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Michel Leiris

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Message par Tristram Lun 12 Déc - 20:54

Michel Leiris 1901-1990

Michel Leiris Avt_mi10

Né à Paris en 1901, Michel Leiris est à la fois poète, ethnographe, critique d'art et essayiste, mais c'est son œuvre autobiographique qui s'impose nettement comme la partie la plus imposante de son activité d'homme de lettres.

Tout au long de sa vie, Leiris mêlera son nom à certains courants de pensée qui ont marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de la littérature et des arts au XXe siècle. Le nom de Leiris se murmure pourtant à peine lorsqu'on parle du surréalisme, du Collège de Sociologie ou de l'existentialisme. Cet homme qui, de son propre aveu, a toujours préféré le rôle de second à l'éclat des premiers rôles, est l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle.

Michel Leiris a fait son apprentissage en poésie sous la férule de Max Jacob. En 1922, il rencontre le peintre André Masson qui devient son "mentor". C'est par son intermédiaire que Leiris adhère au mouvement surréaliste. Masson va l'encourager à écrire; le premier livre imprimé de l'écrivain porte la marque du peintre. Simulacre (1925), un recueil de poésies, est en effet orné de lithographies de Masson.

En 1926, Leiris se marie avec Louise Godon et devient le beau-fils de Daniel-Henry Kahnweiler, le célébrissime marchand de tableaux.
A la même époque, Michel Leiris collabore à La Révolution Surréaliste. Il s'y distingue par Glossaire j'y serre mes gloses, de subtiles définitions basées sur des jeux de mots. Le langage apparaît d'emblée comme la préoccupation majeure de l'écrivain, l'objet de son écriture.

Pendant les années vingt, Leiris écrit des textes surréalistes, dont Le Point Cardinal (1927) et Aurora, son unique roman qui ne sera publié qu'en 1946.

En 1929, il rompt avec le surréalisme et devient secrétaire de rédaction au sein de la revue Documents que dirige son ami Georges Bataille. C'est là qu'il rencontre Marcel Griaule qui lui propose de prendre part à l'une des plus grandes expéditions françaises d'ethnographie du XXe siècle: la mission Dakar-Djibouti (mai 1931-février 1933). Leiris va ainsi parcourir, pendant à peu près deux ans, l'Afrique de l'océan Atlantique jusqu'à la mer Rouge en tant que "secrétaire-archiviste" de la mission Dakar-Djibouti.

L'Afrique donnera à Leiris son premier livre important: L'Afrique Fantôme (1934).

En 1940, Michel Leiris entreprend la rédaction de Biffures (1948), le tome qui ouvre La Règle du Jeu, l'œuvre littéraire la plus importante de l'écrivain. Cette règle du jeu, l'écrivain la cherchera pendant à peu près trente-six ans, puisque le quatrième et dernier tome, Frêle Bruit, ne paraîtra qu'en 1976.

Ces trente-six ans, Leiris les vit et les écrit. Sa mobilisation dans le sud oranais au début de la seconde guerre est racontée dans le tome II de La Règle du Jeu: Fourbis (1955). Dans cette région située entre l'Algérie et le Maroc, il vit une brève relation amoureuse avec une prostituée, Khadija. Cette relation est magnifiée dans le dernier chapitre de Fourbis. Tentative de suicide aux barbituriques en 1957. Leiris reste deux jours et demi dans le coma et en sort avec une cicatrice au cou, suite à la trachéotomie qu'il a dû subir. Cet événement sera abondamment commenté dans la partie centrale de Fibrilles (1966), le troisième tome de La Règle du jeu. Les multiples voyages de l'auteur (Afrique, Antilles françaises, Chine, Cuba…) fourniront une large matière aux différents tomes de La Règle du Jeu.

En contrepoint de La Règle du Jeu, Leiris fait son métier d'ethnographe, consacre d'importantes études à ce sujet, compose des poèmes et écrit des textes de critique d'art sur quelques-uns des artistes les plus importants du XXe siècle : André Masson, Joan Miró, Alberto Giacometti, Pablo Picasso, Wifredo Lam et Francis Bacon. Michel Leiris prête une écoute très attentive à ses moindres faits et gestes, mais n'est jamais sourd aux cris du monde qui l'entoure. Très peu d'intellectuels auront signé autant de pétitions et de déclarations collectives que lui. Il est notamment l'un des premiers signataires de la "Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie" (Manifeste des 121) publié le 6 septembre 1960.

La publication en 1976 du dernier tome de La Règle du Jeu n'épuisera pas la veine autobiographique de l'écrivain. Il continuera d'écrire des livres participant du genre autobiographique: Le ruban au cou d'Olympia (1981) et A cor et à cri (1988).

Michel Leiris est mort en 1990.
origine : Aziz Daki, http://authologies.free.fr/leiris.htm (idem pour la bibliographie suivant)

Bibliographie

1925 - Simulacre
1927 - Le Point Cardinal
1934 - L'Afrique Fantôme
1939 - L'Age d'Homme : Page 1
1939 - Glossaire j’y serre mes gloses
1943 - Haut Mal
1946 - Aurora
1948 - Biffures (La Règle du Jeu - I)
1955 - Fourbis (La Règle du Jeu - II)
1961 - Nuits sans nuits et quelques jours sans jour
1964 - Grande fuite de neige
1966 - Fibrilles (La Règle du Jeu - III)
1971 - André Masson, "Massacres" et autres dessins
1974 - Francis Bacon ou la vérité criante
1976 - Frêle Bruit (La Règle du Jeu - IV)
1978 - Alberto Giacometti
1980 - Au verso des images
1985 - Langage Tangage : Page 2
1987 - Francis Bacon
1988 - Cinq études d'ethnologie
1988 - A cor et à cri
1989 - Bacon le hors-la-loi
1992 - Zébrage
1992 - Journal 1922-1989
1994 - Journal de Chine

màj le 09/04/2021


Dernière édition par Tristram le Ven 9 Avr - 14:09, édité 3 fois
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Message par ArenSor Lun 12 Déc - 21:09

Je n'ai lu que les deux premiers volumes de "La Règle du jeu". cela m'a convaincu que Leiris était une figure majeure de la littérature du 20e siècle. Il faut que je lise es deux derniers opus de cette autobiographie Smile
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Message par bix_229 Lun 12 Déc - 21:25

ArenSor a écrit:Je n'ai lu que les deux premiers volumes de "La Règle du jeu". cela m'a convaincu que Leiris était une figure majeure de la littérature du 20e siècle. Il faut que je lise es deux derniers opus de cette autobiographie Smile  

Tout à fait d' accord !
Leiris était aussi ethnologue. L' Afrique fantome est un beau livre !
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Michel Leiris Empty Quelques commentaires sur Leiris

Message par Tristram Lun 12 Déc - 21:42

Tristram a écrit:Citation de L’Age d’homme, autobiographie onirico-poétique où le fantasme de la mythique châtreuse (Judith) fait pendant à celui de Lucrèce, victime de la violence :

« Je ne conçois guère l'amour autrement que dans le tourment et dans les larmes; rien ne m'émeut ni ne me sollicite autant qu'une femme qui pleure (Lucrèce), si ce n'est une Judith avec des yeux à tout assassiner. »

Leiris est un auteur primordial pour moi. Je recommanderais la lecture de :

Aurora, son seul roman (dommage !; voir https://trajetslitteraires.wordpress.com/2014/06/03/michel-leiris-aurora-descente-dans-lestomac-de-chronos/),
• La Règle du jeu (quatre tomes : Biffures, Fourbis, Fibrilles et Frêle Bruit), magistrale autobiographie sur le fond comme dans la forme (il fut surréaliste avant d’être ethnographe), sur laquelle il aurait travaillé trente-cinq années : le langage, sa hantise du temps qui passe et de la mort, l’amour, les voyages, l’art… Dans la même veine et postérieurs, lire Le ruban au cou d'Olympia, et À cor et à cri.
L'Afrique fantôme, historiographie (et aussi journal intime) d’une mission ethnographique avec Marcel Griaule, de Dakar à Djibouti en passant par les Dogons du Mali (1931-1933). À ce propos, je conseille la lecture de Dieu d’eau ‒ entretiens avec Ogotemmêli, de Griaule (d’ailleurs maintenant disponible en PDF sur le net).

Voir entr’autres http://authologies.free.fr/leiris.htm pour une petite introduction pertinente à ces ouvrages. Il y a beaucoup à lire de et dire sur cet auteur, comme pour son ami Georges Bataille, ou Henry Michaux, cet autre contemporain (si j’en relis prochainement, peut-être).

Leiris est un écrivain assez nombriliste (dans sa démarche au moins), mais il atteint sans peine à l’universel (il est d’ailleurs impossible d’être purement objectif en écriture, l’auteur ne peut disparaître totalement de son œuvre ‒ ce ne serait plus de la littérature, il n’y aurait pas de style ‒, et si cela peut être un… objectif !, il reste irréalisable [pour un auteur humain ; sans pertinence pour un robot nègre ‒ ghostwriter, hein !]) :

« Ce que j'y ai appris surtout [en Afrique et psychanalyses] c'est que, même à travers les manifestations à première vue les plus hétéroclites, l’on se trouve toujours identique à soi-même, qu’il y a une unité dans une vie et que tout se ramène, quoi qu’on fasse, à une petite constellation de choses qu’on tend à reproduire, sous des formes diverses, un nombre illimité de fois. »
Michel Leiris, « L’Âge d’homme »
« Ce n'est qu'en fonction de moi-même et parce que je daigne accorder quelque attention à leur existence que les choses sont. […] Ainsi je me promène au milieu des phénomènes comme au centre d'une île que je traîne avec moi [… »
Michel Leiris, « Aurora »
« Mais n’est-il pas humiliant pour nous, qui nous disons civilisés et prétendons à la culture, d’être avant tout sensibles aux dissemblances et, dominés par le choc de première vue, la surprise, l’inévitable dépaysement, de nous y attacher bien plus qu’aux ressemblances ? »
Michel Leiris, « L’Abyssinie intime », in « Zébrage »
« Peut-être est-ce quand les mots, au lieu d’être en position servile de traducteurs, deviennent générateurs d’idées qu’on passe de la parole au chant. »
« Dans l’inqualifiable brouillard de ces confins de fin de nuit et de petit matin [… »
Michel Leiris, « À cor et à cri », « Chanter »

Rapatrié du thème Salomé dans Lecture comparée, lecture croisée
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Message par shanidar Mar 13 Déc - 9:48

Merci pour l'ouverture de ce fil Tristram.
De Leiris, je n'ai lu que L'âge d'homme parce qu'il y évoquait Bataille mais cela fait si longtemps !!

Pourquoi pas une relecture et une visite de l'Afrique fantôme qui me tente beaucoup.
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Message par Tristram Mar 13 Déc - 12:57

Shanidar a écrit:Pourquoi pas une relecture et une visite de l'Afrique fantôme qui me tente beaucoup.
L’Afrique fantôme n'est un bouquin d'ethnologie (mais un peu sur l'ethnologie), c'est (entr'autres) une réflexion sur la désillusion du départ dans l'optique de (se) fuir :

« …] car je suis maintenant persuadé qu’aucun homme vivant dans le monde inique mais, indiscutablement, modifiable – sous quelques-uns au moins de ses plus monstrueux aspects – qu’est le monde où nous vivons ne saurait se tenir pour quitte moyennant une fuite et une confession. »
Michel Leiris, préambule à « L’Afrique fantôme »
« Si s’embarquer pour là-bas d’une façon ou d’une autre, ce n’est en fin de compte qu’aller du pareil au même, est-ce que ce n’est pas ici qu’il faut s’efforcer de trouver cet ailleurs – ou ce piment – faute de quoi notre existence est dépourvue de toute saveur ? En d’autres termes, si toutes errances ramènent à des points connus, pourquoi ne pas prendre les points connus comme prétextes à errances ? »
Michel Leiris, préface à « Contes et propos », de Raymond Queneau

Je pense ne pas prendre de risque en recommandant Leiris, qui est une "valeur sûre" (qu'est-ce que ça veut dire ?) ; il y a un vrai plaisir à le lire (avis à confirmer !)

_________________
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Message par shanidar Lun 13 Fév - 16:46

Michel Leiris Cranac10

L'âge d'homme

Je dois d'emblée exprimer deux réactions qui sont apparues extrêmement vite en commençant la lecture de Leiris et qui n'ont fait que s'amplifier au fil de la lecture : comme cet homme écrit bien ! Mais comme ce qu'il a à dire semble aujourd'hui daté !

Le projet de Leiris dans L'âge d'homme est de se peindre au plus près et même si possible au plus avilissant puisque la littérature doit ressembler à la tauromachie, parce que l'écrivain tel un matador jouant de sa cape et de ses banderilles doit mettre sa vie en danger, doit exercer sur son existence la loupe intransigeante d'une Vérité en actes. Alors Leiris s'emploie à nous démontrer qu'il n'est pas exactement l'homme de très bonne compagnie que sa plume si belle laisse entrevoir. Non, Michel Leiris souffre de certains troubles que la bonne société ne souhaite pas connaître. Par exemple, il est quasiment impuissant dans ses rapports sexuels et là interviennent des considérations d'ordres tour à tour littéraire et psychanalytique qui me semblent aujourd'hui parfaitement démodé (mais non dénué d'intérêts). Car l'enfant a construit sa vision de la femme sur celle des pièces de théâtres et des opéras qu'il a pu voir avec délectation, peur et angoisse (on pense bien sûr à l'évidente parenté du Sexe et l'effroi de Quignard, qu'il faudra bien que je lise un jour !) : la femme est forcément fatale, forcément castratrice, forcément buveuse de sang ou du moins coupeuse de tête (Judith et Salomé mais aussi Dalila, Carmen, la Tosca en sont les représentations évidentes et sidérantes pour l'enfant) ; d'autant plus qu'à l'époque de Leiris voir la femme reste de l'ordre du fantasme absolu (de sa mère, il devine parfois le soir au moment du coucher, un sein qui pointe ou un ventre accueillant un nombril et c'est à peu près tout) et puis bien sûr, en bon œdipien, Leiris déteste son père qu'il juge vulgaire, petit homme travaillant à la Bourse (ça ne s'invente pas), pusillanime, grossier dans ses amours artistiques et peu exaltant. Le père en tout cas ne sera pas le passeur attendu, pas plus que le grand-frère (mêmes reproches qu'au pater). Du coup, l'image de l'amour sublimé par l'enfant est forcément celle d'une castration. D'autant plus que si la vulgarité repousse le garçon, elle ne peut bien sûr qu'également l'attirer.

Michel Leiris Franci10

Mal dans sa peau, assuré que tout bonheur doit être payé d'un malheur (au centuple, allons-y), Michel Leiris oscille entre tentations suicidaires et tentatives d'élévation morale.

Je passe sur les détails morbides, les 'blessures' de l'enfance dont on sait qu'elles marquent tout une vie (il paraît du moins) et je ne m'arrête que sur celle de cet 'attentat' commis contre l'enfant à qui un chirurgien arrache les végétations sans anesthésie et sans même que l'enfant soit prévenu par ses parents (lui, croit aller au cirque !) Ah ! La confiance en miettes, le petit Michel finit par se méfier de tout et de tout le monde. Mais ce qui est pour le coup parfaitement psychanalytique mais non dit dans L'âge d'homme puisque Leiris ne sait pas encore qu'il va subir un autre 'attentat' avec l'intervention d'une trachéotomie (suite à une tentative de suicide) qui lui laisse (selon la note biographique fort intéressante de ce fil) une marque autour du cou. On sait combien le cou, la voix, l'expression, le silence sont des matériaux sérieux pour l'écrivain (tout écrivain) et donc on peut imaginer qu'il n'est évidemment pas anecdotique que ce soit précisément au cou que Leiris soit à nouveau blessé quelques vingt ans plus tard. Bref.

Que dire d'autre sur L'âge d'homme ? Qu'il s'agit d'un livre passionnant sur l'éveil intellectuel et en particulier de spectateur du jeune Leiris, lequel se rend régulièrement (quelle chance) au cirque, au théâtre et même à l'opéra ; expériences durables qui le marqueront à vie et sans doute pas seulement dans cette dimension érotique si douloureuse à surmonter pour l'auteur. Peut-être, son désir de voyages qui l'emportera jusqu'en Afrique, vient aussi de l'ouverture d'esprit que les arts ont offert à l'enfant (du moins c'est ce que je me plais à croire) et pas seulement le résultat d'un désir irrépressible de fuir.

Michel Leiris Bacon10

Quant au reste, il faut bien reconnaitre que si Leiris pèche parfois par trop d'humilité (laquelle pourrait presque se transformer en orgueil), le récit laisse un brin rêveur tant il semble codifier par son époque (la révolution sexuelle n'est pas encore passée par là, la femme ne peut être que mère ou putain -mais alors comment et à qui peut-on faire l'amour ?- et la société bourgeoise figée dans sa poule au pot et ses règles établies ressemble à un monstrueux pachyderme impossible à transformer), je vous assure, certaines descriptions sont à cet égard absolument sidérantes. Si la lecture de Leiris a encore aujourd'hui un intérêt (outre son sens merveilleux du style) c'est bien dans cette représentation d'une époque effacée, dont l'ordonnancement fait frémir et ne pouvait aboutir qu'à des frustrations et des dérèglements à la hauteur de ses barrières.  On comprendra d'autant mieux que certains (comme Bataille) se soient réfugiés dans l'érotisme, la tauromachie et une forme de piété totalement sublimée et quasiment malsaine. Car que faire d'autres ? Des colliers de nouilles ? Pouah !

Mon commentaire étant déjà bien trop long je m'arrête là pour l'instant. Avec la ferme intention de revenir pour parler de Cranach (toujours et encore) et de la figure du Minotaure si chère à d'autres artistes (Masson, Bataille, Picasso...).

Peintures de Francis Bacon
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Message par Tristram Lun 13 Fév - 17:19

Grand merci Shanidar pour ton exposé de la relecture promise (et ton analyse sociétale) !

Oui, lis Le sexe et l'effroi de Quignard, fort "latin" mais très intéressant. Petit avant-goût :
« Apotropaion veut dire en grec l’effigie qui écarte le mal et dont le caractère terribilis provoque en même temps le rire et l’effroi. Le grec apotropaion se dit en latin fascinum. Le fascinum (le fascinus artificiel) est un baskanion (un préservatif contre le mauvais œil). »
Pascal Quignard, « Le sexe et l’effroi », III

Shanidar a écrit:Peut-être, son désir de voyages qui l'emportera jusqu'en Afrique, vient aussi de l'ouverture d'esprit que les arts ont offert à l'enfant (du moins c'est ce que je me plais à croire) et pas seulement le résultat d'un désir irrépressible de fuir.
Il faut maintenant que tu lises L'Afrique fantôme, comme tu (te) le "promettais" plus tôt, pour nous faire ton commentaire bounce , et constater que la fuite est quand même pour beaucoup dans le désir de départ en voyage. Il n'est pas le seul concerné, depuis Baudelaire, par ce qu'on a appelé le "complexe de Gauguin"...
Voilà deux commentaires de Leiris à ce propos :
« [Le départ en voyage/ Afrique est] un moyen de lutter contre le vieillissement et la mort en se jetant à corps perdu dans l’espace pour échapper imaginairement à la marche du temps. »
Michel Leiris, cité par Jean Jamin, introduction à Miroir de l’Afrique
« …] que le voyage enfin, tel que je le concevais (une prise de distance solitaire), loin d’être une façon de se faire que ce qu’on est en changeant de décor n’est que pur déplacement d’un personnage toujours identique à lui-même, nomade rien que spatial qui traîne derrière soi – renforcés plutôt que diminués par son isolement relatif – ses inquiétudes, son narcissisme et ses manies. »
Michel Leiris, « La règle du jeu », « Fourbis », « Dimanche »

Shanidar a écrit:la société bourgeoise figée dans sa poule au pot
Personnellement, je n'ai rien contre la traditionnelle poule au pot, loin de là !

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Message par Nadine Lun 13 Fév - 20:06

Beau commentaire Shanidar, merci, et la 4eme citation de Tristam laisse percevoir le style en effet très beau de Leiris.
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Message par shanidar Lun 20 Fév - 12:06

Dans L'âge d'homme, Michel Leiris explique longuement que sa vision de l'amour et de l'érotisme repose sur le double parrainage de Judith et de Lucrèce. De ces femmes peintes par Cranach, dont Leiris n'a jamais vu les peintures originales mais dont il a dû voir les photographies reproduites ici. Les deux peintures exposées à Dresde ont disparu en 1945, volées ou détruites par les bombardements, nul ne sait quel a été leur sort.

Michel Leiris Cranac10

Mais revenons à nos deux représentations pour savoir qui elles sont et ce qu'elle évoquent dans la construction sensuelle du jeune Michel :

Judith est un personnage de la Bible. Une femme très belle qui pour sauver sa ville assiégée par les Assyriens et en particulier par Holopherne dont la légende dit qu'il n'a jamais été battu, choisit de pénétrer sous la tente du guerrier, de l'enivrer, de se donner à lui et de profiter de son sommeil pour lui couper la tête. Qu'elle met dans un sac, emporte dans la ville et qui sera exposée à la vue des soldats assyriens, lesquels prendront la fuite. Judith est la figure de la femme coupable, qui accepte de s'avilir pour sauver son peuple.

Michel Leiris Judith10

Lucrèce est une Romaine très chaste épouse d'un mari parti faire la guerre. Un sale type (Sextus Tarquin) décide de la séduire et puisqu'elle refuse de céder à ses pressantes avances, il lui dit qu'il va la violer et l'accuser devant Rome toute entière d'avoir succomber à son charme et d'avoir volontairement trompé son époux. Lasse, Lucrèce cède puis convoque son père et son époux auxquels elle délivre la vérité puis elle se donne la mort en se plantant un poignard dans le cœur. Elle est la victime, celle qui subit les assauts d'un goujat et qui, incapable de supporter sa déchéance, réclame vengeance et se tue.

p.75 L'image de Lucrèce éplorée, après le viol qu'elle dut subir de la part de son beau-frère, le soudard Sextus Tarquin, est donc une évocation bien faite pour me toucher. Je ne conçois guère l'amour autrement que dans le tourment et dans les larmes ; rien ne m'émeut ni ne me sollicite autant qu'une femme qui pleure, si ce n'est une Judith, avec des yeux à tout assassiner. Remontant jusqu'à ma plus tendre enfance, je retrouve des souvenirs relatifs à des histoires de femmes blessées.

Michel Leiris Lucryc10

Ces deux figures de femmes hantent l'imaginaire de Michel Leiris, il fantasme autour de leur destin, il frémit à l'idée de la décollation (il faudrait d'ailleurs se demander jusqu'à quel point cet acte que l'on retrouve assez régulièrement chez les femmes criminelles dans l'histoire et dans l'histoire littéraire -dont Salomé- est à rapprocher de la peur de la castration masculine…). Ce qui est intéressant ici c'est aussi de voir que dans l'imaginaire de Leiris, l'acte sexuel est forcément un rapt ou un sacrifice, jamais un acte de partage, d'amour, de don de soi, mais une violence que l'on se fait à soi-même et/ou à l'autre et c'est plus ou moins ce qui l'empêche d'envisager une relation équilibrée avec une femme. L'érotisme est forcément lié à la peur. Mais ce qui peut paraître plus troublant, c'est que Leiris s'imagine à la place de Judith et de Lucrèce et qu'il se retrouve dans des situations où il est lui-même victime (se faisant, par exemple, tabasser par une mère maquerelle) et parfois bourreau (il reconnait qu'il n'est pas des plus attentionné avec son épouse).

Mais alors se pose la question du rapprochement des deux représentations : comment peut-on être à la fois Judith et Lucrèce ? Coupable et victime ?

La réponse éclairante fait froid dans le dos : le suicide. Seul le suicide, et Leiris dit ici combien cet acte le fascine et l'attire, peut réunir les deux entités rivales.

p.140 Examinant les conditions dans lesquelles Cléopâtre, reine d'Egypte, a mis fin à ses jours, je suis frappé par le contact de ces deux éléments : d'une part le serpent meurtrier, symbole mâle par excellence -d'autre part les figues sous lesquelles il est dissimulé, image courante de l'organe féminin. Sans chercher à y voir autre chose qu'une coïncidence, je ne puis m'empêcher de noter avec quelle exactitude cette rencontre de symboles répond à ce qui est pour moi le sens profond du suicide : devenir à la fois soi et l'autre, mâle et femelle, sujet et objet, ce qui est tué et ce qui tue -seule possibilité de communion avec soi-même.

Sacrifice, expiation et châtiment sont les trois vocables qui reviennent sous la plume de Leiris pour dire l'acte sexuel (je reviendrai plus tard pour le confronter à l'art de la tauromachie et au Minotaure) ; des termes religieux alors même que Leiris affirme son éloignement de la foi. Autre mystère qu'il faudrait sonder...

Je dois ajouter que même si Leiris cherche à se dévoiler totalement dans L'âge d'homme, il ne faut pas forcément croire à toutes ses affirmations ou du moins se permettre le doute et continuer à interroger son texte, au-delà de ses révélations et de ses confidences.
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Message par bix_229 Lun 20 Fév - 15:22

L' Age d' homme m' avait un peu choqué parce que Leiris comparait l' écriture à la taureaumachie.
Et il se trouve que déjà, je détestais la taureaumachie !
Mais c' était tendance dans les milieux littéraires. Surtout chez Hemingway.

Il y a bien autre chose dans le livre.
Et notamment l' image dépréciative que l' auteur a de lui meme et de son physique.
Et cette sorte d' apologie de la laideur.
Une forme de masochisme ?

Tout cela est développé, amplifié ou nuancé dans  les quatre volumes de La Règle du jeu.
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Message par Tristram Lun 20 Fév - 15:30

En ce qui concerne la tauromachie, voir aussi les oeuvres de Federico García Lorca, Georges Bataille, Max Jacob ; côté peinture, Georges Braque et Pablo Picasso, entr'autres...

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Message par shanidar Mar 21 Fév - 15:23

bix_229 a écrit:L' Age d' homme m' avait un peu choqué parce que Leiris comparait l' écriture à la taureaumachie.
Et il se trouve que déjà, je détestais la taureaumachie !
Mais c' était tendance dans les milieux littéraires. Surtout chez Hemingway.

Il y a bien autre chose dans le livre.
Et notamment l' image dépréciative que l' auteur a de lui meme et de son physique.
Et cette sorte d' apologie de la laideur.
Une forme de masochisme ?

Tout cela est développé, amplifié ou nuancé dans  les quatre volumes de La Règle du jeu.

Je ne le trouve d'ailleurs pas très convainquant quand il explique la relation entre l'écrivain et le matador , je me demande si, là encore, Leiris ne veut pas dire autre chose que cette thèse un peu tirée par les cheveux qui consiste à considérer l'écrivain comme un matador entrant dans l'arène et par sa mise à nu littéraire devient aussi fragile et en danger que le porteur de banderilles. Je crois qu'il sent très bien qu'il exagère beaucoup par cette comparaison, l'écrivain ne mettant pas sa vie en danger par l'écriture (du moins pas Leiris avec L'âge d'homme même s'il y dévoile certains de ses vices). En revanche il parle de sa lâcheté d'homme (toujours ce désir de se rabaisser, s'avilir) imaginant que s'il était arrêté et torturé il parlerait, il donnerait ses amis, il ne pourrait pas supporter la violence physique (Leiris a fait partie du grand réseau de résistance du Groupe du Musée de l'homme) mais là encore, c'est une vue de l'esprit, rien n'indique qu'il aurait été lâche, il s'invente une attitude voyant comme toujours le verre à moitié vide plutôt qu'à moitié plein...

La relation entre tauromachie et sexualité me semble en revanche bien plus intéressante...
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Message par Aventin Jeu 12 Oct - 16:43

Les cloches de Nantes

- A Zette.




La douceur des larmes qui tombent

et celle des robes de soie en sens inverse

quand elles s'élèvent mystérieusement et disparaissent vers le plafond

paquebots aux flancs amers guidés par le chenal sans fin de deux bras blancs

l'âpreté des corps dépouillés debout l'un devant l'autre comme des falaises ou des murs de prison

les adorables coquillages de chair que les vagues (abandonnant la chambre à marée basse) ont dénudés

tes mains que la sueur des putains a peu à peu creusées de traces légères mêlées à celles plus anciennes qu'interprètent les pythonisses

c'est avec ces pavés que je meuble les ruelles émouvantes

entre le carrefour populeux de mes membres

et le fleuve noir qui submerge mon lit

Ma vie s'étend de la gauche à la droite du néant semblable à un terrain vague de faubourg

Tant de rôdeurs guettent à l'ombre de mes palissades tant de chiffonniers avares cachent de pauvres trésors

dans mes sous-sols herbeux
Dans l'affreux bouge de mes veines coule un sang rouge de prostituée un sang pareil au vin qu'aiment les travailleurs pareil aussi à celui qui se caille aux tempes des
fusillés
C'est la vertu de ce sang qui scelle le pacte des cambrioleurs ce sang rouge sombre qui jamais ne stagne dans le cœur

Ma vie s'étend

semblable au mètre de bois blanc qui mesure les cercueils semblable au tronc rigide dont sont faites les potences à la pierre dure dont on sculpte les camées
Ma vie comme plusieurs autres s'étend semblable aux algues misérables qui poussent entre les interstices des pavés dans la plus grande artère de l'amour

Car nous sommes malgré tout quelques-uns

qui traversons les villes et les plaines temporelles

sans cœur comme des chatons de bagues

Peu d'anneaux s'appuieront à nos lèvres

peu de baisers voleront en cercle selon le cerne de nos

yeux
Nos semelles s'émacieront pareilles à des visages aux traits tirés par l'insomnie

d'un perpétuel voyage

Pour bâtons de vieillesse nous aurons les longues gaules

qui servent à rouer les suppliciés pour langues des couteaux ternis dans de sordides

bagarres
Seuls nos sourcils resteront des forêts illuminées par les

lueurs passagères que jettent nos regards ces feux de la
Saint-Jean ou ces brasiers de naufrageurs
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Message par Bédoulène Jeu 12 Oct - 20:44

merci, j'apprécie !

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Message par Aventin Sam 2 Déc - 6:45

Abanico para los toros
Poèmes, 1938.
NB: il existe quelques éditions de luxe, illustrées par des grands noms de la peinture, dont Picasso auquel, d'ailleurs, Abanico... est dédié, ce qui se conçoit, puisque c'est Picasso qui initia Leiris à la Tauromachie.

Michel Leiris Abanic10

Michel Leiris Piguet10

On pourrait traduire le titre par "éventail pour la corrida".
Alors je sais bien, le sujet tauromachique peut s'avérer très polémique (et sans doute avec bien plus de virulence aujourd'hui qu'en 1938), il va de soi que l'objet de ce message se cantonne au traitement du sujet par le poète: prière de ne point s'écharper ici, sauf, éventuellement, sur la manière poétique !


J'aime sa rupture totale avec l'onirisme, le surréalisme, j'aime sa façon, ramassée, percutante.
Le dactyle, la métrique en général, semblent les cadets de ses soucis, pas non plus d'allitérations paraissant volontaires (?).
C'est paradoxal, en ce sens que ces poèmes-là "passent" pourtant très bien à voix haute !
Comment fait-il, comment est-ce possible ? Sans doute par ce sens de l'acuité, cette volonté de traduire en art poétique des instants fugaces, à l'aide d'images extrêmement suggestives.
Ici le poète, comme le torero, croit nettement moins au hasard ou aux circonstances qu'aux rites et aux symboles.  
D'où cette force singulière qui émane d'Abanico...

Ci-dessous, en guise d'échantillons, cinq d'entre les poèmes de ce recueil (si vous en souhaitez d'autres, n'hésitez pas à le signaler, ce sera une joie pour moi de les copier ici).

Cogida, par exemple, me prend tripes et viscères, oui, comme si c'était à moi que ce funeste trépas survenait !
Notez quand même, quand je dis que Leiris semble n'avoir cure de la métrique, les vers "d'un coup" et "il est tombé" ainsi que leurs emplacements dans le poème, je ne crois pas que ce soit le hasard ces deux vers brefs, couperets, mais bel et bien un effet poétique calculé.

Et le balancement d'un vers comme "amant bravache quêtant l'équipollence d'un baiser" qui clôt Rodillazo, avec ses beaux équilibres allitérants a-han (tiens, ahaner ?) me ferait tempérer ce que je viens d'affirmer sur l'absence d'allitérations volontaires.




Mano à mano


L'opacité d'un bras nu qui se love
la fixité d'une main véritable
l'air immobile que troue le luxe de tes ongles
et l'arène incurvée d'un éternel retour

Vers quelle clairière
ira la pointe aiguë du glaive
pour déterrer le plus ancien des trésors
taureau épais
la nature
ou ton corps
que mes mains creusent pour en exhumer le plaisir


Banderilles


Circuit rapide de l’homme
levant haut ses aiguilles de tatoueur
La grosse masse à panse velue pivote
fonce
et les broderies dorées du banderillero se reflètent à
ses flancs
en dentelle de sang

Toutes griffes dehors
les fuseaux gonflés de soie pendent symétriquement
accrochés au canevas de la plaie

règne de la précision d’horloge et des fioritures artérielles


Cogida

La flamme pourpre s'élève
d'un coup
sur le silex des cornes

Avalanche de sonneur les poings liés à la corde
il est tombé
le stratège de la lumière
le geôlier des naseaux rougeoyants
la cheminée de sang qui fume
le manieur de chiffons irisés




Rebolera


Jusqu'à mi-corps
dans le cercle brûlant qu'il a créé lui-même

index de thaumaturge
déclenchant aux quatre orients
la grêle du tambour

Pour le levant la percale rose
pour le couchant la sueur de sang
et pour le pôle ce tournoiement

volutes des vapeurs qui chancellent
à mi-chemin du haut et du bas


Rodillazo

Partageant l'horizon de la bête
il confronte la rugosité du sol

avec ses genoux soyeux
pétiole double ou racine bifurquée
roc ouvert au phantasme d'une rose
aussi vite enlisée qu'apparue

A genoux
pour éprouver la résistance de la terre
à genoux
pour accueillir la mortification des cornes
à un
à deux genoux
amant bravache quêtant l'équipollence d'un baiser
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Message par Tristram Sam 2 Déc - 11:01

Merci Aventin, je ne connaissais pas ; on voit dans ces images toute la puissance inspiratrice de la tauromachie pour ces artistes. Je devrais dire on devine, parce que je n'y ai jamais assisté. Frappante parade de mort esthétique.

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Message par ArenSor Jeu 17 Oct - 21:32

« On estimait dans ma famille qu’Alphonse Allais était un écrivain de bonne compagnie. Pourtant je peux vous témoigner que Le Captain Cap est le livre le plus destructeur que j’aie lu.
J’avais seize ans. Quand j’ai découvert la liste des cocktails à la fin du livre, j’ai pris la décision, je ne sais plus pourquoi (geste), de tous les goûter. J’allais au Harry’s Bar, rue Daunou, et je les essayais tous les jours, systématiquement.
Et, il y en a… qui … sont violents.
Alphonse allais  a eu à cette époque de ma vie une très mauvaise influence sur moi. Oui, Le Captain Cap est un livre dangereux.
Me disait Michel Leiris. »
François Caradec : "La Companie des zincs"
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Message par Bédoulène Ven 18 Oct - 6:32

avec les extraits que tu poses dans un fil ou dans l'autre cette "Compagnie des zincs" m'interpelle Smile


Dernière édition par Bédoulène le Ven 18 Oct - 17:23, édité 1 fois

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Message par bix_229 Ven 18 Oct - 17:22

Pendant trente cinq ans, Leiris s'est analysé, aussi lucidement que possible.
Sans apitoiement, au contraire. Comme l'a remarqué Shanidar, il y a toujours une part
de masochisme chez lui.
De mon point de vue, La Règle du jeu est son meilleur livre, meme si le dernier, Frele bruit,
marque la conscience d'un échec sans retour, l'épuisement de tout ce qui l'a inspiré et
l'irreversibilité de l'age.
La conscience aussi d'un échec de l'écriture, ici trop alambiquée ou trop imprécise.
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