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Émile Verhaeren

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Émile Verhaeren Empty Émile Verhaeren

Message par Aventin Sam 4 Mar - 17:59

Émile Verhaeren
Né à Saint-Amand -Sint-Amands en flamand- (Belgique) le 21 mai 1855, décédé à Rouen (France) le 27 novembre 1916.

Émile Verhaeren Emile-10
Portrait dit "en redingote rouge" par Georges Tribout

C'est à Sint-Amands (Saint Amand), petit village flamand de l'Escaut, à la limite de la province d'Antwerp (Anvers) que naît Émile Verhaeren, peu après le milieu du XIXème.
Une famille aisée (père retraité, retiré des affaires qui furent florissantes et mère commerçante-propriétaire), où on parle le français, tandis qu'au village et à l'école règne le flamand. Il fréquente d'abord l'internat francophone Sainte-Barbe, tenu par des jésuites à Gand, puis étudie le droit à l'université de Louvain.
C'est là qu'il rencontre le cercle des écrivains qui animent La Jeune Belgique et il publie en 1879 les premiers articles de son cru dans des revues d'étudiants.

Chaque semaine, l'écrivain socialiste Edmond Picard tient à Bruxelles un salon où le jeune Verhaeren rencontre des auteurs et des artistes d'avant-garde. C'est alors qu'il décide de renoncer à une carrière juridique, et de vivre de sa plume.
Il fait paraître des poèmes et des articles critiques dans des revues belges et étrangères, entre autres L'Art moderne et La Jeune Belgique. Comme critique d'art, il soutient de jeunes artistes, par exemple James Ensor.

En 1883 paraît son premier recueil de poèmes réalistes-naturalistes, Les Flamandes, consacré à son pays natal. Accueil enthousiasme de l'avant-garde, en contrepartie l'ouvrage fait scandale au pays natal.
Ce scandale est calculé, recherché par l'auteur, qui y voit un moyen rapide d'arriver à la notoriété, par contrepied du célèbre "malheureux celui par qui le scandale arrive". Et c'est ce qui se produit.
Lancé, il ne cesse par la suite de publier d'autres livres de poésies. Des poèmes symbolistes au ton lugubre caractérisent ces recueils, Les Moines, Les Soirs, Les Débâcles et Les Flambeaux noirs.

En 1891, il épouse Marthe Massin, peintre connue pour ses aquarelles, dont il a fait la connaissance deux ans plus tôt, et le couple s'installe à Bruxelles. Son amour pour Marthe s'exprime dans trois recueils de poèmes: Les Heures claires, Les Heures d'après-midi et Les Heures du soir.

Dans les années 1890, Verhaeren s'intéresse aux questions sociales, voire s'implique dans les courants politiques sociaux,  s'appliquant en outre à rendre dans ses poèmes l'atmosphère de la grande ville et son opposé, la vie à la campagne.
Il exprime ses visions d'un temps nouveau dans des recueils comme Les Campagnes hallucinées, Les Villes tentaculaires, Les Villages illusoires et dans sa pièce de théâtre Les Aubes.
Ces poèmes lui assurent une notoriété grand public, et son œuvre se voit traduite et commentée dans le monde entier.

Saisissant l'opportunité de sa renommée, il voyage, donnant des lectures et des conférences dans une grande partie de l'Europe.
Beaucoup d'artistes, de poètes et d'écrivains comme Georges Seurat, Paul Signac, Auguste Rodin, Edgar Degas, August Vermeylen, Henry van de Velde, Maurice Maeterlinck, Stéphane Mallarmé, André Gide, Rainer Maria Rilke, Gostan Zarian et Stefan Zweig l'admirent, correspondent avec lui, cherchent à le fréquenter, le traduisent...
Apollinaire lui dédie Alcools.
Les artistes liés au futurisme assurent subir son influence.
Verhaeren devient aussi un ami personnel du roi Albert et de la reine Élisabeth ; il fréquente régulièrement toutes les demeures de la famille royale.

Quand en 1914 la Première Guerre mondiale éclate et que, malgré sa neutralité, la Belgique est occupée par les troupes allemandes, Verhaeren se trouve en Allemagne, au sommet de sa gloire.
Dès lors il écrit des poèmes pacifistes et lutte contre la folie de la guerre dans les anthologies lyriques : La Belgique sanglante, Parmi les Cendres et Les Ailes rouges de la Guerre. Sa foi en un avenir meilleur se teinte pendant le conflit d'une résignation croissante.
Il publie dans des revues de propagande anti-allemandes et tente, dans ses conférences, de renforcer l'amitié entre la France, la Belgique et le Royaume-Uni. Après l'une de ces conférences à Rouen, il trépasse accidentellement, poussé par un mouvement de cohue d'une foule, sous les roues d'un train en partance, alors qu'il attend celui qui doit le ramener à son domicile francilien de Saint-Cloud.

Le gouvernement français a pour souhait de l'honorer en l'ensevelissant au Panthéon, mais la famille refuse et le fait enterrer au cimetière militaire d'Adinkerke. En raison du danger que représente l'avancée des troupes, ses restes sont encore transférés pendant la guerre à Wulveringem avant d'être en 1927 définitivement inhumés dans son village natal de Saint-Amand, où, depuis 1955, le musée provincial Émile Verhaeren, rappelle son souvenir.
(à partir de diverses sources, dont, à titre principal, le site officiel du musée Verhaeren)

Bibliographie :

1883 Les Flamandes (Poèmes).
1884 Les Contes de minuit (Récits).
1885 Joseph Heymans (Critique d'art).
1886 Les Moines (Poèmes).
1887 Quelques notes sur l'œuvre de Fernand Khnopff, 1881-1887 (Critique d'art).
1888 Les Soirs (Poèmes).
1888 Poètes et Prosateurs. Anthologie contemporaine des écrivains français et belges. (Poèmes).
1888 Les Débâcles (Poèmes).
1890 Au Bord de la route (Poèmes et prose).
1891 Les Flambeaux noirs (Poèmes).
1891 A Robert Picard (Poèmes).
1891 Les Apparus dans mes chemins (Poèmes).
1893 Les Campagnes Hallucinées (Poèmes).
1895 Almanach, later heruitgegeven onder de titel: Les Douze mois (Poèmes).
1895 Les Villages illusoires (Poèmes).
1895 Les Villes tentaculaires (Poèmes).
1896 Les Heures claires (Poèmes).
1896 Émile Verhaeren 1883-1896. Pour les Amis du Poète (Poèmes).
1898 Les Aubes (Théâtre).
1899 Les Visages de la vie (Poèmes).
1899 Petite légende (Prose).
1899 Les vignes de ma muraille (Poèmes).
1899 España negra (Récit de voyage).
1900 Le Cloître (Théâtre)
1900 Petites légendes, later heruitgegeven onder de titel: Poèmes légendaires de Flandre et de Brabant (Récits).
1900 Images japonaises (Poèmes).
1901 Philippe II (Théâtre).
1901 Les petits vieux (Poèmes).
1902 Les Forces tumultueuses (Poèmes).
1904 Toute la Flandre - Les Tendresses premières (Poèmes).
1904 Rembrandt (Critique d'art).
1905 Les Heures d'après-midi (Poèmes).
1906 La Multiple splendeur (Poèmes).
1907 Toute la Flandre - La Guirlande des dunes (Poèmes).
1907 Lettres françaises de Belgique (Conférence).
1908 Toute la Flandre - Les Héros (Poèmes).
1908 James Ensor (Critique d'art).
1910 Toute la Flandre - Les Villes à pignons (Poèmes).
1910 Les Rythmes souverains (Poèmes).
1910 Pierre-Paul Rubens (Critique d'art).
1911 Toute la Flandre - Les Plaines (Poèmes).
1911 Les Heures du soir (Poèmes).
1912 Les Blés mouvants (Poèmes).
1912 Hélène de Sparte (Théâtre).
1913 La Culture de l'enthousiasme. Alliance française de Saint-Pétersbourg (Conférence).
1914 Ville de Bruxelles. Discours prononcé à la distribution solennelle des prix aux élèves de l'école moyenne C pour filles. 31 juillet 1914 (Conférence).
1915 Le Crime allemand (Poèmes).
1915 La Belgique sanglante (Prose).
1916 Parmi les Cendres. La Belgique dévastée (Prose).
1916 Villes meurtries de Belgique. Anvers, Malines et Lierre (Prose).
1916 Les Ailes rouges de la guerre (Poèmes).

Éditions posthumes:
1917 An Aesthetic Interpretation of Belgium's Past by Émile Verhaeren. Read by H.E. Paul Hymans, Belgian Minister(Étude).
1917 Les Flammes hautes (Poèmes).
1917 Les Paysages disparus (Poèmes et prose).





Qu'en dire ?
Poète très prolifique, très lu de son vivant, délaissé de nos jours, excepté un titre ou deux parfois placé dans les récitations à usage de cahiers d'écoliers.

Le centenaire de sa mort, l'an passé, fut prétexte à quelques manifestations, comme au Musée Verhaeren, comme à Rouen où il est mort, comme à Saint-Cloud où il résida.

Mais ce que l'on attendait, à savoir, si l'on pouvait rêver, une nouvelle édition de chacun de ses ouvrages, ou, de façon qui semblait davantage réaliste, a minima une parution de ses "Œuvres poétiques complètes" compilées, n'a pas eu lieu: cela s'appelle rater le coche, devrons-nous prendre le parti d'attendre 2055 et le bicentenaire de sa naissance pour lire "du" Verhaeren autrement qu'épars dans les diverses Anthologies, ou via la Toile pour ses vers les plus connus ?

Vous l'avez compris, Verhaeren est à peu près introuvable en livre neuf, je vous conseille de fouiller les bacs arborant la lettre "V" chez les bouquinistes, vendeurs aux puces, débarras et vides-greniers, brocanteurs, etc... en faisant attention au fait qu'ils atteignent des tarifs prohibitifs (la rareté fait davantage le prix que l'intérêt du lectorat contemporain, si vous voulez m'en croire).

Il est incompréhensible que Gallimard "La Pléiade", comme du reste la collection "Poésie Nrf" l'ignorent aussi superbement, tout en s'attachant à des auteurs à la mémoire desquels on n'attentera pas en les qualifiant d'écrivains moins majeurs en leurs temps.  

Pour l'anecdote, la semaine dernière j'ai laissé sur les rayonnages d'un bouquiniste averti les trois volumes de "La Flandre", qui ne s'appelait pas encore "Toute la Flandre", en parfait état et dans une belle édition du Mercure de France du début XXème, pour cause de prétentions tarifaires éhontées, même si je vous avoue volontiers que c'était sûrement une grosse erreur de ma part.  

Faute de pouvoir la lire in extenso, parution après parution, ou du moins de manière significative, il est difficile de se faire sa propre opinion sur son œuvre. Il est aisé de tirer de nos recherches sur internet un poème, comme un confetti (à l'échelle de ce qu'il fit paraître) aux alentours d'une centaine sont ainsi à portée de clic, ce qui peut paraître considérable mais est assez peu.
Et nous avons l'insatisfaction de ne pouvoir avoir ni vue d'ensemble, ni mise en perspective.
Vous comprendrez dès lors que je ne me risque ni à le classer, ni à discourir sur la teneur globale de sa poésie.


Dernière édition par Armor le Lun 27 Nov - 23:29, édité 3 fois (Raison : phiz)
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Message par Aventin Sam 4 Mar - 18:01

Commençons par un titre très connu, tiré du recueil Les villages illusoires, sans doute dira-t-il quelque chose à plusieurs habitués de ce forum, de surcroît nous avons la chance de disposer d'un enregistrement vidéo de ce poème:

Le vent

Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre ;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs ;
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes.
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.

Le vent rafle, le long de l'eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d'oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
- Le vent sauvage de Novembre ! -
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d'éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d'église.
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.

Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L'avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d'ahan,
L'avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L'avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n'en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant Novembre.


Émile Verhaeren disant Le Vent:


Une vraie mission impossible que ce texte !
On "entend" le vent automnal, ou peut-être plus exactement pré-hivernal, rien qu'à lire ce poème.  
Il y a là une remarquable restitution de ce côté farouche, imprévisible, puissant et (mais ?) presque dysharmonique du vent soufflant.

On note les vers libres ou plutôt, à bien y regarder, rimés de façon non académique ou conventionnelle, placés parmi les vers rimés, l'apparente absence d'harmonie métrique.
Apparence seulement, ça va de soi.
Les inflexions de voix, si nous nous servons de la diction de l'auteur comme tutoriel, doivent "marquer" très fort par endroits - je crois que ce texte supporte quelques grammes d'emphase bien soupesée à saupoudrer çà et là (sans déclamer non plus !).

Idem, moduler sa hauteur de voix est un précieux allié de suggestion/restitution poétique, on devine cela plutôt qu'on ne l'entend réellement dans l'enregistrement.


mots-clés : #poésie
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Message par Aventin Sam 4 Mar - 18:29

Le poème ci-dessous est tiré d'un recueil intitulé A la vie qui s'éloigne - Poèmes, suivi de Trois épitres lyriques - sept épitaphes - Au-delà - Feuilles tombées.

Ce recueil ne figure dans aucune des bibliographies qu'il m'ait été donné de compulser. Il est posthume, l'exemplaire que je détiens est publié par le Mercure de France, il y est précisé que c'en est là la sixième édition, 1924 (suis-je donc en possession d'un livre qui n'existe pas ?).

Un avant-propos succinct précise que ce sont des poèmes d'époques très diverses, mais poèmes classés par Verhaeren lui-même. Il est honnêtement ajouté que Verhaeren n'aurait pas laissé paraître la totalité de ces poèmes-là, mais que nul, Marthe Verhaeren y compris, ne souhaite prendre la responsabilité d'une sélection, etc...  

Vous l'aurez compris, ce poème est donc, à ma connaissance, inédit sur la Toile, et de datation inconnue.




Au vaste et nocturne frisson

Au vaste et nocturne frisson
S'unit soudain l'angoisse ardente,
L'âme tendue est dans l'attente
De ce qui vient à l'horizon.



La neige illumine la terre,
Un vieux clocher, haut bloc de gel,
Érige un cri: Noël ! Noël !
Sur un village solitaire.



L'air vibre et s'émeut un instant,
Puis peu à peu le froid reprend
Son immobile violence.



Et de nouveau se darde aux cieux
La seule lune ouvrant ses yeux
Dans le visage du silence.  






Une plastique formelle très aboutie pour ces vers de huit pieds, exercice plutôt casse-gueule pourtant:
Les vers de huit pieds nécessitent l'emploi de mots courts, si l'on souhaite un ensemble tendant à l'équilibre, et sont bien sûr difficiles à césurer, sauf à utiliser des mots très courts. Verhaeren en glisse un toutefois: Un vieux clocher, haut bloc de gel,.

Donc lorsqu'on souhaite introduire des distinctions dans le rythme (et c'est le cas ici) il s'agit de rythmer sur la ponctuation seulement, comme par exemple dans le vers: Érige un cri: Noël ! Noël !
ou bien, plus délicat, sur les sonorités, grâce à un mot-clef, qu'il faut placer judicieusement, voir l'emploi d'immobile dans le vers: Son immobile violence.

Ou alors on souligne ce rythme par le découpage (quatre strophes, les deux premières de quatre vers et les deux dernières de trois, ce n'est sûrement pas anodin), et on le souligne surtout par les rimes, et là on s'aperçoit que, pour les deux premières strophes:
- La première strophe est à rimes féminines sur le second et troisième vers, tandis que la seconde l'est aussi sur deux vers, mais le premier et le dernier.
- les rimes proches (-ence et -en) des troisièmes et quatrièmes strophes comportent une féminine qui rime et clôt les strophes (et, accesoirement, le poème pour la dernière).
- l'accord de celles-ci avec les deux rimes en -ieux permet la suggestion nocturne et hivernale, les -ieux relevant à la diction les -en et -ence plus discrètement sourds.


Enfin, en termes d'images, je reste frappé par le clocher/bloc de gel et j'ai laissé longtemps, longtemps résonner dans ma tête la strophe (au symbolisme accompli, digéré):

L'air vibre et s'émeut un instant,
Puis peu à peu le froid reprend
Son immobile violence.


La clef de la haute tenue de cette strophe je la crois logée dans le second vers, et sa géniale allitération en "p" à l'appui de celle, à peine moins marquée, en "r", deux allitérations dures et très suggestives de l'accouplement froid/violence.
Bravos, applaudissements au poète pour faire autant en si peu de mots...
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Message par Tristram Sam 4 Mar - 22:18

Merci Aventin de faire revivre ce poète, un proche de Georges Rodenbach, autre poète symboliste, dans la lignée de Verlaine (au moins par ses allitérations et assonances), et peut-être même précurseur de Brel...

Longue comme des fils sans fin, la longue pluie
Interminablement, à travers le jour gris,
Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,
Infiniment, la pluie,
La longue pluie,
La pluie.
"La pluie", in "Les villages illusoires"

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Dim 5 Mar - 9:23

le vent !

récitation de primaire ! que c'est loin mais me reste en mémoire les 2 premiers vers

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Message par animal Dim 5 Mar - 9:44

Dans ce qui me plait chez Verhaeren il y a son sens de la narration ou du déroulement du poème. Il ne donne pas l'impression de mettre en mots une image figée ou fixée ou alors il y aurait encore une progression un mouvement vers cette image.

Je repasserai avec des sauvetages d'ailleurs (le Travailleur étrange c'est très bien aussi).

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Message par animal Lun 6 Mar - 7:09

D'ailleurs je vais commencer par là :

Émile Verhaeren 34669a10

Le travailleur étrange et autres récits

Verhaeren fut un magnifique conteur, au style chatoyant et imagé, usant volontiers du fantastique et du merveilleux. On trouvera ici, réunis pour la première fois, la totalité de ses récits et de ses contes (introuvables aujourd'hui), publiés par lui dans des revues ou ceux recueillis après sa mort dans deux ouvrages ( Cinq récits , 1920 ; Le Travailleur étrange et autres récits , 1921), illustrés de cinquante-quatre bois de Frans Masereel, graveur belge d'origine fl amande, considéré comme un maître de la gravure sur bois.

Très bien présentés ces petits contes nous placent en Belgique ou en Espagne dans des projections sombres et presque violentes juste au seuil (ou un peu après) du fantastique. Parfaitement dans une tonalité de nouvelles fantastiques de tournant de siècle ou dans une variation de l'anecdote de voyage ce qui surprend toujours c'est la force immédiate du texte qui use et abuse comme il faut de contrastes très tranchés pour mieux faire courir le lecteur après un étrange sentiment de perte. Ce qui est perdu étant le plus diffus sous l'ombre de ce qui ressemble par moments à une malédiction, qui s'échappe de sous cette ombre.

Les illustrations de  Frans Masereel sont en phase avec cette manière et sont surprenantes d'efficacité, de lourdeur, de présence charnelle ou spirituelle. En plus elles suivent les textes de très près.

Elles font ressortir aussi à quel point il n'est pas question que d'individus dans ces contes et récits, qu'il se trame quelque chose dans l'inconscient, un inconscient qui pourrait bien être collectif et lié aux lieux et aux croyances, à l'histoire.

Très très bonne petite lecture. ça ne révèle pas une autre facette de l'auteur mais donne la même chose de façon à peine différente dans l'effet, bien plus dans les coulisses... et il faut ajouter que les notes pertinentes éclairent les derrières amicaux et familiaux de ces récits ainsi que la dynamique des groupes d'artistes et intellectuels et de leurs publications.

Je recommande chaudement ce petit livre.

(Commentaire sauvé du déluge).

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Message par Tristram Lun 6 Mar - 9:24

Merci Aventin et Animal : c'est parti pour une cure de Verhaeren. Outre suivre l'intéressante suggestion des contes et/ ou récits, je relirai avec plaisir Les villes tentaculaires

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Message par ArenSor Lun 6 Mar - 18:41

Tristram a écrit:Merci Aventin et Animal : c'est parti pour une cure de Verhaeren.
Oui merci. C'est un poète que j'aime beaucoup. Il y a eu une exposition sur lui au musée des Avelines à Saint-Cloud l'an dernier. Je ne l'avais malheureusement pas vue mais je sais où trouver le catalogue, histoire d'en savoir un peu plus sur le personnage Smile
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Message par animal Lun 6 Mar - 22:01

Les villes tentaculaires devait être la suite de mon programme il y a quelques temps :

Émile Verhaeren 800px-10
Theo van Rysselberghe, La lecture par Emile Verhaeren, 1903

Les forces tumultueuses (tout court)

Recueil de 1902. Volontairement dans l'air du temps et ayant pour objet de célébrer un monde nouveau. S'il y a bien quelques effets crépusculaires l'histoire se joue bien différemment.

On est prévenu par une préface en nuances (Ed Palimpseste) avant de découvrir les poèmes. J'ai eu du mal au début, pas trop la tête dedans, du mal à rester concentré sur les textes mais petit à petit l'effet du recueil prend sens et ça devient plus facile. Il faut dire qu'on part d'un panorama historico-mythologique et humain qui se conclut sur le monde moderne. En fait on part de la mer et on finit par la mer, et en chemin les figures et les croyances se mêlent ou s'abandonnent. Il y a tout un effet de transformation qui se fait plus ou moins, on sait que la croyance religieuse ou la superstition sont remplacés par la science mais dans les jeux des figures c'est plus compliqué : le capitaine, le tyran, le banquier, Vénus, l'amazone... entre les incrustations d'or (il y a des motifs qui reviennent à dessein dans le vocabulaire) on ne sait pas trop ce qu'on perd ou ce qu'on gagne.

Ça redevient plus évident dans la seconde partie à partir des Villes. Si le monde moderne et la connaissance et l'élan entrepreneur  sont célébrés c'est à la façon du voyage de découverte et comme en chemin vers une énigme ou par une énigme de savoir, connaissance, maîtrise. On est, lecteur d'aujourd'hui, un peu gêné par la célébration assez folle et sans trop de conditions d'une Europe "occidentale du nord" mais en contrepartie le contexte et l'ampleur de l'entreprise, de la croyance recherchée est palpable.

La structure des poèmes, les répétitions, leur aspect narratif aussi renforcent leur immédiateté, leur manière de jouer presque exclusivement de figures et de figures humaines ou quasi humaines (les bateaux et leurs équipages) pour traduire les sentiments (pas non plus sans réserves ou finesse) est parfois bigrement efficace. A tel point qu'on est tout surpris quand revient (au moins une fois) un poème à la première personne du singulier.

Au début j'étais un peu déçu car je gardais d'excellent souvenir des premières tentatives, au fur et à mesure j'ai mieux compris et je reste (volontiers) sensible à l'élan et au résultat (même si j'imagine un effet de mode post exposition universelle & co). Il y a aussi que certains moments ont leur justesse et leur grâce (pas si abstraites).

Je passerai plus certainement par les Villes tentaculaires avant de revenir dans ce recueil (à part pour des extraits) mais je vais garder un bon souvenir de cette enrichissante expérience. Il y a des idées, des forces, recherchées brutes, mais pas que ça, et dans l'assemblage il y a de bien troublantes perspectives. Perspectives qui ne sont pas morales mais qu'on pourrait bassement imager par les justifications ou conséquences qu'impliquerait la science (des fois).


Pour le tableau, en partant de la gauche : Felix Le Dantec; Emile Verhaeren; Francis Vielé-Griffin; Henri-Edmond Cross; André Gide; Maurice Maeterlinck; Felix Fénéon; Henri Ghéron.

récup rafraîchissement de mémoire défaillante.

table des matières:

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Message par animal Lun 6 Mar - 22:04

indispensable extrait :

La Science

Qu’ils soient sacrés par les foules, ces hommes
Qui scrutèrent les faits pour en tirer les lois,
Qui soumirent le monde à la mesure, et, comme
Un roc hérissé d’or, ont renversé l’effroi.

Jadis, c’était la mort, son culte et son délire
Qui s’emparaient de l’homme et l’entouraient de nuit
Pour lui masquer la vie et maintenir l’empire
Debout du dogme et du péché ; mais aujourd’hui

Le mystère géant n’est plus même funèbre,
Ombre après ombre, il disparaît dans les clartés
Si bien qu’on songe au jour où toutes les ténèbres
Choiront, mortes, sous les pieds clairs des vérités.


La fable et l’inconnu furent la double proie
D’un peuple de chercheurs aux fulgurantes mains
Dont les livres ont dit comment la force ondoie
Du minéral obscur jusqu’aux cerveaux humains ;

Comment la vie est une, à travers tous les êtres,
Qu’ils soient matière, instinct, esprit ou volonté,
Forêt myriadaire et rouge où s’enchevêtrent
Les débordements fous de la fécondité.

Ô vous, les éclaireurs des tragiques visages
Tournés du fond des temps vers nos âges vermeils,
Dressez votre splendeur, comme, en tels paysages,
Luisent, de loin en loin, des tours dans le soleil.

A-t-il fallu scruter sous l’examen les choses
Pour limiter d’abord et affirmer après
Ce qui dans l’univers fut origine ou cause,
Sans s’égarer encor dans le dédale abstrait !

Ô les contrôles sûrs ! les batailles précises !
Les vieux textes croulés sous des arguments clairs !
L’âme de la réalité qu’on exorcise
Et qu’on libère enfin dans la santé de l’air !


Tout l’infini peuplé d’hypothèses logiques !
Le fourmillement d’ombre et d’or des cieux hautains
Soustrait lui-même aux puissances théologiques
Et dominé par des calculs froids, mais certains.

Les neuves vérités ainsi que des abeilles,
Pour une ruche unique et pour le même miel
Peinant et s’exaltant et saccageant la treille
Des beaux secrets cachés qui joint la terre au ciel.

Les recherches foulant le sol des consciences ;
Ordre et désordre unis et beaux comme la mer ;
Le germe humain reproduisant en sa croissance,
Les grands types de vie au cours des temps amers.

Et chaque élan vainqueur de la pensée entière
Qui n’a qu’un but : peser, jauger et définir,
Se confondant comme une flamme dans la lumière
Et la lucidité, qui seront l’avenir.

L’homme s’est assigné, sur le globe, sa place
Solidaire, dans l’attirant affolement
Et le combat entre eux des atomes rapaces
Depuis les profondeurs jusques au firmament.


Chaque âge exige enfin du temps son rapt de flamme
Et s’il est vrai qu’après mille et mille ans, toujours,
Quelque inconnu nouveau surgisse au bord de l’âme,
Les poètes sont là pour y darder l’amour,

Pour l’explorer et l’exalter avant les sages,
Sans que les dieux s’en reviennent comme jadis
Introniser leur foi dans les vallons des âges
Pâles encor d’éclairs et d’oracles brandis.

Car maintenant que la voie est tracée, immense,
Droite et nette, tout à la fois ; car maintenant
Qu’on regarde partir, robuste et rayonnant,
Vers son travail, l’élan d’un siècle qui commence ;

Le cri de Faust n’est plus nôtre ! L’orgueil des fronts
Luit haut et clair, à contre vent, parmi nos routes,
L’ardeur est revenue en nous ; morts sont les doutes
Et nous croyons déjà ce que d’autres sauront.

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