André Hardellet

Une moisissure  légère, respirée par hasard, le transportait dans une auberge ancienne, à l'orée d'un village. Des cartes, des dominos jaunis par la fumée traînaient sur les tables que les joueurs avaient abandonnées - depuis quand ? Il y avait des mouches mortes entre les vitres et les rideaux des fenêtres; par une trappe béante l'odeur du cellier se répandait.

Personne ne venait lui demander ce qu'il désirait. C'était la fin de l'Automne. Il pensait aux grosses truites du déversoir, à des palais en fagots, à la chambre un peu humide que surveille un oiseau empaillé.

Puis tout doucement, sur la pointe des pieds, il sortait pour rattraper le présent au passage.

« Fourmis. Sable noir d'un sablier horizontal. »

« Cailloux (tas de). Il y voyait l'équivalent du « Livre » dont la composition vint à bout de S.M. – un livre on ne peut plus objectif. Il s'agissait d'assembler des cailloux dans un ordre secret – mathématique, poétique, prophétique – où l'histoire du monde serait inscrite, une sorte d'algèbre concrète qui, par les combinaisons du nombre et de la forme, par les rapports analogiques, fournirait une réponse à toutes les questions possibles. »

« Dépotoir (À Christian Bourgois) – Un immense entonnoir, du côté d'Ivry.
Tout ce que la ville a rejeté, vomi, jugé indigne de ses enfers et de ses fours crématoires vous appartient. Bidets, matelas éventrés, seaux hygiéniques, oripeaux d'assassins, tartes aux cheveux, seins en plastique, cadavres de chats, bandages herniaires, terrines éclatées, masques à gaz, tentures pourries, groins, pansements, journaux, revues (mes poèmes y ont paru), momies d'étrons, renards, frasques, postillons, têtes de Turques, soupes figées, perruques de comiques, vanilles, cannelles, cannes, canules, forceps, bourriques torturées, brouets spartiates, dentiers (l'un appartint au plus somptueux modèle de Renoir), fœtus confits, guignols à l'étouffée, sangsues, exsangues, mâta haris, mécaniques avortées, photos pornos, eichmanns, landrus, pneus, entonnoirs pour la « question », bocks, simulacres en caoutchouc, baisers, lames, lunes, coquilles d'huîtres, porte-jarretelles des condamnées à mort, miroirs contre la flèche du temps, miroirs ordinaires en miettes, os de gigots, bonnots, garniers, valets, gardénias, violons brisés parce qu'ils avaient l'âme française, troncs, frocs, fracs, cordes pour faux pendus, fusillés de Vint-gré — tout, vous dis-je, est à votre disposition. »

« Loire. Lointains qui coulent à nos pieds. »

« Votre place et la mienne sont toujours un peu "en deçà", dans cet espace où l'imaginaire demeure souverain, où la rencontre n'a pas encore eu lieu. »

« La poésie est à ce prix : le passage dans l'horizon des mots imprimés – qui est le lieu où tombe l'œil du lecteur. »