Franck Bouysse

Irène traversa la cuisine jusqu'à la porte de la chambre d'Eugène. Elle entra, referma la porte derrière elle, s'approcha du lit à pas lents, retira le drap d'un geste vif et ample, comme si elle jetait un filet à l'eau, et vint ensuite se planter à la fenêtre, l'ouvrit et repoussa les volets contre le mur. Ses yeux s'étrécirent. A cette heure, le soleil donnait en plein. Les bâtiments, les arbres, les animaux et les reliefs disparurent instantanément dans un raz-de-marée lumineux. Irène ferma les yeux, fit volte-face et, quand elles les rouvrit, de petites choses se mirent à danser devant elle, des miettes d'encre en suspension, contraintes par des berges incendiées, cette vision, comme une prescience de ce qui pouvait advenir d'Eugène. Tout ce qu'elle retenait. Ce fut le lit qui se matérialisa en premier, petit à petit, puis chaque meuble, chaque objet dans la pièce, et, lorsque tout reprit sa place dans l'espace exigu, Irène jura de combattre sa vision incendiaire avec ses propres armes, déterminée à ce qu'on ne la dépossédât pas du fils, à ce que, quoi qu'il arrive, il demeurât vivant. Le fils. De toutes les manières qui lui viendraient. Le fils éternel.