Lance Weller

...Ou je n'ai pas pleinement apprécié ?...

Le cercueil de Job

J'ai été impressionné par la maturité et la force expressive qui se dégagent de ce troisième roman de Lance Weller. Le cercueil de Job relie les destins, à l'époque de la Guerre de Sécession, d'une jeune esclave noire en fuite, Bell Hood, et d'un soldat confédéré mutilé lors de la bataille de Shiloh, Jeremiah Hoke. Ce sont deux personnages en errance, à la recherche de leur humanité dans un monde qui semble désespérément sombre et vide.

La violence absolue et absurde du conflit déchirant les Etats-Unis est omniprésente dans le roman, telle une ombre planant sur chaque rencontre et menaçant d'ensevelir tous les protagonistes dans sa noirceur. Mais la beauté de l'ouvrage tient à son attention à une poignée de gestes, de regards, qui sont autant de promesses permettant d'envisager une rédemption, une issue à une quête tragique. Et Bell Hood et Jeremiah Hoke, dans leur périple insensé, parviennent à créer  une lueur d'espoir. C'est cet équilibre qui donne une intensité vibrante à l'écriture.

c'est décidé, après mon pavé, je ferai la connaissance de l'auteur

je viens de terminer Wilderness, le commentaire de topocl est d'une justesse implacable. Tristram a mis un bémol sur la forme dans le sien.

J'ai littéralement adoré, les descriptions sont d'une poésie ennivrante et terrible à la fois ; j'ai cheminé aux côtés du vieil Abel, je l'ai écouté raconter la terrible guerre, et les regrets de sa courte vie de famille.

Le couple qu'il forme avec Buster son chien qu'il aimera jusqu'à sa fin. Oui j'ai eu les larmes aux yeux !

Et j'ai pensé à Igor qui aurait aimé cette lecture.

extraits

"Tandis qu’il se balançait dans son fauteuil et qu’il observait les flammes s’activer, le vieil homme ne savait pas encore qu’il allait partir, et pourtant, penché devant son feu, il sentait quelque chose changer en lui. À ses côtés, le chien percevait son désespoir et savait ce que le vieil homme ignorait, il savait qu’il allait bientôt tenter quelque chose et qu’il échouerait, et qu’ils se mettraient en route peu après. Le chien savait aussi qu’ils ne reviendraient pas. Il savait ces choses de la même façon qu’un chien connaît bien le cœur de l’homme qu’il aime et comprend ce cœur encore mieux que ce que l’homme pourrait jamais espérer. Le vieil homme caressa la tête du chien, l’air absent, et l’animal leva les yeux vers lui un instant avant de poser le menton sur ses pattes de devant et de fermer les paupières."

"Il avançait en claudiquant sans s’arrêter, portant le chien comme un joug en travers de ses épaules. La queue de l’animal se balançait doucement contre lui et le vieil homme tourna la tête pour le regarder dans les yeux. Le chien cligna des yeux et ouvrit la gueule.
— Me regarde pas comme ça, marmonna Abel. Et faudrait pas non plus t’habituer à ce que j’te porte comme ça tout le temps, j’te préviens."


"En tombant, la neige faisait un léger tic-tac. Comme une multitude d’horloges dans le silence d’une bibliothèque, ce bruit évoquait la vieillesse, la mémoire et la fin. Abel renifla et cracha. Il posa le canon de son fusil sur la tempe du chien.
— Sacré toi, va, dit-il avec tendresse.
Le chien agita la queue dans la neige. Il roula les yeux pour regarder le vieil homme et ouvrit la gueule."



la guerre :

"Là : un Confédéré maigre et en haillons, hirsute, à l’air égaré, tombe sur les genoux et les mains derrière les fortifications, comme s’il voulait se mettre à prier là, puis il s’appuie avec lenteur, une lassitude calme et résignée, contre un vieux pin criblé de balles. Un trou rouge bien net orne le milieu de son front et peu de temps s’écoule avant que son chapeau, dont le bandeau porte son nom brodé avec le plus grand soin par sa sœur, là-bas, à Galveston, ne lui soit volé sur la tête"

"Ici : un homme dont la mâchoire inférieure a été arrachée se traîne à l’aveuglette dans la fumée, sa langue rouge agitée de spasmes, soudain privée de son attache, est devenue incroyablement longue, étonnamment pointue, la bave sanguinolente coule sur sa poitrine et la langue se tortille encore dans sa gorge tandis qu’il essaie d’appeler sa mère.
Là : une volée d’éclats d’obus brûlants emporte les deux yeux d’un soldat de l’Union et l’homme continue à avancer en titubant. Les soldats rebelles s’écartent sur son passage, ne e touchent pas et ne laissent personne le toucher, comme s’il était devenu un protégé de Dieu. Il passe, marchant à tâtons, franchit le remblai et disparaît."

"La Wilderness avait brûlé en plusieurs endroits cette nuit là, et l’air était chargé des relents de lauriers en flammes, de cheveux grillés et de poudre froide. En se consumant, la chair des chevaux faisait monter un voile de fumée graisseuse et noire qui masquait la lumière des étoiles. Une autre chair brûlait aussi cette nuit-là, faisant monter une puanteur encore plus choquante. Et l’obscurité de cette nuit était chaude et orange"

"— Vous étiez un partisan de Lincum ?
Là-bas, au-delà des derniers arbres, la voie ferrée décrivait une grande courbe qui se repliait puis se redressait, et Abel voyait encore les lumières du train qui fuyaient et diminuaient pour ne plus être que des têtes d’épingle jaunes scintillant sur des tentures sombres d’arbres lointains, et il les suivit jusqu’à ce que la distance et le temps les eussent fait disparaître complètement. Il prit une profonde inspiration.
— Oui, j’étais un de ses partisans, dit-il tout bas. Je l’ai toujours été.
Et tandis qu’il disait cela, il aurait tout donné pour que cela fût vrai."

Bon j'avais quand même dit que c'est un "magnifique roman" !

oui, c'est vrai Tristram ; je continue avec lequel ?