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Russell Banks
Lointain souvenir de la peauLe Kid, 22ans , un homme (ou un gamin?) qui n’ a plus de nom, et plus d’existence aux yeux de la société, mais marqué à vie et fiché sur internet. Condamné pour déliquescence sexuelle, il a purgé une peine de prison, et est assujetti pour 10 ans au port d ‘un bracelet électronique, à l’interdiction d’habituer dans un lieu où il pourrait côtoyer des enfants et figure sur un site répertoriant les délinquants sexuels des Etats Unis, accessible à tous. Rejeté et quantité négligeable dans le monde réel, suivi et surveillé dans le monde virtuel... Dans cette presqu’île de Calusa noyée sous le béton, le seul lieu habitable est un espace vague sous une bretelle d’autoroute , en compagnie d’autres délinquants sexuels. Ayant grandi dans un désert affectif puis une misère sexuelle complets, n’ayant jamais eu pour ami qu’un iguane apprivoisé, il a intégré cette image de lui que la société veut donner, et fini par accepter comme juste et logique cette exclusion absurde.
Sa vie va cependant être bouleversée, durant les quelques jours que dure le roman, par une descente de police, une tempête qui ravage la ville et son lieu de vie, mais surtout parce que quelques individus, par intérêt et/ou ( ?) compassion vont le regarder autrement que s’il était une chose (repoussante qui plus est), le regarder, l’écouter, lui parler : un Professeur de sociologie géant et obèse qui élude en gloussant les questions d’ordre privé, un couple dont le femme n’est autre que Dolorès, l’attachante conductrice du bus de De beaux lendemains, qui a refait sa vie et garde sa vision du monde lumineuse et chaleureuse, et l’Ecrivain, un type qui ressemble à Hemingway (et peut-être bien aussi à Russell Banks ?). Avec eux , le Kid va se découvrir une identité, s’expliquer à lui-même, mieux comprendre le monde ; il va découvrir , et nous avec, le sens profond de la vérité , du mensonge et du secret, un autre rapport au bien et au mal que par la culpabilité ou la honte
Voilà un livre d’une grande intelligence, peut-être parfois un peu trop grande et qui peut par moment glacer. La première partie est distante et froide, lisse d’une certaine façon, comme le Kid qui n’a jamais appris à vivre et à aimer. Puis l’intrigue se noue, les affects se déchaînent, et Russell Banks nous propose une démonstration magistrale où rien n’est jamais acquis, tout est perpétuellement remis en question, au contraire du monde simple mais inhospitalier du début. L’émotion monte au fur et à mesure que les personnages gagnent en complexité , au delà de leur aspect premier et des étiquettes qu’on leur attribue . Il y a quelques moments un peu glauques, mais parfaitement justifiés par le sujet.
Un roman qui gagne en ampleur au fil des pages, des personnages uniques, un style narratif ciselé, des descriptions de paysages , de sites urbains, de phénomènes naturels… Russell Banks revient à son meilleur avec un roman d’aventure personnelle plein de messages et de profondeur.
(commentaire rapatrié)
mots-clés : #discrimination #identitesexuelle #social
- le Lun 5 Déc - 9:49
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Yves Simon
Yves Simon
Né en 1944
Yves Maurice Marcel Simon est un auteur-compositeur-interprète et un écrivain français né le 3 mai 1944 à Choiseul (Haute-Marne).
En littérature, il a publié de nombreux romans, des essais, un recueil de nouvelles et trois de poésies. Il a obtenu pour Le Voyageur magnifique le prix des Libraires (1988) et pour La Dérive des sentiments, le prix Médicis (1991). Il a vendu à ce jour plus de un million deux cent mille livres et il est traduit en quinze langues.
Journaliste et observateur de son époque, il publie régulièrement dans la presse éditoriaux et reportages (Rwanda 2000, New York novembre 2001…) et se trouve engagé auprès de Reporters sans frontière dans la plupart de ses actions. (livre de poche)
Bibliographie
1971 : Les Jours en couleurs
1971 : L'Homme arc-en-ciel
1973 : Bagdad-sur-Seine / Photographies de Daniel Boudinet
1975 : Transit-Express
1978 : L'Amour dans l'âme
1983 : Océans
1985 : Tard dans la nuit / hors commerce, tiré à 1000 exemplaires.
1987 : Le Voyageur magnifique (prix des libraires 1988).
1988 : Jours ordinaires (carnets)
1988 : Un autre désir (chansons)
1990 : Les Séductions de l'existence (François Bott/Dominique Grisoni/Roland Jacard/Yves Simon)
1991 : La Dérive des sentiments (prix Médicis 1991).
1993 : Sorties de nuit (carnets)
1996 : Le Prochain Amour
1997 : La Ruée vers l'infini
1997 : Un instant de bonheur
1997 : Paravents de pluie / Photographies de André Mérian
1998 : Plaisirs ordinaires
1999 : Jours ordinaires
2000 : Le Souffle du Monde
2000 : Paris aquarelles / dessins de Fabrice Moireau
2001 : La Voix perdue des hommes
2001 : L'Enfant sans nom (ouvrage pour la jeunesse)
2003 : La Manufacture des rêves
2004 : Les Éternelles
2004 : Lou Andreas-Salomé (Destins)
2005 : La Ruée vers l'infini (2)
2006 : Les Novices
2007 : Je voudrais tant revenir
2007 : Épreuve d'artiste, dictionnaire intime (essai)
2009 : Jack London (essai)
2011 : La Compagnie des femmes - prix Erckmann-Chatrian 2011
2011 : Un homme ordinaire (récit)
"la voix perdue des Hommes"
Je connaissais le chanteur, mais j'ignorai qu'il fut écrivain et à cette première lecture, un écrivain à connaître.
Comme le chantait Brassens : tous les hommes d'église, hélas ne sont pas tous des dégueulasses témoin........... ce prêtre, Andrea.
Il reçoit les confidences les plus intimes de ces femmes et ces hommes mendiants de la vie ; demandeurs d'une écoute, d'une pause, d'un partage, simplement déposer leurs soucis à Andrea.
Andrea plus accessible qu'un Dieu, plus humain.
Et Andrea chargé de tout ce poids doute par moment, des autres, mais surtout de lui.
L'apparition ponctuelle de l’auteur travaillant sur ce livre rappelle au lecteur qu’il s’agit d’un récit, rappel utile tant on est pris dans ce qui pourrait être, est certainement, une réalité.
Et en accompagnement Paris, cette ville qu’on devine qu’il aime. Tel un personnage, il en décrit la grandeur comme la misère.
Les mots touchent là où il faut, au cœur, au ventre, l’esprit, révélant tous ce qui construit ou détruit l’Homme.
Extraits
"message rapatrié"
mots-clés : #religion #social
- le Dim 4 Déc - 23:08
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Jean Rolin
Né(e) à : Boulogne-Billancourt , le 14/06/1949
Jean Philippe Rolin est un écrivain et journaliste français. Il a reçu le prix Albert Londres pour le journalisme en 1988 et son roman "L'Organisation" a reçu le prix Médicis en 1996.
Fils d'un médecin militaire, il grandit en Bretagne et au Congo. Étudiant, il s'investit — tout comme son frère Olivier, de deux ans son aîné — dans la tendance maoïste de mai 68, au sein de l'Union des Jeunesses Communistes.
Journaliste, il a surtout effectué des reportages, notamment pour Libération, Le Figaro, L'Événement du Jeudi et Géo. Écrivain, il est l'auteur d'essais, de chroniques, de romans et de nouvelles.
Jean Rolin, écrivain voyageur, est un grand mélancolique, il décrit souvent des mondes, des sociétés et des solidarités qui disparaissent, Terminal Frigo en est sans doute l'exemple le plus beau et le plus flagrant, évoquant les chantiers de Saint-Nazaire où l'auteur milita pour la gauche prolétarienne.
En 2006, il reçoit pour son livre "L'Homme qui a vu l'ours" le prix Ptolémée lors du 17e Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges.
En 2013, il reçoit le prix de la langue française.
"Un chien mort après lui" en 2009 et "Le ravissement de Britney Spears" en 2011 publiés chez POL montre son éclectisme.
Source : Wikipédia
Bibliographie
1980 : Chemins d’eau
1982 : Journal de Gand aux Aléoutiennes (prix Roger-Nimier)
1983 : L’Or du scaphandrier : Page 1
1984 : L’Avis des bêtes
1986 : Vu sur la mer
1988 : La Ligne de Front (prix Albert-Londres)
1989 : La Frontière belge : Page 5, 6
1994 : Cyrille et Méthode
1994 : Joséphine : Page 2
1995 : Zones : Page 2
1996 : L’Organisation (prix Médicis) : Page 1
1999 : Traverses : Page 1
2000 : Campagnes : Page 2
2002 : La Clôture (Prix Jean-Freustié) : Page 1
2003 : Chrétiens
2005 : Terminal Frigo : Page 1, 6
2006 : L’Homme qui a vu l’ours
2007 : L’Explosion de la durite : Page 1, 2
2009 : Un chien mort après lui : Page 1
2011 : Le Ravissement de Britney Spears : Page 1
2013 : Ormuz : Page 1, 2
2015 : Les Événements : Page 2
2015 : Savannah : Page 1, 2, 3, 5
2016 : Peleliu : Page 1
2018 : Le traquet Kurde : Pages 4, 5
Essai
2012 Dinard, essai d’autobiographie immobilière : Page 2
màj le 13/11/2021
Précision : La clôture est une rue qui se situe sous le ventre du Bd Ney et le périphérique
J’ai compris dès les premières pages qu’ il me faudrait un plan des rues de Paris dans le secteur pour comprendre les errances des divers personnages du livre et les recherches de l’auteur. Les personnages ne sont pas fictifs ; l’auteur accompagne son récit d’une analyse( ?) sur le Maréchal Ney.
En effet l’auteur a le « projet assez vaste et confus d’écrire sur le maréchal Ney du point de vue du boulevard qui porte son nom. Ou, ce qui revient au même (au moins sous le rapport de l’ampleur et de la confusion) d’écrire sur le boulevard qui relie la porte de Saint-Ouen à la porte d’Aubervilliers, mais du point de vue présumé du maréchal Ney. » ce qui appelle de ma part une première remarque : l’auteur présume souvent des pensées ou actes des personnages qu’il les fréquente ou pas. Puisque c’est son écrit je lui en reconnais le droit, mais cela m’a fait sourire parfois.
J’ aime son écriture très « visuelle » son ton où même dans l’ironie, dans la critique se dévoile beaucoup d’humanité. C’est certainement cette qualité qui lui a permis de recueillir les paroles de ces personnes déshéritées, réprouvées durant ses incursions dans leur milieu de vie.
Il faut beaucoup de détermination, de lectures (celles des biographies sur le Mal Ney) et encore plus d’imagination pour transposer dans le Paris du 21ème siècle les lieux où se sont déroulées les plus importantes batailles du règne de Napoléon, où s’est tour à tour illustré ou incliné l’un de ses Maréchaux et le faire resurgir du passé.
La vision photographique de ce secteur de Paris est un atout dans ce récit ; constructions en bordure des voies et des berges qui s’étalent , et le Bd du Mal Ney qui longe le périphérique. Les lieux deviennent plus précis et utiles à la compréhension quand l’auteur les nomme et les situe (bar, hôtel, immeuble…)
le lecteur suit l’auteur jusqu’à rencontrer Ney et en chemin faire connaissance avec Gérard, Daniel, Roger, Lito ; s’arrêter là où a été assassinée une prostituée, puis une autre et même découvrir sur un talus un chien mort.
Ce qui m’a interpellée c’est le fait qu’à 2 reprises (passages en italiques) l’auteur décrit un homme à la fenêtre et ce qu’il aperçoit ; j’ai pourtant l’impression qu’il s’agit de lui-même : pour quel effet ?
Bon si je m’égare un peu c’est qu’il y a tant de choses à dire, mais surtout que j’ai trouvé là un écrivain que je vais suivre.
ps J'aimerais aussi connaître le rapport de Rolin au chien, présent dans beaucoup de ces livres.
Extraits :
« La première nuit où je pars à la recherche de la rue de la Clôture, je suis avec Lancien, dans la 405 blanche – blanche mais crade – qu’il possède à l’époque. Lancien est d’assez petite taille, moustachu, il porte ce soir-là un blouson de cuir, je suis quant à moi d’assez grande taille, le front largement dégarni, mal rasé et vêtu d’un imperméable sombre. Je ne donne ces détails morphologiques et vestimentaires qu’afin de faire ressortir la ressemblance, fortuite mais évidente, que nous présentons avec un couple de vieux flics patrouillant à bord d’une voiture banalisée. »
« Les Albanaises, au nombre de quatre ou cinq, s’y tiennent, par roulement, à raison d’une équipe de jour et d’une équipe de nuit, avec de brèves interruptions. »
« De nos jours, il pourrait du moins allumer la télé – sans doute l’auberge de la pomme d’or serait-telle abonnée à canal +, faute de quoi resterait toujours M6 – pour regarder pendant quelques minutes un spectacle sexy ou rigolo et se changer les idées. Mais il n’y a pas de télévision à l’auberge de la pomme d’or, pas plus qu’il n’y aura de journalistes, demain matin, sur la place où il devra s’adresser à ses troupes. En ce temps -là, les gens n’avaient même pas la ressource de lire l’éditorial de la rédaction du Monde pour savoir comment il convenait de penser ou d’agir. »
« Au pied de l’hôtel, à l’angle de la rue Emile-Raynaud et de l’avenue Jean-Jaurès, un piège à pauvres d’un modèle inédit vient d’être mis en place : il s’agit d’un mini-casino automatique, accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et débitant des produits de base – sandwiches, boissons en boites, papier-cul, yaourts aux fruits, protections périodiques, œuf de lump ou pâtée pour chien – à des prix vraisemblablement prohibitifs : afin de m’éviter des poursuites de Casino, je précise que je n’ai pas vérifié ce point. ………………. – des curieux se pressent devant le dispositif, qui comme la plupart des choses nouvelles présente au moins l’avantage d’abolir superficiellement toute différence de race, de classe ou d’âge. »
»La population de Sheffield, ou du moins la masse de celle-ci, manifestant encore des réticences à s’acquitter de son devoir de culture, la Graves Art Gallery demeure un séjour agréable, où l’on peut accéder sans faire la queue, regarder ou non les œuvres exposées, rêvasser, écouter craquer sous ses pas les lames du plancher. »
« ….on avait élevé un haut mur en parpaings entre le talus au chien mort et la déchetterie sis à l’angle du boulevard Macdonald, dressé le long des voies ferrées de nouvelles clôtures – bien qu’inévitablement elles dussent être forcées presque aussitôt – ou prolongé de quelques travées anti-putes le mur antibruit protégeant l’angle nord-est du parc de la Villette. Tout ce secteur de Paris offre d’ailleurs de nombreux exemples des techniques mises en œuvre par la société pour rendre moins visibles, plus furtifs, des maux qu’elle a depuis longtemps renoncé à prévenir ou à combattre. »
« Il n’y avait parmi eux qu’une seule femme, apparemment africaine, âgée peut-être d’une trentaine d’années, vêtue avec élégance, assise sur une couverture à l’intérieur de cette espèce de tuyau que doivent emprunter les impétrants. Ses lunettes sur le nez, elle était plongée dans un livre, et, même en faisant la part des choses – même en tenant compte de la nécessité, pour la lectrice, de se composer une attitude susceptible de tenir à distance les emmerdeurs - on aurait aimé savoir quel était ce livre , et ce qu’il avait pour mériter d’être lu dans des conditions si précaires. »
il y a même de l'empathie pour le Mal Ney (voir son commentaire sur le tableau de son exécution par Gérôme), qu'il a choisi aussi parce que :
"Si sujet à caution que soit le témoignage du général Bonnal et dans une moindre mesure celui de Lavalette, il me plait que l'un et l'autre attestent la présence au chevet de Ney de la danse et de la musique champêtres, d'abord sous les murs de Mayence, au moment où son destin prend forme, puis derrière ceux de la Conciergerie alors qu'il est sur le point de s'accomplir. Car ce fond sonore un peu niais, si éloigné de l'idée que l'on se fait d'un maréchal d'Empire, indique au moins dl'une des sources de mon inclination pour celui-ci de préférence à toute autre."
Ney joue d'ailleurs de la flûte.
"message rapatrié"
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- le Dim 4 Déc - 22:49
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Kent Meyers
Twisted TreeMagique ! Un roman, puissant et sombre, à la beauté sauvage, à la fois violent et tendre, dur et fragile. De ces livres marquants comme on en lit peu dans une année, qui répond à toutes mes attentes de lectrice.
A qui je conseille Twisted tree ?. Ça va être long, mais vous avez le droit d’arrêter votre lecture dès que vous avez décidé de lire le livre !
A ceux qui aiment l'histoire d'une petite ville américaine déstabilisée par un sordide fait divers (et tout particulièrement ceux qui ont lu La vérité sur l'affaire Harry Quebert et sont restés sur leur faim car un peu trop joli, un peu trop propret, un peu trop superficiel). Mais ne cherchez pas sur une carte, la ville de Twisted Tree n'existe pas. Kent Meyers a fait exprès de donner des informations géographiques qui font qu'elle n'est pas situable sur la carte du Dakota.
Seul le vide était troublant : sa persistance, la sensation de sa présence infinie
A ceux que les troupeaux de bisons réconfortent (mais à éviter pour ceux que les crotales terrifient).
A ceux qui aiment les K-Mart, les pick-up rouillés, les monts-de-piété et les Indiens confits d’alcool, la poussière qui s'infiltre partout.
A ceux qui aiment les éditions Gallmeister.
A ceux qu’émeut un monde où les silences valent autant que les paroles, où les hommes ont parfois envie de prendre leurs enfants ou leur femme dans les bras mais n’osent pas.
Entre eux, silence : rien que leurs pas, à l'unisson.
Ils se remirent à marcher en rythme, plus près l'un de l'autre, un petit espace chaud entre eux.
A ceux qui aiment les caissières acerbes, qui surveillent la ville et connaissent tous ses secrets, les garces qui se cachent sous les saintes et les petites filles blessées qui se cachent sous les garces.
A ceux qui aiment qu’un bocal de billes de l’enfance, brillantes sous la lumière d’une lampe de bureau, marque la vie d’un homme et ne le quitte plus.
A ceux qui vibrent devant cette photo.
A ceux qui aiment les non-dits, les non-dits qui rôdent sans se dire, qui émergent juste ce qu'il faut pour qu'on les comprenne, mais qui resteront là une vie entière.
Un truc de fou. On pense connaître le moindre boulon qui compose la structure d'un homme, on pense connaître ses secrets, mais on se rend compte qu'il a des secrets sous ses secrets, et ceux qu'on connaît servent juste à vous empêcher de penser qu'il puisse y en avoir d'autres. Comme un trou noir. Si sacrément invisible qu’il devient visible presque instantanément. Tout semble pointer dans sa direction, les choses s’enroulent autour, se déforment.
A ceux qui aiment quand c'est bien écrit, dense, serré, et que ça vous prend aux tripes et que l’auteur a vraiment une voix propre et qu’il aime les mots. Au point qu’il écrit :
Peut-être que dans une autre langue, plus sensible aux relations humaines, il existe une douzaine de pronoms pour évoquer les nuances avec lesquels les hommes et les femmes mariés prennent leur décision, comme dans les régions arctiques où la neige a un nom différent suivant le vent qui l’a portée.
A ceux qui aiment les romans chorals qui se donnent de airs de nouvelles avec des personnages complexes, fragiles et douloureux, découverts à travers leurs actes et leurs failles intimes, sans un mot de psychologie, où l’ auteur ne vous prend pas par la main, mais vous laisse faire votre propre chemin dans un livre qui ne parie à aucun moment sur la facilité, et qui surprend jusqu’à la dernière page.
A ceux qui aiment que ça démarre par un premier chapitre hallucinant, qui instaure du départ le malaise et la violence intrinsèque de nos vies
A ceux qui aiment les histoires où les tombes sont perdues, mais où les morts ne laissent pas les vivants en paix.
A ceux qui aiment ce genre de choses :
La fille étreignait ses cheveux dans une main, la tête inclinée, et portait l'autre main à son front pour s'abriter du soleil. Clay penchait le menton, comme s'il s'adressait au sol. Puis il avait relevé la tête et croisé le regard d’Hayjay. Elle avait acquiescé et ses cheveux avaient glissé de son emprise. Le vent les avait soufflés en avant, lui cachant le visage, et leurs quatre mains s’étaient précipitées dans ses boucles emmêlées pour les maîtriser, alors son visage était réapparu, elle avait repris ses mèches entre les mains de Clay, il lui avait souri mais elle était restée si grave que son sourire s'était évanoui, puis il avait fourré ses mains dans ses poches
ou des phrases comme celle-ci :
Ses lèvres étaient blanches, il semblait jeune et vulnérable, le danger l’encerclait comme un placenta.
A ceux qui savent que les amours se délitent mais que la p/maternité serre la gorge, qu’elle est source d’interrogations, de terreurs mais aussi des plus belles et poignantes émotions de la vie.
Richard fut submergé par une myriade de déceptions face à cette vie qui s'annonçait - et il sut qu'il était déjà trop tard pour apprendre à son fils à devenir un homme dur, et il en fut empli de fierté et de chagrin.
A ceux ont envie de découvrir un auteur du Dakota du Sud, homme charmant dans la vie, un grand de la littérature américaine, voix d’une Amérique souffrante et abandonnée, mais devront se résoudre à attendre la prochaine traduction (à moins qu’ils maîtrisent bien l’anglais, car sa langue est aussi complexe que belle)
A ceux qui aiment sortir d’un livre avec une étrange émotion, une douleur sourde et tendre à la fois, à tous ceux qui aiment « le côté obscur de la littérature »…
Il y en a encore qui me lisent ? Des pas convaincus ? Qui ne se sont pas laissés tenter ? Twisted Tree n’en fut pas moins mon grand roman du moment!
(commentaire rapatrié)
mots-clés : #social
- le Dim 4 Déc - 21:11
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Réjean Ducharme
Va savoir
Comme disent nos cousins Québecquois je crains d’être tombée en amour pour cet auteur.
Rémi, le narrateur, aime les femmes, sa femme d’abord qui ne s’est jamais aimée et qui à la suite d’une double fausse-couche part courir le monde en compagnie de Raïa l’ancienne maîtresse de Rémi lequel lui a confié Mamie pour lui redonner le goût de l’amour et la ramener auprès de lui.
Pendant ce temps Rémi restaure une veille maison qui accueillera sa Mamie quand, enfin, si elle revient ; elle lui a dit en partant « la vie il n’y a pas d’avenir là dedans faut investir ailleurs ». Rémi lui s’investit dans l’amour, celui qu’il garde pour Mamie, celui qu’il prend de Jina et Mary ses voisines mais surtout celui de Fanie la fillette de Mary, c’est d’ elle d’ailleurs qu’il recevra après tant de complicité, de jeux le plus grand mépris.
Mamie s’ingénie à se perdre, à se gommer de la vie, de celle de Rémi et des autres ; elle le fait si bien que même Raïa avoue à Rémi qu’elle l’a perdue complètement.
Comme il le dit à Hubert le mari de Mary, Rémi est un panier percé, il perd les femmes qu’il aime. Il avait investi, il a compris qu’il ne le fallait pas. Hubert, le mari de Mary (qui lui perd sa vie) lui accorde à sa succession, le cœur de Mary.
Va savoir ?
Ces portraits de femmes sont superbes . Le langage m’a surprise dans les premières pages mais quelle force , quel coup au cœur ces phrases. J’aime cet homme qui met ses sentiments à nu, qui lit si bien les femmes et a su conquérir Fanie qui ne s’était pas ouverte à la vie.
Extraits
Fanie :
« Elle me prend par la main. Je me laisse mener. On ne peut pas résister, des doigts si menus, si délicats, ce n’est pas humain. On est saisi par la grâce et remis à sa place, au règne inférieur où on s’élève en grandissant. On est tout organes et tout infections, elle est tout art. On râle, elle rêve. On a des mangeoires, des lavoirs, des histoires, des boudoirs, des baisoirs, des histoires où les ranger, des maîtres équipés pour nous y tenir et mieux nous rançonner. Elle n’a rien , elle est tout ce qu’elle a. »
« Et ça l’avait épuisée. Ou elle me faisait un numéro, pour se faire porter. Je ne me suis pas fait prier, je l’ai juchée sur mes épaules, et je ne sais pas ce que ça m’a encore fait comme effet, si j’étais heureux de l’avoir, ou malheureux qu’elle ne soit pas à moi. »
« C’est à ce moment que le petit miracle instantané s’est produit. C’est en tout cas l’effet que m’ a fait ce que j’ai pris dans mes bras quand Fanie a réussi à s’échapper et qu’elle m’a escaladé pour que je la sauve… Le monde entier comprenait de quel prix je paierais un autre écart de loyauté : il ne s’en est pas mêlé. »
Raïa :
« Elle veut visiter la vie, fourrer son nez délicat, aux parois frémissantes, où ça fermente. Il faut que ça souffre et ça sacre, se caresse et se salisse, sinon ça l’assomme.
Dali le chien : « Dali finit par la trouver sympathique aussi malgré les accrocs de leurs premiers contacts. Il la raccompagne en prenant ses coordonnées avec son nez, il sait tout de suite où les trouver. Il ne faut pas s’attacher aux gogo-girls qui ont du cran, elles sont trop portées à se ramasser dans un fossé avec du plomb dans le compteur. »
Mamie :
« Pour moi, il y en a une, une seule, et c’est bon de la perdre une fois de temps en temps, de courir le danger de la chercher encore, trouver sous quel visage elle s’est encore cachée. Qui risque rien n’ a rien, et c’est à ne souhaiter à personne, encore moins à la personne qu’on a qu’à la personne qu’on est… »
« Je te prends les doigts et te les mords, te les mange un par un comme je faisais à Raïa parce que tu m’en donnais envie et que tu confisquais les tiens, pas assez soignés, assez élégants pour être adorés, tu leur trouvais des cuticules, un air trapu, bossu, tordu, tout ce qui pouvait t’arranger… »
« Si tu disparais ainsi tu m’auras quitté en me serrant dans les bras de Raïa, et pour le fou d’amour que je suis c’est l’image idéale pour tracer une croix. Tu aurais fait exprès que ça ne me surprendrait pas. Tu auras fait ton gros possible , une dernière fois. Je te demande pardon de t’avoir demandé ce que tu ne pouvais plus donner mais je sais pas si ce n’est pas moi qui ne te pardonne pas. Tu m’as dévoyé finalement, disqualifié, empêché d’accomplir ma sale petite besogne de vivant. »
Jina et Mary : « Je les aimais de plus en plus sans le leur faire payer et ça leur faisait de plus en plus plaisir sans que ça paraisse. Histoire d’essuyer mieux les plâtres, on a combiné un de nos
fameux pique-niques. »
(message rapatrié)
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- le Dim 4 Déc - 18:11
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Theodor Mikhaïlovitch Rechetnikov
On sait peu de choses du Sibérien Fédor (ou Theodor) Mikhaïlovitch Rechetnikov (1841-1871). Emporté par la tuberculose, le jeune homme ne laisse en effet dans son sillage que l’embryon d’une oeuvre prometteuse.
Orphelin précoce élevé par son oncle, modeste employé des postes, il fut d’abord scribe au tribunal avant de devenir fonctionnaire au ministère des Finances. Très jeune, il entra en contact avec les cercles littéraires de Saint-Pétersbourg et c’est d’ailleurs pour poursuivre une carrière dans les lettres qu’il décida de quitter la vie active. Son premier roman, Ceux de Podlipnaïa, fut publié en 1864 dans le journal Le Contemporain dirigé par le célèbre intellectuel libéral Nekrassov. Ce texte sans concessions frappa les lecteurs de l’époque, notamment par son évocation vériste des misérables conditions d’existence des paysans sibériens. Rechetnikov, dans la foulée du succès remporté par son premier opus, allait s’attacher à d’autres coups de sondes dans les classes laborieuses du peuple mais ses oeuvres ultérieures, dédiées principalement aux mineurs, ne furent que partiellement publiées. Où vit-on mieux ? (1868) et Notre propre pain (1870) consacrèrent véritablement la réputation de Rechetnikov en tant que romancier du témoignage social et que précurseur de l’essai ethnographique. Malgré sa renommée croissante, Rechetnikov souffrit d’une profonde détresse morale.
Éprouvant des difficultés à concilier sa vie de famille et l’exercice de son art, rongé par la dépression, il sombra dans l’alcoolisme puis contracta le mal auquel il allait succomber. Il est enterré à Saint-Pétersbourg.
source : l'arbre vengeur
Ouvrages traduits en français :
Ceux de Podlipnaïa
"Ceux de Podlipnaïa"
Des paysans de Podlipnaïa hameau de la Sibérie vivent dans la misère la plus profonde, physiquement et moralement. Ils vivent dans de véritables "taudis", dans le froid, la saleté, la maladie, sans espoir. Leur vie est "vide", sans intérêt.
« Jamais les Podlipovtsiens ne sont gais ou joyeux : en été même, pendant la belle saison, ils gardent l’expression triste des gens qui souffrent ; leur humeur est pénible et maladive. Les enfants eux-mêmes ne ressemblent pas aux autres enfants : ils courent, tombent, pleurnichent sans jamais chanter ou rire, ils s’ébattent pour ainsi dire à contre-cœur. Les vaches, les chevaux ont l’air de squelettes et se promènent d’un air morne. Le seul bruit qui fasse vibrer l’air, c’est l’aboiement d’un chien, échappé par miracle à la marmite, et que conserve sans doute un paysan désireux de se faire un bonnet de sa peau. »
Après qu'ils furent baptisés et malgré qu'ils conservèrent leurs "croyances animistes" ils furent sous la botte du Pope et de l'administration (prélèvement pour l'armée).
« S’ils l’avaient osé, les habitants du hameau auraient bien tenté de garder leur liberté, et chassé fonctionnaires et pope, mais le stanovoÏ les avait si bien caressés de son fouet, qu’ils ne regimbaient pas.»
Puis un jour plus cruel, Pila, le "sage" du hameau décide de partir, la famille et Syssoïko, l' ami partent donc. Leur ignorance s' illustre tout particulièrement quand ils atteignent une ville. Ils doivent mendier, mais mendier ou voler, si nécessaire. Ils se retrouvent en prison.
« Grâce à leur séjour en prison, Pila et Syssoïko en apprirent plus que de toute leur vie ; ils n’ignoraient plus que Podlipnaïa n’était qu’un trou et qu’il y avait des villes qui valaient cent fois mieux, que ces villes étaient habitées par des gens riches qui faisaient tout ce qu’ils voulaient, non par la force, mais à cause de leur argent. »
Incités par quelques habitants de leur région Pila et Syssoïko s'engagent comme "bourlaki" le dur métier de haleur sur les rivières Tchoussovaïa, puis la Koma. Métier qui représente à leurs yeux la prospérité. Mais il est écrit que pour eux la misère, la cruauté de la vie est une peau dont ils ne se sépareront que dans la mort.
Mais l'espoir fait jour pour les enfants de Pila pour lesquels l'ignorance, l'obscurantisme cèdent au savoir.
Un court livre, une écriture sobre mais efficace. L'auteur connait cette misère et ce livre qui n'épargne rien des insuffisances de ces hommes et femmes, paysans, bourlaki, est malgré tout une reconnaissance à ceux qui leur vie durant sont dans la souffrance, dans la misère.
extraits :
« Ca vous regarde-t-il ? J’ai tué huit ours fit Pila d’un ton glorieux. Et toi, qu’as-tu fait ?
-J’ai mis bas un homme.
- Viens un peu ici, chien, tu verras de quel bois je me chauffe !
Et Pila saisit le premier pot qui lui tomba sous la main : il le fit tournoyer autour de sa tête, prêt à le lancer, mais on le poussa et un liquide puant et infect se répandit sur sa souquenille.
Les détenus éclatèrent de rire, Syssoïko aussi. »
"Ils ne se rendent pas compte de leur position et restent incapables de déclarer s’ils sont heureux ou misérables. Ils n’ont du reste pas le temps d’analyser leurs sentiments, ne doivent-ils pas équarrir, fendre et tailler les poutres ? Le travail manuel ne dispose guère à des réflexions dont, au reste, ils sont parfaitement incapables… Ils n’ont que des sensations matérielles : la force, la fatigue, le plaisir du sommeil ; quant aux autres, il ne faut pas en parler. »
« L’administration de la fabrique, en bas comme en haut, n’avait guère de ménagements pour les bourlaki qu’on lésait de toute manière, aussi nombre d’entre-eux souffraient-ils de la faim. Les directeurs y trouvaient sans doute leur intérêt. Aussi ne s’inquiétaient-ils guère de ce que les bourlaki pouvaient bien penser. N’ était-ce pas leur gent taillable et corvéable à merci ?
Que le paysans russe se taise ou jure, il n’ira jamais se plaindre : à qui se plaindrait-il du reste et qui entendrait sa prière ? »
« -Syssoïouchko ! vit encore un peu pour nous faire plaisir ! lui disent les bourlaki avec compassion.
Le pilote ne put les décider à se remettre au câble qu’on venait de réparer. Non ! Nous ne bougerons pas de place ! dirent les bourlaki, sans quoi nous mourrons aussi ! »
"message rapatrié"
mots-clés : #social
- le Sam 3 Déc - 16:54
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Augusto Roa Bastos
Augusto Roa Bastos (1917-2005)
Augusto Roa Bastos est un écrivain paraguayen du XXe siècle.
Il passe une partie de son enfance dans le monde rural indien d'Iturbe qui servira plus tard de cadre à la plupart de ses romans sous le nom d'Itapé.Iil s'enrôle à l'âge de 15 ans dans l'armée à titre d'assistant infirmier et participe à la guerre pour les terres du Chaco qui oppose le Paraguay et la Bolivie de 1932 à 1935.
Il est ensuite journaliste au quotidien El Païs et commence à publier quelques contes et poèmes. Il découvre les écrivains français (Valéry, Cocteau, Eluard, Breton, Aragon,...) et lit passionément Faulkner. Sa première nouvelle, Fulgencio Miranda, sort en 1941. Pendant la seconde guerre mondiale, il devient correspondant de guerre à Londres, où il donne aussi des cours de littérature, puis séjourne quelques mois en France avant de revenir diriger la rédaction d'El Païs.
Il est contraint de s'exiler au début de la guerre civile de 1947 qui aboutit à la dictature du général Alfredo Stroessner et s'installe à Buenos Aires (Argentine), où il vivra une trentaine d'année. It y écrit la majeure partie de son oeuvre littéraire.
En 1976, à la suite du putsch militaire, Augusto Roa Bastos doit quitter Buenos Aires. Il s'installe en France, à Toulouse, où il enseigne la littérature hispano-américaine à l'université. Il continue à publier. Il ne retourne au Paraguay qu'en 1989, après 42 années d'exil et la chute du dictateur Alfredo Stroessner, retrouvant sa citoyenneté d'origine dont le despote l'avait destitué en raison de son opposition au régime.
A sa mort le président paraguayen Nicanor Duarte a décrété trois jours de deuil national.
Source : http://www.republique-des-lettres.fr/10249-
Ouvrages traduits en français :
1960 : Fils d'homme (Hilo de Hombre)
1974 : Moi, le Suprême (Yo, el Supremo)
1992 : Veille de l'Amiral (Vigilia del Almirante)
1993 : Le procureur (El fiscal)
1994 : A contrevie (Contravida)
1995 : Madame Sui (Madama Sui)
1996 : Métaphorismes (Metaforismos)
Fils d’Homme
Ce récit est celui de la vie d’hommes et de femmes du Peuple vivant dans deux villages d’une même contrée au Paraguay et dont les destins vont s’entrecroiser sur plusieurs décennies dans les révoltes et les guerres.
Le narrateur, habitant lui aussi d’Itapé qui conte l’histoire dont il est le témoin et l’un des participants en tant que militaire, fasciné qu’il a été enfant par les vêtements rutilants.
Itapé : Les habitants d’Itapé ont adopté comme Fils de Dieu, la sculpture en bois d’un Christ lépreux sorti des mains d’un musicien – Gaspar Mora - qui le fit à son image et le laissa pour le remplacer quand il mourut de sa maladie. « C’est son Fils il l’a laissé pour le remplacer dit Macario » C’est le Fils d’Homme !
Maria Rosa aimera Gaspar jusqu’après sa mort jusqu’à la folie, offrant sa belle chevelure au Christ lépreux.
Rancho
Sapukai : Ville tragique née l’année de la comète qui balaya la Terre de sa queue de feu, où la révolte agraire fut écrasée coûtant la mort des rebelles, trahis par le télégraphiste du village, et de la population. Les stigmates de la gare, d’où devait partir le train des révoltés et qui fut bombardée, ne s’aplanirent qu’au bout de plusieurs années. La conservation du seul wagon encore debout devint pour Casiano, évadé de la plantation où lui et sa femme Nati travaillaient comme des esclaves, le but de sa vie. Cette obsession, engendra chez leur Fils une volonté d’accomplir ce qu’il devait, que ce soit un nouveau soulèvement ou la guerre où s’engagea sa Patrie.
« Car maintenant il ne restait plus qu’à avancer, avancer toujours, avancer coûte que coûte à travers la jungle, le désert, les éléments déchaînés, la tête morte d’un ami, à travers ce trémolo où la vie et la mort se rejoignaient sur une ligne indéfinissable. C’était ça le destin. Et que pouvait donc être le destin pour un homme comme Cristobal Jara, si ce n’est de conduire son obsession comme un esclave, sur un étroit sentier de la jungle ou sur la plaine infinie, emplie de la sauvage odeur de la liberté ? »
Dans cette ville était arrivé un étranger qu’un jour la population du village découvrit comme étant médecin. Il vivait dans un rancho dans la forêt, s’occupa des lépreux, sauva plusieurs personnes dont Maria Regalada qui lui voua un amour et une reconnaissance inébranlable qui la conduisit, alors que le docteur les avait tous abandonnés à s’occuper elle-même des lépreux et de son chien fidèle, alors même qu’il l’avait violée.
« Le chien ramasse l’ayaka entre les dents et s’en retourne par le chemin, résigné à tout, aux coups de pieds du tenancier, aux crottes de boue qu’un gamin lui jette avec sa fronde pour exercer son adresse, ou aux serpents et crapauds morts que d’autres lui mettent furtivememnt dans le panier. Lui, il ne s’en rend même pas compte, occupé à sa trace. Il ne sait même plus aboyer. Rien que ce hurlement ténu qui lui sort encore de la gorge certaines nuits, au dernier quartier de la lune, avant de s’endormir roulé en boule contre la porte de la cabane vide.
La Maria Regalada l’attend toujours au croisement du chemin du cimetière pour l’aider pour adoucir les abus".
Les militaires qui étaient punis pour insubordination, conspiration et les civils emprisonnés pour soulèvement furent eux aussi mobilisés quand la guerre éclata entre le Paraguay et la Bolivie. Parce que toute chair est bonne pour la guerre.
« Près de mon abri git mon adjudant, les lèvres retroussées et bleues dans le dernier visage. Il me tend encore le pot de fer-blanc entre les clavettes de ses doigts, me montrant les dents pleines de terre. Les mouches vertes entrent et sortent par ses fosses nasales. De temps en temps il s’en détache une et elle fait une rapide virée de reconnaissance sur moi, pour voir si je suis déjà mur. J’ai comme l’impression que ma lenteur et ma résistance l’énervent. »
Le destin du narrateur Miguel n’est pas meilleur, considéré dans l’armée comme conspirateur et par la population de Sapukai de traitre, il ne parvient pas à contrôler sa vie tiraillé par sa position et par le sentiment que lui inspire les « révoltés », ces hommes du peuple.
« Je pense aux autres êtres comme eux, dégradés jusqu’à l’extrême limite de leur condition comme si l’homme qui souffre, l’homme humilié, était toujours et partout le seul être fatalement immortel.
Il doit bien y avoir une issue à ce monstrueux contresens de l’homme crucifié par l’homme. Parce que sinon il faudrait penser que la race humaine est maudite à jamais, que ceci c’est l’enfer et que nous ne pouvons espérer de salut.
Il doit y avoir une issue, parce que sinon……. »
Il est important de lire la préface de l’auteur et la note de la traductrice. Ouvrir un fil au nom de cet écrivain m’apparait évident.
L’écriture de l’auteur porte toutes les traces de l’histoire de son pays, il a participé à la guerre contre la Bolivie et les descriptions dans son livre sont des plus réalistes. A travers la mémoire du personnage Macario est rappelé que ce pays a subi plusieurs dictatures, cause notamment de deux soulèvements agraires, malheureusement écrasés par les troupes présidentielles.
Le fait qu'à certains moments les personnages s'expriment dans leur langue le guarani apporte du poids quant aux liens qui les unissent.
Il y a de belles figures de Femmes dans ce récit, femmes compagnes mais aussi "compagnonnes"
C’est une très bonne lecture et ce livre étant le premier d’une trilogie je continuerai donc ma connaissance de cet auteur.
L’un des camions porteur d’eau dans cette région où, en absence, cet élément était l’un des plus cruels ennemis.
la route poussièreuse qui étouffait les combattants
"message rapatrié"
mots-clés : #guerre #insurrection #social
- le Sam 3 Déc - 15:46
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- Sujet: Augusto Roa Bastos
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Paul Nizan
Carrément beau.
Où Nizan nous montre à voir que le plus bel âge de la vie reste à définir.
Antoine Bloyé, une vie à cheval sur les XIX et XXèmes siècles, illusions et désillusions d’un homme révélateur de son temps.
Parfait parcours d’un enfant d’ouvrier, sorti du lot par le travail, encore le travail, marié, père de famille , arrivé. Mais arrivé où ? Les failles souterraines sont là, creusant leurs galeries de mélancolie et de désespoir. La façade est splendide mais cache des interrogations qui s’insinuent d’abord discrètement pour s’épanouir en gouffres béants. La tragédie de la réussite, quand elle trahit l’homme qu’elle est sensée porter dans une société qui n’ a pas fini de se venger. Nos choix ne sont ils pas des renoncements perpétuels ?
Et puis il y a la langue, sérieuse, dense, noble. Puissante. L’impression d’une condensation intense où chaque mot utile, chaque phrase signifiante. Sans concession, comme le message de l’auteur. Des pages entières qu’on a envie de relire à haute voix, d’une perfection formelle qui remue.
Ainsi Antoine commence à éprouver, maladroitement encore ce soir-là, ainsi à la porte de la maison, que le monde dans lequel ses études le poussent, où l'entraîne une naïve ambition est assez loin du monde où depuis leur jeunesse otn vécu ses parents, et sent un commencement de séparation, il n'est plus exactement de leur sang et de leur condition, il souffre déjà comme d’un adieu, comme d'une infidélité sans retour.
Anne Guyader appartenait à un tout autre univers sentimental que Marcelle : Antoine se demandait sans beaucoup de clarté dans les idées, si l’ardent royaume des femmes sans avenir et sans caution n'était pas d'un plus grand prix pour un homme que les douceurs virginales, les chastes conspirations des vertus bourgeoises.
La vie est ainsi, un soir dans l'hiver. La lampe charbonne, sous son abat-jour de papier glacé couleur vert d’eau. On mourra, mais on a des fils : après tout il n'y a pas lieu de regretter d'être un homme et de vivre…
Quand Anne lui demande s’il se trouve heureux, il répond qu'il l’est, à peine y a-t-il dans un recoin de sa personne une résistance, une petite force de protestation et d'angoisse solitaire qui est écrasée sous les tissus de l'homme social et qui ne demande qu'à grandir, qui ne peut pas mourir : c'est à cause d'elle qu'Antoine attend toujours une seconde avant de répondre qu'il est heureux de. Car il faut qu’il l’écarte… Lorsqu'elle est écartée, il se voit enfin du même regard que les autres hommes, il s'approuve comme ils l'approuvent et il étend les bras à droite et à gauche dans l'espace de sa journée, comme un être agréable à la terre. Le soleil est pour lui à mi-course : il est comme éternellement suspendu à une place nuageuse de lété où il ne déclinera plus.
Le soleil déclinera.
(commentaire rapatrié)
mots-clés : #social
- le Sam 3 Déc - 9:57
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