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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Message par Aventin Ven 10 Mai - 17:32

Bédoulène a écrit:merci Aventin, ça ressemble à de la flânerie (?)
Oui ! Mais...pas que ça scratch !
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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 27 Juin - 9:06

C'a pris du temps, mais je réponds aux amateurs de poètes et de flâneries...

Je viens de repêcher ça de Hors les murs. Il y avait une citation incomplète du poème «Mars à Meudon». J'ai retranscrit le reste du poème à la suite de la citation du début du poème cité sur Babelio.

«Mars à Meudon»

Cette lumière, d'une main distraite, m'escamote
Après chaque virage et puis me restitue, au gré
D'un ciel fou qui rumine et va, comme de motte en motte,
Par les coteaux que sans les voir contemple un immigré
Soliloquant au bord de l'eau comme une balustrade.
Le passage étroit se faufile entre un bout d'autostrade
Et ce bras dormant aux chalands en bois peinturluré
Qui pourrissent sous des jardins qu'étouffe la lésine
Anxieuse des pauvres, sûrs qu'un jour tout peut servir.
Et tout a la couleur des jours ouvrables où l'usine
Déverse un bouillon jaune où doit surnager l'elzevir
De KUB dont les gros traits semblent, comme un échafaudage,
Tenir debout l'hôtel qui prend des airs de brigandage,
Avec un seul oeil à l'affût dans l'ombre du viaduc.
Ôtés les jardinets à choux montés, c’est Piranèse
Qui m’aspire dans sa chimère aux cinq cents marches, du
Côté des cabanons blottis là comme la punaise
Dans un fouillis de forêt vierge au feuillage caduc
Et dégringolant éperdue en rouleaux de ficelle.
L’encre des cèdres qui remonte au bon Cadet Rousselle
Reste indélibile dans l’air humide où les abois
Des chiens boxent avec une cloche en coton qui danse.
Déjà l’ardoise neuve et la proximité des bois
De Meudon rendent nécessaire un effort de prudence.
Mais l’impalpable giboulée où tout se fond, bientôt
M’aura dissimulé dans les replis de son manteau
Qui flottent sur l’envers du temps dont décroît l’évidence.
Je peux attendre l’autobus sous ce doux aspergès
De mars. Il pleut. Ou il pleuvait. (La pluie, a dit Borgès,
Est quelque chose qui sans doute a lieu dans le passé.)

Il me semblait qu'il fallait que je vous en fasse part. Je prévoyais vous lire quelques jours et émerger du silence, mais j'ai déjà été dans le silence depuis un temps... solitude de lecteur qui cherche ses lectures peut-être?
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Message par Bédoulène Jeu 27 Juin - 11:24

émerge jack !

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Message par Tristram Mer 17 Juil - 22:29

L’herbe des talus

ecriture - Jacques Réda - Page 2 L_herb10


Suite de textes assez brefs comme autant de poèmes en prose ou pas, d’entrées d’un journal gidien comme autant d’auto-confidences, souvenirs nostalgiques en fragments de mémoires, références littéraires choisies ‒ rien d’étonnant à ce qu’un aspect cabalistique en obscurcisse parfois l'acception. Balades réflexives, y compris voyages internationaux, et au détour de chaque vadrouille quelques brins d’herbe font fil conducteur. Phrases que Jacques Réda modèle avec soin, désarticule occasionnellement en inversant les segments ‒ une tournure à laquelle je suis sensible.
Volontiers ludique, pas dénué d’humour, il pratique la pêche aux nuages avec un cerf-volant, les trains, le jazz…
« On se figure souvent en voyage qu’on devient un autre, que de l’imprévu en sortira, et je tâchais au moins d’éprouver l’intérêt qu’un de ces autres eût pris au spectacle. »

Mots-clés : #poésie #voyage

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Message par Bédoulène Jeu 18 Juil - 7:38

merci Tristram, la pêche aux nuages avec un cerf-volant, ça m'aurait plu !

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Message par Aventin Dim 17 Nov - 8:42

De saison, dans la section Porte d'automne, du recueil Amen, quelques fortes images, comme le vers Flaques comme une main posée sur les yeux qui vont voir et une brillance générale (à moins que ce ne fût un brio général).






Pluie en octobre



Des ogives de pluie, et au-dessus la pluie en ogives
    ruinées
Occupent le milieu du jour qui ne finira plus. Et la
Bâche du porche encore se soulève, et claque, et se
    déchire.
                 Vaste,
Et sans cesse détruite était cette maison de pluie aux toits
    crevés,
Aux couloirs grelottant sous les arbres vers des cachettes
Qui sentent le lierre, le cèpe.
L'odeur fade d'un dieu sans exigence et sans bonté.
                                                                           Retours
Par la fondrière de sable chaud près de la mare,
Où l'église de pluie allait rompre son dernier arc
Fleuri d'une grappe de roses bleue et verte qui s'appuie
A cette poutre de soleil tombée en travers de la porte.
Ah parvis foudroyés, marches disjointes, terreau sombre
    entre les dalles,
Flaques comme une main posée sur les yeux qui vont voir
Et, de la mince épaule d'eau jusqu'aux têtes sans poids
    des herbes,
Un frisson propagé par le déboulé des nuages !
Puis, dans le soir comme un front d'animal lourd à porter,
S'entassaient à nouveau les ruines de pluie ogivale sur le
    pays,
Sur le
Te lucis ante terminum de la veilleuse,
Quand les soubassements du cœur restaient inaccessibles.








Mots-clés : #poésie
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Message par Aventin Lun 2 Nov - 18:42

Quel avenir pour la cavalerie ?
Une histoire naturelle du vers français.

ecriture - Jacques Réda - Page 2 Rzoda11


Paru en 2019, 200 pages environ.

Cette sorte d'exposé, ou de balayage démonstratif, peut paraître passablement didactique, comment l'éviter au demeurant, l'objet même, qui est l'histoire de la versification française, ne se prêtant pas trop à autre chose ?

C'est judicieusement contrebalancé, toutefois, par la plume de Jacques Réda, légère, ou peut-être plus de façon plus exacte en état de non-pesanteur, ce qui semble intrinsèque à ses écrits.

Ouvrage passionnant, truffé de références sans être roboratif, avec l'art de la mise en perspective, de ce bon vieux vers, ses avatars, ses métamorphoses, démo délicate, dont on sait gré à Jacques Réda, par exemple, de ne jamais avoir utilisé le détestable anglicisme punchline, ou encore d'éviter le piège de l'encyclopédisme foisonnant; à ce titre, le petit Nota Bene de fin d'ouvrage est appréciable, semblant dire "lisez-moi plutôt que consultez-moi, c'est un ouvrage, pas un index commode", il commence ainsi:
Au sujet de la bibliographie, son absence à la fin de ce volume s'explique par la préférence que j'ai eue pour l'inclusion, dans le corps du texte, des références des ouvrages cités. [...]

Au sujet du sous-titre, énigmatique et plaisant, un petit indice que je laisse à votre sagacité:
Contre toute définition et toute objectivité, la poésie serait-elle une guerre ? D'un point de vue assez opposé au mien, Henri Meschonnic, auteur de nombreux ouvrages sur la langue, le vers et le rythme, le pensait. Et nous nous sommes, amicalement, parfois trouvés en guerre à propos de celle-là - mais elle a bien eu lieu. Et c'est la guerre de mille ans qu'a soutenue la langue française, aujourd'hui à bout de forces et d'expédients, en retraite sur tous les fronts du champ de batailleoù, à l'arrière garde, a le premier succombé, à Roncevaux, Roland. Mais il y avait sauvé le gros de l'armée, et tout l'avenir qu'elle avait devant soi.
 Notre situation est la même, si l'avenir est plus menaçant.
Mais quel motif aurions-nous de le craindre pour notre langue elle-mêm ? Qu'elle soit, dans mille ans, encore plus différente de la nôtre que de celle du temps des premiers Capétiens, quoi de plus naturllement propable ? C'est le langage même qui se trouve en danger, et la guerre n'est pas finie.

     
Lu et relu deux fois déjà, j'ai appris beaucoup, notamment -et entre autres !- en comprenant enfin le vers français XVIIIème, lorsqu'il est mis en perspective; ce poudingue douteux, qui, jusqu'alors me permettait de résumer l'apport poétique au seul Chénier, et de me gausser à peu de frais de certains d'entre lesdits "Grands Hommes"...
(Quiconque a lu un peu de poésie de Voltaire me rejoindra peut-être !)

J'en suis venu à conclure (même si Jacques Réda suggère peut-être un petit peu mais n'assène rien en ce domaine), que cette poésie d'édifice, au mortier, à la truelle et au fil à plomb, digeste comme une pâtisserie dont la réalisation serait confiée à coffreur-bancheur, est mieux perceptible si l'on considère qu'on pouvait utiliser le vers au quotidien -l'alexandrin de préférence- et qu'on ne se gênait pas pour le faire, dans des domaines aussi variés que la missive épistolaire commune, l'exposé scientifique, l'essai littéraire, le rapport militaire ou la conversation de salon.    

Pour ce qui est de la poésie d'origine, au prix et à l'appui d'une petite remontée gaillarde dans le temps -mettons celui des aèdes-, mon intime conviction sans preuve est que la versification (ex.: le décasyllabe à rimes plates pour l'ancien français oïl en formation) est de l'ordre de l'outil: en ces temps de transmission orale des œuvres, et d'accompagnement musical par le poète (barde, troubadour, trouvère, récitant, hôte, convive, etc...), il fallait un format commode, correspondant sûrement à un rythme adapté de diction, sur lequel apposer un rythme et des notes musicales elles aussi transmises oralement -à l'oreille.
Et, pour une évidence ce me semble, que la poésie des origines ne devait pas être une pratique solitaire.

Merci à Jacques Réda d'avoir bien précisé la contrainte du français oïl, cas linguistique rare avec l'absence d'accent tonique (les mots ne "chantent" pas spontanément à la diction).

Voir aussi le sort si particulier des voyelles élidées dans notre langue , entrant ou non dans le compte des pieds, et sûrement distinctes selon l'accent qu'on veut bien mettre à la lecture.
Pour un exemple tout à fait personnel, Francis Jammes en joue beaucoup, non dits avec un accent gascon prononcé, ses vers me semblent perdre des pieds en route, et/ou des rythmes, voire de la tessiture, de la couleur.

Sur la diction, nous avions en effet bien noté, Monsieur Réda, que les enregistrements qui nous sont parvenus de Reverdy ou d'Apollinaire sont totalement différents, dans l'abord du mot - du phrasé, de la prosodie en général - Apollinaire déclamant, comme c'était l'usage multiséculaire, façon institutionnelle, très Comédie-Française époque classique. Comme du Racine ou du Corneille.
Tandis que Reverdy, un peu écorcheur de mots, un peu brutalisant à la varloppe les saillantes, nous semble infiniment plus proche (au reste, cher Guillaume, plus personne ne déclame vos vers aujourd'hui, ainsi que vous le faisiez -était-ce pour la pose ?- et figurez-vous qu'ils semblent n'avoir rien perdu à ce type de transfiguration, allez, même, au contraire !).  

Idem pour la place de l'hémistiche, rendant possible le passage du déca et de l'octosyllabe à l'alexandrin, idem pour la conception et la diffusion du sonnet, structure aboutie loin d'être un simple formalisme.

Petit regret, M. Jacques Réda, de ne pas avoir -à mon goût- assez souligné le passage de la poésie dite (ou déclamée, ou chantonnée, on entonnée, ou chantée) à la poésie lue.
Même si vous parlez abondamment de la prosodie espacée, spatiale, visuelle (André du Bouchet, etc...).


Ouvrage qui ne passionnera sans doute pas tout le monde, mais beaucoup tout de même, j'en suis sûr.
En tous cas livre très recommandable.
D'ailleurs j'y retourne !

Mots-clés : #creationartistique #ecriture #essai #historique #poésie
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Message par Bédoulène Lun 2 Nov - 19:05

Aventin je ne doute pas que ce soit intéressant mais trop ardu pour moi.

Nadine serait peut-être intérêssée ?

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Message par bix_229 Mar 30 Mar - 20:27

ecriture - Jacques Réda - Page 2 Reda_a10


Jacques Réda : Aller à Elisabethville.


"Les princesses  étaient ravissantes, un peu transparentes et lointaines sous de vastes capelines
chargées de fruits, d'oiseaux des iles en vraie plume ou d'églantines rose pale en tissu; vétues
de robes vaporeuses dans des calèches qui, à leur passage, soulevaient dans la foule un soupir
d'espérance et d'adoration.
Ou bien, elles disparaissaient aux trois quarts entre une toque et un col de fourrure, ne laissant
percevoir qu'un bout de nez délicieusement froid, deux yeux grands comme des clairières,
l'odeur de la foret."

(Note. Curieux comme les fantasmes enfantins peuvent se ressembler en dehors des époques. B)

Un jour l'auteur s'avise d'aller à Elisabethville, haut lieu de son enfance, mais une succession
d'ouvrages routiers l'empechent d'accéder à son but.
Alors, il décide de choisir des chemins de traverse en forme de digressions et de souvenirs
d'enfance, tout à fait charmeurs, peuplés de princesses de légendes et de fantaisies primesautières.
Bien entendu les souvenirs ne sont que des inventions retouchées et réinventées à son
usage exclusif.
Et Sonia Sydlowsky étincelait alors déjà, princesse "aussi insensible au vertige qu'à ceux 
qu'elle provoquait."
Mais à dix ans on ne demande pas aux filles d'exister réellement.
Les imaginer suffit.
Submergé qu'on est "par l'inondation permanente et tumultueuse du temps."
Et des réminiscences bénies de ce temps où le temps n'existait pas vraiment.
Pourtant c'était la guerre. Mais il en est à peine question, le seul théatre des opérations
 étant les jeux d'enfance.
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Message par Tristram Mar 8 Juin - 22:14

Ferveur de Borges

ecriture - Jacques Réda - Page 2 Ferveu10

Recueil de textes où Réda glose sur l’œuvre de Borges, tant les poèmes que la prose où il exerce sa « perplexité métaphysique ». Ce déchiffrement perspicace permet de mieux approcher le sens de cette « conception totale et ambiguë de la littérature où lire ne se sépare pas d’écrire ».
« …] l’œuvre de Borges est caractérisée, à première vue, par la compilation, la falsification des sources, la préméditation dans l’équivoque, le calembour métaphysique et la mystification bibliographique. »

« Systématiquement appliquée, la technique de l’égarement transforme l’œuvre de Borges en cela même qu’elle explore et qu’elle commente : le monde énigmatique, le cheminement de l’esprit au sein de cet inépuisable labyrinthe et, au-delà encore, par un suprême effet de glaces, en ce reflet d’elle-même qu’à l’infini elle répercute. »
Aussi une belle évocation de « songerie déambulatoire » dans Paris et sa périphérie, entre flânerie et exploration, celle des « poètes rôdeurs » à l’affût de signaux du soir. Et des poèmes... borgésiens !

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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 29 Oct - 9:29

On peut sentir l'évocation à Borges ici :

Basse ambulante

Quand on sort de Paris par Austerlitz, on voit tout de suite ces entrepôts bâtis comme des palaces de Cannes. Le dispositif ferroviaire se redéploie et procure le même contentement. Aux naissances des bifurcations les remblais enserrent des tranchées, où protestent de la mauvaise herbe et des buissons sournois. Les atteindre doit être pénible, qui plus est défendu, mais un homme obscurci parfois réussit à s'y étendre, dormant les yeux ouverts tandis que cogne à n'en plus finir la fonte contre l'acier des ressorts. D'autres centaines de wagons de toutes sortes mais immobiles n'attendent plus rien. Et à mesure d'ailleurs qu'on s'éloigne par les volées de rails qui s'espacent, qui enveloppent d'étroites vies dépourvues de centre et de malheur visibles dans les jardins, des voitures apparaissent qui semblent pour toujours oubliées, déjà presque absorbées par ce petit cadastre de briques et de lilas, où des voies à l'écart fournissent leurs traverses jaunes de mousse pour les clôtures. Et puis des décisions un jour ou l'autre mettent en branle soudain ces mêmes wagons. Ils cahotent vers les aiguillages, et l'homme de la tranchée entend, distinguant très bien, du retentissement creux des citernes, l'écho plus sourd à l'intérieur des vieux cadres de bois. Mais ce trafic s'effectue loin au-dessus de sa tête, exposée sans destin au ciel indifféremment gris, bleu, noir.

Dans Les Ruines de Paris, p. 129-130.
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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 29 Oct - 10:36

C'est épouvantable, mais Jacques Réda est peu cité. Il faudra y remédier :

«Juin à Fontenay-Aux-Roses»

Il m'a semblé que j'avançais comme un nuage,
De colline en colline au ciel lourd de goudrons,
De sentier qu'on néglige (on dit : nous reviendrons
Plus tard, et c'est trop tard) en tour saugrenue age-
Nouillée entre les pois et les rhododendrons

Qui prospèrent avec la rose en ces contrées.
Et je rôde, ce jour obscur de juin, là-haut
Par les crêtes en évitant la villa au
Chien qui surgit des palissades éventrées.
Plus on va loin moins on connaît, selon Lao-

Tseu. Je n'ai pas été bien loin. La connaissance
M'habite donc comme l'ébriété d'un vin
Léger, et je deviens nuages et ravin,
Plaine et colline, ville et garenne, et je sens ce
Monde en métamorphose qui m'avale. En vain

J'ai voulu moduler les vers d'une vague ode
Où ce branle perpétuel se suspendrait
Comme on voit Fontenay, rose sous un cèdre et
Reposer sur ses neuf étages de pagode.
Mais à peine à l'ubac on plonge vers l'adret,

Attirant avec les soudaines échappées
Que l'autobus accroche aux virages. Les gens
N'en réservent pas moins leurs regards affligeants
De jours de fête à deux suburbaines poupées
Qui pérorent, alors que les sombres argents,

Les ors cuits, le pavé mis en coke tenace
De Paris chamboulé par un marteau-piqueur
Atomique, entre l'os à nu du Sacré-Coeur
Et la stèle de bronze intact de Montparnasse,
Luisent pour la Défense entonnant un grand choeur

Funèbre. Les coteaux, peints à l'encre de Chine
Sous le tableau d'ardoise où de lents cumulus
Effacent à mesure avant qu'on les ait lus
Des signes à la craie, aplatissent l'échine :
Suresnes, Argenteuil, et tous les tumulus

Des forts muets dans leur astrakhan de feuillage
Et les feux roulants des colonnes du grésil.
On s'arrête à Plateau, Près Hauts. Juste après il
Faut descendre pour voir la trace d'un village
Qui s'efface devant un luxueux Brésil.

Ce bitume et ce marbre accusent la chlorose
Pavillonnaire invétérée au creux de son
Extase potagère, entre un ciel de mousson
Et les roses qui sont toutes une autre rose,
Mille flammes au flanc crépu de Robinson.

J'en couronne l'année à la périphérie,
Douze mois qui sur l'axe immuable du temps
Vont reprendre leur course au point même où j'attends
Qu'un autre bus m'emporte à travers la féerie
Orageuse de la saison déjà pourrie

(Mais poètes et jardiniers seront contents)

Dans Hors les murs

Voilà. C'est le Réda que je vous présente pour avoir parcouru quelques de ses textes...
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Message par Bédoulène Ven 29 Oct - 10:37

merci Jack !

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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 11 Fév - 12:04

«La Seine et l'Oise»

Au bout de la tranchée où la gare se niche,
Augmente la lueur pâle du confluent.
Et le halètement d'une seule péniche
Continue à scander l'ode que j'ai lue en

Passant sous les coteaux d'Argenteuil et La Frette,
Debout dans un wagon déjà tout engourdi
Par la chaleur. En haut des marches je m'arrête,
Assommé par le poing triomphant de midi,

Devant un paysage à mon goût : des citernes,
Des ponts dans tous les sens (dont un presque chinois),
Des hangars, des forêts, des villas subalternes
Où le doberman suit la haie en tapinois.

Le bois descend à pic sur l'or de la rivière
Dont Rimbaud méditait de suer la liqueur.
Vers l'amont et l'aval le trafic ferroviaire
Est intense. Le rouge aigu d'un remorqueur

Au radoub vrille à fond l'étincelant blindage
Céleste qui se bombe au-dessus de l'Hautil.
L'autre versant - Achère et ses champs d'épandage -
Se résorbe comme un élixir volatil.

Je trouve en bas l'ombre d'un saule qui s'éplore
Exactement où se confondent les deux eaux :
C'est bien leur chère odeur fade où viennent éclore
Des bulles de ce vert qui stagne dans mes os

Et remonte comme un hoquet de préhistoire,
Un relent de savoir obscur qui fait dormir.
Je m'abandonne à cet asile transitoire,
Enturbanné dans l'herbe ainsi qu'un vieux kroumir

Pour adoucir les feux du fleuve qui miroite
Et l'effet des remous troubles de mon passé.
Je ne veux que laisser oisivement glisser
La Seine à gauche et l'Oise à loisir à ma droite.

Dans Hors les murs
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Message par animal Ven 11 Fév - 19:07

Me plait bien celui-là....

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Message par Jack-Hubert Bukowski Sam 2 Avr - 10:38

Aventin a bien raison de dire que Les ruines de Paris sont une consécration d'une quête de flâneries. Je vais prendre à témoin le début de cette prose :

Ayant raté mon train je circule autour de Saint-Lazare : rue de Rome, rue de Vienne, rue de Londres, rue d'Amsterdam. Il est huit heures. Après cette aspiration hystérique des foules vers vingt-six voies, largement se réépanouit le pied calme de la Stupeur, se rouvre l'oeil de la Grande Tête Vide. Je serai incapable d'affirmer qu'il fait jour encore ou déjà nuit, tant ce quartier demeure imprégné pour moi d'une sorte de transparence, d'éclairement sans rapport avec des étoiles ou le soleil.

Le reste va à l'avenant et ça vaut la peine de lire la suite de ce bloc en prose, pages 87 et 88.
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Message par Nadine Mer 13 Avr - 21:40

Oui c'est convaincant. Mazette !
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Message par Laurentides Jeu 27 Juil - 12:37

ecriture - Jacques Réda - Page 2 41qppf10


Je viens de terminer Quel avenir pour la cavalerie? Une histoire naturelle du vers français de Jacques Réda. Le texte demande un effort de lecture certain. Mais je suis allé au bout pour trois raisons. C’est plein d’idées et ça galope (trop ?). De plus ce texte m’a ouvert sérieusement l’appétit avec de nombreuses citations (tant de poètes qui me sont inconnus ou mal connus…). Enfin, même si la langue n’est pas toujours facile, l’humour n’est jamais loin pour respirer un peu (le mot méchant de Gide sur Claudel : un clou dans sa jeunesse devenu marteau en vieillissant…). Avec en conclusion toute musicale de l'ouvrage, un poème de l'auteur...

CODA

Le langage, vieille bourrique
À tout faire chez les manants
Comme chez les prééminents
De Rome jusqu’en Amérique
Et dans les autres continents,
Son avenir est chimérique
Pour le spectre du numérique
Qui l’épie à tous les tournants.
Qu’on le cravache, qu’on le hue –
« Allez, hue ! » –, il renâcle, rue :
Il ne peut que suivre son train.
Cher vieil âne aux beaux yeux de fée,
Brais à la mort, toi qui, sans frein,
Saillis la cavale d’Orphée.

Jacques Réda


ecriture - Jacques Réda - Page 2 30041410

Toussaint Dubreuil (atelier de), Orphée charmant les animaux
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Message par Bédoulène Ven 28 Juil - 11:18

merci Laurentides pour ton ressenti et le poème appât Wink

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― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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