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Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Edmond Jabès

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Message par ArenSor Jeu 11 Oct - 19:01

Edmond Jabès
(Le Caire 1912 – Paris 1991)

Edmond Jabès Portra12

Ecrivain de langue française né en Égypte, dans une famille juive francophone, Edmond Jabès est d’abord un passeur de culture et de mémoire entre les rives de la Méditerranée. Il est aussi, comme l’écrivait René Char, l’auteur d’une œuvre « dont on ne voit pas d’égal en notre temps».

Marqué dans sa jeunesse par la disparition prématurée de sa sœur, il publie dès 1929 diverses plaquettes de poésie et fonde avec Georges Henein les éditions à orientation surréaliste « La Part du sable ». Il se lie d'amitié avec Albert Cossery et Andrée Chédid, deux compatriotes au destin similaire.

En 1935, il rencontre Max Jacob, auquel le lie une correspondance, puis se rapproche de Paul Éluard qui fait connaître ses premières œuvres. Au fil des années, il se lie avec André Gide, Henri Michaux, Philippe Soupault, et Roger Caillois, puis, après son arrivée en France, avec Michel Leiris, Paul Celan, Jacques Dupin, Louis-René des Forêts, Michel de Certeau, Jean Starobinski, Yves Bonnefoy et Emmanuel Levinas.

Edmond Jabès a également été lié à plusieurs artistes comme le musicien Luigi Nono, le peintre Zoran Music ou le sculpteur Goudji. Il a fait des livres en étroite collaboration avec des peintres tels qu'Antoni Tapiès ou Olivier Debré.

Marqué au plus vif par l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, il collabore, à partir de 1945, à plusieurs revues dont « La Nouvelle Revue française ». Il est amené à quitter son Égypte natale en 1956 lors de la crise du canal de Suez, en raison de ses origines juives. Cette expérience douloureuse du déracinement devient fondamentale pour son œuvre, marquée par une méditation personnelle sur l'exil, le silence de Dieu et l’identité juive, qu’il dit n’avoir découvert qu’à l’occasion de son départ forcé. Il s’installe alors à Paris, où il demeure jusqu’à sa mort.

Naturalisé français en 1967, il a été lauréat de nombreux prix.

Œuvres :

- Je t'attends, 1931,
- Je bâtis ma demeure : Poèmes 1943-1957, 1959
- Le Livre des questions, t. I, 1963  
- Le Livre de Yukel (Le livre des questions, t. II) 1964
- Le Retour au livre (Le livre des questions, t. III), 1965  
- Yaël (Le livre des questions, t. IV), 1967
- Elya (Le livre des questions, t. V), 1969
- Aely (Le livre des questions, t. VI, 1972
- El, ou le dernier livre (Le livre des questions, t. VII), 1973
- ça suit son cours (Le livre des Marges I), 1975
- Le Livre des ressemblances, t. I, 1976
- Des deux mains, papiers teints et dessins de Raquel, 1976
- Le Soupçon le Désert (Le Livre des ressemblances, t. II), 1978
- L'Ineffaçable l'Inaperçu (Le Livre des ressemblances, t. III), 1980
- Du désert au livre, entretiens avec Marcel Cohen, 1980
- Récit, 1981
- Le Petit Livre de la subversion hors de soupçon, 1982
- Le Livre du dialogue, 1984
- Le Parcours, 1985
- Le Livre du Partage,1987
- Un étranger avec, sous le bras, un livre de petit format, 1989
- Le Seuil le Sable : poésies complètes 1943-1988 , 1990
- Le Livre de l'hospitalité, 1991
- Petites Poésies pour jours de pluie et de soleil, 1991
- Désir d'un commencement Angoisse d'une seule fin, 1991
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Message par ArenSor Jeu 11 Oct - 19:18

Le Livre des questions

Edmond Jabès Livre_11

C’est encore une nouvelle découverte de hasard à Emmaüs. Une édition originale, Blanche de Gallimard, avec dédicace de l’auteur. Surtout, il y a ce plaisir sensuel de glisser le coupe-papier entre les feuilles, d’entendre le bruit feutré du papier déchiré (ça vous intéresse monsieur Freud ?) ; gestes qui scandent à merveille la lecture de ce livre qui se déguste à petites gorgées. Hélas, les publications actuelles avec leur papier glacé, leurs pages massicotées, leur texte reproduit numériquement, nous ont ôté ces sensations qui s’accordaient tellement avec le plaisir de la lecture.

Jabès a écrit sept recueils sous le titre de Le Livre des questions, le premier portant ce nom dont il sera question ci-dessous, Le Livre de Yukel, Le Retour au livre, Yaël, Elya, Aely et El, ou le dernier livre.

Le premier opus se présente comme une succession d’aphorismes, de dialogues et de commentaires, de fragments de journaux, de sentences et de réflexions émises par de faux rabbins. Une histoire cherche parfois à s’élaborer, puis se perd, retrouve son fil, par fragments, entre rêve et réalité. Mais qu’importe puisque tout se transmue en poésie.

Il y est question de Yukel et de Sarah, deux jeunes amants revenus de la Shoah, non sans dommages, Sarah Schwall, aux initiales S.S., ayant perdu la raison dans le camp.

Le livre de Jabès est un livre particulier, la référence au verbe divin est explicite, livre unique car écrit par l’auteur mais aussi écrivant celui-ci dans l’espace et le temps, relation particulière entre l’écrivain et son texte.

Le livre de Jabès est empreint de mysticisme et de religiosité juive, ce qui pourrait paraître rebutant pour certains. En fait son discours et de portée universelle. Au travers du peuple élu c’est toute l’humanité qui est concernée.

Pas de trop longs discours lorsqu’il s’agit de poésie, place aux citations :

Enfant, lorsque j’écrivis, pour la première fois, mon nom, j’eus conscience de commencer un livre
Reb Stein

Le présent, pour toi, est ce passage trop rapide pour être saisi. Ce qui reste du passage de la plume, c’est le mot avec ses branches et ses feuilles vertes ou déjà mortes, le mot projeté dans le futur pour le traduire.
Tu lis l’avenir, tu donnes à lire l’avenir et hier tu n’étais pas et demain tu n’es plus.
Et pourtant, tu as essayé de t’incruster dans le présent, d’être ce moment unique où la plume dispose du mot qui va survivre.
Tu as essayé.

Il y a les vainqueurs, disait le rabbin prisonnier, disait le saint prisonnier, avec leur arrogance, leur éloquence, et il y a les vaincus sans paroles et sans signes.
La race des muets est tenace.

Je crois à la mission de l’écrivain. Il la reçoit du verbe qui porte en lui sa souffrance et son espoir. Il interroge les mots qui l’interrogent, il accompagne les mots qui l’accompagnent. L’initiative est commune et comme spontanée. De les servir – de s’en servir – il donne un sens profond à sa vie et à la leur dont elle est issue.

Tu ne te doutais pas, mère, qu’en me concevant, tu léguais au jour des feuilles de chair et de lumière pour toutes les phrases qui sont des tatouages que j’allais être appelé à défendre ; pour toutes les phrases qui sont des banderoles et des insectes.
Tu taillais, à vif, dans le cri.

Mon pouce est un gardien sauvage, disait Reb Hakim. Mon index fut le plus prompt à reconnaître l’étoile du berger. Mon médius, le plus lointain, est le rêve qui éconduit les rives. Mon annulaire porte, à sa base, nos serments et nos chaînes. Les sons habitent et habillent de diamants mon auriculaire.
Mais l’index est mon préféré, car il est toujours prêt à sécher une larme.

L’intransigeance du croyant est pareille à une lame de rasoir dont le souci est d’être tranchante

Je vous parlerai des divers passages que l’être se fraie dans la nuit des songes jusqu’au verbe.
Il y a, d’abord, ce tracé à peine visible de la lettre à la lettre, de l’ombre à une ombre moins sombre ; puis cette percée déjà consciente du vocable ; enfin cette route pavée du discours et des récits domptés.
Mais ne croyez pas que la folie nous ait jamais quittés ; comme la douleur, elle nous guette à chaque étape, je veux dire à chaque fois que nous butons à la parole cachée dans la parole, à l’être enfoui dans l’être.
Pauvres que nous sommes de ne pouvoir frôler la démence sans risquer de ne plus recouvrer la raison.

Une page blanche est un fourmillement de pas sur le point de retrouver leurs traces. Une existence est une interrogation de signes.

Quelle différence y a-t-il entre l’amour et la mort ? Une voyelle enlevée au premier vocable, une consonne ajoutée au second..
J’ai perdu à jamais ma plus belle voyelle.
J’ai reçu en échange la cruelle consonne.

Mots-clés : #genocide #mort #poésie #religion #spiritualité
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Message par églantine Jeu 11 Oct - 19:38

Eh bien ça fait très très envie !
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Message par Tristram Jeu 11 Oct - 20:12

« Pratiquer l’écriture c’est pratiquer, sur sa vie, une ouverture par laquelle la vie se fera texte. »
Edmond Jabès, « Le Soupçon le Désert »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Invité Jeu 11 Oct - 20:16

Et quand tu lis un livre non massicoté, tu coupes les pages au fur et à mesure de la lecture ? Moi les rares fois, j'ai tout coupé avant lecture ! ahah. Trop impatient !

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Message par Aventin Sam 13 Oct - 6:38

Ah, merci pour cette ouverture ArenSor et ce beau commentaire du Livre des questions !





Un poème du recueil "La clef de voûte", 1949:

Nous sommes invisibles



Quand tu es loin
il y a plus d’ombre
dans la nuit
il y a
plus de silence
Les étoiles complotent
dans leurs cellules
cherchent à fuir
mais ne peuvent
Leur feu blesse
il ne tue pas
Vers lui quelquefois
la chouette lève la tête
puis ulule
Une étoile est à moi
plus qu’au sommeil
et plus qu’au ciel
distant absent
prisonnière hagarde
héroïne exilée
Quand tu es loin
il y a plus de cendres
dans le feu
plus de fumée
Le vent disperse
tous les foyers
Les murs s’accordent
avec la neige
Il était un temps
où je ne t’imaginais pas
où hanté par ton visage
je te suivais dans les rues
Tu passais étonnée à peine
J’étais ton ombre dans le soleil
J’ignorais le parc silencieux
où tu m’as rejoint
Seuls nous deux
rivés à nos rêves
au large de nos paroles abandonnées
Je dors dans un monde
où le sommeil est rare
un monde qui m’effraie
pareil à l’ogre de mon enfance
Tu apparais
derrière mes paupières
comme autrefois
quand pour te dévêtir
tu masquais la lampe
qui te gênait
Nous dormons côte à côte
dans la nuit qui nous forme
par amour
Je te donne tes mains
tombées de miennes
et ta voix
Tu es méconnaissable
La fleur
t'arrive au genou
accessible corolle
pour ta chevelure
fleur de sang
Elle croît
insensible
parmi les cailloux lunaire
où les morts pour périr
dans un ultime effort
défont la ceinture de poussière
qu'ils portent
Il était un temps
où ton corps
ouvrait les routes
Tu te confondais
avec l'horizon
Je ne vois plus
où tu respires
Tu te défends
Mes yeux ont porté les tiens
mes jambes ont délié tes jambes
et ma bouche tes lèvres
Je te donne le nom
que tes sens épellent
Tu es l'écho
de chair et d'os
l'image fidèle
de mon devenir
Il était un temps
où tu m'étonnais
où pour te trouver
il me fallait lutter
contre la fatigue
contre les intrigues
A la lueur de nos baisers
les continents émergeaient
ils étaient nos complices
et se révélaient à nous
par carré par habitant
La terre a pris feu
elle s'est depuis noyée
Nous nous agitons dans l'espace
accrochés à l'eau
pendus aux flammes
brûlés noyés
Tu as attendu que je te dépasse
pour me suivre
tu ne m'as pas trahi
Je dors dans un monde
où les vivants ont tort
au-dessus des ruines grimpantes
sur des colonnes d'agonie
et de couteaux
La nuit nous confronte
avec nos sosies
Il était un temps
où pour croire à la joie
j'avais besoin de tes rires
Le jour est en moi
tu y roules nue
J'ai écrasé nos liens
sans rougir
serpents dont nous étions les charmeurs
ingénus
Tu es libre où je te consacre
tu me soutiens
J'ai arraché nos racines
encombrantes
au sol qui se soulève
prêt à nous griffer
L'arbre s'est affaissé
il nous désignait
aux autres
Nous trompons le vide
Nous sommes invisibles




Poème d'amour, et aussi d'impermanence - "invisibles", n'est-ce pas ?
A voix haute, l'"éloquence" de ce poème transmet une musicalité légère, un peu étrange, littéralement in-ouïe [en tous cas par moi].

La disposition des majuscules semble aléatoire, cependant elles reviennent souvent sur des "Je, "Tu", Il", "La" "Le", "J'", "L'".
Comme ce poème n'est pas ponctué (récurrent chez Jabès) il n'est pas interdit de supposer que les majuscules sont des jalons de lecture, un bornage du poème en quelques sorte, succédané de ponctuation, permettant de reprendre son souffle et scandant la diction.
Vous aurez remarqué que les deux derniers vers débutent par une majuscule, sur le même mot -"Nous"- seul cas de répétition de deux majuscules sur deux vers consécutifs du poème - un quod erat demonstrandum, comme si le dernier vers n'était pas assez signalé à notre attention, puisque qu'il est éponyme au titre du poème (!?).

Les "où" en tête de vers ont une réelle fréquence d'utilisation (onze fois !) - mettons, simple hypothèse, qu'ils traduisent le lieu.
Cela permettrait de signifier, par exemple, l'élément terre.

Les quatre éléments sont concentrés dans ces cinq brefs vers:
La terre a pris feu
   elle s'est depuis noyée
   Nous nous agitons dans l'espace
   accrochés à l'eau
   pendus aux flammes
 


Même si c'est peut-être extrapoler trop loin, au vu de la date d'écriture, je me demande: les vers
Les étoiles complotent
   dans leurs cellules
   cherchent à fuir
ne seraient-ils pas une référence à l'étoile jaune arborée dans l'univers concentrationnaire nazi ?





Renfloué d'un message sur Parfum du 13 mai 2015
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Message par Bédoulène Sam 13 Oct - 9:02

merci Arensor ! je vais regarder de plus près !

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 14 Oct - 9:19

Merci bien pour l'inauguration de ce fil. Edmond Jabès est un poète qui gagne à être connu. Il est plus près de la poésie en prose, mais sa poésie est multiforme. Je comprends pourquoi René Char en parle en bien.

Je vais vous proposer des bouts de Le Seuil. Le Sable :

«Chanson de l’étranger»

Je suis à la recherche
d’un homme que je ne connais pas,
qui jamais ne fut tant moi-même
que depuis que je le cherche.
A-t-il mes yeux, mes mains
et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps ?
Saison des mille naufrages,
la mer cesse d’être la mer
devenue l’eau glacée des tombes.
Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
Une fillette chante à reculons
et règne la nuit sur les arbres,
bergère au milieu des moutons.
Arrachez la soif au grain de sel
qu’aucune boisson ne désaltère.
Avec les pierres, un monde se ronge
d’être, comme moi, de nulle part.

Ensuite, je vous propose un autre poème plus signalétique du style d'Edmond Jabès, du moins sur l'une de ses déclinaisons :

«L’eau»

Avant, il y a l'eau.
Après, il y a l'eau ;
durant, toujours durant.

- L'eau du lac ?
- L'eau de la rivière ?
- L'eau de la mer ?

Jamais l'eau sur l'eau.
Jamais l'eau pour l'eau ;
mais l'eau où il n'y a plus d'eau ;
mais l'eau dans la mémoire morte de l'eau.

Vivre dans la mort vive
entre le souvenir et l'oubli de l'eau,
entre
la soif et la soif.

L'eau entre
Cérémonie.
L'eau s'installe
et coule :
Fertilité.

Toujours l'eau pour l'eau.
Toujours l'eau sur l'eau.
Abondance.

- Le désert fut ma terre.
Le désert est mon voyage,
mon errance.

Toujours entre deux horizons ;
entre horizon et
appels d'horizons.
Outre-frontière.

Le sable brille comme l'eau
dans la soif inextinguible.

Tourment que la nuit endort.

Nos pas font gicler la soif.
Absence.

- L'eau du lac ?
- L'eau de la rivière ?
- L'eau de la mer ?

Viendra, bientôt, la pluie
pour laver l'âme des morts.

Laissez passer les ombres brûlées,
les matins aux arbres sacrifiés.
Fumée. Fumée.
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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 14 Oct - 9:21

Je vous propose également un extrait de «Les rames et la voile» :

Sûre de son chemin, la prose se distingue de la poésie, comme le marcheur pressé par le but, du danseur ivre de n’arriver jamais.

Le monde dispute à l’homme le poème, croissance ébruitée de la rose.

Le poème est la soif que le désir d’une plus grande soif étanche.

Le poète est rivé au poème, comme le mot à la mort du monde qui le projette.

Le poème perpétue un instant de la vie du mot, un sourire, une rencontre.

Le premier geste du poème est de saisir au vol sa part de survie.


Edmond Jabès, Le Seuil. Le Sable. Poésies complètes 1943-1988. Édition Gallimard, coll. «NRF Poésie»
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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 17 Fév - 10:57

Ce n'est pas facile de convaincre le commun des mortels de s'intéresser à des poètes un peu moins connus de la notoriété publique. Edmond Jabès en fait partie. Je pense qu'il y a toujours un travail de réhabilitation historique à effectuer.

Il y a un long poème à la forme brève que je voudrais prêter à votre attention. Il s'agit de :

«Deux poèmes de l'amitié en deuil»

À Paul Éluard
In Memoriam

I

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

Images
où j'ai enfoui le miroir
des mages congédiés
la clé des herbes éblouies
Le soleil
est à portée des mains promises
Le don d'orage vaincu
flèches irradiées

Je vois
l'étonnant visage des orgues apaisées
au seuil des églises
la lèpre des pas mesurés
l'algue paresseuse le long des toits

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

Images
confiées de contrées englouties
de rêves sculptés
Les sons couleur de saisons
Les hommes n'y ont pas cru
mais sont morts pour elles
Paysages des jours de paye
et ceux d'insomnie

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

Je vois
le gouffre où s'étirent les fourmis
revenues à la lumière
la grille des crocs délavés
Le sommeil fut leur histoire
la légende qu'ils iront répétant
de morsure en morsure

Je vois
les troupeaux de trous broutant les murs
les interminables voies de l'esprit
que la pierre conserve dans la glace
le bois jeté sur le feu du miracle
devenu feu à son tour

Je vois
mes propres yeux naître et mourir de ma lampe
les jumeaux qu'allument puis éteignent les heures
le silence au fond d'eux-mêmes respirer comme une femme
et plisser en s'exhalant l'iris

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

II

La nuit
s'est cachée dans la nuit
de ta mort
L'étoile répète l'étoile
et la terre a notre voix

L'aurore est sans visage
Nous lui donnerons le tien
pour aimer et mourir

La nuit
s'est cachée dans la nuit
des idylles
Midi rira sur les pierres
à qui tu ressembles déjà
et nous graverons en elles
ton nom beau feuillage

En elles
et dans le vent qui les berce en vain
ton nom vertes mailles
d'où émerge l'oiseau
engourdi de sommeil

Tu avais cru perdre les mots
en leur ouvrant l'espace
L'hiver ils réchauffaient ton coeur
de la fidélité de leurs ailes

Les mots
et les trésors que tu y as découverts
avec tes doigts d'homme

Ce sont eux qui nous rapprochent
quand ils nous reconnaissent

L'arbre dépouillé l'herbe humide
sont seuls à témoigner de l'orage
au premier rayon de soleil

Nos cicatrices sont dans nos yeux
Le temps lourdes paupières
ne nous rendra pas aveugles

Il y a certains refrains, des thématiques qui me rejoignent et qui sont pas sans rappeler ce que Pavese a écrit en poésie. La métaphore de la nuit a tendance à me rallier et je me disais que ce poème était digne de mention.
Jack-Hubert Bukowski
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Message par Lisa Mar 24 Nov - 15:13

Jack-Hubert Bukowski a écrit:Ce n'est pas facile de convaincre le commun des mortels de s'intéresser à des poètes un peu moins connus de la notoriété publique. Edmond Jabès en fait partie. Je pense qu'il y a toujours un travail de réhabilitation historique à effectuer.

Il y a un long poème à la forme brève que je voudrais prêter à votre attention. Il s'agit de :

«Deux poèmes de l'amitié en deuil»

À Paul Éluard
In Memoriam

I

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

Images
où j'ai enfoui le miroir
des mages congédiés
la clé des herbes éblouies
Le soleil
est à portée des mains promises
Le don d'orage vaincu
flèches irradiées

Je vois
l'étonnant visage des orgues apaisées
au seuil des églises
la lèpre des pas mesurés
l'algue paresseuse le long des toits

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

Images
confiées de contrées englouties
de rêves sculptés
Les sons couleur de saisons
Les hommes n'y ont pas cru
mais sont morts pour elles
Paysages des jours de paye
et ceux d'insomnie

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

Je vois
le gouffre où s'étirent les fourmis
revenues à la lumière
la grille des crocs délavés
Le sommeil fut leur histoire
la légende qu'ils iront répétant
de morsure en morsure

Je vois
les troupeaux de trous broutant les murs
les interminables voies de l'esprit
que la pierre conserve dans la glace
le bois jeté sur le feu du miracle
devenu feu à son tour

Je vois
mes propres yeux naître et mourir de ma lampe
les jumeaux qu'allument puis éteignent les heures
le silence au fond d'eux-mêmes respirer comme une femme
et plisser en s'exhalant l'iris

Les chemins ont pris le deuil
La lampe conscience de la nuit

II

La nuit
s'est cachée dans la nuit
de ta mort
L'étoile répète l'étoile
et la terre a notre voix

L'aurore est sans visage
Nous lui donnerons le tien
pour aimer et mourir

La nuit
s'est cachée dans la nuit
des idylles
Midi rira sur les pierres
à qui tu ressembles déjà
et nous graverons en elles
ton nom beau feuillage

En elles
et dans le vent qui les berce en vain
ton nom vertes mailles
d'où émerge l'oiseau
engourdi de sommeil

Tu avais cru perdre les mots
en leur ouvrant l'espace
L'hiver ils réchauffaient ton coeur
de la fidélité de leurs ailes

Les mots
et les trésors que tu y as découverts
avec tes doigts d'homme

Ce sont eux qui nous rapprochent
quand ils nous reconnaissent

L'arbre dépouillé l'herbe humide
sont seuls à témoigner de l'orage
au premier rayon de soleil

Nos cicatrices sont dans nos yeux
Le temps lourdes paupières
ne nous rendra pas aveugles

Il y a certains refrains, des thématiques qui me rejoignent et qui sont pas sans rappeler ce que Pavese a écrit en poésie. La métaphore de la nuit a tendance à me rallier et je me disais que ce poème était digne de mention.
Bonjour,
J'ai découvert Jabès il y a 11 ans et j'ai dévoré livre après livre, jusqu'à la presque fin : je ne peux me résoudre à lire les livres ayant vu le jour alors que leur auteur avait rejoint la nuit.
Pas encore, du moins. Un jour peut-être.
Ca me permet aussi de me dire que, quelque part, des mots de sa plume sont encore à découvrir. Et cette attente est belle.

Toujours est-il que le poème dédié à Eluard ci-dessus comporte beaucoup d'échos à La Soif de la Mer, que Jabès a écrit en 1949 (c'est une merveille parmi les merveilles).

J'aurais aimé savoir si "Deux poèmes de l'amitié en deuil" était tiré de Le Seuil, le Sable, ou si non, de quel autre recueil. Je n'ai pas trop le courage de me replonger dans tous mes bouquins en ce moment (si j'y plonge, j'y reste des mois).
Merci Smile
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Message par bix_229 Mar 24 Nov - 15:19

Merci Lisa !
Quelles sont tes autres belles découvertes ?
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Message par Lisa Mar 24 Nov - 15:45

Smile
Beaucoup de poésie.
Valente, Rumi, Celan, Rilke, Char, Juarroz, Max Jacob, Ancet, Metz, Cioran, Artaud, Gelman, Paz ... il y en a tant ...
Jabès reste mon maître.
Et je débarque comme ça à l'improviste titillée par cette question à propos du poème posté plus haut, mais je vais prendre le temps de découvrir le forum, qui semble être une mine d'or.

Je suis aussi fan inconditionnelle de Stephen King.
Ce n'est pas incompatible haha.
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Message par Armor Mar 24 Nov - 23:41

Lisa a écrit:
J'aurais aimé savoir si "Deux poèmes de l'amitié en deuil" était tiré de Le Seuil, le Sable, ou si non, de quel autre recueil. Je n'ai pas trop le courage de me replonger dans tous mes bouquins en ce moment (si j'y plonge, j'y reste des mois).
Merci Smile

Bienvenue Lisa. Si tu le souhaites, tu peux te présenter ici : clic. Ca n'a rien d'obligatoire, mais ça permet de faire un peu connaissance.
Tu pourrais d'ailleurs poser à nouveau ta question à cette occasion, peut-être quelqu'un aura-t-il la réponse. (Je ne peux hélas pas t'aider.)

Et sinon, bien sûr qu'on peut aimer Jabès et Stephen King. Nous sommes nombreux ici à avoir des lectures très éclectiques. C'est là un grand plaisir de la littérature, il y a tant de possibilités diverses !

Au plaisir de te lire.  Edmond Jabès 1252659054

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Message par Nadine Dim 26 Déc - 13:21

Le livre de l'Hospitalité
Edmond Jabès Le-liv10

Le livre des questions
Edmond Jabès 41nds710

Je commente avec ces deux livres de front parce que je dirais que j'ai accédé à l'essence du Livre des questions, mais pas au livre de L'Hospitalité.

Très agacée par cette impuissance à recevoir le corps du sens, j'ai discuté avec un proche là-dessus : ce qui en ressort c'est que j'ai un cerveau qui a besoin d'un contenu développé, sur la longueur, pour toucher au sens. les aphorismes, j'ai toujours eue un peu de mal à les comprendre, carrément comprendre, oui. ça me semble toujours un peu court ou insuffisant. Parce que j'ai alors le sentiment qu'il manque l'amarrage à des présupposés, laissés trop vagues.
Resterait la valeur poétique de l'image, comme en poésie (d'ailleurs je vois ci-dessus beaucoup de citations, merci à vous, il faudra que je lise ces textes), mais comme Jabès a une approche des mots totémique, je reste au bord du chemin.

ça ne s'explique pas, ça m'a fais suer, je voulais aimer, j'en piaffais d'impatience, j'attendais un pont vers le mystique, et ça n'a pas marché. je suis imperméable à ce qu'il porte, ou presque.
Car dans le livre des questions, j'ai été touchée pourtant, grâce à la transe prosodique qui s'enroule en spirale ,(à cet égard la couverture est magnifique et pertinente) réitère et réitère les prophéties, sybilles constantes et fortes de leur hermétique valeur primale. Comme dans la prose de Duras, cette scanssion a porté fruits, à force de redites qui laissent au bord de l'indicible, sur la nuance d'un mot, d'une situation réénoncée dans l'indicible, là j'ai sentis le projet et la beauté de ce que Jabès travaille, à travers Sarah et Yukel. Parce qu'il y a un ancrage, c'est beaucoup plus noeudal. Ceci posé, tout comme avec Duras, isoler un fragment, pour moi, c'est regarder celui-ci comme une emphase spécieuse proche du ridicule. (j'aime beaucoup Duras, attention hein.N'empêche, isoler une déclaration de Duras , c'est coton de ne pas trouver ça un peu..too much. Tout ce développement pour vous faire comprendre ce que j'ai comme problème, là.)


Cette grande ambivalence de réception me fais donc arrêter là le commentaire croisé. Puisse- t il inciter à la découverte, qui est toujours un chemin très intime.
Citer tout de même, les deux seuls passages que j'aurai apprécié dans le livre de l'Hospitalité (il fallait quand -même remarquer qu'enfin ça me touchais vaguement):

L'inviolabilité, voilà ce qui distingue le divin de l'humain. percer le secret de l'autre c'est faire, de lui, un dieu déchu.
L'au delà est dans le secret. Un ailleurs protégé par son éloignement.
Main du passé,. Main du futur.
Tourne, de gauche à droite, lentement, la tête. le monde t'apparaîtra dans la surprenante diversité de son unité.
"Ainsi, un regard circulaire agrège passé au futur, jours vécus aux jours à suivre.
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Message par Bédoulène Dim 26 Déc - 19:51

merci Nadine pour tes commentaires argumentés.


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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 26 Déc - 20:05

Je vais vous convier à d'autres poèmes. Jabès n'est pas si impénétrable. Il y a tout simplement le fil d'une pensée qui se décline peut-être mieux entre les vers et la prose poétique. Il y a un peu d'aphorismes parfois à ce qu'il semble.

«Le pèlerin»

Tu ne marcheras jamais assez
pèlerin perceur fou d’horizon
La terre apprise est une prison
Les barreaux sont les chemins comptés
Tu ne rêveras jamais assez
La mer l’ennemi est déraison
Mais le ciel le bleu ciel insaisissable
est un murmure contenu de pierres
amoureuses dont le temps fait des bornes


«Le milieu d'ombre» dans Je bâtis ma demeure (Le Seuil. Le Sable. Poésies complètes)

À dire vrai, je perçois une soif chez Lisa. Elle veut découvrir encore plus de choses chez Jabès et ça me console en quelque part... Smile
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Message par Jack-Hubert Bukowski Lun 27 Déc - 21:31

Je vais vous partager un coup de coeur ici :

Le pacte du printemps


Les mots se sont engagés dans
le sentier des mines mais ont
perdu ma voix Silence encrier
renversé La plume est l'épave
Mes deux soleils fleuves formés
La mer est au-dessus des arbres
Mémoire des feuilles les heures
fêtent leurs fleurs Le sommeil est
le fruit transparent La nuit est
cueillie aux branches Demain est
sans ombre Notre légende est
secrète Ainsi s'est consumée
l'aurore où la parole ôtée
parle à qui n'a jamais parlé
se veut néant tache de sang
Page froissée main toute pâle
serrée L'adieu est sans limites
L'univers vit d'oubli étapes
d'étoiles L'homme et la nature
ont les mêmes liens mêmes biens
La soif est terrestre Chair douce
d'asile les pierres sont les
songes Aux cent preuves l'appui
cristallin des sources visages

// p. 321

volés Nous ne savons plus où
nous sommes où nous rayonnons
Jeunesse des galets la plage
est le port silex du désert
le sable témoigne de vos
royaumes que hantent reptiles
et faucons veufs La fuite du
temps affecte l'aile écolière
les couleurs le cycle d'or qu'elle
poursuit Dans le bec perceur d'yeux
est l'éternité dans le venin
des racines coupées du tronc
Ma plainte est celle de la plaie
ma chanson le dé du désir
L'eau-morte est le maître absent autre
tyran dont la forme est le froid
Le soufre est saisonnier le simple
geste annonciateur de cendres
Feu germé à proximité
de nos portes champs échangés
que la douleur laboure ensemble
avec l'espoir boeuf attelé
Les mains dépossédées sont les
mains qui nous nous sculptent une fois
l'échec conté Villes vécues
murs asservis je m'éloigne au
bruit de mes pas auquel s'accroche
un nom d'emprunt Je n'ai de terre
que la terre Ainsi le jour
est sans ajours Je n'ai d'atout
que la chance des dalles dures
sur lesquelles le pied se pose
Un destin se joue avec sa
respiration et le serment
de ses serfs le ciel licencié
Midi des mirages des rames

// p. 322

dans l'air fendu Les rives ont
leurs volières prisons de verre
A chaque cri le jour vole en
éclats L'hiver croît en menaces
amer murmure de nos armes
que la femme inquiète surprend
L'enfant porte le pouvoir de
vivre sur les épaules La
race est dans les reins Là-bas il
y a mon amour aigle blessé
Les cimes sont les socles Les
lèvres livrent la clé Là-bas
la parole est profonde abîme
fatal La plainte est le lit du
verbe fleuve de voix mêlées
Mes deux soleils miroirs captifs
La neige noue sa chevelure
à la hampe des crépuscules
La tête sombre la dernière
avec l'arc-en-ciel et le livre
ouvert Aux échos le collier
des vaines victoires la cible
offerte La palme est pour la proie
Aux écrits le printemps le pacte

// p. 323

Le Seuil. Le Sable. Poésies complètes 1943-1988, p. 321-323


J'espère que ça vous permettra de mieux comprendre le style d'Edmond Jabès. J'y vois beaucoup d'effets de rimes redondantes. Il utilise des métaphores, des allitérations et une explosion des sens. Il y a beaucoup une question d'unité de sens et de communauté humaine. Il parle du fait de communiquer, d'utiliser les mots et d'écrire. Il explore les abîmes que cela suppose à travers le temps, la nature et les saisons. Il utilise beaucoup la métaphore de la prison, mais la décline en plusieurs sens. Il me semble comprendre qu'il y a la question et la réalité de la guerre vécue. On peut sentir que sa judéité s'exprime quand il se rappelle l'importance des murmures et dit qu'il n'a pas vraiment de terre nulle part à part sur laquelle il marche (fin de la page 322) et que ça dépend de la dalle dure et de sa respiration. Bref, il nous transmet la mémoire de la communauté juive.
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Message par Tatie Mar 28 Déc - 18:45

Il me plaît beaucoup.
Il faut que je le lise !
Merci ! Very Happy
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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 30 Déc - 8:06

De rien, Tatie! Il est tout un poète à connaître.
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