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Georges Hyvernaud

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captivité - Georges Hyvernaud Empty Georges Hyvernaud

Message par shanidar Mar 20 Déc - 17:30

Georges Hyvernaud (1902-1983)

captivité - Georges Hyvernaud George11

Georges Hyvernaud est né en 1902, en Charente, d’une mère couturière, et d’un père ajusteur. Après de brillantes études secondaires, l’École normale, il est nommé à Arras. Mobilisé en 1939, fait prisonnier en 1940, il est libéré en 1945. Renonce en 1953, meurtri et découragé, à toute publication. Meurt en 1983.

Écrivain rare et confidentiel, qui s'est soigneusement tenu à l'écart des milieux littéraires, Georges Hyvernaud a été quasiment oublié durant près de trente ans. L'importance de son œuvre est réévaluée depuis le milieu des années 1980, grâce en particulier au travail de la maison d'édition Le Dilettante (dont il faudrait se pencher plus sérieusement sur les publications de Calet, Chevallier et consorts).

Bibliographie

La Peau et les Os, 1949 : Page 1
Le Wagon à vaches, 1953 : Page 1
Lettres de Poméranie (1940-1945)
Lettre anonyme
L'ivrogne et l'emmerdeur: Lettres à sa femme (1939-1940)
Voie de garage, (1941-1944)
Visite au scorpion
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Lettre à une petite fille
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captivité - Georges Hyvernaud Empty La peau et les os

Message par shanidar Mar 20 Déc - 17:39

captivité - Georges Hyvernaud George10

La peau et les os - Les souffrances de la captivité

Le récit d'Hyvernaud trouve rapidement son rythme fait de réflexions denses, écrites en quelques phrases lapidaires, coagulées en 112 pages, découpées en cinq chapitres. C'est écrit avec la rage, la colère de l'impuissance, la violence de celui qui se sent bafoué, rabaissé, incompris et malgré lui sauvé.

Hyvernaud n'ayant publié que deux livres de son vivant et pour que le fil ne se retrouve pas trop exsangue (ce qui serait presque de l'ordre du délit) je vais largement développer mon commentaire et citer l'auteur.

Le premier chapitre est celui du retour du prisonnier, de ses retrouvailles avec la vie d'avant et avec ceux qui la peuplaient.

Repas dominical, entre la tarte aux fraises et la liqueur, les langues se délient, on parle de la guerre, de l'Occupation ; ceux qui sont restés passent pour des héros, le 'prisonnier' se tait, rumine, seul dans son coin, en essayant de faire bonne figure.

(p.23) Je me tais, malveillant et irrité. Je me sens oublié comme un mort à son enterrement. Je n'intéresse personne. Personne n'intéresse personne. On fait semblant. Chacun parle de soi. On écoute les autres pour pouvoir leur parler de soi. Mais au fond on s'en fout.

Et en écho aux propos de Remarque (dans Après) qui revenu du front ne peut se confier à personne, ne peut même pas dire à sa mère ce qu'il a fait, ce qu'il a vu, ce qu'il est devenu ; Hyvernaud écrit :

(p.25) Mes vrais souvenirs, pas question de les sortir. D'abord ils manquent de noblesse. Ils sont même plutôt répugnants. Ils sentent l'urine et la merde. Ça lui paraîtrait de mauvais ton, à la Famille. Ce ne sont pas des choses à montrer. On les garde au fond de soi, bien serrées, bien verrouillées, des images pour soi tout seul, comme des photos obscènes cachées dans un portefeuille sous les factures et les cartes d'identités.

Comparée à la souffrance des déportés, les prisonniers ont le sentiment d'être des laisser pour compte et c'est à coup de phrases courtes, massives comme des coups de marteau qu'Hyvernaud raconte son retour à Paris, son incapacité à dire sa souffrance, l'horreur de ce qu'il a vécu et les souvenirs qui surgissent, sans prévenir, tout d'un coup, et qui explose, avilisse, annihile un homme. On sent chez Hyvernaud une forte rancœur, une impuissance à être compris, aider, une recherche de sympathie qu'il n'obtient de personne, pas même de Louise, sa compagne, plus souvent préoccupée par la propreté de ses cheveux que par les souffrances de l'ancien prisonnier.

[Ce récit m'a donné envie de relire La Douleur de Duras, qui raconte le retour, improbable, incongru, presque malséant de Robert Antelme après sa déportation, récit écrit dans l'hallucination d'un temps détruit, oublié au fond d'une armoire et ressorti des années plus tard pour dire l'horreur de l'attente et l'horreur de voir revenir des hommes, des fantômes, des funambules qui ne sont plus ce qu'ils étaient, qui n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient.

On retrouve d'ailleurs cette réflexion au début du livre d'Hyvernaud, ainsi que dans une nouvelle de Marcel Aymé (En attendant…) à propos des femmes qui sont restées, qui ont fait leur vie, du moins qui ont bien dû continuer à vire, survivre, nourrir leurs enfants, faire du marché noir, parfois se vendre pour manger… des femmes qui ont appris l'indépendance, qui ont dû travailler comme un homme, qui savent désormais vivre sans l'étai masculin, sans les dimanches au stade, sans… l'autre et qui ne savent pas très bien ce qui va se passer quand leurs hommes rentreront du front ou de captivité.]

Le deuxième et le troisième chapitres sont consacrés à la vie dans le camp de prisonniers. Un camp d'officiers qui ne sont astreints à aucune activité et qui passe leur temps à se plaindre, ruminer et déféquer (l'importance des boyaux. Ah !).

(p.37) Pour prendre pleinement conscience de ce qui nous est arrivé, rien de tel que de s'accroupir fesse à fesse dans les latrines. Voilà ce qu'ils ont fait de nous. Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant. On en était fier. Ça nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues. On n'a pas d'âme. On a que des tripes.


La promiscuité des chairs (Les pauvres n'ont pas droit à la solitude) pousse les hommes à se haïr, se voler gamelles et bouts de pain, à s'insulter pour une porte laissée ouverte sur le grand froid. C'est mesquin. Veule. Et pourtant, Hyvernaud s'applique à rappeler que dans le civil, ces 'gens-là' sont des normaliens, des magistrats, des grandes fortunes et qu'ils forment, dehors, une élite intellectuelle et sociale. Pourtant, ici, à l'intérieur du camp, ils retrouvent les gestes égoïstes et insupportables de la pire engeance. Il faut 'tourner en rond' et 'faire semblant' comme l'indique les titres des chapitres pour pouvoir survivre. Le temps est immensément long dans la baraque et il faut malgré tout supporter les uns, les autres et puis soi-même.

(p.43) Ils nous laissaient croire aux morales, aux musées, aux frigidaires, aux droits de l'homme. Et la vérité, c'est l'homme humilié, l'homme qui ne compte pas. Fini, le temps des phrases. La vérité, c'est la faim, la servitude, la peur, la merde.

Alors pour passer le temps certains jouent aux cartes, un autre compte le nombre de ses conquêtes féminines, un barbu chantonne une chanson paillarde, un autre étudie une grammaire allemande, on cuisine, on rapièce sa chemise, on s'ignore.

(p.41) Je trace des mots, mot à mot, mot à mot, des mots qui tirent après eux d'autres mots, des mots qui vont chercher des choses en moi, je ne savais pas qu'elles y étaient, et cela fait encore des mots et des mots. Pour tuer le temps.

(p.48) Et l'autre avec ses goûts et ses couleurs. Pour sûr qu'il ne faut pas discuter. Des goûts, des dégoûts. On aime ou l'on n'aime pas. On vit goutte à goutte. On marche pas à pas. On est là pour ça pour marcher pas pour discuter les goûts, les couleurs, les coulures, l'écroulement, tout a le même goût ou pas de goût du tout, la même couleur, il n'y a qu'à laisser couler il ne faut pas discuter...

Le quatrième chapitre est consacré à Charles Péguy : Leur cher Péguy. Comme Péguy (mort durant la guerre de 14-18), Hyvernaud vient d'une famille presque pauvre (une mère couturière et un père ajusteur), comme Péguy il est sorti de sa 'classe' pour faire des études mais Hyvernaud fustige ce que Péguy est devenu. Il ne l'attaque pas sur le principe d'un embourgeoisement (sans doute d'ailleurs assez hypothétique) mais sur son intellectualisme ; car même si Péguy attaquait les professeurs et l'Université il faisait partie de cette faune d'intellectuels.
Pire. Péguy en faisant du socialisme une mystique et de la Révolution une Espérance, a déformé les intentions du peuple pour en faire une utopie débile (sans jus). Mais au fond, ce que Hyvernaud reproche à Péguy c'est sa manière d'envisager la pauvreté, la manière de servir les pauvres.  Le sens de la vie, les bienfaits de la pauvreté, le culte du travail, tout cela s'arrange si bien dans une belle âme. Il dénonce l'idée que les pauvres ne peuvent pas être aidés, qu'ils aiment travailler 15 heures d'affilée dans des conditions épouvantables, il condamne ceux qui estiment que la résignation des pauvres ne peut être combattue, il exècre ceux qui entonnent le chant glorieux du travailleur content de lui, satisfait, honnête. Il fustige ceux qui s'imaginent (les intellectuels) que l'ouvrier peut encore penser après sa journée de travail. La fatigue, la soumission, la résignation sont le lot des pauvres et Péguy qui le sait, Péguy s'enferme dans une bulle que n'atteint plus la misère. Péguy chante la gloire de la guerre, son socialisme, c'est une tendre rêverie sur le passé. Sa révolution, c'est la résurrection de la paroisse médiévale, avec des ouvriers qui travailleraient quinze heures par jour et seraient contents comme ça.


Il faudrait pour contrebalancer les propos d'Hyvernaud reprendre le chapitre que Michel Winock consacre, dans Le siècle des intellectuels, à Péguy. Je tenterai peut-être un jour la comparaison, non pas que Winock y encense Péguy mais au moins la charge est moins violente et même quasi nulle, Winock s'attardant surtout à donner vie aux débuts de La Quinzaine Littéraire et à comprendre les tours et les détours de la pensée de Péguy, marquant essentiellement que cette pensée allait 'contre', contre la pensée unique, contre les académies, contre les modes en se contredisant parfois elle-même.

Le dernier chapitre intitulé  Le beau métier est consacré au métier d'instituteur qui était celui d'Hyvernaud en temps de paix. Il y dit son détachement volontaire auprès de ses élèves, sa prudence à ne pas les laisser entrer dans sa vie, sa vocation qui est celle de faire passer un apprentissage sans se soucier de ceux qui le reçoivent. Il est bien sûr question de sa déception, de ses regrets quand il découvre la mort de l'un de ses anciens élèves, taiseux, solitaire, qui, devenu communiste (peut-être justement par solitude) a été fusillé.

Le récit d'Hyvernaud est de ces livres dont on voudrait tout citer tant les phrases y sont fortes, sans ambiguïtés, dépourvues de malice et séditieuses. On pourra les lire et les relire souvent, il y est question, sous couvert de sincérité, de liberté d'expression, de ce qui fait la misère de l'humanité, et ce même chez les plus riches ou comment la captivité, ses souffrances, ses peurs, ses infamies, peut rendre les hommes bien plus laids qu'attendus. A ce jeu de massacre, Hyvernaud lui-même n'est pas épargné.

Livre très dense. Intense. A lire absolument. Merci Tristram d'avoir attiré mon attention sur cet auteur bien peu disert dont la frontalité émeut.


mots-clés : #deuxiemeguerre
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Message par églantine Mar 20 Déc - 20:29

Très intéressant !
Merci pour l'ouverture de ce fil Shanidar ! captivité - Georges Hyvernaud 1252659054
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Message par Bédoulène Mer 21 Déc - 20:42

tentant, mais pas en médiathèque (pour plus tard)

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Message par GrandGousierGuerin Mer 21 Déc - 22:10

Bédoulène a écrit:tentant, mais pas en médiathèque (pour plus tard)
tentant, mais pas et en médiathèque Very Happy
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Message par topocl Jeu 6 Avr - 12:38

shanidar, la bibliographie semble incomplète.Voilà ce que je trouve sur wikipédia


Œuvres de Georges Hyvernaud

On trouve ses deux romans au format poche. Il existe une intégrale Georges Hyvernaud parue en 1985-1986 (quatre tomes, Éditions Ramsay).

La Peau et les Os (Éditions du Scorpion, 1949)
Le Wagon à vaches (Denoël, 1953)
Lettres de Poméranie (1940-1945) (édition présentée par Andrée Hyvernaud & annotée par Guy Durliat, éditions Claire Paulhan, 2002.)
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Message par shanidar Jeu 6 Avr - 13:32

Il va falloir demander à un gentil modo de compléter, alors ! Wink
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Message par topocl Jeu 6 Avr - 16:58

La peau et les os

captivité - Georges Hyvernaud George10

Quand Georges Hyvernaud revient de cinq années dans un camp de prisonniers de guerre en Allemagne, il retrouve tout ce qu'il a fantasmé pendant si longtemps: Louise qui l'a patiemment attendu, les repas dominicaux de Tante Julia, et Ginette qui dit gentiment "Ce que tu dois être heureux". Tout ce qu'au fil des mois il a associé au bonheur. Seulement

L'expérience de la faim, de l'humiliation et de la peur donne aux choses leur dimension exacte

Parce que raconter est impossible, troubler cette douceur retrouvée avec des récits de latrines immondes, de cadavres, de numéros , d’humiliations...  Parler d'un monde dépourvu du moindre sens dans un monde qui croit en avoir un, et ne le comprendra pas... A quoi bon. Alors il raconte quelque anecdote qui répond aux attentes, et ainsi achève de se trahir.

Car là-bas la promiscuité et l'ennui ont rendu  l'amitié et la grandeur impossible. Et cette micro-société livrée au néant lui a tendu comme un miroir déformant de la nôtre. Le camp, comme la folie, n'est jamais qu'un petit décalage de notre vie quotidienne, l'horreur en plus. Là-bas il a compris que les petites compromissions, les rituels sécurisants qui font accepter l'inacceptable,  l'humilité pour passer entre les gouttes, les yeux détournés pour tenir,  ne sont qu'un chemin balisé vers la destruction de soi, et ne sont pas si différents de ce qui se joue tous les jours ici, le jeu permanent du "tenir encore un peu" et du "faire comme si".

La langue d' Hyvernaud est violente, vivante, interpellante, dure, belle. Elle  crie le désespoir de l'impossible retour.

shanidar a écrit:Le récit d'Hyvernaud est de ces livres dont on voudrait tout citer tant les phrases y sont fortes, sans ambiguïtés, dépourvues de malice et séditieuses.

C'est vrai.

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Message par animal Jeu 6 Avr - 20:56

Je mets à jour la biblio et m'aperçois que j'aurais pu passer à côté du fil. captivité - Georges Hyvernaud 3945176875

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Message par topocl Ven 7 Avr - 7:38

ben ça aurait été bien dommage!

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Message par topocl Lun 16 Oct - 20:52

Le wagon à vaches.

captivité - Georges Hyvernaud Wagon_10

Un peu plus tard, la guerre finit, et on érigea un monument aux morts.

Le narrateur,  revenu de la guerre rapporte quelques souvenirs de ses premiers jours de mobilisation, avant l'assaut, et de sa captivité où il a été emmené dans des Wagons à vaches. Il en garde "cette amertume sommaire, cette passivité ".

Bonne vieille race obstinée des hommes : toujours prête à tout recommencer, à remettre ça. Se raser, cirer ses souliers, payer ses impôts, faire son lit, faire la vaisselle, faire la guerre. Et c'est toujours à refaire. Ça repousse toujours, la faim, les poils, la crasse, la guerre.

Il parle surtout de sa vie terne d'employé de bureau, pour laquelle ses parents, des gens ternes et convenus, l'ont fait étudier afin qu'il dépasse leur condition. Il essaie d'écrire le soir chez lui, il raconte le quotidien nauséeux de cet après-guerre , et s’attache à portraiturer un petit monde étriqué et vaniteux. Pas un pour rattraper l'autre. Les personnages sont des médiocres, des petits bourgeois compassés dont il fustige la capacité à s'habituer, à faire comme si, alors que la guerre colle encore à la peau de chacun. Il y met une ironie mordante, qu'il épice d'un peu de scatologie sarcastique.

Des médiocres vivants, incapables de donner du relief à leur vie. Impuissants à imposer au malheur la richesse et l'intensité d'une aventure - au hasard, la figure d'un destin.

Un projet de monument aux morts se dessine et révèle les petites mesquineries, les grandes récupérations, les jalousies et les ambitions sordides, avant de sombrer devant la faiblesse des contributions.

L'auteur-narrateur a une  plume talentueuse et croque ce petit monde provincial et ordinaire  avec une certaine vivacité , mais trop est peut-être trop:  que fait-il de mieux, pour s'autoriser cette causticité morne, cette supériorité fustigeante? La guerre, il  n'est pas le seul à l'avoir traversée. Chacun s'en remet et s'en défend comme il peut, et un soupçon d'indulgence n'aurait pas forcément gâché la sauce.


mots-clés : #captivite #devoirdememoire #guerre #viequotidienne

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Message par Quasimodo Lun 13 Jan - 13:29

captivité - Georges Hyvernaud La_pea10

La peau et les os

Les commentaires de shanidar et de topocl ont dit l'essentiel de ce livre, l'essentiel pour moi. Pour éviter trop de redites, je vais noter quelques rapprochements que j'ai faits pendant ma lecture.

Tout d'abord, je me suis senti particulièrement concerné par deux choses.

Premièrement, la vie forcée dans une communauté de gens qui n'ont rien de nuisible, mais que les habitudes rendent bientôt insupportables au sens fort :
Je ne peux plus souffrir les belles âmes. Je ne peux plus souffrir les autres. Ni Beuret, ni Pochon, ni Vignoche. Vignoche surtout, qui me parle tout le temps de son oncle qui est notaire. Qu'est-ce qu'il veut que ça me foute, que son oncle soit notaire ? Vignoche a l'air d'une dame patronesse. Il renifle constamment, humph, humph. C'est répugnant. Je ne peux pas le souffrir. Personne ne peut souffrir personne. On a parfois l'air de s'entendre. On rigole des mêmes obscénités. On se montre des photos de gosses. On joue aux cartes. Mais il circule là-dessous une haine patiente, attentive, subtile, méticuleuse. Une âcre méchanceté de vieille dame ou de bureaucrate. De jour en jour on aiguise, on recuit, on perfectionne ses griefs et ses répulsions. C'est forcé. C'est à cause de cette misère à odeur de latrines où l'on est barattés tous ensembles, crève-la-faim et crève-l'ennui. On en veut aux autres d'être toujours là.
Et il se trouvera des gens pour prétendre que ces années de captivité furent un temps de recueillement. Ce temps où on est livré aux autres. Condamné aux autres. Condamné à Vignoche et à Pochon.

Puis l'oisiveté, source d'angoisses, cause de folie :
Le plus dangereux, ici, c'est encore cet énorme loisir auquel on nous a contraints. Ça invite à se poser des questions, et un homme qui se pose des questions, captif ou pas, il est foutu. On a mis cela en beau langage dans les livres que je lisais autrefois. Notre condition faible et mortelle est si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près.

Sur la folie encore, emprisonnement métaphorique, cette même idée d'immobilité :
La folie, ça doit ressembler à ça. Ça doit être quand on ne peut plus s'évader d'un cercle de mots et de gestes, qu'on s'est laissé boucler là-dedans. Une activité vaine, gratuite, refermée sur elle-même, prisonnière d'elle-même. On recommence ses mots, ses gestes, et ça ne sert à rien, ça ne remue rien. Nous ne sommes pas loin de cette effrayante aventure.
(Cioran)
La folie n'est peut-être qu'un chagrin qui n'évolue plus.

Les prisonniers, traités comme du bétail par des gardiens détachés, rappellent les livres de Kafka dans lesquels, selon Sarraute, les héros quêtent désespérément le plus petit signe, le plus mince rapport humain qui puisse s'établir, constamment refusé par ces "autres" qui ont tout-pouvoir sur eux :
Il tapait comme ça, au petit bonheur, sans colère. Il eût été en colère, on admettrait. Sans plaisir non plus, ça ne paraissait vraiment pas l'amuser. Il devait manquer d'imagination. Il tapait avec une grande indifférence, comme on tape sur des bêtes pour les faire avancer. Et c'était là le pire, cette indifférence de vacher.

Puis voici le livre qu'Hyvernaud souhaite voir écrit :
En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement. Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun la sentît et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque. Et que toute l'époque lui apparût comme une mélasse d'êtres sans pensée, sans squelette, grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité, sans fin et sans but. Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable. Mais pour écrire ça il faudrait un gars autrement costaud que moi. Un gars d'un génie féroce, naïf et généreux.
Je songe avec malaise que le livre de ce gars d'un génie féroce, naïf et généreux, ressemble de bien près aux romans de Céline. D'ailleurs les dernière lignes de Voyage au bout de la nuit et celles de La peau et les os peuvent être mises en parallèle :
(Hyvernaud)
J'écris son nom, Gokelaere, comme on écrit un nom sur une croix. Mais personne ne lit les noms sur les croix. Et il n'y a même pas de croix. Il n'y a rien.
(Céline)
De loin, le remorqueur a sifflé; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse, un autre pont, loin, plus loin… Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et toute la ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on en parle plus.

Et enfin, cette considération entomographique :
Je vois les mots qui se forment l'un après l'autre, qui emplissent peu à peu la feuille blanche d'un pullulement d'insectes, d'un enchevêtrement d'ailes, de pattes, d'antennes.
me rappelle celle-ci, de Proust (je m'aperçois que ma mémoire avait fait de ces "petits êtres" des insectes).
...chaque personne, même la plus humble, a sous sa dépendance ces petits être familiers, à la fois vivants et couchés dans une espèce d'engourdissement sur le papier, les caractères de son écriture que lui seul possède.

Merci à toi, @Schlem, pour cette lecture très marquante.
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Message par Tristram Lun 13 Jan - 14:28

Merci Quasimodo pour l'évocation de ce livre marquant. Les échos avec d'autres auteurs donnent à la fois dimension et situation à cette oeuvre qui désole le lecteur parce qu'elle a le ton du vécu et du vrai.
Le rapprochement à celle de Céline ne provoque "malaise" que si on met en avant ses "antisémitisme et autres racismes" (Alain Rey, qui autrement le tient pour un auteur remarquable, au moins pour son écriture) ; le constat sur la putride misère humaine reste comparable (de mon point de vue en tout cas). Céline parle de putrissure dans Mort à crédit, et Hyvernaud revient toujours aux odeurs de latrines. Les écrivains d'après-guerre (Calet, Barbusse, Guilloux, etc.) témoignent souvent de la même hantise.
J'ai reparcouru le fil Hyvernaud versus Jünger (tu l'as vu ?), il y a eu là de fructueux échanges !

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Message par Quasimodo Lun 13 Jan - 14:40

Tristram a écrit:Le rapprochement à celle de Céline ne provoque "malaise" que si on met en avant ses "antisémitisme et autres racismes" (Alain Rey, qui autrement le tient pour un auteur remarquable, au moins pour son écriture) ; le constat sur la putride misère humaine reste comparable (de mon point de vue en tout cas). Céline parle de putrissure dans Mort à crédit, et Hyvernaud revient toujours aux odeurs de latrines. Les écrivains d'après-guerre (Calet, Barbusse, Guilloux, etc.) témoignent souvent de la même hantise.
Tout à fait; le malaise que je note ne vient que de l'expression que j'ai reprise en italique (en résonance avec ses pires écrits) et qui est précisément celle qui m'a "révélé" Céline derrière le livre qu'imagine Hyvernaud.

Tristram a écrit:J'ai reparcouru le fil Hyvernaud versus Jünger (tu l'as vu ?), il y a eu là de fructueux échanges !
En effet, c'est un fil passionnant ! Je l'ai découvert il y a peu de temps, et je l'ai relu une deuxième (ou troisième) fois tout à l'heure.
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Message par Quasimodo Lun 13 Jan - 14:41

Je ne suis pas familier des écrivains de la guerre, mais j'ai effectivement beaucoup pensé à Barbusse.
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Message par bix_229 Lun 13 Jan - 15:13



Serge Teyssot Gay, guitariste de Noir Désir, a consacré un disque à "La Peau et
les os", sobre mais senti. "On croit qu'on en est sorti."
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Message par Quasimodo Lun 13 Jan - 16:01

C'est très réussi !
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Message par Bédoulène Lun 13 Jan - 18:21

merci Quasimodo ! un bon choix donc !

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
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