulièrement celle du Vietnam d’où sont revenus abimés psychiquement beaucoup de soldats et plusieurs des personnages sont des anciens soldats.
C’est une lecture intéressante sur l’identité et la spiritualité des indiens Choctaws et plus particulièrement sur leur respect et manière de traiter leurs morts.
L’auteur a puisé dans sa vie, sa famille, dans son vécu, pour ce livre (mon premier de l’auteur) c’est évident.
Je prévois une autre rencontre avec l’auteur.
mots-clés : #amérindiens #guerre #identite #polar #spiritualité #traditions
- le Mer 2 Jan - 14:19
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: Louis Owens
- Réponses: 3
- Vues: 890
Page 8 sur 14 • 1 ... 5 ... 7, 8, 9 ... 14