Poésie
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Re: Poésie
J'adore Cummings, il est assez unique. Avec sa syntaxe déjantée. Puis il y a eu beaucoup de phases différentes.
Invité- Invité
Re: Poésie
Cummings n'a toujours pas de fil. Ça pourrait être une bonne occasion de le faire pour toi, Arturo... je suis sûr que nous serions plusieurs à proposer des sélections de poèmes, dont bix...
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Poésie
Je profite de l'occasion pour vous présenter un texte écrit par Maxime Catellier sur Shawn Cotton et Les armes à penser. Nous pouvons y voir un état de l'ébullition du milieu éditorial de la poésie québécoise. Del Busso s'est ajouté au portrait depuis ce temps-là, pour créer un croisement des écrivain-e-s de L'Oie de Cravan et de L'Écrou. Maxime Catellier est à L'Oie de Cravan et il publie également des essais chez Poètes de brousse - et il vient de publier un autre essai à Boréal. Shawn Cotton a été le premier à publier à L'Écrou et puis ensuite à L'Oie de Cravan. Ces deux poètes préparaient la prochaine vague éditoriale car les choses changeaient, mais il y a encore quelque chose qui doit se mettre en place...
https://www.erudit.org/fr/revues/liberte/2013-n299-liberte0517/68811ac.pdf
https://www.erudit.org/fr/revues/liberte/2013-n299-liberte0517/68811ac.pdf
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Poésie
Tu as peur de finir ton poème. D’être seul sans lui. Ne t’inquiète pas, rien ne finit. L’en cours est notre éternité. Pour lui, ce matin, tu n’as pas regardé le ciel, sa prairie et la courbe retrouvée du grand alpage sans clôtures.
Pour lui, tu n’as pas regardé les planches dressées près de la porte de l’écurie et qui s’allègent de jour en jour aux intempéries. Tu n’as pas regardé la mare gelée, le perron fendu de glace et d’herbe blanche, le banc, les rochers sous la crête. Les veilleuses muettes et fripées du cynorhodon.
Tu n’as pas regardé les trémières desséchées de l’hiver. Les aiguilles argentées de l’épicéa. Le frêne et son allure toujours aussi lointaine. Le râteau debout contre la porte de la grange. Tu as seulement regardé la page vierge du grand registre.
Joël Bastard
(inédit)
(inédit)
bix_229- Messages : 15439
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Re: Poésie
ensemble nous demandons à brûler
afin de nous remplir le corps
le feu prend d'abord dans la chambre
puis se répand
à travers les pintes volées nos discussions
nos ventres suintants les taxis les poubelles pleines
il y a toujours un doute à jeter
pour faire croître l'incendie et éteindre les histoires
qui arriveront sûrement trop tard
rien n'aura été aussi près
de ce que je suis réellement
ce désastre entre nous une maison des cendres
quelque chose comme le nom d'un enfant
Stéphanie Roussel, La rumeur des lilas
afin de nous remplir le corps
le feu prend d'abord dans la chambre
puis se répand
à travers les pintes volées nos discussions
nos ventres suintants les taxis les poubelles pleines
il y a toujours un doute à jeter
pour faire croître l'incendie et éteindre les histoires
qui arriveront sûrement trop tard
rien n'aura été aussi près
de ce que je suis réellement
ce désastre entre nous une maison des cendres
quelque chose comme le nom d'un enfant
Stéphanie Roussel, La rumeur des lilas
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Poésie
Anna Maria Ortese – lls balancent les livres les fusils les maisons les chapeaux
Les enfants
ce sont des hommes petits et rien d’autre.
Les vrais enfants
ce sont des hommes fatigués d’être des hommes.
Fatigués d’être debout sur les années,
voici qu’ils veulent descendre.
Ils balancent les livres les fusils les maisons les chapeaux
les ornements les couteaux – absolument tout ! –
et ils jouent au moineau et au vent,
au si léger flocon de neige.
Ils jouent à mourir.
*
Gettano i libri i fucili le case i cappelli
I bambini
sono uomini piccoli, e nulla più.
I veri bambini
sono gli uomini stanchi di essere uomini.
Stanchi di stare in piedi sugli anni,
ora vogliono scendere giù.
Gettano i libri i fucili le case i capelli
gli ornamenti i coltelli – tutto ! –
giocano al passero al vento
al fiocco di neve si lieve,
giocano al morir
sono uomini piccoli, e nulla più.
I veri bambini
sono gli uomini stanchi di essere uomini.
Stanchi di stare in piedi sugli anni,
ora vogliono scendere giù.
Gettano i libri i fucili le case i capelli
gli ornamenti i coltelli – tutto ! –
giocano al passero al vento
al fiocco di neve si lieve,
giocano al morir
bix_229- Messages : 15439
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Re: Poésie
Ses nouvelles aussi.Arturo a écrit:Merci Bix, j'essaierai de rencontrer cette poétesse à l'avenir.
C'est un esprit extremement riche, sensible, original. Douloureux aussi.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Cartas a una desconocida
Cuando pasen los años, cuando pasen
Los años y el aire haya cavas un foso
Entre tu alma y la mía; cuando pasen los años
Y yo sólo sea un hombre que amó,
Un ser que se detuvo un instante frente a tus labios,
Un pobre hombre cansado de andar por los jardines,
¿Dónde estarás ? ¡Dónde
Estarás, oh hija de mis besos!
Lettres à une inconnue
Quand auront passé les années, quand auront passé
Les années, quand l'air aura creusé un fossé
Entre ton âme et la mienne ; quand auront passé les années
Et que je ne serai plus qu'un homme qui a aimé,
Un être qui s'est arrêté un instant face à tes lèvres,
Un pauvre homme lassé d'arpenter les jardins,
Où seras-tu, toi ? Où
Seras-tu, ô fille de mes baisers !
Nicanor Parra
Nicanor Parra est un poète chilien mort à 103 ans. C'est Bolano qui me l'a signalé.
N. Parra a eu beaucoup plus de chance que sa malheureuse soeur, la grande chanteuse Violeta Parra,
qu'il accompagnait parfois sur scène.
Cuando pasen los años, cuando pasen
Los años y el aire haya cavas un foso
Entre tu alma y la mía; cuando pasen los años
Y yo sólo sea un hombre que amó,
Un ser que se detuvo un instante frente a tus labios,
Un pobre hombre cansado de andar por los jardines,
¿Dónde estarás ? ¡Dónde
Estarás, oh hija de mis besos!
Lettres à une inconnue
Quand auront passé les années, quand auront passé
Les années, quand l'air aura creusé un fossé
Entre ton âme et la mienne ; quand auront passé les années
Et que je ne serai plus qu'un homme qui a aimé,
Un être qui s'est arrêté un instant face à tes lèvres,
Un pauvre homme lassé d'arpenter les jardins,
Où seras-tu, toi ? Où
Seras-tu, ô fille de mes baisers !
Nicanor Parra
Nicanor Parra est un poète chilien mort à 103 ans. C'est Bolano qui me l'a signalé.
N. Parra a eu beaucoup plus de chance que sa malheureuse soeur, la grande chanteuse Violeta Parra,
qu'il accompagnait parfois sur scène.
bix_229- Messages : 15439
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Re: Poésie
Je vous présente une poétesse d'origine autochtone, Rita Mestokosho. Elle est la première poète innu à avoir publié un recueil au Québec (Eshi uapataman Nukum. Comment je perçois la vie, Grand-Mère (1995).).
C'était la première fois que je lisais un poème d'elle...
Parmi les poètes innues, on peut citer les trois poétesses qui reviennent le plus souvent (Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine et Marie-Andrée Gill).
Revenons à Rita Mestokosho :
Je sais pas pour vous, mais cette poésie me parle beaucoup.
C'était la première fois que je lisais un poème d'elle...
Parmi les poètes innues, on peut citer les trois poétesses qui reviennent le plus souvent (Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine et Marie-Andrée Gill).
Revenons à Rita Mestokosho :
«Mistapéo, l’âme de la Tierra»
Ninakamum tshetshi petuikan
je chante pour que tu m’entendes
voilà ce que mon Mistapéo te dit
Je marche sur la pointe des arbres
pour que tu me voies
je vole seulement quand je dors
le ciel est d’un bleu violet
ma voix n’est pas la mienne
elle est faite du grand mystère
natuta neme ninakamum
entends entends les bruits
je suis comme l’arbre au printemps
que le vent assaille avec douceur
je m’accote contre la mer
elle est froide là d’où je viens
j’aime penser qu’elle voyage
tu m’appelles eau
mais je suis rivière
tu m’appelles arbre
mais je suis forêt
l’eau faut un bruit puissant
qu’elle soit salée ou douce
l’arbre pousse en silence
mais tu l’entends quand
le vent souffle sur lui
Il y a un feu sacré
qui crépite sur les morceaux de lumière
je l’entends car le gardien du feu
me raconte sa vie
Il y a un son dans le mot bruit
un peu comme l’absence du silence
quand le temps est venu pour nous
d’entendre notre propre silence
mes yeux entendent la lumière
qui arrive naturellement sur mes mains
je suis assise avec mon esprit
seulement pour écouter
j’entends une voix autour de moi
et je touche le vent
ce grand vent animé par les ailes du printemps
il ramène les outardes chez moi
nous ferons du bruit en silence
nos hommes guetteront leur arrivée
nous mangerons en riant
nous pleurerons de joie
Et que le Grand Esprit vous protège !
In, Revue « Hopala !, N°43, septembre-novembre 2013 »
Je sais pas pour vous, mais cette poésie me parle beaucoup.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Age : 42
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Re: Poésie
Éléphant de Paris
Paul-Jean Toulet
Ah, Curnonsky, non plus que l’aube,
N’était bien rigolo
Il regardait le fil de l’eau.
C’était avant les Taube.
N’était bien rigolo
Il regardait le fil de l’eau.
C’était avant les Taube.
Et moi j’apercevais – pourtant
Qu’on fût loin de Cythère –
Un objet singulier. Mystère :
C’est un éléphant.
Qu’on fût loin de Cythère –
Un objet singulier. Mystère :
C’est un éléphant.
Notre maison étant tout proche,
On le prit avec nous.
Il mettait, pour chercher des sous
Sa trompe dans ma poche.
On le prit avec nous.
Il mettait, pour chercher des sous
Sa trompe dans ma poche.
Hélas, rue-de-Villersexel,
La porte était trop basse.
On a beau dire que tout passe
Non – ni le riche au Ciel.
La porte était trop basse.
On a beau dire que tout passe
Non – ni le riche au Ciel.
Paul-Jean Toulet, Contrerimes
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Les poètes cubains ont cessé se rêver
Même la nuit ils ne rêvent plus
Quand ils écrivent tout seul avec eux-mêmes ils ferment la porte
Quand soudain craque le bois ,
Le vent les pousse à la dérive ,
Des mains les empoignent par les épaules
Leur font faire demi-tour
Les confrontent à d'autres visages
( Enlisés dans les marécages , se consumant dans le napalm )
Et le monde afflue à leur bouche
Et l’œil est obligé de voir , de voir , de voir .
Heberto Padilla
Même la nuit ils ne rêvent plus
Quand ils écrivent tout seul avec eux-mêmes ils ferment la porte
Quand soudain craque le bois ,
Le vent les pousse à la dérive ,
Des mains les empoignent par les épaules
Leur font faire demi-tour
Les confrontent à d'autres visages
( Enlisés dans les marécages , se consumant dans le napalm )
Et le monde afflue à leur bouche
Et l’œil est obligé de voir , de voir , de voir .
Heberto Padilla
_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21018
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Localisation : En Provence
Re: Poésie
Resonancias.org
Quatre poèmes d’Atlantica de Kenneth White
« volver
Éloge du corbeau
Depuis le temps qu'on en cause
tout le monde la connaît
la chanson du rossignol
mais le corbeau, ah
quand il croasse
c'est une tout autre chose
le corbeau, crois-moi, est un drôle d'oiseau
le corbeau est un revenant
qui s'en revient de loin
le corbeau
est le roi croassant
de son monde dément
d'ordinaire
on n'écoute guère le corbeau
mais quand un de tes amis part
pour le pays des glaces
et dans une lettre te raconte
une étrange rencontre
sur la neige avec un corbeau
et si quelques jours plus tard
en passant la porte
d'un appartement à Montparnasse
la première chose que tu vois
est un corbeau maousse
qui jamais plus ne croasse
mais qui semble connaître
le dessous des cartes
alors en toi l'étonnement croît
et tu cherches le comment et le pourquoi
du corbeau
pourquoi le corbeau croasse-t-il?
où le corbeau s'en va-t-il?
le corbeau, que sait-il?
d'abord
le corbeau est un polyglotte
le corbeau parle patagon
algonquin et esquimau
il parle russe
sanscrit, chinois, snohomish
ainsi que plusieurs variétés d'angliche
le corbeau a roulé sa bosse!
Edgar Allan Poe
était un corbeau
l'anthropologue enyerbado
s'est changé en corbeau
je suppose que tous les Corbeaux
étaient des corbeaux
j'ai pensé autrefois à fonder
une Académie des Goélands
(suivant en cela
un ancien modèle chinois)
dans un seul but:
redire le monde
parole d'aurore
grammaire de pluie, d'arbre, de pierre
d'os et de sang
je peux concevoir des goélands noirs
et des corbeaux blancs
(racistes s'abstenir)
oui, le corbeau aurait sa place
à l'Académie des Goélands
il en serait le membre croassant
mais ce projet est parti avec le vent
et j'ai échoué
les ailes brisées
sur une île glacée
fumant les herbes de mon cerveau
cependant
c'est un fait
les hommes-oiseaux sont toujours là
avec leurs ailes de rêve
et leurs cris d'outre-terre
des poids lourds, tous
c'est cela
pas de piaillements ou de pépiements
ce monde est rude
il faut pouvoir
traverser des blizzards
ka, kaya-gaya, ka
krr, krarak, krarak
krie, krie, krie
boire de l'eau froide
manger des os et des pierres
rester calme et fort
seul loin de tout
communiquer
à longue distance
pourquoi le corbeau croasse-t-il?
où le corbeau s'en va-t-il?
le corbeau, que sait-il ?
demande au faucon
qui là-haut plane en silence
demande au harfang des neiges
demande à l'outarde
ou à la mouette pillarde
tous les oiseaux parlent
la langue de l'aurore
dans des dialectes divers.
Kenneth White
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
CHANSON
Je ferai ces vers sur le pur Néant
Et ce ne sera ni sur moi ni plersonne
Non plus sur amour ni sur la jeunesse
Ni sur rien d'autre :
Ils me sont venus là tout en dormant
Sur mon cheval
.................................................
J'ai fait ces vers et je ne sais sur quoi,
Et les transmettrai ainsi à celui
Qui les transmettra ensuite à autrui,
Là vers l'Anjou,
Qui les transmettra de son propre chef
A quelqu'un d'autre.
Guillaume IX, Duc d'Aquitaine et Comte de Poitiers, 1071-1127
Traduction Pierre Seghers : Le Livre d'or de la poésie française.
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Leonardo Sinisgalli
Entre poésie et science, un émerveillement constant
« Aujourd’hui personne ne sait
En quel sens coule le temps.»
(Sinisgalli)
Leonardo Sinisgalli est un poète italien « qui a vu les muses » et dont l’œuvre est hélas peu répandue encore en France, malgré les efforts de son traducteur Jean-Yves Masson, du très beau travail très lyrique d’Odette Kaan, et de la belle maison d’édition Arfuyen de Gérard Pfister. Pourtant son élan panthéiste, sa parole poétique qui fait descendre profondément le jadis en nous, ses mots qui semblent serpenter dans le sang des vignes, l’image de son père, la consolation de sa mère ont un grand pouvoir d’émotion.
Entre poésie et science, un émerveillement constant
« Aujourd’hui personne ne sait
En quel sens coule le temps.»
(Sinisgalli)
Leonardo Sinisgalli est un poète italien « qui a vu les muses » et dont l’œuvre est hélas peu répandue encore en France, malgré les efforts de son traducteur Jean-Yves Masson, du très beau travail très lyrique d’Odette Kaan, et de la belle maison d’édition Arfuyen de Gérard Pfister. Pourtant son élan panthéiste, sa parole poétique qui fait descendre profondément le jadis en nous, ses mots qui semblent serpenter dans le sang des vignes, l’image de son père, la consolation de sa mère ont un grand pouvoir d’émotion.
ÉPITAPHE (Le poème est dédié à une petite sœur morte)
Lorsque tu es partie, comme c’est notre usage,
on entassa dans le cercueil les petits objets que tu aimais.
On y plaça ton ombrelle,
car tu t’en allais dans un royaume torride
et on te vêtit de blanc.
Tu étais encore une petite fille,
une petite fille difficile à élever.
Mais tu fus accueillie avec une douceur résignée,
protégée, portée à la lumière
comme mûrit l’épi dans un champ épuisé.
Et moi, ma sœur, je me souviens de tes cris d’oiseau
quand tu t’enfermais pour pleurer dans la galerie
parce que tu voulais aller vivre sur le toit.
Tu n’étais heureuse qu’en te haussant un peu
au-dessus de la terre.
On mit dans le cercueil tes objets les plus chers,
même au creux de ta main une piécette d’or
pour le batelier qui t’accompagnerait
sur l’autre rive. Et nous, nous restâmes ici,
dans la grande maison que tu savais retourner comme un sac.
Pendant quelques jours personne n’eut envie de la
remettre en ordre.
Nous nous rassemblions autour de la cheminée en pensant à ton grand voyage,
à la tristesse de t’envoyer seule en pays inconnu.
La grand-mère était là-bas à nous attendre depuis des années.
Depuis des années aucun de nous n’avait été appelé.
Dans cette immense contrée, dans cette longue quarantaine,
comment avez-vous fait pour vous reconnaître ?
Nous t’avions mis dans le cercueil tes objets les plus chers,
ta petite ombrelle, ton peigne, un petit bouquet de fleurs.
Ma mère te suivait à chaque étape, de la maison
à l’église, de l’église au cimetière.
Elle donnait asile dans sa chambre à chaque papillon et tint pendant longtemps la maison ouverte
dans l’espoir de te voir revenir.
Un jour une femme vint frapper à la porte
nous dire qu’elle avait rêvé de toi.
La femme avait une enfant malade, ta compagne,
et tu l’avais visitée.
Tu parlais en rêve à cette femme, tu lui demandais quelque chose
qu’elle ne savait pas, qu’elle n’entendait pas en rêve,
et tu parlais et semblais demander une chose
qu’on avait oubliée dans le désarroi de la séparation.
Ma mère fouilla dans tes papiers,
elle resta longtemps à chercher tes cahiers l’un après l’autre.
Nous regardâmes pour la dernière fois,
ta tendre écriture, ton nom fragile
écrit de ta petite main.
On lia d’un ruban blanc tes cahiers
que nous avions oubliés. La petite fille te les porterait.
Nous les plaçâmes dans le cercueil
De la compagne que tu avais préférée.
Elle aussi s’en alla vêtue de blanc
Dans le royaume torride d’où personne n’est jamais retourné.
Poèmes d’hier traduction Odette Kaan
Esprits Nomades
Lorsque tu es partie, comme c’est notre usage,
on entassa dans le cercueil les petits objets que tu aimais.
On y plaça ton ombrelle,
car tu t’en allais dans un royaume torride
et on te vêtit de blanc.
Tu étais encore une petite fille,
une petite fille difficile à élever.
Mais tu fus accueillie avec une douceur résignée,
protégée, portée à la lumière
comme mûrit l’épi dans un champ épuisé.
Et moi, ma sœur, je me souviens de tes cris d’oiseau
quand tu t’enfermais pour pleurer dans la galerie
parce que tu voulais aller vivre sur le toit.
Tu n’étais heureuse qu’en te haussant un peu
au-dessus de la terre.
On mit dans le cercueil tes objets les plus chers,
même au creux de ta main une piécette d’or
pour le batelier qui t’accompagnerait
sur l’autre rive. Et nous, nous restâmes ici,
dans la grande maison que tu savais retourner comme un sac.
Pendant quelques jours personne n’eut envie de la
remettre en ordre.
Nous nous rassemblions autour de la cheminée en pensant à ton grand voyage,
à la tristesse de t’envoyer seule en pays inconnu.
La grand-mère était là-bas à nous attendre depuis des années.
Depuis des années aucun de nous n’avait été appelé.
Dans cette immense contrée, dans cette longue quarantaine,
comment avez-vous fait pour vous reconnaître ?
Nous t’avions mis dans le cercueil tes objets les plus chers,
ta petite ombrelle, ton peigne, un petit bouquet de fleurs.
Ma mère te suivait à chaque étape, de la maison
à l’église, de l’église au cimetière.
Elle donnait asile dans sa chambre à chaque papillon et tint pendant longtemps la maison ouverte
dans l’espoir de te voir revenir.
Un jour une femme vint frapper à la porte
nous dire qu’elle avait rêvé de toi.
La femme avait une enfant malade, ta compagne,
et tu l’avais visitée.
Tu parlais en rêve à cette femme, tu lui demandais quelque chose
qu’elle ne savait pas, qu’elle n’entendait pas en rêve,
et tu parlais et semblais demander une chose
qu’on avait oubliée dans le désarroi de la séparation.
Ma mère fouilla dans tes papiers,
elle resta longtemps à chercher tes cahiers l’un après l’autre.
Nous regardâmes pour la dernière fois,
ta tendre écriture, ton nom fragile
écrit de ta petite main.
On lia d’un ruban blanc tes cahiers
que nous avions oubliés. La petite fille te les porterait.
Nous les plaçâmes dans le cercueil
De la compagne que tu avais préférée.
Elle aussi s’en alla vêtue de blanc
Dans le royaume torride d’où personne n’est jamais retourné.
Poèmes d’hier traduction Odette Kaan
Esprits Nomades
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Merci Bix, je ne l'ai encore jamais lu. Il y a eu un recueil traduit également aux éditions de la Nerthe.
Invité- Invité
Re: Poésie
tel un conte ! merci Bix !
_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21018
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Localisation : En Provence
Re: Poésie
On nous disait, vous vaincrez quand vous vous soumettrez.
Nous nous sommes soumis et nous avons trouvé la cendre.
On nous disait vous vaincrez quand vous aurez aimé. Nous avons aimé et nous avons trouvé la cendre.
On nous disait vous vaincrez quand vous aurez abandonné votre vie.
Nous avons abandonné notre vie et nous avons trouvé la cendre.
Nous avons trouvé la cendre. Il ne nous reste qu’à retrouver notre vie maintenant que nous n’avons plus rien. J’imagine que celui qui retrouvera la vie, malgré tant de papiers, de luttes, de sentiments, d’enseignements, sera quelqu’un comme vous et moi, avec une mémoire juste un peu plus tenace. Pour nous, c’est difficile, nous nous souvenons encore de ce que nous avons donné. Lui, ne se rappellera que ce qu’il aura gagné par chacun de ses dons. Que peut se rappeler une flamme ? Si elle se rappelle un peu moins qu’il ne faut, elle s’éteint. Si elle se rappelle un peu plus qu’il ne faut, elle s’éteint. Si elle pouvait nous enseigner, tant qu’elle brûle, à nous souvenir avec justesse !
Georges Seferis
Extrait de Stratis le marin décrit un homme (Londres, 5 juin 1932, Traduction Jacques Lacarrière et Egérie Mavraki)
On nous disait vous vaincrez quand vous aurez aimé. Nous avons aimé et nous avons trouvé la cendre.
On nous disait vous vaincrez quand vous aurez abandonné votre vie.
Nous avons abandonné notre vie et nous avons trouvé la cendre.
Nous avons trouvé la cendre. Il ne nous reste qu’à retrouver notre vie maintenant que nous n’avons plus rien. J’imagine que celui qui retrouvera la vie, malgré tant de papiers, de luttes, de sentiments, d’enseignements, sera quelqu’un comme vous et moi, avec une mémoire juste un peu plus tenace. Pour nous, c’est difficile, nous nous souvenons encore de ce que nous avons donné. Lui, ne se rappellera que ce qu’il aura gagné par chacun de ses dons. Que peut se rappeler une flamme ? Si elle se rappelle un peu moins qu’il ne faut, elle s’éteint. Si elle se rappelle un peu plus qu’il ne faut, elle s’éteint. Si elle pouvait nous enseigner, tant qu’elle brûle, à nous souvenir avec justesse !
Georges Seferis
Extrait de Stratis le marin décrit un homme (Londres, 5 juin 1932, Traduction Jacques Lacarrière et Egérie Mavraki)
"J’ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l’infini silence"
(Epiphania)
Georges Séféris, de son vrai nom Giorgios Stylianou Seferiades, aura mené comme Saint-John Perse ou Claudel, à la fois une vie de diplomate et celle de poète. Mais avec une authenticité profonde et sans la volonté perpétuelle de vouloir édifier sa légende, parfois au prix de mensonges plus ou moins pieux. Non Séféris n’avait pas besoin de vaticiner, de s’envelopper dans la toge des prophètes et des dictionnaires rares pour parler simplement du blanc du ventre des mouettes et du destin des hommes.
Il vivait avec l’exil au cœur de lui, voyageant souvent, regardant autour de lui et en lui.
Esprits Nomades
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Je vais vous recopier une partie d'une chanson du chanteur Samian. Il y a plusieurs poésies qui se valent, mais je voulais vous montrer celle-ci :
«Peuple invincible»
Je ne crois pas être capable de cesser de crier ce qui est injuste
Quand je regarde notre réalité et les mensonges dont on nous incruste
Je n’ai pas la force de comprendre toute cette discrimination
Mais j’ai la force et le courage de crier pour ma nation
Il est temps qu’on avance, qu’on se rassemble pour la cause
Qu’on arrête de se détruire par l’alcool et la coke
Qu’on leur prouve qu’on est des hommes, qu’on est fiers de qui on est
S’ils nous traitent de sauvages, on s’en fout, on est des guerriers
On n’a pas encore saisi toute la mentalité
Car pour vous dire la vérité, ils ont essayé de nous déraciner
Ce que je trouve le plus lourd, c’est le visage des ainés
Ceux qui portent l’histoire et l’espoir des nouveau-nés
Je viens briser le silence, la honte et la gêne
D’un peuple invisible, comme le dirait Desjardins
Je parle encore de nos souffrances, c’est dans mon sang, dans mes gènes
Comme nous a dit Kerry James : « C’est le cri des indigènes »
Je viens vous dire qu’on s’en sort, mais les blessures sont immenses
Car une partie de notre histoire est enfouie sous le silence
Je n’arrive toujours pas à croire qu’ici on nous ignore
Et quand ils ont fondé ce pays, ils ont préféré nous voir morts
Le gouvernement s’est excusé pour l’histoire des pensionnats
Ils ont signé des chèques pour nous prouver leurs échecs
Je peux vous dire que le mal est fait, c’est la souffrance qui nous achève
C’est une question identitaire, c’est nos souvenirs qu’ils achètent
Ils adhèrent à des lois pour essayer de nous faire taire
Mais nous, on se souvient qu’on vit ici depuis des millénaires
Dans ce pays, on est des minorités,
Car ils refusent de signer la charte des droits et libertés
Ils nous ont même traités de créatures sans âme
Essaie d’imaginer un saule pleureur sans larmes
Une forêt sans arbres, un monde sans art
Moi, j’te jure que mes textes viennent du fond de mon âme
p. 20-22
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 42
Localisation : Montréal
Re: Poésie
The Road Not Taken
Two roads diverged in a yellow wood,
And sorry I could not travel both
And be one traveler, long I stood
And looked down one as far as I could
To where it bent in the undergrowth;
Then took the other, as just as fair,
And having perhaps the better claim,
Because it was grassy and wanted wear;
Though as for that the passing there
Had worn them really about the same,
And both that morning equally lay
In leaves no step had trodden black.
Oh, I kept the first for another day!
Yet knowing how way leads on to way,
I doubted if I should ever come back.
I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.
Two roads diverged in a yellow wood,
And sorry I could not travel both
And be one traveler, long I stood
And looked down one as far as I could
To where it bent in the undergrowth;
Then took the other, as just as fair,
And having perhaps the better claim,
Because it was grassy and wanted wear;
Though as for that the passing there
Had worn them really about the same,
And both that morning equally lay
In leaves no step had trodden black.
Oh, I kept the first for another day!
Yet knowing how way leads on to way,
I doubted if I should ever come back.
I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.
Robert Frost
La route que je n'ai pas prise
Deux routes divergeaient dans un bois jaune ;
Triste de ne pouvoir les prendre toutes deux,
Et de n'être qu'un seul voyageur, j'en suivis
L'une aussi loin que je pus du regard
Jusqu'à sa courbe du sous-bois.
Puis je pris l'autre, qui me parut aussi belle,
Offrant peut-être l'avantage
D'une herbe qu'on pouvait fouler,
Bien qu'en ce lieu, vraiment, l'état fût le même,
Et que ce matin-là elles fussent pareilles,
Toutes deux sous des feuilles qu'aucun pas
N'avait noircies. Oh, je gardais
Pour une autre fois la première !
Mais comme je savais qu'à la route s'ajoutent
Les routes, je doutais de jamais revenir.
Je conterai ceci en soupirant,
D'ici des siècles et des siècles, quelques part :
Deux routes divergeaient dans un bois ; quant à moi,
J'ai suivi la moins fréquentée
Et c'est cela qui changea tout.
La route que je n'ai pas prise
Deux routes divergeaient dans un bois jaune ;
Triste de ne pouvoir les prendre toutes deux,
Et de n'être qu'un seul voyageur, j'en suivis
L'une aussi loin que je pus du regard
Jusqu'à sa courbe du sous-bois.
Puis je pris l'autre, qui me parut aussi belle,
Offrant peut-être l'avantage
D'une herbe qu'on pouvait fouler,
Bien qu'en ce lieu, vraiment, l'état fût le même,
Et que ce matin-là elles fussent pareilles,
Toutes deux sous des feuilles qu'aucun pas
N'avait noircies. Oh, je gardais
Pour une autre fois la première !
Mais comme je savais qu'à la route s'ajoutent
Les routes, je doutais de jamais revenir.
Je conterai ceci en soupirant,
D'ici des siècles et des siècles, quelques part :
Deux routes divergeaient dans un bois ; quant à moi,
J'ai suivi la moins fréquentée
Et c'est cela qui changea tout.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
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