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Alain Damasio

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Message par topocl Mar 30 Juil - 13:54

Les furtifs

amour - Alain Damasio  - Page 2 Proxy196

Tu te sens prêt, Lorca?
– Absolument pas…
– C'est précisément ce que j'appelle être prêt. Cet état d'incertitude fragile, ouverte, qui rend disponible à l'inconnu. Crois-moi Lorca, quoi qu'il arrive, tu vas vivre l'un des moments les plus intenses de ton existence. Reste ouvert.


On est en 2041. Les villes sont privatisées. La Gouvernance, grâce aux technologies numériques, a mis en place une société basée sur le contrôle , Jouant sur la peur et le désir, elle a habilement su la faire accepter au commun des mortels. 
Une nouvelle espèce arrive peu à peu à la connaissance humaine : les furtifs, qui semble à l’origine de tout le vivant. Elle a pu survivre grâce à sa  capacité à se cacher , ne pas laisser de trace, échapper au contrôle, justement. Elle intéresse l’armée de par cette capacité, et le pouvoir de la rébellion qu’elle est susceptible de nourrir. Les furtifs sont des êtres étranges, en métamorphose permanente - empruntant en quelques minutes à différentes espèces animales ou végétales, mais pouvant aussi transmettre à un humain une part d’eux-même. Ils se déplacent avec une vélocité extrême, échappant au regard humain, car ce seul regard peut les tuer. Ils ont à voir avec la fuite, la liberté. Ils s’expriment par sons, mélodies, phrases mi-infantiles mi-sybillines. Et laissent d’obscures glyphe comme seul signe de leur passage.

Tishka, l’enfant mystérieusement disparue de Lorca et Sahar, n’a t ’elle pas rejoint le camp des furtifs ?. Ses parents la recherchent dans une logue enquête,  riche en péripéties, en rencontres parfois ésotériques, en épreuves.

Plus leur enquête avance, plus se lève dans le pays une prise de conscience, d’où émerge un mouvement pro-furtif, réunissant les libertaires, les marginaux, les exclus et ceux qui se sont exclus par choix, grapheurs, musiciens, scientifiques, rebelles en tout genre..., qui va nous mener dans une ZAD à Porquerolles et vers un combat politique et une insurrection finale grandiose.


C’est un formidable roman d’aventure, où le réel infiltre un imaginaire prolifique. Les six personnages-phares, identifiées par leur symboles, sont des figures mythologiques, héros portés par leur grandeur et leurs petitesses, leur singularité, leur folie, leur charisme. Les rebondissements s’enchaînent , mêlant scènes intimes, épisodes guerriers ou quasi magiques, poursuites, amples scènes de foule.

C’est un magnifique roman d’amour autour du trio Varèse, au centre duquel Trishka est l’enfant troublante, qui a pris son envol,  mais n’en aime pas moins ses parents. Ceux-ci l’ont fait naître pour elle-même, respectent son choix, mais voudraient quand même bien la voir grandir, la caresser, l’aimer. C’est d’un pathétique grandiose et sans pathos.

C’est un roman philosophique, sociétal, politique, une grande réflexion sur les outils numériques et les risques qu’ils nous font encourir, si réels, si proches. Une exhortation à s’intéresser à l’autre et le respecter, à s’ouvrir à l’étrange, à s’ancrer dans le vivant. Un hommage aux sens, à la musique et  aux sonorités, au beau, aux valeurs et émotions perdues.

C’est enfin un objet littéraire pharaonique, unique, où on retrouve tout le travail sur la langue, la ponctuation et la typographie qu’on a déjà connu dans La horde du Contrevent, mais magnifié, mûri, amplifié. Damasio est un inventeur de mots fantasque et érudit, un joueur de son assez incroyable, un surdoué du jeu de mots, de lettres, de l’Oulipo. Il multiplie les néologismes, les inversions de sens et de syllabes, les allitérations et les assonances, cela s’accélère dans les temps forts, monte en puissance tout au fil du livre pour créer dans les derniers chapitre, s’insinuant peu à peu,  comme une langue nouvelle, le damasien, issue du français, parfaitement compréhensible mais parfaitement différente, d’une poésie, d’un rythme, d’une tension, d’une mélodie incroyables.

C’est livre géant, titanesque, décapant, totalement enthousiasmant. Il ne faut pas hésiter à s’obstiner à y entrer, c’est une lecture exigeante, qui demande un temps d’habituation (il m’a fallu 200 pages) mais qui devient enchanteresse.

Mots-clés : #amour #aventure #fantastique #insurrection #relationenfantparent #romanchoral #sciencefiction #urbanité #xxesiecle

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Message par Tristram Mar 30 Juil - 14:05

Merci Topocl, ton commentaire n'en dit pas trop, mais rappelle qu'il me faut lire Damasio !

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Message par topocl Mar 30 Juil - 18:02

Tristram a écrit:Merci Topocl, ton commentaire n'en dit pas trop,
Je mettrai 4 lignes la prochaine fois Very Happy !

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Message par Louvaluna Mar 30 Juil - 23:13

topocl a écrit:C’est enfin un objet littéraire pharaonique, unique, où on retrouve tout le travail sur la langue, la ponctuation et la typographie qu’on a déjà connu dans La horde du Contrevent, mais magnifié, mûri, amplifié. Damasio est un inventeur de mots fantasque et érudit, un joueur de son assez incroyable, un surdoué du jeu de mots, de lettres, de l’Oulipo. Il multiplie les néologismes, les inversions de sens et de syllabes, les allitérations et les assonances, cela s’accélère dans les temps forts, monte en puissance tout au fil du livre pour créer dans les derniers chapitre, s’insinuant peu à peu,  comme une langue nouvelle, le damasien, issue du français, parfaitement compréhensible mais parfaitement différente, d’une poésie, d’un rythme, d’une tension, d’une mélodie incroyables.

Non non non, je n'ai pas oublié que je dois lire le dernier Damasio ! Merci Topocl pour ce commentaire hyper enthousiaste ! cheers
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Message par Bédoulène Mer 31 Juil - 7:37

je crois que je commencerai d'abord par la Horde du contrevent car, à priori, suis réticente (c'est sf ?)

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Message par topocl Mer 31 Juil - 11:11

je ne sais pas bien ce que c'est la SF.
C'est un monde projeté dans l'avenir, terrifiant mais fort plausible, avec une bonne part de réalisme qui se confronte à un imaginaire débridé.

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Message par Tristram Mer 31 Juil - 12:36

Topocl a écrit:je ne sais pas bien ce que c'est la SF.
C'est un monde projeté dans l'avenir, terrifiant mais fort plausible, avec une bonne part de réalisme qui se confronte à un imaginaire débridé.
On pourrait parler de dystopie (ou d'anticipation), mais je crois que Topocl a raison : SF est surtout une étiquette péjorative, et d'ailleurs on la retire aux auteurs reconnus malgré elle !

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Message par Bédoulène Mer 31 Juil - 14:15

merci pour vos réponses, suis un peu rassurée et je me dis que si j'ai lu Volodine je peux venir à Damasio.

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Message par topocl Mer 31 Juil - 16:07

Tristram a écrit:
On pourrait parler de dystopie (ou d'anticipation),
Pas sûr, cette société, c'est un truc vers lequel on va direct, pas une invention de Damasio. Qui réserve son imaginaire à beaucoup d'autres choses.

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Message par Tristram Mer 31 Juil - 16:33

Donc je ne suis pas au point pour commenter les livres que je n'ai pas lu ; je vais donc laisser cela aux professionnels.

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Message par topocl Mer 31 Juil - 17:28

Non, mais papoter ça reste bien (et tu as peut-être raison, ceci n'est que mon interprétation que d'autres trouveront aventureuse).

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Message par Tristram Mer 31 Juil - 17:56

OK : on en reparle lorsque je l'aurai lu !

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Message par topocl Mer 31 Juil - 20:09

Ben dépêche si tu veux pas que j'aie tout oublié!

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Message par Tristram Mer 31 Juil - 20:39

Alors tu te relieras ! (Je vais le lire dans l'ordre chrono, Damasio : Contrevent d'abord.)

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Message par topocl Jeu 8 Aoû - 7:43

Une nouvelle de Damasio, pour se donner un avant-goût.

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Message par Tristram Jeu 8 Aoû - 12:26

Oui, bonne recommandation, cet hyphe que j'ai déjà lu : "et ils écouteront les Palarbres bavasser..."

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Message par Tristram Lun 2 Sep - 20:47

La Horde du Contrevent

amour - Alain Damasio  - Page 2 Images77

La Horde, une sorte d’équipe de rugby solidaire, fait face contre le vent. Ode à la ténacité, saga au courage, avec son ton épique ce récit participe surtout du genre heroic fantasy.
Aussi chant du voyage et ouverture au monde, à la découverte :
« ‒ Longtemps je me suis fait de la vie, ainsi que toi Lerdoan, une exigence de parcours. Rien ne fut donc plus précieux pour moi que les voyages puisqu’ils avaient potentiellement cette force : celle de faire jaillir le neuf, le virginal des filles, l’inouï. M’offrir plus que l’univers humain : le Divers ! Pendant des années, je me suis abreuvé de différences. »
Un nouveau monde doit évidemment avoir sa propre langue, et Alain Damasio l’a créée telle que le lecteur s’y retrouve sans trop de difficulté.
« Un instant, je crus que Silamphre délirait, tant la vocifération du schnee occupa à nouveau tout le champ de l’audible. Puis rien, une brève plainte, une mince fibre mélodique, à peine discernable à la frange du sensible, comme sinuant d’un rêve, se dégagea au sein du tronc hurlant. Pas une musique, ni un bruit, encore moins une voix, non, ça montait et descendait en fréquence, mêlé au froissement horrible, l’entrecoupant, y surnageant par instants puis y replongeant. »
Tout un univers conçu autour du vent, régi par la mécanique des fluides, avec pour but l’aérodynamisme, exprimé en marques de ponctuation.
« La notation du vent, qui est en son essence différentielle, n’a rien d’une science exacte, tout le monde le sait. La perception du temps entre les salves, l’ampleur accordée à une turbulence, la distinction entre un décéléré bref avec reprise de salve et une simple turbule, est fine, parfois indécidable. On n’enseigne pas l’exactitude aux scribes comme on le fait aux géomaîtres. On nous apprend une précision éminemment plus dérangeante : l’architecture des écarts – ce sens, si poussé chez les meilleurs, de la syntaxe, qui est pur art rythmique des inflexions et des ruptures. Écrire ensuite, avec des mots, en découle benoîtement, si bien que les cours de récit, l’apprentissage à proprement parler de la narration d’un événement, ne sont dispensés qu’un an plus tard et seulement à ceux qui ont su capter, en son tissage cadencé, le phrasé du vent. »
Tout est donc orienté d’aval en amont, et aussi tourné vers le ciel, verticalité, transcendance, où l’airpailleur tend ses filets et l’oiselier-chasseur lance son gerfaut, où voguent les vélivoles navires. C’est bourré de trouvailles, souvent poétiques, comme « muage » pour nuage, « vélivélo » pour vélo volant (et non pas volé), ou le pharéole, « la sirène éolienne qui guide les vaisseaux par gros temps ». Les principales armes sont le boo (merang) et… l’hélice ! Dans cette civilisation éolienne, le souffle, la parole, le « vortexte » sont centraux, de même que les notions de mouvement, de ligne.
« ‒ L’air, de la même façon, vient évidemment du vent, et non l’inverse ! À la base, l’air est un vent stationnaire. Il faut apprendre à penser que le mouvement est premier : c’est le stable, l’immobilisé qui est second et dérivé. »
L’histoire, comme l’attention du lecteur, est regroupée en périodes, temps forts tels que la traversée du lac, la joute verbale, le volcan de vent, etc.
De beaux personnages, tous représentés par des glyphes : des personnes, mais aussi (et surtout ?) des fonctions dans le groupe. Récit polyphonique, chaque voix a son idiosyncrasie, syntaxe et point de vue particulier. Mais c’est souvent Scribe qui parle (l’auteur ?) ‒ après tout, c’est lui qui tient le « carnet de contre », témoignage adressé d’une horde à ses successeurs. Une autre voix fréquemment entendue est celle de Caracole le troubadour, assez mystérieux conteur, boute-en-train facteur de cohésion dans l’équipe, et variation orale dans la narration.
L’extraordinaire combat (aérien) typique du genre a moins retenu mon attention, malgré d’originales élucubrations post-newtoniennes sur la vitesse (projetée en prévision). Il y a tout un jeu pseudo-scientifique sur les lois physiques entremêlant espace-matière et temps, avec des aperçus à la limite de la métaphysique, aussi abscons que chimériques.
« ‒ À chaque dimension de la vitesse correspond une lenteur ou une fixité propre. À la rapidité s’oppose la pesanteur ; au mouvement s’oppose la répétition ; au vif s’oppose le continu. D’une certaine façon, être vivant ne s’atteint que par ce triple combat : contre les forces de gravité en nous – la paresse, la fatigue, la quête du repos ; contre l’instinct de répétition – le déjà-fait, le connu, le sécurisant ; et enfin contre les séductions du continu – tous les développements durables, le réformisme ou ce goût très fréole de la variation plaisante, du pianotement des écarts autour d’une mélodie amusante. »

« Le solide est un liquide lent… »

« Rythmer, c’est apprendre à plier dans le mouvement, sans le rompre. »
Voici un concept outrepassé de l’âme, longuement étudié, et qui sonne lointainement comme de l’Égypte antique :
« ‒ Le vif est la puissance la plus strictement individuelle de chacun. Il tient du néphèsh, ce vent vital qui circule en nous, qui nous fait ce que nous sommes. Rien ne peut s’y mêler. Il est pur, insécable et automoteur. Il peut seulement se disperser si sa vitesse vient à décliner, il peut s’ajouter à un autre vif, mais pas fusionner… »
En découlent des perceptions originales :
« Chaque être, vous savez, déforme autour de lui l’espace et la durée. Les vents coulis de la tour se sont invaginés, à peine certes, mais ça m’a intrigué. Chacun a sa vitesse d’émotion, son rythme fécal, ses fulgurances. Avec deux décades d’attention ténue, il devient envisageable de sentir sang et eau couler dans les corps qu’on rencontre, l’air incubé et rejeté dans une pièce, de deviner les nœuds, les plexus. J’entends : dans le maillage de l’air. »
Exercice classique depuis Borges, celui de la bibliothèque :
« ‒ La tour d’Ær est faite entièrement de livres, mademoiselle, des fondations jusqu’aux lauzes du toit. Chaque bloc de la paroi est un livre, chaque latte du plancher, chaque surface verticale ou horizontale. C’est la seule bibliothèque du monde qui ne soit faite que de livres. Mais dans leur écrasante majorité, ils n’ont pas de pages. Ils sont gravés sur des briques d’argile ou de gypse, dans le marbre, sur des cubes d’étain, des plaques d’argent et de bronze, des billes de chêne puis insérés dans le mur de la tour. L’architecture du pharéole d’Ær est unique à Alticcio. C’est la seule tour non jointoyée de la cité. Cent dix mètres de pierres sèches. Et vous pourrez retirer n’importe quel bloc, le mur tient. Tous les livres restent consultables. […]
Ce fut là tout le génie du concepteur de la bibliothèque, je pense, un génie qui n’est plus vraiment compris aujourd’hui. Par ce choix de n’accepter que des blocs, il savait que les livres qui lui parviendraient seraient éminemment denses. Il savait que la contrainte de graver lettre par lettre et l’espace exigu favoriseraient une expression contractée à l’extrême, une pensée ramassée, hautement vitale, aphoristique. »
Une dimension humaniste parcourt le roman (parfois un rien grandiloquente ou bisounours) :
« Moins que d’autres, je ne savais si le but de notre vie avait un sens. Mais je savais, plus que quiconque, qu’elle avait une valeur. Par elle-même, directement, hors de toute réussite ou déroute. Cette valeur venait du combat. Elle venait du rapport profondément physique que nous avions au vent. Un corps à corps. »

« Ou fallait-il que j’en conclue, comme me le lança Sov avec un aplomb qui m’agaça, que l’être "en-soi" n’existait pas, qu’il n’y avait que des êtres "pour et parmi les autres", que chaque hordier n’était au fond "que le pli particulier d’une feuille commune", "un nœud dont la corde est fournie par les autres" ? »
Une portée politico-sociétalo-philosophique transparaît, conformément à l’engagement de Damasio (il est plus côté « racleurs » que « Tourangeaux » ‒ roture qu’élite…) :
« "Caste obsolète", j’ai entendu hier. Continuez surtout à penser que nous serons superflus demain face à vos technologies qui s’affinent… »

« Un seul racleur qui réussit suffit à faire croire aux autres qu’ils ont tous leur chance. L’exploitation inepte qu’ils subissent tient parce qu’ils envient ceux qui les exploitent. Les voir flotter là-haut ne les révolte pas : ça les fait rêver ! Et le pire est qu’on leur fait croire que seul l’effort et le mérite les feront dépasser cinquante mètres d’altitude ! Alors ils filtrent, et ils tamisent, et ils raclent le lit du fleuve jusqu’à atteindre ce sentiment de mériter… Mais quand ils l’atteignent, ils comprennent que personne, nulle part, ne peut juger de leur effort, qu’aucun acheteur ne reconnaît la valeur de ce qu’ils font. »
Là, c’est le prince (sic) de la Horde qui parle, puis le scribe qui évoque la basse caste du « Fleuvent » ; les hordeux, eux, ils ont quand même bien du mérite…
Damasio déploie une admirable inventivité dans la description cohérente de choses imaginaires. Le vocabulaire est riche (y compris en néologismes), la syntaxe à l’occasion tordue de façon fort expressive, avec un goût marqué pour les jeux de mots oulipiens. Le style confine parfois au lyrisme baroque :
« Aussi incroyable que ça put paraître, le conte, à peine ébauché, était déjà fini. Ne subsistait qu’un tintamarre vertébral de sons rugis des planches et des lambourdes, sifflés du feu et bramés des mâts, de sons pleins, creux et fluides, de sons de cordages et de discordes, qui, jetés tous ensemble, tohués et bohuant, n’offraient pas la moindre prise à une quelconque eurythmie, fut-elle de hasard – plutôt donnait à entendre, pour une oreille dont le velours n’eut pas été déchiré (et telle fut la mienne) quelque aperçu appropriable du chaos primitif. »
Sans qu’il y ait de vraies longueurs, le livre reste épais, et le lecteur souffre un peu avec la Horde ; perso je me lasse vite quand le vent pause dans les trémolos de vibrants énamourements à peine ados.
Ce roman m’a ramentu tantôt Dune, de Frank Herbert, tantôt Les Aventures d'Arthur Gordon Pym et Une descente dans le Maelstrom, de Poe ; mais peut-être ne s’agit-il que d’impressions, par attraction des étendues désertes… Il y a aussi des rapprochements possibles avec Vian (inventions néologiques), Michaux (monstres) ; la tour-fontaine m’a fait penser à… Rabelais.
Sinon, c’est quand même encore et toujours le panégyrique de la gniaque (même avec des prodiges et du pathos), une brillante réactualisation du parcours initiatique, « cette même doctrine de l’épreuve et de la récompense qui postulait un univers moral, une fin à toute quête […] »

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Message par animal Lun 2 Sep - 20:59

Des tourangeaux là-dedans ? affraid

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Message par Tristram Lun 2 Sep - 21:33

Ouaip, les vilains nobles qui vivent dans les tours _ rien à voir avec les vilains qui vivent dans des barres.

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Message par Bédoulène Mar 3 Sep - 7:11

merci Tristram, ton commentaire, comme toujours, bien argumenté me fait m'interroger, de plus sf, mais topocl l'a commenté aussi....................j'y penserais, je tenterais ?

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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène
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