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Paul Nizan

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Message par topocl Sam 3 Déc - 9:54

Paul Nizan (1917-1940 )

Paul Nizan Nizan110

Evene a écrit:    Fils d'un ingénieur ferroviaire, Paul Nizan entre en 1917 au lycée Henri IV à Paris. Il se lie d'amitié avec le jeune Jean-Paul Sartre avec qui il fera ses études en khâgne au lycée Louis-le-Grand, avant d'intégrer l'Ecole normale supérieure. Il fait ensuite un séjour d'un an à Aden en tant que précepteur. Communiste convaincu, il publie en 1930 'Aden Arabie', qui lui vaut un succès critique important. Professeur de philosophie à Bourg-en-Bresse, il est le candidat communiste de l'Ain aux élections législatives de 1932. Ses ouvrages suivants, 'Les chiens de garde', 'Antoine Bloyé' et 'Le cheval de Troie' critiquent avec virulence la philosophie idéaliste et les nantis de toutes sortes. Il passe un an en URSS et accueille les sympathisants comme Aragon ou Malraux, lequel deviendra un ami proche. Il écrit régulièrement dans plusieurs journaux : 'L' Humanité', 'La Commune', 'Le Monde', 'Russie d'aujourd' hui'. Mobilisé en 1939, il démissionne du Parti lorsqu' il apprend la signature du pacte germano-soviétique. Il trouve la mort dans l'offensive allemande contre Dunkerque.


Bibliographie:

Romans
1933 : Antoine Bloyé
1935 : Le Cheval de Troie
1938 : La Conspiration


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Message par topocl Sam 3 Déc - 9:57

Antoine Bloyé

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Carrément beau.
Où Nizan nous montre à voir que le plus bel âge de la vie reste à définir.
Antoine Bloyé, une vie à cheval sur les XIX et XXèmes siècles, illusions et désillusions d’un homme révélateur de son temps.
Parfait parcours d’un enfant d’ouvrier, sorti du lot par le travail, encore le travail, marié, père de famille , arrivé. Mais arrivé où ? Les failles souterraines sont là, creusant leurs galeries de mélancolie et de désespoir. La façade est splendide mais cache des interrogations qui s’insinuent d’abord discrètement pour s’épanouir en gouffres béants. La tragédie de la réussite, quand elle trahit l’homme qu’elle est sensée porter dans une  société qui n’ a pas fini de se venger. Nos choix ne sont ils pas des renoncements perpétuels ?
Et puis il y a la langue, sérieuse, dense, noble. Puissante. L’impression d’une condensation intense où chaque mot utile, chaque phrase signifiante. Sans concession, comme le message de l’auteur. Des pages entières qu’on a envie de relire à haute voix, d’une perfection formelle  qui remue.


Ainsi Antoine commence à éprouver, maladroitement encore  ce soir-là, ainsi à la porte de la maison, que le monde dans lequel ses études le poussent, où l'entraîne une naïve ambition est assez loin du monde où depuis leur jeunesse otn vécu ses parents, et sent un commencement de séparation, il n'est plus exactement de leur sang et de leur condition, il souffre déjà comme d’un adieu, comme d'une infidélité sans retour.


Anne Guyader appartenait à un tout autre univers sentimental que Marcelle : Antoine se demandait sans beaucoup de clarté dans les idées, si l’ardent royaume des femmes sans avenir et sans caution n'était pas d'un plus grand prix pour un homme que les douceurs virginales, les chastes conspirations des vertus bourgeoises.
La vie est ainsi, un soir dans l'hiver. La lampe charbonne, sous son abat-jour de papier glacé couleur vert d’eau. On mourra, mais on a des fils : après tout il n'y a pas lieu de regretter d'être un homme et de vivre…

Quand Anne lui demande s’il se trouve heureux, il répond qu'il l’est, à peine y a-t-il dans un recoin de sa personne une résistance, une petite force de protestation et d'angoisse solitaire qui est écrasée sous les tissus de l'homme social et qui ne demande qu'à grandir, qui ne peut pas mourir : c'est à cause d'elle qu'Antoine attend toujours une seconde avant de répondre qu'il est heureux de. Car il faut qu’il l’écarte… Lorsqu'elle est écartée, il se voit enfin du même regard que les autres hommes, il s'approuve comme ils l'approuvent et il étend les bras à droite et à gauche dans l'espace de sa journée, comme un être agréable à la terre. Le soleil est pour lui à mi-course : il est comme éternellement suspendu à une place nuageuse de lété où il ne déclinera plus.
Le soleil déclinera.


(commentaire rapatrié)


mots-clés : #social


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Message par animal Dim 4 Déc - 0:29

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une lecture marquante pour moi aussi Antoine Bloyé, avec ce sentiment dur de lucidité et l'écriture débarrassée de tout superflu. on ne peut cependant pas aller jusqu'à dire que c'est sec ?

ce que je pouvais en dire en 2008 (déjà !) :

L'Editeur a écrit:Elève consciencieux et intelligent, Antoine Bloyé ira loin. Aussi loin que peut aller, à force de soumission et d'acharnement, le fils d'un ouvrier et d'une femme de ménage. Ce n'est que parvenu au faîte de sa dérisoire ascension sociale qu'Antoine Bloyé constatera à quelles chimères il a sacrifié sa vie. Dans un style dont la sobriété fait toute la puissance, Antoine Bloyé constitue un portrait féroce des mœurs et des conventions de la petite bourgeoisie de la IIIe République.

Ce fut donc ma découverte de cet auteur...

Le début du livre adopte le point de vue du fils d'Antoine Bloyé à la mort de son père, avant de nous raconter Antoine Bloyé en commençant par nous introduire ses parents...

c'est à partir de maintenant que j'oublie les trois quarts des choses ultra importantes que j'ai pu compté vous dire a propos de cette lecture...

ce suivi des générations c'est important, c'est le début de l'ancrage du roman dans la vie, une vie quotidienne, la vie quotidienne d'un homme qui suit un chemin "simple", le chemin tracé, le chemin d'une vie réussie et d'un accomplissement personnel. C'est au quotidien que ça se passe, le travail, la famille, le travail... les changements, les pensées intimes, les succès et le mal être. L'histoire d'un homme qui pendant longtemps "fait tout bien".

L'histoire est donc importante, fondamentale. Pour sa démarche de montrer sans concessions des compromis avec soi-même qui ne mènent pas au bonheur, la façon de se sauver avec les idées/manières admises et les habitudes. C'est peut être encore plus fondamental, l'impact est peut être encore plus fort (qu'en sais-je ?) pour un jeune homme comme moi, qui vit cette âge où on fait des choix sans les faire, où on se demande si la vie ne risque pas de basculer ou de s'enfoncer là où ensuite tout risque d'être perdu... là où il n'y aura plus qu'une image à afficher, un sourire et un contentement à feindre si vous préférez. C'est aussi les révoltes humaines oubliées, l'injustice admise. Cet ouvrage est très démonstratif à ce sujet (très mécanique en un sens) la compagnie des chemins de fer usant ses employés jusqu'à la corde... comme tout se monde en croissance offrant des opportunités modérées à certains, comme Antoine Bloyé. Les tourments, les doutes de cet homme... jusqu'à sa mort, sont extrêmement vivants, ils ne sont pas coupés de la vie, de la perte du contact, du corps, la perte du contact avec soi, avec la terre, la nature... avec les autres, la recherche d'une vérité (piétinée) avec ses semblables.

Et tout ça, plus important que cette construction qu'on pourrait trouver trop démonstrative ou mécanique parfois, servi par une écriture... saisissante ? j'ai découvert quelque chose de neuf dans mon ressenti par cette lecture, peut être la traduction dans la forme de l'urgence de se sauver soi même. L'écriture est belle, sombre mais ne s'écarte pas de son sujet, les émotions sont resserrées dans ces pages qui vont trop vite, n'en font pas assez mais ne peuvent pas en faire plus. L'angoisse, le poids rendent les mots essentiels. Pour prendre une image un peu bête et pour laquelle il va falloir me pardonner mon champ d'expérience réduit. Pour l'intensité, la présence de la mort comme "juge" ça m'a rappelé Malraux (pas surprenant qu'ils se soient compris ceux là) en plus... concis, quotidien, moins grandiloquent.  

Urgence, amertume, manque, manque... ce n'est pas ce qui est choisi dans le livre mais un mot qui m'est venu à l'esprit par rapport à ces manques de "vrai", le vrai de qui nous construit... et mot confirmé,employé, par une amie pour ses sentiments : pauvreté.  

C'était une lecture très forte, capitale, avec une écriture... belle, précise et mesurée. D'une dimension particulière.

Il se fait tard (et fatigué) pour des extraits mais... bientôt.

J'aimerai me souvenir de cette lecture (aussi) comme d'un rappel à l'ordre.

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Message par animal Dim 4 Déc - 0:30

une paire d'extraits :

Antoine suivait la course, parce qu'il était l'un des hommes qui avaient vécu cette crise de croissance, sans quitter l'univers recouvert de poussier des gares et des dépôts, aussi continu, parmi tous les autres mondes divers composés de morceaux, aussi unique que l'univers des ports, des bassins et des docks que n'abandonnent jamais les marins. Il était l'un des exécutants de cette métamorphose industrielle, l'un des hommes qui avaient sans répit dans la tête le souci des machines, de leurs conducteurs, du Mouvement et du Trafic. A suivre les pas si rapides de cette danse, ces gens-là ne songeaient guère à se ménager des loisirs pour se demander ce qu'ils faisaient sur la terre, à quoi ils étaient bons, dans quelle direction ils allaient, qu'est-ce que toute l'histoire de la vie voulait dire. Ils se divertissaient peu, et mal, et rarement, ils ne jetaient pas le loch dans le sillage trop écumeux qu'ils laissaient derrière eux. Antoine ne se retournait pas, il ne se posait pas, il ne se détendait pas, il faisait simplement son "service". Mille grandes machineries dévorantes entraînent ainsi les hommes dans leur rotation : les banques, les mines, les grands magasins, les navires, les réseaux, presque personne ne respire, il faut trop d'attention pour travailler aussi promptement que leurs engrenages, pour éviter les courroies, les moteurs.

  Antoine était pris comme un insecte dans cette toile vibrante des voies ferrées, que surveillaient à distance des araignées calculatrices et abstraites ; il était lié à ces milliers de kilomètres de rails qui s'élançaient au cœur de l'Europe par les issues faciles des gares frontières ; il y avait partout cette fuite des voies uniques, doubles, quadruples, partout ces convois en marche de jour et de nuit, aimantés par les chiffres des horaires, avec leurs machinistes tendus vers l'apparition des signaux, leurs chauffeurs noirs illuminés par la bouche éclatante du foyer, et les conducteurs à leur tour de guet glaciale des vigies, - partout ces nœuds brillants de communications, ces gares régulatrices illuminées par les constellations des lampes à arc, ces plaques tournantes, ces charriots, ces cabestans de manœuvre polis comme des armes par le frottement des câbles d'acier, ces dos d'âne d'où les wagons descendent mollement vers l'éventail des voies, ces postes d'aiguillage plus sensibles que des passerelles de navires, ces rotondes fumeuses, partout ces hommes soigneux dans leurs bureaux tristes qu'ébranlent le passage des rapides, que décorent des coupes rouges, vertes et bleues de westinghouse, de cylindres, ces milliers d'hommes vivant, peinant, mourant pour le service des Lignes, anonymes.

Au sein de la paresse solitaire de la nuit paraît sous un voile tout ce que le jour interdit, les désirs condamnés par les tribunaux bons citoyens du jour, par leurs ordres, par leurs vertus. La pudeur, la discipline, les désirs manqués, l'abscence de loisirs écrasent la partie la plus obscure de lêtre où se cachent peut-être ses plus authentiques besoins. Aussi longtemps que les hommes ne seront pas complets et libres, assurés sur leurs jambes et la terre qui les porte, ils rêveront la nuit. Ils assouviront leurs faims, leurs faims réelles - car il y a tous les hommes qui ne mangent pas à leur faim dans le monde, qui ne boivent pas à leur soif, il y a les hommes de la misère - leurs faims de vengeance, ils remporteront des victoires sur leurs opresseurs du jour, ils conquerront des femmes consentantes. L'homme de la nuit fera des confidences à son ombre diurne qui ne les écoute pas. Un petit nombre d'hommes possède la clef de ses rêves : ils ne les prennent pas pour des secrets prophétiques, pour des images de leur avenir, ils ne sollicitent pas une fausse magie, le mystère de ces aventures où ce ne sont pas des dieux, des démons, des fantômes qui paraissent, mais l'enfant humilié, l'homme écrasé sous les devoirs, les fardeaux, les défenses, l'homme privé de tout. Dans cette période de désespoir où la menace de la mort atteignait Antoine sans qu'il pût se défendre contre elle par les preuves, les témoignages d'une vie, d'un passé, sans qu'il pût l'accepter comme les hommes dont les puissances se sont réalisées, dont les désirs ont été comblés, où il ne découvrait dans son passé réel que le vide et les nuées de la vie bourgeoise, il rêvait. C'était comme une défense souterraine. Il s'accoutumait peu à peu à accepter ses rêves aux heures de veille, à leur accorder quelque créance, simplement parce que toutes les apparences véritables s'écroulaient, s'envolaient autour de lui comme une toile de tente sous le vent, et l'abandonnaient au seuil d'un grand désert pareil à la plaine qui commençait à la pointe de son usine. C'étaient des rêves qui n'étaient pas tous écartés de lui, qui ne se formaient pas tous dans des recoins inacessibles, il y en avait dont il pouvait enregistrer les témoignages, les conseils. Il en rougit d'abord mais la mauvaise humeur, la colère mortelle au sein desquelles il vivait lui firent enfin oublier le scandale de quelques unes de ces explorations de la nuit. A peine continua-t-il à les craindre parce qu'elles énonçaient des exigences qu'il n'aurait sans doute jamais le courage de satisfaire. Certains rêves étaient trop compliqués pour qu'il sût les traduire, ils lui faisaient se dire le matin : "J'ai encore fait la nuit dernière un rêve absurde... Où va-t-on chercher ses choses qu'on rêve et qu'on a jamais vues ?"

 D'autres étaient oubliés avec les premières lueurs du jour qui passaient par les lames obliques des volets, et il essayait de les retrouver, il sentait qu'il y avait quelque part un souvenir bizarre ou séduisant ou terrible, mais il lui échappait comme un petit animal des buissons, qu'on entend traverser les herbes sans savoir s'il est rongeur ou lézard ou oiseau, il ne demeurait de ce rêve qu'une vague présence insaisissable. Certains d'entre eux ne s'effaçaient pas, ils l'accompagnaient toute la journée, à peine moins brillants qu'un souvenir malfaisant ou aimable ; c'est vers le soir seulement qu'ils s'affaiblissaient et fondaient...

(les autres lectures une autre fois) Smile

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Message par topocl Dim 4 Déc - 9:42

animal a écrit:une lecture marquante pour moi aussi Antoine Bloyé, avec ce sentiment dur de lucidité et l'écriture débarrassée de tout superflu. on ne peut cependant pas aller jusqu'à dire que c'est sec ?

Ah, non, ce n'est pas sec du tout, c'est un écriture qui vous porte.
(Et Antoine Bloyé, c'était mon retour à Nizan, que je te le dois drunken )

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Message par animal Dim 4 Déc - 9:48

Je relirai bien ça un jour. Mais j'ai les chiens de garde depuis une éternité sur une étagère.

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Message par églantine Dim 4 Déc - 11:42

Avec tout ça , voilà que je fais plein de découvertes , et que mes PALS vont devenir encore plus dangereuses .
Je note Paul Nizan.
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Message par animal Lun 20 Fév - 22:39

Paul Nizan 41vtol10

Aden Arabie

evene a écrit:Après un voyage à Aden entrepris pour fuir le confort, l'ennui et le conformisme, Paul Nizan rédige son premier pamphlet, 'Aden Arabie'. Publié pour la première fois en 1932, réédité en 1960 (précédé d'une remarquable préface de Sartre), cet écrit dénonce avec violence la bourgeoisie, ses enseignements, sa philosophie et sa culture, ainsi que l'aliénation de l'homme par l'homme.
lien

mmmh. Oui et non. par rapport à ce résumé.

Lecture marquante. Préface pas mal, intéressante, une présentation de Nizan par un ami et camarade d'école, avec distance aussi et un brin d'envie. Avis personnel, d'un point de vue écriture la transition est cruelle pour Sartre quand on commence le texte de Nizan... Précision, sentiment d'essentiel. On se perd parfois ensuite dans des parties moins claires, mais qu'on ne sent pas moins essentielles à l'auteur, une recherche aussi de quelques phrases "pour la phrase". N'empêche, le plus souvent il fait mouche.

Il dénonce, il s'enrage pour beaucoup de choses, avec une désarmante conviction et une grande lucidité. Le livre est politique et engagé mais le point de départ de tout ça, de mon point de vue est bien moins "léger" (c'est une façon de le dire) qu'une prise de conscience suivie d'une lutte politique.

Dans ce voyage qu'il nous raconte à petites doses, dévoilant un monde occidental dépouillé de ses artifices de cultures pour en arriver à ses motivations essentielles, il part aussi à la recherche d'un absolu, d'une définition de l'homme, une définition non négociable, une cohérence personnelle. Il gratte pour trouver entre les faiblesses, les habitudes, les trahisons, tout le poid du monde, le noyau qui permet (à travers un combat aussi personnel) d'affirmer une vraie liberté, une constance dans la vie.

Je crois que c'est pour ça que ses écrits sont aussi forts, une intransigeance marquée, amer, dure mais pas moche. Il combine en toute bonne foi, et "réalité" (si on veut) matérialisme (terrien) et individualisme (essentiel, base de l'action) et une largesse stupéfiante, de nombreuses références à l'amour... troublant. Troiublante acceptation, accueil de l'humanité la plus simple dans son principe de rejet et de lutte contre une société qu'il juge hypocrite et qui ne lui convient pas, qui l'étouffe.

On retrouve l'essence de ses romans, avec une démesure et des maladresses qu'on peut associer à l'âge :

«J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie.»

Premières lignes devenues fameuses, qui aiguilleraient faussement sur un mal de vivre de la jeunesse. La construction de l'individu et la prise de conscience de son pouvoir serait plus juste.

Mais l'oubli n'est pas l'autre nom de la liberté. Revenons, la liberté compte seule. Sur les quais européens de Glasgow où - c'était le temps de la grève charbonnière - les hommes ne mangeaient pas tous les jours à leur faim, il était question de miracles, dévénements, de ce qui serait une rupture et la promesse de véritables réincarnations. J'avais l'impression que la vie humaine se découvre par révélation : quelle mystique. Mais les gens de mon âge vivaient dans l'attente de n'importe quoi, des fameux coups de foudre de l'aventure : bonnes histoires de nos gardiens.
Les événements ne se rencontrent pas aux tournants des routes, les virages ne sont pas des mines d'or, il n'y a pas une route vide comme la plaine champenoise, et monotone, sans villages, et puis soudain quand personne n'y pense, quand rien ne sert de présage, derrière un pan de rocher, ce que l'on attendait et qui n'a pas de nom. M. Barnstaple passa seul un samedi après-midi sur une telle grande-route.
Ceux qui font des découvertes, ceux dont on dit en repassant l'histoire de leur existence qu'ils n'étaient pas nés pour rien, trouvez-les parmi les hommes prudents, sédentaires, qui savent rester éveillés patiemment, qui demeurent longtemps quelque part et chassent avec précaution : le vrai s'abat dans un affût, ce n'est pas une carte qu'on retourne un soir dans un jeu de hasard où tout coup peut être gagnant. Si vous voulez vivre, il faudra retrouver la persévérance. Vous voulez vivre et vous filez comme des morceaux d'astres dans votre nuit. Il faudra une attention de vos jours et de vos nuits. Pendant que vous dormez, tous les êtres peuvent mourir. Pendant que vous courez, vous-même pouvez mourir.

Il se regarde là où ça fait mal, comme ça fait mal, pour aller au delà. Il fait partie de ceux qui osent rechercher la totalité. J'aime beaucoup ça, c'est intéressant d'oser ça.

De petites imperfections ou qu'on ne se retrouve pas forcément dans toutes les conclusions n'enlèvent rien à cet écrit d'une actualité sociale et humaine indéniable.

C'est pas bien long. C'est remarquable, et on y lit des lignes magnifiques à la portée extraordinaire...

Ce qu'il y avait de terrible, c'était de les voir dormir. Ils dormaient la nuit et ils dormaient après leur repas comme des serpents qui digèrent. Je les voyais sous les galeries de la maison endormis dans leurs fauteuils cannés. Ils reposaient enfin, arrivés dans un port accueillant, dans une rade sûre, dans le seul bonheur de la journée, défaits, dénoués, la joue posée sur le sommet de l'épaule, le cou plissé, les mains à la traîne, avec des gouttes de sueur roulant sur leur front. Traversés par des rêves visibles, leurs faces déballées parcourues par des ondes, dernières volutes des lames de fond envoyées par les régions humaines, qui les soulevaient comme les insectes soulèvent les animaux morts dans les fossés. Ils bourdonnaient, se retournaient. Ils essayaient de reparaître dans le jour avec les trouvailles du sommeil, de ne pas les oublier. Mais ils les laissaient retomber, ils revenaient les mains vides plus tristes que les femmes qui accouchent d'un enfant mort. Le sommeil est pour un vivant le désintéressement le plus semblable à celui de la mort; il était pour eux la pointe même de l'attention, l'extrême de leur effort, tout ce qu'ils pouvaient connaître des réclamations de l'homme.

(message relocalisé qui ravive l'envie de relecture).

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Message par Tristram Lun 20 Fév - 23:50

Une oeuvre forte en effet, sans concession, avec de la fulgurance dans le style _ et aussi une grande perspicacité.

« Pas une miette de réalité, pas une démarche qui pût aboutir à quelque chose. Un ennui inefficace parmi les compagnons habitués par le temps à tout ce qui n'existe pas. Des ombres engendrées par toutes sortes de faims : dans les famines où l'on manque de pain, il y a aussi des hallucinations. Alors, faire bon ménage avec l'ennui, mourir de cette mort ? Il n'y a pas d'autre choix : comme on ne veut pas encore mourir, _ on croirait offenser quelqu'un et les plus secrets avertissements de la vie, _ on tombe dans l'ennui, on s'installe parmi ces animaux savants qui n'ont plus qu'à s'aimer avec une ardeur hypocrite, qui se trompe vraiment d'adresse. »

« Je voyais mon temps se perdre, cette chose qui m'appartient. »

« Le voyage est une suite de disparitions irréparables. »

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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