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Message par Bédoulène Jeu 30 Nov - 10:35

George Sand

1804/1876

George Sand George10

George Sand est le pseudonyme d'Amantine Aurore Lucile Dupin, baronne Dudevant, romancière, dramaturge, épistolière, critique littéraire française, journaliste, née à Paris le 1er juillet 1804 et morte au château de Nohant-Vic le 8 juin 1876.
Elle compte parmi les écrivains prolifiques avec plus de soixante-dix romans à son actif, cinquante volumes d'œuvres diverses dont des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et des textes politiques.
À l'image de son arrière-grand-mère, qu'elle admire, Madame Dupin (Louise de Fontaine 1706-1799), George Sand prend la défense des femmes, prône la passion, fustige le mariage et lutte contre les préjugés d'une société conservatrice.
George Sand a fait scandale par sa vie amoureuse agitée, par sa tenue vestimentaire masculine, dont elle a lancé la mode, par son pseudonyme masculin, qu'elle adopte dès 1829, et dont elle lance aussi la mode : après elle, Marie d'Agoult signe ses écrits Daniel Stern (1841-1845), Delphine de Girardin prend le pseudonyme de Charles de Launay en 1843.
Malgré de nombreux détracteurs comme Charles Baudelaire ou Jules Barbey d'Aurevilly, George Sand contribue activement à la vie intellectuelle de son époque, accueillant au domaine de Nohant ou à Palaiseaudes personnalités aussi différentes que Franz Liszt, Frédéric Chopin, Marie d'Agoult, Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Eugène Delacroix, conseillant les uns, encourageant les autres. Elle a entretenu une grande amitié avec Victor Hugo par correspondance mais ces deux grandes personnalités ne se sont jamais rencontrées.
Elle s'est aussi illustrée par un engagement politique actif à partir de 1848, inspirant Alexandre Ledru-Rollin, participant au lancement de trois journaux : La Cause du peuple, Le Bulletin de la République, l'Éclaireur, plaidant auprès de Napoléon III la cause de condamnés, notamment celle de Victor Hugo dont elle admirait l'œuvre et dont elle a tenté d'obtenir la grâce après avoir éclipsé Notre Dame de Paris avec Indiana, son premier roman.
Son œuvre est très abondante et la campagne du Berry lui sert souvent de cadre. Ses premiers romans, comme Indiana (1832), bousculent les conventions sociales et magnifient la révolte des femmes en exposant les sentiments de ses contemporaines, chose exceptionnelle à l'époque et qui divisa aussi bien l'opinion publique que l'élite littéraire. Puis George Sand ouvre ses romans à la question sociale en défendant les ouvriers et les pauvres (Le Compagnon du Tour de France) et en imaginant une société sans classes et sans conflit (Mauprat, 1837 - Le Meunier d'Angibault, 1845).
Elle se tourne ensuite vers le milieu paysan et écrit des romans champêtres idéalisés comme La Mare au diable (1846), François le Champi (1848), La Petite Fadette (1849), Les Maîtres sonneurs (1853).
George Sand a abordé d'autres genres comme l'autobiographie (Histoire de ma vie, 1855) et le roman historique avec Consuelo (1843) où elle brosse, à travers la figure d'une cantatrice italienne, le paysage artistique européen du XVIIIe siècle, ou encore Les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858) qui multiplie les péripéties amoureuses et aventureuses dans le contexte des oppositions religieuses sous le règne de Louis XIII. Vers la fin de sa vie, elle écrit une abondante œuvre théâtrale, restée largement inédite de son vivant.



Œuvres (voir la totalité sur wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Sand)

Spoiler:


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Message par Bédoulène Jeu 30 Nov - 10:47

George Sand Tylych10

Elle et Lui


C’est l’histoire d’une passion, celle de Thérèse et Laurent,  exacerbée par le caractère inconstant du jeune et talentueux peintre. En effet Laurent semble souffrir d’un déséquilibre psychique, passant de la douceur à la fureur en quelques minutes,  de la jalousie à l’indifférence, ne cessant d’accuser puis de réclamer le pardon de celle qu’il aime.

C’est par l’amitié que ces deux êtres se sont liés,  puis le garçon tombant amoureux de sa tendre et belle amie (peintre elle aussi) la convainc par ses déclarations, ses promesses ( renoncement à sa vie dissipée) de  céder à l’ amour.

« Ecoute,  ajouta-t-elle en tenant sa main dans les siennes avec tout la force dont elle était capable, ne me retire jamais cette main là et, quelque chose qui arrive, garde assez d’honneur et de courage pour ne pas oublier qu’avant d’être ta maîtresse, j’ai été ton ami. »

Mal lui en prit,  le bonheur ne dura  pas 7 jours. Victime d’hallucination Laurent est incohérent,  cette 7ème journée qui s’annonçait agréable fut une déconvenue.

« Il avait eu une hallucination. […]Quand il a été tout près, j’ai vu qu’il était ivre, et non pas poursuivi. Il a passé en me jetant un regard hébété, hideux, et en me faisant une laide grimace de haine et de mépris. Alors j’ai eu peur, et je me suis jeté la face contre terre, car cet homme…c’était moi ! »

Laurent s’ennuyait de cette vie calme, régulière,  il critiquait Thérèse qui pourtant fit des efforts pour sortir avec lui dans des lieux qu’elle n’aurait jamais fréquenté.

« Il faut savoir que la monotonie ne me convient pas, il faut me laisser à mes instincts qui ne sont pas toujours sublimes, mais que je ne peux pas détruire sans me détruire avec eux… »

Pour rompre la monotonie elle proposa à Laurent un voyage en Italie mais en 24 heures Laurent était déjà las de Gênes. Ce fut la rupture après une scène terrible.

Palmer, un américain ami de longue date avec Thérèse avait  favorisé la réunion du couple pensant que Laurent pouvait apporter le bonheur à Thérèse. Il avait une nouvelle à délivrer à la jeune femme (dont il avait d’ ailleurs raconté la vie à Laurent) Thérèse s’apprêtait à rentrer en France et Palmer, fort de sa rupture d’avec Laurent, lui révéla son amour et lui proposa le mariage. Elle accepta.

Palmer et Thérèse reçurent une lettre inquiétante de Laurent, ils le rejoignirent à Florence où il était atteint de fièvre, de délire. Thérèse le veilla et le soigna. Remis de cette épisode Laurent ne se souvenait pas de leur rupture et souhaitait continuer à vivre  avec Thérèse.

« Ce cœur là,  Laurent,  dit-elle en frappant se poitrine, n’est ni si fier ni si ardent peut-être que le vôtre ; mais, vous l’avez dit vous-même souvent autrefois, il reste toujours à la même place. Ce qu’il a aimé, il ne peut cesser de l’aimer ; mais, ne vous y tromper pas, ce n’est pas de l’amour comme vous l’entendez, comme vous m’en avez inspiré, et comme vous avez la folie d’en attendre encore. Ni mes sens ni ma tête ne vous appartiennent plus. J’ai repris ma personne et ma volonté ; ma confiance et mon enthousiasme  ne peuvent plus vous revenir. J’en peux disposer pour qui les mérite […] »

Rentrée en France, Thérèse fut bouleversée et amère de la demande de Palmer, jaloux de Laurent ; elle reprit sa parole sur le mariage.

« Thérèse !Thérèse ! s’écria Palmer avec violence en lui serrant le bras jusqu’à le meurtrir, jurez-moi,sur le souvenir de l’enfant que vous avez perdu, que vous n’aimez plus Laurent, et je tombe à vos  pieds pour vous supplier de me pardonner mon injustice. »

Fort de la rupture de Thérèse avec Palmer, Laurent  redevient  si charmeur, si prometteur,

Ah ! Thérèse, vous m’avez déjà dit une fois que je me vantais devant vous de ce dont je devrais rougir, que j’étais un mur de prison. Vous n’avez oublié qu’une chose : c’est qu’il y a derrière ce mur un prisonnier !
A quoi me servira, je vous le demande, d’avoir barbouillé de peintures fantasques les murs de mon cachot, si le mot  aimer  ne se trouve écrit nulle part ?


que  Thérèse succomba  une nouvelle fois :

« Thérèse sentit bientôt que l’affection de son pauvre enfant, comme il s’intitulait toujours, lui était douce, et que, si elle pouvait continuer ainsi, elle serait le plus pur et le meilleurs sentiment de sa vie.
- Probablement, lui disait-il, j’étais malade sans le savoir quand, pour la première fois, j’ai été coupable envers toi. Une fièvre cérébrale, cela semble tomber sur vous comme la foudre… »


Le premier bonheur de Thérèse n’avait pas duré toute une semaine ; le second ne dura pas vingt-quatre heures.

« Aussitôt ses velléités d’amour pour elle lui revinrent  et en même temps ses soupçons, sa jalousie et sa colère. Jusque là ce charme d’amitié l’avait bercé et comme enivré ; il devint tout à coup amer et glacé. »

« Il obéissait à cet inexorable besoin que certains adolescents éprouvent de tuer ou de détruire ce qui leur plaît jusqu’à la passion.

Thérèse  pensa que c’était elle qui était la cause de la « folie » de Laurent car ce n’est qu’en sa présence qu’ elle se manifestait.


« Un soir, il lui fit une si longue et si incompréhensible querelle, qu’elle ne l’entendit plus et s’assoupit sur son fauteuil. Au bout de quelques instants, un léger frôlement lui fit ouvrir les yeux. Laurent jeta convulsivement par terre quelque chose de brillant : c’était un poignard. Thérèse sourit et ferma les yeux. Elle comprenait faiblement, et comme à travers le voile d’un rêve, qu’il avait songé à la tuer. En ce moment tout était indifférent à Thérèse. Se reposer de vivre et de penser, que ce fût sommeil ou mort, elle laissait le choix à la destinée. »

Mais, un matin un bambin vient sonner à sa porte disant qu’on l’ avait adressé à elle, Mlle Jacques parce qu’elle devait s’occuper de lui, son père étant mort et sa marâtre ne voulait plus de lui. Thérèse reconnait ses traits dans le visage de l’enfant, elle comprend que c’est le fils qu’elle croyait disparu.

Elle remercia Palmer  de lui avoir ramené son enfant ; tous deux partent vivre en Allemagne, la mère avait  chassé la maîtresse.

***

Mon sentiment : passion, souffrance,  l’art, la solitude  qu’est-ce ? romantisme? mais il y a dans ce  livre du drame, du social, le  stoïcisme  de Thérèse,  alors  peut-on   qualifier cette histoire de romantisme réaliste (?)

L’histoire de cette passion est sauvée  par l’écriture  à la fois sensible et forte  de l’auteure,  les sentiments  et les raisonnements  sont bien exploités,  sinon j’aurais certainement abandonné le livre car cette passion  aurait pu virer, avec une autre plume, au pathétique.

Ce livre est dit autobiographique, il semble en effet que certains personnages et évènements de l’histoire s’inspirent  fortement de  la vie de George Sand.


mots-clés : #autobiographie #xixesiecle


Dernière édition par Bédoulène le Jeu 30 Nov - 15:46, édité 1 fois

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Message par Aventin Jeu 30 Nov - 11:53

Merci Bédoulène pour l'ouverture de ce fil, même si George Sand est loin d'être dans l'air du temps (sinon pour être décriée, souvent de façon méprisante) !



Les Maîtres Sonneurs

1853, roman, 445 pages environ, divisé en 32 chapitres -ou, plus exactement, "veillées" et une préface-dédicace introductive.

George Sand Millet10
Jean-François Millet, Les scieurs de long (vers 1850-1852).




Vous trouverez le texte intégral ici.

Un éclairage contextuel peut paraître nécessaire, ou pas, d'où ce spoiler:
Spoiler:

George Sand écrit Les Maîtres Sonneurs avec une vitesse étonnante, en quelques semaines à peine. Premiers jets, sans doute, lors du dernier trimestre 1852 et les manuscrits nous révèlent, ce qui n'est pas sans intérêt, que le livre à l'état d'ébauche s'intitule "La mère et l'enfant", et commence à peu près au milieu de la version définitive des "Maitres Sonneurs". L'action se situe à la fin du XVIIIème siècle mais avant la révolution française.

Roman paysan, villageois et forestier, il emprunte son rythme et l'intitulé des chapitres en "veillées" comme celles où, bien sûr, l'on se réunit, et pour quelques décennies encore, à l'époque d'écriture de cet ouvrage, en milieu rural. Le conte de veillée est sûrement une dimension d'art populaire fascinante pour George Sand (je vais tenter plus loin d'exposer pourquoi).

Le narrateur est Etienne Depardieu, alias Tiennet, qui évoque en 1828 les années de sa jeunesse. La langue est magnifique, pleine d'emprunts patoisants, ou désuets, de tournures qui se veulent proche de l'oralité. Vraiment un régal. Ne pas s'embarquer, à mon avis, dans ce livre si l'édition n'est pas confortablement annotée. De surcroît George Sand entend témoigner d'un monde certes pas encore tout à fait passé alors, mais dont on sent confusément qu'elle sait qu'il est appelé sinon tout à fait à disparaître à brève échéance, du moins à se modifier.
Cueillir des instants qui ne seront peut-être plus, se remémorer un passé définitivement perdu à coup sûr, autant de thèmes très cher aux Romantiques, que la grande lectrice de Chateaubriand, l'amante de Musset et de Lamartine possède à merveille.
J'ajoute ceci: Avons-nous jamais été aussi proche des bohèmes de Nerval, dans le dessein poursuivi par George Sand ?

Tout part d'un trio, Joseph, alias "Joset l'ébervigé", au caractère égoïste et tourmenté, Brûlette, beauté de village, et donc Tiennet.
Ce sont de beaux jeunes paysans. George Sand tient, j'en suis persuadé, à montrer combien le peuple proprement dit est beau, sain. Y compris d'ailleurs les caractères d'aînés, les vieillards, etc...

Ils surprennent aussi par l'extrême profondeur de leurs sentiments, la finesse de leurs analyses et de leur comportement en société - leur psychologie aussi.
Une clef d'importance est que, selon George Sand, qui a beaucoup lu et de façon critique Rousseau étant jeune, le terroir façonne le caractère, la terre fait le paysan - juste à l'opposé de la toute-puissance, démiurgique pour ainsi dire, aseptisée et identique partout que nous lui imprimons aujourd'hui.

Au bout de ses introspections, Joset se découvre une attirance pour la musique. Il garde cela secret. Mais Tiennet découvre le secret. Joset, bien qu'amoureux, comme Tiennet de Brûlette, part vers son destin, chez les grands cornemuseux des forêts, en Bourbonnais, un autre pays, un autre terroir, et par conséquent d'autres caractères. Voyage typiquement initiatique. De longs mois plus tard, mandés par Huriel, muletier, homme de grands chemins et qui initiera en secret Joset à la musique dans le Berry, lui fournissant même son instrument (une cornemuse du Bourbonnais, d'une taille bien supérieure aux "musettes" usitées dans le Berry), Tiennet et Brûlette entreprennent le voyage vers les hautes forêts, le pays des bûcheux, des fendeux, des grands chantiers de bûcheronnage, de la vie en forêt et ses codes spécifiques, éloignés des lois qui régissent le royaume comme des habitudes berrichonnes, pour rejoindre un Joset malade et languissant...


Une petite recherche sur Frédéric Chopin plus loin, j'ai l'intuition qu'il y a du Chopin dans le caractère de Joset. Mais à petites touches dosées seulement.
George Sand, qui a reçu dès son enfance une solide éducation musicale, qui fut (brièvement) l'amante de Listz et (longuement) celle de Chopin, qui a connu, protégé et parfois lancé ce que Paris comptait de meilleur en termes de musiciens, de cantatrices etc... signe aussi là un livre sur la musique.

Mais pas celle des salons et des salles huppées de la capitale. Comme c'est encore elle qui en parle le mieux, voici ce que George Sand en dit dans une lettre:

Il y a une musique qu’on pourrait appeler naturelle, parce qu’elle n’est point le produit de la science et de la réflexion. Mais celui d’une inspiration qui échappe à la rigueur des règles et des conventions. C’est la musique populaire : c’est celle des paysans particulièrement. Que de belles poésies naissent, vivent et meurent chez eux, sans avoir jamais eu les honneurs d’une notation correcte, et sans avoir daigné se refermer dans la version absolue d’un thème arrêté!
Le paysan n’examine ni ne compare. Quand le ciel l’a fait musicien, il chante à la manière des oiseaux, du rossignol surtout dont l’improvisation est continuelle, quoique les éléments de son chant varié à l’infini soient toujours les mêmes.
Toujours est-il que l'on apprend que les "musiqueux" ruraux sont une pairie qu'on ne rejoint qu'en se faisant adouber, après avoir acquis une maîtrise certaine, et sur épreuves. Que l'âpreté, la concurrence sont vives, et qu'il faut se voir remettre formellement un territoire, ne pas empiéter sur celui d'autrui. La concurrence déloyale, les coups bas sont légion. Souvenons-nous que la cornemuse est, du moins je le crois, le seul instrument de musique à avoir jamais reçu le statut d'arme de guerre (en Ecosse)- c'est à vérifier, mais il me semble que c'est encore le cas de nos jours pour certains régiments britanniques dont l'origine se perd dans les brumes des Highlands.
George Sand nous montre vraiment un univers musical à part. A noter son insistance sur le thème du terroir qui façonne le paysan, traduit en terroir qui façonne l'artiste, son répertoire, sa "manière" et jusqu'à son instrument.
Et, même si son territoire est défini, il doit encore "performer" suffisamment pour prétendre vivre de ses talents musicaux. Il ne faut pas du tout situer "Les maîtres sonneurs" dans un univers de gentille fête champêtre un peu fleur-bleue. George Sand disait de Chopin qu'il parvenait à exprimer l'infini sur un seul instrument, elle le laisse aussi entendre pour les meilleurs d'entre les personnages de "sonneurs" et "musiqueux".

A noter, cela me paraît important, qu'on en est aux balbutiements de l'intérêt pour le patrimoine folklorique -donc populaire - (le mot "folklore" date d'ailleurs de ces années-là), et par conséquent George Sand est, encore une fois, "en pointe".  
A titre tout à fait personnel, je n'hésite d'ailleurs pas une seconde à qualifier l'intérêt, qui perdure toujours, pour le patrimoine intangible, non matériel en général, d'apport imprévu du romantisme.

On trouve aussi deux belles narrations de luttes entre duettistes à la loyale -surtout une, la première, les deux impliquant Huriel, bien que la seconde soit d'un enjeu et d'une intensité dramatique bien supérieurs à la première, qui est un bon chauffage d'oreilles entre garçons ayant querelle à vider. A celles-ci il faut ajouter une bataille rangée nettement plus fantaisiste.
Mais, pour ce qui est des deux affrontements entre duettistes, narrer une bagarre est un casse-tête d'écrivain, il y a peu de conventions, c'est très difficile à rendre, et comment le faire en suggérant la vitesse d'exécution des mouvements ?
Le plupart du temps, les auteurs ont recours a des expédients, à de bonnes grosses ficelles, donnant peu de crédit à ces scènes. Ce qui sera fait en bonne partie pour le second affrontement.
En dépit de cela, George Sand épate quand même dans cet exercice particulier.
Certes, elle connaît. On se souvient qu'enfant, à Nohant, elle était davantage coups de poings avec les garçons que crêpages de chignons avec les filles, et elle connaît à merveille les us et coutumes non écrits qui régissent ces joutes. La bagarre, l'affrontement physique, dans la mesure où il est loyal et justifié, n'est pour George Sand ni un fléau bestial, ni même un pis-aller sordide, mais la manifestation d'une loi naturelle (loi prise dans un sens rousseauiste, donc) en somme quelque chose de primitif et spontané, ce qui pare ces duels d'une certaine respectabilité.  

Quelques généralités pour finir:
En voulant restituer un parler paysan, la gageure consiste à le faire tout en maintenant une lecture alerte, adaptée à la trouvaille chapitres=veillées. Ce tour de force est réussi avec brio, je vais même plus loin: tout empli de termes peu usités ou déjà surannés ou locaux, dès la date d'écriture, ce livre a pourtant, c'est fort paradoxal, une très grande fraîcheur, et n'est jamais empâté, encore moins pompeux, écueils pourtant difficiles à éviter si l'on recherche la tournure pittoresque et le mot rare.    

George Sand maîtrise l'art du romancier à merveille, je crois que même ses détracteurs et ceux qu'elle indiffère lui reconnaîtront sa qualité de calibrage et de peinture, elle sait relancer l'intérêt du lecteur sans faire du stimuli en continu, sa plume a sa joliesse et n'est jamais du "rentre-dedans".
Ici, elle nous amène à un dénouement qui conserve sa part d'imprévisibilité jusqu'aux toutes dernières "veillées". A noter qu'elle écrit là un roman qui -du moins est-ce mon avis- est susceptible d'entrer parfaitement parmi les ouvrages de littérature pour adolescents, j'espère, sinon je m'y suis mal pris, avoir indiqué quelques autres niveaux de lecture, et, bien entendu, il reste beaucoup d'autres pistes et niveaux que je n'ai pas effleurés !


Un extrait, choisi pour son absence de vocabulaire rare ou inusité, ainsi que de tournures patoisantes ou singulières:
Troisième veillée a écrit:Après avoir pataugé assez longtemps pour en avoir chaud, malgré que la soirée fût bien fraîche, je me trouvai dans des fougères sèches, si hautes, que j’en avais jusqu’au menton, et en levant les yeux devant moi, je vis, dans le gris de la nuit, comme une grosse masse noire au milieu de la lande.

Je connus que ce devait être le chêne, et que j’étais arrivé au fin bout de la forêt. Je n’avais jamais vu l’arbre, mais j’en avais ouï parler, pour ce qu’il était renommé un des plus anciens du pays, et, par le dire des autres, je savais comment il était fait. Vous n’êtes point sans l’avoir vu.
C’est un chêne bourru, étêté de jeunesse par quelque accident, et qui a poussé en épaisseur; son feuillage, tout desséché par l’hiver, tenait encore dru, et il paraissait monter dans le ciel comme une roche.

J’allais tirer de ce côté-là, pensant que j’y trouverais la sente qui coupait le bois en droite ligne, lorsque j’entendis le son d’une musique qui était approchant celui d’une cornemuse, mais qui menait si grand bruit, qu’on eût dit d’un tonnerre. Ne me demandez point comment une chose qui aurait dû me rassurer en me marquant le voisinage d’une personne humaine, m’épeura comme un petit enfant. Il faut bien vous dire que, malgré mes dix-neuf ans et une bonne paire de poings que j’avais alors, du moment que je m’étais vu égaré dans le bois, je m’étais senti mal tranquille.

Ce n’est pas pour quelques loups qui descendent, de temps en temps, des grands bois de Saint-Aoust dans cette forêt-là, que j’aurais manqué de cœur, ni pour la rencontre de quelque chrétien malintentionné. J’étais enfroidi de cette sorte de crainte qu’on ne peut pas s’expliquer à soi-même, parce qu’on ne sait pas trop où en est la cause. La nuit, la brume d’hiver, un tas de bruits qu’on entend dans les bois et qui sont autres que ceux de la plaine, un tas de folles histoires qu’on a entendu raconter, et qui vous reviennent dans la tête, enfin, l’idée qu’on est esseulé loin de son endroit; il y a de quoi vous troubler l’esprit quand on est jeune, voire quand on ne l’est plus.

Moquez-vous de moi si vous voulez. Cette musique, dans un lieu si peu fréquenté, me parut endiablée. Elle chantait trop fort pour être naturelle, et surtout elle chantait un air si triste et si singulier, que ça ne ressemblait à aucun air connu sur la terre chrétienne. Je doublai le pas, mais je m’arrêtai, étonné d’un autre bruit. Tandis que la musique braillait d’un côté, une clochette sonnait de l’autre, et ces deux résonances venaient sur moi, comme pour m’empêcher d’avancer ou de reculer.
Je me jetai de côté en me baissant dans les fougères; mais, au mouvement qui s’ensuivit, quelque chose fit feu des quatre pieds tout auprès de moi, et je vis un grand animal noir, que je ne pus envisager, bondir, prendre sa course et disparaître.

Tout aussitôt, de tous les points de la fougeraie, sautèrent, coururent, trépignèrent une quantité d’animaux pareils, qui me parurent gagner tous vers la clochette et vers la musique,
lesquelles s’entendaient alors comme proches l’une de l’autre. Il y avait peut-être bien deux cents de ces bêtes, mais j’en vis au moins trente mille, car la peur me galopait rude, et je
commençais à avoir des étincelles et des taches blanches dans la vue, comme la frayeur en donne à ceux qui ne s’en défendent point.
Je ne sais par quelles jambes je fus porté auprès du chêne; je ne sentais plus les miennes.

Je me trouvai là, tout étonné d’avoir fait ce bout de chemin comme un tourbillon de vent, et, quand je repris mon souffle, je n’entendis plus rien, au loin ni auprès; je ne vis plus rien, ni sous l’arbre, ni sur la fougeraie; et je ne fus pas bien sûr de n’avoir point rêvé un sabbat de musique folle et de mauvaises bêtes.
Je commençais à me ravoir et à regarder en quel lieu j’étais. La branchure du chêne couvre une grande place herbue, et il y faisait si noir que je ne voyais point mes pieds; si bien que je me heurtai contre une grosse racine et tombai les mains en avant, sur le corps d’un homme qui était allongé là comme mort ou endormi.

Je ne sais point ce que la peur me fit dire ou crier, mais ma voix fut reconnue, et tout aussitôt celle de Joset me répondit :
– C’est donc toi, Tiennet ? Et qu’est-ce que tu viens faire ici à pareille heure ?


(Musé d'un message du 26 avril 2015 sur Parfum)


mots-clés : #initiatique #nature #xixesiecle
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Message par Bédoulène Jeu 30 Nov - 15:59

merci Aventin, un commentaire qui invite à une autre lecture (un peu plus tard)

très bel extrait cette troisième veillée.

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Message par églantine Jeu 30 Nov - 18:53

Cet été en crapahutant dans la montagne , je me suis régalée en même temps avec ce programme estival "Les grandes traversées" sur Fr cult .

Super souvenir et ça m'a donné envie de la lire un jour !

l’invention de soi 1h47 Masculin-féminin
 itinéraire politique 1h49 George Sand
Le Monde en un jardin 1h50
1h49 George ou le souvenir d’enfance
1h49 De la musique avant toute chose
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