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Enrique Vila-Matas

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Message par Bédoulène Lun 9 Avr - 8:44

merci Tristram, je vois qu'il y a plusieurs Bartleby, donc je pense que je commencerai par le premier

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Message par Tristram Lun 9 Avr - 11:47

Oui Bédoulène : celui de Melville d'abord, qui est un très beau texte.

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Message par Bédoulène Lun 9 Avr - 16:31

merci Tristram !

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Message par Tristram Lun 14 Jan - 12:17

Loin de Veracruz

autobiographie - Enrique Vila-Matas - Page 3 Loin_d10

Le narrateur, Enrique Tenorio, évoque ses deux frères : Antonio, l’aîné, écrivain casanier à la pipe froide, qui imagine et rédige des voyages à succès et finira par se suicider, Máximo, le cadet, haï par leur père et devenu un génial peintre, qui sera éliminé par une femme fatale (que les trois frères fréquenteront successivement). Enrique est un grand voyageur qui accumule les malheurs qu’il relate dans cette sorte de journal de « jeune vieux » (en fait la poursuite du roman esquissé par Antonio avant de se jeter dans le vide, La Descente…).
Le ton est souvent goguenard mais retombe toujours dans la nostalgie, le ressassement onirique, les redites érudites :
« ...] la beauté extrême d’Antigua – avec ses étonnants arbres millénaires, dont les racines, telle une vengeance du temps, montent comme des lianes sur les murs en ruine de ce qui fut la première forteresse de Cortés ‒ [… »

« Sur la forteresse en ruine, telle une vengeance de Moctezuma, grimpent aujourd’hui comme des lianes les puissantes racines des arbres millénaires de la région. »
Les références littéraires sont multiples, parfois éclairantes :
« Car, pensant au silence de notre siècle, je me souvins de ce maudit Beckett et de sa tentative pour entraîner la littérature dans une glauque taverne irlandaise fréquentée par des écrivains muets. »

« …] par rapport au Mexique, que je me sentais plus proche du thème de Juan Rulfo dans Pedro Páramo – le retour, c’est pourquoi le héros est un mort, or que suis-je, moi, sinon un vaincu de la vie ? – que du thème de l’homme chassé du paradis traité dans Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry. »

« …] un système qui lui était très personnel – copié sur Gombrowicz – consistant à entremêler les faits narratifs avec un sujet proche de l’essai littéraire et, en mettant à contribution sa non négligeable imagination et son talent pour l’association délirante et gratuite entre les choses les plus dissemblables, à boucler le texte avec une pensée finale, parfois très brillante et intelligente mais, d’autres fois, il faut bien le dire, scandaleusement superficielle. »
Il y a quelques allusions que j’ai perçues, mais sans doute pas assez pour vraiment donner du sens à l’ensemble ; à propos, Tenorio est le nom de famille de don Juan, le séducteur (ceci explique certains sous-entendus, et peut-être une vision assez misogyne des femmes). Y a-t-il renvoi au Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre ? L’inspiration de Cervantès est prégnante ; il me semble que Vila-Matas rejoint ici les quelques écrivains qui "cervantisent aujourd’hui", comme dit Goytisolo.
Voici peut-être une des clés de ce récit :
« Il ne m’échappe pas, en effet, que, soit on vit la vie à fond et l’on devient un Indiana Jones et un plouc, soit on écrit l’existence et on lui donne un sens, mais alors elle ne peut plus être vécue. Autrement dit : sois dans la vie et tu es insignifiant ; cherche à donner du sens et tu es mort. »
Le Mexique (et la mort) tient une grande place dans l’histoire :
« Avancer ou mourir, ils [les soldats de Cortés ayant sabordé ses navires] n’avaient devant eux que ce choix. Plus jamais n’existera un pareil voyage, ce fut le voyage par excellence. »

« Je me rappelle qu’il y avait une véritable magie dans l’ambiance folle des marimbas et une frénésie de havane quand nous traversâmes lentement le Zócalo, qui est la place centrale, et nous assîmes sous les arcades, Los Portales, dans un des cafés où tout le monde vient s’asseoir à Veracruz et où nous bûmes quelque chose d’inoubliable pendant que se succédaient des orchestres qui finirent par nous chanter les œuvres complètes (et autres contes) de don Agustín Lara. Quand fut achevé ce génial répertoire, une femme qui avait attendu son tour avec une singulière patience sous l’arcade la plus éloignée s’approcha avec une harpe gigantesque et, cordes tendues jusqu’au chipichipi et à la pluie, chanta La Bamba sur un rythme endiablé. Bamba, la bamba, la bamba. Stupéfaits et encore mal remis de la vitesse, nous vîmes un nain, agitant une clochette de bronze, susurrer María bonita en anglais. Un autre fou rejoignit la fête. Frange bouclée sur le front, d’une grosse voix comateuse, le fou me glissa dans l’oreille : « Mourir du désir de revenir. » Pour l’heure, mes yeux, à Los Portales, n’étaient plus qu’une immense place de curiosité dominicale et ils ne tardèrent pas à devenir la fête totale. Je sentis que le moment était unique. Je sentis ce qu’avaient senti beaucoup d’autres avant moi. Je sentis que je n’étais pas original. "Finalement, a écrit Pessoa, la meilleure manière de voyager, c’est de sentir. Plus je sentirai, plus je sentirai de personnes en moi, plus j’aurai de personnalités, plus intensément, stridemment je les aurai…" »

« …] en définitive la vie n’est que nostalgie de la mort. Nous ne venons pas de la vie, mais de la mort. »
Il ne faut sans doute pas chercher une trame au sens conventionnel, mais le manque de fil conducteur (ou la profusion de fils conducteurs) déroute le lecteur, surtout s’il perçoit des longueurs en milieu d’ouvrage ; restent un esprit facétieux, une invention prolixe, une littérature de la littérature, et un vrai plaisir de lecture :
« Je ne sais pas qui a dit que nous vivons comme nous écoutons la radio : nous attendons la chanson suivante, la chanson qui changera un peu, sinon notre vie, du moins notre matinée. »

« …] la littérature et la sénilité se ressemblent beaucoup, car elles présentent l’une et l’autre l’avantage de se situer en dehors de l’obscène jeu de la prétendue réalité – ce que nous appelons, par exemple, la lutte pour la vie – et sont, l’une et l’autre, le refuge idéal où l’homme peut se protéger enfin des blessures insensées et des coups absurdes que l’"épouvantable vie vraie" – la qualifiait-il alors – lui assène à mesure qu’elle s’écoule. »

« Aucun endroit ne m’attire spécialement, voyez-vous, aucun lieu ne me fascine tout à fait parce que je n’ignore pas que, s’il existait un colossal et extraordinaire charme dans cette vie, il consisterait pour moi à être là où je ne suis pas, endroit où je désirerais être dans un autre, qui serait nulle part. Aussi suis-je de Veracruz, point. Et si je suis de Veracruz, c’est que je suis bien obligé d’être de quelque part et, en tant qu’écrivain, d’en avoir une certaine nostalgie. »

« Je pense aujourd’hui, en effet, que si, par vie, il faut entendre engagement, implication, le degré de ce que nous pouvons percevoir dans ses entrailles est proche de zéro. »

« En deux semaines, je me rappelle être parvenu à lire la bagatelle de cinquante classiques, et je me rappelle aussi que, pour la moitié d’entre eux, je ne comprenais pratiquement rien, mais m’obligeais à les lire jusqu’au bout, toujours mû par le vague espoir que, dans les dernières lignes, l’auteur aurait la bonne idée de s’expliquer un peu ou, simplement, de demander pardon pour son impertinence et son extravagance. »

« ‒ Tu te rends compte, me dit Antonio un jour, que les excuses que tu me donnes sans arrêt pour justifier ton incapacité à trouver du travail sont exactement celles qu’inventent pour leurs parents les adolescents qui ont l’intention d’être exclusivement écrivains ? »

« Et ce n’est pas du remords que je ressens, mais l’angoisse – comme celle que doivent ressentir, par exemple, ces écrivains qui inventent tant de vérités feintes – qu’à tout instant je peux être retrouvé et que j’aurai à payer le prix fort. »

Aussi difficile de trouver un mot-clé que de cerner le dessein de Vila-Matas ou de le commenter : peut-être Aventure, Voyage ?


mots-clés : #aventure #voyage


Dernière édition par Armor le Lun 14 Jan - 14:08, édité 2 fois (Raison : Réduction image + pose des hashtags)

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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 20 Jan - 12:46

Donc, tu finis par t'accommoder de Vila-Matas à ce qu'il me semble, Tristram?
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Message par Tristram Dim 20 Jan - 13:33

Ah, JHB, je n'avais pas conscience de donner cette impression, mais en fait c'est un auteur que j'apprécie beaucoup depuis ma (récente) découverte de quelques-uns de ses livres, tout en ayant éventuellement quelques réserves (parfois il exagère peut-être dans la digression gratuite et sans grand intérêt apparent, il est inégal, etc.), mais je ne peux pas être fort critique lorsqu'il s'agit de littérature qui parle de la littérature, et il fait partie de cette belle famille que je prise énormément, les écrivains de l'exubérance imaginative baroque (de Rabelais et Cervantès jusque Giono et Queneau, par exemple).

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Message par Tristram Dim 14 Avr - 0:16

Paris ne finit jamais

autobiographie - Enrique Vila-Matas - Page 3 Paris_10


Le narrateur est disqualifié dans la compétition des doubles d’Hemingway à Key West pour absence de ressemblance avec l’idole de son jeune âge, et se lance dans une conférence sur ses deux années de jeunesse à Paris, en miroir de l’expérience d’Hemingway rapportée dans Paris est une fête (également dans Le soleil se lève aussi, ouvrages qu’à point nommé j’ai lus récemment), en référence à l’extrait suivant :
« Il n’y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu’en gardent tous ceux qui y ont vécu diffère d’une personne à l’autre. […] Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous lui donniez. Mais tel était le Paris de notre jeunesse, au temps où nous étions très pauvres et très heureux. »
C’était dans les années 20, et en 1974 le narrateur, incarnant une savoureuse caricature de jeune intellectuel pédant et compassé, essaie désespérément d’écrire son premier livre, La Lecture assassine (dont la structure est inspirée de celle de Feu pâle, de Nabokov, et le sourire de la femme fatale celui d’Isabelle Adjani) :
« Et pourquoi l’idée de tuer mes lecteurs m’avait-elle séduit autant alors que je n’en avais pas encore un seul ? »
Il est locataire d’une mansarde chez Marguerite Duras (autobiographique), qu’aurait occupé Hemingway… la bohème à Paris un demi-siècle plus tard, les exilés du Flore, le milieu artistique et le cercle durassien, le cinéma ces années-là et le tournage d’India Song, aussi un bel éloge de la ville (chapitre 17).
« J’ai cherché à nouer des amitiés étrangères et me suis peu à peu coupé du monde terrible de l’exil de mes compatriotes, un monde qui, tournant exclusivement autour de l’antifranquisme, ne m’attirait guère, pas plus que ne m’attirait la politique en soi, une passion ou une activité dont je voyais que, à la longue, elle finissait par exiger des concessions à mi-chemin entre l’idéalisme et le pragmatisme, ce qui me semblait non seulement peu stimulant mais, en plus, répugnant. »
Livre de souvenirs de son apprentissage d’écrivain, livre aussi sur l’ironie, avec une ironie assumée (et parfois la dent dure), par exemple sur l’inintelligibilité chez certains écrivains (notamment l’absconse Duras, lorsqu’elle parle dans son « français supérieur ») :
« Je n’aime pas les récits qui racontent des histoires compréhensibles. Parce que comprendre peut être l’équivalent d’une condamnation. Et ne pas comprendre, de la porte qui s’ouvre. »
Vila-Matas interprète Un Chat sous la pluie, nouvelle d’Hemingway qu’il n’avait jamais comprise, comme une transposition de l’aventure malencontreuse de son auteur avec Scott Fitzgerald dans Paris est une fête, ce qui vaut au lecteur une belle prestation d’odradek (kafkaïen donc) hantant la Closerie des Lilas (chapitre 25).
Et toujours la même délectable pratique de renvoyer à d’autres auteurs (avec parfois un délicieux brin d’irrévérence) : Gracq, Perec, Quiroga, Juan Marsé, Borges, et beaucoup d’autres…
Voici le (bref) chapitre 8 in extenso :
« Le passé, disait Proust, non seulement n’est pas fugace mais, en plus, il ne change pas de place. Même chose pour Paris, qui n’est jamais parti en voyage. Et comme si c’était trop peu, Paris est interminable et ne finit jamais. »
Un livre pour les afficionados d’Hemingway, de Duras (Églantine ?), voire de Vila-Matas…
« Ce livre collectif sur Duras s’ouvrait par des mots de sa plume par lesquels elle avouait qu’elle écrivait pour faire quelque chose. Et elle ajoutait que si elle avait la force de ne rien faire, elle ne ferait rien. C’était parce qu’elle n’avait pas la force de ne rien faire qu’elle écrivait. Il n’y avait pas d’autre raison. C’était ce qu’elle pouvait dire de plus vrai à ce sujet. La sincérité de ces mots m’a impressionné. »

Autofiction ?

Mots-clés : #autobiographie #autofiction #jeunesse #temoignage

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Message par églantine Dim 14 Avr - 14:19

Tristram a écrit:Paris ne finit jamais

Un livre pour les afficionados d’Hemingway, de Duras (Églantine ?), voire de Vila-Matas…
Je prends note Tristam . Merci .
Qui sait un jour ...Il me semble que je dois en avoir un ou deux dans ma PAL, issus du désherbage d'une médiathèque . Faudrait que je prenne mon courage pour les extirper un jour .
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Message par bix_229 Dim 14 Avr - 15:20

Je vais me répéter, mais :

Mais, il y a un mais, plus je le lis et plus je me rends compte qu'il y a aussi un côté frimeur, égocentrique et branchouille. dans son oeuvre.
Et c'est gênant.

Il a été considéré comme un enfant terrible à ses débuts, volontiers provocateur et épate bourgeois.
Il était jeune, brillant et le milieu intello était alors plutot terne.

Mais çà l'a amené à écrire de temps en temps des livres apparemment très érudits avec paillettes et poudre aux yeux.
Mais qui réussissent quand même à éblouir les gogos et les happy few.
Et je ne suis pas certain qu'ils lui ont rendu service.

Un livre comme Chet Baker pense à son art est, de ce point de vue, un exercice de style vain, futile, narcissique et creux.
Et je me demande, si en vieillissant, il n'en vient pas à se parodier lui-même.

Vila Matas écrit beaucoup, il faut trier.
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Message par Tristram Sam 21 Sep - 1:13

Docteur Pasavento

autobiographie - Enrique Vila-Matas - Page 3 Docteu10

Enrique Vila-Matas nous emmène de nouveau dans les pérégrinations d’un écrivain situé « entre la réalité et la fiction » imbriquées, plus ou moins son double qui rencontre, lit, commente, invente ou réinvente d’autres écrivains. C’est derechef le dialogue à la fois subtil et goguenard entre initiés, pour peu que le lecteur ait couru un minimum d’auteurs (Walser, Montaigne, Gracq, Gide, Roth ‒ Joseph ‒, Blanchot, Sebald, Sterne, Borges, Barthes, Cravan, Beckett, Artaud, Kértesz, Salinger, Pynchon, Christie, Atxaga, bref les habituels ‒ et ceux-là uniquement dans la première partie, soit 80 pages sur 480). Cette fois le propos tourne autour de la Disparition, de l’Absence, du renoncement au monde pour se terrer dans les « régions inférieures » avec les « zéros tout ronds ». Le narrateur, qui ne s’intéresse « pas à la réalité, mais à la vérité », s'identifie à plusieurs auteurs ayant vécu à l’écart de la société, et le principal pivot de l’ouvrage est Robert Walser, son « héros moral » retiré dans un asile suisse (aussi Thomas Pynchon et Emmanuel Bove [dont c'est la photo en couverture] dans une moindre mesure).
« Une heure plus tard, entrant dans ma chambre d’hôtel, je me suis regardé dans la glace et, horrifié, j’ai vu Pynchon et j’ai dû immédiatement détourner mon regard. […]  Il était absurde de voir Pynchon si je ne savais même pas comment il était. Toutefois, une chose au moins était sûre, j’étais devenu l’un des visages du fuyant Pynchon. »
Un autre des topos de Vila-Matas, celui de l’abîme « au bout du monde », constitue un des centres (ou pôles ou foyers ‒ il parle à un moment d’« axe ») des figures digressives tracées dans son coutumier embrouillamini de coïncidences peu ou prou significatives. Une fois encore, nous sommes entraînés dans le laboratoire où, à base de fantaisie et d’imagination, l’auteur crée une fiction qui interfère avec la réalité ; nous pouvons observer comme il construit plus ou moins difficultueusement sa biographie passée, par fulgurations inspirées mais précaires dans les vastes remous obsessionnels de ses ressassements et variations délirantes.
« "Fortis imaginatio général casum", autrement dit une forte imagination engendre l’événement, disaient les clercs du temps de Montaigne. »
Voilà donc un écrivain (et pseudo psychiatre) qui pratique « l’art de s’éclipser » et de se rendre invisible, se cachant dans différents hôtels de la planète, bref disparu (et en fait ignoré).
« J’avais fait mon entrée dans le monde des lettres en considérant qu’écrire était une dépossession infinie, une mort sans pause possible. Publier a tout compliqué. Je suis devenu à la longue un écrivain relativement connu dans mon pays, ce qui m’a mis en contact avec l’horreur de la gloire littéraire. "Celui qui court après le succès n’a que deux possibilités, soit il l’obtient, soit il ne l’obtient pas, et les deux sont également ignominieuses", dit Imre Kértesz. »

« Je crois que j’ai disparu sans que personne ne le remarque. Personne ne s’en soucie. Je pensais qu’on me rechercherait comme, en son temps, on avait recherché Agatha Christie. »
Ce dont il est paradoxalement fort marri : Vila-Matas joue sur la démesure égotique du littérateur hypocritement réfugié dans sa tour d’ivoire, mais obnubilé par la reconnaissance, la célébrité ‒ satire d’un monde littéraire caricatural, aussi à la marge du délire paranoïaque, voire du conspirationnisme (« la grande organisation »). L’ironie apparaît souvent, comme lorsque docteur Pasavento aboutit à une grande satisfaction d’écrivain occulte en traçant un graffiti anonyme dans les toilettes de l’hôtel Lutetia…
« J’ai remarqué que j’aimais beaucoup dédicacer les livres écrits par d’autres. »
Les prolongements métaphysico-comiques du postulat initial sont aussi nombreux que troublants, sans jamais s’éloigner très loin des préoccupations du monde des lettres :
« L’histoire de la disparition du sujet en Occident ne commence pas par sa naissance ni ne se termine par sa mort, elle est l’histoire de la manière dont les tendances du sujet occidental à s’affirmer soi-même comme fondement le conduisent à une étrange volonté d’anéantissement de soi-même et de la manière dont ces tentatives de suicide sont, à leur tour, des tentatives d’affirmation du moi. »
Errance urbaine, en surimpression aux errements de ses allées et venues ferroviaires, aéronautiques ou en taxi :
« Ce que, en fait, on fait quand on marche dans une ville, c’est penser. Et ne me convenait-il pas, par hasard, de penser, d’inventer ou, plutôt, de parfaire mon passé ? »
C’est encore l’occasion d’une belle défense de la littérature :
« Je me suis mis à rêvasser un peu et j’ai presque palpé une sorte de sentiment de beau malheur, un état d’âme auquel j’aspirais. Jusqu’à ce que, soudain, délaissant ces sensations, je regarde par la fenêtre du train et, voyant les terres sèches et tristes de Castille, je considère qu’être retourné de cette façon à la réalité, si brutalement, avec cette image féroce et inattendue de la Castille qui semblait surgie des tréfonds d’un film de Tarkovski, était une expérience unique.
Quand, remis du choc provoqué par cette image, j’ai retrouvé ma position antérieure d’explorateur d’abîmes au bout du monde, j’ai pensé à l’image littéraire si simplette de la fugacité des paysages vus des fenêtres de train. Et aussi à la littérature elle-même et à ce qui est précisément sa principale caractéristique : échapper à toute détermination essentielle, à toute affirmation qui la stabilise, parce que personne ne peut la fixer en un point précis, il faut toujours la retrouver ou la réinventer. »
… et d’une variante de la définition de la littérature comme "donneuse de sens" :
« Le point à la ligne était quelque chose d’intrinsèque à la littérature, mais pas au roman de notre vie. Il lui semblait que lorsqu’on écrivait, on obligeait le destin à épouser des objectifs déterminés. "La littérature, m’a-t-il dit, consiste à donner à la trame de la vie une logique qu’elle n’a pas. Moi, il me semble que la vie n’a pas de trame, c’est nous qui lui en donnons une, qui inventons la littérature". »
On retiendra que
« Ces derniers temps, la marginalité, le simple absentéisme, ma passion pour le discret Walser, le beau malheur, la divagation constante, heureuse et distraite, et coucher avec Lidia font partie de mes activités préférées. »


Mots-clés : #autofiction #ecriture #initiatique

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Message par Jack-Hubert Bukowski Sam 21 Sep - 9:24

On peut considérer Vila-Matas avec sévérité et oui, il a beaucoup écrit. Je pense que dans Docteur Pasavento, Vila-Matas maîtrise ce qu'il fait de mieux... et oui, il y a un peu ce qu'on peut accuser comme procédés et feu d'artifice ou esbroufe littéraire. Dany Laferrière et Hubert Aquin ne sont pas en reste... c'est un bon moment de lecture quand on lit les meilleurs «essais» de Vila-Matas qui «fictionnalise» beaucoup...
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Message par Bédoulène Sam 21 Sep - 10:43

tu décortiques Tristram mais as-tu apprécié ? plus ou moins ?

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Message par Tristram Sam 21 Sep - 14:41

C'est excellent _ et aussi un tantinet lassant, cette artificialité redondante qui tourne assez à vide... plutôt désincarné, un peu comme les exercices de l'OULIPO.

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Message par Bédoulène Sam 21 Sep - 15:51

merci ! il faut que je réfléchisse sur une éventuelle lecture et peut-être commencer par un autre, tu me conseillerais quoi ?

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Message par Tristram Sam 21 Sep - 16:58

Attention, je vais être d'une stupéfiante originalité : le premier, Abrégé d’histoire de la littérature portative.
Et c'est vrai que la lecture chronologique évite(rait) de trop se perdre dans cette oeuvre : par exemple, Explorateurs de l’abîme semble évidemment être une extension de Docteur Pasavento (et moi j'ai bêtement lu dans le désordre _ qui est déjà grand sans ça !)
Bartleby et compagnie est aussi tout particulièrement à lire.

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Message par Bédoulène Sam 21 Sep - 23:08

merci du conseil Tristram !

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Message par Tristram Ven 1 Mai - 14:46

Mac et son contretemps

autobiographie - Enrique Vila-Matas - Page 3 Mac_et10


Mac, le narrateur, tient son journal en apprenti écrivain, projetant de réécrire Walter et son contretemps, « mémoires obliques » d’un ventriloque avec une seule voix (« la voix propre précisément si convoitée par les romanciers » ?) et roman oublié d’Ander Sánchez, son voisin du quartier du Coyote à Barcelone. Walter et son contretemps est en fait un recueil de nouvelles, chacune écrite en référence à un écrivain différent (« à la manière de »), formant un ensemble et contenant chacune des « moments assommants », qui correspondent à la confusion due à un abus d’alcool chez l’auteur.
Chaque chapitre/ entrée quotidienne contient une rubrique « Whoroscope » (puis « Oscope »), prolongée de développements titrés « & » :
« …] je lisais en général l’horoscope dans mon journal préféré et [que], même si ce qui y était prédit n’avait apparemment aucun lien avec moi, mon expérience de lecteur chevronné me faisait interpréter le texte de telle manière que ce qui y est dit s’ajuste parfaitement à ce qui m’est arrivé au long de la journée. »
Des réflexions comme celle-ci (m’)ouvrent des abîmes de perspectives sur la réécriture des souvenirs, l’égocentrisme, voire la suspension consentie de l'incrédulité chez le lecteur…
Vila-Matas use de son procédé habituel, entretisser vertigineusement des prémisses en explorant les possibilités scéniques sans (dit-il) savoir où il va aboutir, méthode qui trouve parfois ses limites, mais excelle dans ce roman.
« Car la méthode n’est pas mauvaise, des écrivains de tous les pays y ont recours : combiner des problèmes qui, à première vue, n’ont rien à voir entre eux en ayant bon espoir d’accéder à quelque chose qui se trouve dans le monde de l’indicible. »
C’est donc de vertigineux enchâssements d’intrigues aux multiples coïncidences, de labyrinthiques allers-retours dans les divers leitmotive, avec sa coutumière palette d’emprunts littéraires et nombre de thèmes s’entrecroisant, tels les répétitions, l’égolâtrie ou les livres « posthumes et inachevés », ou « posthumes falsifiés ». Bref ça fait beaucoup de nœuds, et je n’ai pas trop cherché à suivre précisément (sans compter que ça m’a paru un peu lassant sur la longueur…)
« …] les romans qui me plaisent sont toujours comme des boîtes chinoises, toujours remplis de contes. »

« Ce thème dans lequel je me suis vite immergé était la répétition, en particulier son importance dans la musique où tant les sons que les séquences ont l’habitude de se répéter, où personne ne met en doute que la répétition est fondamentale si elle se situe à un point d’équilibre entre les énoncés initiaux et les variations d’une composition. »
L’humour de Vila-Matas est aussi à son mieux (toute l’histoire étant bien sûr foutraque) :
« Je lui ai demandé si elle reviendrait vite et j’ai découvert, parce que c’est en ces termes qu’elle me l’a dit, que j’avais une habileté rare à la mettre de mauvaise humeur. »

« Pourquoi la préférence des femmes pour d’autres nous donne-t-elle toujours l’impression qu’elles ont choisi un abruti ? »
Il est fait une intéressante référence au film L'Agence/ Bureau de contrôle/ The Adjustment Bureau, de George Nolfi, d'après la nouvelle Rajustement (Adjustment Team) de Philip K. Dick, auteur qui présente de manière originale cette supposition paranoïaque, voire complotiste, mais plausible, d’une entité extérieure observant et contrôlant nos destinées absurdes ‒ une sorte de renouvellement de la perspective déiste.

Mots-clés : #ecriture #universdulivre

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Message par Tristram Lun 31 Aoû - 21:17

Air de Dylan

autobiographie - Enrique Vila-Matas - Page 3 Air_de10

Le narrateur (un auteur barcelonais…) rencontre lors d’un colloque sur l'échec Vilnius Lancastre, jeune barcelonais ressemblant à Bob Dylan, dont le père, un éminent auteur qui vient de décéder, le hante "littéralement", et qui travaille avec indolence à un projet cinématographique basé sur ses « Archives de l’échec en général ».
L’échec, la paresse, l’hostilité père-fils, la pièce Hamlet, le réalisme, voici quelques éléments autour desquels Enrique Vila-Matas emmêle cet imbroglio romanesque, lui donnant une sorte de cohérence baroque, extravagante et inventive, comme de coutume métissée de références littéraires et cinématographiques, avec nombre de renvois à sa propre œuvre et à ses thèmes de prédilection.
« Oblomov est un jeune aristocrate déshérité, incapable de faire quoi que ce soit de sa vie. Il dort beaucoup, lit de temps en temps, bâille sans arrêt. Hausser les épaules est son geste favori. Il fait partie de ces personnes qui ont pris l’habitude de se reposer avant de se fatiguer. Rester étendu le plus longtemps possible semble son unique aspiration, sa modeste rébellion. Oblomov représente l’indifférent au monde par excellence. »

« …] cette idée du théâtre dans le théâtre utilisée par Shakespeare dans Hamlet, idée consistant à demander à une troupe de théâtre d’illustrer des faits similaires à ceux qui étaient survenus dans la vie réelle pour ainsi donner à entendre à tout le monde (personnages et auditoire) sa propre version, et vérifier, selon les réactions de certains, si c’était la bonne. »

« J’ai toujours essayé de progresser. Mais les thèmes restent inévitablement les mêmes, et c’est encore plus évident quand l’écrivain est un névrosé comme moi. On ne possède que ses propres thèmes dans lesquels on se déplace et, au fond, le mieux à faire, c’est de devenir monotone. »
La recherche de l’origine d’une phrase est un « moteur pour explorer le monde » :
« Ou peut-être que ma recherche servira à montrer que les phrases sont à tout le monde, que la paternité de l’œuvre n’existe pas, que l’origine réelle de toute phrase se perd dans la nuit des temps… »
L’écrivain-narrateur entreprend de réécrire l’autobiographie du disparu, dédiée à son amante (devenue celle de son fils) et détruite par sa veuve :
« Un récit assez synthétisé de sa vie, qu’il n’avait pas terminé. En biais, transversal, oblique. »
(cf. les mémoires de Mac et son contretemps.)
On est dans un pur délire fictionnel :
« Son éternelle et admirable bonne humeur lui donnait le courage d’organiser dans sa vaste librairie – l’achat récent d’un sex shop voisin lui avait permis de doubler la surface de son magasin – toutes sortes de manifestations culturelles et il y avait plusieurs clubs de lecture. »
« …] les écrivains qui survivent […] sont seulement ceux qui tiennent compte de la tragédie de tant de lecteurs dont on a abusé et qui, malgré les abus, montrent qu’ils ont encore la force de prêter attention à ceux qui, comme eux, essaient de mettre de l’ordre dans la conscience chamboulée. On ne voit jamais à la télévision ce travail secret avec la conscience, il n’est pas médiatique, il habite dans les vieilles maisons de la sempiternelle vieille littérature. »

« La vie est une souricière, le réel n’est que théâtre, et nous ne sommes rien sans la mémoire qui invente toujours. »

« Avec leur Théâtre de la souricière, Débora et Vilnius étaient tous les deux convaincus que, pour dire ou insinuer la vérité, la fiction serait toujours très supérieure à d’autres moyens qui s’étaient révélés inefficaces. »

Mots-clés : #ecriture #famille #satirique #universdulivre

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Message par Bédoulène Mar 1 Sep - 13:24

merci uniquement pour ton commentaire Wink

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Message par Tristram Jeu 12 Nov - 16:32

Impressions de Kassel

autobiographie - Enrique Vila-Matas - Page 3 Impres10

L’auteur-narrateur est convié à la Documenta de Kassel (édition 13, 2012 ; livre paru en 2014), foire mondiale quinquennale d’art contemporain ‒ et c’est de ce dernier qu’il s’agit principalement. Sont convoqués tous les poncifs à propos de l’art moderne, le déclin de l’Occident et la ruine de l’Europe, le chaos et la confusion, la collusion avec le commerce, et cela non sans quelques piques goguenardes, notamment sur les avant-gardes encore enlisées dans le duchampien… Quand les installations et interventions remplacent sculptures et tableaux, sous peine de ringardise…
Moins abscons que certains des précédents livres de Vila-Matas, celui-ci met en œuvre le même procédé, la reprise de quelques constantes au gré des digressions, comme la « cabane à penser » (de Wittgenstein), la guerre et le nazisme, « collapsus et rétablissement », « se tirer » et trouver son « foyer », la Chine, « l’impulsion », innovation et mémoire historique, et l’imagination, magistralement illustrée par la narration elle-même, ou encore :
- Le MacGuffin, qui d’après Wikipédia « est un prétexte au développement d'un scénario. C'est presque toujours un objet matériel et il demeure généralement mystérieux au cours de la diégèse, sa description est vague et sans importance. Le principe date des débuts du cinéma mais l'expression est associée à Alfred Hitchcock, qui l'a redéfinie, popularisée et mise en pratique dans plusieurs de ses films. L'objet lui-même n'est que rarement utilisé, seule sa récupération compte. »
- L’art et la créativité,
« J’aurais aimé avouer, à ce moment-là, à Boston qu’il me semblait incroyable de ne pas avoir su remarquer, dès le premier instant, que le politique ou plutôt l’éternelle chimère d’un monde humanisé était inséparable de la recherche artistique et de l’art le plus avancé. »

« "Dans l’art, on n’innove pas, contrairement à ce qui se passe dans l’industrie. L’art n’est ni créatif ni innovateur, contrairement à ce qui se passe pour les chaussures, les voitures, l’aéronautique. Laissons ce vocabulaire industriel. L’art fait, et vous, vous vous débrouillez avec. Mais, bien sûr, l’art n’innove pas, ne crée pas." »

« Je me suis rappelé qu’au milieu du XIXe siècle aucun artiste européen n’ignorait que, s’il voulait prospérer, il devait intéresser les intellectuels (la nouvelle classe), ce qui avait fait de la situation de la culture le thème le plus traité par les créateurs et le propos exclusif de l’art était devenu la manière de suggérer et d’inspirer des idées. »

« C’était le triomphe pratiquement définitif du mariage entre l’œuvre et la théorie. Si bien que, si quelqu’un tombait par hasard sur une pièce artistique plutôt classique, il finissait par découvrir que ce n’était qu’une théorie camouflée en œuvre. Ou le contraire. »
- La marche,
« Boston m’a demandé si j’avais remarqué que la longue promenade était pratiquement la seule activité non colonisée par les gens se consacrant au monde des affaires, autrement dit les capitalistes. »

« Au fur et à mesure que nous avancions, il devenait de plus en plus évident que marcher éveille la pensée ou l’envoie se promener plus librement, aide à dire des phrases plus authentiques, peut-être parce qu’elles sont moins élaborées. »
Autre récurrence,
« la recommandation faite par Mallarmé à Édouard Manet, considérée par certains comme fondatrice de l’art de notre temps : "Peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit." »
Comme à l’accoutumée, on trouve des références à nombres d’écrivains (et artistes), Kafka, comme souvent, Roussel et son Locus Solus, qui a ici une place centrale, Vila-Matas en reprenant la promenade dans un jardin étrange (inspiré aussi de Camilo José Cela dans Voyage en Alcarria), Stanislaw Lem, auteur négligé (mais qui a son fil sur le forum), Tabucchi (Femme de Porto Pim), qui donne un nom de personnage féminin… On retrouve aussi l’artiste plasticienne Sophie Calle, décisivement présente dans Parce qu’elle ne me l’a pas demandé, in Explorateurs de l'abîme, en une sorte d’autoréférence vila-matassienne qui prend toute sa valeur dans le contexte de ce nouveau récit :
« …] il m’a semblé que théâtraliser ma propre vie et mes pas dans la nuit était une façon de donner davantage d’intensité à mon impression d’être vivant, autrement dit à une nouvelle manière de créer de l’art. »
Le personnage central est comme de coutume un narrateur de (fausse ? partielle ?) autofiction, écrivain vieillissant, assez loufoque, égaré et godiche, de bonne humeur le matin et angoissé le soir (l’humour et l’autodérision sont permanents).
Sans surprise pour qui a fréquenté l’auteur, ce narrateur s’invente volontiers des doubles, et de même ses interlocutrices ont une identité incertaine.
Les observations pertinentes mais hors sujet ne manquent pas ; ici, à propos de la "foule", il me semble percevoir un ton parodique (dans le second paragraphe) :
« Toujours est-il que j’ai préféré me taire et observer attentivement le processus général de récupération animique à l’œuvre chez les gens réunis. J’ai fini par percevoir une communion intense entre tous ces inconnus qui, venant sûrement d’endroits très différents, s’étaient rassemblés ici. C’était comme si tous pensaient, comme si nous pensions : Nous, nous avons été le moment et ici, c’est le lieu, et nous savons quel est notre problème. Et tout se passait en plus comme si une énergie, une brise, un puissant courant d’air moral, un élan invisible, nous poussait vers l’avenir, soudant pour toujours les différents membres de ce groupe spontané qui semblait tout à coup subversif.
C’est le genre de choses, ai-je pensé, que nous ne pouvons jamais voir dans les journaux télévisés. Ce sont de silencieuses conspirations de personnes qui semblent se comprendre sans se parler, des rébellions muettes survenant à tout moment dans le monde sans être perçues, des groupes formés au hasard, des réunions spontanées au beau milieu du parc ou à un coin de rue obscur qui nous permettent d’être de temps à autre optimistes en ce qui concerne l’avenir de l’humanité. Les gens se rassemblent quelques minutes, puis se séparent et tous s’affirment dans la lutte souterraine contre la misère morale. Un jour, pris d’une fureur inédite, ils se soulèveront et feront tout sauter. »
Si Vila-Matas parvient à une conclusion, c’est que « l’art est ce qui nous arrive », et donc vivant.

\Mots-clés : #autofiction #creationartistique #ecriture #identite

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