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Claudio Magris

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antisémitisme - Claudio Magris Empty Claudio Magris

Message par Tristram Sam 28 Avr - 15:56

Claudio Magris
Né le 10 avril 1939

antisémitisme - Claudio Magris Magris10

Né le 10 avril 1939 à Trieste, Claudio Magris est un écrivain, germaniste, universitaire et journaliste italien, héritier de la tradition culturelle de la Mitteleuropa qu'il a contribué à définir.
Claudio Magris est notamment l'auteur de Danube (1986), un essai-fleuve où il parcourt le Danube de sa source allemande (en Forêt-Noire) à la mer Noire en Roumanie, en traversant l'Europe centrale, et de Microcosmes (1997), portrait de quelques lieux dispersés dans neuf villes européennes différentes. Il est également chroniqueur pour le Corriere della Sera. Il a été sénateur de 1994 à 1996.
Ses livres érudits connaissent un très grand succès public et critique. Claudio Magris a ainsi reçu plusieurs prix prestigieux couronnant son œuvre, comme le prix Erasme en 2001, le prix Prince des Asturies en 2004, qui entend récompenser en lui « la meilleure tradition humaniste et [...] l'image plurielle de la littérature européenne du début du XXIe siècle ; [...] le désir de l'unité européenne dans sa diversité historique », le prix européen de l'essai Charles Veillon en 2009, et le prix de littérature en langues romanes de la Foire internationale du livre (FIL) de Guadalajara, au Mexique, en 2014.

Bibliographie

Essais
Le Mythe et l'empire dans la littérature autrichienne moderne, « L'Arpenteur », 1991
Wilhelm Heinse (1968)
Tre studi su Hoffmann (1969)
Loin d'où ? Joseph Roth et la tradition juive-orientale, Seuil, 2009
L'anarchico al bivio. Intellettuali e politica nel teatro di Dorst (1974), en collaboration avec Cesare Cases
L'altra ragione. Tre saggi su Hoffmann (1978)
Dietro le parole (1978)
Trieste : une identité de frontière, Seuil, 1991
L'Anneau de Clarisse. Grand style et nihilisme dans la littérature moderne, L'Esprit des péninsules, 2003
Danube, « L'Arpenteur », 1988 ; « Folio » no 2162, 1988
Microcosmes, « L'Arpenteur », 1998 ; « Folio » no 3365, 2000
Utopie et désenchantement, « L'Arpenteur », 2001
Trois Orients. Récits de voyages, « Rivages poche. Petite bibliothèque » no 543, 2006
La storia non è finita (2006)
Alphabets, « L'Arpenteur », 2012
Ibsen in Italia (2008)
Democrazia, legge e coscienza, avec Stefano Levi Della Torre (2010)
Livelli di guardia. Note civili (2006-2011) (2011)
La letteratura è la mia vendetta, avec Mario Vargas Llosa (2012)
Opere, volume I: dal 1963 al 1995 (2012)
Secrets, « Bibliothèque Rivages », 2015
Istantanee (2016)

Romans
Enquête sur un sabre, « Les Chemins de l'Italie », 1987 ; « L'Imaginaire » no 675, 2015
Stadelmann, Scandéditions, 1993
Une autre mer, « L'Arpenteur », 1993 ; « Folio » no 5310, 2011
O Conde, La Baconnière, coll. « 80 mondes », 2015
Les Voix, Descartes & Cie, 2002
L'Exposition, « L'Arpenteur », 2003
À l'aveugle, « L'Arpenteur », 2006 ; « Folio » no 4813, 2008
Vous comprendrez donc, « L'Arpenteur », 2008
Classé sans suite, « L'Arpenteur », 2017

Autres publications
Nihilisme et mélancolie. Jacobsen et son Niels Lyhne (leçon inaugurale faite le 25 octobre 2001, Collège de France, chaire européenne), 2001
Déplacements (chroniques parues dans le Corriere della Sera, 1981-2000), La Quinzaine littéraire, coll. « Voyager avec... », 2003

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Message par Tristram Sam 28 Avr - 16:02

Danube

antisémitisme - Claudio Magris Danube10

C’est la descente de ce fleuve, avec au fil de son cours la mosaïque de la Mitteleuropa, contrée des particularismes, et d’un certain art de vivre comme en perpétuel déclin, empreint d’une mélancolie propre…
Voici d’ailleurs qui éclaire certaines œuvres mitteleuropéennes :
« Le Danube est un fleuve autrichien, et autrichienne est la méfiance envers l’Histoire, qui résout les contradictions en les éliminant, dans une synthèse qui domine et annule les termes du débat, en un futur qui est bien proche de la mort. Si la vieille Autriche, aujourd’hui, nous apparaît souvent comme une patrie selon notre cœur, c’est peut-être parce qu’elle était celle d’hommes qui doutaient que leur monde pût avoir un avenir, et ne voulaient pas résoudre les contradictions de leur vieil empire, mais bien plutôt différer leur solution, dans la mesure où ils se rendaient bien compte que toute solution eût impliqué la destruction de quelques-uns des éléments essentiels à l’hétérogénéité de l’empire, et donc la fin de cet empire même. »
Commentaires fort bien nuancés sur Heidegger, Hamsun, Céline ; éclairages sur beaucoup d’autres auteurs (comme Celan, Canetti, Cioran, Ionesco, Istrati, parmi ceux que j’ai un peu lu) :
« Kafka et Pessoa font un voyage au bout, non pas d’une nuit ténébreuse, mais d’une médiocrité incolore encore plus inquiétante, dans laquelle on s’aperçoit qu’on n’est qu’un portemanteau de la vie et au fond de laquelle il peut y avoir, grâce à cette conscience, une ultime résistance de la vérité. »
…et sur l’Histoire, la géographie :
« …] peut-être ne serons-nous vraiment sauvés que lorsque nous aurons appris à sentir, concrètement et presque physiquement, que chaque nation est destinée à avoir son heure et qu’il n’y a pas, à l’absolu, de civilisations majeures ou mineures, mais bien plutôt une succession de saisons et de floraisons. »
… et sur la littérature en général :
« De la littérature comme déménagement ; et, comme dans tout déménagement, il y a des choses qui se perdent et d’autres qui resurgissent de recoins oubliés. »

« La littérature offre une compensation à l’absence, grâce à ce qu’elle transfère sur le papier en le volant à la vie, mais en laissant cette dernière encore plus vide et absente. Un écrivain, dit Jean-Paul, ne conserve toutes ses connaissances et toutes ses idées qu’à travers ce qu’il a écrit, et celui dont on jette au feu les manuscrits reste démuni et ne sait plus rien ; quand il erre dans les rues sans ses carnets il est complètement ignorant et stupide, "pâle silhouette et copie de son propre moi, son représentant en curator absentis". »

« Quand seront partis encore quatre ou cinq auteurs significatifs, me dit Csejka, moi j’écrirai mes critiques et mes essais pour personne. Mais d’un point de vue littéraire c’est peut-être aussi un avantage d’écrire pour personne, à une époque où partout l’organisation de la vie culturelle prétend, faussement, représenter tout le monde. »
Egalement des observations toujours d’actualité, voire avant-gardistes (essai publié en 1986) :
« …] l’automatisme mécanique de l’histoire et de l’économie mondiales, qui englobe la vie personnelle en en faisant une simple donnée statistique, broyant et recyclant l’individu dans des processus collectifs et substituant à l’universel la loi des grands nombres. »

« Aujourd’hui les media sont le message, ils modifient et effacent l’Histoire, tel Big Brother dans 1984, d’Orwell. »

« L’anticapitalisme romantique idéalise indûment le monde rural archaïque, la communauté avec son chaud souffle d’étable, et oublie ce qui s’y mêlait presque toujours de misère noire et de sombre violence. La société urbaine, si souvent et si tendancieusement accusée d’aliénation, a libéré l’individu, ou tout au moins mis en place les prémisses de sa libération. »
Magris recourt au concept de « persuasion » (au sens passif du fait d'être persuadé, de l’état de celui qui est persuadé, acception qui participe des notions d’assurance, de conviction, voire de confiance) :
« La persuasion, a écrit Michelstaedter, c’est la possession toujours présente de sa vie et de sa personne, la capacité de vivre à fond dans l’instant sans l’obsession délirante de le brûler au plus tôt, de le prendre et de l’utiliser en vue d’arriver le plus vite possible au futur et donc de le détruire dans l’attente que la vie, toute la vie, passe rapidement. Celui à qui la persuasion fait défaut consume son être dans l’attente d’un résultat qui doit toujours venir, et qui ne vient jamais. »
Il parle déjà de post-modernisme :
« Vienne est la ville du post-moderne, dans laquelle la réalité cède devant sa représentation et devant les apparences, où les catégories fondamentales se diluent, où l’universel s’actualise dans le transcendant quand il ne se dissout pas dans l’éphémère, et où la mécanique des besoins emporte les valeurs dans son tourbillon. »
C’est aussi l’interface entre Occident et Orient ‒ la route des invasions.
Une ballade érudite, donc, qui peut d’ailleurs se rattacher à la littérature de voyage.
Ses compagnons de voyage apparaissent au détour d’une vue, silhouettes à peine esquissées...
Le mot qui revient le plus est peut-être « aimable » ; effectivement…

« La civilisation et la morale se fondent sur une distinction nécessaire, et fort difficile à établir, entre l’homme et l’animal. Il est impossible de vivre sans détruire de vie animale, ne serait-ce que celle d’organismes microscopiques qui échappent à notre perception, et il est impossible de reconnaître aux animaux des droits universels et inviolables, de considérer d’une manière kantienne chaque animal comme une fin plutôt que comme un moyen ; la solidarité fraternelle peut aller jusqu’à embrasser l’humanité entière, mais pas au-delà. Impossibilité qui rend inévitable la séparation entre monde humain et monde naturel et qui contraint la culture, qui lutte contre les souffrances infligées aux hommes, à bâtir son édifice sur celles infligées aux animaux, en cherchant à les adoucir mais en se résignant à ne pas pouvoir les éliminer. L’irrémédiable douleur des animaux, ce peuple obscur qui accompagne comme une ombre notre existence, rejette sur cette dernière tout le poids du péché originel. »

« Mais les vagabonds qui gribouillaient sur ces tables [écrivains viennois dans les cafés] défendaient, avec ironie et sans illusions, les dernières marges d’un individualisme irréductible, les derniers reflets d’un charme – quelque chose d’impossible à reproduire, et qui ne se laisse pas complètement niveler par la fabrication en série. La vérité cachée ou inaccessible n’était pas pour eux un vain mot, et surtout ils n’annonçaient pas sa mort avec satisfaction – comme le font les théoriciens verbeux de l’insignifiance. »



mots-clés : #historique #identite

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Message par bix_229 Sam 28 Avr - 16:19

Une belle méditation poétique le long d' un fleuve chargé d' histoire et en compagnie
de ceux qui, écrivains, ont vécu dans sa proximité.
Ou ont péri dans les péripéties des évènments.
L' histoire laisse toujours des naufragés dans ses méandres aventureux.
Mais écrire c' est aussi remonter vers la source du fleuve.
Vers l' origine des civilisations. Sauf que cette origine n' existe pas.
L' histoire elle-meme n' est qu' affaire de langage et de celui qui l' écrit : le vainqueur.


Dernière édition par bix_229 le Sam 28 Avr - 16:34, édité 4 fois (Raison : a source)
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Message par Tristram Jeu 11 Juin - 0:11

Microcosmes

antisémitisme - Claudio Magris Microc10

Café San Marco
: évoque merveilleusement ce que furent les cafés (ici à Trieste).
« Le San Marco est un vrai café, banlieue de l’Histoire authentifiée par la fidélité conservatrice et le pluralisme libéral de ses habitués. Celui où ne campe qu’une seule tribu, qu’il s’agisse de femmes du monde, de jeunes gens promis à un bel avenir, de groupes alternatifs ou d’intellectuels d’avant-garde, n’est qu’un pseudo-café. Toute endogamie conduit à l’asphyxie : les grandes écoles aussi, et les campus universitaires, les clubs privés, les classes pilotes, les réunions politiques et les colloques culturels sont une négation de la vie, qui est un port de mer.
Au San Marco triomphe, pleine de sève et de vie, la diversité. Anciens capitaines au long cours, étudiants qui préparent des examens et élaborent des stratégies amoureuses, joueurs d’échecs indifférents à ce qui se passe autour d’eux, touristes allemands qui s’intéressent aux plaques rappelant les petites ou grandes gloires de la littérature jadis assidues à ces tables, lecteurs de journaux silencieux, groupes joyeux voués à la bière bavaroise ou au verduzzo, vieillards grincheux qui vitupèrent contre l’époque, individus qui savent tout et contestent tout, génies incompris, à l’occasion yuppies bornés [… »

« Ce n’est pas mal de noircir des feuilles sous les masques qui ricanent et dans l’indifférence des gens assis autour de vous. Ce désintérêt indulgent tempère le délire de toute-puissance latent dans l’écriture, qui a la prétention d’ordonner le monde avec des morceaux de papier, et de trancher doctement sur la vie et la mort. Ainsi la plume se trempe-t-elle, qu’on le veuille ou non, dans une encre mêlée d’un peu de modestie et d’ironie. Le café est un des lieux de l’écriture. On y est seul, avec du papier, un stylo et deux ou trois livres au maximum, agrippé à sa table comme un naufragé assailli par les vagues. »
Valcellina : petite vallée isolée « parmi les plus pauvres de la partie la plus pauvre du Frioul », lieu originel où l’on revient chaque année pour la fusina, « la fête des premiers épis de maïs » :
« …] c’est une certitude indiscutable, un événement dont le retour régulier obéit à une nécessité intangible, autour de laquelle le temps s’enroule et tourne comme la terre autour de son axe. »
Mais il y a un risque de repli chauviniste :
« Toute identité comporte aussi quelque chose d’affreux, puisque pour exister elle doit tracer une frontière et repousser celui qui se trouve de l’autre côté. »

« Il existe des gens qui savent être attentifs aux valeurs d’un lieu sans se laisser contaminer par cette infatuation viscérale pour son clocher qui rend aujourd’hui si obtuse et si régressive la redécouverte des identités et des ethnies, dans toute l’Italie, pour ne pas dire dans toute l’Europe, et donc aussi dans le Frioul comme à Trieste, où l’on se sent souvent étouffé par la frioulanité et la triestinité. »
Paludes : frontières dans l’espace, le temps et les cultures, avec des approfondissements sur l’Histoire, dont irrédentisme (fin XIXe, revendication de l'unification politique des territoires de langue italienne), et les grands personnages, de l’extranéité de Médée à l’« hybris totalisante » de Francesco de Grisogono, en rappelant…
« …] la tragique dissension, inhérente à cette révolution comme à toutes les autres : nées pour éliminer la violence, elles doivent pour y parvenir s’y livrer à leur tour ou bien, si elles répugnent à le faire, comme à Cattaro, elles sont réprimées. »
Monte Nevoso : ses forêts, et l’histoire de l’ours.
« Beaucoup de filouteries et de prévarications brutales naissent quand on fait de la marmelade avec la grammaire et la syntaxe, quand on met le sujet à l’accusatif et le complément d’objet au nominatif, brouillant ainsi les cartes, intervertissant les rôles des victimes et des coupables, altérant l’ordre des choses, attribuant des faits à d’autres causes ou à d’autres auteurs qu’à ceux qui en sont effectivement responsables, abolissant les distinctions et les hiérarchies dans l’imposture d’une copulation collective effrénée de concepts et de sentiments, corrompant la vérité. »
Colline : Piémont.
« Si l’identité est le produit d’une volonté, elle est la négation d’elle-même, puisqu’elle est le geste de quelqu’un qui veut être ce qu’à l’évidence il n’est pas et donc veut être différent de lui-même, se dénaturer, se métisser. »
Absyrtides : archipel de la côte adriatique devenue croate.
« Une euthanasie anonyme, lente et sûre, faisait le nécessaire pour l’ex-héros, désormais inutile. En regardant ce vieillard, qui avait défié une armée et ne parvenait plus à se raser, on comprenait qu’il est inévitable d’oublier qu’on a été des dieux. »
Antholz : « dans la Stube [pièce commune] de l’hôtel Herberhof, à Antholz Mittertal », au Tyrol, « Vendée du monde germanique ».
« Cependant la Mitteleuropa est catholique et juive et quand l’un de ces deux éléments vient à manquer elle est bancale ; dans les montagnes du Tyrol allemand il manque la composante juive, cette symbiose de mélancolie errante et de vitalité irréductible qui rend picaresque la majesté de l’empire et du monde et mêle à la solennité de l’encens l’âcre odeur de la ruelle.
Les Allemands sans les Juifs sont un corps auquel il manque une substance vitale ; les Juifs se suffisent davantage à eux-mêmes, mais dans tout Juif ou presque il y a quelque chose d’allemand. Toute pureté ethnique conduit au rachitisme et au goitre. Le nazisme, comme toute barbarie, a aussi été imbécile et autodestructif en exterminant des millions de Juifs ; il a amputé la civilisation allemande et détruit, peut-être pour toujours, cette Mitteleuropa-là. »

« Raconter, c’est entrer en guerre contre l’oubli et être de connivence avec lui ; si la mort n’existait pas, peut-être que personne ne raconterait. »

« Les annales d’Antholz sont de la grande histoire parce qu’elles parlent de l’espèce plus que des individus ou des peuples, et que l’espèce inclut le paysage tout entier dans lequel elle évolue. »

« …] ce drame de l’histoire moderne qui oppose Charybde et Scylla, violence particulariste et violence uniformisante : pat non résolu qui continue à piéger l’Europe et explique tant de modernisations centralistes monstrueuses et tant de régressions viscérales barbares. »

« Il n’y a pas que le temps qui soit élastique, l’espace l’est aussi, il s’élargit et se resserre en fonction de ce qu’il contient, parce que c’est du temps solidifié, comme l’existence des gens. »
Funérailles :
« La mort ne dénoue pas, elle assemble au contraire ; c’est un rite de la cohésion sociale, une force centripète. Un homme qui meurt est une petite étoile qui entre en collapsus en acquérant masse et densité et en attirant autour d’elle les autres corps de la société. »
Jardin public : à Trieste.

La voûte : curieuse reprise onirique et autobiographique de certains passages précédents, dans l’église du Sacré-Cœur de Trieste.

Dans la prolongation de Danube, ce livre de méditations sur et dans neuf lieux particuliers de l’espace, du temps et des cultures humaines, n’est jamais loin de la Mitteleuropa comme de l’Italie. La plupart de ce qu’il évoque m’est étranger, et cette étrangeté semble ajouter au charme de la lecture.

Mots-clés : #historique #identite

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Message par Bédoulène Jeu 11 Juin - 6:52

c'est très tentant, je me laisserais volontiers convaincre dès que je récupère de la vigueur de lecture

merci Tristram

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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Message par Tristram Lun 28 Sep - 22:11

Classé sans suite

antisémitisme - Claudio Magris Classz10

Luisa Brooks, fille d’un soldat noir américain et petite fille d’une juive passée par le four crématoire nazi installé dans une ancienne rizerie triestine, reprend le projet d’un collectionneur d’armes mort dans un incendie :
« Arès pour Irène ou Arcana Belli. Musée total de la Guerre pour l’avènement de la Paix et la désactivation de l’Histoire. »

« Toute exposition – de tableaux, de sculptures, d’objets, d’engins – est une nature morte et les gens qui se pressent dans les salles, en les remplissant et en les vidant comme des ombres, s’entraînent pour leur futur séjour définitif dans le grand Musée de l’humanité, du monde, dans lequel chacun est une nature morte. »[
La mémoire de la Rizerie est occultée pour protéger les familles des collaborateurs, dont le créateur du Musée aurait recopié, dans ses carnets disparus, les noms d’après des graffitis depuis chaulés.
Un livre total, ou de l’importance du big data ?
« Pour comprendre la guerre et donc pour la vaincre, il faut connaître tout ce qui conflue dans la guerre c’est-à-dire tout, les bulletins de salaire, la publicité à la télévision, la courbe des mariages des divorces et des viols, les repas de famille, les contes de grand-mère, la fraternité qui ne se crée que pendant les guerres [… »
Plusieurs biographies sont plus ou moins développées, telle celle du tchécoslovaque Alberto Vojtěch Frič, expert en cactus et ethnographe des Chamacocos (sisi), Indiens du Gran Chaco ; nombre des personnes évoquées (Italiens et Autrichiens notamment) m’est d’ailleurs inconnu.
« Otto Schimek, condamné à mort et exécuté par la Wehrmacht pour avoir refusé de tirer sur des civils polonais. »
Moment fort que ce controversé « martyr antinazi autrichien » ‒ ou simple déserteur :
« Tout ce qui arrive est un faux, l’œuvre d’un copiste. L’univers entier est la copie retouchée de qui sait quel autre monde. »
Martin Pollack est directement impliqué dans la révélation de cette histoire.

Le passé de Luisa est revu en parallèle de l’exposition muséographique du projet auquel elle travaille, et il s’avère peu à peu que son père est Martiniquais, soi du croisement de l’Afrique, l’Amérique (amérindienne) et l’Europe (Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant sont même pris comme références).
Le flot verbal parfois se presse, assez lyrique voire litanique, mêlant surtout éléments bibliques et mitteleuropéens, mais aussi latino-américains.
Une vaste métaphore associe le glioblastome à l’œil, à l’agate et à la guerre tandis que les Allemands, les fascistes, les titistes, les communistes, les Slovènes, les Néo-Zélandais se disputent Trieste à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le collectionneur-notateur serait un certain Carlo Fozzi (en fait le personnage est inspiré de Diego de Henriquez), « Témoin, historien, collectionneur ou maniaque ? », « caricature totalisante du tempérament anal » ; ce syllogomane devient essentiellement recueilleur de noms, jusqu’à la conflagration finale de sa collection-compilation, incendie où il disparaît, en miroir de crématoire.
« …] pourtant c’était le seul four crématoire qui ait existé en Italie et personne, vraiment personne, n’en savait rien, c’est cela qui est tragique, ils étaient parvenus à effacer cette vérité, cette réalité… »

« Mieux, l’acte de disparaître et surtout de faire disparaître est un objet privilégié d’occultation et d’oubli. De refoulement, a dit au procès le docteur Wulz. Effacer l’absence, annuler la personne, la chose qui n’est plus là ; éteindre non seulement le souvenir de celui ou celle qui s’en est allé, mais aussi la conscience qu’il, elle, quelqu’un s’en est allé. Qui n’est plus là encombre, c’est un compte non soldé, un trou dans le mur ; on fait tout alors pour ne pas savoir qu’il n’y est pas, qu’il n’y a jamais été, pour effacer et reboucher ce trou. […]
Le four crématoire est une excellente chirurgie de l’oubli. »

Mots-clés : #antisémitisme #campsconcentration #deuxiemeguerre #historique #mort

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Message par topocl Mar 29 Sep - 7:41

Un peu trop?

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Message par Tristram Mar 29 Sep - 11:30

Pour moi oui : c'est un roman-fleuve, donc assez long, et je me suis surpris à faire la planche et dériver dans le courant, comme tout bon lecteur sait faire...

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Message par topocl Mar 29 Sep - 13:05

Ouaip, ça a du m'arriver aussi pour d'autres livres de cet auteur, jamais finis, en fait.

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Message par Tristram Mar 29 Sep - 13:12

C'est surtout le "roman total", principe génial, mais parfois fastidieux à lire... Et je préfère les errantes divagations de Magris.

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Message par Quasimodo Mar 29 Sep - 14:58

Ça a tout de même de l'allure, vu d'ici !
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Message par Tristram Mar 29 Sep - 16:27

J'ai trop de mal avec les longues séances de natation en ce moment pour être objectif, mais ça parlait quand même trop souvent de personnes dont je n'ai jamais entendu parler (et Wikipédia non plus, ni Google), ou sans rapport évident avec le reste, sans parler d'une théorie fumeuse de l'"inverseur" (la mort, mais encore ?) Ne pas comprendre n'aide pas...

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par bix_229 Mar 29 Sep - 16:35

Magris est un esprit subtil, mais peut etre se laisse t-il griser parfois par ses subtilités.
En tout cas, j'ai eu aussi des problèmes en le lisant, sauf avec Danube, où il suffit
d'accompagner l'auteur.
En tout cas, si vous voulez connaitre un autre aspect de lui et sans longueurs, lisez
Instantanés, des chroniques brèves à partir de faits vus et vécus.
Un peu comme celles de Lobo Antunes.

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Message par Tristram Dim 7 Fév - 0:00

Instantanés

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Comme le titre l’indique, petite collection de brèves, choses vues en voyage, commentaires sur l’actualité, de 1997 à 2016, avec toujours cette mélancolie particulière à Magris le Triestin, qui tient de la métaphysique.
Mais (et sans surprise), j’ai surtout apprécié Un nouvel écrivain : le censeur (2009), qui aborde la réécriture dans les belles-lettres.
« …] au Danemark on a épuré, dans les manuels scolaires je suppose, un conte d’Andersen de son finale chrétien, ou qui comporte en tout cas des éléments chrétiens, pour ne pas froisser les fidèles d’autres religions. Cette démarche, dans sa stupidité timorée, constitue une étape décisive dans l’histoire universelle de la censure. Il s’agit en l’occurrence d’une censure bien intentionnée, mue par le souci de ne pas troubler des minorités culturelles ou religieuses. Mais la censure, dans le fond, repose toujours sur de bonnes intentions : elle veut protéger la moralité, la patrie, la famille, les institutions, l’ordre, la société, le progrès, le peuple, les enfants, la santé. Dans le cas qui nous occupe, on adopte une nouvelle méthode : au lieu de brûler un livre ou d’en interdire la lecture à ses propres fidèles, comme jadis l’Index librorum prohibitorum, on l’adapte à ce qu’on suppose être les exigences des lecteurs, un peu comme dans les "éditions abrégées" pour la jeunesse qui avaient cours quand j’étais enfant ou dans les éditions scolaires des classiques, où les passages scabreux − par exemple, dans l’Odyssée, Ulysse, naufragé sur l’île des Phéaciens, sortant nu de la mer − étaient remplacés par des points de suspension. »

« Dans un pays démocratique, la censure est la même pour tous ; la tolérance répressive − ou la répression au nom de la tolérance − est l’un des sels de la démocratie. »

« Sur la base de cette logique aberrante mais sans faille, la censure devrait se montrer impitoyable surtout envers les textes religieux, particulièrement désagréables pour ceux qui ne partagent pas les convictions qu’ils véhiculent. Dans le Coran, il suffira de retirer toute référence à Allah et à son prophète. »

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Message par Tristram Lun 19 Avr - 0:25

Enquête sur un sabre

antisémitisme - Claudio Magris Enquzo10


Un vieux prêtre se penche en « historien dilettante qui ne reconstruit pas les faits mais leur déformation » sur le sort conjectural de l’Ataman des cosaques Krasnov, général blanc allié des nazis pendant la guerre en Carnie (au nord du Frioul), et romancier. Histoire de guerre et de trahisons, ce bref récit évoque les cavaliers des steppes, aventuriers épris de liberté, et réactionnaires condamnés par l’Histoire.
« Mes journées, te disais-je, sont longues, lentes. Le temps est distendu, il s’écoule calmement et j’ai souvent le sentiment qu’il coule en tournant sur lui-même et retourne sur les rives qu’il a laissées derrière lui. Il me semble que je tourne avec lui et en lui, mais librement, du passé au futur et du futur au passé, dans un présent de toutes les choses. »

« C’est peut-être, comme il arrive parfois, un livre plus intelligent que celui qui l’a écrit, qui ne se rend pas compte de ce qu’il a compris de la vie quand il décrivait un visage ou une soirée : quelque chose d’essentiel, qui lui a glissé de la plume et qu’ensuite il ne sait pas ou ne veut pas reconnaître. »

« Le mensonge est aussi réel que la vérité, il agit sur le monde, il le transforme, il est devant nous, nous pouvons le toucher [… »
J’ai beaucoup aimé, vous l’aimerez peut-être aussi, tout particulièrement si vous prenez plaisir à interroger l’Histoire lorsqu’elle n’est pas simple.

\Mots-clés : #deuxiemeguerre #historique

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Message par Bédoulène Lun 19 Avr - 8:31

merci Tristram, c'est noté


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Message par Tristram Ven 7 Oct - 12:33

Une autre mer

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Enrico est un jeune étudiant en philologie de Gorizia en Autriche-Hongrie qui s’embarque à Trieste pour l’Argentine fin 1909, renonçant au bonheur avec son frère Nino et son ami Carlo, avec qui il pratiquait les philosophes grecs (notamment Platon), Schopenhauer, Ibsen, Tolstoï, Bouddha, Beethoven.
« Ce mélange de peuples et son agonie sont une grande leçon de civilisation et de mort ; une grande leçon de linguistique générale aussi, car la mort est spécialiste en matière de plus-que-parfait et de futur antérieur. »

« Sur ce bateau qui à présent file à travers l’Atlantique, Enrico est-il en train de courir pour courir ou bien pour arriver, pour avoir déjà couru et vécu ? À vrai dire, il reste immobile ; déjà les quelques pas qu’il fait entre sa cabine, le pont et la salle à manger lui semblent inconvenants dans la grande immobilité de la mer, égale et toujours à sa place autour du bateau qui prétend la labourer, alors que l’eau se retire un instant et se referme aussitôt. La terre supporte, maternelle, le soc de charrue qui la fend, mais la mer est un grand rire inaccessible ; rien n’y laisse de trace, les bras qui y nagent ne l’étreignent pas, ils l’éloignent et la perdent, elle ne se donne pas. »
Enrico devient éleveur en Patagonie, toujours en selle ; il est patient, détaché, libre, éprouvant dans l’instant la vie à laquelle il ne demande rien, refusant tout engagement professionnel, politique, sentimental ou familial.
« Une fois il se trouve face à un puma, son cheval s’emballe, il le fouette rageusement et même le mord, l’animal le désarçonne et le piétine ; pendant des mois il pisse du sang, jusqu’à ce que des Indiens lui fassent boire certaines décoctions d’écorces et que ça lui passe. »

« Il y a toujours du vent mais au bout d’un certain temps on apprend à distinguer ses tonalités diverses selon les heures et les saisons, un sifflement qui s’effiloche ou un coup sec comme une toux. Parfois il semble que le vent a des couleurs, il y a le vent jaune d’or entre les haies, le vent noir sur le plateau nu. »

« Enrico tire, le canard sauvage s’abat sur le sol, en un instant le vol héraldique est un déchet jeté par la fenêtre. La loi de la pesanteur est décidément un facteur de gaucherie dans la nature ; il n’y a que les mots qui en soient préservés, entre autres ceux imprimés dans les classiques grecs et latins de la collection Teubner de Leipzig. »
Venu de la mansarde de Nino dans Gorizia à une cabane de l’altiplano, fuyant le vacarme des villes (et la guerre), il correspond avec Carlo (qui est le philosophe Carlo Michelstaedter), jusqu’à ce que celui-ci se suicide après avoir rédigé La persuasion et la rhétorique. Cet essai théorise la persuasion comme « plénitude de l’être en accord avec la vie et l’instant », la rhétorique en tant que « tout ce qui nous fait désirer d’être ailleurs, plus tard, plus fort, tandis qu’irrévocablement s’écoule et s’enfuit notre vie véritable » (Gallimard). Enrico est l’incarnation du « persuadé ».
« Carlo est la conscience sensible du siècle et la mort n’a aucun pouvoir sur la conjugaison du verbe être, seulement sur l’avoir. Enrico a ses troupeaux, son cheval, quelques livres. »

« Carlo parlait de toi, il regardait ta vie comme la seule chose qui mérite de l’estime… ce que Carlo nous a donné tu le fais et le démontres dans chacun des actes de ta vie actuelle et tu ne le sais même pas… »

« Dans ces pages ultimes Carlo le représente comme l’homme libre à qui les choses disent « tu es » et qui jouit uniquement parce que sans rien demander ni craindre, ni la vie ni la mort, il est pleinement vivant toujours et à chaque instant, même au dernier. »

« Les hommes ne sont pas tristes parce qu’ils meurent, a dit Carlo, ils meurent parce qu’ils sont tristes. »

« Dans ces pages il y a la parole définitive, le diagnostic de la maladie qui ronge la civilisation. La persuasion, dit Carlo, c’est la possession au présent de sa propre vie et de sa propre personne, la capacité de vivre pleinement l’instant, sans le sacrifier à quelque chose qui est à venir ou dont on espère la venue prochaine, détruisant ainsi sa vie dans l’attente qu’elle passe le plus vite possible. Mais la civilisation est l’histoire des hommes incapables de vivre dans la persuasion, qui édifient l’énorme muraille de la rhétorique, l’organisation sociale du savoir et de l’agir, pour se cacher à eux-mêmes la vue et la conscience de leur propre vacuité. »
Enrico revient à Gorizia après la Grande Guerre ; l’empire austro-hongrois a éclaté. Il vit à Punta Salvore en Istrie, alors italienne, se marie, est quitté, demeure avec une autre femme. L’Istrie passe du régime fasciste au communisme (puis au titisme) en devenant part de la Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale. Il contemple toujours la mer, songeant à Carlo, de plus en plus hors du temps, à l’écart de la vie ; il montre peu à peu des signes de mesquinerie égoïste, puis meurt.
« Mais il ne peut en être autrement, les mots ne peuvent faire écho qu’à d’autres mots, pas à la vie. »

« …] le plaisir c’est de ne pas dépendre des choses qui ne sont pas absolument nécessaires, et même celles qui le sont doivent être accueillies avec indifférence. »

« Ce sont les esclaves qui ont toujours le mot droit à la bouche, ceux qui sont libres ont des devoirs. »
Magris a mis beaucoup de choses dans ce beau livre, qui m’a ramentu… Yourcenar !

\Mots-clés : #biographie #historique #philosophique #portrait #xxesiecle

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Message par Bédoulène Sam 8 Oct - 17:50

je lirai bientôt Magris, merci Tristram

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