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Message par Avadoro Sam 8 Juil - 23:57

Bonne lecture, Tristram...en effet, L'homme ralenti n'est pas vraiment une suite même si le personnage d'Elizabeth Costello est commun aux deux romans.
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Message par Tristram Jeu 13 Juil - 1:26

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 419erz10

L’homme ralenti

(en complément du commentaire de Marie)

Suite à un grave accident de vélo, un homme âgé perd une jambe. Sans enfant ni même famille, Australien d’origine française ne se sentant nulle part chez lui, Paul vit mal l’humiliant amoindrissement dû à son handicap, jusqu’à s’enfermer dans un froid rétrécissement existentiel. Devenu dépendant, il s’éprend de son infirmière/ aide à domicile, Marijna, une Croate mariée, sans d’abord se déclarer mais offrant de payer la scolarité de son fils aîné, ce qui encolère le mari.

« …] l’amour est une fixation. » 25

Elizabeth Costello survient pour arranger une rencontre avec Marianna, une belle femme devenue aveugle, qu’il a autrefois photographiée (son ancien métier) : c’est le désir qui les rapproche. Egalement fort âgée, surgie d'on ne sait où, la « coriace » romancière s’ingère dans son existence qu’elle semble connaître intimement, l’observe et le pousse à agir.
Paul persiste dans son amour sans espoir, et à s’immiscer dans la famille de Marijna, malgré la présence réprobatrice de la tenace Elizabeth.

« Rien de ce qui nous arrive dans la vie n’est dénué de sens, Paul. N’importe quel enfant vous le dirait. C’est une des leçons que nous donnent les histoires, une de leurs nombreuses leçons. Avez-vous renoncé à lire des histoires ? c’est une erreur. Vous n’auriez pas dû. » 14

« Toutefois, c’est l’idée de notre amie Elizabeth. L’impulsion première. Elle donne des instructions, nous obtempérons. […]
Une expérience, cela revient à ça, une expérience biologico-littéraire gratuite. » 15

« Vous me traitez comme un pantin, se plaint-il. Vous traitez tout le monde comme des pantins. Vous inventez des histoires et vous nous forcez à jouer vos personnages. […]
Alors que tout ce temps-là il se croyait son propre maître, il était en fait comme un rat en cage, qui court de-ci, de-là, poussant des petits cris, tandis que cette femme sortie de l’enfer était là à l’observer, à l’écouter, à prendre des notes et à enregistrer ses progrès. » 16

« Pourquoi l’amour, tel qu’il le conçoit, a-t-il besoin du spectacle de la beauté pour naître ? » 19

« ‒ Voyons ce que je vais trouver pour que vous puissiez me mettre dans un livre.
‒ Pour que quelqu’un, quelque part, vous mette peut-être dans un livre. Pour que quelqu’un puisse peut-être souhaiter vous mettre dans un livre. Quelqu’un, n’importe qui ‒ pas seulement moi. Pour que vous puissiez valoir la peine qu’on vous mette dans un livre. Prenez de l’envergure, Paul. Vivez en héros. C’est ce que nous enseignent les classiques. Soyez un personnage principal. Sinon, à quoi bon la vie ? » 28

« La griffonneuse dort, le personnage rôde, furète, cherchant de quoi s’occuper. Une blague, si ce n’est qu’il n’y a personne pour la comprendre. » 28


Ce roman a été publié juste après Elizabeth Costello ; ils doivent être lu dans le même ordre, quoique le second ne constitue pas une suite à proprement parler [oui Bédoulène, je confirme qu’il fau(drai)t lire les livres de Coetzee dans l’ordre…]. Elizabeth, sorte de double de l’auteur, a une place quasi centrale dans L’homme ralenti : Paul est objectivement le personnage principal, mais il me semble que la présence de l’écrivaine « rongée par le temps » est aussi primordiale qu’ambiguë.
Est-ce une sorcière, un ange ? Paul est-il mort ? Sorte de Deus ex machina un peu bancal, elle fait penser à Six personnages en quête d'auteur, mais aussi aux textes de Philip K. Dick où il nous voit comme des animaux dans un laboratoire cosmique…
Au terme de cette réflexion sur la création, le fin mot de l’histoire est d’une noirceur absolue.

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Message par Bédoulène Jeu 13 Juil - 8:50

Tristram merci pour ton commentaire et ton conseil ; à plus tard donc pour moi la première lecture

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Message par églantine Sam 11 Nov - 17:05

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 Coetze10

L'homme ralenti
J'ai la mega flemme mais juste , je recommande !
Parce que pour cet homme ralenti suite à un stupide accident ( se faire renverser par une voiture alors qu'on roule tranquilou en vélo comme depuis toujours ou presque ) , à ressentir à la seconde une sentiment de plénitude dans le vol plané ( l'instant vous savez ...) et se retrouver dans l'après , une jambe en moins : C'est la faute à pas de chance , d'accord . Mais un jour ou l'autre , d'une manière ou d'une autre , ce moment de bascule dans l'irréversible et où toutes les perceptions changent avec une lucidité d'un compte à rebours fortement engagé , nous n'y échapperons pas . Accident , maladie , vieillissement ....Félure ( Deleuze ? ) , n'est-ce pas le cours normal de la vie . Incluant donc sa part tragique . Finie la comédie , on passe aux choses sérieuses . Et quand on ne s'est pas préparé , ça peut prendre des tournures un peu pathétiques : c'est ce qui arrive à Paul , désormais dépendant d'une infirmière , dans son univers restreint , limité qui enfin prend le temps par la force des choses de se relier à l'autre . A part que il a négligé l'apprentissage , et c'est tout un apprentissage tardif , avec un sentiment d'urgence qui le conduit à commettre bévue sur bévue dans ses tentatives '"d'humanité " .
Coetzee , je le découvre . Non seulement ses tensions philosophiques m'interpellent mais son habileté littéraire me séduisent .
Faire apparaitre un personnage en sorte de voix-off ,une écrivaine en mal d'inspiration , ( alter ego féminin de Coetzee ? ) une sorte de fantôme vivant s'imposant à Paul comme une double conscience dont il se passerait bien , l'évitement à soi est souvent plus confortable .
Et en déclinaison de cette grande angoisse existentielle , Coetzee s'amusera à nous parler de la solitude , de la vieillesse , du désir et de la séduction , de la création artistique nourrie de toutes ces divertissements et au final de la vacuité de tout cela .
Sans une causticité suffisamment séduisante pour aider le lecteur à garder un peu de recul et de lumière en soi ,une créativité littéraire indéniable , il serait presque dangereux de le mettre en libre-circulation . Lucidité sans foi , que reste-t-il ?
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Message par églantine Jeu 23 Nov - 20:53

Vers l'âge d'homme

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 Coetze12
Bon je m'attendais vraiment à mieux ! L'homme ralenti fut une belle découverte et je partais confiante .
Ouvrage autobiographique d'un écrivain descendant d'afrikaners  hanté par l'histoire de son pays , et toutes les blessures de l'humanité  .Et pourtant ,là on nage dans le mou mou de questionnements vaguement existentiels , philosophiques embrumés .L'écriture n'a rien de dynamisant ,ça manque de nerfs tout ça , ce n''est même pas dépressif , ni mélancolique .... Apathique mais pas tout à fait , en quête d'exaltation mais avec tiédeur , lunaire et décalé , dans l'autodérision tristounette, caustique fatigué , Coetzee a un intérêt indéniablement soporifique : Mais même là ça reste du léger Atarax 25 .
.  Le positif , c'est que  j'y ai puisé plein de références , et donc je l'ai lu avec un certain intérêt .Indirect .

Il tue le temps, il s’efforce de tuer le dimanche pour que le lundi vienne plus vite, et avec le lundi le soulagement du travail. Mais vu de plus loin, le travail est aussi une manière de tuer le temps.

En fait , pour rien au monde il n'entreprendrait une psychothérapie .L'objectif de la psychothérapie est de rendre heure heureux .A quoi bon? Les gens heureux ne sont pas intéressants .Mieux vaut porter le  fardeau du malheur et essayer d'en faire quelque chose de valable , de la poésie , de la musique ou de la peinture : c'est là sa conviction.


mots-clés : #autobiographie #segregation
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Message par Dreep Ven 22 Oct - 11:33

De la lecture à l'écriture

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 41-67p60tal._sx327_bo1204203200_

Walser, Musil, Roth ― Joseph et Philip ― Sebald, Beckett, Whitman... Il y a de beaux noms dans ce recueil où l'on a réuni des articles publiés à des dates différentes (entre 2000 et 2005) organisés ici selon une logique qui ressemble beaucoup à la méthode Coetzee. Les écrivains qui se suivent ont un point commun rapidement identifiable (mais l'éditeur a négligé de séparer tout ce monde-là dans quatre grandes parties distinctes) : les deux premiers groupes d'écrivains appartiennent à deux générations différentes (ceux qui étaient adultes en 1914, puis ceux qui l'étaient après 45) ; dans le troisième les écrivains sont tous anglophones, enfin le dernier réuni ceux qui écrivent dans la langue du (ex) colonisateur (ayant vécu respectivement en Afrique du Sud, en Colombie ou en Inde). C'est par le prisme biographique que l'on identifie écrivains et qu'on les assemble, et la structure a du sens vu que l'on s'y retrouve au niveau des thèmes : Coetzee trace les correspondances entre la vie et l'œuvre de chacun d'entre eux. Même si ses chroniques s'articulent sur un seul roman, ou sur un tout autre chose (ex : les biographes de Faulkner plutôt que les romans de celui-ci) la méthode analytique de Coetzee varie fort peu.

Une méthode qui a deux inconvénients : la part biographique (certes pas forcément inintéressante) laisse parfois peu de place à celle de l'œuvre, et cela donne presque l'impression que Coetzee n'a pas grand-chose à dire sur ce dernier sujet. Bien sûr, j'exagère, puisque toutes ces critiques sont pourvues d'au moins deux phrases d'une justesse, d'une pertinence qui valent la peine qu'on s'y attarde. En quoi pouvons-nous voir chaque œuvre dans leur unité, en dépit des éventuels virages ou écarts ― heureux ou malheureux ― de leurs auteurs ? J'aurais juste préféré que Coetzee soit plus bavard sur ce point, bon... au lieu de quoi il y a par ailleurs bien pire : Coetzee gâche un nombre considérable de pages à nous raconter les romans des autres en long en large et en travers, y compris la fin. Dieu merci il y a aussi des poètes. Un conseil donc, assurez-vous d'avoir lu tous les romanciers dont il parle avant de lire De la lecture à l'écriture.

Je vous mets le sommaire ici :

Sommaire de 'De la lecture à l'écriture':
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Message par Bédoulène Ven 22 Oct - 17:39



je passe ! (lu 9 seulement et pas le titre cité) mais merci du conseil Dreep


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Message par Tristram Lun 25 Oct - 13:33

Foe

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 Foe10

Susan Barton naufrage sur l’île où Cruso et Vendredi, son jeune esclave noir sans langue, subsistent depuis quinze ans. Secourus par un bateau qui les ramène en Angleterre (Cruso meurt pendant le voyage), elle décide de confier par écrit leur histoire à M. Foe (c’est le livre que nous tenons, soit un mémoire – première partie − et des lettres – deuxième partie −), afin qu’il la mette en forme (et qu’elle en tire fortune). Mais l’écrivain a fui devant ses créanciers, et bientôt Susan et Vendredi vivent chez lui.
Un autre fil de la trame est la fille perdue de Susan, qu’elle était partie chercher à Bahia ; en Angleterre, une jeune fille portant son nom se présentera à elle comme sa fille, qu’elle ne reconnaît pas.
Le texte de la narratrice constitue une réflexion sur son année passée dans l’île, et sur Vendredi, sauvage avec lequel il est impossible de communiquer, mais aussi sur l’écriture romanesque, l’écart entre la vérité et la fiction intéressante pour le lecteur : la tâche de l’écrivain serait « d’accueillir les histoires des autres et de les renvoyer dans le monde mieux habillées. »
« …] (les conteurs sont-ils les comptables d’un trésor de souvenirs ? Qu’en pensez-vous ?). »

« Il y avait trop peu de désir chez Cruso et chez Vendredi : trop peu de désir de s’échapper, trop peu de désir d’une vie nouvelle. Sans désir, comment est-il possible d’élaborer une histoire ? C’était une île d’indolence, en dépit du terrassement. Je me demande ce qu’ont fait, dans le passé, les historiens de l’état de naufragé – si, dans leur désespoir, ils ne se sont pas mis à inventer des mensonges. »

« C’est comme si votre encre était pleine de mots, comme des animalcules en suspension, que je pêche dans l’encrier, qui coulent de ma plume et prennent forme sur le papier. Du rez-de-chaussée à l’étage, de la maison à l’île, de la jeune fille à Vendredi : il semble qu’il suffise d’établir les pôles, “ici” et “là-bas”, “maintenant” et “alors” ; après quoi les mots font les allées et venues d’eux-mêmes. Je ne me doutais pas qu’il était si facile d’être un auteur. »

« De cela nous pouvons déduire qu’un dessein dirige après tout nos vies, et qu’en attendant assez longtemps nous devons nécessairement voir ce dessein se révéler ; de même qu’en observant un tapissier à l’œuvre nous pouvons ne voir au premier coup d’œil qu’un enchevêtrement de fils ; mais, pour peu que nous soyons patients, des fleurs s’offriront peu à peu à nos regards, et aussi des licornes bondissantes et des tourelles. »
Dans la troisième partie, Susan retrouve Foe (vrai nom de Defoe) ; le personnage et son auteur discutent de la narration de l’histoire avec des points de vue divergents ; lui veut recentrer l’histoire sur la fille perdue, elle veut demeurer maîtresse de son histoire, c'est-à-dire son expérience sur l’île.
« Comment pourriez-vous renfermer Bahia entre les couvertures d’un livre ? Ce sont les lieux de petite taille, à la population clairsemée, que l’on peut subjuguer et soumettre au moyen de mots – ainsi, les îles désertes et les maisons solitaires. »

« J’ai encore le pouvoir de diriger et de corriger. Et par-dessus tout, de taire. C’est par de tels moyens que je m’efforce encore d’être le père de mon histoire. »

« Connaissez-vous l’histoire de la Muse, M. Foe ? La Muse est une femme, une déesse, qui vient la nuit rendre visite aux poètes et leur fait engendrer des histoires. Dans leurs récits ultérieurs, les poètes disent qu’elle vient à l’heure où leur désespoir est le plus profond et leur insuffle le feu sacré, après quoi leur plume auparavant sèche se met à couler. Lorsque j’ai écrit mon mémoire pour vous, et que j’ai vu à quel point il ressemblait à l’île sous ma plume, morne, vide, sans vie, j’ai souhaité qu’il existât un homme-Muse, un dieu juvénile qui vînt la nuit rendre visite aux femmes-auteurs et qui fît couler leur plume. Mais désormais, je sais ce qu’il en est. La Muse est à la fois déesse et fécondateur. Je n’étais pas destinée à être la mère de mon histoire, mais à l’engendrer. Ce n’est pas moi la promise : c’est vous. »

« Je ne suis pas une histoire, M. Foe. Il se peut que je passe à vos yeux pour une histoire parce que j’ai commencé sans préambule le récit que j’ai donné de moi-même, où je me suis dépeinte glissant par-dessus bord dans l’eau et nageant jusqu’au rivage. Mais ma vie n’a pas commencé au milieu des vagues. Il y a eu avant les eaux de la mer une vie dont on peut remonter le cours, jusqu’à ma quête désolée au Brésil, et de là jusqu’aux années où ma fille était encore avec moi, et ainsi de suite jusqu’au jour de ma naissance. Tout cela constitue une histoire que je ne souhaite pas raconter. Je choisis de ne pas la raconter parce qu’il n’est personne, pas même vous, à qui je doive fournir la preuve que je suis un être substantiel doté dans le monde d’un passé historique substantiel. Je préfère raconter l’île, parler de moi-même, de Cruso, de Vendredi et de ce que nous avons fait là-bas : car je suis une femme libre qui affirme sa liberté en racontant son histoire conformément à son propre désir. »
Le fil de la langue perdue de Vendredi, toujours présent comme l’ombre de Susan, est une parabole du Nègre victime du négrier en Afrique, et constitue une sorte d’incarnation de l’histoire impossible à raconter.
« L’histoire véritable ne sera pas connue tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen ingénieux de donner une voix à Vendredi. »
Une brève quatrième partie évoque de façon onirique les intervenants du livre après leur mort.
Plutôt qu’une reprise du thème de Defoe, puis Tournier et Chamoiseau, et moins encore de celui du cannibale (crainte de Cruso et attrait littéraire pour Foe) comme par Aira et Darcy Ribeiro, c’est la narration elle-même qui est interrogée. Mais aucune ligne directrice ne se dégage nettement de ce roman, qui me paraît davantage retracer la recherche de l’écrivain, sans objectif préconçu de type allégorique ou "morale" à en tirer : une réflexion hasardeuse, qui n’aboutit pas à une solution nette, un "travail en cours" sans conclusion, tout comme si Coetzee avait réuni quelques éléments dans une expérimentation n’aboutissant pas à un résultat tranché, ou mené une enquête impossible à terminer, bref, tenté de raconter une histoire irracontable : celle-là même de Vendredi.

\Mots-clés : #ecriture #esclavage #voyage

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Message par Bédoulène Lun 25 Oct - 15:20

je passe, cela me parait bien embrouillé

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Message par Tristram Dim 28 Nov - 11:25

L'Âge de fer

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 L_zage10

La narratrice, une femme de la région du Cap qui meurt d’un cancer, écrit pour sa fille, mariée en Amérique − qui a fui l’Afrique du Sud.
« La première tâche qui m’incombe, dès aujourd’hui : résister au désir de partager ma mort. Moi qui t’aime, moi qui aime la vie, pardonner aux vivants et prendre congé sans amertume. Accueillir la mort comme mienne, à moi seule. »

« Nous tombons malades avant de mourir afin d’être sevrés de nos corps. Le lait qui nous nourrissait devient pauvre et aigre ; nous détournant du sein, nous commençons à aspirer à une vie distincte. Pourtant cette première vie, cette vie sur terre, sur le corps de la terre – est-il vraisemblable, est-il possible qu’il en existe une meilleure ? Malgré les tristesses, les désespoirs, les rages, je n’ai pas perdu mon amour pour elle. »

« Plus j’allais vite, plus je me sentais vivante. Je tremblais de vie, comme si j’allais exploser, crever d’un seul coup ma peau. L’impression qu’un papillon doit avoir au moment de naître, au moment de s’accoucher de lui-même. »
Un vagabond s’est installé dans son jardin ; il a un chien, elle des chats. D’aucun des personnages, la narratrice, le mendiant, Florence la femme de ménage et ses enfants, n’est spécifiée la couleur de peau ; le lecteur discerne ce qu’il en est, mais cette façon de ne pas ramener les personnes à leur couleur est significative.
La narratrice est pleine de rancœur contre les hommes politiques qu’elle voit à la télévision dans l’immobilisme de leur pouvoir ; elle se lance dans une vive diatribe contre la « horde de sauterelles » qui règne sur l’Afrique du Sud, pays « qui coule ».
« La parade des politiciens tous les matins : je n’ai qu’à voir les visages pesants et vides qui me sont si familiers depuis l’enfance pour éprouver une sensation d’accablement et de nausée. […]
Nous regardons comme les oiseaux regardent les serpents, fascinés par ce qui va nous dévorer. »
Elle n’aime pas l’ami du fils de Florence, est confrontée en lui à la jeune génération dans l’apartheid :
« Il n’a pas de charme. Il y a quelque chose de stupide en lui, de délibérément stupide, de borné, d’intraitable. C’est un de ces garçons dont la voix devient grave trop tôt, qui dès l’âge de douze ans ont tourné le dos à leur enfance pour devenir brutaux, affranchis. Un être simplifié, et cela à tous points de vue : plus rapide, plus agile, plus infatigable que les personnes réelles, dépourvu de doutes ou de scrupules, dépourvu d’humour, sans pitié, innocent. »
(On est en 1986, un nouvel état d’urgence illimité a été décrété et de violentes émeutes éclatent.)
Elle raconte ses rapports avec ces quelques personnes, souffre et se confie ; culpabilité des blancs envers les noirs.
« Est-ce que c’est ma faute si j’ai vécu en un temps d’infamie ? »
Un beau roman de J. M. Coetzee qui nous immerge dans la ségrégation sud-africaine et la souffrance d’une femme.
« L’homme, pensai-je : le seul être pour qui une partie de son existence est plongée dans l’inconnu, dans le futur, comme une ombre portée devant lui. Il essaie constamment de rattraper cette ombre mouvante, d’habiter la figure de son espérance. »

« On doit aimer ce qui est le plus proche. On doit aimer ce qu’on a à portée de la main, à la façon dont les chiens aiment. »

\Mots-clés : #mort #segregation

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Message par Bédoulène Dim 28 Nov - 17:45

merci Tristram, je ne connais pas encore cet auteur mais je vais y penser

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Message par Tristram Ven 18 Fév - 12:08

Le Maître de Pétersbourg

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 Le_maz13

Octobre 1869, un homme pleure la mort de son fils, Pavel, qui louait une pauvre chambre dans Saint-Pétersbourg à Anna Sergueïevna, mère de la petite Matriona ; on apprendra que c’est Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Pavel avait été séduit par le nihiliste Sergueï Netchaïev, et la police enquête. Douloureuse introspection de Dostoïevski et ses démons, alternance de pensées érotiques, religieuses, littéraires, politiques. Devenu son locataire, l’écrivain se rapproche d’Anna, qui est de sa génération ; sa femme, Ania, restée à Dresde où ils résident, a l’âge de Pavel (en fait son beau-fils).
« Tous les autres se soumettent à l’ordre de la mort : pleurer d’abord, puis oublier. Si nous n’oublions pas, disent-ils, le monde ne sera bientôt qu’une immense bibliothèque. »

« Qu’est-ce qui vous fait peur, conseiller Maximov ? Quand vous lisez l’histoire de Karamzine, Karamzov, peu importe son nom, quand le crâne de Karamzine est fendu comme un œuf, où est la vérité : souffrez-vous avec lui, ou jubilez-vous en secret derrière le bras qui brandit la hache ? Vous ne répondez pas ? Je vais donc vous le dire : lorsqu’on lit, on est le bras, on est la hache, et on est le crâne ; lorsque vous lisez, vous vous abandonnez, vous ne vous tenez pas à distance en ricanant. »

« Le cœur, ce bœuf fidèle qui fait tourner sans relâche la roue du moulin, qui ne lève même pas vers le ciel un regard perplexe quand la hache est brandie, mais reçoit le coup, s’affaisse et expire. »

« Il se demande ce que sa femme penserait. Ses fredaines, jusqu’à présent, ont été suivies de remords, et dans le sillage des remords, d’un désir voluptueux de se confesser. Ces confessions, torturées pour ce qui est de la forme mais vagues pour ce qui est du détail, avaient troublé sa femme, l’avaient mise en fureur, empoisonnant leur mariage bien plus que les infidélités elles-mêmes. »

« Je suis loin d’être un maître. Une fêlure me traverse. Que peut-on faire avec une cloche fêlée ? Une cloche fêlée ne peut être raccommodée. »

« Nous n’écrivons pas par plénitude, aimerait-il dire, nous écrivons par angoisse, par manque. »

« Les pauvres vivent dans leur faim comme les poissons vivent dans l’eau. »
Fiodor, qui dans sa jeunesse fut envoyé en Sibérie à cause de ses convictions révolutionnaires, rencontre Netchaïev et les extrémistes, qui projettent des assassinats politiques, et sont pourchassés par la police, qui aurait « suicidé » Pavel. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Netcha%C3%AFev où l’on parle de Les Démons de Dostoïevski (qu’il faudrait sans doute avoir en tête avant de lire ce livre).
Fiodor prend Netchaïev pour un charlatan avide de vengeance, est vu par ce dernier comme un conservateur dépassé. La police lui rend les papiers de Pavel : journal, correspondance, et de la fiction où il confia ses sentiments amers vis-à-vis de son beau-père.
Les références à Crime et Châtiment sont nombreuses. D’autres sont plus discrètes, comme ici à L'Éternel Mari :
« Vous ne voulez quand même pas devenir l’éternel pensionnaire ? C’est le titre d’un livre, ça, non ?
– L’éternel pensionnaire ? Non, pas que je sache. »
Drame pathétique (Coetzee évite le pathos, mais ce dolorisme demeure teinté d’emphase dans notre perception actuelle, n'est-ce pas Topocl), duel entre libido et mort, aussi conflit générationnel – en fait de nombreux thèmes sont présents, comme la russité, le masochisme du martyre, etc.

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Message par Tristram Dim 15 Mai - 14:54

Vers l'âge d'homme

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 Sm_cvt14

Second (2003) des trois récits révisés et réunis dans Une vie de province, entre Scènes de la vie d’un jeune garçon (1999) et L’Été de la vie (2010) ; j’ai déjà lu dans sa première version le premier volume de ce qui considéré comme une autobiographie écrite à la troisième personne.
Citation liminaire de Goethe, qu’on peut je pense traduire par « « Celui qui veut comprendre le poète doit aller dans le pays du poète » :
« Wer den Dichter will verstehen,
muß in Dichters Lande gehen. »
Le personnage principal, John, est étudiant (en mathématiques) en Afrique du Sud, et a la conviction d’être un poète en devenir, un élu du « feu sacré », sur la voie du « travail de transmutation de l’expérience vécue en art ».
« Car il sera un artiste, c’est chose arrêtée de longue date. »
Émigré à Londres (il est programmeur, d’abord chez IBM), il y subit l’Angst (angoisse existentielle).
« En fait, pour rien au monde il n’entreprendrait une psychothérapie. L’objectif de la psychothérapie est de rendre heureux. À quoi bon ? Les gens heureux ne sont pas intéressants. Mieux vaut porter le fardeau du malheur et essayer d’en faire quelque chose de valable, de la poésie, de la musique ou de la peinture : c’est là sa conviction. »

« Le malheur est son élément. Il est dans le malheur comme un poisson dans l’eau. Si le malheur venait à être aboli, il ne saurait pas quoi faire de lui-même. »
Il a des relations peu satisfaisantes avec les femmes, et le regrette.
« L’art ne vit pas seulement de privation, de désir insatisfait, de solitude. Il lui faut de l’intimité, de la passion, de l’amour. »

« Le sexe et la créativité vont de pair, tout le monde le dit, et il ne met pas cela en doute. »

« Est-ce que c’est ça que veulent les femmes : être prises en charge, être menées ? Est-ce pour cela que les danseurs observent le code selon lequel l’homme conduit et la femme se laisse conduire ? »

« Comment aurait-elle pu croire que ce qu’elle lisait dans son journal n’était pas la vérité, l’ignoble vérité sur ce qui passait par la tête de son compagnon lors de ces soirées de silence pesant et de soupirs, mais que c’était de la fiction, une fiction possible parmi bien d’autres, qui n’est vraie qu’au sens où une œuvre d’art est vraie – vraie en soi, vraie et fidèle au but qu’elle poursuit par elle-même –, alors que ce qu’elle lisait d’ignoble était si conforme à ce qu’elle soupçonnait : son compagnon ne l’aimait pas, il n’avait pas même pour elle de l’affection ? »
Il rêve de passion, mais…
« Il dort mieux tout seul. »
Curiosité exotique :
« À son avis, ceux qui conduisent en état d’ébriété devraient être doublement pénalisés au lieu de bénéficier de circonstances atténuantes. Mais en Afrique du Sud tous les excès commis sous l’influence de l’alcool sont considérés avec indulgence. »
C’est écrit dans un style plat, détaché, où affleure à peine l’autodérision d’un idéaliste assez effacé et maladroit, aux idées préconçues (mais qui a cependant directement travaillé dans la course informatique américano-anglo-russe sur l’ordinateur prototype de Cambridge).
Vaut surtout pour les amateurs de Coetzee − et d’éventuels rapprochements avec son propre vécu !

\Mots-clés : #ecriture #identite #jeunesse

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Message par Bédoulène Mar 17 Mai - 20:07

merci Tristram

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Message par Tristram Dim 4 Sep - 13:19

L'Été de la vie

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 L_zotz10

Dernier (2010) des trois récits révisés et réunis dans Une vie de province, après Scènes de la vie d’un jeune garçon (1999) et Vers l'âge d'homme (2003).
Le narrateur, trentenaire, est revenu en Afrique du Sud, et il nous livre quelques notes de ses Carnets (1972-1975). Il est choqué par les violents affrontements interethniques chez ses compatriotes, et par le cynisme des Blancs qui préparent leur abandon du pays où ils ont fait fortune.
« Pourtant, tandis que la partie se termine lentement, des vies humaines continuent à être anéanties – anéanties et évacuées. Comme certaines générations ont pour destin d’être détruites par la guerre, on dirait bien que le destin de la nôtre est d’être broyée par la politique.
Si Jésus s’était abaissé à jouer les politiques, il aurait pu devenir un homme clé dans la Judée romaine, un gros bonnet. C’est parce que la politique le laissait indifférent, et qu’il ne s’en cachait pas, qu’il a été liquidé. Comment vivre sa vie en dehors de la politique, ainsi que sa mort : voilà l’exemple qu’il a donné à ses disciples.
Bizarre qu’il en arrive à considérer Jésus comme un guide. Mais où se tourner pour en trouver un meilleur ? »
Suivent cinq témoignages portant sur lui dans les années soixante-dix, recueillis par un biographe anglais dans des entretiens s’étant tenus en 2007-2008.
Julia confie comme, épouse se devant d’être toujours présentable mais jamais complaisante, elle devint l’amie de (et eut des relations sexuelles avec) son voisin, l’écrivain John Coetzee dont il vient d’être question, et qu’elle juge incapable de communiquer avec autrui.
« …] ils voulaient que les femmes des autres succombent à leurs avances mais ils voulaient que leur femme reste chaste – chaste et appétissante. »
Margot est une cousine, amie d’enfance du même âge que lui, qu’il retrouve dans le Karoo lors d’une réunion de famille de fin d’année à la même époque, et à laquelle il confie avoir été amoureux d’elle quand il avait six ans.
« Et, depuis ce jour-là, être amoureux a pour moi toujours voulu dire que j’étais libre de parler à cœur ouvert. »
Puis témoigne Adriana, danseuse brésilienne dont la fille Maria fut l’élève de Coetzee lors de cours supplémentaires d’anglais ; elle l’accuse d’avoir été attiré par sa fille puis par elle-même, et le considère comme « mou », peu viril, qui ne la séduisait pas du tout : « L’Homme de bois ».
« Un solitaire. Pas fait pour la vie conjugale. Pas fait pour la compagnie des femmes. »
Vient ensuite la brève intervention de Martin, un collègue à l’université du Cap.
« Ses ancêtres, à leur manière, ainsi que les miens à leur manière aussi, avaient travaillé dur, de génération en génération, pour déblayer un coin de l’Afrique sauvage où installer leurs descendants, et quel était le fruit de leur peine ? Le doute qui taraudait le cœur de ces descendants sur leur droit à la terre ; un sentiment de malaise : cette terre ne leur appartenait pas, mais était le bien inaliénable des propriétaires originaux. »
Puis c’est Sophie, une autre collègue à l’université (qui fut son amante) ; sa position « antipolitique » est présentée.
« Il pensait que la politique faisait apparaître ce qu’il y a de pire chez les gens. Faisait apparaître ce qu’il y a de pire chez les gens, et aussi mettait au premier plan les pires individus de la société. Il préférait se tenir totalement à l’écart. »

« Rien ne mérite qu’on se batte, parce que le combat ne fait que perpétuer le cycle de l’agression et des représailles. »
Peu à peu se dessine un Coetzee assez calamiteux, faible et mélancolique, un inadapté. Quoiqu’assez maladroit, il s’emploie à des travaux manuels, normalement réservés aux Noirs (est souvent employé le terme de « Métis ») ; il vit assez misérablement avec son père, personne effacée dont il ne semble pas fort proche.
Lors de ces entretiens devant servir à établir sa biographie, l’interviewer (/ auteur) précise :
« Je ne fais que raconter l’histoire d’une période de sa vie, ou, si on ne peut avoir une seule histoire, alors plusieurs histoires qui procèdent de plusieurs points de vue. »

« J’ai idée qu’il devait prendre place dans le troisième volet des Mémoires, celui qui n’a jamais vu le jour. Comme vous allez l’entendre, il adopte la même convention que dans les Scènes de la vie d’un jeune garçon et dans Vers l’âge d’homme : le sujet est à la troisième personne et non à la première. »
Suivent quelques Fragments non datés des Carnets, qui approfondissent ses rapports assez désastreux avec son père.
« Tous ses rapports avec le monde semblent se produire à travers quelque membrane. À cause de cette membrane, la fertilisation de son être par le monde ne se produira pas. Métaphore intéressante, gros potentiel, mais il ne voit pas où cela peut le mener. »
Que dit cet écrivain décidément bizarre, dans cet autoportrait morose et peu flatteur ? Il y a une correspondance biographique évidente dans cette histoire, mais lui-même rappelle qu’il est un auteur de fiction.
« Un livre devrait être un outil pour fendre la glace que nous portons en nous. »
Cette expression est de Kafka, glissée là sans ce que soit précisé. Le procédé de démarquage se généralise de plus en plus en littérature, mais reste pour moi douteux : de quoi j’aurais l’air si je le citais en croyant la phrase originale !

\Mots-clés : #autofiction #colonisation

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Message par Bédoulène Dim 4 Sep - 13:30

donc toi tu savais que l'expression était de kafka ?

lequel tu préfères de la trilogie ?

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Message par Tristram Dim 4 Sep - 13:57

Oui, je l'ai vue citée une ou deux fois, notamment par Paul Auster dans L’Art de la faim, aussi par Perec peut-être, et/ou Olivier Rolin.
« …] − un livre doit être une hache qui brise la mer gelée en vous. »
Franz Kafka, lettre à Oskar Pollak, 27 janvier 1904
J'ai lu les trois livres à distance, et pas dans l'ordre : je ne saurais dire celui que j'ai préféré (mais c'est en tout cas en-deça de mes précédents lectures, comme Elizabeth Costello ou En attendant les barbares).

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Message par Bédoulène Dim 4 Sep - 15:03

je vois !

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Message par Tristram Dim 4 Déc - 11:43

Trois histoires

esclavage - John Maxwell Coetzee - Page 2 Trois_14

Une maison en Espagne
Un écrivain dans la cinquantaine achète une vieille maison en Catalogne.

La ferme
Dans le Karoo, l’aire de battage du blé demeure alors que sa culture a disparu « sur des terres jadis arables désormais redevenues le veld pelé ». Aux mains des promoteurs, toute la région n’est plus qu’attraction touristique.

Lui et son homme
Robinson (thème qui a déjà inspiré Foe) est revenu de son île ; habitué à la solitude et au silence, il s’est retiré à Bristol.
Son serviteur Vendredi, « son homme », lui envoie des chroniques sur les canards appelants du Lincolnshire (« Les fens sont des étendues marécageuses » où les appelants élevés là ramènent d’autres canards d’Europe), mais aussi le couperet de Halifax et l’année de la peste. Robinson médite sur des allégories de son séjour sur l’île ; pour remplacer son perroquet il en achète un autre. Il a écrit ses mémoires, que nous connaissons, thème repris par de nombreux plagiaires.
« Mais à présent, à y mieux réfléchir, il sent s’insinuer dans son cœur comme un grain de camaraderie pour ses imitateurs. Car il lui semble maintenant qu’il n’existe dans le monde qu’une poignée de récits ; et si on interdit aux jeunes de pirater les anciens, il leur faut alors à jamais garder le silence. »
Mais il n’a plus de facilité à écrire comme « son homme », qu’il n’espère plus croiser.
« Comment faut-il se les figurer, cet homme et lui ? Le maître et l’esclave ? Des frères, des jumeaux ? Des compagnons d’armes ? Ou des ennemis, des adversaires ? »

\Mots-clés : #nouvelle

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Message par Bédoulène Dim 4 Déc - 14:34

mais encore ?

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