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Romain Gary

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Message par ArenSor Lun 21 Fév - 14:30

Clair de femme

Romain Gary - Page 5 Clair-10

J’avais déjà lu « Clair de femme », il y a longtemps. Je n’en gardais qu’un vague souvenir et une impression mitigée. Une relecture a confirmé cette impression.
Marie-Anne Arnaud Toulouse me semble avoir donné une bonne définition de l’ouvrage :
«Le roman joue sur la violence des émotions, la grandiloquence des formules, l’extravagance des situations, mais aussi sur la rigueur d’une construction de tragédie presque classique ; les vingt-quatre heures que dure à peu près l’action sont celles de la mort d’une femme pendant que l’homme qui l’aime, et à qui elle a demandé de partir, tente plusieurs fois de fuir sans jamais y parvenir. Gary lui-même souligne l’unité de temps, comme l’art des « contrepoints » qui sous-tend son travail. »
C’est cette grandiloquence qui alterne entre chant lyrique et aphorismes généraux qui m’a le plus gêné. Je l’ai trouvée parfois peu adaptée au sujet.  Dans le contexte, je me serais volontiers passé de phrases telles que :
« Il fallut encore traverser le désert où chaque vêtement qui tombe, rompt, éloigne et brutalise, où les regards se fuient pour éviter une nudité qui n’est pas seulement celle des corps, et où le silence accumule ses pierres. »
En résumé, un peu de retenue, une approche plus allusive auraient, je pense, donné plus de force au récit.
Ceci dit, il y a de très belles choses dans « Clair de femme ». Je retiendrais plus particulièrement deux scènes :
La première a lieu dans un cabaret minable, le Clapsy’s, où le señor Galba présente un numéro de dressage de chiens savants au cours duquel un chimpanzé danse le paso doble avec un caniche rose :
« Le paso doble retentit, le chimpanzé se dirigea vers le caniche rose assis parmi les autres caniches et l’invita à danser. Le caniche rose descendit de sa chaise, se dandina un instant sur ses pattes de derrière, le chimpanzé le saisit par la taille et j’avalais très vite deux fines l’une après l’autre, parce que la vue d’un chimpanzé velu et noir et d’un caniche rose dansant le paso doble « El Fuego de Andalousia » me parut d’une irréfutable et cynique dérision. »
La seconde scène se situe dans les beaux quartiers lors d’une fête d’anniversaire réunissant juifs et russes exilés. Le bénéficiaire, en est éloigné, et pour cause, il est atteint d’aphasie et débite des mots sans cohérence.
Ces deux évènements métaphoriques offrent l’occasion à Romain Gary de déployer ce mélange de burlesque, de désespoir, de cynisme, et malgré tout de tendresse, qui sont sa marque originale.
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Message par topocl Lun 21 Fév - 15:51

Merci, Arensor, je suis soulagée de ne pas être la seule à émettre des réserves Very Happy .

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Message par Tristram Lun 21 Fév - 16:12

Le pathétique passe mal de nos jours, peut-être les circonstances dans lesquelles je l'ai lu ont joué en sa faveur.
Art difficile, sur la corde raide qui s'amollit, plus facile de donner dans le rigolo (encore que).
On en revient toujours à la part du lecteur, sa crédulité ou mieux son acceptation...
"le silence qui accumule ses pierres", c'est pourtant assez joli...

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Message par topocl Lun 21 Fév - 16:55

Tristram a écrit:Le pathétique passe mal de nos jours, peut-être les circonstances dans lesquelles je l'ai lu ont joué en sa faveur.
On va te pardonner, alors.

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Message par Nadine Lun 21 Fév - 21:29

De mon côté je n'aurai pas le livre avant mi mars sous la main.
Merci pour vos retours.

L'extrait choisi , Arensor, sur le depiautage de fringues avant l'assaut des corps tristes n est pas si mal, mais je vois quand même ce que tu veux dire, c'est lyrique quoi, Tristam nous avait prévenus, au demeurant.
Je pense que je vais avoir du mal, je ferais bien d'attendre un peu le bon moment . Déjà, récuperer le livre objet. Et puis je vous lirai aussi, d'ici là.
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Message par ArenSor Dim 6 Mar - 20:16

Clair de femme
Costa-Gavras
1979
Romain Gary - Page 5 Gavras10

Le film est une adaptation fidèle du roman de Gary qui en était, par ailleurs très satisfait. Toutefois, il ne jouit pas d’une très bonne presse dans le milieu de la cinéphilie, jugé trop scolaire, académique… malgré la présence de deux acteurs de premier plan : Romy Schneider et Yves Montand.
Pour ma part, j’ai plutôt apprécié. Le film a les qualités et défauts de la fidélité au texte. Il manque probablement d’un grain de folie dans les scènes de cabaret avec le numéro du señor Galba et ses chiens  ainsi que dans celle de la fête d’anniversaire chez les russes exilés (dans le livre le caractère onirique de ces scènes correspond à la vision d’un individu passablement imbibé d’alcool). En revanche, j’ai trouvé que les dialogues entre les deux partenaires, plus sobres, débarrassés du lyrisme parfois ampoulé de l’auteur, gagnaient en intensité et en sincérité, ils « sonnent » plus vrais. Le cinéaste met bien en valeur l’autodérision et l’ironie du désespoir de Michel.
Romain Gary - Page 5 Clair_10
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Message par Nadine Lun 7 Mar - 23:52

J'ai chopé Clair de Femme. Je finis mon Stephen King et je m'y mets. Romain Gary - Page 5 1252659054
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Message par Nadine Ven 11 Mar - 11:01

Je suis à la moitié de Clair de Femmes, je ne crèe pas de fil LC, puisque nous sommes tous en décalé autant commenter ici directement.
Pour l'heure, je suis frappée par un truc : je vois Gary lorsque je lis le texte. le personnage narrateur lui va comme un gant, j'entends la voix de Gary qui se prête si bien au ton et cynisme paumé de Michel, mais voilà que le dresseur de chiens a aussi son ton. C'est destabilisant. Le personnage public de l'écrivain , si charismatique, ne s'en détache pas. je suis sujette à entendre en sous-plan , le timbre des auteurs en cours de lecture, mais là c'est le casting , carrément. Je pense que cette distanciation habitée est aussi favorisée par le petit groupe que vous formez dans mon mental, penché sur notre discussion commune autour du livre, et de l'émotion que Tristam a partagé, initiant ces vérifications féroces ou mitigées.
Premiere remarque, donc, après ce préambule qui en est déjà une, le personnage de Galba est très frappant. Et  j'entends, donc Gary en sous-texte.

Seconde remarque , et pas certaine de l'avoir lu plus haut dans vos impressions, frappée par le caractère du personnage de Michel, mise en scène très marquée d'une démission, passivité fataliste, traversée de souffrance et complaisance masochiste. Reste que si l'on imagine la situation réelle de cette compagne qui se suicide en parallèle, l'implosion et le caractère surréaliste auquels est confronté Michel sont extrèmement bien suggérés. On ne ferait guère mieux que lui pour endurer ça. Seulement avec moins de morgue sans doute. Mais précisément n'est pas Gary qui veut.
Poseur, il squatte et insiste, et je ne peux m'empêcher de penser à des personnes que j'aurai croisé dans ma vie, très riches d'égo, mettant en scène leur courtisanerie comme un écrin à leur panache, et se drapant, en effet , de leur souffrance. Je dois dire que je les fuyais. Lydia ne fuit pas. Elle le désire, se le cache, et vit, elle, non synchrone, une autre sorte de fuite en avant. Elle rencontre un personnage. Et il ne se départ pas de son personnage. Pour l'instant.

Le style de Gary est très maitrisé,et ses personnages sont inscrits dans un champ très particulier des drames humains.
Il parle vrai, c'est certain. j'ai plaisir à lire pour l'instant, mais n'aime pas. Ce qu'on ne me demande pas, au fond, sans doute.
Je ne suis pas tellement touchée pour l'instant, parce que le tableau de ce personnage de Michel est une aporie grandiose, en cela il me semble que la litterature critique aura assez appuyé sur ce point de vue si particulier de Gary, qui aura magistralement dépeint ces formes de prise d'otage , par la mère, et donc ici , aussi, par l'amant. Je ne pourrais nier que cela soit très efficacement transmis. Pour moi pour l'instant, ce n'est pas un chant d'amour, ni à la femme, ni au couple, c'est un tableau, plutôt, chirurgical, des grandes impuissances qui s'agrippent au panache existenciel ? Un truc comme ça.
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Message par Nadine Ven 11 Mar - 11:11

Quand tu parles de Spartacus, Tristam, c'est très beau.
C'est pas faux.
(Mais j'ai pas le même transfert sur Michel, donc ça limite mon émotion).
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Message par Tristram Ven 11 Mar - 12:13

Merci Nadine pour tout point de vue (le nom de Spartacus apparaît trois fois dans le roman, dans la bouche de Michel qui "grince").

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Message par Nadine Ven 11 Mar - 12:26

Ah ouais, pas remarqué, mais je ne connais pas le referent et ce que ça convoque, je pense que c est pour ça, ta remarque l'éclaire.
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Message par Tristram Ven 11 Mar - 12:55

Grosso modo, Spartacus est un chef d'esclaves rebellés dans l'antiquité romaine, devenu depuis une figure symbolique de libérateur de l'humanité (voir Koestler par exemple).

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Message par ArenSor Dim 13 Mar - 20:58

Tes impressions sont très intéressantes Nadine. Tu insistes sur l'ego de Michel. Effectivement, le personnage fait un peu le vide autour de lui, il n'y en a que pour lui, sa douleur, sa désespérance. Peut-être ce qui m'a gêné ?
J'ai été très sensible aussi à ce personnage du señor Galba, ainsi que le mari de Lydia et sa mère.
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Message par Nadine Dim 13 Mar - 22:34

Attention je divulgâche :
J ai presque fini le livre, et depuis mon dernier point,  le personnage de Lydia proteste précisément sur ces plans de prise d'otage. C'est Gary qui tient la plume, cet ecrivain est grandiose, aussi c'est une bonne chose que ces traits ne lui échappent pas. Il les intègre dans la balance. Du coup, je ne sens pas encore quelle "thèse" sous-jacente préside à sa rédaction, mais Lydia même apparait soudain un peu désidéalisée, je pense au passage où elle exprime les raisons de désamour pour son mari, qui sont écrites d'une manière agaçante à mes yeux. Elle convient de cela, espère que son soliloque aura diverti Michel. Michel est en alcoolémie maximale, à ce moment là, mais l'omniscience narrative , elle, continue d'être puissante. j'ai l'impression que Gary a balancé d'énormes désenchantements et cruautés dans ce texte, avec une pointe de cynisme par dessus. Tristam, je ne sais pas si toi tu trouves que j ai une lecture trop partisane sur la question des bons sentiments ? En interview Gary défend l'idée que c'est un hommage fort à la notion de couple, mais pas selon moi à la manière dont on l'entend usuellement, c'est vraiment lié à l'incarnation fonctionnelle à travers l'autre qu'il le développe. Et avec cet égo , oui, que je trouve fascinant, mais très prévisible, chiant, bien que charismatique, de ce que j'en sais dans la vie réelle en général. (D'ailleurs, Montand tient la route , dans le film ?) Cela, encore, me fais penser à des "choses vraies", c'est ronflant mais on a vécu, tous, ces brèches, des egos mal ficelés, on en a vu, on l'a été, perdus, c'est tout de même un livre qui traduit quelque chose.
Arrive alors un coup de fil de Galba qui parle de son chien comme doublon parfait du duo Michel/lydia. C'est une mise en exergue et abîme perverse et brillante.. Je n'aime pas les tons de ce livre décidément mais il est très bien fait.
Je veux finir le texte, et je recopierai ce dialogue téléphonique.
Il est très puissant.
Je ne regrette pas d'avoir lancé cette lecture. (Et je n'aime pas. ça ne laisse pas indifférent pour le moins)
Gary a une intelligence certaine. Seulement il ne va pas m'embobiner, j'attends la fin. What a Face
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Message par ArenSor Mer 3 Aoû - 16:28

L'Angoisse du roi Salomon (Emile Ajar)

Romain Gary - Page 5 L-ango10

Jean, surnommé familièrement  « Jeannot lapin », ce qu’il  n’apprécie que modérément, est chauffeur de taxi à Paris.  Lors d’une de ses tournées, il prend en charge un certain Salomon, ancien « roi du pantalon » qui a fait fortune dans le Sentier et qui, l’âge venu, a fondé un centre SOS bénévole.
« Je ne savais pas que monsieur Salomon ne pouvait pas souffrir l’oubli, les oubliés, les gens qui ont vécu et aimé et qui sont passés sans laisser de traces, qui ont été quelqu’un et qui sont devenus rien et poussière, les ci-devant, comme je sais maintenant qu’il les appelait. »

Il y a également comme protagoniste Cora Lamenaire, ancienne chanteuse réaliste ayant connu son heure de gloire dans les années Trente et qui a sombré dans un oubli total. Et pour cause, elle est tombé amoureuse d’un jeune bistrotier, figure majeure de la Collaboration. Pendant ces années sombres, Salomon, qui était amoureux de Cora, a vécu dans une cave. Après guerre, il ressent une forte animosité contre Cora qui n’est jamais venu lui rendre visite dans sa  cache. Celle-ci riposte en faisant remarquer qu’elle ne l’a pas dénoncé…
Parlons un peu de Jean, réparateur autant que chauffeur, il peut vous bricoler une installation électrique ou de la plomberie, d’un tour de main. Soucieux d’apprendre, il fréquente assidument, comme notre ami Tristram, les dictionnaires :
« Je suis fana des dictionnaires. C’est le seul endroit au monde où tout est expliqué et où ils ont la tranquillité d’esprit. Ils sont complètement sûrs de tout, là-dedans»

« Chuck dit que je suis le douanier Rousseau du vocabulaire, et c’est vrai que je fouille les mots comme un douanier pour voir s’ils n’ont pas quelque chose de caché. »

« Laissez la langue française tranquille, Jeannot. N’essayer pas de la sauter, elle aussi. Vous ne lui ferez pas d’enfant dans le dos, je vous assure. Les plus grands écrivains ont essayé, vous savez, et ils sont tous morts, comme les derniers des analphabètes. Il n’y a pas moyen de passer au travers. La grammaire est impitoyable et la ponctuation aussi. »

Jeannot manie allègrement les concepts philosophiques :
« Le stoïcisme, vous savez, c’est quand on ne veut plus souffrir. On ne veut plus croire, on ne veut plus aimer, on ne veut plus s’attacher. »

« Le stoïcisme, c’est quand on a tellement peur de tout perdre qu’on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur. C’est ce qu’on appelle l’angoisse, mademoiselle Cora, plus connue comme pétoche. »

« J’ai toujours voulu être un salaud qui s’en fout sur toute la ligne et quand vous n’êtes pas un salaud c’est là que vous vous sentez un salaud, parce que les vrais salauds ne sentent rien du tout. Ce qui fait que la seule façon de ne pas se sentir un salaud c’est d’être un salaud. »
Pour Cora, Jean à une « gueule », type Gabin ou Ventura, qui devrait lui ouvrir les portes de la renommée dans le cinéma ou la chanson
« C’est quand même curieux le nombre de mecs qui ne peuvent pas me blairer dès le premier coup d’œil. C’est sans doute  dû à ma réussite visuelle. Je me mets toujours en garde derrière un sourire du genre à main armée. »

Le problème est que Cora vit sur des conceptions vieilles de plusieurs décennies. N’empêche, Jean est son « type » d’homme et malgré la différence d’âge elle en tombe amoureuse.
Jean répond à cet attachement, mais plus par pitié, sollicitude envers les êtres en détresse :
« - De la pitié, vous voulez dire ?
- Non, pas du tout. De la pitié. C’est ce qu’on appelait le respect humain, jadis. »

« Je suis pour la protection des espèces dans leur ensemble, car c’est ce qui manque le plus. »

En réalité Jeannot tombe amoureux de la libraire qu’il visite régulièrement pour consulter les derniers arrivages de dictionnaires. Son attachement est payé de retour. Son but va être de réconcilier monsieur Salomon et Cora.
« … lorsque les choses s’arrangent, j’en ai de l’angoisse, je me demande toujours ce que l’avenir a en tête. »

Comme toujours chez Gary, ce profond humanisme et cet attachement aux blessés de la vie. Le thème de la vieillesse, de la mort, sont ici dominants.
Tout au plus pourrait-on reprocher une impression de déjà vu/lu due au style d’écriture bien particulier de la série Ajar. Peut-être ce pseudonyme était-il arrivé en bout de course ?
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Message par Tristram Ven 9 Sep - 12:57

Les Cerfs-volants

Romain Gary - Page 5 Les_ce10

Roman dédicacé À la mémoire.
Ludovic raconte son enfance avec son oncle et tuteur, Ambroise Fleury, le « facteur timbré » de Cléry, passionné de cerfs-volants et pacifiste convaincu, jusqu’à sa première rencontre avec Lila, Élisabeth de Bronicka, une fillette polonaise. Lui est doté d’une mémoire exceptionnelle, et l’attend quatre ans avant qu’elle ne revienne en vacances dans sa Normandie native. Nous sommes à la fin de l’entre-deux-guerres, la France ne s’inquiète guère des montées fascistes en Europe et ne croit pas à la Seconde, tandis que Ludo rend visite à Lila dans son pays.
De retour, Ludo est comptable au Clos Joli, restaurant trois étoiles de Marcellin Duprat, puis monte à Paris et rencontre Mme Julie Espinoza, vieille maquerelle juive se préparant à l’occupation allemande – rompue à la survie, elle organise un réseau de résistance.
Puis c’est l’Occupation, puis la Résistance, la France qui ne capitule pas. Ludo en est, toujours avec son amour inguérissable, entretenant la mémoire de Lila, dont il n’a pas de nouvelle dans la Pologne dévastée ; Duprat résiste à son étrange manière, Mme Espinoza est devenue madame Esterhazy. Gary fait valoir la fantaisie, la « folie », la « déraison » à conserver sous l’empire nazi.
« Je ne savais pas encore que d’autres Français commençaient à vivre comme moi de mémoire, et que ce qui n’était pas là et semblait avoir disparu à tout jamais pouvait demeurer vivant et présent avec tant de force. »
Les personnages sont excellemment campés, que ce soit le « facteur timbré », d’une famille de « victimes de l’enseignement public obligatoire », ou Stanislas de Bronicki, aristocrate (il est beaucoup question d’esprit de caste) et « financier de génie », joueur toujours au bord de la ruine et père de Lila, ou encore celle-ci, surtout occupée à « rêver d’elle-même ».
« – Je peux encore tout rater, disait Lila, je suis assez jeune pour ça. Quand on vieillit, on a de moins en moins de chances de tout rater parce qu’on n’a plus le temps, et on peut vivre tranquillement en se contentant de ce qu’on a raté déjà. C’est ce qu’on entend par "paix de l’esprit". Mais quand on n’a que seize ans et qu’on peut encore tout tenter et ne rien réussir, c’est ce qu’on appelle en général "avoir de l’avenir"… »
Ludo retrouve Lila, qui a survécu avec les siens, les entretenant par des liaisons vénales (comme sa mère auparavant) ; puis il s’avère qu’elle fait partie d’un complot contre Hitler (elle sera tondue à la Libération).
Ambroise fait voler des cerfs-volants en forme d’étoile jaune en signe de protestation contre la rafle du Vél d'Hiv, et sera déporté.
« Je permettais à Patapouf de dormir avec moi, car au sol, un cerf-volant a besoin de beaucoup d’amitié ; il perd forme et vie à ras de terre et se désole facilement. Il lui faut de la hauteur, de l’air libre et beaucoup de ciel autour pour s’épanouir dans toute sa beauté. »

« Il [Ambroise Fleury] se méfie des grands élans et il trouve que les hommes doivent tenir même leurs plus nobles idées au bout d’une solide ficelle. Sans ça, selon lui, des millions de vies humaines vont se perdre dans ce qu’il appelle "la poursuite du bleu" [celui du ciel, où se perdent les cerfs-volants]. »

« Le comique a une grande vertu : c’est un lieu sûr où le sérieux peut se réfugier et survivre. »

« Tout incroyant que j’étais, je pensais à Dieu souvent, car c’était un temps où, plus que jamais, l’homme avait besoin de toutes ses plus belles œuvres. »

« Et si le nazisme n’était pas une monstruosité inhumaine ? S’il était humain ? S’il était un aveu, une vérité cachée, refoulée, camouflée, niée, tapie au fond de nous-mêmes, mais qui finit toujours par resurgir ? »

« Le cerf-volant demande beaucoup d’innocence. »
Évidemment, les cerfs-volants c’est la liberté, Ludo un engagement à se souvenir, et Lila c’est la France (entr’autres) ; tout cela est un peu daté, a un petit côté "ancien combattant" (ce que fut Gary) – mais on oublie si vite.

\Mots-clés : #antisémitisme #deuxiemeguerre #devoirdememoire

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Message par Bédoulène Sam 10 Sep - 20:29

peut-être plus tard

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène
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Message par Louvaluna Sam 15 Oct - 13:54

Clair de femme

Romain Gary - Page 5 Gary11

Hormis l’éloge du couple idyllique en fin d’ouvrage, qui m’a semblé fort théorique, j’ai lu Clair de femme comme une tragi-comédie, où le désespoir semble repeindre l’existence des survivants avec encore plus de couleurs. Dans toutes les teintes offertes par la palette, des plus sombres aux plus éclatantes. Cela m’a rappelé un film récemment vu au cinéma, Tout le monde aime Jeanne, où la réalisatrice Céline Devaux traite le désespoir, la dépression et le deuil avec beaucoup de fantaisie, un humour décalé et plutôt insolent.

D’après ma réception de Clair de femme, le passage le plus drôle et le plus puissant à la fois n’est autre que ce dialogue épique entre le narrateur et le mari atteint d’aphasie jargonnante. J’ai ici beaucoup pensé au livre Rupture(s), de la philosophe Claire Marin, ce moment où elle évoque le double drame de la maladie, quand notre proche nous paraît autre, que la relation est sens dessus dessous face à tant d’inconnu, nos sentiments semblant soudain hors contexte, surtout quand cela s’annonce irréversible, que la personne finit par devenir absente à elle-même, avec l’impossibilité croissante de maintenir un lien affectif… Sauf en renonçant au lien d’avant pour le réinventer ? Abandonner les mots pour communiquer uniquement avec des gestes doux ? Ou parler comme on berce un enfant ? Pour réchauffer, envelopper, rassurer. De manière tout à fait désintéressée, sans attente ni pression. Libérer le lien affectif de cette affreuse dimension d’investissement, où la relation fait office de banque et l’être aimé de vache à lait. Et dans l’une des pires épreuves de la vie, le verre apparaîtrait donc presque à moitié plein ? Dur. Il faut certainement beaucoup de force et de sécurité intérieure pour réussir à le voir ainsi.

Mais pour en revenir au roman de Gary, les dialogues sont particulièrement savoureux, ça rebondit sans cesse, ça pirouette, ça retombe sur ses pattes. L’auteur rend chaque personnage charismatique, qu’il les fasse s’exprimer directement ou indirectement. Les descriptions, les ambiances, tout s’impose à l’esprit avec force et précision. Une réelle qualité de ce récit, car il n’y a rien de pire qu’une plume poussive pour évoquer les passages les plus éprouvants de l’existence.
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Message par Bédoulène Sam 15 Oct - 14:22

merci Louvaluna !

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Message par Tristram Jeu 15 Déc - 12:12

Éducation européenne

Romain Gary - Page 5 Zoduca10

À l’époque de la bataille de Stalingrad, Janek et son père le docteur Twardowski aménagent une cache pour le premier dans la forêt polonaise (de l’époque, non loin de Wilno, l'actuelle Vilnius, ville de naissance de Gary), afin qu’il échappe aux Allemands. La division S.S. « Das Reich » sévit dans la région, retenant les femmes dans la résidence d'été des comtes Pulacki pour en abuser et ainsi attirer les partisans qui se ruent là pour être abattus.
« Si vous voulez obtenir d'eux quelque chose, si vous voulez les impressionner, il faut leur dire : « Schmutzig, schmutzig » – ça veut dire « sale ». La saleté, c'est une chose qu'ils ne peuvent pas supporter. »

« C'est bien du sentiment, avait conclu Czerw, avec indignation. Ce n'est pas comme ça qu'on doit se battre. On doit se battre à froid, après avoir bien calculé son coup. Il faut choisir son moment – il ne s'agit pas de se laisser aller au désespoir, et de se faire tuer héroïquement. Moi aussi, l'idée de ces pauvres filles, ça me rendait fou, je n'ai pas fermé l'œil la nuit, j'en crevais. Mais se faire tuer comme ça, c'est seulement se soulager. C'est presque se faire plaisir. Ce qu'il faut faire, c'est tenir et vaincre. Il faut gagner la guerre, pendre les salopards, et construire une société où des choses comme ça, ça ne se verra plus jamais. »
Les étudiants luttent contre l’Allemagne, pour l’Europe ; parmi eux, Adam Dobranski écrit Éducation européenne.
« On peut me dire tant qu'on voudra que la liberté, la dignité, l'honneur d'être un homme, tout ça, enfin, c'est seulement un conte de nourrice, un conte de fées pour lequel on se fait tuer. La vérité, c'est qu'il y a des moments dans l'histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l'homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d'une cachette, d'un refuge. Ce refuge, parfois, c'est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre. Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu'en l'ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu'ils sachent qu'on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu'on n'a pas pu nous forcer à désespérer. Il n'y a pas d'art désespéré – le désespoir, c'est seulement un manque de talent. »

« Le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des autres. Les Russes, les Américains, tout ça... Il y a une grande fraternité qui se prépare dans le monde, les Allemands nous auront valu au moins ça... »
Des extraits du livre d’Adam sont enchâssés, de divers genres dont le grotesque et le macabre.
Janek tombe amoureux (et réciproquement) de Zosia, une jeune prostituée qui renseigne la Résistance. Hiver terrible, et même les patates manquent.
Le mythique Partisan Nadejda galvanise les troupes.
« Lorsqu'ils affirment que rien d'important ne meurt jamais, tout ce que cela veut dire, c'est qu'un homme est mort, ou qu'on est sur le point d'être tué. […]
Cette éducation européenne dont il parlait si moqueusement, c'est lorsqu'ils fusillent votre père, ou lorsque toi-même tu tues quelqu'un au nom de quelque chose d'important, ou lorsque tu crèves de faim, ou lorsque tu rases une ville. Je te dis, on a été à la bonne école, toi et moi, on a vraiment été éduqués. »
Premier roman de Gary, portant sur la Seconde Guerre mondiale et édité dès 1945, c’est un peu simpliste et non dénué de pathos, mais cette vision de l'Union européenne avant la lettre me semble apporter des réflexions sur son état actuel.

\Mots-clés : #deuxiemeguerre

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