Pierre Bergounioux
Page 2 sur 2 • Partagez
Page 2 sur 2 • 1, 2
Re: Pierre Bergounioux
Son style efface les autres, ou au moins les estompe.
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
Miette

Le narrateur, sculpteur en « ferrailles » comme l’auteur, a repris la propriété d’une famille paysanne du plateau limousin (quasiment de nos jours), qu’il nous présente au travers de ses membres, Baptiste l’opiniâtre, massif et impétueux maître-esclave de la terre, négociant voyageur et paysan planteur d’arbres, sa femme Jeanne, la douce institutrice sans dot « que la possession ne possédait pas » et que sa belle-famille déteste, les trois autres membres de la fratrie, Adrien le benjamin, Octavie la chipie à « l’air d’ajonc » et Lucie, enfin Miette (diminutif de Marie) la parcimonieuse, la mère si présente bien qu’il l’eut à peine croisée.
Au travers des photos de famille et des suppositions avouées par le « je » qui narre, mais aussi ses rencontres avec les survivants, se reconstitue le destin de chacun, « jouet de la nécessité sans faille du temps immobile et des lieux clos. »
Ce que Pierre Bergounioux relate, ce sont les règles de la vie dans cette région âpre, où le granit semble être aussi trait de caractère : l’abnégation, la dureté, le silence impassible et la maîtrise de soi des individus régis par la primogéniture et le statut de bru (autrement dit d’origine "allogène" dans un mariage de raison), dans le cadre traditionnel de l’usage.
Bergounioux développe une dialectique « du non et du oui », de l’acceptation et du refus de son sort désigné.
Il revient fréquemment sur « les choses, de la terre d’abord et ensuite des outils pour la travailler », « les choses, la maison, les terres », celles que Baptiste s’est fait devoir de perpétuer, celles qui brisèrent Octavie promise à une carrière de mathématicienne en Amérique :
Il m’a semblé que les circonlocutions de la langue châtiée de Bergounioux le distanciaient un peu de ses considérations sur la parentèle, en contrepoint de ce témoignage à la valeur ethnographique sans en avoir le ton.
Je ne suis pas le seul à avoir pointé cette curieuse convergence thématique contemporaine que certaines œuvres de Bergounioux partagent avec d’autres de Michon, Millet, Marie-Hélène Lafon, Jourde, qui gravite autour des petites gens dans un proche passé du centre de la France – notre centre de gravité national ?
Sinon, Quasimodo, tu peux te lancer sans crainte dans ce livre : m’étonnerait qu’il te déçoive !
\Mots-clés : #famille #fratrie #lieu #relationdecouple #relationenfantparent #ruralité #temoignage #traditions #xxesiecle

Le narrateur, sculpteur en « ferrailles » comme l’auteur, a repris la propriété d’une famille paysanne du plateau limousin (quasiment de nos jours), qu’il nous présente au travers de ses membres, Baptiste l’opiniâtre, massif et impétueux maître-esclave de la terre, négociant voyageur et paysan planteur d’arbres, sa femme Jeanne, la douce institutrice sans dot « que la possession ne possédait pas » et que sa belle-famille déteste, les trois autres membres de la fratrie, Adrien le benjamin, Octavie la chipie à « l’air d’ajonc » et Lucie, enfin Miette (diminutif de Marie) la parcimonieuse, la mère si présente bien qu’il l’eut à peine croisée.
Au travers des photos de famille et des suppositions avouées par le « je » qui narre, mais aussi ses rencontres avec les survivants, se reconstitue le destin de chacun, « jouet de la nécessité sans faille du temps immobile et des lieux clos. »
Ce que Pierre Bergounioux relate, ce sont les règles de la vie dans cette région âpre, où le granit semble être aussi trait de caractère : l’abnégation, la dureté, le silence impassible et la maîtrise de soi des individus régis par la primogéniture et le statut de bru (autrement dit d’origine "allogène" dans un mariage de raison), dans le cadre traditionnel de l’usage.
Bergounioux développe une dialectique « du non et du oui », de l’acceptation et du refus de son sort désigné.
Il revient fréquemment sur « les choses, de la terre d’abord et ensuite des outils pour la travailler », « les choses, la maison, les terres », celles que Baptiste s’est fait devoir de perpétuer, celles qui brisèrent Octavie promise à une carrière de mathématicienne en Amérique :
De l’importance d’être « gens du haut » :« Elle avait bûché avec l’énergie qui apparentait l’effort, la peine, le vouloir à des propriétés matérielles, ce qu’à la limite ils étaient en un lieu qui ne souffrait la présence humaine qu’asservie à son despotique vouloir. »
« Ce que je veux dire, c’est que dans le même temps qu’elle se faisait l’interprète du temps d’avant, des choses éternelles, elle devinait la suite, c’est-à-dire la fin des temps, si le temps n’existe pas en soi mais toujours en un lieu qu’il baigne, et que ce lieu allait sortir du temps ou le temps – c’est tout un – le déserter. »
On apprend qu’on enrésinait déjà en Douglas dans cette région dès les années 10 ; Baptiste aurait planté un million de résineux, prévoyant, ayant compris qu’au bout de « trois mille ans » leur mode d’existence devait changer.« Ça paraît compliqué alors que c’est très simple, d’une évidence tangible : c’est l’endroit. Dès lors qu’on s’établissait à demeure au-dessus du grand pré, face à la chaîne des puys, à sept cents mètres d’altitude, avec le granit sous les pieds, la brande et les bois autour et le silence posé là-dessus comme une chape, on avait tout le reste, l’inflexible volonté qu’ils dictaient aux hommes, l’oppression que, par leur truchement, ils exerçaient sur les femmes, le calcul d’utilités infimes, le non, le oui, le désespoir, l’inutile fidélité. »
Le narrateur, venu de la plaine, explicite son approche de ces « trois millénaires » incarnés :« Mais quoiqu’on ait fait en prévision de l’éternité d’absence où l’on va entrer, comment ne pas s’attrister, secrètement, de la venue du temps où l’on sera sorti du temps. »
Le récit s’achève comme cette génération disparaît.« J’ai vu ce qui, de prime abord, avait été pour moi un mystère et le resta longtemps, la filiation profonde, l’identité secrète entre cet homme [Baptiste] né de la terre, pareil à elle, à la lande, aux bois et la grâce farouche, singulière, des filles qu’il avait engendrées après que, femmes, elles l’eurent porté.
Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller. »
Il m’a semblé que les circonlocutions de la langue châtiée de Bergounioux le distanciaient un peu de ses considérations sur la parentèle, en contrepoint de ce témoignage à la valeur ethnographique sans en avoir le ton.
Je ne suis pas le seul à avoir pointé cette curieuse convergence thématique contemporaine que certaines œuvres de Bergounioux partagent avec d’autres de Michon, Millet, Marie-Hélène Lafon, Jourde, qui gravite autour des petites gens dans un proche passé du centre de la France – notre centre de gravité national ?
Sinon, Quasimodo, tu peux te lancer sans crainte dans ce livre : m’étonnerait qu’il te déçoive !
\Mots-clés : #famille #fratrie #lieu #relationdecouple #relationenfantparent #ruralité #temoignage #traditions #xxesiecle
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
Merci pour ce commentaire, Tristram ; je compte le lire très prochainement, avec en regard les passages du journal qui lui sont consacrés.
Je crois que Bergounioux explique son propre intérêt pour le monde rural où il est né par les profonds changements qui y avaient cours et qui lui ont permis, par exemple, de s'en émanciper. C'est un monde finissant et instable qu'il lui a été nécessaire d'inventorier, d'expliquer, et cette préoccupation est peut-être précisément celle de toute une génération d'écrivains qui n'auraient pas pu le devenir dans un autre contexte que celui-ci ?
Je crois que Bergounioux explique son propre intérêt pour le monde rural où il est né par les profonds changements qui y avaient cours et qui lui ont permis, par exemple, de s'en émanciper. C'est un monde finissant et instable qu'il lui a été nécessaire d'inventorier, d'expliquer, et cette préoccupation est peut-être précisément celle de toute une génération d'écrivains qui n'auraient pas pu le devenir dans un autre contexte que celui-ci ?
Quasimodo- Messages : 5422
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 27
Re: Pierre Bergounioux
Oui, ce que tu dis colle avec ce que j'y ai trouvé : l'approche personnelle (de l'auteur), la conscience d'un monde qui disparaît, mais qui effectivement offre des possibilités neuves (et permet donc de s'adapter). Et, oui, la thématique du changement (rapide) de notre société (agraire) est prégnant.
Mais je souligne que Bergounioux a une perception non seulement réfléchie du phénomène, mais originale, et d'ailleurs bien plus approfondie et vécue que certaines autres...
Mais je souligne que Bergounioux a une perception non seulement réfléchie du phénomène, mais originale, et d'ailleurs bien plus approfondie et vécue que certaines autres...
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
je note Tristram, cela devrait ma plaire. Et la photo de couverture

_________________
"Prendre des notes, c'est faire des gammes de littérature Le journal de Jules Renard
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 19886
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 78
Localisation : En Provence
Re: Pierre Bergounioux
Tu penses aux Pythre ?Tristram a écrit:et d'ailleurs bien plus approfondie et vécue que certaines autres...
Quasimodo- Messages : 5422
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 27
Re: Pierre Bergounioux
Surtout aux deux derniers auteurs que j'ai cités...
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
Je pensais que Lafon valait mieux. Mais l'intérêt (et, apparemment, l'amitié) que lui portent Bergounioux et Michon m'incite à la lire !
Quasimodo- Messages : 5422
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 27
Re: Pierre Bergounioux
Certes, mais Les derniers Indiens ne m'a pas trop nourri.
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
Carnet de notes, 2016-2020. - Verdier
944 pages pour les vacances de Quasi !
944 pages pour les vacances de Quasi !
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Pierre Bergounioux
Et encore, je ne suis pas venu à bout de la troisième livraison du Carnet !!
Quasimodo- Messages : 5422
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 27
Re: Pierre Bergounioux
Le matin des origines

Premiers souvenirs de petite enfance dans le Lot maternel, solaire (et la Corrèze paternelle, mélancolique) – le commencement, « l’aube violette » : l’instant, « l’intervalle entre pas encore et plus jamais. »…
\Mots-clés : #autobiographie #enfance

Premiers souvenirs de petite enfance dans le Lot maternel, solaire (et la Corrèze paternelle, mélancolique) – le commencement, « l’aube violette » : l’instant, « l’intervalle entre pas encore et plus jamais. »…
\Mots-clés : #autobiographie #enfance
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
(Je me suis un bref instant demandé s'il n'y avait pas clé dans le roman de Léo Malet, La Nuit de Saint-Germain-des-Prés, lorsqu'il parle de Bergougnoux, le vilain écrivain...)
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
je pose ce petit docu sur ses sculptures là et vous embrasse bien (les connus du moins)
https://www.kubweb.media/page/vies-metalliques-ecrivain-sculpteur-pierre-bergounioux-henry-colomer/
https://www.kubweb.media/page/vies-metalliques-ecrivain-sculpteur-pierre-bergounioux-henry-colomer/
Nadine- Messages : 4830
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 47
Re: Pierre Bergounioux
Merci @Nadine pour ce beau document !
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14857
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Pierre Bergounioux
oui merci Nadine !
_________________
"Prendre des notes, c'est faire des gammes de littérature Le journal de Jules Renard
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 19886
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 78
Localisation : En Provence
Re: Pierre Bergounioux
De rien mes amis :`
Nadine- Messages : 4830
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 47
Page 2 sur 2 • 1, 2
Des Choses à lire :: Lectures par auteurs :: Écrivains européens francophones
Page 2 sur 2
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|