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Message par bix_229 Jeu 15 Déc - 18:34

Primo Levi (1919-1987)

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Primo Levi est né en 1919 à Turin, mort également à Turin en 1987. Juif italien de naissance, chimiste de profession, il devint écrivain afin de témoigner, transmettre et expliquer son expérience concentrationnaire dans le camp d'Auschwitz, ou il fut interné durant l'année 1944. Si c'est un homme est le livre qui parle de cette expérience et il est fondamental.

Oeuvres traduites en français :

1947 et 1958 : Si c'est un homme
1963 : La trêve
1966 : Histoires naturelles
1975 : Le système périodique
1978 : Lilith
1978 : La clé à molette
1981 : La recherche des racines
1984 : Maintenant ou jamais
1984 : Dialogue (avec le physicien Tullio Regge)
1986 : Les Naufragés et les Rescapés
1986 : Le fabricant de miroirs


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Message par bix_229 Jeu 15 Déc - 18:50

Lire Levi et d'autres témoins de cette horreur devraient suffire pour une prise de conscience.
Les textes sont nombreux et forts. Implacables. Mais le travail de mémoire devient de plus en plus difficile pour ceux -les plus jeunes- qui n'ont pas vécu cette période ou ne s'y sont pas attardé. Oubliant ou ignorant que le mal est ordinaire, banal, et que, d'une façon ou d' une autre, il est présent partout.
Et c'est pour cela que Lucie Aubrac allait dans les écoles. Pour dire -et pas seulement pour dire, que la résistance devait toujours etre présente pour eux.

Résistez, voilà ce qu'elle répétait. C'était le mot essentiel. L'occasion de dire qu'il ne fallait ni se décourager ni accepter passivement tout ce qui détruit l'homme d' une façon ou d'une autre.
C'est tout ce qu'elle pouvait faire, espérer être entendue. Bien plutôt que de se présenter ostensiblement comme une femme  exemplaire. Et cela, elle l'a fait jusqu'au bout. C'est pour cela qu'elle reste exemplaire pour nous, les vivants.

Non, je ne pense pas qu'il faille visiter les camps. Pour moi, c'est plus la tentative de banalisation d'une horreur presqu'impensable de ce qui s'est passé là. La matérialisation d'une mauvaise conscience vraiment trop tardive. Dans un endroit volontairement clean, aseptisé. Et que même l'Eglise catholique a tenté d' annexer. A mon avis l'horreur est partout sauf là. Faut-il donc aller aussi au Burundi, au Cambodge, en Sibérie, en Chine pour prendre conscience de l'horreur du mal et de sa banalité ?

J'ai vu une fois ou peut-être deux le film de Resnais Nuit et brouillard. Je n'aurais plus le courage ni l'envie de le faire. Mais pour ceux qui veulent vraiment savoir, qu'ils regardent ce film s'ils le peuvent.

Je suis souvent demandé pourquoi Primo Levi s'est suicidé.
Il y a certes le traumatisme, l'accumulation dans sa mémoire de tout ce que l' humanité peut produire de barbare contre l'homme. C'est à dire contre l'humanité elle-même.
Je me suis demandé aussi s'il ne s'était pas rendu compte qu'il ne pourrait pas vraiment exprimer la monstruosité de la chose parce qu'elle était le fait d'hommes comme lui. Et qu'elle continuait à se perpétrer sous ses yeux au cours des années qui ont suivi les camps et sa «libération»...
C'est peut-être cette impossibilité qui l'a conduit à se suicider, même si j'aimerais croire le contraire.

Message récupéré

Primo Levi fut un témoin et un acteur malgré lui du génocide juif et tzigane.
Son témoignage  est nécessaire même si - malheureusement - il n'a pas suffi pour que l'horreur génocidaire -ou pas- disparaisse de notre vie.


Dernière édition par bix_229 le Dim 18 Déc - 17:37, édité 1 fois
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Message par Bédoulène Dim 18 Déc - 16:42

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La clé à molette

Philip Roth a écrit : «il y a deux sortes d'écrivains, ceux qui écoutent et ceux qui n'écoutent pas» (Parlons travail)

Primo Levi fait partie des premiers ; il écoute Faussone, cet ouvrier monteur italien comme lui, rencontré sur un chantier de basse Volga. Il écoutera patiemment les récits de cet homme, brut, rustique dans ses sentiments et son langage, qui n'aime pas qu'on l'interrompe mais dont les nombreuses digressions seront autant d'ouvertures sur sa vie.
Quels sont sont les sujets de ces récits? Tous ceux qui intéressent un homme mais surtout pour Faussone son travail, car il l'aime son travail de monteur. Il en est fier : il s'accomplit dans ce métier.

Primo Levi expliquera aussi à Faussone que lui aussi il est Monteur dans son métier de chimiste, mais si les échafaudages, les éléments ne se voient pas le résultat s'exprime par de la peinture. Il parlera aussi de son 2ème métier, celui d'écrivain, car bien entendu Faussone connait la réputation et le passé de Primo.

Faussone prendra alors la mesure des conséquences que peuvent avoir les erreurs dans son métier par rapport à celui d'écrivain, mais se sentira proche du chimiste monteur.

La rencontre de ces deux hommes dégage ce que devraient être les relations humaines, respect, attention, humanité, partage, un temps pacifique ; le plaisir et l'honneur que peut délivrer un travail choisi.
Les récits de Faussone ont permis l'écriture de ce livre.
J'ai aimé écouter moi aussi les paroles de Faussone.

Extraits

A propos d'un procès en instance :

«Comment croyez vous que ça finira ? Moi, je le sais déjà comment ça finit quand les choses en fer deviennent des choses en papier : ça finit mal, ça finit de travers.»

«Non, c'était à cause du travail : monter une machine comme celle là, travailler avec les mains et la tête durant des jours, la voir pousser comme ça, grande et droite, solide et mince comme un arbre, et puis qu'après elle fonctionne pas, ça fait de la peine : c'est comme une femme enceinte qui met au monde un gosse tordu et déficient.»

«Dans le métier d'écrire, l'appareillage et les signaux d'alarme sont rudimentaires : il n'y a même pas un équivalent fiable de l'équerre ou du fil à plomb. Mais si une page est râtée le lecteur s'en aperçoit, quand il est déjà trop tard et alors on ne se sent ps fier : car cette page est notre oeuvre et rien que la nôtre, nous n'avons ni excuses ni bons prétextes, nous en sommes, pleinement responsables.»

«La tante Teresa s'était spécialisée dans les relations humaines, et la tante Mentina s'était retranchée dans son appartement : l'une aux affaires extérieures et l'autre à l'Intérieur, évidemment non sans s'envier, se heurter et se critiquer réciproquement.»

(commentaire récupéré)


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Message par Bédoulène Dim 18 Déc - 16:44

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Si c’est un homme

J'en sors évidemment, comme tous les lecteurs je suppose, bouleversée et désolée car il apparaît que les décennies écoulées depuis la 2e Guerre mondiale n'ont pas prouvé que l'Homme, soit plus sage, que le message ait été compris.

Voici quelques extraits :

Lors de la pendaison d'un homme qui voulait organiser une mutinerie comme à Birkenau :

«...et peut-être les Allemands ne comprendront-ils pas que la mort solitaire, la mort d'un homme, qui lui est réservée, le vouera à la gloire et non à l'infamie.

Quand l'Allemand eut fini son discours que personne ne comprit, la voix rauque du début se fit entendre à nouveau : Habt ihr verstanden ? (est-ce que vous avez compris ?)

Qui répondit "Jawolhl" ? Tout le monde et personne : ce fut comme si notre résignation maudite prenait corps indépendamment de nous et se muait en une seule voix au-dessus de nos têtes. Mais tous nous entendîmes le cri de celui qui allait mourir, il pénétra la vieille gangue d'inertie et de soumission et atteignit au vif l'homme en chacun de nous.

«Kameraden, ich bin der Letzte !» (Camarades, je suis le dernier!)

Je voudrais pouvoir dire que de notre masse abjecte une voix se leva, un murmure, un signe d'assentiment. Mais il ne s'est rien passé. Nous sommes restés debout, courbés et gris, tête baissée, et nous ne nous sommes découverts que lorsque l'Allemand nous en a donné l'ordre. La trappe s'est ouverte, le corps a eu un frétillement horrible : la fanfare a recommencé à jouer, et nous, nous nous sommes remis en rang et nous avons défilé devant les derniers spasmes du mourant.»

«Le câble d'acier d'un treuil nous barre le passage ; Alex l'empoigne pour l'enjamber, mais Donnerwetter, le voilà qui jure en regardant sa main pleine de cambouis. Entre-temps je suis arrivé à sa hauteur : sans haine et sans sarcasme, Alex s'essuie la paume et le dos de la main sur mon épaule pour se nettoyer ; et il serait tout surpris, Alex, la brute innocente, si quelqu'un venait lui dire que c'est sur un tel acte qu'aujourd'hui je le juge, lui et Pannwitz, et tous ses nombreux semblables, grands et petits à Auschwitz e partout ailleurs.»

«Nous constatons que de nos jours, dans tous les pays victimes d'une occupation étrangère, il s'est aussitôt créé à l'intérieur des populations dominées une situation analogue de haine et de rivalités ; phénomène qui, comme bien d'autres faits humains, nous est apparu au Lager dans toute sa cruelle évidence.»

«Les proéminents juifs constituent un phénomène aussi triste que révélateur. Les souffrances présentes, passées et ataviques s'unissent en eux à la tradition et au culte de la xénophobie pour en faire des monstres asociaux et dénués de toute sensibilité.»

(commentaire rapatrié)



mots-clés : #autobiographie #campsconcentration


Dernière édition par Bédoulène le Lun 8 Mai - 14:41, édité 2 fois

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Message par topocl Dim 18 Déc - 16:46

La clé à molette

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« Et raconter, vous le savez bien, vous me l'avez même dit, c'est une des joies de la vie. »

Deux types  rencontrent leurs solitudes temporaires à l’occasion de missions professionnelles, dans la cantine d'un hôtel au fin fond de l'URSS. Dans leurs heures de désœuvrement , Faussone raconte son métier (monteur en  structures métalliques) qui le passionne, qui est le nerf d'une vie faite d'espace, de mouvement et de liberté,où l’excellence est une victoire au quotidien. Et raconter son métier, au dela des précisions techniques qu'il ne nous épargne pas,  c'est se raconter lui-même, ses espoirs, ses amours, ses choix, ses opinions, ses manques, toute sa vie, quoi.

« En écoutant Faussone, une ébauche d'hypothèse se formait en moi, que je n'ai pas travaillée par la suite que je soumets ici au lecteur : le terme «liberté» a notoirement beaucoup d'acceptions, mais peut-être que le genre de liberté le plus accessible, le plus goûté subjectivement et le plus utile à l'homme, coïncide avec le fait d'être compétent dans son propre travail, et donc avec le fait de l'exécuter avec plaisir. »

Primo Levi, car c'est lui,  l'écoute, savourant ses digressions car «interrompre, arrêter un récit de Faussone, c'est comme arrêter la progression de la marée . » Il  demande des explications, fait  préciser tel détail, distrait des sombres horizons soviétiques par la découverte de cet homme ordinaire, primaire en apparence, mais hors du commun (comme tout un chacun).

« En fait, ainsi qu'il existe un art de conter solidement codifié par des milliers d'essais et d'erreurs, il existe également un art d'écouter, tout aussi ancien et estimable, duquel toutefois, pour autant que je sache, les règles n'ont jamais été définies. Pourtant, toute personne qui parle ou raconte sait par expérience que l'auditeur apporte une contribution décisive à ce qu'elle lui dit : un public distrait ou hostile affaiblit n'importe quelle conférence ou leçon, alors qu'un public amical les vivifie. Mais même l'auditeur, en tant qu'individu, à une part de responsabilité dans cette « œuvre d'art », qu'est tout récit. »

Puis, contrepartie, Primo Levi raconte ce qu'est être chimiste, avec une même passion pour le travail aimé et bien fait, qui contribue à construire une vie, et là encore, comme c'est souvent le cas quand on parle de ses passions, il emporte une adhésion du lecteur à travers un récit qu'on suit comme une aventure burlesque. Il s'interroge aussi , et ils échangent, sur le parallèle entre ces métiers matérialistes et son second métier, celui d'écrivain, car à travers ces activités si diverses, ces hommes construisent et transmettent quelque chose qui donne un sens à leurs vies.

« Nous sommes tombés d'accord sur ce que nous avons de bon en commun. Sur l'avantage de pouvoir connaître ce que nous valons sans avoir besoin que d'autres nous le disent, sur celui aussi de nous refléter dans nos oeuvres. Sur le plaisir qu'il y a de voir grandir notre « enfant », plaque de fer après plaque de fer, boulon après boulon, solide, nécessaire, symétrique, bien adapté à son objet. Et une fois achevé, on le regarde de nouveau et on se dit qu'il vivra peut-être plus longtemps que nous et qu'il servira peut-être à quelqu'un qu'on ne connaît pas, et qui ne nous connaît pas. »

C'est un  bouquin qui paraît a priori totalement inintéressant - deux types, l'un monteur de structures métalliques, l'autre chimiste qui parlent de leur travail – et qui, au fil des pages, se révèle plein de une malice, de tendresse, de profondeur, et vous scotche.

(commentaire récupéré)

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Message par bix_229 Mer 8 Fév - 17:15

Un extrait de Si c' est un homme, concernant la musique dans les camps de concentration.
Et qui, en aucun cas ne peut etre considérée comme un moyen de résistance, mais comme une
forme totale d' humiliation et d' aliénation des prisonniers.



La musique au lager

"Et pour la première fois que je suis au camp, la cloche du réveil me surprend dans un sommeil profond, et c’est un peu comme si je sortais du néant. Au moment de la distribution du pain, on entend au loin, dans le petit matin obscur, la fanfare qui commence à jouer : ce sont nos camarades de baraque qui partent travailler au pas militaire.
Du K.B. on n’entend pas très bien la musique : sur le fond sonore de la grosse caisse et des cymbales qui produisent un martèlement continu et monotone, les phrases musicales se détachent par intervalles, au gré du vent. De nos lits, nous nous entre-regardons, pénétrés du caractère infernal de cette musique.
Une douzaine de motifs seulement, qui se répètent tous les jours, matin et soir : des marches et des chansons populaires chères aux coeurs allemands. Elles sont gravées dans notre esprit et seront bien la dernière chose du lager que nous oublierons ; car elles sont la voix du lager, l’expression sensible de sa folie géométrique, de la détermination avec laquelle des hommes entreprirent de nous anéantir, de nous détruire en tant qu’homme avant de nous faire mourir lentement.
Quand cette musique éclate, nous savons que nos camarades, dehors dans le brouillard, se mettent en marche comme des automates ; leurs âmes sont mortes, et c’est la musique qui les pousse en avant comme le vent les feuilles sèches, et leur tient lieu de volonté. Car, ils n’ont plus de volonté : chaque pulsation est un pas, une contraction automatique de leurs muscles inertes. Voilà ce qu’ont fait les Allemands. Ils sont dix mille hommes, et ils ne forment plus qu’une même machine grise ; ils sont exactement déterminés ; ils ne pensent pas, ils ne veulent pas, ils marchent.
Jamais les SS n’ont manqué l’une de ces parades d’entrée et de sortie. Qui pourrait leur refuser le droit d’assister à la chorégraphie qu’ils ont eux-mêmes élaborée, à la danse de ces hommes morts qui laissent, équipe par équipe, le brouillard pour le brouillard ? Qu’elle preuve plus tangible de leur victoire ?
Ceux du KB connaissent bien eux aussi ces départs et ces retours, l’hypnose du rythme continu qui annihile la pensée et endort la douleur ; ils en ont fait l’expérience, ils la feront encore. Mais il fallait échapper au maléfice, il fallait entendre la musique de l’extérieur, comme nous l’entendions au KB, comme nous l’entendons aujourd’hui dans le souvenir, maintenant que nous sommes à nouveau libre et revenus à la vie ; il fallait l’entendre sans y obéir, sans la subir, pour comprendre ce qu’elle représentait, pour quelles raisons préméditées les Allemands avaient instauré ce rite monstrueux, et pourquoi aujourd’hui encore, quand une de ces innocentes chansonnettes nous revient en mémoire, nous sentons notre sang se glacer dans nos veines et nous prenons conscience qu’être revenus d’Auschwitz tient du miracle."

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Message par bix_229 Mer 8 Fév - 17:21







Une explication claire sur la fonction de la musique dans les camps de concentration nazis par la musicologue Elise Petit.
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Message par Marie Sam 11 Fév - 2:48

Quand il pleut, on voudrait pouvoir pleurer. C'est novembre, il pleut depuis dix jours et la terre ressemble au fond d'un étang. Tout ce qui est en bois a une odeur de champignon.
Si je pouvais faire dix pas sur la gauche, là, sous le hangar, je serais à l'abri; je me contenterais bien d'un sac pour me couvrir les épaules, ou même de l'espoir d'un feu où me sécher; ou à la rigueur d'un bout de chiffon sec à glisser entre mon dos et ma chemise. J'y pense ,entre deux coups de pelle,et je me persuade qu'un morceau de tissu sec serait un pur bonheur.
Au point où nous en sommes, il est impossible d'être plus trempés; il ne reste plus qu'à bouger le moins possible, et surtout à ne pas faire de mouvements nouveaux, pour éviter qu'une portion de peau restée sèche n'entre inutilement en contact avec nos habits ruisselants et glacés.
Encore faut-il s'estimer heureux qu'il n'y ait pas de vent.C'est curieux comme, d'une manière ou d'une autre, on a toujours l'impression qu'on a de la chance, qu'une circonstance quelconque, un petit rien parfois, nous empêche de nous laisser aller au désespoir et nous permet de vivre. Il pleut, mais il n'y a pas de vent. Ou bien: il pleut et il vente, mais on sait que ce soir on aura droit à une ration supplémentaire de soupe, et alors on se dit que pour un jour on tiendra bien encore jusqu'au soir. Ou encore, c'est la pluie, le vent, la faim de tous les jours et alors on pense que si vraiment ce n'était plus possible, si vraiment on n'avait plus rien dans le coeur que souffrance et dégoût, parfois dans ces moments où on croit vraiment avoir touché le fond, et bien, même alors, on pense que si l'on veut, quand on veut, on peut toujours aller toucher la clôture électrifiée, ou se jeter sous un train en manoeuvre. Et alors, il ne pleuvrait plus.

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Message par Tristram Sam 13 Mar - 21:14

Si c'est un homme

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« Pourquoi la douleur de chaque jour se traduit-elle dans nos rêves de manière aussi constante par la scène toujours répétée du récit fait et jamais écouté ? »
Cette volonté de témoigner sous-tend toute la relation chronologique de l’expérience concentrationnaire de Primo Levi.
Celui-ci fait preuve d’une lucidité qui paraît presque cynique :
« C’est un Kapo qui nous laisse tranquilles : comme il n’est pas juif, il n’a pas peur de perdre sa place. »
J’ai particulièrement été attentif à la réflexion sur la mécanique à la fois absurde et efficace de déshumanisation :
« …] il est dans l’ordre des choses que les privilégiés oppriment les non-privilégiés puisque c’est sur cette loi humaine que repose la structure sociale du camp. »
Elle mène à une véritable sociologie du Lager, étude du comportement de survie, du « processus de sélection » (à distinguer de la « sélection pour la chambre à gaz », les « sélectionnés » étant alors les « damnés », ceux qui sortent « par la cheminée »).
« Nous voudrions faire observer à quel point le Lager a été, aussi et à bien des égards, une gigantesque expérience biologique et sociale.
Enfermez des milliers d’individus entre des barbelés, sans distinction d’âge, de condition sociale, d’origine, de langue, de culture et de mœurs, et soumettez-les à un mode de vie uniforme, contrôlable, identique pour tous et inférieur à tous les besoins : vous aurez là ce qu’il peut y avoir de plus rigoureux comme champ d’expérimentation, pour déterminer ce qu’il y a d’inné et ce qu’il y a d’acquis dans le comportement de l’homme confronté à la lutte pour la vie. »
La valeur du témoignage gagne à être approfondi par la réflexion :
« Mais pour la plupart, nous supportâmes ce nouveau danger et ces nouvelles embûches avec la même indifférence, qui n’était pas de la résignation mais plutôt l’inertie obtuse des bêtes battues qui ne réagissent plus aux coups. »
La psychologie est fouillée :
« L. n’ignorait pas que passer pour puissant, c’est être en voie de le devenir, et que partout au monde mais plus particulièrement au camp, où le nivellement est général, des dehors respectables sont la meilleure garantie d’être respecté. »

« Car pour les civils, nous sommes des parias. Plus ou moins explicitement, et avec toutes les nuances qui vont du mépris à la commisération, les civils se disent que pour avoir été condamnés à une telle vie, pour en être réduits à de telles conditions, il faut que nous soyons souillés de quelque faute mystérieuse et irréparable. »

« Au Lager, l’usage de la pensée est inutile, puisque les événements se déroulent le plus souvent de manière imprévisible ; il est néfaste, puisqu’il entretient en nous cette sensibilité génératrice de douleur, qu’une loi naturelle d’origine providentielle se charge d’émousser lorsque les souffrances dépassent une certaine limite. »
Parvenu à l’appendice, où Levi répond aux questions fréquentes de lycéens (avec notamment la présentation historique de l’antisémitisme et ses causes), j’ai eu l’impression d’une relecture, ce qui n’est finalement pas exclus. Le fait est que je connaissais globalement ce qui est rapporté dans ce livre fondamental, une sorte de credo remontant à une période scolaire peut-être – et que le relire d’un œil différent avec l’âge n’est jamais superflu.
« Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voies que par la raison, autrement dit des chefs charismatiques : nous devons bien peser notre décision avant de déléguer à quelqu’un d’autre le pouvoir de juger et de vouloir à notre place. Puisqu’il est difficile de distinguer les vrais prophètes des faux, méfions-nous de tous les prophètes ; il vaut mieux renoncer aux vérités révélées, même si elles nous transportent par leur simplicité et par leur éclat, même si nous les trouvons commodes parce qu’on les a gratis. Il vaut mieux se contenter d’autres vérités plus modestes et moins enthousiasmantes, de celles que l’on conquiert laborieusement, progressivement et sans brûler les étapes, par l’étude, la discussion et le raisonnement, et qui peuvent être vérifiées et démontrées. »

\Mots-clés : #devoirdememoire #temoignage

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Message par Bédoulène Dim 14 Mar - 0:07

merci Tristram, une des lectures indispensables pour le devoir de mémoire ou simplement pour savoir

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Message par Invité Dim 14 Mar - 10:04

Oui, c'est une lecture importante, qui marque.

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Message par Schlem Dim 14 Mar - 22:56

Je suis justement en train de lire "Les naufragés et les rescapés", ouvrage moins connu de Primo Levi. C'est un livre de réflexion d'une grande profondeur, 40 ans après, sur le système concentrationnaire nazi. Je le conseille vraiment !
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Message par Invité Dim 14 Mar - 23:57

J'ai lu La Trêve il n'y a pas si longtemps, j'en garde un très bon souvenir. Étonnamment plein d'espoir.

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Message par Tristram Lun 15 Mar - 0:02

J'ai aussi lu Le système périodique et le recueil Lilith ; La Trêve devrait être ma prochaine lecture de Levi.

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Message par Armor Lun 15 Mar - 0:25

Schlem a écrit:Je suis justement en train de lire "Les naufragés et les rescapés", ouvrage moins connu de Primo Levi. C'est un livre de réflexion d'une grande profondeur, 40 ans après, sur le système concentrationnaire nazi. Je le conseille vraiment !

En total accord avec toi. Cet ouvrage est moins renommé mais il donne vraiment à réfléchir.

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