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Maurice Blanchot

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Message par Invité Dim 14 Mar - 13:25

Maurice Blanchot
(1907 - 2003)


Maurice Blanchot  28-18010
Maurice Blanchot est un romancier, critique littéraire et philosophe français, né le 22 septembre 1907 au hameau de Quain, dans la commune de Devrouze en Saône-et-Loire, mort le 20 février 2003 au Mesnil-Saint-Denis, Yvelines. « Sa vie fut entièrement vouée à la littérature et au silence qui lui est propre. »

Les rapports de Maurice Blanchot avec l'antisémitisme et avec l'extrême droite font l'objet de nombreux débats. Ses choix politiques des années 1930 sont contrebalancés par l'attitude qu'il a eue pendant la guerre et surtout à la Libération, et par son engagement en faveur du communisme et de l'extrême gauche. Il milita activement contre la guerre d'Algérie, participa aux actions de mai 68, combattit la politique du général de Gaulle.

La pensée et l'écriture de Blanchot exercèrent une influence profonde sur tout un pan de la culture française des années 1950 et 1960 et sur les représentants de ce qu'on appelle la French Theory.
source wikipédia

Livres et articles :

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Message par Invité Dim 14 Mar - 13:40

Je n'ai pas de commentaire à exhumer, ou de lecture récente (ça va venir), mais je suis déjà sûr que certains ont de quoi dire (regards vers Tristram et son usine à citations !), je me souviens avoir pris du plaisir à lire L'espace littéraire, et Le Livre à venir, à me perdre dans les méandres de la pensée de Blanchot, toujours surprenante et aiguisée.

dans Faux pas :

L'écrivain est appelé par son angoisse à un réel sacrifice de lui-même. [...] Il est nécessaire qu'il soit détruit dans un acte qui le mette réellement en jeu. L'exercice de son pouvoir le force à immoler ce pouvoir.

dans La littérature et le droit à la mort :

L'écrivain se sent la proie d'une puissance impersonnelle qui ne le laisse ni vivre ni mourir : l'irresponsabilité qu'il ne peut surmonter devient la traduction de cette mort sans mort qui l'attend au bord du néant [...]. L'écrivain qui écrit une oeuvre se supprime dans cette oeuvre, et il s'affirme en elle.

dans une lettre à Ilija Bojovic, journaliste yougoslave :

L'écriture est liée à l'exigence d'une question toujours indirecte et informulée, une exigence tellement forte et accusatrice qu'on en prend la responsabilité avant même d'y avoir répondu.

[...] L'écriture devient alors une responsabilité effrayante. D'une manière invisible, l'écriture est appelée pour détruire, anéantir un discours dans lequel nous étions si malheureux, confortablement installés, renfermés. De ce point de vue, écrire est la plus grande force car elle enfreint inévitablement la Loi, toutes les lois ainsi que sa propre loi. Ecrire, c'est fondamentalement dangereux, innocemment dangereux.

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Message par Tristram Dim 14 Mar - 13:57

Effectivement, Blanchot parle beaucoup de l'écriture, et de cet engagement :
« "J'ai écrit dans un tout autre sens : "Noli me legere." Interdiction de lecture qui signifie à l'auteur son congé. "Tu ne liras pas." "Je ne subsiste comme texte à lire que par la consumation qui t'a lentement retiré l'être en écrivant." "Jamais tu ne sauras ce que tu as écrit, même si tu l'as écrit pour le savoir." »
Maurice Blanchot, « Après coup », in « Le ressassement éternel »

« La question de la littérature serait dans l’erreur de l’infini. Le monde où nous vivons et tel que nous le vivons est heureusement borné. Il nous suffit de quelques pas pour sortir de notre chambre, de quelques années pour sortir de notre vie. »
Maurice Blanchot, « Le livre à venir », II, « La question littéraire », VIII, « L’infini littéraire : l’Aleph »

« Le journal apparaît bien ici comme un garde-fou contre le danger de l’écriture. […]
Il y a, dans le journal, comme l’heureuse compensation, l’une par l’autre, d’une double nullité. Celui qui ne fait rien de sa vie, écrit qu’il ne fait rien, et voilà tout de même quelque chose de fait. Celui qui se laisse détourner d’écrire par les futilités de la journée, se retourne sur ces riens pour les raconter, les dénoncer ou s’y complaire, et voilà une journée remplie. »
Maurice Blanchot, « Le livre à venir », III, « D’un art sans avenir », VIII, « Le journal intime et le récit »

« Je dirais même que toute œuvre littéraire importante l’est d’autant plus qu’elle met en œuvre plus directement et plus purement le sens de ce tournant, lequel, au moment où elle va émerger, la fait étrangement basculer, œuvre où se retient, comme un centre toujours décentré, le désœuvrement : l’absence d’œuvre. »
Maurice Blanchot, « L’entretien infini »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par bix_229 Dim 14 Mar - 14:55

J' ai lu Blanchot pour lui-meme, mais contrairement à Animal qui en avait parlé, j' ai eu du mal avec ses romans,
alors que ses essais avaient pour moi le double interet d' éclairer d'autres écrivains comme personne d' autre.
Et celui de découvrir en meme temps l'immense écrivain qu'il fut, et dont le style nous enchaine à la lecture
alors meme qu' on perd pied parfois...
Je ne sais pas, c' est un peu comme si on suivait un sentier difficile d' accès magnifique, mais sans préparation
ni mode d' emploi.
Mais en guise de gratification quelque chose de personnel qu' on a du mal à décrire et meme à partager...

J' ouvre L' Espace littéraire au hasard et je lis :

LE DEHORS, LA NUIT

L' oeuvre attire celui qui s' y consacre vers le point où elle est à l' épreuve de l' impossibilité. Expérience
qui est proprement nocturne, qui est celle meme de la nuit.
Dans la nuit, tout a disparu. C' est la première nuit. Là s' approche l' absence, le silence, le repos, la nuit
Là, la mort s' efface, celui qui dort ne le sait pas, celui qui meurt va à la rencontre d' un mourir véritable,
là s' achève et s' accomplit la parole dans la profondeur silencieuse qui la garantit comme son sens.

Mais on peut difficilement citer Blanchot, parce que chaque phrase en appelle forcément
une autre et une autre encore, et que l' ensemble est un tout indissociable. Une construction
étrange mais qui parait toujours cohérente...


A le lire, on réalise immédiatement ce que peut etre le génie. Quelque chose de déconcertant, de dérangeant et
meme de monstrueux, parce que c' est hors norme, et que tout le monde peut s' en apercevoir...
Mais sans savoir vraiment comment ça peut fonctionner ...

Blanchot donne toujours cette impression...
Beckett, Artaud, Michaux aussi et quelques autres.


Dernière édition par bix_229 le Mer 17 Mar - 15:02, édité 1 fois
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Message par Invité Dim 14 Mar - 15:26

Merci pour les citations, Tristram.
Et je partage tout à fait ton ressenti, Bix. Et c'est d'ailleurs ce qui m'attire chez Blanchot, son aspect insaisissable. Même ressenti pour Bataille, les deux sont assez proches et se sont côtoyés, Thomas l'Obscur a apparemment nourri L'expérience intérieure de Bataille. La mort est très présente chez les deux écrivains.

Dans un article de Thomas Regnier, dans le numéro de la revue Europe consacré à Blanchot :

Si Blanchot n'est pas un auteur nihiliste, ce n'est pas seulement pour des raisons philosophiques. C'est aussi parce que s'y fait jour cette « aventure d'une écriture » dont on a parlé à propos du nouveau roman. Il ne peut y avoir de nihilisme dès lors qu'il y a littérature, quand bien même cette littérature serait hantée par la mort. La mort ? Mais de quelle mort s'agit-il ? Et que signifie, chez Blanchot, le mot littérature ?
[...] On lit dans Le Livre à venir : « L'expérience qu'est la littérature est une expérience totale. » S'il est une affirmation contenue dans L'Espace littéraire, c'est sans doute celle-ci : on ne peut se représenter « tout » qu'en faisant intervenir la mort. Le tout implique la mort, et la mort désigne à la fois l'impossibilité, le caractère intenable du « tout dire » ou du « tout faire », et néanmoins sa nécessité. Tout dire, tout faire, ce n'est pas seulement percer le secret ou épuiser les possibilités de la sexualité. Cela revient, sinon à décider, du moins à tendre vers cette limite indécidable à partir de laquelle il n'y a plus de décision possible : donner (symboliquement-réellement) la mort.

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Message par Tristram Dim 14 Mar - 16:23

En résonance :
« Cela, que l'être qui ne le comprend pas, vienne et meure. »
Maurice Blanchot, « L'arrêt de mort »

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Message par animal Lun 15 Mar - 20:34

Blanchot qui parle des autres, je pense au Livre à venir pour lequel j'étais très loin d'avoir toutes les références, c'est peut-être Blanchot qui parle beaucoup de lui-même. Il y en a d'autres pour ça, et si ce n'est pas toujours exactement ce qu'on pourrait attendre, ce n'est pas diminué l'intérêt du résultat. Du talent, un œil aiguisé et éclairer une lecture toute personnelle d'une oeuvre c'est en soi un beau résultat.

Côté romans j'ai eu un effet avant/après. ça m'a posé (ça m'arrive régulièrement quand même, la question des limites de ma compréhension, ça m'a exposé les limites du sens des mots et la recherche qu'il peut y avoir, surtout même l'enjeu, à l'exercice de style méticuleux, "horriblement" précis et dans le cas de Blanchot étonnamment coulant.

Sans lui peut-être je n'aurais pas pu revenir à ou attraper la marche de La route des Flandres de Claude Simon.

A recommander aussi le limpide petit texte de Gabriel Josipovici sur Blanchot car Blanchot et limpidité ne serait pas forcément incompatible pour tout le monde ?

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Message par Invité Mar 16 Mar - 11:01

Merci animal, je chercherai ce texte de Josipovici.

Je suis en train de lire Celui qui ne m'accompagnait pas.
C'est difficile d'en dire quelques mots. C'est comme une écriture de la négation, de l'effacement de soi, avec des repères spatio-temporels presque réduits à néant. Dès le début on ne sait pas trop où on met les pieds, le « je » semble converser avec quelqu'un, mais il semblerait qu'il ne converse qu'avec lui-même, avec son soi, tout en semant le doute, en multipliant les interrogations. L'écriture est brillante, ciselée et raffinée, comme toujours.

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Message par animal Mar 16 Mar - 21:14

ça s'appelle tout simplement Introduction à Maurice Blanchot et accompagne (et réciproquement) Deuxième personne à la fenêtre.

Lire Blanchot ne signifie pas acquérir plus de savoir ni même plus d'intelligence, mais découvrir que notre manière de lire a changé de telle sorte que, par la suite, il est difficile de parler à quelqu'un qui ne serait pas passé par la même expérience. Mais cela se produit avec tout grand auteur (...)

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Message par Invité Mer 17 Mar - 8:29

Il y a beaucoup d'écrits sur Blanchot, le bonhomme intrigue et fait écrire !
J'ai parlé de la revue Europe, qui est vraiment toujours très riche, je conseille de découvrir.
https://www.europe-revue.net/
J'ai pu voir aussi des ouvrages de Derrida et Levinas sur Blanchot.

De Blanchot, il y a un autre titre que j'avais commencé et qui m'intéresse, c'est La communauté inavouable, qui nous parle de l'expérience du collège de Sociologie, avec Bataille, Caillois, Klossowski, Leiris... Il parle aussi de Duras. J'avais avorté la lecture, mais j'y reviendrai.

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Message par Invité Jeu 18 Mar - 19:07

Dans Ethique et infini, Emmanuel Lévinas évoque son premier ouvrage intitulé De l'existence à l'existant, où il développe son premier concept : le « il y a », qu'il va ensuite rapprocher des textes de Blanchot.

[...] « il y a » pour moi est le phénomène de l'être impersonnel : « il ». Ma réflexion sur ce sujet part de souvenirs d'enfance. On dort seul, les grandes personnes continuent la vie ; l'enfant ressent le silence de sa chambre à coucher comme « bruissant ». Quelque chose qui ressemble à ce que l'on entend quand on approche un coquillage vide de l'oreille, comme si le vide était plein, comme si le silence était un bruit. Quelque chose qu'on peut ressentir aussi quand on pense que même s'il n'y avait rien, le fait qu' « il y a » n'est pas niable. Non qu'il y ait ceci ou cela ; mais la scène même de l'être est ouverte : il y a. Dans le vide absolu, qu'on peut imaginer d'avant la création — il y a.

D'autres expériences, toutes proches de l' « il y a » sont décrites dans ce livre, notamment celle de l'insomnie. Dans l'insomnie, on peut et on ne peut dire qu'il y a un « je » qui n'arrive pas à dormir. L'impossibilité de sortir de la veille est quelque chose d' « objectif », d'indépendant de mon initiative. Cette impersonnalité absorbe ma conscience ; la conscience est dépersonnalisée. Je ne veille pas : « ça » veille. Peut-être la mort est-elle une négation absolue où « la musique est finie » (on n'en sait rien, d'ailleurs). Mais dans l'affolante « expérience » de l' « il y a », on a l'impression d'une impossibilité totale d'en sortir et d' « arrêter la musique ».
C'est là un thème que j'ai retrouvé chez Maurice Blanchot, bien que lui ne parle pas de l' « il y a » mais du « neutre » ou du « dehors ». Il a ici une abondance de formules très suggestives : il parle du « remue-ménage » de l'être, de sa « rumeur », de son « murmure ». Une nuit dans une chambre d'hôtel où, derrière la cloison, « ça n'arrête pas de remuer » ; « on ne sait pas ce qu'ils font, à côté ». Il ne s'agit plus d' « états d'âme », mais d'une fin de la conscience objectivante, d'une inversion du psychologique. C'est probablement là le vrai sujet de ses romans et de ses récits.

Chez Blanchot, ce n'est plus de l'être, et ce n'est plus un « quelque chose », et il y faut toujours dédire ce que l'on dit — c'est un évènement qui n'est ni être ni néant. Dans son dernier livre (L'Ecriture du désastre), Blanchot appelle cela « désastre », ce qui ne signifie ni mort ni malheur, mais comme de l'être qui se serait détaché de sa fixité d'être, de sa référence à une étoile, de toute existence cosmologique, un dés-astre. Il donne au substantif désastre un sens presque verbal. De cette situation affolante, obsédante, il semble que pour lui il soit impossible de sortir. [...]

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Message par Invité Ven 23 Avr - 16:46

La question de l'acceptation de la mort semble être une thématique récurrente dans l'oeuvre de Blanchot, que ce soit dans le court texte L'instant de ma mort, ou d'autres comme ce chapitre de De Kafka à Kafka, intitulé La mort contente. Il part d'une note de Kafka de son Journal : « En revenant à la maison, j'ai dit à Max que sur mon lit de mort, à condition que les souffrances ne soient pas trop grandes, je serai très content. J'ai oublié d'ajouter, et plus tard je l'ai omis à dessein, que ce que j'ai écrit de meilleur se fonde sur cette aptitude à pouvoir mourir content. [...] »

« L'aptitude à pouvoir mourir content » signifie que la relation avec le monde normal est d'ores et déjà brisée : Kafka est en quelque sorte déjà mort, cela lui est donné, comme l'exil lui a été donné, et ce don est lié à celui d'écrire. Naturellement, le fait d'être exilé des possibilités normales ne donne pas, par là même, maîtrise sur l'extrême possibilité ; le fait d'être privé de vie n'assure pas la possession heureuse de la mort, ne rend la mort contente que d'une manière négative (on est content d'en finir avec le mécontentement de la vie). De là l'insuffisance et le caractère superficiel de la remarque. Mais précisément, cette même année et par deux fois, Kafka écrit dans son Journal : « Je ne m'écarte pas des hommes pour vivre dans la paix, mais pour pouvoir mourir en paix. » [...] Il se retranche du monde pour écrire, et il écrit pour mourir dans la paix. Maintenant, la mort, la mort contente, est le salaire de l'art, elle est la visée et la justification de l'écriture. Ecrire pour périr paisiblement. Oui, mais comment écrire ? Qu'est-ce qui permet d'écrire ? La réponse nous est connue : l'on ne peut écrire que si l'on est apte à mourir content. La contradiction nous rétablit dans la profondeur de l'expérience.

Face à au dilemme et à une forme de circularité de la pensée, Blanchot essaie de déplacer le spectre et d'éclairer la contradiction différemment.

Les uns et les autres veulent que la mort soit possible, celui-ci pour la saisir, ceux-là pour la tenir à distance. Les différences sont négligeables, elles s'inscrivent dans un même horizon qui est d'établir avec la mort un rapport de liberté.

En lisant Blanchot, je ne peux m'empêcher de songer aux Stoïciens antiques, ainsi qu'à Epicure, pour qui la mort n'est rien, elle n'est pas à craindre. Ce rien ne peut pas être une réalité effrayante, dans la mesure où ce n'est plus une réalité. Elle ne nous concerne ni vivants ni morts, une vue de l'esprit, en somme, et pour s'en détacher, cela requiert un changement de perspective. Même si la démarche de Blanchot semble se situer à un autre niveau, j'y vois tout de même un mouvement assez similaire, de démarcation, de rupture.

L'instant de ma mort relate l'exécution manquée / inachevée de l'auteur, ce moment de vérité, de pesanteur, d'acceptation et de libération. On songe également à d'autres écrivains, Dostoïevski, Sartre (Le mur) ou Malraux (Les Antimémoires), que Blanchot évoque. Derrida a commis un texte relatif à L'instant de ma mort (Demeure, Maurice Blanchot), et il y a certainement à creuser dans le parallèle de ces textes.

Maurice Blanchot  Tres-m10

Goya, Tres de Mayo

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Message par Tristram Ven 23 Avr - 16:51

Intéressant, mais je ne le retiendrai pas comme une définition de la littérature...

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Message par Invité Ven 23 Avr - 17:07

Tristram a écrit:Intéressant, mais je ne le retiendrai pas comme une définition de la littérature...

La littérature se passe maintenant de l’écrivain : elle n’est plus cette inspiration qui travaille, cette négation qui s’affirme, cet idéal qui s’inscrit dans le monde comme la perspective absolue de la totalité du monde. Elle n’est pas au-delà du monde, mais elle n’est pas non plus le monde : elle est la présence des choses, avant que le monde ne soit, leur persévérance après que le monde a disparu, l’entêtement de ce qui subsiste quand tout s’efface et l’hébétude de ce qui apparaît quand il n’y a rien. C’est pourquoi elle ne se confond pas avec la conscience qui éclaire et qui décide ; elle est ma conscience sans moi, passivité radiante des substances minérales, lucidité du fond de la torpeur. Elle n’est pas la nuit ; elle en est la hantise ; non pas la nuit, mais la conscience de la nuit qui sans relâche veille pour se surprendre et à cause de cela sans répit se dissipe. Elle n’est pas le jour, elle est le côté du jour que celui-ci a rejeté pour devenir lumière. Et elle n’est pas non plus la mort, car en elle se montre l’existence sans l’être, l’existence qui demeure sous l’existence, comme une affirmation inexorable, sans commencement et sans terme, la mort comme impossibilité de mourir.
La littérature, en se faisant impuissance à révéler, voudrait devenir révélation de ce que la révélation détruit.

« La littérature apprend qu’elle ne peut pas se dépasser vers sa propre fin : elle s’esquive, elle ne se trahit pas. Elle sait qu’elle est ce mouvement par lequel sans cesse ce qui disparaît apparaît. Quand elle nomme, ce qu’elle désigne est supprimé ; mais ce qui est supprimé est maintenu, et la chose a trouvé (dans l’être qu’est le mot) plutôt un refuge qu’une menace. Quand elle refuse de nommer, quand du nom elle fait une chose obscure, insignifiante, témoin de l’obscurité primordiale, ce qui, ici, a disparu — le sens du nom — est bel et bien détruit, mais à la place a surgi la signification en général, le sens de l’insignifiance incrustée dans le mot comme expression de l’obscurité de l’existence, de sorte que, si le sens précis des termes s’est éteint, maintenant s’affirme la possibilité même de signifier, le pouvoir vide de donner un sens, étrange lumière impersonnelle.
En niant le jour, la littérature reconstruit le jour comme fatalité ; en affirmant la nuit, elle trouve la nuit comme l’impossibilité de la nuit. C’est là sa découverte. 
in La littérature et le droit à la mort

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Message par Tristram Ven 23 Avr - 17:52

Comme tu dis ; j'y reviendrai à tête reposée...

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