Jonathan Swift
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Jonathan Swift
Jonathan Swift, né en 1667, mourut en 1745. Ayant étudié la théologie, il devint pasteur, mais préféra se consacrer à la politique, où il joua un grand rôle par ses satires et ses pamphlets, notamment en faveur de l'Irlande, son pays. Il avait la passion de dénoncer l'injustice, l'hypocrisie, la malhonnêteté, et sut le faire avec un humour et un génie, qui ont donné une valeur universelle à ses "Voyages de Gulliver" (1726), son oeuvre la plus célèbre mais aussi à des textes dont on redécouvre la vivacité, comme la "Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d'être à la charge de leurs parents et de leur pays" (1729) et les "Instructions aux domestiques" (1745).
Source : ecoledesloisirs.fr
Plus développé : larousse.fr
Bibliographie : (source wikipedia)
- Pamphlets et Satires (1703-1735)
- La Bataille des livres (1704)
- Le Conte du tonneau (1704)
- Argument sur l'abolition du christianisme (1708)
- Méditation sur un balai (1710)
- Lettre de conseils à un jeune poète (A Letter of Advice to a Young Poet) (1721)
- Les Lettres du drapier (1724)
- Cadenus et Vanessa (1726)
- Les Voyages de Gulliver (1726)
- Modeste Proposition (1729)
- Dernières paroles d'Ebenezer Elliston (The Last Speech and Dying Words of Ebenezer Elliston) (1732)
- La Conversation polie (1738)
- Instructions aux domestiques (1745)
- Journal à Stella (1762-1766)
- Journal de Holyhead, tenu du 22 au 29 septembre 1727 et publié pour la première fois en 1882
- L'Art du mensonge politique, attribué à Jonathan Swift (1733)
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Keep on keeping on...
Re: Jonathan Swift
récup par épisode. très très très bon souvenir !
Les voyages de Gulliver
Lecture de la version disponible chez Folio avec préface du fils du traducteur (Maurice et Emile Pons). Préface qui présente un peu l'auteur, sa place dans la société et ses aspirations (plutôt critique, progressiste, et portant du côté de l'Irlande, avec des réserves ?). La préface insiste sur les référence de Swift à sa satire des milieux politiques et de leurs rivalités de personnes et jeux d'influences.
Première partie : voyage à Lilliput.
Lemuel Gulliver, chirurgien de Marine (de milieu relativement modeste qui s'est maintenu si ce n'est élevé) s'échoue sur une île peuplée de petite gens (quelques pouces) suite au naufrage de son navire. Tout est à l'échelle des habitants, Gulliver est de la taille d'un grand arbre, en gros. Cette société s'avère après le premier contact très policée et évoluée (avec quelques différences marquées vis à vis de l'Europe d'alors) et notre grand dadais s'acclimate assez facilement, dévorant seulement de quoi nourrir beaucoup de monde et donnant un coup de main de temps en temps. Notamment dans la guerre qui oppose les habitants de Lilliput à ceux de Blefuscu, l'île voisine. Une lointaine querelle sanguinaire les oppose a propos de.... la façon de manger/ouvrir les oeufs (gros bout ou petit bout ?).
C'est le journal de Gulliver que nous lisons, ces observations sur cette société, sans trop de détail pour ne pas ennuyer le lecteur, et une manière de ménager, de se soucier de sa personne. On aurait pu imaginer un instant que la différence de taille permette des abus mais il n'en est rien, Gulliver se range continuellement du côté des justes, toujours attentif. Pas tant de choses sur cette société différente, si ce n'est en fin de compte qu'on en retient rapidement les grands traits et surtout les apparences. C'est dans l'art de le dire que ça se passe. L'art de raconter des histoires qui en disent long sur l'art d'en dire d'autres et d'en faire.
Les personnages de la galerie sont plaisants, agréables (à quelques exceptions près) mais jamais complètement sympathiques, toujours quelque chose qui cloche. Le divertissement pince sans rire qui longe le précipice.
Lecture très facile, plus grinçante que les souvenirs d'enfance c'est sûr, surtout dans la personnalité de Gulliver, un poil arriviste, un poil faux-jeton.
A l'époque de la publication ça faisait grincer aussi ce genre d'histoires où certains pouvaient se reconnaitre au point que la publication fut faite sous pseudonyme.
Curieux de la suite...
Les voyages de Gulliver
Lecture de la version disponible chez Folio avec préface du fils du traducteur (Maurice et Emile Pons). Préface qui présente un peu l'auteur, sa place dans la société et ses aspirations (plutôt critique, progressiste, et portant du côté de l'Irlande, avec des réserves ?). La préface insiste sur les référence de Swift à sa satire des milieux politiques et de leurs rivalités de personnes et jeux d'influences.
Première partie : voyage à Lilliput.
Lemuel Gulliver, chirurgien de Marine (de milieu relativement modeste qui s'est maintenu si ce n'est élevé) s'échoue sur une île peuplée de petite gens (quelques pouces) suite au naufrage de son navire. Tout est à l'échelle des habitants, Gulliver est de la taille d'un grand arbre, en gros. Cette société s'avère après le premier contact très policée et évoluée (avec quelques différences marquées vis à vis de l'Europe d'alors) et notre grand dadais s'acclimate assez facilement, dévorant seulement de quoi nourrir beaucoup de monde et donnant un coup de main de temps en temps. Notamment dans la guerre qui oppose les habitants de Lilliput à ceux de Blefuscu, l'île voisine. Une lointaine querelle sanguinaire les oppose a propos de.... la façon de manger/ouvrir les oeufs (gros bout ou petit bout ?).
C'est le journal de Gulliver que nous lisons, ces observations sur cette société, sans trop de détail pour ne pas ennuyer le lecteur, et une manière de ménager, de se soucier de sa personne. On aurait pu imaginer un instant que la différence de taille permette des abus mais il n'en est rien, Gulliver se range continuellement du côté des justes, toujours attentif. Pas tant de choses sur cette société différente, si ce n'est en fin de compte qu'on en retient rapidement les grands traits et surtout les apparences. C'est dans l'art de le dire que ça se passe. L'art de raconter des histoires qui en disent long sur l'art d'en dire d'autres et d'en faire.
Les personnages de la galerie sont plaisants, agréables (à quelques exceptions près) mais jamais complètement sympathiques, toujours quelque chose qui cloche. Le divertissement pince sans rire qui longe le précipice.
Lecture très facile, plus grinçante que les souvenirs d'enfance c'est sûr, surtout dans la personnalité de Gulliver, un poil arriviste, un poil faux-jeton.
A l'époque de la publication ça faisait grincer aussi ce genre d'histoires où certains pouvaient se reconnaitre au point que la publication fut faite sous pseudonyme.
Curieux de la suite...
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Re: Jonathan Swift
Deuxième partie : Voyage à Brobdingnag
Cette fois ci notre Gulliver se retrouve pensionnaire d'un peuple de géants et après avoir été montré en spectacle par un fermier il est rapidement adopté par la famille royale qui lui prête une oreille attentive et amicale.
Ce deuxième voyage est peut-être plus intéressant encore, plus drôle, plus satirique, un peu plus méchant. Le caractère de notre Gulliver n'est que peu ébranlé par sa petite taille si on passe sous silence quelques embarrassantes mésaventures. Il se fait fort de s'instruire et d'instruire ses hôtes. Ce peuple de géant est plus différent des européens que ne l'étaient les lilliputiens. Ils sont plus terre à terre ne se lancent pas de grandes spéculations et se battent peu. Gulliver en est choqué du dédain du Roi pour les querelles et manipulations qui ont court dans sa belle Angleterre. Voire les citations en début de fil si je me souviens bien.
On monte en puissance et la relativisation joue plus fort après Lilliput, différences d'échelles et de perceptions pour mieux conserver, toujours, les identités et tourner autour du jeu des points de vue et des perceptions... un peu plus amer quand cela dévoile aussi avec beaucoup de recul les aspects les plus simples : les apparences physiques, la peau. Plus amer quand s'affirme l'immuable de l'esprit, l'aveuglement. Le Gulliver héros à la bonne apparence est de plus en plus victime malgré lui de ces drôles de récits. Le constat politique est forcément lui aussi sombre.
Ce deuxième voyage est donc un impressionnant rebond sur le premier. Le récit toujours vif laissant entrevoir de plus en plus de perspectives, le simple jeu des échelles imprimant une tournure différente, plus perméable à l'esprit du lecteur. On effleure le jeu de massacre dans une parfaite bonne humeur, plus c'est édifiant plus ça l'est naturellement à l'envers.
Et plus ça va plus cette lecture est prenante.
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Re: Jonathan Swift
A la bonne heure, à suivre, et j'ai hâte. Il faudra que tu jettes un oeil sur le livre de Cyrano de Bergerac, Voyage dans la Lune, qui décline ces données. Sans doute avec moins de brio , je devrais le relire.
Je vais lire Les voyages de Gulliver. Merci
Je vais lire Les voyages de Gulliver. Merci
Nadine- Messages : 4832
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 48
Re: Jonathan Swift
Il faudra certainement me le rappeler mais c'est alléchant.
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Re: Jonathan Swift
de bien jolies images en tout cas !
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21081
Date d'inscription : 02/12/2016
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Localisation : En Provence
Re: Jonathan Swift
Animal, dans ces conditions j'épingle un commentaire sur Voyage au pays des Houyhnhnms pour d'ici la fin du mois !
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Jonathan Swift
Chouette, on continue le voyage.
Troisième partie : Lagado, Laputa, Glubbdubdrib, Luggnagg et Japon
Nouveau voyage, nouveau naufrage. Sur l'île de Lagado les maitres pensent à tort et à travers, spéculations, mathématiques, culte de l'excentricité, indifférence et asservissement de l'île de Laputa à laquelle l'île volante est liée par son champ magnétique. On retrouve donc la même mode et des maisons de travers et des idées farfelues pour tout améliorer et tout empirer.
Un voyage très politique et satirique encore, plus proche de l'Irlande de l'auteur sans doute dominée et étouffée. Complètement fou, encore plus irréel alors que les proportions sont justes dans ce voyage. C'est un enfer mental qui se dessine d'élucubration en élucubration dans lesquelles d'ailleurs Gulliver se sent plutôt à l'aise et exprime perpétuellement son avis. Un enfer surréaliste d'une projection future en dépit de tout, une folle liberté conditionnée. Impression renforcée par l'îlot de normalité d'une des fréquentations de Gulliver et mécanisée par la visite de l'Académie et sa succession grotesque de folies.
Plus loin Glubbdubdrib et Luggnag on pense beaucoup aussi mais on se rapproche des morts, notre Gulliver se rapproche de la mort. Cruel passage sur l'immortalité. La fuite en arrière vers la raison d'un passé tissé de mensonges et toujours insaisissable. Une partie du voyage qui exprime également un danger plus grand, Gulliver est moins maitre de ses relations, son savoir vivre et sa séduction comme en sourdine, il est plus maladroit qu'à l'accoutumée. Bizarre.
Le passage par le Japon fait comme un sas de décompression pour le lecteur mais forme aussi un lien géographique et d'univers avec le monde du lecteur et de Gulliver, l'Europe. Les lubies et le danger du voyage se retrouvent et coexistent dans ce court passage.
Intéressante partie, beaucoup plus composite que les précédentes, encore plus poussée dans ses singularités (à l'inverse des apparences), plus violente dans ses polarités et encore plus trouble dans ses motivations... sans se départir de la redoutable fluidité de ce récit de voyage qui bascule vers l'intérieur.
ça fait un peu peur mais il se passe quelque chose c'est sûr. c'est un constat noir teinté d'une insistance vivante mais coupable qui est le lien auquel on reste accroché et qui permet cette brève excursion au milieu de nous-mêmes.
c'est à la fois sombre et très motivé et vivant. Et porté par une écriture aussi classique que réfléchie qui va pousser en déséquilibre l'attention de la lecture. le petit quelque chose qui pique au vif.
Troisième partie : Lagado, Laputa, Glubbdubdrib, Luggnagg et Japon
Nouveau voyage, nouveau naufrage. Sur l'île de Lagado les maitres pensent à tort et à travers, spéculations, mathématiques, culte de l'excentricité, indifférence et asservissement de l'île de Laputa à laquelle l'île volante est liée par son champ magnétique. On retrouve donc la même mode et des maisons de travers et des idées farfelues pour tout améliorer et tout empirer.
Un voyage très politique et satirique encore, plus proche de l'Irlande de l'auteur sans doute dominée et étouffée. Complètement fou, encore plus irréel alors que les proportions sont justes dans ce voyage. C'est un enfer mental qui se dessine d'élucubration en élucubration dans lesquelles d'ailleurs Gulliver se sent plutôt à l'aise et exprime perpétuellement son avis. Un enfer surréaliste d'une projection future en dépit de tout, une folle liberté conditionnée. Impression renforcée par l'îlot de normalité d'une des fréquentations de Gulliver et mécanisée par la visite de l'Académie et sa succession grotesque de folies.
Plus loin Glubbdubdrib et Luggnag on pense beaucoup aussi mais on se rapproche des morts, notre Gulliver se rapproche de la mort. Cruel passage sur l'immortalité. La fuite en arrière vers la raison d'un passé tissé de mensonges et toujours insaisissable. Une partie du voyage qui exprime également un danger plus grand, Gulliver est moins maitre de ses relations, son savoir vivre et sa séduction comme en sourdine, il est plus maladroit qu'à l'accoutumée. Bizarre.
Le passage par le Japon fait comme un sas de décompression pour le lecteur mais forme aussi un lien géographique et d'univers avec le monde du lecteur et de Gulliver, l'Europe. Les lubies et le danger du voyage se retrouvent et coexistent dans ce court passage.
Intéressante partie, beaucoup plus composite que les précédentes, encore plus poussée dans ses singularités (à l'inverse des apparences), plus violente dans ses polarités et encore plus trouble dans ses motivations... sans se départir de la redoutable fluidité de ce récit de voyage qui bascule vers l'intérieur.
ça fait un peu peur mais il se passe quelque chose c'est sûr. c'est un constat noir teinté d'une insistance vivante mais coupable qui est le lien auquel on reste accroché et qui permet cette brève excursion au milieu de nous-mêmes.
c'est à la fois sombre et très motivé et vivant. Et porté par une écriture aussi classique que réfléchie qui va pousser en déséquilibre l'attention de la lecture. le petit quelque chose qui pique au vif.
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Re: Jonathan Swift
et nous n'avions donc pas terminé le voyage ?
Quatrième partie : Voyage au pays des Houyhnhnms
Cette fois Gulliver part capitaine mais il y a mutinerie et il se retrouve déposé sur une petite île de l'hémisphère sud. Il y rencontre d'abord d'affreuses caricatures d'humains les yahoos puis de magnifiques chevaux doués de raison les houyhnhnms. Houyhnhnms qui parlent et vivent un peu comme des humains.
Gulliver se retrouve donc à vivre chez un de ces houyhnhnms qu'il appelle son maître et auprès duquel il apprend en quelque sorte la raison. Raison opposée à la bassesse et à la bestialité des yahoos, qui sont sales, griffus, méchants, etc.
Tout cela serait bel et beau si on n'en était pas arrivé si loin dans les péripéties désenchantées de Gulliver. Celui-ci est en pratique un yahoo domestique en mieux, il est ouvertement inférieur et cela lui convient cette fois parfaitement. Les sublimes chevaux se révèlent sages mais inégalitaires au possible et comme dépourvus pas seulement de passions mais de la moindre affection, tout se résumant, sans fin, à un pragmatisme "pour le meilleur".
L'ultime voyage, le voyage au contraste le plus fort, celui qui donne un miroir à l'apparence en montrant la vision du dégoût à mots à peine couverts. Le voyage le plus proche d'une situation normale ou le sujet (Gulliver) a cédé, se rend à quelque chose qui se doit forcément d'être supérieur. Ce dernier épisode achève donc le retour à une situation on ne peut plus concrète et proche et c'est aussi le pire, le plus grinçant le plus déstabilisant. Les causes sont ce miroir physique et la moindre présence de supercheries, de masques devant la morale, morale qui est le principal sujet de ces voyages.
Au final la lecture est un grand voyage, vers l'intérieur avec toute une belle maitrise des modes de la littérature de voyages et de l'exotisme avec des manières de mille et une nuits et quelques emprunts et influences par dessus. Le résultat est très riche, très cohérent... et un peu effrayant, très pessimiste, heureusement grinçant. Une lecture active, bien loin de la punition, édifiante tout de même et qui s'avère vertigineuse dans son rapport de la forme au contenu. Quelque chose d'une mécanique mutante dans la cohérence mouvante triste ou enjouée, blessante ou blessée qui se distingue souvent difficilement dans les mouvements de l'ensemble sous la peau de l'histoire simple et dépaysante. L'art et la manière de dire explicitement autre chose autrement au delà de la simple image utilisée. C'est un peu fou toute cette histoire. Brrrrrrrr...
L'édition Folio propose quelques compléments simples et assez intéressant pour meubler les plus grosses lacunes du lecteur en histoire et pour se faire une idée au moins sur les références employées par l'auteur.
Il y a quelque chose qui turlupine avec cette quatrième partie quand même. L'ensemble sent le texte qui n'a pas été écrit en deux jours et on devine ou on ne se trouble pas si on pense à des fluctuations d'humeur au fil des pages (à l'écrire on pourrait dire aussi que cette animation est une autre des qualités du livre) or cette quatrième partie est la seule à sembler pouvoir "contenir les autres", et elle est la dernière, comme un mauvais tour temporel, pas que temporel.
Quatrième partie : Voyage au pays des Houyhnhnms
Cette fois Gulliver part capitaine mais il y a mutinerie et il se retrouve déposé sur une petite île de l'hémisphère sud. Il y rencontre d'abord d'affreuses caricatures d'humains les yahoos puis de magnifiques chevaux doués de raison les houyhnhnms. Houyhnhnms qui parlent et vivent un peu comme des humains.
Gulliver se retrouve donc à vivre chez un de ces houyhnhnms qu'il appelle son maître et auprès duquel il apprend en quelque sorte la raison. Raison opposée à la bassesse et à la bestialité des yahoos, qui sont sales, griffus, méchants, etc.
Tout cela serait bel et beau si on n'en était pas arrivé si loin dans les péripéties désenchantées de Gulliver. Celui-ci est en pratique un yahoo domestique en mieux, il est ouvertement inférieur et cela lui convient cette fois parfaitement. Les sublimes chevaux se révèlent sages mais inégalitaires au possible et comme dépourvus pas seulement de passions mais de la moindre affection, tout se résumant, sans fin, à un pragmatisme "pour le meilleur".
L'ultime voyage, le voyage au contraste le plus fort, celui qui donne un miroir à l'apparence en montrant la vision du dégoût à mots à peine couverts. Le voyage le plus proche d'une situation normale ou le sujet (Gulliver) a cédé, se rend à quelque chose qui se doit forcément d'être supérieur. Ce dernier épisode achève donc le retour à une situation on ne peut plus concrète et proche et c'est aussi le pire, le plus grinçant le plus déstabilisant. Les causes sont ce miroir physique et la moindre présence de supercheries, de masques devant la morale, morale qui est le principal sujet de ces voyages.
Au final la lecture est un grand voyage, vers l'intérieur avec toute une belle maitrise des modes de la littérature de voyages et de l'exotisme avec des manières de mille et une nuits et quelques emprunts et influences par dessus. Le résultat est très riche, très cohérent... et un peu effrayant, très pessimiste, heureusement grinçant. Une lecture active, bien loin de la punition, édifiante tout de même et qui s'avère vertigineuse dans son rapport de la forme au contenu. Quelque chose d'une mécanique mutante dans la cohérence mouvante triste ou enjouée, blessante ou blessée qui se distingue souvent difficilement dans les mouvements de l'ensemble sous la peau de l'histoire simple et dépaysante. L'art et la manière de dire explicitement autre chose autrement au delà de la simple image utilisée. C'est un peu fou toute cette histoire. Brrrrrrrr...
L'édition Folio propose quelques compléments simples et assez intéressant pour meubler les plus grosses lacunes du lecteur en histoire et pour se faire une idée au moins sur les références employées par l'auteur.
Il y a quelque chose qui turlupine avec cette quatrième partie quand même. L'ensemble sent le texte qui n'a pas été écrit en deux jours et on devine ou on ne se trouble pas si on pense à des fluctuations d'humeur au fil des pages (à l'écrire on pourrait dire aussi que cette animation est une autre des qualités du livre) or cette quatrième partie est la seule à sembler pouvoir "contenir les autres", et elle est la dernière, comme un mauvais tour temporel, pas que temporel.
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Re: Jonathan Swift
tu m'as devancé, Animal, merci, finement observé !
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Jonathan Swift
Bel effort, Animal, mais Swift le mérite.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Jonathan Swift
Jonathan Swift était irlandais et très attaché à son pays. Très sensible,
il utilisa sa verve qui était grande et féroce pour fustiger le colonisateur,
la Grande Bretagne.
A qui il impute la misère noire des natifs et notamment des mères et des enfants.
Son humour était noir. Du plus beau noir, celui de Blake ou de Canetti.
Dans Modeste proposition et autres textes, il écrit :
Un jeune américain de ma connaissance, homme très-entendu, m’a certifié à Londres qu’un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l’âge d’un an, un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu’il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût.
J’expose donc humblement à la considération du public que des cent vingt mille enfants dont le calcul a été fait, vingt mille peuvent être réservés pour la reproduction de l’espèce, dont seulement un quart de mâles, ce qui est plus qu’on ne réserve pour les moutons, le gros bétail et les porcs ; et ma raison est que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, circonstance à laquelle nos sauvages font peu d’attention, c’est pourquoi un mâle suffira au service de quatre femelles ; que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver.
J’ai fait le calcul qu’en moyenne un enfant qui vient de naître pèse vingt livres, et que dans l’année solaire, s’il est passablement nourri, il ira à vingt-huit.
J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très-bien aux propriétaires, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des pères, paraissent avoir le plus de droits sur les enfants.
La chair des enfants sera de saison toute l’année, mais plus abondante en mars, et un peu avant et après, car il est dit par un grave auteur, un éminent médecin français, que, le poisson étant une nourriture prolifique, il naît plus d’enfants dans les pays catholiques romains environ neuf mois après le carême qu’à toute autre époque : c’est pourquoi, en comptant une année après le carême, les marchés seront mieux fournis encore que d’habitude, parce que le nombre des enfants papistes est au moins de trois contre un dans ce royaume ; cela aura donc un autre avantage, celui de diminuer le nombre des papistes parmi nous.
il utilisa sa verve qui était grande et féroce pour fustiger le colonisateur,
la Grande Bretagne.
A qui il impute la misère noire des natifs et notamment des mères et des enfants.
Son humour était noir. Du plus beau noir, celui de Blake ou de Canetti.
Dans Modeste proposition et autres textes, il écrit :
Un jeune américain de ma connaissance, homme très-entendu, m’a certifié à Londres qu’un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l’âge d’un an, un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu’il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût.
J’expose donc humblement à la considération du public que des cent vingt mille enfants dont le calcul a été fait, vingt mille peuvent être réservés pour la reproduction de l’espèce, dont seulement un quart de mâles, ce qui est plus qu’on ne réserve pour les moutons, le gros bétail et les porcs ; et ma raison est que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, circonstance à laquelle nos sauvages font peu d’attention, c’est pourquoi un mâle suffira au service de quatre femelles ; que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver.
J’ai fait le calcul qu’en moyenne un enfant qui vient de naître pèse vingt livres, et que dans l’année solaire, s’il est passablement nourri, il ira à vingt-huit.
J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très-bien aux propriétaires, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des pères, paraissent avoir le plus de droits sur les enfants.
La chair des enfants sera de saison toute l’année, mais plus abondante en mars, et un peu avant et après, car il est dit par un grave auteur, un éminent médecin français, que, le poisson étant une nourriture prolifique, il naît plus d’enfants dans les pays catholiques romains environ neuf mois après le carême qu’à toute autre époque : c’est pourquoi, en comptant une année après le carême, les marchés seront mieux fournis encore que d’habitude, parce que le nombre des enfants papistes est au moins de trois contre un dans ce royaume ; cela aura donc un autre avantage, celui de diminuer le nombre des papistes parmi nous.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Jonathan Swift
merci Bix, je n'imaginais pas une telle férocité ! mais compréhensible !
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Bédoulène- Messages : 21081
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Jonathan Swift
Voyage au pays des chevaux
Titre original: A Voyage to the Country of the Houyhnhnms - écriture entamée en 1710, achevée en 1715.
Lu dans la collection bilingue Aubier-Flammarion(ci-dessus), 156 pages environ (donc à diviser par 2 pour le texte monolingue) hors notes, introduction, tableau chronologique et carte.
On peut le lire en langue originale ici.
Humour en effet, comique de situation, avec ce pseudo-réalisme absurdisant dans lequel le lecteur "mord", très fécond en matière imaginative, goût à grand peine contenu de la scatologie parfois, on sait aussi que le Doyen Swift affectionne les puns (jeux de mots, calembours), même si ce n'est pas patent dans cet écrit (plutôt dans ses discours et échanges épistolaires).Bédoulène a écrit:merci Bix, je n'imaginais pas une telle férocité ! mais compréhensible !
Sur l'aspect férocité:
Misogynie (à nos yeux d'aujourd'hui c'est plus qu'exaspérant, c'est rédhibitoire, mais c'était nettement moins pointé en son temps et en son lieu, même si le terme existait, disons que "ça passait" beaucoup mieux), misanthropie (ceci en revanche était clairement mis en avant par ses contemporains, et est un des thèmes principaux de Voyage au pays des Houyhnhnms).
Misanthropie ?
Ou peut-être plutôt -c'est du moins mon avis- peine sincère à voir ce que la créature la mieux dotée en raison de l'univers fait de celle-ci.
Férocité toujours dans détestation des corps constitués en tant que tels (nobles, hommes de lois, docteurs, réthoriciens, beaux parleurs, ceux qu'on appelait dans le Royaume-Uni d'alors les antiquaires -pédants détenteurs de connaissances, etc..) les individus, pris séparément, parviennent à trouver grâce à ses yeux .
Sur la qualité littéraire:animal a écrit:
Au final la lecture est un grand voyage, vers l'intérieur avec toute une belle maitrise des modes de la littérature de voyages et de l'exotisme avec des manières de mille et une nuits et quelques emprunts et influences par dessus. Le résultat est très riche, très cohérent... et un peu effrayant, très pessimiste, heureusement grinçant. Une lecture active, bien loin de la punition, édifiante tout de même et qui s'avère vertigineuse dans son rapport de la forme au contenu. Quelque chose d'une mécanique mutante dans la cohérence mouvante triste ou enjouée, blessante ou blessée qui se distingue souvent difficilement dans les mouvements de l'ensemble sous la peau de l'histoire simple et dépaysante. L'art et la manière de dire explicitement autre chose autrement au delà de la simple image utilisée. C'est un peu fou toute cette histoire. Brrrrrrrr...
Jonathan Swift est un maître-conteur, trois siècles qu'il est reconnu en tant que tel, mais pas à la façon d'une étoile éteinte qui émet encore une brillance perceptible, non, rien n'est éteint au lecteur d'aujourd'hui, je me joins au Brrrrrrrr... que tu pousses devant tant de rationalisme exacerbé, comme j'en pousse un identique devant 1984 d'Orwell ou le transhumanisme: au fond, n'y a-t-il pas des points de jonction entre tout ceci ?
Le lire en anglais fut très agréable, plus aisé que ce à quoi je m'attendais - salvifique même si, comme moi, votre boulot vous immerge dans le globish à 300 mots de vocabulaire en vigueur internationalement à notre époque et oui, je me retiens à temps de verser à mon tour dans la comparaison évoquant une substance d'excréments.
Tout à l'opposé, c'est parcourir une belle langue riche d'auteur qu'on imagine homme de qualité et de répartie, ouvrage fluide, de plume alerte, littérature fortement pensée et sûrement échafaudée avec soin, comme le suppute aussi Animal, écriture beaucoup plus charmante que désuète.
Il y a aussi cette façon de narrer cru (les pipis-cacas scatologiaques, la tentative de la femelle Yahoo pour alpaguer Lemuel Gulliver à poil dans la rivière, etc...), en droite succession de l'époque médiévale et renaissance, qui s'allie au conte philosophique à tiroir, genre littéraire très XVIIIème avec cette obsédante Raison majuscule, quête graaloïde des Lumières: or Swift écrit ça dans les années 1710...
Est-il un précurseur ?
Je ne suis pas assez ferré (oui, ferré, restons chevaux) en littérature XVIIIème pour l'affirmer.
Est-ce que quelques extraits vous diraient (ou bien Gulliver, c'est déjà assez connu comme ça) ?
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Jonathan Swift
Ah ! Swift ! Le lire c'est comme retourner dans le mythe originel, où rien ne peut vraiment surprendre.
Il participe du même esprit que Rabelais, de ces limbes un peu grasses d'où tout vient.
Extrait, dans le goût de l'époque avant l'Histoire, celle de l'innocence et du rire (Voyage à Brobdingnag) :
C'est encore un ton qui est plus que moderne : intemporel.
Il participe du même esprit que Rabelais, de ces limbes un peu grasses d'où tout vient.
Extrait, dans le goût de l'époque avant l'Histoire, celle de l'innocence et du rire (Voyage à Brobdingnag) :
C'est aussi la narration d'un voyage, dans la continuation de celle d'Ulysse, d'île en île, comme l'Utopie de More et tant d'autres.« Peu de temps après, ma maîtresse entra et, me voyant tout sanglant, elle accourut et me prit dans ses mains. Je montrais le rat du doigt avec un sourire, et, par d’autres signes, je lui fis comprendre que j’étais sain et sauf. Elle en fut très heureuse et fit venir la servante qui enleva le rat avec une paire de pincettes et le jeta par la fenêtre. Ensuite, elle me posa sur la table où je lui montrai mon sabre couvert de sang, et après l’avoir essuyé avec le revers de ma veste, je le remis dans son fourreau. J’avais besoin de faire quelque chose que personne ne pouvait faire pour moi. J’essayai donc d’obtenir de ma maîtresse qu’elle me déposât sur le sol. Quand ceci fut acquis, ma timidité naturelle me permit seulement de désigner la porte et de m’accroupir à plusieurs reprises. La brave femme finit par comprendre ce que je voulais ; elle me prit dans sa main et m’emmena au jardin où elle me posa par terre. Je parcourus une centaine de toises et, m’assurant qu’elle ne me regardait ni ne me suivait, je me glissai entre deux feuilles d’oseille pour satisfaire aux lois de la nature. »
« Souvent, elles me déshabillaient de la tête aux pieds et me couchaient ainsi, tout en long, contre leurs seins. Ce qui ne manquait pas de me dégoûter, car, à vrai dire, une odeur répugnante se dégageait de leur peau. […]
Elles se déshabillaient devant moi et enfilaient leur chemise en ma présence pendant que je me trouvais sur leur table de toilette, juste en face de leur nudité. Cette vue était loin d’être pour moi une tentation et ne me donnait d’autres émotions que celles de l’horreur et du dégoût. […] La plus jolie de ces demoiselles d’honneur, une jeune fille de seize ans agréable et espiègle, s’amusait parfois à me mettre à cheval sur l’un de ses bouts de sein, avec nombre d’autres caprices sur lesquels le lecteur voudra bien m’excuser de ne rien dire. »
C'est encore un ton qui est plus que moderne : intemporel.
« Car, s’il avait suivi mes conseils, il aurait pu aussi bien être au chaud, chez lui, avec sa famille. Moi aussi, d’ailleurs. »
Jonathan Swift, « Voyage au pays des Houyhnhnms », in « Voyages de Gulliver »
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15597
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Re: Jonathan Swift
quels extraits, merci à tous !
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21081
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Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Jonathan Swift
Alors ce passage-là est au tout début, suivant une technique de conteur éprouvée,et bien entendu le ressenti de Lemuel Gulliver sera absolument tout autre lorsqu'il lui faudra envisager, puis effectuer son retour.Tristram a écrit:« Car, s’il avait suivi mes conseils, il aurait pu aussi bien être au chaud, chez lui, avec sa famille. Moi aussi, d’ailleurs. »
Jonathan Swift, « Voyage au pays des Houyhnhnms », in « Voyages de Gulliver »
NB: Veuillez m'excuser pour la longueur des extraits ci-dessous !
Les passages ci-dessous indiquent, je crois, assez la joliesse fluide de la langue de Swift, à noter que, dans cette version originale trouvée sur la Toile, beaucoup de majuscules ont été omises aux noms communs, ne respectant pas l'usage en vigueur lors de l'écriture et de la parution initiales.
La traduction française, elle aussi trouvée sur la Toile, est franchement olé-olé, elle prend pas mal de libertés vis-à-vis du texte, je l'ai d'ailleurs un peu amendée/corrigée au début avant d'arrêter par lassitude (comparez les extraits du Chapitre VI, par exemple), la traduction dans la collection que j'indiquais plus haut me paraît de bien meilleure facture.
Ces extraits, frappants je pense, pour insister sur le courage dans la férocité corrosive, le Doyen Swift, homme public relativement en vue, a par instants une audace folle dans la dénonciation -en son temps et son lieu, ça va de soi-.
Soulignons aussi les aspects Naturalisme et Raison, Swift a bien labouré le terrain pour les Lumières à venir, et, si Pierre Rabhi passe par ce forum un jour, sans doute ne disconviendra-t-il pas que la sobriété heureuse, ce que nous appelons les circuits courts, la tempérance, la paix et la fraternité entre les peuples, en un mot le prendre soin de la Création sont posés depuis au bas mot 300 ans:
Chapitre V a écrit:Donc pour obéir donc aux ordres de Son Honneur, un jour je lui racontai la révolution arrivée en Angleterre par l’invasion du prince d’Orange, et la guerre que ce prince ambitieux fit ensuite au roi de France, le monarque le plus puissant de l’Europe, dont la gloire était répandue dans tout l’univers et qui possédait toutes les vertus royales. J’ajoutai que la reine Anne, qui avait succédé au prince d’Orange, avait continué cette guerre, où toutes les puissances de la chrétienté étaient engagées. Je lui dis que cette guerre funeste avait pu faire périr jusqu’ici environ un million de Yahoos ; qu’il y avait eu plus de cent villes assiégées et prises, et plus de trois cents vaisseaux brûlés ou coulés à fond.
Il me demanda alors quels étaient les causes et les motifs les plus ordinaires de nos querelles et de ce que j’appelais la guerre. Je répondis que ces causes étaient innombrables et que je lui en dirais seulement les principales. « Souvent, lui dis-je, c’est l’ambition de certains princes qui ne croient jamais posséder assez de terre ni gouverner assez de peuples. Quelquefois, c’est la politique des ministres, qui veulent donner de l’occupation aux sujets mécontents. Ç’a été quelquefois le partage des esprits dans le choix des opinions. L’un croit que siffler est une bonne action, l’autre que c’est un crime ; l’un dit qu’il faut porter des habits blancs, l’autre qu’il faut s’habiller de noir, de rouge, de gris ; l’un dit qu’il faut porter un petit chapeau retroussé, l’autre dit qu’il en faut porter un grand dont les bords tombent sur les oreilles, etc. » J’imaginai exprès ces exemples chimériques, ne voulant pas lui expliquer les causes véritables de nos dissensions par rapport à l’opinion, vu que j’aurais eu trop de peine et de honte à les lui faire entendre.
J’ajoutai que nos guerres n’étaient jamais plus longues et plus sanglantes que lorsqu’elles étaient causées par ces opinions diverses, que des cerveaux échauffés savaient faire valoir de part et d’autre, et pour lesquelles ils excitaient à prendre les armes. Je continuai ainsi : « Deux princes ont été en guerre parce que tous deux voulaient dépouiller un troisième de ses États, sans y avoir aucun droit ni l’un ni l’autre. Quelquefois un souverain en a attaqué un autre de peur d’en être attaqué. On déclare la guerre à son voisin, tantôt parce qu’il est trop fort, tantôt parce qu’il est trop faible. Souvent ce voisin a des choses qui nous manquent, et nous avons des choses aussi qu’il n’a pas ; alors on se bat pour avoir tout ou rien. Un autre motif de porter la guerre dans un pays est lorsqu’on le voit désolé par la famine, ravagé par la peste, déchiré par les factions. Une ville est à la bienséance d’un prince, et la possession d’une petite province arrondit son État : sujet de guerre. Un peuple est ignorant, simple, grossier et faible ; on l’attaque, on en massacre la moitié, on réduit l’autre à l’esclavage, et cela pour le civiliser. Une guerre fort glorieuse est lorsqu’un souverain généreux vient au secours d’un autre qui l’a appelé, et qu’après avoir chassé l’usurpateur, il s’empare lui-même des États qu’il a secourus, tue, met dans les fers ou bannit le prince qui avait imploré son assistance. La proximité du sang, les alliances, les mariages, sont autant de sujets de guerre parmi les princes ; plus ils sont proches parents, plus ils sont près d’être ennemis. Les nations pauvres sont affamées, les nations riches sont ambitieuses ; or, l’indigence et l’ambition aiment également les changements et les révolutions. Pour toutes ces raisons, vous voyez bien que, parmi nous, le métier d’un homme de guerre est le plus beau de tous les métiers [...]
Chapter V a écrit:In Obedience therefore to his Honour's Commands, I related to him the Revolution under the Prince of Orange; the long War with France entered into by the said Prince, and renewed by his Successor the present Queen; wherein the greatest Powers of Christendom were engaged, and which still continued: I computed at his Request, that about a Million of Yahoos might have been killed in the whole Progress of it, and perhaps a Hundred or more Cities taken, and thrice as many Ships burnt or sunk.
He asked me what were the usual Causes or Motives that made one Country go to War with another. I answered they were innumerable, but I should only mention a few of the chief. Sometimes the Ambition of Princes, who never think they have Land or People enough to govern: Sometimes the Corruption of Ministers, who engage their Master in a War in order to stifle or divert the Clamour of the Subjects against their Evil Administration. Difference in Opinions hath cost many Millions of Lives: For instance, whether Flesh be Bread, or Bread be Flesh; whether the Juice of a certain Berry be Blood or Wine; whether Whistling be Vice or a Virtue; whether it be better to kiss a post, or throw it into the Fire; what is the best Colour for a Coat, whether Black, White, Red, or Gray; and whether it should be long or short, narrow or wide, dirty or clean; with many more. Neither are any Wars so furious and Bloody, or of so long Continuance, as those occasioned by Difference in Opinion, especially if it be in Things indifferent.
Sometimes the Quarrel between two Princes is to which of them shall dispossess a third of his Dominions, where neither of them pretend to any Right. Sometimes one Prince quarreleth with another, for Fear the other should quarrel with him. Sometimes a War is entered upon, because the Enemy is too strong, and sometimes because he is too weak. Sometimes our Neighbours want the Things which we have, or have the Things which we want; and we both fight, till they take ours or give us theirs. It is a very justifiable Cause of War to invade a Country after the People have been wasted by Famine, destroyed by Pestilence, or embroiled by Factions among themselves. It is justifiable to enter into War against our nearest Ally, when one of his Towns lies convenient for us, or a Territory of Land, that would render our Dominions round and compleat. If a Prince sends Forces into a Nation where the People are poor and ignorant, he may lawfully put half of them to Death, and make Slaves of the rest, in order to civilize and reduce them from their barbarous Way of Living. It is a very kingly, honourable, and frequent Practice, when one Prince desires the Assistance of another to secure him against an Invasion, that the Assistant, when he hath driven out the Invader, should seize on the Dominions himself, and kill, imprison or banish the Prince he came to relieve. Alliance by Blood or Marriage, is a frequent Cause of War between Princes; and the nearer the Kindred is, the greater is their Disposition to quarrel: Poor Nations are hungry, and rich Nations are proud; and Pride and Hunger will ever be at variance. For those Reasons, the Trade of a Soldier is held the most honourable of all others [...]
Chapitre VI a écrit: Mon maître ne pouvait comprendre comment toute cette race de patriciens était si malfaisante et si redoutable. « Quel motif, disait-il, les porte à faire un tort si considérable à ceux qui ont besoin de leur secours ? et que voulez-vous dire par cette récompense que l’on promet à un procureur quand on le charge d’une affaire ? » Je lui répondis que c’était de l’argent. J’eus un peu de peine à lui faire entendre ce que ce mot signifiait ; je lui expliquai nos différentes espèces de monnaies et les métaux dont elles étaient composées ; je lui en fis connaître l’utilité, et lui dis que lorsqu’on en avait beaucoup on était heureux ; qu’alors on se procurait de beaux habits, de belles maisons, de belles terres, qu’on faisait bonne chère, et qu’on avait à son choix tout ce qu’on pouvait désirer ; que, pour cette raison, nous ne croyions jamais avoir assez d’argent, et que, plus nous en avions, plus nous en voulions avoir ; que le riche oisif jouissait du travail du pauvre, qui, pour trouver de quoi se nourrir, suait du matin jusqu’au soir et n’avait pas un moment de relâche. « Eh quoi ! interrompit Son Honneur, toute la terre n’appartient-elle pas à tous les animaux, et n’ont-ils pas un droit égal aux fruits qu’elle produit pour leur nourriture ? Pourquoi y a-t-il des yahous privilégiés qui recueillent ces fruits à l’exclusion de leurs semblables ? Et si quelques-uns y prétendent un droit plus particulier, ne doit-ce pas être principalement ceux qui, par leur travail, ont contribué à rendre la terre fertile ? – Point du tout, lui répondis-je ; ceux qui font vivre tous les autres par la culture de la terre sont justement ceux qui meurent de faim. – Mais, me dit-il, qu’avez-vous entendu par ce mot de bonne chère, lorsque vous m’avez dit qu’avec de l’argent on faisait bonne chère dans votre pays ? » Je me mis alors à lui indiquer les mets les plus exquis dont la table des riches est ordinairement couverte, et les manières différentes dont on apprête les viandes. Je lui dis sur cela tout ce qui me vint à l’esprit, et lui appris que, pour bien assaisonner ces viandes, et surtout pour avoir de bonnes liqueurs à boire, nous équipions des vaisseaux et entreprenions de longs et dangereux voyages sur la mer ; en sorte qu’avant que de pouvoir donner une honnête collation à quelques personnes de qualité, il fallait avoir envoyé plusieurs vaisseaux dans les quatre parties du monde. « Votre pays, repartit-il, est donc bien misérable, puisqu’il ne fournit pas de quoi nourrir ses habitants ! Vous n’y trouvez pas même de l’eau, et vous êtes obligés de traverser les mers pour chercher de quoi boire ! » Je lui répliquai que l’Angleterre, ma patrie, produisait trois fois plus de nourriture que ses habitants n’en pouvaient consommer, et qu’à l’égard de la boisson, nous composions une excellente liqueur avec le suc de certains fruits ou avec l’extrait de quelques grains ; qu’en un mot, rien ne manquait à nos besoins naturels ; mais que, pour nourrir notre luxe et notre intempérance, nous envoyions dans les pays étrangers ce qui croissait chez nous, et que nous en rapportions en échange de quoi devenir malades et vicieux ; que cet amour du luxe, de la bonne chère et du plaisir était le principe de tous les mouvements de nos yahous ; que, pour y atteindre, il fallait s’enrichir ; que c’était ce qui produisait les filous, les voleurs, les pipeurs, les parjures, les flatteurs, les suborneurs, les faussaires, les faux témoins, les menteurs, les joueurs, les imposteurs, les fanfarons, les mauvais auteurs, les empoisonneurs, les précieux ridicules, les esprits forts. Il me fallut définir tous ces termes. J’ajoutai que la peine que nous prenions d’aller chercher du vin dans les pays étrangers n’était pas faute d’eau ou d’autre liqueur bonne à boire, mais parce que le vin était une boisson qui nous rendait gais, qui nous faisait en quelque manière sortir hors de nous-mêmes, qui chassait de notre esprit toutes les idées sérieuses ; qui remplissait notre tête de mille imaginations folles ; qui rappelait le courage, bannissait la crainte, et nous affranchissait pour un temps de la tyrannie de la raison. « C’est, continuai-je, en fournissant aux riches toutes les choses dont ils ont besoin que notre petit peuple s’entretient. Par exemple, lorsque je suis chez moi et que je suis habillé comme je dois l’être, je porte sur mon corps l’ouvrage de cent ouvriers. Un millier de mains ont contribué à bâtir et à meubler ma maison, et il en a fallu encore cinq ou six fois plus pour habiller ma femme.
J’étais sur le point de lui peindre certains yahous qui passent leur vie auprès de ceux qui sont menacés de la perdre, c’est-à-dire nos médecins. J’avais dit à Son Honneur que la plupart de mes compagnons de voyage étaient morts de maladie ; mais il n’avait qu’une idée fort imparfaite de ce que je lui avais dit.
Il s’imaginait que nous mourions comme tous les autres animaux, et que nous n’avions d’autre maladie que de la faiblesse et de la pesanteur un moment avant que de mourir, à moins que nous n’eussions été blessés par quelque accident. Je fus donc obligé de lui expliquer la nature et la cause de nos diverses maladies.
Chapter VI a écrit:
My Master was yet wholly at a Loss to understand what Motives could incite this Race of Lawyers to perplex, disquiet, and weary themselves, and engage in a Confederacy of Injustice, merely for the Sake of injuring their Fellow-Animals; neither could he comprehend what I meant in saying they did it for Hire. Whereupon I was at much Pains to describe to him the Use of Money, the Materials it was made of, and the Value of the Metals, that when a Yahoo had got a great Store of this precious Substance, he was able to purchase whatever he had a Mind to; the finest Cloathing, the noblest Houses, great Tracts of Land, the most costly Meats and Drinks, and have his choice of the most beautiful Females.
Therefore he desired I would let him know, what these costly Meats were, and how any of us happened to want them. Whereupon I enumerated as many sorts as came into my Head, with the various Methods of dressing them, which could not be done without sending Vessels by Sea to every Part of the World, as well for Liquors to Drink, as for Sauces, and innumerable other Conveniences. I assured him, that this whole Globe of Earth must be at least three times gone round, before one of our better Female Yahoos could get her Breakfast or a Cup to put it in. He said, That must needs be a miserable Country which cannot furnish Food for its own Inhabitants. But what he chiefly wondered at was how such vast Tracts of Grounds as I described should be wholly without Fresh-water, and the People put to the Necessity of sending over the Sea for Drink. I replied, that England (the dear Place of my Nativity) was computed to produce three times the Quantity of Food, more than its Inhabitants are able to consume, as well as Liquors extracted from Grain, or pressed out of the Fruit of certain Trees, which made excellent Drink, and the same Proportion in every other Convenience of Life. But in order to feed the Luxury and Intemperance of the Males, and the Vanity of the Females, we sent away the greatest Part of our necessary Things to other Countries, from whence in return we brought the Materials of Diseases, Folly, and Vice, to spend among ourselves. Hence it follows of Necessity, that vast Numbers of our People are compelled to seek their Livelihood by Begging, Robbing, Stealing, Cheating, Pimping, Forswearing, Flattering, Suborning, Forging, Gaming, Lying, Fawning, Hectoring, Voting, Scribbling, Stargazing, Poysoning, Whoring, Canting, Libelling, Free-thinking, and the like Occupations: Every one of which Terms, I was at much Pains to make him understand.
That Wine was not imported among us from foreign Countries, to supply the want of Water or other Drinks, but because it was a sort of Liquid which made us merry, by putting us out of our Senses; diverted all melancholy Thoughts, begat wild extravagant Imaginations in the Brain, raised our Hopes, and banished our Fears, suspended every Office of Reason for a time, and deprived us of the use of our Limbs, till we fell into a profound Sleep; although it must be confessed, that we always awoke sick and dispirited, and that the use of this Liquor filled us with Diseases, which made our Lives uncomfortable and short.
But beside all this, the Bulk of our People supported themselves by furnishing the Necessities and Conveniences of Life to the Rich, and to each other. For Instance, when I am at home and dressed as I ought to be, I carry on my Body the Workmanship of an Hundred Tradesmen; the Building and Furniture of my House employ as many more, and five times the Number to adorn my Wife.
I was going on to tell him of another sort of People, who get their Livelihood by attending the Sick, having upon some Occasions informed his Honour that many of my Crew had died of Diseases. But here it was with the utmost Difficulty, that I brought him to apprehend what I meant. He could easily conceive, that a Houyhnhnm grew weak and heavy a few Days before his Death, or by some Accident might hurt a Limb. But that Nature, who works all Things to Perfection, should suffer any Pains to breed in our Bodies, he thought impossible, and desired to know the Reason of so unaccountable an Evil.
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Des Choses à lire :: Lectures par auteurs :: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
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