Poésie
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Re: Poésie
Aujourd'hui je n'ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n'existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré le silence.
Ne rien faire
sauve parfois l'équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose pèse
sur le plateau vide de la balance.
(" Treizième poésie verticale")
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
--- Alors ma dame, qui me vit cesser
de regarder en haut, me dit : "Baisse
ton regard, vois comme tu as tourné."
--- Depuis l'heure où j'avais d'abord regardé
je me vis déplacé de tout l'arc
que fait, du milieu à la fin, le premier climat
--- si bien que je voyais au-delà de Gadès
le passage fou d'Ulysse, et plus près le rivage
où Europe se fit rendre fardeau.
--- L'espace de cet arpent m'aurait été
mieux découvert ; mais le soleil courait
sous nos pieds, distant d'un signe et plus.
--- Mon esprit amoureux, qui devisait
toujours avec ma dame, brûlait
plus que jamais d'avoir les yeux en elle ;
--- et si nature ou art ont formé des appas
pour capturer les yeux, pour prendre l'âme,
en chair humaine ou en peinture,
--- tous rassemblés ils sembleraient néant
auprès de la beauté divine qui m'éblouit
quand je me tournai vers ses yeux riants.
Dante, La divine comédie, Le paradis, Chant 27
traduction Jacqueline Risset
Invité- Invité
Re: Poésie
@Arturo J'adore ce poème, Bix, et je souscris !
Tu l'as peut etre deviné, Juarroz est l'un de mes pètes préférés.
Tu l'as peut etre deviné, Juarroz est l'un de mes pètes préférés.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
A TOI VIVANTE
Poser le doigt sur un corps humain c'est toucher le ciel.
Novalis.
Quand je contemple ton corps étendu
comme une rivière qui coule sans cesse,
comme un miroir transparent dans lequel chantent les oiseaux,
où sentir le jour levant c'est jouir.
Quand je vois dans tes yeux, mort profonde ou vie qui m'appelle,
chanson d'une profondeur que je ne fais que soupçonner;
quand je vois ta forme et ton front serein,
pierre lumineuse où mes baisers scintillent
tel des rochers reflétant un soleil qui ne connaît pas de coucher.
Quand j'approche mes lèvres à cette musique imprécise
à cette rumeur pour toujours juvénile,
ardeur de la terre qui chante au coeur du vert, corps humide,
toujours glissant tel un amour heureux qui s'échappe et qui revient...
Je sens le monde s'échapper sous mes pieds,
tout léger, toujours en qualité d'étoile,
toujours avec sa joyeuse générosité filante
qui ne réclame même pas de mer pour se plier.
Tout est surprise. Le monde brille
et sent la soudaine nudité d'un océan frémissant,
c'est cette poitrine fiévreuse et avide
qui ne demande que l'éclat de la lumière.
La création brasille. Le bonheur calme
passe comme un plaisir qui n'est jamais comblé,
comme la rapide ascension de l'amour
où le vent se serre contre les fronts les plus aveugles.
Regarder ton corps, illuminé par ta seule lumière,
sans autre musique que celle qui rapproche les oiseaux,
les eaux, la forêt au battement de cœur serré
du monde absolu que je sens maintenant dans les lèvres.
Vicente Aleixandre
Invité- Invité
Re: Poésie
émotion ! merci Arturo !
_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21020
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
On connaît un peu la poésie tchèque grâce aux traductions de Petr Kral1 et l’on a une bonne vue de ce qui est disponible grâce à la bibliographie très développée établie par la Librairie CompagnieZbyněk Hejda (né en 1930) a eu toutes les difficultés à faire entendre sa voix sous le régime communiste : ses recueils ont été publiés en samizdat. Erika Abrams, qui l’a déjà traduit, donne dans sa préface les éléments nécessaires pour le situer parmi ses contemporains.
La mélancolie domine, oui, dans cette poésie attentive aux décalages entre la réalité et la manière dont la plupart s’obstinent à la percevoir : en aveugles. Ce qui pourrait sembler être signe d’un équilibre des choses est vécu avec une distance qui en découvre la précarité. Ainsi, les signes convenus de l’automne sont accumulés, avec le pittoresque attendu — les dernières cueillettes, les premières fumées —, mais à y regarder de plus près, rien ne s’accorde avec ce chromo. Si les feuilles virevoltent, c’est « à travers des gares vides », et les fumées ne sont pas seulement celles du foyer tranquille.
De petites morts
habitent la dépouille des oiseaux.
Ce sont elles qui nous battent les tempes
d’un rappel d’ailes
avant que l’eau verte
sur tout se déverse.
Un chien passe furtivement
la porte….
Sombre
Sombre, une volée d’oiseaux
se déplace lentement contre le ciel.
En bas sur le chemin
la poussière vole.
Personne pourtant
ne va nulle part.
La bande d’oiseaux aussi s’éclipse,
la respiration du paysage, coupée
dans la canicule du dimanche matin.
Au village tout dort.
Au bord des chemins,
des chiens.
Zbyněk Hejda, Abord de la mort, précédé de Je n’y rencontrerai personne, traduit du tchèque par Erika Abrams 44, 50, 59
J'aime cette forme de poésie, mélancolique et pudique. Elle est publiée par l'éditeur La Différence, Collection Orphée, dont le mérite est
de sortir de l'oubli des poétes peu connus -ou pas du tout-, à ses risques et périls.
Conseillée aux amateurs, Jack Hubert, Arturo, Aventin...
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Toujours de Zbynek Hedja
Est-il certain que nous ayons un jour été ?
Ou que cela n’ait pas été trop tard ?
Sur quelles plaques avons-nous donc gravé
nos images plus noires que noir ?
Lessivées, lavées par les pluies du temps,
les images des blanches villes et des villages.
Et nous voilà donc : quelques poètes survivants
avec les chiens vagabonds.
Variation sur Gellner III
A Sergej
Les eaux seront toujours là, les forêts resteront,
le peuple des villes se renouvellera.
L’un sera pendu, l’autre non
et gaiement la vie continuera.
La trace des tueries sera effacée
sans faute des sables de notre ère,
sans desserrer l’étreinte glacée
qui lie victimes sans voix et tortionnaires
Arches hardies par-dessus les paupières
barque rouge ardent des lèvres
vient l’hiver, passe l’hiver
les glaces emporteront le pont
—
Zbyněk Hejda, Valse mélancolique, traduction Erika Abrams, Cheyne éditeur
Zbyněk Hejda, Valse mélancolique, traduction Erika Abrams, Cheyne éditeur
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Jehan Rictus de son vrai nom Gabriel Randon !
C'est un poète français, célèbre pour ses œuvres composées dans la langue du peuple du Paris de son époque.
Extraits de le Cœur populaire"
Farandole des pauv's P'tits fanfans morts
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu
les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’bécots ni d’suc’s de pomme,
mais qu’a l’jus d’triqu’ pour sirop d’gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.
Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :
les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.
Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.
Extraits des Soliloques du Pauvre
L'Hiver
Merd' ! V'là l'Hiver et ses dur'tés,
V'là l'moment de n'pus s'mett' à poils :
V'là qu'ceuss' qui tienn't la queu' d'la poële
Dans l'Midi vont s'carapater !
V'là l'temps ousque jusqu'en Hanovre
Et d'Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l'soir, vont plaind' les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !
(...)
Et qu'on m'tue ou qu'j'aille en prison,
J'm'en fous, je n'connais pus d'contraintes :
J'suis l'Homme Modern', qui pousse sa plainte
Et vous savez ben qu'j'ai raison !
Le Printemps
La journée
Bon, v’là l’Printemps ! Ah ! salop’rie,
V’là l’monde enquier qu’est aux z’abois
Et v’là t’y pas c’te putain d’Vie
Qu’a se r’nouvelle encore eun’fois !
La Natur’ s’achète eun’ jeunesse,
A s’ déguise en vert et en bleu,
A fait sa poire et sa princesse,
A m’fait tarter, moi, qui m’fais vieux.
C'est un poète français, célèbre pour ses œuvres composées dans la langue du peuple du Paris de son époque.
Extraits de le Cœur populaire"
Farandole des pauv's P'tits fanfans morts
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu
les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’bécots ni d’suc’s de pomme,
mais qu’a l’jus d’triqu’ pour sirop d’gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.
Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :
les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.
Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.
Extraits des Soliloques du Pauvre
L'Hiver
Merd' ! V'là l'Hiver et ses dur'tés,
V'là l'moment de n'pus s'mett' à poils :
V'là qu'ceuss' qui tienn't la queu' d'la poële
Dans l'Midi vont s'carapater !
V'là l'temps ousque jusqu'en Hanovre
Et d'Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l'soir, vont plaind' les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !
(...)
Et qu'on m'tue ou qu'j'aille en prison,
J'm'en fous, je n'connais pus d'contraintes :
J'suis l'Homme Modern', qui pousse sa plainte
Et vous savez ben qu'j'ai raison !
Le Printemps
La journée
Bon, v’là l’Printemps ! Ah ! salop’rie,
V’là l’monde enquier qu’est aux z’abois
Et v’là t’y pas c’te putain d’Vie
Qu’a se r’nouvelle encore eun’fois !
La Natur’ s’achète eun’ jeunesse,
A s’ déguise en vert et en bleu,
A fait sa poire et sa princesse,
A m’fait tarter, moi, qui m’fais vieux.
Caramel- Messages : 64
Date d'inscription : 05/02/2021
Age : 53
Localisation : La Châtre
Re: Poésie
Je vais savourer tout lentement vos poèmes. Le bonheur. ça va prendre du temps. je sature vite. La poésie est une lecture que je ne peux faire qu'à voix haute et très lentement. Merci à tous.
Merci Bix. J'ai vu que c'est toi qui a lancé l'idée tout en étant un peu découragé du manque de retour au départ, si j'ai bien compris. Perso, c'est ce fil qui m'a donné envie de m'inscrire.
A bientôt
Merci Bix. J'ai vu que c'est toi qui a lancé l'idée tout en étant un peu découragé du manque de retour au départ, si j'ai bien compris. Perso, c'est ce fil qui m'a donné envie de m'inscrire.
A bientôt
majeanne- Messages : 19
Date d'inscription : 04/02/2021
Re: Poésie
Un plaisir commennce d'abord par et pour soi-meme.majeanne a écrit:Je vais savourer tout lentement vos poèmes. Le bonheur. ça va prendre du temps. je sature vite. La poésie est une lecture que je ne peux faire qu'à voix haute et très lentement. Merci à tous.
Merci Bix. J'ai vu que c'est toi qui a lancé l'idée tout en étant un peu découragé du manque de retour au départ, si j'ai bien compris. Perso, c'est ce fil qui m'a donné envie de m'inscrire.
A bientôt
Ensuite c'est agréable de le partager.
Une sorte complicité implicite.
Je ne lis pas la poésie en continu. J'aime bien découvrir et effleurer.
Et, éventuellement revenir ...
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Ce n'est pas facile de citer certaines oeuvres. Je le dis même si je finis par en citer.
Philippe Jaccottet est l'une d'entre elles :
Philippe Jaccottet, À la lumière d'hiver
Philippe Jaccottet est l'une d'entre elles :
Un homme qui vieillit est un homme plein d'images
raides comme du fer en travers de sa vie,
n'attendez plus qu'il chante avec ces clous dans la gorge.
Autrefois la lumière nourrissait sa bouche,
maintenant il raisonne et se contraint.
Or, on peut raisonner sur la douleur, sur la joie,
démontrer, semble-t-il, presque aisément
l'inanité de l'homme. On peut parler
comme je parle à présent dans cette chambre
qui n'est pas encore en ruines, par ces lèvres
que ne coud pas encore le fil de la mort,
indéfiniment.
Toutefois, on dirait
que cette espèce-là de parole, brève ou prolixe,
toujours autoritaire, sombre, comme aveugle,
n'atteint plus son objet, aucun objet, tournant
sans fin sur elle-même, de plus en plus vide,
alors qu'ailleurs, plus loin qu'elle ou simplement
à côté, demeure ce qu'elle a longtemps cherché.
Les mots devraient-ils donc faire sentir
ce qu'ils n'atteignent pas, qui leur échappe,
dont ils ne sont pas maîtres, leur envers ?
De nouveau je m'égare en eux,
de nouveau ils font écran, je n'en ai plus
le juste usage,
quand toujours plus loin
se dérobe le reste inconnu, la clef dorée,
et déjà le jour baisse, le jour de mes yeux...
Philippe Jaccottet, À la lumière d'hiver
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 42
Localisation : Montréal
Re: Poésie
La nouvelle mariée
Il est des plantes dont la nature est de s’attacher à d’autres plantes ;
Il leur faut un appui pour se développer.
Elever une fille pour la marier à un soldat,
Mieux vaudrait, quand elle vient au monde, la jeter au bord d’un chemin.
J’ai lié mes cheveux pour nos fiançailles ;
Mais la natte du lit nuptial n’a pas même eu le temps de s’échauffer.
Au coucher du soleil, je devenais votre femme ;
Aux premières lueurs du jour, c’était déjà l’heure de nous séparer.
Bien que vous ne soyez point parti pour des régions lointaines,
La garde des frontières vous retient cependant loin de moi.
Nous nous sommes quittés avant même d’avoir accompli tous les rites du mariage ;
Comment oserai-je, sans rougir, me présenter devant vos parents1 ?
Au temps où j’étais encore chez mon père et ma mère,
J’avais soin, nuit et jour, de me dérober à tous les regards ;
Maintenant que j’ai quitté la demeure paternelle,
C’est aux yeux de tous que je devrais accomplir les devoirs de ma nouvelle condition2.
Vous êtes placé, chaque jour, entre la vie et la mort ;
Une angoisse profonde serre ma poitrine et mes entrailles.
Je m’étais promis de vous suivre, je voulais m’attacher à vos pas ;
Mais ma présence eût été, pour vous, un surcroît de trouble et d’inquiétude,
Gardez-vous de songer trop souvent à votre jeune épouse ;
Efforcez-vous de n’avoir d’autres pensées que celles d’un soldat.
Si votre femme était là-bas, au milieu de l’armée,
Je craindrais que votre courage n’en fût amoindri.
Pauvre fille que je suis, hélas !
J’avais mis un long temps à me tisser un vêtement de fine toile ;
Ce vêtement de fine toile, il ne couvrira point mes épaules ;
Je renonce à la parure comme aux brillantes couleurs du fard3.
Quand je lève les yeux, quand je considère les oiseaux dans l’espace,
Grands et petits, je les vois tous voler deux à deux ;
Mais les mœurs des hommes ne sont point celles des oiseaux de l’espace.
Qui sait, ô mon époux, quand nos regards pourront se rencontrer
Un poème de Du Fu sans les notes, c'est fou, mais on peut l'aimer quand meme !
J'aime ces deux vers que je connaissais déjà :
Elever une fille pour la marier à un soldat,
Mieux vaudrait, quand elle vient au monde, la jeter au bord d’un chemin.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
condition féminine
_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21020
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
Trieste
Trieste a une grâce
Ombrageuse. Elle plaît,
Mais comme un voyou âpre et vorace,
Aux yeux bleus, aux mains trop grandes
Pour offrir une fleur ;
Comme un amour
Avec jalousie.
De cette pente je découvre toutes les églises,
toutes les rues, qu'elles mènent sur la plage bondée
Ou sur la colline, au sommet pierreux
De laquelle une maison, la dernière, s’agrippe.
Autour
De toute chose circule
Un air étrange, un air tourmenté,
L'air natal.
Trieste a une grâce
Ombrageuse. Elle plaît,
Mais comme un voyou âpre et vorace,
Aux yeux bleus, aux mains trop grandes
Pour offrir une fleur ;
Comme un amour
Avec jalousie.
De cette pente je découvre toutes les églises,
toutes les rues, qu'elles mènent sur la plage bondée
Ou sur la colline, au sommet pierreux
De laquelle une maison, la dernière, s’agrippe.
Autour
De toute chose circule
Un air étrange, un air tourmenté,
L'air natal.
Umberto Saba
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Depuis un bon bout, je pensais à Anna Akhmatova. En la lisant au détour d'un de ses poèmes, j'ai choisi un motif poétique qui m'est cher. Je viens de m'apercevoir que la phrase sélectionné du portail vient de la citation d'un des poèmes que j'ai cités de Philippe Jaccottet. Qu'importe, poursuivons...
Anna Akhmatova
Requiem, Poème sans héros
et autres poèmes
Traduction de Jean-Louis Backès
Gallimard, 2007
«Le saule»... le duvet fragile des arbres.
POUCHKINE
J'ai grandi au milieu de calmes motifs
Dans une fraîche nursery du jeune siècle ;
Je n'aimais guère la voix des hommes,
Mais je comprenais celle du vent.
J'aimais la bardane et l'ortie,
Et plus que tout le saule d'argent.
En reconnaissance il a vécu
Avec moi toujours, ses branches en pleurs
Semaient des rêves sur mes insomnies.
C'est étrange ! Je lui ai survécu.
Voici la souche ; les autres saules
Parlent aujourd'hui avec d'autres voix
Sous notre ciel, sous d'autres cieux.
Je me tais... On dirait que mon frère est mort.
1940. Janvier
Anna Akhmatova
Requiem, Poème sans héros
et autres poèmes
Traduction de Jean-Louis Backès
Gallimard, 2007
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 42
Localisation : Montréal
Re: Poésie
Très beau, merci Jack Hubert !
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Si je peux
Quelque chose est entré
dans un poème que je sais
pouvoir écrire, mais quand ?
je l’ignore, ni comment, ni
si cette chose voudra être dite.
Si je peux je t’en affublerai pour dire
tes cheveux ou cet éclat de soleil
qui brille sur ton ongle.
Mais peut-être n’aurai-je
pas toujours à l’esprit
ce que maintenant je vois en toi.
J’ai entendu le bruit sombre
d’une chose en moi qui tombe
comme dans un puits sans fond.
Mais si cela refait surface,
saurai-je reconnaître que
cela me vient de ce moment ?
Ce n’est pas l’absence volontaire ou involontaire de vie sociale qui saurait nous priver, d’aucune façon, d’envoyer ces nouvelles de nous pour « plus tard ».
Car rien n’est ni ne sera effacé du « souvenir que nous avons maintenant ».
Idoles
À ce moment-là, quand nous étions couchés
enlacés devant la fenêtre
ouverte sur les coteaux d’oliviers
(deux noyaux nus dans un fruit
que violemment l’été a bâillé
et qui se remplit d’air) nous n’avions
pas de souvenirs. Nous étions le souvenir
que nous avons maintenant. Nous étions
cette image. Les idoles de nous-mêmes,
pour la foi soumise de plus tard.
Gabriel Ferrater, grand poète catalan
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Je dis assumer une réticence à l'égard de Gaston Miron. Il est une sorte d'idole sur laquelle on s'abîme, mais on apprend beaucoup en le côtoyant. Je parle souvent du poète Michel Beaulieu qui l'a dépassé et vais rapatrier un poème de Gaston Miron que j'avais posté sur l'autre forum qui me semble essentiel dans sa démarche et un commentaire l'accompagnant :
Gaston Miron était inscrit au coeur de son époque. Il partageait une certaine fraternité thématique avec Hubert Aquin. Nous pouvons lire à ce propos dans Miron ou la marche à l'amour :
(extrait p. 157)
À Montréal, il y avait une grande carrière qui opérait au milieu du XXe siècle et qui a été en activité pendant un temps. On parlait de la carrière Miron. On peut y voir une des sources de l'imaginaire poétique mironien.
«Le vieil Ossian»
Certains soirs d'hiver, lorsque, dehors,
comme nouvellement
l'espace est emporté ici et là avec des ressacs
de branches
avec des rues, des abattis de poudrerie,
puis, par moments,
avec de grands cratères de vide au bout du vent
culbuté mort,
il fait nuit dans la neige même
les maisons voyagent chacune pour soi
et j'entends dans l'intimité de la durée
tenant ferme le pays sans limites
le vieil Ossian aveugle qui chante dans les radars
Gaston Miron était inscrit au coeur de son époque. Il partageait une certaine fraternité thématique avec Hubert Aquin. Nous pouvons lire à ce propos dans Miron ou la marche à l'amour :
Le lecteur de Miron est emporté dans une dérive plus circonscrite, mais rappelant quand même le délire, la vision fantastique, l'hyperbole aquinienne. En effet, la poudrerie est métaphorisée en poudrière par l'image de l'abattis; la neige flambe comme un tas de fardoches, va s'engouffrer dans un vide aux cratères volcaniques, aux bouches de feu, et finalement noircir, se calciner comme la nuit, brûler de froid. Dans la nuit dans la neige même, j'arrive à une sorte d'effroi, de neige noire, mais moins aquinienne qu'appollinienne, feutrée, flottante, cotonneuse, douce, étherée, comme la neige dans laquelle dorment ses parents pacifiés dans un autre poème, «Art poétique».
(extrait p. 157)
À Montréal, il y avait une grande carrière qui opérait au milieu du XXe siècle et qui a été en activité pendant un temps. On parlait de la carrière Miron. On peut y voir une des sources de l'imaginaire poétique mironien.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 42
Localisation : Montréal
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