Des Choses à lire
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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Ven 19 Avr - 9:16

195 résultats trouvés pour voyage

Jacques Audiberti

Abraxas

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Abraxa10


Voyage épique et même picaresque, entre Ravenne et péninsule ibérique, entre Moyen Âge et Renaissance, entre gitans, juifs, chrétiens et sarrasins, puis sur « la chère, la belle », la féminine caravelle à la recherche des îles.
Fable un peu fantastique, poétique, sensuelle, d’une baroque inventivité verbale, c’est, pour un premier roman, un texte dense, une œuvre exigeante du lecteur, 300 pages difficiles aussi à lire à cause de la taille minime des caractères et de la piètre impression photomécanique Gallimard. Ledit lecteur suit sans grand effort l’histoire, et pourtant la plupart des syntagmes l’interroge.
C’est une histoire de peintre(s) : descriptions, observations, métaphores, lexique d’une fabuleuse richesse, notamment vocabulaire de la marine, mais aussi néologismes et archaïsmes, à démêler des "provencialismes", italianismes et hispanismes ; ça tient du surréalisme en plus merveilleux, de Boris Vian en moins systématique ; à propos, ça se rapproche de Salammbô, Huysmans, Gadda, Michaux, Asturias, la constellation des écrivains créateurs, des auteurs de l’excès et du débordement, avec comme étoiles majeures Homère, Rabelais, Cervantès, Joyce… bref, Jacques Audiberti se révèle un « écripvain » fou de mots !
L’abraxas est une amulette, un talisman, un truc ésotérique, qui aurait même donné abracadabrantesque ; selon Thomas More, l’île d’Utopia s’appelait Abraxa lorsqu’elle était encore une presqu’île raccordée par un isthme au continent américain…
Peu de commentaires sur cette œuvre ; en voici cependant un, assez pertinent : https://brumes.wordpress.com/2014/02/13/voyage-au-bout-du-jour-abraxas-de-jacques-audiberti/
« Peindre… Tirer le néant du néant, si ce monde est le néant. » I, IV

« Tous les hommes sont promis à devenir, tôt ou tard, des hommes. Mais en eux la bête s’attarde… Elle s’attarde. » I, VI

« Avec une prestesse toute escoubellesque, Villalogar se munit d’un pinceau, l’humecta d’une gélatine salivaire, brouilla la partie supérieure du trait vert qu’il dilata, vers le haut, d’une patouille grise et fondue, barré, enfin, d’un liséré mince et bleuâtre. Il en résultait une diffusion organisée et fuyante de présence et de distance océanique. Si on la regardait en faisant la maison du loup, c'est-à-dire les yeux encadrés par les paumes, on était, bon jeu beau fou, devant la mer. […]
J’ai frappé la roche avec un pinceau, et la roche a coulé, comme une source fraîche sur le sable de ma toile, où roche elle est revenue. J’ai frappé la mer avec mon pinceau et la mer s’est durcie sur ma toile. Elle y demeure dans sa dureté humide. J’ai pris le gros rat du monde dans le trou de ma palette. » I, X

(L’escoube, ou escouve, est un balai en vieux français ; ce mot nous a donné l’écouvillon !)
« Se battre, même pour une cause juste, équivaut à jeter un peu de bois au brasier de la violence et de la souffrance. » I, XII

« La tempête s'emballait. Vainement elle cherchait, de ce qui l'exaspère, le difficile secret dans les mollesses qu'elle chavire. La caravelle, de toutes ses forces, se contractait. Elle se bouchait les oreilles au bruit de ses mâchoires dont éclate l'os délicat. Cernée par les vagues ameutées, elle leur demandait, pourtant, de la porter, de la masquer. Perdue dans une bave massive, elle frissonnait aux jambes chaque fois qu'une gifle liquide l'écrasait dans l'élasticité diluvienne, laquelle prenait sa part de la bourrade allongée et, de plus belle, s'ébouriffait. » II, XVIII

« Son jupon mouvementé noyait, accompagnait d’escalades et de dégringolades, à grand renfort de tambourins silencieux, le rythme de ses jambes non pas même devinées sous l’étoffe, mais éparses et multipliées à ce train négligent et dominateur d’ailes et de gouffres autour d’elles. »



Mots-clés : #aventure #fantastique #voyage
par Tristram
le Mar 26 Mar - 19:32
 
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Sujet: Jacques Audiberti
Réponses: 11
Vues: 1493

Yunbo

Je ne suis pas d'ici

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 11907710

Une BD fort sympa, à connotation autobiographique, d'une jeune coréenne qui quitte pour la première fois son foyer pour venir étudier dans unr école d'art en France. Pas facile de s'y reconnaitre, de s'y intégrer, de comprendre et sus et coutumes. A tel point qu'un beau jour elle se retrouve avec une tête de chien (car les chiens vivent si près des humains qu'ils croient être comme eux alors qu'il n'en est rien). Une chance, cette tête de chien passe inaperçue des gens qu'elle fréquente, mais tout n'est pas facile pour autant.
Très bien observé, plein d'humour, un dessin extra. On y reconnait le malaise de nos étudiants personnels qui, eux, n'étaient pourtant partis qu'à 100 km de chez eux!

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 C11


Mots-clés : #autobiographie #humour #jeunesse #voyage
par topocl
le Mar 26 Mar - 14:31
 
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Sujet: Yunbo
Réponses: 2
Vues: 1434

Bernhard Schlink

Olga

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Produc11

Orpheline qui devient institutrice à la force de sa volonté et de son travail, Olga aime Herbert, le fils de l’aristocrate du coin. Herbert aime Olga, aussi. Mais c’est un homme écartelé entre son devoir familial, son amour têtu, et ses aspirations existentielles qui le poussent à flirter avec l'infini, le lointain, les immensités. Ainsi Olga va vivre avec son amant en pointillé, mais son amour puissamment accroché au cœur, et cela même quand Herbert se sera perdu dans les immensités glaciales de l’Arctique sans espoir de retour. Elle va poursuivre sa route, femme vieillissante avec cet homme au cœur, alors qu’autour d'elle le nazisme monte, dans une autre aspiration mortifère à capturer l’immortalité. Elle reste cette femme secrète et résolue, cultivant son indépendante, ouverte aux autre malgré la surdité qui l'isole.

Très beau portrait d'une femme fidèle, qui tout à la fois aimé et détesté cette force qui, certes, pousse Herbert loin d'elle, mais qui aussi lui donne ces yeux pétillants et ces enthousiasmes enchanteurs. Comment garder son indépendance quand on aime, rester fidèle à ses sentiments et ses idées, mener une vie digne quand on appartient plutôt au clan des réprouvés?

Schlink construit magistralement ce roman, d’une grande richesse, impeccablement  maîtrise, dont la réserve apparente cache un lyrisme emporté. Sous ses dehors terre à terre, il interroge sur le destin des hommes, des femmes et des peuples. C’est un récit en trois temps, où interviennent un jeune homme "ennuyeux" et des lettres  (quelles lettres! ) qu’il va miraculeusement retrouver.

Quel beau titre que ce titre, Olga (contre une couverture un peu niaiseuse), qui dit une femme, qui mène son chemin tragique sans drame, pour elle-même, d'un pas tranquille et assuré, confiante en ses certitudes, dans un siècle pourtant  déboussolant.


Mots-clés : #amour #portrait #solitude #voyage
par topocl
le Sam 23 Mar - 10:30
 
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Sujet: Bernhard Schlink
Réponses: 17
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Joseph Conrad

Jeunesse
Titre original: Youth. Nouvelle, écrite et publiée en 1898, une quarantaine de pages.


Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Gabier11
Gabiers ferlant une voile sur une vergue

Peut être lue ici traduit en français, et là en version originale.

Comme le titre original était Youth - A voyage devenu par la suite simplement Youth, on peut se demander s'il s'agissait bien d'un voyage au sens anglais du terme, à savoir une traversée, et ça convient bien à la nouvelle, ou s'il s'agit d'un énième gallicisme de Conrad, auquel cas il s'agirait d'un voyage initiatique, et ça colle parfaitement aussi.

Dans l'idée de Conrad, trois nouvelles se succédant doivent permettre d'appréhender les âges de la vie adulte; d'abord Jeunesse, puis Au cœur des ténèbres, enfin Au bout du rouleau: ces trois-là ensemble forment un recueil, et elles sont de tailles très inégales.

Jeunesse est, aussi, la première apparition du Capitaine Marlow, et donc la première fois que Conrad utilise le procédé narratif devenu ensuite très habituel: quelques gentlemen marins autour d'une table, Marlow prend la parole, plus en style conteur que discursif cette fois-ci, avec un amusant "passez-moi la bouteille" (pass the bottle) en leitmotiv, venant rythmer la fin de certains paragraphes.

Marlow raconte sa première expérience de direction de navire, qui est aussi son premier embarquement pour l'extrême-orient. Dans le fond, c'est assez cocasse, puisque embarqué ès-qualité de premier lieutenant sur un vieux rafiot -un charbonnier- guère apte à prendre la mer des semaines durant; il faudra recruter un nouvel équipage, et le capitaine, tout près de la retraite, en est aussi à sa première expérience de commandement (il vient d'être promu).

Le voilier, peu efficace, traîne sur sa route, et, après bien des péripéties et des aventures de mer qui font ronronner d'aise tout lecteur conradien, notre jeune lieutenant se voit offrir, en guise de premier commandement de vaisseau, le pilotage d'une chaloupe, en compagnie de deux hommes, un aviron en guise de mât et une toile de taud en guise de voile (humour toujours): c'est ainsi qu'il touche pour la première fois les côtes extrême-orientales.

Cette histoire (je ne dévoile pas) a été vécue, à quelques enjolivements près, par Conrad lui-même. en 1881, à bord du Palestine (le navire de la nouvelle s'appelle d'ailleurs Judée).  Il a 24 ans lorsqu'il y embarque, le héros 20 ans. Le capitaine du Palestine s'appelait Elijah Beard, celui du Judée John Beard. Le Judée jauge "environ 400 tonneaux, il avait des loquets de bois aux portes, sans le moindre bout de laiton à bord", le Palestine jaugeait 427 tonneaux, entièrement bâti en bois.
Jusqu'aux tribulations du début qui retardent le départ, le recrutement d'un nouvel équipage, la nature du fret, tout est similaire.

Conrad joue très habilement des éléments (air-mer-feu-terre). Les scènes d'accostage puis portuaires en extrême-orient sont de très bonne facture, un petit régal. Et beaucoup d'autres choses encore mériteraient d'être soulignées (mais n'en disons pas trop...).

Conrad jalonne son écrit d'odes à la jeunesse, comme période durant laquelle l'homme se trempe, se forme aux valeurs idéales - celles de l'auteur - Vaincre ou périr est la devise inscrite sur le bateau.
Se faisant, l'homme Conrad se dévoile... mais comme dit plus haut, en parler davantage serait dommageable si vous comptez ouvrir ses pages: en tous cas très certainement Jeunesse est une nouvelle idéale pour débuter la lecture de Conrad.

Un petit passage, façon Tonneau des Danaïdes:
«On arma la pompe à incendie, on adapta la manche et peu après celle-ci creva. Que voulez-vous, elle était du même âge que le   navire,  –c’était un tuyau préhistorique et irréparable. Alors on pompa avec la piètre pompe d’étrave, on puisa de l’eau avec des seaux et   on parvint ainsi à la longue à déverser des quantités considérables d’Océan Indien par le grand panneau.  
Le clair ruisseau étincelait au soleil, tombait dans une couche de fumée blanche et rampante, et disparaissait à la surface noire du charbon. De la vapeur montait, mêlée à la fumée. Nous versions de l’eau salée comme dans un tonneau sans fond. Il était dit que nous aurions à pomper sur ce navire, pomper pour le vider, pomper pour le remplir: et après avoir empêché l’eau d’y pénétrer pour échapper à  une  noyade, nous y versions de l’eau avec frénésie pour n’y être pas brûlés vifs.
«Et il continuait à se traîner, –  marche ou crève,  –   par ce temps limpide.  
Le ciel était un miracle de pureté, un miracle d’azur. La mer était lisse, était bleue, était limpide, était scintillante comme une pierre précieuse, qui s’étendait de toutes parts autour de  nous jusqu’à  l’horizon, –comme si le globe terrestre tout entier n’eût été qu’un   joyau, qu’un saphir colossal, qu’une gemme unique façonnée en planète.


L'Orient:
[...] c’est toujours d’une petite embarcation que je la vois, haute ligne de montagnes, bleues et lointaines au matin: pareilles à une brume légère à midi: muraille de pourpre dentelée au coucher du soleil. J’ai encore dans la main la sensation de l’aviron, et dans les yeux la vision d’une mer d’un bleu éclatant. Et je vois une baie, une vaste baie, lisse comme du verre, polie comme de la glace, qui miroite dans l’ombre. Une lueur rouge brille au loin dans le noir de la terre: la nuit est molle et chaude.  
De nos bras endoloris, nous souquons sur les avirons, et tout à coup, une risée, une risée faible et tiède, toute chargée d’étranges parfums de fleurs, de bois aromatiques, s’exhale de la nuit paisible, –premier soupir de l’Orient sur ma face.
Cela, jamais je ne pourrai l’oublier.



mots-clés : #initiatique #nouvelle #voyage
par Aventin
le Mar 19 Mar - 18:22
 
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Sujet: Joseph Conrad
Réponses: 92
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Sylvain Tesson

Géographies de l'instant :

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 S_tess10


Géographie de l'instant réunit les bloc-notes de Sylvain Tesson partis dans le magazine Grands Reportages et divers journaux. Il y évoque ses voyages aventureux ou immobiles, ses rencontres, ses escalades, ses lectures secrètes et contemple les ravages commis par les hommes contre la nature, la douceur. Il y parle de la Russie, de l'Afghanistan, de Haïti, de l'Islande, de New York, de Paris. Il choisit le dégagement, l'humeur, la féerie, se confronte à l'absurde et aux ridicules de son époque. Avec un joyeux désespoir, ce nomade injecte de la couleur dans la grisaille du quotidien. Géographie de l'Instant est un manteau d'arlequin sur lequel Sylvain Tesson trace les points cardinaux de son univers intime. C'est un pamphlet poétique contre la lourdeur du monde, révélant la part secrète d'un voyageur pour qui les retours sont des brûlures.


Sylvain Tesson est de ces personnages qui captivent ou agacent... Je suis parmi les captivés, j'aime son écriture, son insolence, sa langue franche et son érudition. Je suis certaine en lisant un de ses livres, que je vais ajouter plusieurs auteurs à ma liste à lire, ce dont je n'ai pas vraiment besoin, d'ailleurs !

Cette Géographie de l'instant m'a enthousiasmée à cause même de la construction du livre : une suite de pensées, articles, citations regroupés au fil des pages. J'aime énormément ce type de livre qui n'est pas sans me faire souvenir, avec nostalgie, des 365 histoires de l'enfance - à quoi tient le goût de la lecture ...  Rolling Eyes - et c'est de ette façon que je "l'utilise".

Des petits textes à picorer quand on en ressent l'envie.

Et quel bonheur de trouver, par exemple,  dans ces pages une admiration décrite pour Alexandre Romanès qui sait si bien me bercer également de sa poésie.


mots-clés : {#}voyage{/#}
par Invité
le Sam 16 Mar - 19:13
 
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Sujet: Sylvain Tesson
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Jeanne Benameur

Les insurrections singulières

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Bm_97810

Encombré par ses  parents médiocres assommés par le quotidien et le travail, son frère prof ( mon Dieu!), Antoine est un recalé de la vie, entre déprime et rage au cœur. Dans le même temps sa compagne le  vire et son usine  délocalise au Brésil, car ses copains ont bêtement voulu d’un militantisme soft alors que lui, le grand rageux, aurait bien pris le patron en otage. Tout est noir, il comprend vraiment pourquoi il a voulu fuguer à 8 ans.

Sous l’impulsion de Marcel, un octogénaire bouquiniste (donc forcément un homme de sagesse), ils partent voir comment ça se passe, justement, au Brésil. Et oui,  ça se passe bien : Antoine y trouve la fraternité et le sens de la vie en même temps  que l’amour. Et il découvre même que son père est un type mieux qu’il ne croyait grâce à un petit carnet que celui-ci lui a confié.

C'est une crise de la quarantaine jouée sur le mode adolescent. J’ai trouvé ça extrêmement trop sérieux, plein de poncifs  ( le travail n’est pas tout dans la vie, il faut aller au bout de ses passions) et de morale simpliste (il suffit de partir, d’oser tout quitter). Du Coelo amélioré.

Bon, tout cela est trop méchant pour ce livre que je n’ai finalement trouvé qu’indigeste. Et je sais que kashmir a aimé, donc, si tu pouvais en dire quelques mots, kashmir,  ça rétablirait l’équilibre  Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 1384701150 .


Mots-clés : #amour #mondedutravail #voyage
par topocl
le Mer 13 Mar - 21:35
 
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Sujet: Jeanne Benameur
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Sébastien Ortiz

Dans un temple zen

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 51hmjx10


Originale: Français, 2017

À l'âge de 20 ans, suite à une déception amoureuse, le narrateur part pour Taiwan sans trop savoir que faire de sa vie. Il se laisse séduire par l'accueil d'un bonze dans un temple chan (= zen) du nord de l'île. Seul étranger à y être accueilli, alors que rien ne l'y préparait, il découvre, avec le regard ingénu et confiant de la jeunesse, le quotidien des moines et des nonnes bouddhistes, rythmé par la méditation et l'étude des textes. Il apprend le chinois, la méditation, épouse peu à peu leur existence tissée de passions simples, en harmonie avec une nature qui fait écho à l'imaginaire poétique de la Chine. Il se lie d'amitié avec celles et ceux qui ont choisi la voie monastique et lui livrent des bribes de leur histoire et devient ainsi Maître du tambour et donc Maître du temps.


REMARQUES :
Publié en 2017, Orthiz revient à une année de sa jeunesse : en 1992 il avait vingt ans ! Déçu par une fille, il fait ses bagages, part pour l’Asie ! Mais il n’avait probablement pas de tout en tête ce qui allait arriver. Et c’est suite à une découverte et une invitation exprimée par le responsable d’un monastère bouddhiste à Taïwan, qu’il se laisse prendre, et qu’il va y passer un temps qui, pendant toute une période, se sent pour lui, et le lecteur avec lui, « intemporel ».

Il s’agit vraiment d’un récit autobiographique très retenu et discret, presqu’en soi déjà un témoignage pour avoir laisser derrière soi des formes pompeuses et clinquantes. Cela fait plaisir de suivre le narrateur dans son séjour, ses descriptions de la vie des moines et nonnes dans sa régularité apaisante. Il nous raconte par bribes les histoires de ces personnes attachantes autour de lui dans le monastère, le devenir de leur vocation. Puis l’environnement du monastère, les promenades, la nature. L’apprentissage de la langue chinoise dans sa complexité et beauté. La mort d’un vieux moine. Il va partager (on aurait aimé en entendre encore plus?) des expériences du « zazen » et de la méditation.

Très heureux du contenu , mais aussi de la forme sans prétention, mais en toute simplicité.


mots-clés : #initiatique #religion #voyage
par tom léo
le Dim 10 Fév - 18:40
 
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Sujet: Sébastien Ortiz
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Guido Ceronetti

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Cerone10

Un voyage en Italie

Quelques impressions/souvenirs d'un livre lu il y a plusieurs années déjà.
En 1981, Guido Ceronetti entreprenait à travers l'Italie un voyage qui se disait sans but mais qui n'était pas sans arrière-pensées. Une Italie qu'il connaît comme sa poche, et pourtant qu'il ne reconnaît plus. Un pays défiguré, enlaidi, malade, "débris naufragé qui porte encore le vieux nom d'Italie...
On comprend tout à fait la colère et l'indignation de Ceronetti quand on aime ce pays et plus encore quand c'est son propre pays et qu'on constate sa dégradation.
Un peu comme qui assiste au délabrement de sa vieillesse.
Sauf que là il s'agit d'un faux rajeunissement, une réponse trompeuse donnée aux touristes qui viennent contempler, argent comptant, ce qu'ils peuvent trouver dans n'importe quelle ville européenne réaménagée.


mots-clés : #voyage
par bix_229
le Mer 30 Jan - 16:03
 
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Sujet: Guido Ceronetti
Réponses: 7
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Enrique Vila-Matas

Loin de Veracruz

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Loin_d10

Le narrateur, Enrique Tenorio, évoque ses deux frères : Antonio, l’aîné, écrivain casanier à la pipe froide, qui imagine et rédige des voyages à succès et finira par se suicider, Máximo, le cadet, haï par leur père et devenu un génial peintre, qui sera éliminé par une femme fatale (que les trois frères fréquenteront successivement). Enrique est un grand voyageur qui accumule les malheurs qu’il relate dans cette sorte de journal de « jeune vieux » (en fait la poursuite du roman esquissé par Antonio avant de se jeter dans le vide, La Descente…).
Le ton est souvent goguenard mais retombe toujours dans la nostalgie, le ressassement onirique, les redites érudites :
« ...] la beauté extrême d’Antigua – avec ses étonnants arbres millénaires, dont les racines, telle une vengeance du temps, montent comme des lianes sur les murs en ruine de ce qui fut la première forteresse de Cortés ‒ [… »

« Sur la forteresse en ruine, telle une vengeance de Moctezuma, grimpent aujourd’hui comme des lianes les puissantes racines des arbres millénaires de la région. »

Les références littéraires sont multiples, parfois éclairantes :
« Car, pensant au silence de notre siècle, je me souvins de ce maudit Beckett et de sa tentative pour entraîner la littérature dans une glauque taverne irlandaise fréquentée par des écrivains muets. »

« …] par rapport au Mexique, que je me sentais plus proche du thème de Juan Rulfo dans Pedro Páramo – le retour, c’est pourquoi le héros est un mort, or que suis-je, moi, sinon un vaincu de la vie ? – que du thème de l’homme chassé du paradis traité dans Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry. »

« …] un système qui lui était très personnel – copié sur Gombrowicz – consistant à entremêler les faits narratifs avec un sujet proche de l’essai littéraire et, en mettant à contribution sa non négligeable imagination et son talent pour l’association délirante et gratuite entre les choses les plus dissemblables, à boucler le texte avec une pensée finale, parfois très brillante et intelligente mais, d’autres fois, il faut bien le dire, scandaleusement superficielle. »

Il y a quelques allusions que j’ai perçues, mais sans doute pas assez pour vraiment donner du sens à l’ensemble ; à propos, Tenorio est le nom de famille de don Juan, le séducteur (ceci explique certains sous-entendus, et peut-être une vision assez misogyne des femmes). Y a-t-il renvoi au Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre ? L’inspiration de Cervantès est prégnante ; il me semble que Vila-Matas rejoint ici les quelques écrivains qui "cervantisent aujourd’hui", comme dit Goytisolo.
Voici peut-être une des clés de ce récit :
« Il ne m’échappe pas, en effet, que, soit on vit la vie à fond et l’on devient un Indiana Jones et un plouc, soit on écrit l’existence et on lui donne un sens, mais alors elle ne peut plus être vécue. Autrement dit : sois dans la vie et tu es insignifiant ; cherche à donner du sens et tu es mort. »

Le Mexique (et la mort) tient une grande place dans l’histoire :
« Avancer ou mourir, ils [les soldats de Cortés ayant sabordé ses navires] n’avaient devant eux que ce choix. Plus jamais n’existera un pareil voyage, ce fut le voyage par excellence. »

« Je me rappelle qu’il y avait une véritable magie dans l’ambiance folle des marimbas et une frénésie de havane quand nous traversâmes lentement le Zócalo, qui est la place centrale, et nous assîmes sous les arcades, Los Portales, dans un des cafés où tout le monde vient s’asseoir à Veracruz et où nous bûmes quelque chose d’inoubliable pendant que se succédaient des orchestres qui finirent par nous chanter les œuvres complètes (et autres contes) de don Agustín Lara. Quand fut achevé ce génial répertoire, une femme qui avait attendu son tour avec une singulière patience sous l’arcade la plus éloignée s’approcha avec une harpe gigantesque et, cordes tendues jusqu’au chipichipi et à la pluie, chanta La Bamba sur un rythme endiablé. Bamba, la bamba, la bamba. Stupéfaits et encore mal remis de la vitesse, nous vîmes un nain, agitant une clochette de bronze, susurrer María bonita en anglais. Un autre fou rejoignit la fête. Frange bouclée sur le front, d’une grosse voix comateuse, le fou me glissa dans l’oreille : « Mourir du désir de revenir. » Pour l’heure, mes yeux, à Los Portales, n’étaient plus qu’une immense place de curiosité dominicale et ils ne tardèrent pas à devenir la fête totale. Je sentis que le moment était unique. Je sentis ce qu’avaient senti beaucoup d’autres avant moi. Je sentis que je n’étais pas original. "Finalement, a écrit Pessoa, la meilleure manière de voyager, c’est de sentir. Plus je sentirai, plus je sentirai de personnes en moi, plus j’aurai de personnalités, plus intensément, stridemment je les aurai…" »

« …] en définitive la vie n’est que nostalgie de la mort. Nous ne venons pas de la vie, mais de la mort. »

Il ne faut sans doute pas chercher une trame au sens conventionnel, mais le manque de fil conducteur (ou la profusion de fils conducteurs) déroute le lecteur, surtout s’il perçoit des longueurs en milieu d’ouvrage ; restent un esprit facétieux, une invention prolixe, une littérature de la littérature, et un vrai plaisir de lecture :
« Je ne sais pas qui a dit que nous vivons comme nous écoutons la radio : nous attendons la chanson suivante, la chanson qui changera un peu, sinon notre vie, du moins notre matinée. »

« …] la littérature et la sénilité se ressemblent beaucoup, car elles présentent l’une et l’autre l’avantage de se situer en dehors de l’obscène jeu de la prétendue réalité – ce que nous appelons, par exemple, la lutte pour la vie – et sont, l’une et l’autre, le refuge idéal où l’homme peut se protéger enfin des blessures insensées et des coups absurdes que l’"épouvantable vie vraie" – la qualifiait-il alors – lui assène à mesure qu’elle s’écoule. »

« Aucun endroit ne m’attire spécialement, voyez-vous, aucun lieu ne me fascine tout à fait parce que je n’ignore pas que, s’il existait un colossal et extraordinaire charme dans cette vie, il consisterait pour moi à être là où je ne suis pas, endroit où je désirerais être dans un autre, qui serait nulle part. Aussi suis-je de Veracruz, point. Et si je suis de Veracruz, c’est que je suis bien obligé d’être de quelque part et, en tant qu’écrivain, d’en avoir une certaine nostalgie. »

« Je pense aujourd’hui, en effet, que si, par vie, il faut entendre engagement, implication, le degré de ce que nous pouvons percevoir dans ses entrailles est proche de zéro. »

« En deux semaines, je me rappelle être parvenu à lire la bagatelle de cinquante classiques, et je me rappelle aussi que, pour la moitié d’entre eux, je ne comprenais pratiquement rien, mais m’obligeais à les lire jusqu’au bout, toujours mû par le vague espoir que, dans les dernières lignes, l’auteur aurait la bonne idée de s’expliquer un peu ou, simplement, de demander pardon pour son impertinence et son extravagance. »

« ‒ Tu te rends compte, me dit Antonio un jour, que les excuses que tu me donnes sans arrêt pour justifier ton incapacité à trouver du travail sont exactement celles qu’inventent pour leurs parents les adolescents qui ont l’intention d’être exclusivement écrivains ? »

« Et ce n’est pas du remords que je ressens, mais l’angoisse – comme celle que doivent ressentir, par exemple, ces écrivains qui inventent tant de vérités feintes – qu’à tout instant je peux être retrouvé et que j’aurai à payer le prix fort. »


Aussi difficile de trouver un mot-clé que de cerner le dessein de Vila-Matas ou de le commenter : peut-être Aventure, Voyage ?


mots-clés : #aventure #voyage
par Tristram
le Lun 14 Jan - 12:17
 
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Sujet: Enrique Vila-Matas
Réponses: 65
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Edgar Maufrais

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Maufra10


Edgar Maufrais, À la recherche de mon fils. Toute une vie sur les traces d’un explorateur disparu


J’ai lu ce livre il y a maintenant deux mois et il me reste gravé en mémoire. D’emblée, j'ai été émue par ce livre-témoignage d'Edgar Maufrais qui relate ses nombreux séjours et expéditions au cœur de la forêt amazonienne pour retrouver son fils Raymond, ethnologue explorateur qui a disparu en 1950 dans la jungle guyanaise sans laisser de trace, si ce n’est des carnets qui ont été retrouvés par des Indiens.
Dès avant d’ouvrir ce livre, on sait qu'Edgar Maufrais qui part en 1952 pour longtemps ne retrouvera jamais son fils.
Laissant sa femme, donc la mère de leur fils Raymond, attendre en France le retour du mari et du fils, attente qui durera 12 ans.

Chaque « séjour » en forêt amazonienne représente un nombre important d'expéditions. Par expédition, il faut entendre qu'Edgar Maufrais revient au point de départ après avoir sillonné chaque région en boucle, où serait susceptible d'être passé son fils. Soit depuis le Brésil, soit depuis la Guyane. Il revient au point de départ de chaque expédition pour se ravitailler en vivres, même s’il vit des produits de sa chasse (et bien souvent la disette) pour aller à la banque locale car il faut pas mal d’argent pour payer les guides, faire du troc, négocier ceci ou cela avec les autochtones, trouver des nouveaux guides qui acceptent de faire le périple, etc.

Il a fait en tout 22 expéditions dont voici quelques exemples tant il a fait de milliers kilomètres : liaison Amazone/Saint-Laurent-du-Maroni ; Alenquer-Bom Futuro ; Manaos-Rio Imbitui ; Santarem-Rios Cabrua et Jacaré, etc., etc.

C’est en bateau que ça se passe la plupart du temps. Une pirogue, ou un canot, l’Amazonie, ses affluents, des vivres genre corned-beef, riz, café, et aussi la faim impérieuse, la fièvre, la maladie, des abris de fortune faits de lianes et de bouts de bois, chaque soir, et même en pleine nuit, des guides qui le plaquent en cours de route, d’autres qui demandent le double d’argent une fois qu’ils sont au cœur de la jungle, des lieux tellement enfoncés dans le cœur de la forêt que même les guides ou autres autochtones ne veulent pas y pénétrer, des guides qui s’improvisent souvent comme tels, des guides aussi qui emmènent leur famille entière depuis le bébé jusqu'au vieillard sur la pirogue, et c’est ça ou rien, et il faut prévoir leur nourriture, la pirogue qui tangue, l'obligation de délaisser du matériel pour faire monter tout ce monde, pas forcément bienveillant ; soigner les membres de la famille qui tombent malade ou qui sont piqués par des bêtes, des fourmis, des infections, bref, se retrouver en compagnie de personnes qui n’ont pas leur place ici ! Mais c'est la loi de la jungle !

La vie dans la jungle, la chaleur et l’humidité, pluies, matériel perdu, voire volé, des mauvaises rencontres, des piqûres d'insectes, de serpents, des efforts physiques énormes, réparer les canots, pagayer toute la journée bien sûr, affronter certains rapides, se retrouver tout seul à construire dans la nuit un abri de fortune et un hamac, se soigner les plaies et ne plus ressembler à rien, retourner à Belem par exemple et entre autres, rien que pour compléter la pharmacie, et cette forêt à la fois magnifiée et à la fois hostile, une hostilité si grande qu’on se demande ce que notre pauvre Edgar Maufrais espère encore. Les années s'écoulent. Il risque à chaque seconde d’y laisser sa peau. Personne n'a jamais vu son fils Raymond. Ou il y a si longtemps, oui, on l'a aperçu, il a dû passer par là. Mais il y a des peuplades qui vivent reculées, loin des fleuves, tels les Oyaricoulets, qui seraient, paraît-il, si menaçantes qu’aucun autochtone ne veut accompagner Edgar pour les trouver. On a mal pour lui. Des occasions perdues ? Car dans l'histoire des Maufrais, il est dit que ce sont les Oyaricoulets qui retiendraient le fils Raymond, pas forcément pour le faire prisonnier, mais par adoption, il vivrait là. Hélas il n'a pu approcher ces Indiens-là.

Quelle persévérance !

Quand j’ai commencé le livre j’ai cru que ce serait répétitif, même paysage de lianes à couper à la machette, de jungle, d’arbres qui cachent le jour et le ciel, d'humidité. Mais plus on avance, plus on est happé et on est à côté d'Edgar, lui disant, tiens bon, mon vieux ! Tu es un véritable explorateur ! Vas-y, tu es fort !
Car au bout du compte, et à force d’expéditions, à force aussi de s’être fait avoir en beauté, il a su humer les mauvais coups, rembarrer les voleurs ou autres comploteurs, et connaissant bien les régions visitées, aucun des guides ne lui arrivait plus à la cheville. Il n’avait plus besoin d'eux. Dans la jungle, c'est vraiment la jungle ! Il en est devenu le roi.

Épuisé, il renonce douze ans après. (Il a été retrouvé souffrant d'inanition dans la région amazonienne).

Autant dire que j’ai été très émue par ce livre. J’y pense encore.

Mots-clés : #aventure #lieu #temoignage #voyage
par Barcarole
le Mar 8 Jan - 17:17
 
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Sujet: Edgar Maufrais
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Vincent Hein

Kwai

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Vincent Hein, grand voyageur asiatique, fait escale en Thaïlande, pour retrouver les traces du pont de la Rivière Kwai. Il ne reste pas grand chose du fameux pont, et rien des camps de prisonniers en dehors d‘un musée et un cimetière. La nature sauvage a repris ses droits. Mais ce voyage, comme tout voyage, est bien loin d’être stérile. Vincent Hein hume les paysages, écoute les gens du pays, savoure sa présence en ces lieux. Remontent à la surface l’attachement de l’auteur à ce vieux film, et aux peplums et autres westerns de sa jeunesse, les moments partagés avec son père , et une vieille tante, devant l’écran de télévision, les premières promenades en forêt qui lui donnèrent le goût du voyage, les hommes référents de sa formation, qu’ils soient botanistes, cinéastes, écrivains-voyageurs, les hommes de sa famille qui soldats, blessés, prisonniers participèrent à ce grand bazar mondial des guerres, des hommes qu’on força à être des  vainqueurs ou des vaincus. Il donne passage un bon coup de tatane à Pierre Boule, l’auteur du roman éponyme.

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 18770910



Il y a un réel charme  à ce récit, tout à la fois cohérent et disparate, relevant du principe des associations d’idées (Vincent Hein ne s’est pas formé à la psychanalyse pour rien), des humeurs, des ressentis, mais qui n’échappe pas pour autant à la main mise  de l’Histoire. C’est un vagabondage élégant, poétique, délicieux au sein duquel j’ai relevé les quatre plus belles pages que j’ai pu lire sur la pluie (qui, en fait, sont les pluies).

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mots-clés : #autofiction #deuxiemeguerre #devoirdememoire #voyage
par topocl
le Lun 31 Déc - 11:11
 
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Sujet: Vincent Hein
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Baron de Lahontan

Récup' de souvenirs pour une lecture qui laisse sa marque durablement. Dépaysant, riche, instructif, inhabituel, charismatique, ...

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Un baptême iroquois
Les nouveaux voyages en Amérique septentrionale (1683-1693)


Une source oubliée des philosophes des Lumières ! Le récit initiatique d’un jeune aventurier français, le témoignage d’un des premiers explorateurs des immenses territoires la Nouvelle-France, une peinture pleine d’empathie du mode de vie et de la pensée des peuples autochtones, une réflexion philosophique sur l’idée de civilisation, une étude des mœurs politiques de la Colonie, et l’histoire vécue des premiers temps de la rivalité franco-anglaise au Nouveau Monde.
En 1683, à l’âge de 17 ans, le Baron de Lahontan embarque pour le Canada. Il y passe dix ans d’une vie libre et aventureuse, entre Québec et la région des Grands Lacs : officier auprès du gouverneur de la Nouvelle France, libertin en butte à l’autorité des jésuites, coureur des bois dans les vastes territoires de l’Amérique du Nord, il met en lumière le rôle du commerce des fourrures dans la guerre franco-anglaise, palabre avec les indiens dont il apprend les langues, les coutumes, les ruses et la philosophie.
Composé de lettres adressées à un lecteur inconnu, les Nouveaux voyages en Amérique déploient la verve d’un authentique libertin, l’esprit libre d’un homme curieux des mœurs et de la culture des peuples autochtones, la franchise politique d’un gentilhomme ruiné en rupture avec la cour du Roi Soleil.
Si l’ironie de son style, l’humanité de son regard et l’audace de ses observations annoncent la philosophie des Lumières, elles condamneront surtout son auteur à l’exil, et son œuvre à l’oubli et au mépris des partisans d’une histoire édifiante. Bien après Michelet qui vit dans ce « livre hardi et brillant le vif coup d’archet qui, vingt ans avant les Lettres persanes, avait ouvert le XVIIIe siècle », il faut attendre la fin du XXe pour qu’en France on redécouvre cet auteur au travers de Dialogues avec un sauvage.
Mais l’œuvre du baron de Lahontan ne saurait se limiter à ce livre et c’est pour rendre justice à cet écrivain de l’exil que nous rééditons les Nouveaux voyages en Amérique dans leur version originale de 1702.

lepassagerclandestin.fr


Pas facile de catégoriser ce livre entre voyage (professionnel), géographie et témoignage d'une histoire en train de se faire. C'est qu'en cette fin de 17è siècle le Canada pour un européen, et certainement pour la plupart de ses habitants, cela signifie beaucoup de points d'interrogation.

On découvre au fil des lettres adressées à un protecteur l'organisation politique et économique de la colonie française. Une économie qui repose pour beaucoup sur le commerce des peaux de la faune locale dont le prix grimpe à chaque étape les rapprochant de la France. Parmi les fournisseurs il y a des tribus indiennes, autre volet et peut-être le plus important de ce qu'on découvre dans cette lecture.

Fourrures contre breloques et matériel à un rapport avantageux mais pas pour les indiens mais surtout un regard curieux et attentif sur l'organisation politique des indiens et leurs pratiques. Les guerres et paix entre les tribus, la chasse et certains usages, plus ça va plus on sent notre baron à l'aise avec les sauvages comme il les appelle. Lassé sans doute des difficultés rencontrées avec une vie sociale et les politiques d'intrigues qui font que empêché à l'autre bout du monde il ne pourra jamais conservé ou reprendre ce qui lui vient de son père (puis pire encore qu'il ne soit promis au cachot). Plus à l'aise dans l'action et l'aventure, pas sans espoir de fortune mais sensible à la découverte le jeune homme prend de page en page de l'épaisseur.

Les tribus amies pas forcément tendres sont souvent la proie des Iroquois qui s'entendraient donc mieux avec les Anglais (et qui menacent aussi les "villes" de Montréal et Québec), chaque camp profitant de ses alliances pour gêner le commerce de l'autre et tenter de s'imposer sur le territoire. De rivière en rivière et de fort en fort de Lahontan fait son job, ne manque pas d'idées (qui ne trouvent pas souvent d'oreilles) et exerce un regard critique sur la politique et les manœuvres françaises.

Mais c'est aussi le goût d'une nature riche voire débordantes en ressources et parfois rude avec des hivers rigoureux qui se transforme petit à petit en mélancolie. La terre d'accueil et de possibles se fermera malgré tout à lui sans qu'il puisse aller plus loin encore, la faute à la politique et au service d'un pays et d'un roi qui lui auront probablement mal rendu.

Le moins que l'on puisse dire c'est que c'est dépaysant. C'est aussi très instructif d'un point de vue historique et pour le rapport à l'autre, au sauvage pas si sauvage que ça sous certains aspects. Proposé dans un compromis de version originale et de modernisation le texte est agréable et facile à lire*, l'immersion favorisée par les notes qui proviennent pour bonne part d'autres écrits de l'auteur.

Bref, un drôle de truc qui mérite bien de revoir le jour !

*: le style ou genre épistolaire (de lettres qui ne nécessitent pas forcément de destinataire) fait très bien l'affaire.


mots-clés : #colonisation #historique #lieu #nature #québec #voyage
par animal
le Mer 26 Déc - 22:17
 
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Sujet: Baron de Lahontan
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Jean d'Ormesson

Histoire du Juif errant

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D’Ormesson, à qui il ne déplaît pas de jouer le démiurge (voir La Création du monde, du même), réécrit légèrement l’Histoire en y insérant Ahasvérus le Juif errant à quelques moments-clés, dans les vies plus ou moins légendaires de Chateaubriand, Néron, saint François d’Assise, etc.
Le mythe du Juif errant, c’est dans la pensée collective le symbole de ce peuple coupable, condamné à ne pas/ plus avoir de pays. Mais aussi, c’est le mythe (anti-faustien) d’un homme immortel, le fussgänger, condamné à marcher éternellement à travers le vaste monde en accumulant les expériences, étant doué pour les langues et dénué de souci d’argent (ce qui n’est pas totalement négatif, voir Chemin faisant de Lacarrière). Voir aussi https://www.letemps.ch/societe/lorigine-juif-errant-netait-juif-errant-deconstruction-dun-mythe-travers-siecles
Fort cultivé, effectivement grouillant d’allusions érudites (mais du type conversation de bon ton dans la bonne société, ce qui ménage quand même le plaisir d’en élucider quelques-unes), c’est le bonheur chez l’écrivain de se souvenir et d’imaginer ; humour peut-être trop badin, goût du panache aristocratique assez prononcé ‒ voire une certaine grandiloquence complaisante ‒, métaphysique totalisante et paradoxale, parfois un peu creuse (mais 600 pages, c’est longuet) ; on n’évite pas non plus nombre de lieux communs (et c’est une efficace machine à citations) :
Mais d’abord les Juifs, et en tout premier un mot prêté à Poncius Pilatus :
« L’argent et la religion sont souvent mêlés chez mes Juifs. »

« Les Juifs n’en finissent pas d’être crucifiés par un monde qu’ils comprennent et transforment et dominent mieux que personne. »

« Judas était le traître. Ponce Pilate était l’injuste. Lui était le coupable. Personne autant que lui n’avait jamais été coupable. »

« Je crois qu’être juif est d’abord une idée. »

Autre thème, le temps qui passe, et l’Histoire :
« …] il avait trop de souvenirs pour les conserver tous. »

« L’histoire est une machine à enfermer les gens. […]
‒ Personne ne sait jamais, dit Simon, le sens que prendront ses actions et sa vie ni ce que l’histoire fera de lui. »

« Mais le souvenir n’est rien d’autre qu’une espèce d’imagination, appuyée sur du réel et bloquée par l’histoire. Chacun crée sa propre histoire, chacun invente son réel. »

« Il est aussi impossible de sortir de son temps que de sortir de son corps. Nous sommes prisonniers de beaucoup de choses, mais d’abord de ce temps où notre liberté se déploie, ou croit se déployer. […] Naturellement, la mémoire et l’imagination sont appelées à la rescousse et elles font de leur mieux : ce sont toujours la mémoire et l’imagination d’un homme de son époque. […] L’espace est la forme de la puissance des hommes, le temps est la forme de leur impuissance. »

« Aucun être vivant ne quitte jamais le présent. Le présent bouge tout le temps, et je bouge avec lui. À aucun moment je ne me balade dans l’avenir, à aucun moment je ne m’attarde dans mon passé. Je suis, vous êtes, nous somme tous dans un présent éternel. Le passé ne cesse de s’accroître et le futur de décroître. Seul le présent est à la fois immuable et changeant, seul le présent est éternel. À aucun moment de l’existence nous ne sortons du présent. Et au-delà de moi et de vous, il y a, en avant du passé, en arrière de l’avenir, un éternel présent du monde. »

Et des aphorismes, des méditations et autres pensées diverses :
« Pour vous, qui n’êtes pas immortels, l’amour remplace l’éternité. »

« Moi, je marche sans fin et les yeux dans le vide. Je ne marche jamais vers rien, je m’éloigne plutôt de quelque chose. Et de quoi est-ce que je m’éloigne, toujours en vain, naturellement ? Je m’éloigne de moi-même et de ce que je n’ai pas fait. Mon domaine est l’espace, un espace sans frontières, mon domaine est le temps, et un temps sans limites. J’ignore tout de l’espoir. Je marche et je n’avance pas. »

« De la masse immense de nos livres, et surtout de nos romans, supprimez ce qui ne relève pas des passions de l'amour, je ne dis pas qu’il ne reste rien ‒ il resterait la foi et le savoir, des contes, des fables, des Mémoires, les aventures des hommes, les récits de Conrad, la Critique de la raison pure, la Phénoménologie de l’esprit, des vaudevilles militaires, Alphonse Allais et Kafka, un bout de Polyeucte, le rêve d’Athalie, la Bhagavad-Gîtâ et le Popol Vuh, des fragments de Don Quichotte et de Gargantua, des passages de L’Iliade et, à la rigueur, de L’Odyssée, les voyages d’Ibn Battûta, ce qui n’est déjà pas si mal ‒, mais un typhon peut-être salvateur passerait sur les rayons de nos bibliothèques. »

« Car il n’y a pas de vie qui ne soit dominée par l’ombre de la mort. Et tout l’effort de la vie est de repousser l’idée de la mort par le jaillissement, par l’abondance, par l’accumulation de la vie. »

Un peu dépitant : il est fait plusieurs fois mention des grands Bouddhas de Bâmiyân, qui bien sûr n’avaient pas encore été, à l’époque de la rédaction de ce livre édité en 1990, détruits pas une bande d’abrutis.



mots-clés : #biographie #historique #voyage
par Tristram
le Jeu 13 Déc - 20:12
 
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Sujet: Jean d'Ormesson
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Éric Chevillard

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Oreille rouge

Cet écrivain aime sa chambre, sa table, sa chaise, dans la pénombre : on l'envoie en Afrique où sont les lions, dans le soleil. Que va-t-il chercher là-bas ? Un grand poème, dit-il. Ou ne serait-ce pas plutôt l'inévitable récit de voyage que tant d'autres avant lui ont rapporté ? On l'a lu déjà, et relu. L'auteur va prétendre que des indigènes l'ont sacré roi de leur village. Il aura percé à jour les secrets des marabouts et appris de la bouche d'un griot vieux comme les pierres quelque interminable légende avec métamorphoses. Le pire est à craindre. Par bonheur, l'aventure tourne court. L'hippopotame se cache. L'Afrique curieusement ne semble guère fascinée par le courageux voyageur. En revanche, celui-ci prend des couleurs : est-ce le soleil ou la honte ? Nous l'appellerons Oreille rouge.


D'emblée Chevillard nous met en garde contre son héros. "Passif, défaillant, pusillanime."
Héros d'ailleurs est hors de propos. Anti héros, encore moins : Albert Moindre, tel est son nom n' est pas du genre à s' opposer.
L' inviter "en résidence d' écriture" au Mali est une folie.
Pire, une provocation. C'est ainsi qu'il le ressent.
Et d' abord, pourquoi aller en Afrique pour écrire ? Certes Gide y est allé, mais c'était il y a longtemps.  Et il en est revenu, dans tous les sens du terme.
Pourquoi faudrait-il partir ?

Et s'il était plus aventureux de rester ? La vie est là, de toute façon. Il se demande si ceux qui partent ne bercent pas sans se l'avouer le rêve d'aller où elle n'est pas. Il développe de solides argumentations sur la beauté des habitudes. Il hoche sa lourde tête de philosophe. Son regard erre sur les murs de sa chambre. Oh ! mais il ne va pas y aller... Au Mali, pas de sitôt. C'est à peine si on sait où c'est. Encore un de ces pays. Il se trouve bien, lui, sur le sol natal. Il connait le coin. Parfois il caresse le projet de faire un tour à Prague, ou au Portugal... Mais le Mali quelle idée....

Que lui inspire comme ça, vite fait, l' Afrique ?
La girafe, l'éléphant...
L'Afrique n'a jamais été qu'une invention poétique.

Il n'ira pas.

Quoique.

Il s'interroge. Se gargarise soudain de l'idée d'y aller.
Lui, pantouflard, mou du genou, court d'imagination. Bouvard et Pécuchet à lui tout seul.
Mais quand même.
Si par hasard.
Voilà qu'il imagine le profit de l'aventure. Se pose soudain en connaisseur, en théoricien. Il fait le beau en public, même s'il panique le soir dans sa chambre.
Mais voilà.

Pour s'être trop vanté, il est piégé, forcé de partir. Il fait provision de médicaments, rédige son testament. Le sort en est jeté. Le voilà dans l'avion. Il n'y reste pas longtemps. Voilà qu'un fou furieux lui met un poing sur la gueule. Héroïque, il prend un autre avion.
Et le voilà rendu. Sur place se regardant regarder la pays et ses indigènes. A la recherche de l' hipopo  le jour, chassant les moustiques la nuit, regardant sous le lit au cas où s' y cacherait un crocodile.
Et il compose le poème.

L'Afrique va le sentir passer. De son côté, il promet de reste à l'écoute. Il serre des mains. Goûte les spécialités locales avec des moues appréciatives... Son écriture va être grandement modifiée, remuée par l' Afrique, comment en douterait-il ?
On saura désormais où est le Mali.
Dans son livre.


Mais tout a une fin. Voilà Oreille rouge de retour au pays. Dans sa ville grise.

Il est l' Africain. Dès qu'il entend le mot Mali, il intervient. Et lorsque le Mali n'est pas dans la conversation il l'y met, on peut compter sur lui... Et quand le silence règne, il le rompt pour faire observer que le silence n'est pas le même au Mali.


Et bref, il brode, affabule, ressasse, fait la roue.
On aurait pu aussi bien l'appeler Queue de paon.
Ce petit blanc minable.
Il lasse tout le monde et même son auteur.
A vrai dire le lecteur aussi.

Chevillard a le sens du mot, de la formule, de la situation. Il est drôle, désinvolte, inattendu, brillant. Son style fait penser à un feu d'artifice. C'est beau tant que ça flambe et que ça rutile. Chevillard, c'est presque un genre littéraire à lui seul.
Mais il va falloir qu'il fasse encore quelques pas vers moi et que je fasse de même.

Chiche !


mots-clés : #humour #voyage
par bix_229
le Mer 21 Nov - 18:46
 
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Sujet: Éric Chevillard
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André Gide

Voyage au Congo suivi de Le Retour du Tchad (suite)

Mine de rien, ça me rappelle quelque chose de plus actuel :
« Qu’est-ce que ces Grandes Compagnies, en échange, ont fait pour le pays ? Rien [Note : Elles n’ont même pas payé leurs redevances à l’État. Il a fallu l’huissier et l’énergie du Gouverneur Général actuel pour faire rentrer un million d’arriéré.]. Les concessions furent accordées dans l’espoir que les Compagnies "feraient valoir" le pays. Elles l’ont exploité, ce qui n’est pas la même chose ; saigné, pressuré comme une orange dont on va bientôt rejeter la peau vide.
"Ils traitent ce pays comme si nous ne devions pas le garder", me disait un Père missionnaire. »

On atteint à l’intemporel :
« Que ces agents des Grandes Compagnies savent donc se faire aimables ! L’administrateur qui ne se défend pas de leur excès de gentillesse, comment, ensuite, prendrait-il parti contre eux ? Comment, ensuite, ne point prêter la main, ou tout au moins fermer les yeux, devant les petites incorrections qu’ils commettent ? Puis devant les grosses exactions ? »

« Mais, tout de même, aller jusqu’à dire : Que deviendraient sans nous les indigènes ? me paraît faire preuve d’un certain manque d’imagination. »

L’articulation de l’opposition entre Administration étatique et bureaucrate et Grandes Concessions, compagnies commerciales capitalistes, entreprises privées uniquement préoccupées de profit, me paraît transposable de nos jours (hors référence coloniale). Il me semble aussi que le distinguo entre les deux aspects de la colonisation est important à faire historiquement (la gouvernementale pourvoyant tant bien que mal, au moins officiellement, aux soins médicaux et à la lutte contre les épidémies, à l’éducation scolaire, au tracé des routes et à la construction du chemin de fer, etc.).
« Un maître indigène stupide, ignare et à peu près fou, fait répéter aux enfants : Il y a quatre points cardinaux : l’est, l’ahouest, le sud et le midi. [Note : Il est vraiment lamentable de voir, dans toute la colonie, des enfants si attentifs, si désireux de s’instruire, aidés si misérablement par de si insuffisants professeurs. Si encore on leur envoyait des livres et des tableaux scolaires appropriés ! Mais que sert d’apprendre aux enfants de ces régions équatoriales que « les poêles à combustion lente sont très dangereux », ainsi que j’entendais faire à Nola, ou que « Nos ancêtres les Gaulois vivaient dans des cavernes ».
Ces malheureux maîtres indigènes font souvent de leur mieux, mais, à Fort-Archambault tout au moins, ne serait-il pas décent d’envoyer un instituteur français, qui parlât correctement notre langue. La plupart des enfants de Fort-Archambault, fréquentant des colons, savent le français mieux que leur maître, et celui-ci n’est capable de leur enseigner que des fautes. Qu’on en juge : voici la lettre qu’il écrit au chef de la circonscription :
« Mon Commendant
J’ai vous prier tres humblement de rendre compte qu’une cheval tres superbement ici pour mon grand frère chef de village sadat qui lui porter moi qui à vendu alors se communique si vous besien sara est je veux même partir chez vous pouvoir mon Commandant est cette cheval Rouge comm Ton cheval afin le hauteur dépasse ton cheval peut être. ».
(Signature illisible).]
»

« Ces agents, qui n’ont jamais mis les pieds aux colonies, modifient à leur gré et selon leur appréciation particulière, les commandes, ne tenant le plus souvent aucun compte des exigences spécifiées. [Note : En cours de route, nous en verrons d’ahurissants exemples : Tel administrateur, (je craindrais de lui faire du tort en le nommant) reçoit trente-deux roues de brouettes, mais ne peut obtenir les axes et les boulons pour les monter. Un autre, (il s’agit d’un poste important) reçoit 50 crémones, mais sans les tringles de métal qui permettraient de se servir de ces crémones ; et, comme il signale l’oubli des tringles, il reçoit un nouvel envoi, aussi important, de crémones, mais toujours pas de tringles. Un troisième administrateur reçoit un coffre-fort démontable ; mais on a oublié d’y joindre les boulons qui permettraient de le monter.] »

« Il ne me suffit pas de me dire, comme l’on fait souvent, que les indigènes étaient plus malheureux encore avant l’occupation des Français. Nous avons assumé des responsabilités envers eux auxquelles nous n’avons pas le droit de nous soustraire. Désormais, une immense plainte m’habite ; je sais des choses dont je ne puis pas prendre mon parti. Quel démon m’a poussé en Afrique ? Qu’allais-je donc chercher dans ce pays ? J’étais tranquille. À présent je sais ; je dois parler. Mais comment se faire écouter ? »

Il y a beaucoup d’éléments apportés à la réflexion sur le racisme (qui pour mener à l’horrible n’est pas toujours aussi simple qu’on voudrait le croire) :
« Je continue de croire, et crois de plus en plus, que la plupart des défauts que l’on entend reprocher continuellement aux domestiques de ce pays, vient surtout de la manière dont on les traite, dont on leur parle. Nous n’avons qu’à nous féliciter des nôtres – à qui nous n’avons jamais parlé qu’avec douceur, à qui nous confions tout, devant qui nous laissons tout traîner et qui se sont montrés jusqu’à présent d’une honnêteté parfaite. Je vais plus loin : c’est devant tous nos porteurs, devant les habitants inconnus des villages, que nous laissons traîner les menus objets les plus tentants pour eux, et dont le vol serait le plus difficilement vérifiable – ce que, certes, nous n’aurions jamais osé faire en France – et rien encore n’a disparu. Il s’établit, entre nos gens et nous, une confiance et une cordialité réciproques, et tous, sans exception aucune, se montrent jusqu’à présent aussi attentionnés pour nous, que nous affectons d’être envers eux. [Note : Ce jugement qui pourrait sembler peu mûri n’a fait que se confirmer par la suite. Et j’avoue ne comprendre pas bien pourquoi les blancs, presque sans exception, tant fonctionnaires que commerçants, et tant hommes que femmes, croient devoir rudoyer leurs domestiques – en paroles tout au moins, et même alors qu’ils se montrent réellement bons envers eux. Je sais une dame, par ailleurs charmante et très douce, qui n’appelle jamais son boy que « tête de brute », sans pourtant jamais lever la main sur lui. Tel est l’usage et : « Vous y viendrez aussi, vous verrez. Attendez seulement un mois. » – Nous avons attendu dix mois, toujours avec les mêmes domestiques, et nous n’y sommes pas venus. Par une heureuse chance, avons-nous été particulièrement bien servis ? Il se peut… Mais je me persuade volontiers que chaque maître a les serviteurs qu’il mérite. Et tout ce que j’en dis n’est point particulier au Congo. Quel est le serviteur de nos pays qui tiendrait à cœur de rester honnête, lorsqu’il entendrait son maître lui dénier toute vertu ? Si j’avais été le boy de M. X… je l’aurais dévalisé le soir même, après l’avoir entendu affirmer que tous les nègres sont fourbes, menteurs et voleurs.
– « Votre boy ne comprend pas le français ? demandai-je un peu inquiet.
– Il le parle admirablement… Pourquoi ?
– Vous ne craignez pas que ce qu’il vous entend dire… ?
– Ça lui apprend que je ne suis pas sa dupe. »
À ce même dîner, j’entendais un autre convive affirmer que toutes les femmes (et il ne s’agissait plus des négresses) ne songent qu’à leur plaisir, aussi longtemps qu’elles peuvent mériter nos hommages, et qu’on n’a jamais vu de dévote sincère avant l’âge de quarante ans.
Ces Messieurs certainement connaissent les indigènes comme ils connaissent les femmes. Il est bien rare que l’expérience nous éclaire. Chacun se sert de tout pour s’encourager dans son sens, et précipite tout dans sa preuve. L’expérience, dit-on… Il n’est pas de préjugé si absurde qui n’y trouve confirmation.
Prodigieusement malléables, les nègres deviennent le plus souvent ce que l’on croit qu’ils sont – ou ce que l’on souhaite, ou que l’on craint qu’ils soient. Je ne jurerais pas que, de nos boys également, l’on n’eût pu faire aisément des coquins. Il suffit de savoir s’y prendre, et le colon est pour cela d’une rare ingéniosité. Tel apprend à son perroquet : « Sors d’ici, sale nègre ! » Tel autre se fâche parce que son boy apporte des bouteilles de vermouth et d’amer lorsque, après le repas, il lui demande des liqueurs : – « Triple idiot, tu ne sais pas encore ce que c’est que des apéritifs !… » On l’engueule parce qu’il croit devoir échauder, avant de s’en servir, la théière de porcelaine dont il se sert pour la première fois ; ne lui a-t-on pas enseigné en effet que l’eau bouillante risque de faire éclater les verres ? Le pauvre boy, qui croyait bien faire, est de nouveau traité d’imbécile devant toute la tablée des blancs.] »

Gide pointe aussi de menus travers qui déroutent l’Occidental en Afrique, comme le sempiternel problème des prix, parfois minorés parce qu'un Blanc est essentiellement le chef à qui tout est dû ‒ mais le plus souvent c'est ce dernier qui marchande, de crainte d’être dupe :
« L’absence de prix des denrées, l’impossibilité de savoir si l’on paye bien, ou trop, ou trop peu, les services rendus, est bien une des plus grandes gênes d’un voyage dans ce pays, où rien n’a de valeur établie, où la langue n’a pas de mot pour le merci, où, etc. »

Je serais curieux de percevoir ce que cet esthète a pu entendre :
« L’invention rythmique et mélodique est prodigieuse – (et comme naïve) mais que dire de l’harmonique ! car c’est ici surtout qu’est ma surprise. Je croyais tous ces chants monophoniques. Et on leur a fait cette réputation, car jamais de « chants à la tierce ou à la sixte ». Mais cette polyphonie par élargissement et écrasement du son, est si désorientante pour nos oreilles septentrionales, que je doute qu’on la puisse noter avec nos moyens graphiques. »

Péripéties exotiques :
« Les pagayeurs, dans la grande cour devant le poste, n’ont guère arrêté de tousser cette nuit. Il ne fait pas très froid ; mais le vent s’est élevé. Le sentiment de leur gêne, dont je suis indirectement responsable, me tient éveillé. Combien je me félicite d’avoir acheté à Fort-Lamy une couverture de laine supplémentaire pour chacun de nos boys. Mais que ces pauvres gens, à côté, soient tous nus, le dos glacé par la bise tandis que le ventre rôtit à la flamme, et n’osent s’abandonner au sommeil de peur de se réveiller à demi-cuits (l’un d’eux nous montrait ce matin la peau de son ventre complètement rissolée et couverte de cloques) après qu’ils ont peiné tout le jour – cela est proprement monstrueux.
Bain dans le Logone, assez loin du poste, sur un banc de sable, en compagnie de deux aigrettes, d’un aigle-pêcheur et de menus vanneaux (?). Ce serait parfait sans la nécessité de garder son casque. Immense bien-être ensuite. »

« Oui, si parfaite que puissent être la méditation et la lecture dans la baleinière, je serai content de quitter celle-ci. Tout allait bien jusqu’à l’hippopotame ; mais depuis que les pagayeurs ont suspendu tout autour de nous ces festons puants, on n’ose plus respirer qu’à peine. »

« Et déjà l’on voit s’avancer vers nous 25 cavaliers d’aspect bizarre, sombre et sobre ; ce n’est que lorsqu’ils sont tout près que l’on comprend qu’ils sont vêtus de cottes de mailles d’acier bruni, coiffés d’un casque que surmonte un très étrange cimier. Les chevaux suent, se cabrent, soulèvent une glorieuse poussière. Puis, virevoltant, nous précèdent. Le rideau qu’ils forment devant nous s’ouvre un demi-kilomètre plus loin pour laisser s’approcher 60 admirables lanciers vêtus et casqués comme pour les croisades, sur des chevaux caparaçonnés, à la Simone Martini. Et presque sitôt après, ceux-ci s’écartent à leur tour, comme romprait une digue, sous la pression d’un flot de 150 cavaliers enturbannés et vêtus à l’arabe, tous portant lance au poing. »

Bref, c’est passionnant, et je ne sais pas comment j’ai pu omettre cette lecture jusque maintenant.




mots-clés : #aventure #colonisation #journal #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Sam 10 Nov - 14:36
 
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Sujet: André Gide
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John Steinbeck

Voyage avec Charley (1960) :

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 41srbp10

Suite à la chaîne de lecture, et sur proposition avisée de kashmir, j'ai lu ce titre de Steinbeck.
Ce fut agréable de découvrir davantage l'homme - je n'avais jusqu'alors que lu des fictions de sa part.
Steinbeck nous narre son périple à travers les Etats-Unis, depuis les forêts du Maine jusqu'au désert Californien, en passant par les grands Lacs et le Texas.
Proche de la soixantaine, il se rend compte qu'il n'écrit plus que sur ses souvenirs, lui l'écrivain qui semble s'encroûter dans la banlieue New-Yorkaise. Ainsi se lance-t-il dans un road trip, à la rencontre de l'Amérique, de l'Américain, et des Américains. S'il découvre des traits communs à l'Américain, qui semble former un peuple distinctif selon lui, il en nuance aussi les traits.
Accompagné de son chien, dans sa voiture, dénommé Rossinante, en hommage à la monture de Don Quichotte, l'ami Steinbeck nous fait partager son voyage, par la grâce de sa plume et la finesse de son observation. C'est un homme assez détaché, qui veut se faire témoin de son temps, qui veut dresser un portrait sur le vif de l'Amérique dans sa diversité de paysages et de contrastes.

Je vous remets ici l'incipit du livre :
Lorsque j'étais très jeune et possédé du besoin d'être toujours ailleurs, les gens mûrs m'assuraient que la maturité me guérirait de cette démangeaison. Quand les ans me déclarèrent mûr, on m'assura encore que l'âge ferait son oeuvre. Puis l'on m'affirma que ma fièvre se calmerait avec le temps. Et, à présent que j'ai cinquante-huit ans, sans doute est-ce de la sénilité que viendra le remède. Jusqu'ici, rien n'y a fait.


Il livre de temps à autre des remarques sur le voyage, ou sur ce qu'il ressent et observe ; des remarques qui sont encore valables aujourd'hui :

Dans les longs préparatifs d'un voyage, il entre, je crois, la conviction intime qu'il n'aura pas lieu.
Comme approchait le jour du départ, mon lit et ma maison confortable devinrent de plus en plus désirables, et ma chère épouse se fit incommensurablement précieuse. Abandonner tout cela pendant trois mois pour les affres du manque de confort et de l'inconnu semblait une folie. Je ne voulais plus partir.


On associe, je ne sais pourquoi, la chasse à la virilité. Il existe de nombreux et excellents chasseurs qui savent ce qu'ils font. Mais, plus nombreux encore sont les messieurs bien gras, imbibés de whisky et armés de fusils de luxe. Ils tirent sur tout ce qui bouge - ou ce qui leur paraît bouger -, et leur habileté à s'entre-tuer pourrait bien résoudre le problème angoissant de la surpopulation. Si les accidents se limitaient à leur propre espèce, il n'y aurait pas de problème, mais l'assassinat de vaches, de cochons, de fermiers, de chiens et de panneaux signalisateurs, fait de l'automne une saison dangereuse pour les voyages.



Mots-clés : {#}voyage{/#}
par Invité
le Dim 4 Nov - 13:27
 
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Sujet: John Steinbeck
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Michel Onfray

Michel Onfray
Né en 1959

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Michel Onfray, né le 1er janvier 1959 à Argentan (Orne), est un philosophe et essayiste français qui défend une vision du monde hédoniste, épicurienne et athée.

En 2002, à la suite de la montée du Front national, parti politique d'extrême droite, lors de l'élection présidentielle, il quitte sa carrière d'enseignant pour créer l'université populaire de Caen où il délivre pendant treize ans un cours intitulé « contre-histoire de la philosophie » retransmis sur France Culture. Sa portée médiatique est renforcée par des interventions régulières en TV ou radio où il s'exprime au sujet de débats politiques et sociaux. Michel Onfray est un auteur fécond avec plus de quatre-vingts ouvrages publiés. Sa pensée est principalement influencée par des philosophes tels que Nietzsche et Épicure, par l'école cynique, par le matérialisme français et par l'anarchisme proudhonien. En raison de ses prises de positions parfois controversées, il est régulièrement au centre de polémiques.
Né d'un père ouvrier agricole et d'une mère femme de ménage abandonnée bébé puis placée à l'Assistance publique, il vécut à Chambois. Il a un frère cadet7. Michel Onfray est « pris en charge » de l'âge de dix ans à celui de quatorze dans un pensionnat catholique tenu par des prêtres salésiens à Giel dans l'Orne qu'il décrit comme un lieu de souffrance — « Je fus l'habitant de cette fournaise vicieuse » — dans la préface d'un de ses ouvrages, La Puissance d’exister et, également, de manière courte dans la préface de son Crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne.
En 1979, il devient stagiaire journaliste à la rédaction d'Argentan d'Ouest-France pour financer ses études. Il y reste jusqu'en 19829.
Élève entre autres de Lucien Jerphagnon et d'Alexis Philonenko, il soutient en 1986, à l'âge de vingt-sept ans, une thèse de doctorat, intitulée « Les implications éthiques et politiques des pensées négatives de Schopenhauer à Spengler » sous la direction de Simone Goyard-Fabre, au centre de philosophie politique et juridique de l'université de Caen14.
Il envoie son premier livre, consacré à la figure oubliée du philosophe nietzschéen Georges Palante, à un petit éditeur d'Ille-et-Vilaine.
En 1987, à vingt-huit ans, il frôle la mort lors d'un infarctus. Sa rééducation au côté d'une diététicienne impitoyable, qui lui prédit sa fin prochaine s'il persiste à se régaler de confits et de gâteaux au chocolat, est à l'origine de son deuxième ouvrage, Le Ventre des philosophes (initialement intitulé Diogène cannibale), publié en 1989 par l'intermédiaire de Jean-Paul Enthoven chez Grasset (dans la collection « Figures » que dirige Bernard-Henri Lévy), dans lequel il s'intéresse aux passions et phobies alimentaires de ses auteurs favoris16. Quelques années plus tard, il contracte une infection en Mauritanie qui provoque un AVC qui l'empêche d'écrire et provoque un nouvel accident cardiaque quelques jours plus tard (syndrome de tako-tsubo).
Il obtient en 1993 le Prix Médicis essai pour La Sculpture de soi. La morale esthétique. En 1991, il intègre le comité de rédaction de La Règle du jeu, la revue que vient de créer Bernard-Henri Lévy dans laquelle il publiera six articles. Il quitte celle-ci en 1998 alors qu'elle change de formule. Il affirmera n'être « allé que deux fois » au comité de rédaction et ne pas s'y être senti « du tout à [sa] place ». Plus globalement, il estime s'être « fait instrumentaliser par Grasset » et avoir été traité « comme un fantassin de l'équipe BHL », avouant n'être « pas fier » de cet épisode. Son ouvrage sorti en 1995, La Raison gourmande, lui permet d'avoir sa première apparition médiatique dans Bouillon de culture.

sources wikipedia

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Ouvrages généraux

Chambois et Fel: Histoires mêlées, Charles Corlet, 1989
Cynismes : Portrait du philosophe en chien, Grasset, 1990
L'Art de jouir : Pour un matérialisme hédoniste, Grasset, 1991
La Sculpture de soi : La Morale esthétique, Grasset, 1993
Ars Moriendi : Cent petits tableaux sur les avantages et les inconvénients de la mort, Folle Avoine, 1994
Politique du rebelle : Traité de résistance et d'insoumission, Grasset, 1997
Théorie du corps amoureux : Pour une érotique solaire, Grasset, 2000
Antimanuel de philosophie : Leçons socratiques et alternatives, Bréal, 2001
Physiologie de Georges Palante : Pour un nietzschéisme de gauche, Grasset, 2002
L'Invention du plaisir : Fragments cyrénaïques, LGF, 2002
Célébration du génie colérique : Tombeau de Pierre Bourdieu, Galilée, 2002
Féeries anatomiques : Généalogie du corps faustien, Grasset, 2003
La Communauté philosophique : Manifeste pour l'Université populaire, Galilée, 2004
Traité d'athéologie : Physique de la métaphysique, Grasset, 2005
La Sagesse tragique : Du bon usage de Nietzsche, LGF, 2006
Suite à La Communauté philosophique : Une machine à porter la voix, Galilée, 2006
La Puissance d'exister : Manifeste hédoniste, Grasset, 2006
La Pensée de midi : Archéologie d'une gauche libertaire, Galilée, 2007
L'Innocence du devenir : La Vie de Frédéric Nietzsche, Galilée, 2008
Le Songe d'Eichmann, Galilée, 2008
Le Souci des plaisirs : Construction d'une érotique solaire, Flammarion, 2008
La Religion du poignard : Éloge de Charlotte Corday, Galilée, 2009
Le Crépuscule d'une idole : L'Affabulation freudienne, Grasset, 2010
Apostille au Crépuscule : Pour une psychanalyse non freudienne, Grasset, 2010
Manifeste hédoniste, Autrement, 2011
L'Ordre libertaire : La Vie philosophique d'Albert Camus, Flammarion, 2012
Vies et mort d'un dandy : Construction d'un mythe, Galilée, 2012
Rendre la raison populaire : Université populaire, mode d'emploi, Autrement, 2012
Le Postanarchisme expliqué à ma grand-mère : Le Principe de Gulliver, Galilée, 2012
Le Canari du nazi. Essais sur la monstruosité, Collectif, Autrement, 2013
La Raison des sortilèges : Entretiens sur la musique, Autrement, 2013
Un requiem athée, Galilée, 2013
Bestiaire nietzschéen : Les Animaux philosophiques, Galilée, 2014
Haute école : Brève histoire du cheval philosophique, Flammarion, 2015
Penser l'Islam, Grasset, 2016
Le Miroir aux alouettes : Principes d'athéisme social, Plon, 2016
La Parole au peuple, L'Aube, 2016,
La Force du sexe faible : Contre-histoire de la Révolution française, Autrement, 2016
Décoloniser les provinces : Contribution aux présidentielles, L'Observatoire, 2017
La Cour des Miracles : Carnets de campagne, L'Observatoire, 2017
Tocqueville et les Apaches : Indiens, nègres, ouvriers, Arabes et autres hors-la-loi, Autrement, 2017
Vivre une vie philosophique : Thoreau le sauvage, Le Passeur, 2017
Miroir du nihilisme : Houellebecq éducateur, Galilée, 2017
Solstice d'hiver : Alain, les Juifs, Hitler et l'Occupation, L'Observatoire, 2018
Zéro de conduite : Carnet d'après campagne, L'Observatoire, 2018
Le Deuil de la mélancolie, Robert Laffont, 2018
La Stricte observance : Avec Rancé à la Trappe, Gallimard, 2018

suite
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Nager avec les piranhas ‒ Carnet guyanais

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Je m’attendais à des clichés, des contresens, des erreurs… mais la lecture de ce bref essai m’a navré. Il est signé par un philosophe reconnu, que je découvre là, mais qui a quand même une certaine notoriété, et une audience…
Ce qui est atterrant, c’est qu’Onfray accumule les approximations, les raccourcis, les extrapolations dans un manque de rigueur scandaleux, pour parvenir à des conclusions fantaisistes qu’il avait dès le départ : l’ouvrage n’est qu’un prétexte à, outre raconter ses petites aventures en Amazonie, taper sur la république jacobine et les élues (écologiste et socialiste) autrices d’un rapport sur le fort taux de suicide chez les jeunes Amérindiens. Le plus alarmant, c’est que le lecteur peut dorénavant s’interroger sur la validité, la légitimité d’ouvrages portant sur des sujets qu’il ne connaît guère.
On peut comprendre que l’auteur n’ait pas une connaissance approfondie du contexte après une visite de 24 heures dans un village amérindien (et n’avoir pas lu, ou mal, les ouvrages de sciences humaines qui s’y rapportent) ; mais comment accepter qu’un visiteur de passage pérore quasi officiellement sur un sujet d’une telle importance, que nombre de personnes, spécialistes ou simples habitants locaux, connaissent mieux que lui ?
L’auteur se rend donc par avion à Maripasoula (laissant sous-entendre que c’est le seul moyen d’accès), et de là en pirogue (deux heures) à Taluhen, village wayana, pour y passer la nuit. L’incipit prévient, belle devise pour qui se pique de réflexion sans a priori :
« Ce que l’on trouve dans un voyage est toujours ce que l’on y met. »

Dans la foulée de cette assertion, Onfray discrédite les ethnologues, qui devraient « taire ce que l’on croit savoir ». Par contre, le bien-fondé de son approche-éclair reste sous-entendu. Mais le lecteur est magistralement prévenu de ce qui va suivre.
Dès la seconde page, l’auteur succombe avec style à un biais aussi infondé qu’insultant :
« J’aime les voyages non pas parce qu’ils nous permettent de rencontrer l’altérité dans un même temps, mais parce qu’ils nous donnent la mêmeté dans un autre temps. Ces peuples sont en effet fossiles : autrement dit, ils sont ce que nous fûmes et, hélas, ils seront ce que nous sommes, avant que tous, ceux qui furent, ce qui sont et ceux qui seront, disparaissent dans un même homme insipide, fade comme un ver solitaire. »

C’est la thèse que développe l’auteur, champion sans conteste de la simplification abusive : il faut laisser les Primitifs sans contact avec notre sordide civilisation, dans leur réserve muséale : sans électricité, sans télévision, sans Internet (sans écoles, sans médecins, etc.) Quant à l’orpaillage clandestin qui pollue les eaux, l’auteur ne comprend pas que l’armée ne résolve pas le problème ‒ sauf probables compromissions politiques voire dessous-de-table en haut lieu ‒ que proposerait-il, notre je-sais-tout-en-une-minute ? le napalm ? A noter pourtant que depuis la visite d’Onfray en 2015, les sites illégaux ne sont plus aussi repérables d’avion : il a sans doute été entendu…
Dans sa description des bons sauvages rencontrés, Onfray déploie la même partialité manichéenne que certains voyageurs du XIXe, dont il n’a pourtant pas les excuses :
« Mais les uns sont les autres : ainsi, Derrick "Tukanu" Jubitana Opota, le petit garçon de huit ans dont les parents nous logent, porte-t-il, sur un cliché, le pagne rouge cachant son étui pénien, puis rien d’autre ; et, sur l’autre, le bermuda blanchi à l’eau de Javel et les baskets montantes, le gilet de costume trois pièces et un tee-shirt bariolé. Sur la première photo, il porte aussi les vertus de sa tribu : la fierté, la détermination, la virilité, la superbe, la force, l’affûtage ; sur la seconde, les vices de la nôtre : l’arrogance, la suffisance, le narcissisme, l’égotisme, l’insolence, l’avachissement. Sur l’une, il est bien campé sur ses jambes écartées, les mains sur les hanches, cuivré comme un petit dieu de la forêt ; sur l’autre, il est désarticulé comme un rappeur, il grimace avec ses doigts, son regard qui est resté le même n’est plus le même. Ici, il dit l’acuité ; là, il signifie la fourberie.
De même sa mère, Kindy "Etaïki" Opoya, vingt-huit ans. D’une part, ses pieds nus sont en contact franc avec le sol ; la force tellurique semble irriguer la totalité du corps et irradier son visage, celui d’une guerrière aux seins lourds qui est aussi mère [… »

Ad libitum. (Les étuis péniens dont Onfray parle plusieurs fois n’existent pas en Guyane.) Notre élucubrateur en pleine divagation poursuit impavide. La forêt est bien sûr « impénétrable », on peut pardonner, comme le lyrisme échevelé, sans fondement scientifique ; mais la dose est toxique, de la part d’un porte-parole auto-proclamé :
« Les grenouilles étaient toujours là, assises dans l’herbe ; la lune était toujours là, posée dans le cosmos ; le Maroni coulait toujours là, tel le fleuve d’Héraclite ; nos silences faisaient du bruit, sa parole était un long silence ; il portait la mémoire de son père chamane, mais aussi l’espoir de son fils bientôt initié. Son sourire était celui d’un bouddha de la forêt amazonienne. »

Si on ne compte pas les nombreuses pages blanches et la longue bibliographie de l’auteur, le texte se résume à 60 pages ; à 12 Euros le livre, ça nous fait 20 centimes la page ; désolé de la sordidité du calcul, mais c’est nécessaire chez les mercantis.

Exemplaire exercice de grand intellectuel grand voyageur du consensus mou et du mépris des lecteurs, sur le dos de ceux qui n’ont pas la parole.

mots-clés : #lieu #philosophique #social #voyage
par Tristram
le Dim 14 Oct - 16:22
 
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Sujet: Michel Onfray
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Jim Harrison

Une odyssée américaine

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Une_od10

Dans le prolongement des nouvelles La Bête que Dieu oublia d'inventer et J'ai oublié d'aller en Espagne, voici l’histoire de Cliff, un sexagénaire ayant perdu sa femme Vivian, sa ferme et sa chienne Lola (celle-ci morte de vieillesse, les deux autres dans un divorce).
C’est aussi un road movie, comme dans Un bon jour pour mourir : il part avec un « puzzle datant de mon enfance. Il y avait quarante-huit pièces, une pour chaque État, toutes de couleurs différentes. La boîte contenait aussi des informations sur l’oiseau et la fleur associés à chaque État. » Cliff envisage de passer dans chaque État, jetant une pièce du puzzle à chaque frontière, et de « renommer les États et la plupart des oiseaux d’Amérique ». Il a enseigné jusque 35 ans et fut agriculteur depuis, et son odyssée commence avec Marybelle, une ex-étudiante dont il était épris, comme ses fantasmes sexuels se réalisent enfin. Car Cliff est encore très (trop ?) « biologique »…
« ‒ Je me demande parfois ce qu’est le désir. Est-ce tout à la fois un fardeau, un cadeau et une malédiction ? » (Montana (le retour) VI)

L’odyssée s’achève par un retour aux sources (à la Thoreau) après quelques parties de pêche à la truite dans le Montana avec Dr A, son ami alcoolique. Le thème de la route à la découverte des US est traditionnel...
« Rien dans mon voyage ne s’était jusque-là déroulé comme prévu, ce qui prouve qu’au lieu de se contenter de lire des bouquins sur les États-Unis, il vaut bien mieux partir à l’aventure. Je veux dire regarder et sentir le pays. Il paraît que la télévision nous a tous rendus interchangeables, mais je ne l’ai constaté nulle part. » (Utah)

...mais permet justement des considérations sur la culture États-Unienne (y compris religieuse)...  
« Tandis que le paysage se déroule sous nos yeux, c’est tout ce que nous avons à offrir et il ne nous appartient même pas. Nous avons toujours été une armée d’occupation. Il suffit de s’intéresser à l’histoire pour le savoir. » (Wisconsin)

« De même, vingt-cinq ans plus tôt, au moment où j’ai arrêté d’enseigner, j’ai bien vu le massacre opéré par cette nouvelle culture où tout, éducation comprise, doit être agréable ou amusant. » (Nebraska)

« C’étaient ces mêmes mères qui disaient : "Ma Debbie n’a pas le temps de lire un livre en entier." » (Nebraska)

« Cette expérience était à mille lieues de l’idée américaine de Dieu vu comme un type se baladant au volant d’une benne à ordures bourrée de figurines en sucre qu’il lance à ceux qui le méritent et qui lui parlent correctement. » (Californie II)

...et l’époque du téléphone portable.
« Au fil de notre mariage le téléphone de Vivian est devenu une pomme de discorde. Elle refusait même de l’éteindre quand nous devenions romantiques. Son argument était le suivant : à quoi bon rater une commission de dix mille dollars afin de me faire baiser pour la cinq millième fois ? » (Minnesota)

« Soudain, je me suis senti mieux : par cette chaleur extrême, la vie sur la route proposait des pensées inédites, et la première m’a poussé à rejoindre les toilettes de mon motel, à lâcher le téléphone portable dans la cuvette et à tirer la chasse. J’ai savouré ce que Robert appelle "un visuel génial" : le tourbillon concentrique de l’eau, un léger frémissement lumineux, et tout au fond la mort inéluctable d’une créature électronique qui a à peine poussé un petit cri. Sayonara, fils de pute, comme on disait dans le temps.
J’avais lancé dans la rivière Colorado la pièce du puzzle correspondant à la Californie en me disant qu’un grand État trouve une tombe appropriée dans un grand fleuve. » (Arizona)

Difficile de ne pas voir une forte influence autobiographique dans ce roman, déjà signalée par la place de petites villes telles que Reed City, Michigan, et Patagonia, Arizona, dans le livre comme dans la vie de l’auteur. Les tropismes et les pensées de Cliff sont ceux de Jim Harrison, sans doute aussi ses rencontres, voire ses mésaventures, ses souvenirs familiaux et peut-être même conjugaux ; autant dire qu’une certaine empathie du lecteur pour Big Jim est nécessaire (nonobstant certains traits de caractère un peu appuyés), mais c’est sans doute aussi pourquoi sa prose sonne juste, et pourquoi ses réflexions sont si percutantes.
« Un jour que nous pêchions du poisson à friture dans un petit lac des environs, nous avons entendu un huard. Papa m’a troublé en déclarant que chaque huard abritait l’âme d’une jolie fille morte jeune. Quand j’ai fondu en larmes, il a ajouté pour me consoler que toutes ces jeunes filles préféraient vivre dans le corps d’un huard et s’envoler chaque année vers le Sud plutôt que de grandir pour épouser un gros plouc. » (Minnesota)

« Un jour, au dîner, Robert a demandé : "Papa, c’est quoi cette réalité dont tu parles tout le temps ?" Je n’ai pas su quoi lui répondre. » (Californie IV)

« En regardant la rivière, je me suis mis à me demander qui nous sommes quand nous sommes seuls. Peut-être que nous comptons pour du beurre dès que nous cessons de nous frotter aux autres. Je me suis rappelé qu’à l’époque où je lisais Thoreau à la fac, j’avais découvert qu’il n’avait pas passé beaucoup de temps dans la cabane qu’il s’était construite près de Walden Pond. » (Montana)

« J’ai soudain ressenti la même chose que, gamin, quand j’avais fait mon premier trajet en ascenseur vers le rez-de-chaussée, à Grand Rapids. Qui et où était le conducteur ? » (Idaho)

« J’ai somnolé durant un quart d’heure, puis je me suis rappelé un rêve idiot que j’avais fait à la fac, où l’on me disait que je serais un homme heureux si je lisais la page 500 de tel roman, mais, quand je me rendais à la bibliothèque en toute hâte, je découvrais que ce bouquin contenait seulement trois cents pages. » (Californie)

« J’ai compris que le mal du pays, comme l’amour conjugal, relève pour l’essentiel de l’habitude. » (Montana (le retour))

Il y a bien sûr des aperçus des paysages, et des cultures amérindiennes.  
« Bref, après le discours de l’écolo, ce vieux shaman doté d’une affreuse voix tonnante s’est dressé en tenant dans chaque main un cormoran au bec atrocement tordu à cause des insecticides agricoles. Il a déclaré que les fleuves et les rivières étaient les vaisseaux et les veines de Dieu, et l’eau Son sang précieux. Les lacs constituaient les lieux où Son sang se reposait de la fatigue due à l’acte incessant de la création. Un bon moment a passé avant que quiconque dans l’assistance ne puisse dire quoi que ce soit, il y avait pourtant là de vraies pipelettes. » (Californie V)

Les études de lettres du narrateur/ personnage principal/ auteur sont aussi prétexte à des considérations littéraires.
« Bien sûr, n’importe quel étudiant en littérature sait que les écrivains, peut-être à cause de leur jeunesse désargentée, ne sont guère meilleurs du point de vue éthique que les concessionnaires automobiles, les promoteurs immobiliers ou les courtiers en grains. Je me rappellerai toujours cet après-midi pourri de mars où un professeur nous a déclaré que Dostoïevski avait mis au clou son alliance pour filer en Crimée avec une gamine de treize ans. » (Arizona)

« Selon un de mes professeurs, ce qui sauvait les écrivains, c’était que, comme les politiciens, ils entretenaient l’illusion d’un destin personnel qui leur permettait de surmonter toutes les épreuves, en dépit du caractère parfois insignifiant de leur œuvre. Le destin semblait être un concept religieux, du même ordre que l’idée méthodiste de la prédestination. » (Montana (le retour))

Evidemment, ce livre et l’auteur valent essentiellement pour le ton, jamais dénué d'humour, à la fois nord-américain et harrisonnien…
« J’ai pensé non sans tristesse que je ne finirais peut-être pas ce travail avant de mourir – une appréhension parfaitement naturelle. Keats a écrit : "Quand je redoute de peut-être cesser d’être avant que ma plume n’ait moissonné mon cerveau foisonnant…" Voilà une merveilleuse manière d’évoquer l’instant fatal où la viande crue percute le sol. » (Montana (le retour) III)


Mots-clés : #voyage
par Tristram
le Sam 13 Oct - 22:30
 
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Olivier Rolin

Un chasseur de lions


Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 51assj10

Retour à l’auto-tutoiement, une variation du « je » à la Carrère, et pour le coup ça m’a plutôt déplu. Cette lecture n’aurait pas supporté la proximité avec celle de Flannery O’Connor ? est-elle trop proche de mes propres penchants pervers ?
Il m’a paru que tout y sonne faux, l’humour désinvolte, le badin étalage de culture et d’anecdotes historiques (tant qu'à faire, Rolin aurait pu citer Leiris à propos de l’Olympia de Manet, et Jean Raspail à propos des Patagonie et Terre de Feu…), la raillerie sans empathie pour son personnage d’élection, les allusions à sa vie "privée" (sous-entendus coquins) sans autre rapport avec l’histoire que les lieux (souvent devenus méconnaissables avec le temps), des rapprochements douteux, certains commentaires déplaisants, voire vulgaires, et généralement sans intérêt, bref une sorte de potin mondain où l’auteur aurait ses aises sinon les usages ‒ à moins qu’une fine autobiocritique…
« …] des gloires littéraires ou artistiques pour lesquelles il éprouve une naïve admiration : il sent qu’il y a chez ces esprits-là quelque chose de délié qui lui sera toujours étranger. Sa lourdeur, il lui arrive d’en être conscient, et qu’elle l’embarrasse et l’attriste. »

…voire une incarnation au second degré…
« Des chasseurs de lions, le plus bavard est celui de Javier Tomeo, le plus lamentable est le fameux Tartarin, de Daudet l’enculeur (pourquoi ce livre minable, puérile pochade colportant les plus plats clichés folklorisants et colonialistes, suite de gags téléphonés propres à faire rire des idiots, était-il tenu par l’école laïque et républicaine de ton enfance pour l’introduction nécessaire, avec quelques autres œuvrettes de Daudet, à la littérature française ? »

Bref, la bio d’un Tartarin ami de Manet, occasion de parler de ce dernier et de son époque, ainsi que de vadrouiller sur ses traces, ici à Lima :
« Combien les vulgarités du paganisme catholique te paraissent belles, touchantes, en regard de celles du commerce mondialisé… Vierges rutilantes, Christs sanguinolents, enfants Jésus à la tête hérissée d’aigrettes dorées, saintes poupées couronnées, enjuponnées, au fond de châsses de verre éclairées au néon, comme des poissons exotiques dans un aquarium. »

Le procédé est pourtant prometteur (et s’il n’est pas nouveau, avec des marques de noblesse comme le Ravel d’Echenoz, il devrait y avoir encore de belles réalisations à venir) : l’auteur n’occulte pas sa présence (de toute façon inévitable) dans le récit :
« (Tu te rends au 1, rue du Dôme. Cela fait longtemps que, de ces hauteurs de Chaillot, on ne le voit plus, ce dôme des Invalides qui a donné son nom à la rue, qu’on voit aussi sur le tableau où Berthe a figuré Edma, ou Yves, accoudée au balcon de la rue Franklin, non loin de là, en robe noire, son profil de jolie renarde penché au-dessus des toits de Paris. L’idée a quelque chose de séduisant, d’une rue tirant son nom des lointains qu’on y découvrait, et qui ont désormais disparu derrière la croissance de la ville. On se demande, même, si ça n’a pas quelque chose à voir avec la littérature, ce nom qui parle d’une perspective effacée, qui inscrit une présence abolie. Tout a à voir avec la littérature. »

Les expéditions d’Eugène Pertuiset auraient pu être l’occasion de descriptions dépaysantes (quitte à sortir des tableaux) :
« On atteint des savanes de hautes herbes bleues où on enfonce jusqu’à la poitrine. »

On a quand même quelques scènes, de rixe notamment, surtout celle de la soirée artistique/ bohème à Paris, ainsi que la femme Selknam (qui offre son sein, puis un couvercle de boîte de sardines) :
« Rassurée peu à peu, elle lui manifeste sa gratitude en lui offrant le sein. Le gros bébé ne dirait pas non, mais il est un chef… Comme il refuse poliment, elle lui offre un couvercle de boîte de sardines que les courants, sans doute, ont porté sur les rivages de la Terre de Feu et qu’elle garde avec elle, dans une petite poche d’écorce, comme une chose très précieuse. (Abîmes humains rayonnant autour d’une simple chose ! Merveilleux romanesque endormi dans les modestes objets du monde, attendant d’en être éveillé par le pouvoir magique des mots ! Cette boîte, fabriquée dans une conserverie de Douarnenez, passée de là en Angleterre puis en Inde, embarquée à Calcutta sur un clipper, lichée en douce par un matelot écossais au passage du cap Froward, a été jetée par lui à la mer, vifs éclats dorés que noie le sillage tandis qu’il essuie ses doigts huileux à la toile de son pantalon. Elle lui vaut vingt coups de garcette, car il l’a volée à la cambuse. Le ressentiment qu’il éprouve de cette punition le jette dans une carrière de petit voyou puis, de fil en aiguille, d’assassin. Il monte les marches du gibet à Glasgow vers l’époque où la femme Selknam découvre, sur le rivage de la baie Inutile, une mince lame de fer étamé, courbée comme un copeau, où se devine encore, estompé par le sel, le visage d’une Bretonne en coiffe.) »

En veine de psychanalyse de comptoir, je pointerai ce titillant "surmoi" :
« Voilà ce que veut dire Le Balcon, et que comprend parfaitement le type en cravate bleue, en costume de surmoi, au centre, qui a l’air de ne pas savoir que faire de ses mains. »

Et j’imagine parfaitement le type en cravate rouge, une grande et large qui descend jusqu’à mi-cuisses…

Mais je crois que ce qui m’a vraiment agacé dans ce livre auto-satisfait (et condescendant sinon méchant pour son modèle), c’est le complaisant consensus avec l'opinion commune d'aujourd'hui : on ne s'évade pas, on se congratule en confortant le bon ton contemporain.

mots-clés : #aventure #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Ven 12 Oct - 0:19
 
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Ivan Jablonka

Ame soeur

Tag voyage sur Des Choses à lire - Page 6 Proxy_60

C'est expliqué dans la post-face, il s'agit d'une œuvre de jeunesse, publiée sous pseudonyme, qui n'a eu aucun succès, et qu'un éditeur a proposé à Ivan Jablonka de ressortir sous son vrai nom, maintenant qu'on peut considérer que celui-ci  fait vendre (la post-face présente les choses de façon un peu moins pragmatique).

Une histoire de frère et sœur à l'entrée de l'âge adulte, qui ne se sont pas trop connus au-delà du fait assez commun qu'enfant le garçon faisait bouffer du gazon à la fille. Chacun de son côté, elle sage et lui rebelle, bien paumés tous les deux entre des parents sérieux et lisses.

La fille "profite" du voyage de son frère au Maroc pour mourir, et, un peu par hasard, son journal intime tombe entre les mains  de ce dernier va donner quelques clés familiales.

Le voyage au Maroc (ou retourne le jeune homme) est l'occasion d'un jeu de miroirs entre une petite banlieue d'Amiens et un bled pas loin de Rabat, qui va bien au côté sociologue de Jablonka. Mais le jeune loser puceau, la prostituée noire à laquelle il ne touche pas (mais fait lire le journal intime), ont un relent de déjà vu que n'arrivent pas à cacher la gouaille assumée et le tendre cynisme du jeune homme.

Bref une œuvre de jeunesse, avec ce que cela a de défauts, mais une certaine fraîcheur aussi; et dont on comprend pourquoi ce n'est pas elle qui a révélé Jablonka, lequel ne gagne pas forcément à ce petit retour en arrière nostalgique (ou commercial?), ayant sans doute fait le bon choix entre l'histoire et le roman.


mots-clés : #fratrie #jeunesse #mort #voyage
par topocl
le Jeu 4 Oct - 14:54
 
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Sujet: Ivan Jablonka
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